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[Livret decolportage] Discours du Roi Bacchus,aux Chevaliers de la Table Ronde, nos Rubicons, Avaleurs de Vin sanscorde, Tondeurs de napes, Rouges trognes et bons frères de lajubilation, prononcé à la convocation générale et pleine assemblée desbons Buveurs, qui se tient ordinairement à l'Hôtel Saint Valéry.-A Blois [Caen] : Aux dépens des Frères de la Jubilation [Chalopin],[18]21.- 12 p. ; 14 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (29.IV.2014)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: Norm n.c.)


DISCOURS
DU ROI,
BACCHUS,

Aux Chevaliers de la Table ronde, nos
Rubicons, Avaleurs de Vin sanscorde.
Tondeurs de napes, Rouges trognes et
bons frères de lajubilation,

Prononcé à la convocation générale et
pleine assemblée des bonsBuveurs,
qui se tient ordinairement à l’Hôtel
Saint Valéry.


A BLOIS,
Aux dépens des Frères de la Jubilation.
1821

_____


Discours du roi Bacchus, page de titre


DISCOURS
DU ROI
BACCHUS.

C’EST en ce jour grand et solennel, mes chers Auditeurs, que je vous aifait assembler dans ce lieu somptueux & magnifique, où les plusdégoûtés ne manquent point d'appétit, puisqu'il est toujours garni deSaupiquets, de friants ragoûts, de Bisques, de Cours-bouillons & dela plus noble & plus exquise tapisserie d'Ortolans, de Becasses, deChapons, de Faisans & tout gibier le plus rare, au lieu de hauteslices & de tapis de Turquie.

J'ai de plus, cers Auditeurs, pris soin d'y faire venir un régiment deflacons, de bouteilles, de brocs & d'autres vaisseaux à mon usage,remplis de la plus excellente liqueur Bachique, pour en ce grand jour Gaudeamus, à rubi sur l'ongle, & pour vous expliquer les motifsde mon discours prophétique.

Vous ne m'y voyez pas, chers Auditeurs, assis dans une chair élevée ; ex suggestus comme un docteur pédantesque qui va tenir un discoursamphibologique, de meroque jure, dans ses vêtemens de cérémonie et deparade, de chaperon sur l'épaule, ni comme un fameux Avocat, rabularefero, qui va faire dans son Siège & devant unn Bareau plaidoyeur,enflé de toutes les raisons promatiques, pour enfin conclure au néantsans dépens.

Mais vous me voyez, chers Auditeurs ; assis sur un tonneau, mon trôneordinaire, rempli du meilleur jus, la tête couronnée de lierre, leTyrse à la main, la ceinture de pampre entrelacée de grappes de raisin,&, dans l'équipage que doit paroître un personnage de ma sorte,devant une noble assemblée, & telle que je la souhaite.

Ce discours donc que je divise en diverses parties, vous entretiendrades vertus, et de la puissance de la Vendange & de ses meilleurseffets, de son origine, de ma naissance, de mes triomphes, &combien vous êtes redevable de m'avoir eu pour votre souverain, sous lenom de Bacchus, et sous une infinité d'autres qui ne vont qu'à magloire & qu'à vous marquer combien je vous suis cher.

Mais d'abord il me semble entendre la voix cassée & enrouée dequelque critique buveur d'eau bouillie, qui fera rincer deux pots pouravoir un demi-setier de petite bierre, craignant que la grosse ne luifût trop flagmatique et qui dira que le vin est la peste de nos sens& qu'il cause en même temps celle de nos âmes. Mais je répondsaussitôt à ces Hydropotes avec la voix de mon Précepteur Silène, quin'avoit pas moins le goût fin que délicat, et qui d'un seul traitauroit vuidé le plus ample Hanap ou la coupe la plus profonde, dût-elletenir un Broc : Silène dis-je, qui, en faisant ronfler un roc du creuxde son estomach, disoit : Bonum vinum acauit ingenium : que le Vinest la joie du cœur et l'ame de l'esprit qui le réveille & l'anime.

