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Jacques Bugeaud en Normandie ouConversations sur différents sujets agricole par un membre del'Association normande (1850). Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (03.XII.2018) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00. Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi surl'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : Norm 850) de l'Annuaire des Cinq Départements de laNormandie, 16e année, 1850 publié à Caen par Delos JACQUES BUGEAUD EN NORMANDIE Ou CONVERSATION SUR DIFFÉRENTSSUJETS AGRICOLES ; Par un Membre de l'Association normande. _____ Le fumier donne le grain — le bétail donne le fumier. — Pour récolter,il faut fumer. —Telle est la fosse à fumier, tel sera le grenier. —Veux-tu récolter ? Fais du fumier. — Si tu veux du blé, fais des présartificiels, afin de nourrir du bétail ; car le bétail est la source dufumier. La terre mise en pré se repose du blé, et rend ensuite le triple. — Lepré donne du fourrage qui nourrit le bétail — le bétail donne del'argent et du fumier. — Le fumier fait venir le grain qui nourrit lemonde et remplit le gousset. C'est ainsi que parlait le bienheureux J. Bugeaud, des Deux-Sèvres, siconnu par ses almanachs populaires. Un agriculteur, évoquant lesouvenir de cet estimable citoyen, parcourait naguères les campagnes,prêchant les doctrines de Bugeaud. Nous avons été curieux de l'écouter,et nous avons écrit sur nos tablettes ce qui sortait de la bouche decet estimable missionnaire de l'agriculture, que nous aurions pris pourun des fils de Jacques Bugeaud, si nous n'avions su qu'il n'avaitlaissé que des filles. Mais le nom ne fait rien à la chose : les préceptes, voilà ce que nouscherchons, et ce qu'il importe de faire connaître aux lecteurs del'Annuaire. Le Bugeaud normand, si tant est qu'il soit de ce pays, se trouvait,quand je le rencontrai, entre Livarot et Orbec, Il s'escrimait de sonmieux contre les petits sillons, dans un groupe de cultivateursroutiniers, qui défendaient avec acharnement leur mode de labourer.Nous allons reproduire la conversation, telle que nous l'avonsrecueillie. Petits sillons et labours en planches. Ah bien oui, les planches, disaient les routiniers des cantons deLivarot et d’Orbec, si vous ne voulez rien récolter, faites-en. Pas sibêtes, nous autres, que de faire des planches, où l'eau croupit etpourrit le blé : nous ne voulons pas nous ruiner. L'homme progressif avait beau leur dire : Erreur, mes amis !! lesplanches retiennent moins l'eau que vos petits sillons, qui opposentperpétuellement des obstacles à son écoulement ; vos grains neprospèrent que sur la crête des sillons ; les creux font l'office debaignoires, et vous accroissez de beaucoup, par ce mauvais système,l'humidité de vos champs. Les routiniers n'en voulaient rien croire.Ennuyé de leur résistance opiniâtre, l'homme progressif sortit de sapoche un petit livre qu'il annonça avoir été fait tout récemment par unpraticien fort habile de la Mayenne, qui se nomme M. Jamet, et leur lutce qui suit : « Le labour en planches vaut mieux que celui des sillons ; la terres'égoutte avec plus de facilité ; la destruction des mauvaises herbesest plus prompte. Il faut ajouter que le labour en planches est moinscoûteux ; que les charrois sont plus commodes et moins fatigants pourles animaux ; que le fauchage est facile, tandis qu'avec les sillons onest souvent réduit à se servir de la faucille. Avec les planches, lespluies du printemps et de l'été profitent mieux aux racines desplantes, et la sécheresse leur fait moins de mal. La terre, qui s'étaitgonflée par le froid, s'abaisse sans se déplacer, quand le dégel vient,tandis que les côtés du sillon se détachent en partie et laissent lesracines à nu. » Je dois vous faire connaître l'utilité des planches pour lessemailles d'hiver. Vous n'ignorez pas que l'ensemencement des grainsest souvent contrarié par les pluies d'automne ; il s'en fait peu avantla dernière quinzaine d'octobre, et les grandes fermes ont rarementfini à la Toussaint. Les planches permettent de faire les labours avantla semaille ; lorsque le temps est venu, on jette le grain sur laterre, puis on l'enfouit à la herse. Il est extrêmement facile derecouvrir quatre journaux par jour, avec un harnais. Comme chaque hersedemande seulement deux ou trois animaux, on peut, avec quatre ou sixbêtes et deux instruments, semer en une journée quatre fois plus deterrain qu'en sillons. Cependant, il faut deux bêtes de trait de moins,et pas d'autres journaliers que le semeur et les deux hommes quiconduisent les attelages. Les rigoles s'achèvent facilement à la pelle,le soc plat faisant les trois quarts de la besogne : on profite ainsidu beau temps, et les pluies ne causent pas de dommages. On voitpresque tous les ans des pièces de froment manquées, parce que lessemailles ont été faites dans la boue. En supprimant les sillons, votreensemencé sera toujours fait en temps utile ; vous ne craindrez plus lapluie pour vos grains d'hiver. » Un des grands avantages des planches, c'est de pouvoir employer laherse et le rouleau pour ameublir la terre et la nettoyer ; la besognese fait mieux, plus vite, et avec moins de dépense. Il faut toujours,autant qu'on le peut, diminuer le travail des bras, car il coûte tropcher. Vous savez que les gages des domestiques et le prix desjournaliers ne font qu'augmenter ; vous devez donc faire le plus detravaux possible avec les instruments. Imitez les villes qui fontpresque tout à la mécanique, et vous ferez de bonnes affaires. » Tout satisfait d'avoir cité une autorité si respectable, l'hommeprogressif s'attendait à être applaudi de son auditoire, quand une voixsortit du groupe et s'écria : C'est bon pour certains pays, lesplanches ; mais cela ne vaut rien pour nos terres. A celle apostrophe, je crus le moment de venir en aide au Bugeaudnormand ; et, au risque de me faire lapider, je m'écriai d'une voixforte : Celui qui a dit cela n'a pas raison ! Ah mais non, il n'a pasraison ! S'il avait visité, comme moi, la Flandre, où les terres sonttout aussi et plus mouillantes que les vôtres, il aurait vu qu'onaplanit la terre le plus possible ; c'est à peine si on distingue lesplanches les unes des autres. Eh bien, l'eau s'écoule parfaitement,parce qu'on fait quelques rigoles ; et, dans ce pays, dont le terrainne serait pas meilleur que le vôtre, si vous aviez le talent de biencultiver celui que vous possédez, la terre rapporte 2 à 300 fr.l'hectare en location : croyez-vous donc qu'on se ruine en faisant desplanches, vous qui faites les fiers avec vos sillons, qui sont l’étatsauvage du labour ? Vous n'avez pas de terre qui se loue plus de 80fr. l'hectare ; soyez donc moins empressés de vous opposer aux bonsconseils, et ne vous moquez pas de ceux qui font mieux que vous. Les fumiers. Satisfait d'être secondé par un inconnu, l'homme progressif entama unautre sujet agricole. J'ai vu avec un vif regret, dit-il à sonauditoire, la manière ou plutôt la négligence avec laquelle voustraitez les fumiers de vos cours ; vous les jetez sans soin près de vosétables, vous les laissez dessécher au soleil. J'ai suivi sur la route,durant l'espace d'un demi-kilomètre, un ruisseau tout de jus de fumier,lequel va se rendre dans la rivière voisine : en vérité, c'est perdreune valeur considérable pour le plaisir de la perdre. Laisser ainsilaver le fumier par des eaux qui en emportent les sels, qui luienlèvent sa qualité, pour les porter où ? DANS LA RIVIÈRE !! il fautêtre bien négligent et bien paresseux pour laisser partir de chez soile jus qui donne la fécondité à la terre. Voudriez-vous, Monsieur, répondit un des assistants, que, quand ilpleut, nous tendissions nos parapluies sur le fumier pour empêcherl'eau de le laver ? ou que nous prissions le jus de fumier dans noschapeaux, pour l'empêcher de suivre la pente qui le fait couler dans lavallée ? Un éclat de rire général accueillit cette facétie, et l'hommeprogressif allait avoir le dessous, quand il répondit à soninterlocuteur : Jeune homme, vous pouvez avoir de l'esprit ; mais vosplaisanteries ne sont pas à leur place. Ecoutez-moi, et vous verrez quevous avez parlé trop vite et sans réflexion. M. Jamet nous dit, et je l'ai vu moi-même, que « les bons cultivateursplacent leurs fumiers dans une fosse peu profonde, d'une largeur etd'une longueur proportionnées à la quantité qu'ils ont à mettre. Lefond de cette fosse, qui est généralement pavé, afin d'empêcher lesurines de se perdre dans la terre, est un peu en pente pourl'écoulement des eaux. Au-dessous, et un peu en-dehors de cette fosse,existe un puisard où vient se recueillir le jus de fumier. Ce puisardest placé de façon que les urines, qui sortent des étables et écuries,viennent également s'y rendre. On y jette aussi tous les résidus despersonnes de la ferme. Ce puits est couvert ; il est ainsi à l'abri del'air et de la chaleur : par cela même, ce qu'il contient ne s'échauffeguère, et il se conserve sans beaucoup de perte. Lorsque le puisard estplein, on le vide avec une pompe en bois, qui dépose ce liquide épaisdans des barriques à moitié remplies d'eau ; car sans cela il seraittrop fort, et il brûlerait les plantes. Au commencement du printemps,on conduit cet engrais sur les pièces de terre ensemencées ; alors leshommes et les femmes puisent dans les tonneaux, et répandent ce jus defumier avec de grandes cuillères à long manche. Il y en a qui, pourabréger le travail, percent leurs barriques de petits trous dans lebas, et l'urine s'échappe peu à peu, pendant que la charrette parcourtle terrain en tous sens. Vous ne vous faites pas idée de l'effet quecela produit sur les récoltes de froment ; les trèfles, les luzernes etles prairies ordinaires s'en trouvent également très-bien. » Vous comprendrez, sans l'avoir vu, combien cela doit être bon, quandje vous aurai dit que l'urine est l'un des plus riches engrais. L'urinede vache vaut trois fois le fumier d'étable, celle du cheval douzefois, celle des moutons quinze fois, et celle des hommes vingt foisplus. Eh bien ! dans toutes nos fermes, il en est perdu pour des sommesconsidérables ; les tas de fumier sont ordinairement si mal placés, quele jus va se perdre dans l'abreuvoir au bétail. Il arrive alors que lecultivateur risque de rendre ses bestiaux malades, tout en perdant surla valeur de son engrais. » Vous voyez donc, jeune homme, qu'il n'y a pas besoin de parapluies nide chapeaux pour empêcher le jus de fumier de s'écouler dans la vallée.Il est un moyen bien simple pour ceux qui ne veulent pas se donner lapeine de faire autre chose, c'est d'arrêter l'eau chargée de jus defumier dans un puisard que l'on peut toujours creuser où l'on veut ; dela prendre là pour en arroser les herbages. A ce moyen, je n'aurais pasrencontré 500 mètres du chemin que je viens de parcourir teintsd'urine. Je m'étonne vraiment que personne n'ait pensé à détourner ceruisseau d'engrais pour le faire entrer dans son pré. Rien n'eût étéplus facile : avec quelques coups de bêche, on pouvait faire une rigolede dérivation. Quant au traitement des fumiers, M. Girardin l'indique dans un livrepopulaire, que je voudrais