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BRAQUEHAIS,Léon :  Curieusesexécutions en Normandie au Moyen-âge.-Rouen : Imprimerie E. Marguery et Cie, [1892].- 4 p. ; 24 cm.- (Extraitde la Normandielittéraire de Mars1892).
Saisie du texte : O.Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux sur une proposition de C. Boulan (19.III.2005).
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographe et graphieconservées.

Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : br norm 530).
 
Curieusesexécutions en Normandie au Moyen-Age
par
Léon Braquehais

~*~

Au XIVe siècle il sepassa dans la cité deGuillaume-le-Conquérant, un fait très curieux,qui est ainsi raconté par FrédéricGaleron, dans son Histoire de laVille deFalaise, (p. 83) :

« En 1386, une truie dévora le fils d'un manoeuvrede la ville, nommé Janet. Cet accident parvint àla connaissance du juge, qui condamna l'animal à subirpubliquement la peine du talion. L'enfant avait eu le visage et un brasdéchirés ; la truie fut mutilée de lamême manière, et ensuite pendue par la main dubourreau. L'exécution se fit sur la place publique, enprésence de tout le peuple ; le vicomte-juge yprésidait à cheval, un plumet sur son chapeau etle poing sur le côté. Pour comble d'horreur, lepère de la victime fut tenu d'assister à cetteexécution ; on voulait le punir, dit l’historiende ce fait, pour n'avoir pas surveillé son enfant. Quandl'animal fut amené sur le lieu du supplice, il avait desvêtements d'homme, une veste, des hauts-de-chausse et desgants. On lui avait appliqué sur la tête un masquereprésentant une figure humaine. »

Galeron ajoute que cet évènement parut siremarquable dans le temps qu'on en conserva le souvenir par unepeinture murale qui se voyait encore, en 1820, dans l'égliseSainte-Trinité de Falaise. L'abbé Langevin, qui aégalement vu cette curieuse peinture, la décritainsi dans ses Rechercheshistoriquessur Falaise(Supplément, 1826, p. 12) :

« Ce trait singulier, dit-il, est peint à fresquesur le mur occidental de l’aile ou croiséeméridionale de l'église Sainte-Trinitéde Falaise. L'enfant précité et sonfrère sont représentés sur ce mur,proche l'escalier du clocher, couchés côte àcôte, dans un berceau. Puis vers le milieu de cemur, sont peints la potence, la truie habillée sous la formehumaine, que le bourreau pend, en présence du vicomteà cheval, un plumet à son chapeau, le poing surle côté, regardant cette exécution.»    

Depuis 1820, l’église Sainte-Trinité aété restaurée bien des fois, et cettepeinture est actuellement complètement effacée,ainsi que nous l’avons constatérécemment, en visitant cet intéressantédifice, qui est classé au nombre des monumentshistoriques du Calvados.

L'événement bizarre dont nous nous occupons aété mentionné par Blondeau de Charnage(Dictionnairedes titres originaux, 1764),par Michel Beziers (Chronologie hist.desbaillis et des gouverneurs de Caen,1769), et par A. Brillon (Dict. deJurisprudence,1786). Ces auteurs affirment que ce fait eut lieu en 1396,mais c'est une erreur, ainsi que le prouve la quittance du bourreau deFalaise qui a pendu cette truie infanticide.

Cette quittance a été retrouvée en1873, par M. Desnoireterres, qui l'a publiéeaussitôt dans le Bulletin delaSociété des Antiquaires de Normandie,(t. VI, p. 309).

Voici une copie de ce document :

« Le IXe jour de janvier del'an mil CCCIIIIXX et six,devant Girot de Montfort tabellion du roy nre pr à faloisefut présent maistre Nicole Morier bourrel [bourreau] defaloise qui congnut et confessa avoir eu et receu de hômesage et pourveu Regnaut Rigaut vicomte de faloise par la main de ColinGillain son lieutenant général la somme de dixsoulz et dix deniers tournois c'est assavoir pour sa paine et salaired'avoir traynée et puis pendue à la justice defaloise une truye de laage de trois ans ou environ qui estoità un appelé Souvet le Macon de la paroisse deLaferté Macy [Macé] qui avait mangéele visage de l'enfant du dit Macon (qui estoit au bers et avoit daagetrois mois ou environ) tellement que le dit enfant en mourut, XS t z [dixsols tournois] etpour un gans neuf quant il fist la dte execuconX d [dix deniers] de laquelle somme de XSX d [dix sols dix denierstournois] dessus diz le dit bourrelse tint pour bien paie. »

Signé: GIROT DE M.