Si ces paroles vous sont inconnues, prenez promptement le verre enmain, & en me saluant, trinquez de suite quatre ou cinq coups dumeilleur, vous avouerez que c'est avec juste raison que je vous fais cediscours.

N'est-ce pas se priver des douceurs & des plaisirs innocens decette vie, que s'abstenir de la plus noble & aimable liqueur dumonde, pour s'amuser à boire de l'eau comme une grenouille ; O quodjucundum ! ô que cette liqueur est agréable ! Fringue ce verre,laquais, bis repetita placent ; ce second coup me semble encoremeilleur ; il n'en va pas de même que de choux, dont le goût vient auxreproches, occidit miseros çambere repetita Magistros.

Tous ces fameux auteurs qui ont entrepris de décrire ma naissance, mesbeaux faits & merveilles ; la diversité des noms qu'on m'a donnés,& les triomphes que j'ai menés, ont eu des raisons légitimes siplausibles pour appuyer leurs discours par preuves authentiques.

Ceux qui ont fait des chants Bachiques, ont composé des hymnes à magloire, ont trouvé des fondements dans mes prodiges & effets. Ilsont dit que ma naissance venoit du grand Jupiter & de Semelé, fillede Cadmus & que je fus allaité par les muses, qui au lieu de lait,me donnèrent de la mere-goute, & qu'enfin étant grand je deviensROI de la fameuse Isle de Naxos, qui devint aussitôt un pays devignoble délicieux & des plus abondans du monde.

Mais que ne fis-je pas dans la conquête des Indes ; j'ai subjuguétoutes les nations de l'Orient, & je leur ai appris à planter cepde Vigne & à boire de ces vins fins de Salerne, de Malvoisre, deNaxos & de ces Vignobles si renommés depuis ce tems-là.

Mon triomphe se fit avec une pompe et un appareil magnifique. J'étoistraîné dans Un Char orné de Pampre d'où pendoient des grappes dites Bumastos, grosses comme des doubles mamelles.

Le bon viellard Silène, qui ne pouvais plus se soutenir sur la quinetteou cep de vigne, monté sur son âne, Pando Sillenus asello, marchoitle premier, accompagné de petits Satyres qui dansoient & sautoientautour de lui, quelqu'uns montés sur des boucs ou des chèvres,couronnés de lierre, et ceints de pampres aussi bien que moi. Mon charétoit tiré par des tygres, & entouré de Sylvains, d'Egipans &de plusieurs autres divinités champêtres & bocageres, les unsjouant de la flûte, les autres du haut-bois, et autres instrumentsordinaires à mes Fêtes, à mes sacrifices & louanges.

Ce triomphe n'alloit pas sans concerts, sans cris de joie entremêlés derocs, comme autant de trous creux, pour faire retentir la symphonie,& l'on menoit un bouc au milieu de l’assemblée, ayant les cornesenjolivées de glands, pour être sacrifié à mon hooneur pour avoir de sadent téméraire et sacrilège coupé & mangé le bourgeon d'un cep devigne, crime punissable de mort envers ce sot animal. Mes grandesPrêtresses, les Bacchantes, & les Ménades dévoient immoler ce bouc: car ce sont-elles qui, allant de nuit vêtues de leurs peaux de Lynx,portant le Tyrse en main, hurlant et faisant retentir les monts &les forêts de leurs voix enrouées, travaillaient à mes Sacrifices &en prenant soigneusement garde
en criant Evahe Bacche, & invoquant la pleine puissance &autorité que j'ai sur les Vendanges.