voir entre vos mains à tous. « L'art de préparer les fumiers, dit-il, est, sans contredit, enagriculture, l'opération la plus utile et qui réclame le plus de soins.Malheureusement, chez nous du moins, c’est celle qu'on néglige le plus. » Nos fermiers ne sentent pas assez l'importance qui est attachée à laconnaissance, à la production et à la bonne administration des engrais.La Normandie n'aurait, ainsi que l'a dit, il y a déjà longtemps, lecélèbre agronome Arthur Young, à envier à la Flandre aucun de sesriches produits, sans la négligence avec laquelle on laisse perdre unefoule de substances et de résidus qui pourraient doubler et tripler lafécondité de son sol. » A toutes les époques, et dans toutes les régions, la prospérité del'agriculture a toujours été proportionnée à l'importance attachée auxengrais. Les voyageurs racontent qu'en Chine, où l'agricultureaccomplit des merveilles, il n'est pas de barbier qui ne recueilleprécieusement, dans l'intérêt du jardinage, les cheveux et toute l'eaude savon de sa boutique ; les lois du pays défendent de jeter lesexcréments humains, et il y a dans chaque maison, ainsi que le long deschemins, des réservoirs construits avec beaucoup de soin, des petitsvases disposés pour les recueillir au profit de la culture. Lesvieillards, les femmes et les enfants s'occupent à délayer et à déposercet engrais près des plantes, en doses convenables. » En Flandre, l'utilité des engrais est tellement appréciée, quel'avidité qu'on met à s'emparer des moindres ordures dispensel'administration municipale de tous les soins, de toutes les dépensesdans lesquelles elle est, chez nous, obligée de descendre, souvent sanssuccès, pour la propreté et l'assainissement de la voie publique. » Le fumier des bêtes à cornes, toutes choses égales d’ailleurs, esttoujours moins actif, moins prompt à fermenter, plus aqueux, plusspongieux et plus apte à retenir l'humidité ambiante, à entretenir, parsuite, plus de FRAICHEUR à la terre que le fumier de cheval et desbêtes à laine. Aussi, le premier est-il rangé parmi les ENGRAIS FROIDS,le second parmi les ENGRAIS CHAUDS. Le premier agit donc pluslentement, mais aussi d'une manière plus continue et plus égale, et ildonne des récoltes moins belles, il est vrai, mais plus prolongées quele second ; car c'est un fait hors de toute contestation que le POUVOIRFERTILISANT qui se manifeste avec le plus de promptitude et d'énergie,est aussi celui qui est le plus promptement épuisé. » Un des avantages du fumier des bêtes à cornes, c'est de pouvoir, enraison de son plus grand état de mollesse, supporter une addition plusconsidérable de litière que le fumier de cheval et des bêtes à laine ;et comme, d'un autre côté, il est presque toujours produit en plusgrande quantité que ce dernier, c'est par conséquent celui dont on tirele meilleur parti dans les fermes, d'autant plus qu'on peut, pour ainsidire, l'appliquer à tous les terrains et à toutes les cultures. » S'il est vrai que le fumier de cheval enfoui en terre à l'état frais,c'est-à-dire avant toute fermentation, soit très énergique et pluschaud que celui des bêtes à cornes, il n'est pas moins certain qu'aprèssa fermentation au contact de l'air et en tas, il ne donne un engraisinférieur à celui des étables. Cela provient de ce que les excrémentsdu cheval, généralement plus secs, s'échauffent rapidement etconsidérablement lorsqu'ils sont mis en tas, et qu'alors ils sedessèchent et perdent une proportion considérable des principes lesplus utiles, notamment des sels ammoniacaux. D'après M. Boussingault,le fumier frais de cheval contient, à l'état sec, 2,7 pour 100 d'azote.Le même fumier, disposé en couche épaisse et abandonné à unedécomposition complète, laisse un résidu qui, desséché, ne renfermeplus que 1 pour 100 d’azote, et, par cette fermentation, le fumier aperdu à peu près les neuf dixièmes de son poids. On peut juger, d'aprèsces nombres, combien a été grande la perte en principes azotés. Letraitement du fumier de cheval exige donc beaucoup plus de soins etd'attention que celui des bêtes à cornes ; et, comme habituellement lepremier n'est pas mieux traité que le second, on conçoit facilementque, malgré sa supériorité relative à l'état frais, il devienne, aprèsplusieurs mois de conservation, bien inférieur au fumier d'étable :aussi les cultivateurs le considèrent-ils, en effet, comme étant moinsactif. » M. Puvis a constaté que, pour obtenir de bons résultats dans laconfection du fumier de cheval, il faut lui donner plus d'humiditéqu'il n'en peut recevoir par les urines de l'animal ; que, si on nel'arrose pas, il se dessèche, perd de son poids et de sa qualité,tandis qu'en l'entretenant convenablement humide, il produit unequantité de fumier à demi-consommé, de qualité supérieure et au moinségale en poids à celui qui provient des vaches. » On peut aussi retarder la déperdition des principes utiles de cefumier et lui conserver une grande partie de ses qualités, en letassant fortement et en prévenant l'accès de l'air. » Obtenu par la méthode ordinaire, il ne convient qu'aux sols argileux,profonds, humides, ou aux terrains qu'on appelle FROIDS. Il estnuisible dans les sols sablonneux et calcaires, où le fumier des bêtesà cornes est, au contraire, très-avantageux. Mais, lorsqu’il a étépréparé avec les soins que je viens d'indiquer, il convient à tous lessols, et il ne diffère du fumier de vaches que par sa qualitésupérieure. » Le fumier des bêtes à laine, des moutons, est le plus substantiel detous les fumiers. Comme il reste ordinairement, jusqu'au moment de sonemploi, dans les étables, où il est fortement tassé par les pieds desanimaux et où il reçoit peu d’humidité, il ne présente que peu desymptômes de fermentation. Il ne se mêle que très-difficilement ettrès-imparfaitement à la litière, en raison de sa forme et de sadureté. Comme il est presque toujours mêlé à une trop grande masse delitière, il convient, avant de l’appliquer, d'en former des tas qu'ondoit fréquemment arroser, car ce n'est que dans une masse moins serréeet plus humide que la paille peut trouver les conditions nécessaires àsa décomposition. » Le fumier des bêtes à laine est surtout propre aux terrains argileux,lourds et froids ; il est préférable à tous les autres pour les plantesoléagineuses, telles que la navette et le colza. Moins chaud que lefumier de cheval, son action dans le sol est plus durable ; mais ellen'excède pas deux ans et ne se manifeste même très-sensiblement quependant la première année. » Le fumier des bêtes à laine est plus souvent appliqué directement àla terre au moyen du parcage. Schwerz estime qu'un mouton, pendant unenuit, peut fumer une surface d'un mètre carré. M. Boussingault a trouvéà Bechelbronn, en Alsace, un mètre un tiers. » Plus la nourriture qu'on donne aux animaux est substantielle etsèche, plus leurs excréments ont d'énergie et de pouvoir fertilisant.Les bêtes à cornes ont toujours une nourriture très-aqueuse ; en effet,même après la saison des herbages, on leur donne des betteraves ou leurpulpe, venant des fabriques de sucre, des pommes de terre ou les marcsdes féculeries, des carottes. Les bêtes à laine et les chevaux ont, aucontraire, généralement une alimentation plus sèche, en grains et enfourrages. Il n'est donc pas étonnant que les fumiers des bêtes àcornes soient plus aqueux, moins actifs, plus FRAIS que les fumiers deschevaux et des moutons. Dans quelques pays, cependant, en Flandre, parexemple, les vaches et les chevaux ont la même nourriture pendant laplus grande partie de l’année, c'est-à-dire du trèfle et de l'orge envert, en été ; et, en hiver, de la paille hachée, de la drèche etautres céréales germées des brasseurs. Dans ce cas, le fumier de vacheest MOINS FRAIS, et celui des chevaux est MOINS CHAUD que dans les paysoù la nourriture des uns et des autres est très-différente. » Marshall, dans sa DESCRIPTION DE L'AGRICULTURE DU NORFOLK, donne aufumier du cheval nourri avec du foin et de l'avoine, la préférence surtous les autres ; il place au second rang le fumier du bétail àl'engrais ; il regarde comme de beaucoup inférieur le fumier du bétailmaigre, et particulièrement celui des vaches laitières ; enfin, iltient pour le plus mauvais celui des bestiaux n'ayant que de la paillepour nourriture d'hiver. Litière. » La nature de la litière qu'on donne aux animaux influe aussi de soncoté sur la qualité des fumiers qu'on en obtient. Et cela doit être,car toutes les pailles n'ont pas la même constitution chimique, commecela a été mis en évidence par les analyses intéressantes du chimisteallemand Sprengel, et par celles plus récentes de MM. Boussingault etPayen. » Les débris végétaux agissent d'autant mieux, comme litière, que leurtissu est plus spongieux, plus apte à retenir les parties liquides desdéjections animales ; et, comme engrais, ils opèrent avec d'autant plusd'efficacité qu'ils sont plus riches en principes azotés et ensubstances salines. » Mais, dans la pratique, ce ne sont pas ordinairement cesconsidérations qui déterminent le choix des litières. Presque partouton ne fait usage que de la paille des céréales. La conformation creuseet tubaire de ces plantes, qui leur permet de s'imbiber d'urine, lesrend précieuses sous ce rapport ; elles procurent, d'ailleurs, auxanimaux un coucher doux, en même temps qu'elles les préservent dufroid. Mais, très-pauvres en azote et en sels alcalins, elles sont bieninférieures aux fanes et aux tiges des légumineuses, des crucifères,qu'on néglige comme litière, et qui communiqueraient aux fumiers debien meilleures qualités. » Un excellent moyen de suppléer, partout, à l'insuffisance despailles, comme litière, est celui qu'on emploie dans plusieurslocalités de l'Angleterre, de l'Allemagne, delà Suisse, et que Schwerzpréconise avec juste raison. Il consiste à couvrir le sol des étables,des bergeries, des écuries, avec une certaine quantité de terre sèche,qu'on recouvre, chaque jour, par une nouvelle couche, et qu'on remplacepar de nouvelle terre, lorsque la première est suffisamment imprégnéepar les déjections des bestiaux. » Les animaux, accoutumés à ce couchage, se reposent sur ce genre delitière tout aussi bien que sur une abondante provision de paille. Ilssont même plus sainement, car les miasmes qui s'élèvent de leursexcréments sont promptement absorbés par les couches de terre qu'onpeut répandre une ou deux fois par jour. Nous voyons, en effet, desbestiaux passer leur vie sur des pâturages, dans des prairies où ilsreposent sur la terre nue, sans en être incommodés en aucune manière. » Il serait donc facile de rassembler, sous de mauvais hangars, desterres qui seraient répandues sous les bestiaux, sans être trophumides. Ce transport pourrait avoir lieu dans les moments et dans lasaison où les travaux des champs n'exigent pas l'emploi des chevaux. Onchoisira la terre la plus propre au genre d'amélioration que l'on veutopérer dans les champs auxquels le fumier fera destiné. Ainsi, onprendra une terre sablonneuse ou calcaire pour les champs argileux, etvice versa. Le sable sera employé de préférence, lorsque le fumier seradestiné à des prairies aigres ou infectées de mousse. On