Au moyen-âge, dans la plupart des pays, quand unebête causait la mort d’un homme, dit notre savantmaître, M. Léopold Delisle, administrateurgénéral de la Bibliothèque Nationale (Etat de l'Agriculture enNormandie au moyen-âge),on avait coutume de lui faire un procès dans toutes lesformes, et de la supplicier comme un criminel. M. Delisle ajoute avecraison que les Normands partagèrent cette erreur commune.

D'ailleurs, en parcourant les vieilles chroniques de notre province,nous trouvons encore plusieurs faits à l'appui de cetteassertion.

En 1334, on condamna à la peine de mort une truie qui avaitmangé un enfant, à Durval ; en 1349, un porc futamené en prison pour avoir commis un crime semblable, etcette même année, on donna dix sous au bourreau deLouviers et à celui de Pont-de-l'Arche pour ardoir[brûler] deux porcs, qui avaientétranglé deux enfants. (Actesnormands de laChambre des Comptes. 1328-1350).

Le 3 juin 1356, le bourreau de Caen ne reçut que cinq sous« pour ardoir un porc qui avoit estranglé unenfant à Douvre » (Archivesnationales).

En 1408, le géôlier des prisons de Pont-de-l'Archedonna quittance de 4 sous 2 deniers pour avoir nourri pendant 24 joursun porc qui avait muldry et tué un petit enfant et qui, enexpiation de ce crime fut pendu à un des poteaux de lajustice du Vaudreuil (Eure).

Ce fait a été relaté par Auguste LePrevost (Archivesde la Normandie, 1826, p.331), et non dans la Chroniquenormande dePierre Cochon ; comme le dità tort M. Nicétas Périaux (Histoire sommaire etchronologique de la ville de Rouen,1874, p. 164).
 
Dans ses Essaishistoriques sur la ville de Caen,l'abbé de la Rue rapporte qu'en 1480, un porc mangea unjeune enfant de la paroisse Saint-Gilles, et que les officiers del'abbesse de Caen saisirent ce pourceau en demandant sa condamnationdevant le sénéchal de l'abbaye ; mais leprocureur du roi intervint, attaqua l'abbesse devant le grand bailli ;et soutenant que le délit avait étécommis dans le ressort du bailliage, il réclama l'animalpour que son procès lui fut fait par la justice royale.L'abbesse ne gagna, continue l'abbé de la Rue, qu'enprouvant que déjà elle avait fait ardre,sur la place aux Campions, une fille qui avait tué un hommedans la maison même où le porc avaitmangé l'enfant.

Enfin, à la date de 1499, on pendit « ung pourceauqui avoit mangé, le visage d'un enfant au bers ; appartenantà Jean Morin, fils de Guillaume Morin, de Fresne,à l'occasion duquel excès de violence le ditenfant estoit allé de vye à trépas.» Le receveur de Fresne-l'Archevêque (Eure) paya 34sous pour l'exécution de cette sentence (Ch. de Beaurepaire,*Etat des campagnes de la Haute-Normandie au moyen-âge*, p,420).

Nos anciennes coutumes, dit Houard (Dict.de Droit normand,l780, t.1er, p. 72), permettaient de tuer les porcs et leschèvres trouvés en dommage et de se lesapproprier.

Au XIIe siècle, nos lois étaient beaucoup moinssévères, puisqu'en 1131, un porc se jeta entreles jambes d'un cheval monté par Philippe, fils de Louis leGros, causa ainsi la chute mortelle de ce jeune prince, changea parsuite l'ordre de succession au trône de France, et n'encourutpour ce méfait aucune punition.

Ce dernier fait a été omis par beaucoupd'historiens modernes, qui, vraisemblablement ont craint de souillerleur plume en écrivait le nom de l'animal coupable, mais onle trouve raconté par quelques uns de nos vieux auteurs telsque Jean de Serres et le père Anselme.