C'est de là, chers Auditeurs, que sont venus ces grands et magnifiquestriomphe des Empereurs Romains, & qu'ils ont pris leurs origines dumien ; c'est de là que sont dérivés ces Orgies ; ces Fêtes dédiées aupuissant roi Bacchus, ces chants mélodieux & entremêlés de meslouanges ; ces banquets somptueux et ses régals magnifiques, où mapuissance éclate par les charmans délices que l'on trouve à bien boire,& ne pas s'enivrer comme font les Allemands, ou les Medes qui setuent entr'eux étant souls ou ivres. Vini & lucernis Medusacinaces immane quarum discrepas. Combien est différent le sabre duMede, du Vin & de la Lampe comme dit Horace.

Ce n'est pas, chers Auditeurs, que je veuille vous empêcher de bienboire : oui buvez bien, & vous trouverez dans le vin des délices& des plaisirs charmans, & de plus in Vino veritas,c'est-à-dire, la vérité dans le vin : mais ajoutez-y encore cette belleSentence, Vinum laetificat cor hominis, le Vin réjouit le cœur del'homme.

Toutefois qu'aucun de vous ne devienne pas Epicuri de grege porcus,un pourceau du troupeau d'Epicure, quoiqu'il dise : Bibamus &potamus, post mortem nulla volupta. Buvons amplement, après la mort iln'y a plus de plaisirs.

Cette Sentence est criminelle & injurieuse au très-haut &très-puissant Roi Bacchus, qui n'aime que la joie dans le Vin, &non pas la tristesse, qui assoupît les sens, étouffe la raison. Faites,chers auditeurs, réflexion sur ces paroles, quoiqu'elles soientproférées par un Philosophe, elles sont pourtant indignes d'un hommeraisonnable.

Mais revenons aux bons noms qu'on m'a donnés. Que signifient-ils autrechose que les merveilleux effets que l'agréable liqueur Bachique opère? On m'appelle le Pere Liber ! que veut dire ce beau mot ? si cen'est cette liberté de dire franchement & avec grande vivacité tousses sentimens dans le vin, l'esprit s'y dégage, de ses inquiétudes, deses chagrins, de ses troubles, et y recouvre cette aimable Liberté,dont il jouit avec plaisir & joie. On m'appelle Laenus, que veutdire cette parole, si ce n'est que la douce liqueur de vin tempère& adoucit les emportemens de l'âme, en modère la fierté & lafait descendre dans ses doux sentimens si souhaités dans la sociétéhumaine, en prenant avec modération, avec plaisir et joye. On n'envient pas à ces fureurs et à ces transports de rage & de cruauté,qui emportent les Lapathes, & les Centaures qui troublèrent lesnoces d'Hipodamé, & qui y répandirent tant de sang après avoir buavec excès & s'être enivrés.

Il est agréable de combattre à coup de verre, dit Horace, Siphispugnare gratum est, mais non pas à s'égorger, il faut trouver sonplaisir à boire & non pas à exercer des querelles & des débatsOn me nomme encore Evohe, qui signifie souhait & vœu : Hé quepeut-on souhaiter de plus aimable, que la douce liqueur qui sort de mesvendanges ? on m'a donné une infinité d'autres noms pour marquer mapuissance, ou les agréables effets de la liqueur que je leur donne, ouqui sont tirés des Régions où l'on célèbre mes Orgies, où l'on fait desoffrandes & des sacrifices à mon honneur, où l'on célèbre ma gloireet mon nom avec joie. Il n'y a point de lieux où l'on ne me révère etoù l'on ne fasse retentir mes victoires & triomphes.

Que signifie ce mot Bacchanales ? Si non mes fêtes & sacrifices.Si elles ont été changées en Mardi-gras, c'est que dans ce tems-là,chez les peuples qui célébroient mes Fêtes, tant qu'elles duroient,c'étoit au tems de Mardi-gras & d'Hilaria, jour de joie & deplaisirs. Venons, chers Auditeurs à une autre partie de ce discours& faisons voir quelles punitions étranges ont subi ceux qui ont étéassez téméraires de mépriser mes sacrifices, de violer mes fêtes, faireinjure à mon nom & gloire.