produira ainsideux bonifications à la fois, celle d'un engrais et celle d'unamendement dans le terrain. » Outre la terre ou le sable, une légère couverture de paille ou detoute autre substance végétale est toujours convenable pour le maintiende la propreté des animaux. » Nous ne nous serions jamais douté qu'on engageât à mettre de la terresous nos vaches au lieu de paille, dit alors un des assistants. Coucherles animaux sur de la poussière, cela doit faire un joli gâchis. C'est ce qui vous trompe, répondit le Bugeaud normand ; rien n'est pluspropre, avec du soin, que les étables où l'on emploie la terre ou lesable. D’ailleurs, dans ce système, vous avez l'avantage d'économiserla paille et de l'employer presque exclusivement à la nourriture dubétail ; conséquemment d'en entretenir une plus grande quantité,d’augmenter, par cela même, la quantité de vos fumiers. La terreabsorbe mieux les urines que la paille, et conserve mieux les principesfertilisants. Mais je continue à vous lire l'ouvrage de M. Girardin. « Le fumier, dit cet habile chimiste, doit être étendu et divisé bienuniformément sur le tas, puis foulé et tassé, afin d'éviter des videsqui, par la suite, donnent lieu à la moisissure ou au BLANC, qui causeune grande détérioration dans la qualité de l'engrais. Cette CHANCISSURE ou ce BLANC est produite par un excès de sécheresse et dedéfaut d'air. En cet état, la paille, devenue cassante au moindreeffort, n'est plus susceptible de donner une chaleur nouvelle.L'invasion de la chancissure est un des cas rares où il est bon deremuer le tas de fumier. On la prévient, au reste, par des arrosementsfréquents. » Pour éviter une trop grande dessiccation, on a l’habitude, danscertaines localités, de déposer les matières au nord d'un bâtiment.Cette disposition, qui a quelques avantages, n'est pas toujoursréalisable dans une grande exploitation, où le voisinage aussi immédiatd'une grande masse de substances en putréfaction peut devenirtrès-gênant, et peut-être insalubre. Dans le département du Nord, onmet quelquefois les engrais à l'abri du soleil, au moyen d'uneplantation d'ormes qui garnit les abords de la fosse ; cet abri estpréférable à celui d'un hangar, qui peut entraver le service desvoitures, qui est toujours dispendieux à établir, et qui est assezrapidement détruit par les vapeurs chaudes et alcalines qui s'échappentdu fumier en fermentation. » Quand vous n'avez pas assez de fumier, faites des composts. Lorsqu'onpeut disposer d'une grande quantité d'engrais liquides, urines, purin,eaux grasses et de savon, eaux de féculeries, liquide des abattoirs,eau des mares où l'on a lavé les moutons, et qu'il n'est pas facile ouéconomique de les employer en arrosements, on s'en sert avec avantagepour former des composts. Des stratifications de terre, alternant avecdes déblais, des balayures, des détritus de toutes espèces de matièresvégétales et animales susceptibles de putréfaction, servent à formerdes tas, qu'on arrose de temps en temps avec les engrais liquides. On asoin, dans ce but, de tenir la surface des tas un peu concave, afin querien de ce que l'on y verse ne puisse se perdre. On remue deux fois paran les tas entiers, afin que toutes les parties se pénètrent ets'amalgament. Ces tas de composts doivent être placés dans un lieuombragé, pour éviter leur dessèchement, et il est bon d'en avoir aumoins deux : un que l'on commence et qui sert à recevoir les immondicesrécents ; un autre achevé et qui ne reçoit plus que de l'engraisliquide. » Un excellent compost est celui qu'on prépare, dans certaineslocalités, avec les matières fécales, les gazons, de la bonne terre, dela marne, et, mieux, du plâtre. Dans ce but, on a, dans lesexploitations un peu considérables, des fosses particulières danslesquelles on dépose successivement les différentes matières, pour lesretourner et les entasser lorsque leur mélange doit être bientôtappliqué. Dans les exploitations peu considérables et où la productiondes engrais est nécessairement assez bornée, on a soin de jeter, toutesles semaines, dans la fosse d’aisance, des balayures, des débris degrange, des sciures de bois, des débris de tourbe, etc., dans laproportion de la masse des excréments. Lors de la vidange, on mêle bientoutes les matières, on les dispose en tas, et on les couvre avec de laterre. » Savez-vous faire l'engrais Jauffret, dont les journaux ont tant parlé ? M. Girardin vous l'apprend encore dans son excellent petit livre, quine coûte que quelques sous, et qui est maintenant entre les mains detous les agriculteurs. S'il n'est pas connu ici, cela ne prouve pasqu'on soit désireux de s'instruire. » Pour faire l'engrais Jauffret, on ramasse, partout où l'on peut s'enprocurer, de l'herbe, de la paille, des genêts, des bruyères, desajoncs, des roseaux, des fougères, de menues branches d'arbres, etc. Onentasse toutes ces matières, écrasées et coupées, sur un plan battu etlégèrement incliné, et on en forme une meule aussi forte que possible.Il faut que l'emplacement soit à proximité d'un réservoir d'eau oud'une mare dans laquelle on jette, pour en faire croupir l'eau, ducrottin, des matières fécales, des égouts des écuries ou autresmatières aussi putréfiables. Il en résulte un excellent levain, auquelon ajoute encore des proportions suffisantes d'alcalis ou de selsalcalins, de suie, de sel, de plâtre, de salpêtre. On arroseabondamment la meule avec cette lessive, et on pratique plusieursarrosages semblables à quelques jours de distance. La masse s'échauffetrès-rapidement ; elle fume, répand, dès le cinquième jour, une bonneodeur de litière, et sa fermentation est si active, surtout après letroisième arrosage, que la température, dans le centre, s'élève jusqu'à75 degrés. Du douzième au quinzième jour, les matières végétales sontassez décomposées pour qu'on puisse déjà les enfouir en qualité defumier. Cependant, lorsqu'elles sont très-ligneuses, elles résistentdavantage à la désagrégation, et il est profitable de les laisser enmeules pendant un mois entier. » Pendant tout ce travail, on veille à ne perdre aucune portion deliquide, et, si la lessive manque, on a recours à de l'eau croupie. » Avec dix hectolitres de lessive, on peut convertir en engrais 500kilog. de paille, ou 1,000 kilog. de matières végétales ligneuses, quiproduisent environ 2,000 kilog. de fumier. » Emploi de la marne. Tout en conversant sur l'agriculture, le Bugeaud normand cheminait versOrbec, suivi de ses auditeurs. Nous arrivâmes bientôt devant un champcouvert de blocs de craie ou de marne calcaire, et la conversations'entama sur ce sujet. La marne est un amendement précieux pour vos sols argileux ou glaiseuxque je vois sur les plateaux que nous parcourons. Savez-vous pourquoi ?C'est que ces glaises sont composées d'alumine, base de la glaise, etd'une très-forte quantité de parties siliceuses. Ces terres sontlourdes, mouillantes, et retiennent l'eau à leur surface ; il leurmanque du calcaire et la marne ou craie que vous allez chercher dansdes puits à des profondeurs plus ou moins considérables. C'est de lachaux qui manque à vos terres, et que vous y ajoutez en y répandant dela marne. « En outre, l'un des principaux inconvénients des sols argilo-siliceuxest de se durcir et de ne pas se déliter aux changements de température; la marne leur communique à tous la propriété de se fondre en quelquesorte par l'action de l'humidité : celte propriété la distingueéminemment, et s'accroît en proportion de la quantité de chaux qu'ellecontient. » La terre marnée se durcit moins, dit M. Puvis, membre de l'Institutdes Provinces : elle est donc plus facile à travailler ; les racinesdes plantes, pendant la sécheresse, sont moins serrées et moins gênéesdans leur action et leur développement ; la terre, devenue plus meuble,laisse mieux circuler les sucs et les agents fluides de la vievégétale, pour être aspirés par les suçoirs et les racines. » Enfin la marne, par son mélange intime à un sol humide, lui donne lafaculté, en le délitant, de s'assainir en laissant passer l'eausurabondante à la couche inférieure ; quoique, sans doute, à elle seuleelle ne le dessèche pas, elle diminue cependant, soit l'humiditéelle-même, soit surtout encore le mauvais effet des eaux tropabondantes sur la végétation. » Mais un effet bien remarquable de la marne sur le sol est de lerendre semblable aux sols calcaires de bonne qualité, aux sols lesmeilleurs et les plus productifs. Cette idée simple, mais juste, quel'expérience démontre aussi bien que le raisonnement, semble êtrerestée jusqu'ici inaperçue. Cependant, comme nous le verrons dans lasuite de notre travail, elle devient le fondement d'une théorie simpleet lumineuse du marnage. C'est un fait prouvé, que personne ne peutrejeter ; il explique tous les autres, qui en deviennent alors la suitenaturelle. » La marne donne au sol l'élément calcaire que Thaër et Davy , dansleurs analyses et leurs expériences , ont presque toujours rencontrédans les plus excellents sols. » Devenus calcaires, les sols marnés sont donc susceptibles d'êtretravaillés presque en tout temps ; les plantes des sols siliceux, fléaude la végétation, le chiendent, la petite matricaire, l'oseillesauvage, la persicaire, qui épuisent le sol qui les porte, croissentd'abord sans vigueur et bientôt disparaissent. Le sol devient net, plusfacile à cultiver, ne donne plus naissance qu'aux plantes des solscalcaires, au trèfle, à la lupuline, qui ne l'appauvrissent point etqui sont un excellent aliment pour les animaux. » Il serait sans doute difficile de donner une explication complète decet effet de la marne, qui consiste à faire disparaître certainesplantes dont le sol était infesté avant qu'on la répandit. » Il y a ici un tout autre effet que celui de ne pas faciliter lavégétation de ces plantes dans le sol, puisqu'elles finissent par n'yplus naître. Il faudra donc bien admettre que, dans le nouvel état dechoses, l'une des substances que contient la marne s'oppose à laconservation des semences de certaines plantes qui se conservaientindéfiniment dans le sol ancien. » Les récoltes sarclées, débarrassées des mauvaises herbes, qui sontleur plus grand fléau, y sont d'une culture plus facile, moinsdispendieuse, et, par suite de la nouvelle composition du sol,croissent en force et en produit. » La marne active la végétation de toutes les familles des plantescultivées ; toutefois, son effet sur les menus grains et sur lesfourrages est plus sensible que sur les céréales ; elle augmente dedeux semences en moyenne le produit des céréales d’hiver, mais elledouble presque le produit des menus grains, de l’orge, du maïs, dutrèfle. L'avoine marnée croît vigoureuse, mais elle prolonge sa floraison etgraine peu. Le froment d'hiver, semé par le sec, est sujet à laissertomber sa paille comme dans le sol calcaire. Au lieu du grain rond,jaune et à écorce mince que donne le sol chaulé, le sol marné produitun grain long, grisâtre, lourd cependant, mais qui donne plus de son ;la marne sablonneuse donne plus de grains, et l'argileuse plus defourrages. » L'agriculture française emploie peu la marne dans les prés ;l'agriculture anglaise l’emploie, au contraire, avec avantage sur lespâturages et les prés non arrosés ; mais c'est plutôt la marne encompost que la marne seule, et la marne pierreuse que la marneargileuse, qui servent à cet usage (1). » On pourrait employer avec avantage le marnage dans certaines prairiesdu pays d’Auge, sur des pentes argileuses où on ne l'emploie jamais, etje m'étonne que personne n'y ait pensé. Vous avez encore beaucoup àfaire pour employer tous les amendements que la nature vous a donnés.Vous ne faites que ce que vous avez vu faire, et vous ne pensez pas auxavantages énormes que vous retirerez de nouvelles combinaisons.L'amendement des terres les unes par les autres, suivant leur nature,est une source précieuse de richesses qu'on néglige trop souvent dansce pays comme dans d'autres. « En ajoutant la marne au sol auquel elle convient, on y ajoute l'agentle plus actif d'absorption, dit M. Puvis ; par conséquent, on développedans le sol, à un plus haut point qu'auparavant, sa force absorbantesur l'atmosphère, et, par suite, on lui donne les moyens de produireplus avec une même quantité d'engrais. » D'ailleurs, le résultat particulier du marnage mettrait encore, aubesoin , cette vérité dans un plus grand jour : en effet, l'expériencede tous les pays où la marne a été employée prouve qu'en lui associantautant de fumier qu'avant le marnage, les produits sont souventdoublés, et le sol reste au moins en aussi bon état qu'auparavant : or,cet état de choses, dans beaucoup de lieux, dure depuis des générationssans épuiser le sol, et même en l'enrichissant ; il prouve donc, d'unemanière précise, que l'atmosphère a fourni de plus qu'avant le marnageau moins tous les principes végétaux qui composent cette seconde moitiéde produits que la marne fait sortir du sol. Donc la marne en accroîtla force d'absorption, et c'est là son effet principal, son effet leplus essentiel, parce qu'il transforme en produits de premièrenécessité pour l'homme des principes qui ne lui coûtent rien, et que lanature a répandus à pleines mains. » La chaux. Je suis étonné que, nulle part, vous n'ayez employé la chaux au lieu dela marne. Je sais bien qu'elle reviendrait à un prix plus élevé ; maiselle agit bien plus puissamment, elle le divise bien mieux, le mélangebien plus intimement, et son action sur les plantes est plus rapide. Vous pouvez faire de la chaux avec toutes les pierres blanches quibordent la Touque, depuis St-Martin, près de Lisieux, jusqu'au-delà deFervaques. L'extraction eu est facile, puisque les bancs sont sur lespentes de la vallée. La marne de craie, dont vous vous servez, pourraitaussi être convertie en chaux ; mais je préférerais la pierre que jeviens d'indiquer, et que vous connaissez aussi bien que moi. Vous avez des bois taillis dont on a de la peine à vendre les coupes :vous pourriez les employer à la cuisson de la chaux, et vous établiriezvos fourneaux près de ces bois. Je sais bien qu'avec de la houille vousobtiendrez la chaux à meilleur marché ; il faudra l'employer partout oùles bois ne seront pas à proximité du four et de la carrière. La chauxde bois est meilleure pour la terre que celle de houille, parce qu'il ya toujours des cendres de bois saupoudrées sur les pierres de chauxaprès leur cuisson ; ensuite, parce que la potasse se sublime pendantla combustion du bois et se porte sur la chaux. Mais s'il y a quelqueavantage à employer la chaux de bois, la chaux de houille est bonneaussi, et il ne faut pas la dédaigner. Il y a des localités où le boisserait d'un prix trop élevé pour être employé avantageusement. On peut employer 40 hectolitres de chaux à l'hectare dans des terreslégères, et le double dans les terres lourdes ou très-argileuses. Gardez-vous, du reste, de croire que la chaux dispense le cultivateurde fumer. La chaux décompose l'humus et les parties fertilisantescontenues dans l’engrais, elle facilite l'assimilation des plantes ;mais quand cette décomposition est terminée, le sol est plus pauvrequ’auparavant, et il est absolument nécessaire d'y apporter des engrais. Certains fermiers fument abondamment leurs terres pendant les premièresannées de leurs baux, et les traitent ensuite par la chaux, sansaddition de fumier, pendant la période suivante, afin d'en tirer toutce qu'elles peuvent produire. Ils enlèvent ainsi au sol ce qu'ils y ontapporté, et le rendent au propriétaire dans un épuisement complet. Cesfermiers-là sont connus sous la dénomination de malins ou de finaux: on pourrait leur appliquer la dénomination de fripons ; car agir icien Vandale, c'est causer un dommage réel au propriétaire et au fermierqui succède. M. Girardin recommande de ne pas employer la chaux en même temps que lefumier, parce que la décomposition serait trop rapide, que la chauxchasserait l'ammoniaque du fumier, et dissiperait ainsi dansl'atmosphère le principe le plus fertilisant du fumier. Il vaut mieux employer la chaux avant de faire les labours, et lefumier avant le moment des semailles. Pourquoi donc, continua le Bugeaud normand, retirez-vous de vos terresles pierres à feu ou silex répandues à la surface ? Je crois que lespierres apportent un élément nécessaire à certains sols ; la silicedonne de la consistance aux tiges du blé et les empêche de verser. Enfin, je voudrais que, pour les terres trop légères, vous yajoutassiez, au lieu de marne ou de chaux, des argiles glaiseuses queje pourrais vous indiquer, et que certainement vous avez remarquéesdans certaines localités. Il n'y a que la distance à considérer, car ilne faut pas que les frais de transport soient très-considérables. Les procès. Notre missionnaire agricole avait à peine terminé, qu'un nouvelinterlocuteur survint ; et, s'adressant à un des assistants : Pierre,vous avez mordu sur mon terrain ; je vous ai fait assigner, je vousfais un procès. A ces mots, la figure du Bugeaud normand se rembrunit,et il s'écria : Des procès aux amis ! y pensez-vous ! Vous voulez doncmanger en frais, non-seulement la parcelle que vous vous disputez l'unà l'autre, mais tout ce que vous possédez de terres et de meubles ?Vous ne savez donc pas ce qu'il en coûte pour plaider ? Si Pierre arogné votre terrain, ce que font souvent bien des laboureurs peuconsciencieux, qu'il vous le rende. Que l'on s'en rapporte, pour jugerle fait, à deux experts pris parmi vous : de cette manière, vous serezsûrs d'obtenir justice sans frais. Mais recourir aux avoués et auxavocats pour si peu de chose, il faut avoir perdu l'esprit ! Quand donc les Normands comprendront-ils leurs véritables intérêts, etcesseront-ils de fatiguer les tribunaux de leurs interminables chicanes? Jacques Bugeaud n'aimait pas les procès, mes amis ; vous autres, vousne pouvez vivre sans cela. Les avocats vous grugent, vous pillent, vousrançonnent. Vous LES ADOREZ ! vous ne croyez qu'eux. Si un honnêtehabitant de la campagne vous conseille de vous en rapporter à un expertou au juge de paix, vous ne voulez pas le croire ; vous allez à laville consulter un avocat, qui vous engage à plaider, que vous ayeztort ou raison, et vous PERDEZ ! Ecoutez les proverbes de Jacques Bugeaud (des Deux-Sèvres), etprofitez-en : Qui a procès ne dort jamais. — Qui a mis procès en train, troue degrand matin. — Procès et tranquillité ne sont de société. — Procès etsoucis font une paire d'amis. Les mauvais conseils, la bouteille et les procès ruineront nos villagesà tout jamais. — N'y a chez les cabaretiers que de mauvaisconseillers... — Des trois quarts des procès, les riboteurs sont lesauteurs. — Qui n'a pas sa raison ne dira jamais rien de bon. Tu donnes force argent à ton avoué, jamais assez. — C'est qu'il en fautpour tout le monde : à lui d'abord, à l'avocat, au greffier, aumarchand de papier, à l'enregistrement, au sergent. — Calcule avant deplaider, car il faut tout payer. Qui a procès a six bœufs à l'engrais : encore ne mangent-ils ni pailleni foin, faut les nourrir au grain. Ce n'est tout assurément. — Arpenteurs, experts, témoins, descente dejustice, jamais ça ne finit. —Pour payer tout ça, faut des monceauxd’argent. — Si tu perds, tu es ruiné ; si tu gagnes, tu es écharpé ! Rien n'est plus vrai. — Plaider, c'est se ruiner. — Procès bons,mauvais, passables, sont tous procès détestables. — Les procès ont leventre creux ; ils ont vite avalé trois vaches et deux bœufs. Procès de voisin, procès de venin. — Procès de parents, procès deméchants. — Procès de famille, procès de ruine. — Mieux vaut être piquépar un serpent qu'être mordu par un sergent. Procès de chemin mange le train. — Procès de passage ruine le fou commele sage. — Procès de haillons met à bas la maison. — Petit procèssouvent coûte plus qu'un grand. — Une mauvaise bête est un procès :n'en aie jamais. — On se défait d'un chien enragé ; par les procès onest mangé. Les avocats de la ville. Votre faiblesse pour les avocats est vraiment extraordinaire. Quandvous avez des élections à faire, ce sont les avocats auxquels vousallez demander des bulletins. Au lieu de vous recommander de braves ethonnêtes gens, amis de leur pays, ils vous disent que la France ne seraheureuse que si vous nommez des hommes politiques à la hauteur descirconstances. Or, savez-vous ce que c'est que des hommes politiques? Ce sont ceux qui regardent toujours d'où vient le vent, pour setourner de ce côté ; ce sont ceux qui adorent tous les pouvoirs, quiont prêté tous les serments, et qui, après toutes les révolutions,trouvent le moyen de surnager. Homme politique veut dire homme adroit, et souvent homme sansconvictions et sans conscience, et, par-dessus tout, mangeur de budget.Ce sont ceux-là qui s'offriront le plus souvent à vos suffrages ; vousferez bien de les repousser, et de ne pas vous laisser endoctriner àleur sujet par les circulaires ou les avis qui vous viendront desvilles. Les avocats de village. Je n'aime pas plus les avocats de campagne que ceux de la ville. Hier,j'étais dans une auberge, où un avocat de village régalait une douzained'électeurs de la commune dans l'espoir d’être, plus tard, nommé maire.Il présidait ce banquet champêtre, et recevait avec une arrogantefatuité les compliments que lui faisaient ses convives. Bonami, lui disait le premier en élevant son verre, vous êtes un hommed'esprit et dans le cas de mener la paroisse. Ah que c'est bien dit !! répétèrent à l'envi les convives. Un autre reprit : Avec ça qui sait bien plaider, et qui tiendra têteau curé. Tous ensemble : Ah ! Bonami ! oui c'est bien dit ; vous êtes un hommed'esprit et DANS LE CAS DE MENER LA PAROISSE !! Voilà comment les avocats de village abusent de leur influence pours'imposer aux populations, quand ils ne les excitent pas à se faire desprocès et à se manger entre eux. Non, je n'aime pas les avocats devillage. Si l'avocat Bonami entre au Conseil municipal de sa commune,je crains fort que l'enfer n'y entre avec lui, et qu'on ne finisse pars'y prendre aux cheveux. Assolements et succession des récoltes. Plus les conversations se prolongeaient, plus le Bugeaud était écouté,plus on paraissait l'entendre avec plaisir, et plus il prenaitd'ascendant sur son auditoire. Un de ceux qui en faisaient partie lepria même de s'expliquer sur les assolements ou succession des récoltes. Le Bugeaud