Je commence par le fameux Roi de Thébes, qui voulant malgré sespeuples, sa mère & ses sœurs, abolir mes fêtes & messacrifices, fut déchiré en pièces, c'étoit Penthus, fils d'Echion& de la Reine Agave. Oui sa mere & ses sœurs transportés defureur, en haine de ce mépris, mirent les mains sur lui, il fut lavictime immolée à mes sacrifices. Les peuples renouvelèrent mes fêtesavec plus d'éclat que jamais.

Que n'arriva-t-il pas aux Corsaires Tyrrhéniens, qui m'ayant enlevédans leurs navires, se persuadant que je n'étois que le fils de quelquePrince, par ma beauté & mon visage riant, crurent avoir fait uneriche proie, ne connoissant pas ma puissance, ils furent bien surprisquand ils me virent tout brillant, la couronne de Lierre sur la tête,le Tyrse à la main comme un Spectre & pour les punir de leurtémérité, je leur fis paroître des tigres & des panthères, que dansleurs voiles ils croyoient de voir mes Prêtresses & Bacchantes surle mont Timolé, où elles célébroient mes Orgies : mais encore ilsvirent le mât de leurs navires entouré de pampre de Vigne, d'oùpendoient de grosses grappes de raisins, tout leur vaisseau entouré decep de vigne, et au milieu paroissoit une fontaine de vin. Mais lafrayeur qu'ils eurent des tigres & des panthères, qu'ils croyoientvoir devant eux, les fit précipiter dans la mer, où les pirates par masouveraine puissance, furent changés en Dauphins. Voilà ce que c'estque de méprifer mes loix, mes sacrifices & mon pouvoir. Cesmalheureux sont reduits à ne boire que de l'eau, & qui pis est, del'eau salée, qui ne sert qu'à les altérer : au lieu de l'excellenteLiqueur qu'ils auroient bu, s'ils avoient eu du respect pour moi, &honoré mes sacrifices.

Attaquez, profanes, une autre fois le Roi Bacchus : il vous rendra lenez plus camus que celui des Dauphins & vous ne boirez que de l'eautoute votre vie.

Quelle vertu n'a pas ma délicieuse Liqueur ? Ceux qui ont cherché laFontaine de Jo[u]vançe ne l'ont trouvée que dans le vin ; il réveilleles sens assoupis, & semble rajeunir ceux que l'âge a presqueabattus. Ç'est de là qu'est venu cet ancien Adage, que le vin est lelait des vieilles gens. N'est-ce pas les rajeunir que de leur donner duVin ? Oui en quelque âge que ce soit, le Vin a des qualités qui ne sontpas à mépriser. Quoiqu'en disent les Médecins, leur maître Hypocrate,n'a-t'il pas inventé l'Hypocras ? n'a-t-il pas pour base un Vingénéreux ; Si donc ses Disciples défendent le Vin aux malades, ils fontinjure à leur maître. Cette vieille chassieuse avoit bien raison dedire à son Médecin qui lui défendoit le Vin pour sauver sa vue : NonMonsieur, dit-elle, il vaut mieux perdre les fenêtres que la maison.

Enfin, chers Auditeurs, avant que je finisse mon discours, je vousdirai que le Vin est l’âme du festin & ajouterai par conclusionqu'il faut user de ma précieuse Liqueur & n'imiter pas ces peuplesde Thrace dont Lycurgue, voyant qu'ils s'enportoient à l'intempérance,& de là aux querelles & combats, fit couper toutes les Vignes :mais comme s'il eût attenté à ma personne & à mon domaine, par unejuste vengeance, je lui fis tourner l'esprit en fureur, lui-même de safaux se coupa la cuisse. Ce n'est pas que je veuille défendre de boire,au contraire je vous invite, mes chers Confidens, mais avec cettemodération que votre vin ne devienne point un vin de lion, ni un vin depourceau, mais un vin de singe & d'agneau.

FIN