ne se fit pas prier. J'ai, dit-il, pour répondre à votre désir, dans le livre intitulé Manuel de l'agriculteur commençant, par Schwerz, un passage que jevais vous lire, et que j'accompagnerai de quelques réflexions. « C'est un fait incontestable et prouvé par l'expérience, qu'il existeune incompatibilité de certaines plantes avec elles-mêmes ou avecd'autres, et que de cette incompatibilité il résulte qu'on ne peutavantageusement les faire suivre, soit immédiatement, soit à desintervalles peu éloignés. L'incompatibilité des plantes avecelles-mêmes est la plus fréquente et se fait sentir plus long-temps quecelle des plantes entre elles. Les effets de cette dernière sontordinairement plus sensibles au bout d'un an, ceux de l'autre peuventl'être pendant plusieurs années. On dit alors que la plante se hait, ouque les plantes se haïssent pendant un certain nombre d'années. » La nécessité d'alterner les récoltes est une preuve de la vérité dece que je viens de dire. S'il n'est pas toujours nécessaire, au moinsest-il toujours utile d'alterner pour obtenir ou un produit plus élevé,ou une économie d'engrais et de travail. C'est une remarque générale,que les récoltes réussissent bien mieux dans un sol médiocre qui ne lesa jamais produites, ou du moins depuis très-longtemps, et que si ellesreviennent trop souvent, à des intervalles peu éloignés ou sansinterruption, le produit est plus considérable en paille ou en feuillesqu'en grain. » Je sais très-bien que l'antipathie des plantes entre elles peut assezsouvent provenir d'autres causes. Car on se tromperait beaucoup si l'oncroyait qu'il suffit, pour une bonne rotation, de faire succéder lesunes aux autres des plantes de nature différente, comme, par exemple,des plantes à racines pivotantes à des plantes à racines chevelues. Quel'on cultive sans interruption grain et trèfle, et l'on n'aura plus àla fin qu'un champ de chiendent ; de là vient que l'on dit, danscertains cantons, que le trèfle est la ruine des terres. Si une planten'exige ou ne reçoit pas d'autre culture que celle qui l'a précédée, onne gagne rien ou l'on gagne peu à alterner. On peut, au contraire,biner et fumer pour certaines plantes tant qu'on voudra, et tous lesfrais seront perdus, ou du moins ne produiront que de faiblesrésultats, tant qu'on ne mettra pas entre elles un certain laps detemps. Cette question est loin d'être résolue par ceux qui prétendentque tout dépend des principes fertilisants contenus dans le sol ; car,si cela était, on pourrait remédier au mal avec du fumier, ce qui n'apas lieu pour les plantes incompatibles avec elles-mêmes. Ce sont, aucontraire, précisément des plantes peu avides d'engrais qui se trouventdans ce cas, comme le lin, les pois, le trèfle. » Il parait donc que les plantes tirent de la terre des principesauxquels l'engrais ne peut suppléer et que la nature ne peut reproduireque dans un laps de temps plus ou moins long. De là vient que certainsterrains font exception : ceci ne se rencontre pourtant quetrès-rarement, ou bien ce n'est que pour peu d'années que les mêmesplantes peuvent s'y succéder. Ainsi j'ai vu des champs où le linrevient tous les deux ans, le trèfle tous les trois ans : ce qui prouveque ces champs contenaient une masse de principes qui nous sont encoreinconnus, ou avaient une composition tout-à-fait favorable à cesplantes. La pomme de terre n'est certainement pas une planteantipathique avec elle-même, et il n'est pas extraordinaire de la voirrevenir tous les ans dans le même champ, chez de petits propriétaires.J'ai vu cependant un pays où l'on ne peut la faire revenir tous lestrois ans ; il faut une année favorable pour qu'elle y réussisse dansle même terrain après ce laps de temps. C'est une preuve de l'influencedu sol, que ne peuvent vaincre ni la culture ni l'engrais. On peutaussi admettre en principe que l'antipathie des plantes avecelles-mêmes se fait d'autant plus long-temps sentir, que le sol estplus mauvais ou moins propre à une sorte de plantes données. » L'antipathie que l'on remarque entre des plantes d'espècesdifférentes est bien plus facile à surmonter. Elle n'est pas tant dansla nature des plantes que dans les circonstances qui accompagnent leurproduction ; l’engrais, la culture, un intervalle convenable dans leurretour, peuvent la faire disparaître. Je ne crois donc pas qu'uneplante soit réellement antipathique à une autre d'espèce différente,mais seulement qu'elles nuisent accidentellement à la réussite l'une del'autre. Souvent il suffit d'intercaler une autre plante. Ainsi, entredeux récoltes épuisantes, on en place une qui ménage le sol ; entredeux récoltes qui salissent, une qui nettoie ; entre deux qui occupentlong-temps la terre, une autre dont la végétation est rapide ; entredeux pour lesquelles on ne laboure que superficiellement, une troisièmequi exige un labour profond. C'est ainsi que les récoltes jachèrespiochées ou une bonne jachère complète permettent le retour plusfréquent du trèfle, détruisent l'influence fâcheuse de l'orge d'été etdu lin ; le colza sert d'intermédiaire entre le chanvre et l’épeautre,les fèves entre le maïs et le froment, etc. » On ne peut pas plus méconnaître la sympathie que l'antipathie quiexistent entre certaines plantes. Il serait important de savoirjusqu'où vont l'une et l'autre ; mais cela devient bien difficile, àcause du grand nombre de circonstances qui exercent aussi leurinfluence. Il ne faut donc pas prendre pour règles infaillibles etapplicables partout les exemples que je vais citer, et qui sont lesrésultats de l'expérience de certaines contrées ; il faut plutôts'attendre à rencontrer souvent dans la pratique bien descontradictions inexplicables. § I. — Plantes qui peuvent se succéder à elles-mêmes. » A cette classe appartiennent l’herbe, le chanvre, le tabac, le topinambour, le seigle, l’avoine. » Les prés ne peuvent laisser aucun doute à l'égard des herbes ;toutes y prospèrent ensemble, précoces et tardives, hautes et basses,annuelles et pérennes. Si quelquefois il en est qui sont étouffées, lacause en est au sol, à la température, à l'âge des plantes, ou à descirconstances analogues plus favorables à certaines plantes qu'àd'autres ; et si l'on veut les détruire, lorsqu'elles sont encore dansleur vigueur, bientôt elles paraissent de nouveau et toutes unies commeauparavant. C'est précisément cette union, par laquelle les unesmettent à profit tel principe et les autres tel autre, qui favoriseleur croissance et leur durée, et qui fait qu'au lieu de perdre, ellesaccumulent les principes vitaux. Il n'en est pas de même si des gramensde même espèce sont semés seuls et occupent seuls la terre.Convenablement espacés dans un champ cultivé, ils trouvent aucommencement les aliments qui leur sont nécessaires ; mais, dans lasuite, l'espace diminue, et la nourriture devient d'autant plus rarequ'elle est la même pour tous. A moins qu'on ne les soutiennecontinuellement, ils périssent successivement sans avoir amélioré lesol. » On sait que les essais tentés pour établir des prairies artificiellesde gramens d'une seule espèce n'ont pas été heureux, tandis que lesprés d'herbes mêlées sont très-abondants en produits, très-durables,très-améliorants. Les gramens s'accordent aussi très-bien avec quelquestrèfles et lotiers, avec la pimprenelle et d'autres plantes de bonnequalité, malheureusement aussi avec d'autres de mauvaise qualité. » Quant au chanvre, on connaît des chenevières où, dans bien descontrées, on le sème tous les ans ; preuve que cette plante vit auxdépens du fumier qu'on lui donne aussi tous les ans. La terre semblen'être là que pour recevoir les racines pivotantes qui doivent donnerde la solidité aux hautes tiges. Le fumier fait le reste, maiscependant pas le fumier seul ; mes expériences prouvent quel'atmosphère et l'eau font aussi beaucoup. » Comme ailleurs on a des chenevières ; on a dans le pays de Clèves deschamps à tabac, où il revient tous les ans. On croit que cetteculture a pour effet de rendre le tabac moins caustique. » On sait que les topinambours occupent à perpétuité le même champ,et peuvent l'occuper peut-être pendant la durée d'une générationhumaine. Je trouve cependant que, pour en obtenir de cette manière unbon produit, il faut les replanter et les fumer tous les ans. » Parmi les grains, et peut-être parmi toutes les plantes, c'est le seigle qui peut le plus long-temps se succéder à lui-même sansinterruption et sans que son produit soit aucunement diminué. J'entendsceci d'une terre propre au seigle, c'est-à-dire très-légère, et qui estfumée tous les ans. Seulement, lorsque les mauvaises herbes, etparticulièrement le chiendent, prennent le dessus, il peut êtrenécessaire d'intercaler une seule récolte de sarrasin ou de spergule. » Ceci s'applique en partie également à l’avoine ; elle veutseulement une terre plus argileuse, et il n'est pas nécessaire de fumeraussi souvent que pour le seigle. Quelquefois on sème de l'avoine troiset quatre années de suite et sans fumer ; mais on fait souvent ce qu'onne devrait pas faire. § II. — Plantes antipathiques avec elles-mêmes. » Les pois, le trèfle, le lin et le froment sont ici au premierrang. On est d'accord à l'égard de ces quatre plantes, à quelquesexceptions près, qui ne peuvent faire règle. Les pommes de terre etle colza ne sont pas non plus exempts de ce reproche. » Les pois sont la plante la plus antipathique avec elle-même ; aubout de trois ans, leur non-réussite est certaine ; au bout de six ans,leur réussite est douteuse, et il y a des endroits où ils ne peuventrevenir avant la neuvième année. » Le succès du trèfle n'est assuré que la sixième, et mieux, laneuvième ou la douzième année. » Le lin ne doit revenir qu'après un intervalle de six années, et,comme le trèfle et les pois, il ne vient nulle part mieux que dans uneterre qui n'en a jamais porté. D'un autre côté, il ne manque pasd'exemples de terrain où le trèfle revient tous les quatre ans, le lintous les trois, même tous les deux ans. » Le froment est une plante très-antipathique avec elle-même. Il n'ya que très-peu d'endroits où l'on puisse le cultiver deux fois desuite, et on le doit toujours à un sol particulièrement convenable aufroment. » Le froment rouge réussit mieux après le froment blanc ; ici il fautbien que l'énigme soit dans la plante même. » On peut bien, avec une fumure abondante, planter plusieurs années desuite des pommes de terre ; mais elles ne produisent pas enproportion de l'engrais qu'on leur donne, et elles finissent par êtreattaquées de diverses maladies. Dans le Wurtemberg, le chasseur d'un demes amis planta trente-deux ans de suite des pommes de terre dans lemême champ, en fumant tous les ans ; leur produit diminuasuccessivement, tellement qu'à la fin elles n'étaient pas plus grossesque des noix. » Il y a des terres, près de Wetzlar, où elles ne veulent revenir quetous les six ans. La troisième année, elles donnent bien de l’herbe,mais peu de tubercules. » Ces deux exemples prouvent que le fumier et la culture ne font pastout pour les pommes de terre. » Si le colza revient après un court espace de temps, je suppose deuxou trois ans, on assure que son produit est moindre, qu'il donne moinsd'huile, et que les fabricants, s'ils le savent, le paient un vingtièmede moins. » Maintenant, voulez-vous que je vous dise mon opinion sur votre manièrede cultiver ? Je vois que vous faites des jachères presque partout dansle canton, et je crois qu'il faut abandonner cette pratique partout oùvous le pourrez, et substituer à ce repos les prairies artificielles. » La jachère peut, à la vérité, être tolérée dans certains sols tenaceset ingrats, où les trèfles ne réussissent pas, dont la population estpeu nombreuse, les exploitations étendues, une partie des terreséloignées des habitations. » Si une terre dont le sous-sol est mauvais est, en outre, tenace etnon ameublie par la culture ; si, labourée à l’automne, elle seretourne seulement en longues tranches, et que, labourée au printemps,elle durcisse ; si, enfin, sa froideur naturelle ne permet auxmauvaises herbes qu'une germination tardive, à quoi servira, pournettoyer un tel sol, de l'exposer pendant l'hiver aux influences del’air ? S'il est sali de mauvaises herbes, et surtout de plantes àracines vivaces, il n'y a que les labours d'été et les rayons brûlantsdu soleil qui puissent l'en purger. Cependant, ici même, il ne faut pasfaire abus de la jachère ; il ne faut pas qu'un misérable système deculture la fasse revenir tous les trois ans. » Je vois que, dans beaucoup de vos exploitations, la jachère peut êtresupprimée sans difficulté ; et je vous engage à y réfléchir. J'ai aussi à vous engager à vous servir de bœufs pour vos labours : voscantons ont des terres un peu fortes, et vos prairies de troisièmeclasse conviennent à l'élève du bétail. Vous pouvez donc, dans lecanton où nous sommes (remarquez que je ne parle que de celui-là), vouslivrer à l'élève des bœufs ; et, quand vous en aurez tiré du travail,vous les engraisserez et vous en aurez un moins grand nombre, peut-êtremême plus du tout, à tirer des départements éleveurs pour charger vosherbages. Je sais que vous allez me dire que vous avez l'habitude de vous servirde chevaux, et que revenir aux bœufs pour le labour c'est presquerétrograder. Mais, en examinant froidement la question, en songeantd'ailleurs aux plus grands bénéfices que vous ferez très-certainementen vous servant de bœufs pour le labour des terres lourdes comme cellesque j'ai vues depuis que je parcours votre pays, vous finirez peut-êtrepar me donner raison. « Le seul avantage du cheval sur le bœuf, pour le labour, est unemarche plus rapide ; mais son prix d'achat est plus élevé, et sadépense en nourriture, harnachement et ferrure, beaucoup plusconsidérable. Il est plus délicat et plus maladif ; sa valeur vatoujours en se dépréciant à compter de sa sixième année, et, quand ilvient à s'estropier ou à mourir, jeune ou vieux, on n'en retire que lapeau. » Comme l'a dit judicieusement, dans son excellent Catéchisme agricole ,feu le marquis de Travanet, « les bœufs conviennent parfaitement pourles labours et les charrois ordinaires de l'exploitation ; mais lalenteur de leur marche les rend peu propres aux transports éloignés :or, ce léger désavantage est grandement racheté pour les cultivateurspar une bien moindre dépense d'achat, de harnachement et d'entretien ;de plus, l'âge ou les accidents ne diminuent pas ordinairement leurvaleur ; quand ils ne conviennent plus pour la charrue, on lesengraisse pour la boucherie, et, s'ils viennent à s'estropier, on peuten tirer encore un bon parti. » Si on voit disparaître le bœuf peu à peu des pays où l'agricultureprend de l'essor, cela tient beaucoup plus au sot amour-propre desmaîtres et des valets qu'à toute autre cause : les maîtres sont jalouxd'avoir de beaux équipages, c'est le luxe de l'agriculture ; et, parsuite, les domestiques rougissent bêtement de conduire des bœufs. » Tout cultivateur sage, qui sait sacrifier ces futiles vanités à sesintérêts bien entendus, doit préférer l'emploi des bœufs à celui deschevaux ; pas exclusivement cependant. » Dans toute exploitation économiquement et rationnellement dirigée, ildoit y avoir un attelage de chevaux pour les transports éloignés, etdes bœufs pour tous les autres travaux agricoles. » Deux bons bœufs de haute taille et de bonne race, bien nourris àl'étable de foin et d'avoine, font en somme totale à peu près autantd'ouvrage à la charrue dans une année que deux chevaux, parce qu'ils nesont jamais dérangés de leur travail, soit pour les faire ferrer, soitpour tout autre motif, et surtout par les maladies ou lesindispositions auxquelles ils sont moins sujets que les chevaux. » Ainsi, je comprends, dit l'interlocuteur du Bugeaud, vous voudriez quenous élevassions au moins une bonne partie de nos bœufs d'engrais, aulieu d'aller les acheter en Poitou et en Anjou, et que nous leurfissions, avant le temps de l'engraissement, gagner leur nourriture parle travail : cette idée peut être bonne pour notre pays, où il fautbeaucoup de bétail ; nous y réfléchirons. Le Bugeaud : Puisque vous me promettez d'y réfléchir, pensez aussi,je vous prie, à ceci : N'auriez-vous pas plus d'avantage à nourrir unplus grand nombre de vaches à lait et à les substituer aux bœufs dansles herbages de seconde et de troisième qualité, que je voyais hierdans ce canton ! On tire un assez bon parti du lait, vous le savez, etil me semble que je ferais plus d'argent des vaches que des bœufs :d'ailleurs, les vaches peuvent être engraissées quand elles ne donnentplus de lait. L'Augeron : Vous touchez là une question très-grave, Monsieur, etpeut-être plus compliquée que vous ne pensez. D'abord, pour des vaches,il faut des soins, de la main-d’œuvre ; il n'en faut pas pour lesbœufs. Les gages d'une fille de basse-cour sont de 100 à 150 francs ;la nourriture peut être évaluée à 300 francs ; fixant à 50 francs lesmenues dépenses de la laiterie, c'est donc une dépense de 500 francs àdéduire du produit de la vacherie. Il s'agit de savoir maintenantcombien vous pourrez nourrir de vaches dans l'herbage où vous mettezaujourd'hui des bœufs. M. Durand, de Caen, croit qu'on ne peut nourrirque six vaches dans un herbage de douze bœufs ; il faudrait donc que lavache payât moitié plus que le bœuf. Effectivement, on estime à 200francs le produit annuel d'une vache, et à 100 francs le bénéfice àfaire sur un bœuf. Mais si les choses se passent ainsi, vous aurez enplus les frais de manutention du lait, que j'ai estimés un peu hautpeut-être, à 500 francs. Ainsi, il n'y aurait pas un grand avantage ànourrir des vaches : cependant, je raisonne d'après les bénéfices quel'herbageur pouvait faire il y a cinq à six ans. Aujourd'hui que lesmarchés de Paris sont alimentés par des bestiaux de tous pays, tandisqu'autrefois les Normands avaient presque seuls ce privilège, nousavons vu des bœufs ne nous rapporter que 50 francs de profit, et mêmemoins. Or, si nous devions rester dans cet état, il faudrait en sortirpar tous les moyens possibles ; et, évidemment, il vaudrait beaucoupmieux produire du lait que de la viande. D'ailleurs, je crois que l'ona été un peu loin en disant que six vaches à lait mangent autant quedouze bœufs. J'aurais dit, d'après ma pratique à moi : huit vachesmangent autant que douze bœufs, ce qui changerait la proportion ; aulieu de moitié, ce sont les deux tiers, et cette différence est grande.Or, en admettant cette proportion, il y aurait, je crois, avantage réelà nourrir des vaches, si elles étaient bonnes laitières. Vous savezque, sur douze à quinze vaches, il y en a souvent moitié qui donnentbeaucoup moins de lait que les autres. Le Bugeaud : Cela est vrai ; mais il y a maintenant un moyeninfaillible de reconnaître les bonnes vaches laitières, et mêmed'apprécier la quantité de lait qu'elles peuvent donner. Cettedécouverte est due à M. Guenon, de Libourne, qui est arrivé, par unelongue pratique et un esprit observateur, à tracer des caractères quiservent à classer les vaches d'après leur capacité laitière. La découverte de M. Guenon est surtout remarquable en ce que lesindications qu'elle fournit peuvent être observées non-seulement surune vache arrivée à toute sa croissance, mais encore sur une génisse etmême sur un veau qui n'a que quelques jours d'existence. Ses conséquences sont aussi importantes qu'elles sont incontestables. Désormais, les cultivateurs qui se seront donné la peine de l'étudier,ne s'en rapporteront plus, comme par le passé, à peu près au hasardseul pour le choix des veaux destinés à faire des élèves. Ils saurontqu'il ne faut plus consulter uniquement la forme des taureaux auxquelsils accoupleront leurs vaches ; que ces taureaux doivent être divisés,comme les vaches, en plusieurs classes, et qu'il est utile, pour labonté du produit, de n'accoupler entre eux que des animaux de la mêmeclasse. Il résultera infailliblement de la connaissance généralement répanduede cette méthode, une amélioration importante dans la race des vacheslaitières, qui jouent un si grand rôle dans l'agriculture du pays. Je ne saurais donc trop vous engager à étudier les caractèreslactifères des vaches, le livre de M. Guenon à la main, et à réclamerles avis de ceux qui les ont étudiés, quand vous aurez des achats devaches à faire. M. Corbière, médecin-vétérinaire à Lisieux ; M. deRoissy, inspecteur de l'Association normande ; M. de Moy, président dela Société de Rouen, et plusieurs autres agriculteurs en ont faitl'application avec un grand succès. Les irrigations. Le Bugeaud : Ah ! nous voilà dans la vallée d'Orbec ; je vois avecplaisir qu'ici on irrigue les prairies, et qu'on en obtient desproduits considérables. Je me suis laissé dire que plusieurs de vosprés rapportaient en location quatre à cinq cents francs l'hectare.Certes, ce résultat suffit pour démontrer l'avantage d'irriguercertains coteaux, certains vallons, où l'on n'obtient encore que desproduits minimes ; et quand je vois la multiplicité des ruisseaux etdes mares dans votre pays, je me plais à penser que, tôt ou tard, onfinira par en tirer parti. Mais il faut des exemples ; et qui lesdonnera ? On ne se presse pas assez d'entrer dans cette voie, quoiquel'on ait pu voir, dans la vallée d'Orbec, à quels résultats elleconduit. L'Augeron : Il y a quelques personnes qui ont essayé l'irrigationailleurs, et qui s'en trouvent bien. Ainsi, M. Le Terrier, président dela Société d'agriculture de Lisieux, a su tirer un judicieux parti desruisseaux qui parcourent sa propriété de Livet ; d'autres se proposentde l'imiter. Mais, pour user de certains ruisseaux, il y a desautorisations à demander, des visites d'ingénieurs ; tout cela coûte etentraîne quelquefois des difficultés insurmontables. Le Bugeaud : Ce que vous dites est vrai, et un jeune docteur endroit, dont le livre sur la législation des cours d'eau a été couronnédernièrement par la Faculté de droit de Caen, M. Bordeaux, d'Evreux,s'élève contre les honoraires considérables attribués aux ingénieurspour tout ce qui tient au régime des eaux appliquées aux propriétésprivées, soit qu'il s'agisse de curage, de réglementation d'usines,soit qu'il s'agisse de prises d'eau pour les irrigations. Citer cesfaits, c'est déjà appeler le remède sur un abus. Voici donc ce querapporte M. Bordeaux : « Les rôles d'honoraires à recouvrer pour la surveillance du curageopéré sur la rivière d’Iton, département de l'Eure, en 1843, se sontélevés à une somme de 3,700 fr., qui a été répartie sur les riverains,quoique cette rivière fût flottable à trains. En outre, les honorairespour la vérification d'une dérivation de la même rivière, sur uneétendue de quelques centaines de pas, ont coûté 22 fr., et ce chiffreeût été plus élevé s'il y avait eu lieu à vacations de voyage. » Pour les opérations concernant le règlement du ruisseau dit deCartenay, commune de Nolre-Dame-de-l'Isle, arrondissement des Andelys,les agents des ponts et chaussées se sont fait payer une sommeconsidérable, eu égard à la minime importance de ce ruisseau, puisquela part contributive d'un seul riverain s'est élevée à 201 fr. 40 c,qui n'ont été payés qu'après une vive résistance. » Une usine autorisée a été, pendant plusieurs années consécutives,l'objet d'une taxe s'élevant en moyenne au dixième du revenu net,seulement pour honoraires de visites entreprises d'office. « Les frais d'ingénieur pour la pose d'un repère de moulin ont coûté,suivant divers mandats que nous avons sous les yeux, environ 80 fr.,non compris les frais purement matériels, tels que prix de matériaux etsalaires d'ouvriers. » Voici deux exemples qui intéressent plus particulièrementl'agriculture : » Les honoraires pour vérification d'un barrage d'irrigation sur unruisseau ont été taxés à 92 fr. « Une demande en autorisation d'une prise d'eau pour les irrigations,avec une ouverture de 33 centimètres carrés, ayant motivé une visited'ingénieur, les honoraires réclamés et payés se sont élevés à 72 fr.Or il eût fallu supporter ces frais dans le cas même où l'autorisationn'aurait pas été accordée. » Ajoutons que ces chiffres cités pour exemples ont été pris dans deshypothèses où les lieux à visiter étaient à peu de distance de larésidence de l'ingénieur ; ils eussent été doublés par les vacations devoyage, s'ils s'étaient trouvés à la limite de son arrondissement.Aussi il serait facile de citer de nombreux mémoires s'élevant de 300 à500 fr. » Une récente circulaire de M. le ministre des travaux publics, en datedu 17 novembre 1848, vient ajouter un nouvel intérêt à cette questionde chiffres, parce qu'elle aura pour inévitable résultat celui d'éleverencore les frais si considérables des visites d'ingénieurs. On y lit eneffet : « Désormais, dans chaque département, un ingénieur spécialcentralisera toutes les études relatives au régime des cours d'eau, laréglementation des usines hydrauliques, la rédaction des projets dedessèchement, d'irrigation, de colmatage, de réservoirs et de tousautres ouvrages destinés à utiliser les eaux pluviales et à créer desressources pour les époques de sécheresse, l'organisation et lasurveillance des associations formées en vue de l'exécution des travauxpublics intéressant l'agriculture ; enfin l'examen et la proposition detoutes les mesures propres à assurer le bon emploi des eaux, et leuréquitable répartition entre l'agriculture et l'industrie.» » Nous ne discuterons pas cette circulaire au point de vue desrésultats qu'elle peut avoir quant à l'indépendance de la propriété,quant aux droits acquis, quant à l'avenir de l'agriculture elle-même ;nous l'envisagerons seulement au point de vue des vacations de voyage.Dans l'état actuel des choses, lorsque chaque département est divisé entrois ou quatre arrondissements d'ingénieurs, les vacations de voyagespèsent déjà lourdement sur les riverains de cours d'eau placés à lalimite de l'arrondissement. Que sera-ce donc lorsqu'une seulecirconscription, trois à quatre fois plus étendue, devra être parcouruepar l'unique ingénieur des eaux ? Il est évident que les distancesseront doublées d'une part, et que, d'autre part, le nombre deslocalités éloignées de la résidence de l'ingénieur seraconsidérablement augmenté. L'inconvénient sera surtout énorme danscertains départements, où l'ingénieur des eaux, placé au chef-lieu, setrouvera, non pas au centre, mais à l'extrême limite du département : àAlençon, à Saint-Brieuc, à Perpignan, à Nevers, par exemple. Supposez,en effet, une visite d'ingénieur motivée par une demande de prise d'eauou par une pose de repère dans une localité située à dix myriamètres dela résidence de l'agent, le tarif ordinaire accordant 6 fr. parmyriamètre, vous aurez à payer seulement pour le voyage, aller etretour, en-dehors de toute vacation de terrain ou de cabinet, une sommede 120 fr. Or, nous supposons un ingénieur ordinaire ; car cette sommeserait doublée, si l'ingénieur des eaux est revêtu du titre d'ingénieuren chef. » Peut-on, lorsqu'on autorise des faux frais si considérables, direencore que l'agriculture est protégée, qu'on provoque les irrigations ? » Le curage soulève très-fréquemment de graves questions que nous nepouvons examiner ici. Nous ferons seulement observer que, sur certainesrivières, il est porté jusqu'à l’abus, dans l'intérêt des usines. Lescurages trop fréquents sont fort onéreux pour les riverains,non-seulement à cause des frais qu'ils occasionnent, mais encore àcause des dégâts qui frappent sur les propriétés voisines du coursd'eau. On détourne d'ordinaire les petites rivières pour les curer, etleurs eaux séjournent long-temps sur des terrains qui, n'étant pasriverains, ne devraient jamais souffrir du curage ; l'eau placée horsde son lit endommage les clôtures, lave le sol végétal ou le couvre degravier ; presque jamais les propriétaires lésés ne peuvent se faireindemniser par l’usinier, qui seul profite de ces perturbations. Lescurages trop fréquents ont, sur plusieurs cours d'eau, rendu illusoirele droit de pêche, autrefois très-avantageux et pour les riverains etpour les populations qu'il contribuait à alimenter : opéré toujoursdans l’été, il est bien plus nuisible que tous les engins prohibés parle code de la pêche, dans l'intérêt de la conservation du poisson. —Les administrateurs qui ordonnent le curage devraient donc toujoursexaminer si l'intérêt (d’ordinaire assez minime) de l'industrie estsupérieur à ces conditions d'économie politique et de ménagement pourles propriétaires environnants, que le trouble dans leurs cultures etdans leurs habitudes blesse encore plus que le préjudice appréciable enargent. » Les irrigations, qui font presque seules la fertilité de la terredans les contrées du Midi, avaient été très perfectionnées dès uneépoque fort ancienne en Italie, en Espagne, et dans le midi de laFrance actuelle. La législation uniforme, qui nous régit depuis lecommencement de ce siècle, contrariait en plusieurs points leshabitudes ou plutôt les nécessités agricoles des départements du Midi.Les Etats du roi de Sardaigne, la Lombardie et plusieurs parties del'Italie avaient vu maintenir dans leurs lois modernes les antiquesdispositions qui favorisaient les arrosages très-avancés dans cescontrées : leurs codes consacraient spécialement le droit d'aqueduc oula faculté de conduire les eaux sur la propriété d'autrui, et le droitd'appui, c'est-à-dire la faculté accordée à un riverain d'appuyer unbarrage pour l'irrigation sur la propriété du riverain opposé.Plusieurs auteurs agricoles ayant présenté comme un grand moyen deprogrès pour l'agriculture d'imiter par toute la France les irrigationsdéjà en vogue dans le Midi, on s'est bientôt enthousiasmé pour lalégislation rurale de l'Italie. Un grand propriétaire, qui avait vouluconvertir des terres en prairies, et qui avait trouvé des obstacles dela part de ses voisins, M. le comte d'Angeville proposa, en 1843, à laChambre des députés de déclarer les travaux d'irrigation d'utilitépublique. Cette proposition ranima les espérances des pays méridionaux,et les vœux d'un grand nombre de Sociétés d'agriculture engagèrent lesChambres à inscrire dans nos lois le principe du droit d’aqueduc, enmodifiant toutefois la proposition de M. d'Angeville. Comme cettenouvelle servitude, analogue à celle d’enclave, froissait gravementl'indépendance de la propriété, on n'osa pas alors établir la servituded'appui pour les barrages. Les partisans de la loi d'Angeville nefurent pas satisfaits, et de nouveaux écrits réclamèrent ce complémentdu système. Une loi qui vient de paraître a ajouté à notre législationle droit d'appui, sur la proposition de M. de Lafarelle. « Ces dispositions nouvelles ont généralement été accueillies avecdéfaveur dans le nord et dans l'ouest de la France, où les irrigations,précieuses pour les prairies fauchées et la culture maraîchère,seraient funestes pour les céréales, les prairies artificielles et mêmeles pâturages. Aussi, pour faire une loi générale à peu près inutileaux départements septentrionaux, on n'a pas accordé tout ce quedésiraient les agriculteurs du midi, où l'eau est indispensable pourtoutes les cultures, et où l'on voit payer fort cher le droitd'irriguer non-seulement les prairies, les pâturages et les rizières,mais encore les oliviers, les vignes, les céréales, les plantessarclées, et jusqu'aux pommes de terre. La France, sous le rapport desarrosages, se divise en effet en trois zones : le midi, où l'eau n'estjamais nuisible, et où l'on trouve des canaux et des aqueducsgigantesques pour sa conduite, comme dans le Roussillon ; le centre, oùla pratique des irrigations commence à prendre faveur, et où l'on peutcréer des pâturages fertiles, souvent avec la seule eau des chemins,comme dans le Nivernais ; enfin le nord et l'ouest, où le baignagen'est indispensable que pour les prairies à foin, et où les plus beauxherbages deviennent suffisamment fertiles par le séjour des bestiaux,par l'humidité naturelle du sol, et par la fraîcheur que répandent desplantations vigoureuses, comme en Normandie. » A nos yeux, le vice des nouvelles lois sur l'irrigation est d'êtreles mêmes pour toute la France ; car on n'a tenu compte ni du climat,ni de la constitution géologique du sol, ni des habitudes qui enrésultent pour les populations. On eût pu, sans attenter au grandprincipe de l'uniformité légale, faire une loi spéciale pour lesdépartements méridionaux, et satisfaire ainsi tous les intérêts. » Au reste, si ces lois ont cela de fâcheux qu'elles imposent denouvelles servitudes à la propriété, elles ont moins d'inconvénientsqu'on ne l'avait pensé d'abord. La loi d'Angeville est de droit étroit,et il a été dit solennellement aux Chambres qu'on ne changeait riend'ailleurs au Code civil. Elle a en vue surtout les eaux qu'unpropriétaire possède sur son fonds, c'est-à-dire les eaux de source etles eaux pluviales. Elle pourra aussi aider à faire passer sur desfonds éloignés les eaux concédées par l'Etat aux dépens des rivièresdomaniales. Quant aux petites rivières qui sont les plus nombreuses, laloi ne leur sera pas souvent applicable ; car les propriétés riverainesont seules le droit d'user de leurs eaux. Les propriétés bâties ethabitées sont exemptées de la servitude. Le passage n'est accordé quepour l'irrigation des terres, jamais pour des usages personnels, jamaispour un but d'agrément, jamais pour l'utilité de l'industrie.L'indemnité doit être préalable, et l'autorité judiciaire sera seulecompétente. On fera à regret les frais d'un canal pour conduire l'eaud'un réservoir ou d'un torrent, et les rivières domaniales n'arrosentpas toutes les vallées. La loi d'Angeville sera donc rarement appliquéedans nos contrées ; les propriétaires qui craignent les servitudespeuvent se rassurer. » Cette loi présente, d'un autre côté, de graves inconvénients ; elleest trop peu complète pour ne pas faire naître des contestations dansles pays où on l’appliquera, et elle est loin de présenter le caractèreauquel Bacon reconnaissait les bonnes lois : laisser le moins possibleà l'arbitraire du juge. On lui a reproché en outre d'être décrétéesurtout pour la grande propriété, et d'être en résultat peu libérale etpeu démocratique. — En résumé, nous croyons que, pour la bien juger, ilfaut la voir à l’application, et, quant à présent, nous ne pouvons querenvoyer aux commentaires qu'elle a déjà fait naître. » L'Augeron : Rien de plus juste que l'appréciation de M. Bordeaux, etje vais vous citer un exemple tout récent. Un habitant de Vire avait, près de cette ville, un méchant filet d'eauqui arrosait son pré : un voisin trouva bon, l'année dernière, dechanger le cours de ce ruisseau et d'en priver l'herbe du pré. Le propriétaire lésé se plaignit au juge de paix, à l'agent-voyer ;mais ces messieurs se crurent incompétents et renvoyèrent aux Ponts etChaussées. On fit un rapport, qui fut remis au sous-préfet ; onespérait que l'ingénieur d'arrondissement réglerait l'affaire. AH BIEN OUI ! il y a un ingénieur des cours d'eau ; l'ingénieur localne doit pas se mêler de cette besogne. Les pièces sont donc envoyéesau préfet ; et, long-temps après, comme on n'en entendait plus parler,on va s'informer du résultat dans les bureaux de la préfecture. Les pièces ont été quelques jours dans ce carton, répondit-on ; maiselles ont été transmises à l'ingénieur en chef. On court chez ce dernier, qui répond : J'ai vu les pièces ; elles sontenvoyées à Honfleur, à l'ingénieur des cours d'eau du Calvados. A HONFLEUR !!! Comment ! l'ingénieur des cours d'eau du Calvados estfixé à Honfleur, sur la limite de l'Eure et de la Seine-Inférieure !Dans un PORT DE MER ! Mais vraiment, C'EST UNE DÉRISION ! L'ingénieurdes cours d'eau n'a pas à s'occuper de l'eau de la mer ; c'est de l'eaudouce qu'il s'agit, et vous le placez au milieu de l'eau salée ! Ajoutez que, pour se transporter dans certains cantons desarrondissements de Bayeux, de Vire, de Falaise, il aura 20 lieues àfaire ; et ce sont les parties intéressées qui auront cet impôt sur lesbras ! C'est trop fort. Il faudra, pour payer M. l'ingénieur de son voyage à Vire,non-seulement le bénéfice que retirait le propriétaire du cours d'eauusurpé, mais le capital du pré. Il vaut mieux que les choses restentdans l'état où elles sont que d'être réglées administrativement. Le Bugeaud : Dieu nous garde, mes amis, de la visite des ingénieurs,quand il ne s'agit pas d'une affaire majeure ! Bugeaud, de Melle, a dit : Celui qui veut manger son cas N'a qu'à hanter les avocats ; Qui veut appeler l'ingénieur Est sûr de ruine et de malheur. Tâchez donc, mes amis, d'irriguer sans le secours des Ponts etChaussées. Il y a mille circonstances où vous n'aurez pas besoin d'eux: beaucoup de petits ruisseaux qui parcourent vos vallons, ruisseauxauxquels vous donnez passage sur votre fonds, n'ont qu'à être mieuxdirigés pour en tripler la valeur ; utilisez-les, et, quand il faudraabsolument avoir affaire aux ingénieurs, si la question est importante,il faudra bien s'y résoudre. Surveillez-les, et faites qu'ils fassentla chose au moins de frais possible, qu'ils ne se fassent pasaccompagner d'une armée de porte-châssis, piqueurs de jalons, etc. Il ya toujours moyen de s’entendre, quand on sait ce qu'il faut éviter, etqu'on n'est pas trop disposé à se laisser rançonner. Dessèchements. Après cette instruction, le Bugeaud normand parla du dessèchement desprairies. Vous pourriez, dit-il, tirer an meilleur parti des prairieshumides et pleines de jonc que je vois là-bas, au moyen de travauxd'assainissement, de fossés remplis de fascines, et, mieux encore, derigoles remplies de pierres, pratiquées sous le gazon. J'étais, il y apeu de jours, à St-Georges-en-Auge, chez un propriétaire très-éclairé,M. Le Roy, membre de l'Association normande, qui a sensiblementamélioré ses herbages, en pratiquant ainsi des rigoles. Il les aremplies de pierres, au milieu desquelles l'eau circule facilement ;puis il les a recouvertes de terre, de sorte qu'on ne se doute pasqu'il y ait de conduits souterrains ; et c'est pourtant à ces conduitsque l'on doit la transformation des parties marécageuses des herbagesde M. Le Roy en fonds de première qualité. Les Anglais ont fait de très-grands travaux de ce genre, et se sontbeaucoup ingéniés pour trouver le moyen de faire des tuyauxd'assainissement en terre cuite qui leur revinssent à bon marché ; carc'était là le but qu'on devait surtout rechercher. Ils sont arrivés àdes résultats très-satisfaisants. Leurs tuyaux, de diverses formes,sont troués de manière à recevoir l'eau des terres environnantes et àla conduire dans des fossés d'écoulement. On vient d'en faire à Paris,à l'instar des tuyaux anglais, qui coûtent de 15 à 20 fr. les 330mètres. Vous avez des potiers dans votre pays ; pourquoi ne feriez-vouspas confectionner de pareils tuyaux comme vous faites faire de labrique ? Le transport quadruplerait, en effet, le prix des tuyaux ; ilfaut que ces choses-là soient faites sur place. Pierre : Tout cela est bel et bon ; on ne manque pas de sujets dedépenser son argent : c'est le drainage ici ; là, c'estl’irrigation ; plus loin, le transport de terres fertilisantes ;ailleurs, l’aplanissement des herbages ; et tant d'autres chosestrès-bonnes sans doute, mais qui coûtent plus qu'elles ne rapportent enréalité. On ne peut qu'à la longue retrouver les avances qu'on afaites. Or, les capitaux manquent à l'agriculture. Mon voisin Jacquesdit que, pour faire quelque chose de bien, il faut des avances énormeset les moyens d'emprunter ; que, pour emprunter, il faudrait desinstitutions de crédit agricole, c'est-à-dire des banques quiprêtassent à l'agriculture à bon marché. Bugeaud : Comment ! on parle aussi de banques agricoles dans cepays-ci ? Je croyais qu'on ne s'occupait de ces billevesées qu'à Paris.Les banques agricoles sont établies par des spéculateurs qui veulenttirer parti de leurs capitaux, et qui ne donneront pas leur argent sansun intérêt assez élevé. Jusqu'ici, je ne vois pas que ce que l'on atenté ait produit de résultat utile pour l'agriculture, et lesprétendues banques agricoles demandent tout autant de garanties que lesautres aux emprunteurs. Du reste, que le système se perfectionne s'ilse peut, j'en serai charmé. Mais ce qui m'étonne, ce sont les gens qui disent : Nous ne pouvonsrien faire sans capitaux. Est-ce que vous n'avez pas vos bras, votreintelligence, qui ne vous coûtent rien, et qui peuvent décupler vosproduits en attendant que les banques agricoles soient organisées, sijamais elles s'organisent d'une manière vraiment profitable ? Quant aucrédit, vous n'en manquerez pas, si vous êtes honnête et économe. Ceuxqui créent tout, qui font tant de vœux pour l'avènement du créditagricole, sont, le plus souvent, ceux qui, par leur défaut d'économieet leur mauvaise conduite, ont perdu la confiance et, par conséquent,le crédit. Travaillez, améliorez donc selon vos forces et vos moyens,sans vous embarrasser des utopies économistes. M. Dezeimeris dit avec raison, dans un de ses petits livres, que « leterritoire agricole de la France ne produit pas, à beaucoup près, cequ'il devrait produire. Si quelques-uns de nos départements peuventêtre classés au rang des pays les mieux cultivés de l'Europe, laplupart des autres appartiennent à la catégorie de ceux qui le sont leplus mal. Tout le monde sent qu'il faut, à tout prix, sortir de cettecondition d'infériorité ; mais il semble que, de tous côtés, on se soitdonné le mot pour mettre à la réalisation du moindre progrès desconditions qui le rendent impossible. Au cultivateur las de sa misèreet qui voudrait en sortir, les uns disent : « Tu n'en sortiras pas, situ ne peux d’abord te procurer des capitaux. » Les autres ajoutent : «Si tu n'es auparavant chimiste, physiologiste, physicien, botaniste,et, pour tout dire en un mot, agronome. » C'est dire, d'un côté, que leprogrès est indispensable, et, de l’autre, qu'il est impossible. Lascience, le crédit, c'est, en agriculture, la pierre philosophale ; lebon sens du cultivateur français n'a garde de courir après. Où donc lathéorie et les capitaux ont-ils puisé le droit de se proclamerindispensables à l'amélioration de la culture ? Quand la théorie avoulu s'en mêler et y mettre du sien, a-t-elle fait autre chose que dessottises ? Et quand la finance, accoutumée à trouver tout facile, s'yest imprudemment engagée, a-t-elle réussi à s'en tirer à son honneur etavec profil ? Non, non ; de telles prétentions n'ont pas le moindrefondement. L'art agricole existait, adulte, vigoureux, quand la théorieagronomique, à laquelle on prétend l'asservir, n'avait pas même encorepris naissance. C'est l'art, et non la science, qui, depuis dessiècles, tire du sol belge de si riches produits ; c'est l'industriedes cultivateurs, et non le concours des financiers, qui a transformé,depuis un demi-siècle, quelques pauvres cantons de France en oasisd'une merveilleuse richesse. Pour créer l'agriculture là où ellen'existe pas, pour défricher, bâtir, organiser des domaines sur ledésert, il faut des capitaux, cela n'est pas douteux, ii en fautbeaucoup ; mais là où l'agriculture existe, là où elle possède déjà,par conséquent, ce que suppose son existence, elle peut s'améliorersans leur secours. Mais des faits qui valent beaucoup mieux que desraisons, des exemples de pauvres cultivateurs qui se sont enrichis dansl'exercice de leur profession, le prouvent aux jeux en même temps qu'àl'esprit. Pour édifier à cet égard et pour encourager les cultivateurschez qui commence à se produire un premier désir de faire mieux que cequ'ils ont fait jusqu'alors, nous avons mille exemples de fortunesfaites sans science et sans capitaux. Viennent des cultivateurs richesou pauvres, savants ou ignorants, mais animés du désir de bien faire etacceptant pour règle de conduite les résultats de l'expérience, lesuccès leur est assuré. » Tout cela est très-vrai, mes amis, et vous avez trop de bon sens pourne pas en être convaincus comme moi. Au moment où le Bugeaud normand prononçait ces paroles, nous entrionsdans la petite ville d'Orbec. Mes affaires me forcèrent à prendre congéde lui et de ses compagnons de voyage ; mais ce ne fut pas sans unvéritable regret. En lui serrant la main, je m'informai de ses projetsultérieurs d'excursions agricoles, et nous nous donnâmes rendez-vouspour la semaine suivante, dans un autre canton du Calvados. Je n'eusgarde de manquer au rendez-vous, et j'ai recueilli, dans ce secondvoyage, d'autres notes que nous pourrons communiquer plus tard auxlecteurs de l'Annuaire, si la relation de celte première rencontre duBugeaud normand ne les a pas trop ennuyés. NOTES : (1) Mémoire sur les sols calcaires et les sols siliceux, publié en 1813. |