BUNOUST, Auguste (1888-1921) : La Marchande de fleurs, une figurelexovienne (1919). Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (6.IX.2016) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèquecontenu dans le cahier n°2 des Lexovianadu baron Tardif de Moidrey (Bm Lx: Ms 118-2). UNE FIGURE LEXOVIENNE La marchande de fleurs [ Le Réveil de Lisieux, 29 Novembre 1919] _____ Je la rencontrai rue Grande-Rue, s'avançant avec précaution dansune robe bleu roi aux applications de guipure noire. Elle était ornéed'un toquet de paille aux coques tombantes, et, dans sa main,frissonnaient, comme deux vraies fleurs de Dieu, deux anémones enpapier. Elle tourna vers moi sa face enfarinée, et me sourit. C'étaitle premier signe d'accueil que me donnât le visage inconnu de Lisieux,depuis deux mois que je m'y trouvais. Il m'en souvient comme de toutesles bonnes choses, ou qui paraissent telles au goût de mon cœur. J'aisu depuis, en effet que la pauvre femme avait mésusé et trafiqué de cesourire, alors qu'il avait gardé sa fraîcheur et qu'il était doux ettentant sous le regard des hommes. J'ai appris aussi qu'une longuesuite d'infortunes avait dû corrompre dans cette âme misérable lanotion du Bien qui, pour s'éclairer, a peut-être besoin d'un mincerayon de joie. A mes yeux, du reste, l'inoffensive folie où avaitglissé la marchande de fleurs l'a toujours placée un peu hors du mondeet du verdict des consciences. Comment tenir rigueur à une « innocente» d'un passé qu'elle a elle-même oublié, et qui ne se survit que dansla souffrance rédemptrice ? Et comment ne point se sentir indulgent àune existence aussi malheureuse que coupable, dont les derniers joursse reposent et s'apaisent dans l'imitation ingénue de précieusescorolles ? Bien entendu, elle vivait, non pas de son commerce, mais de charitésdiscrètes qui laissaient intacte cette dignité de grande coquettedéchue où elle se drapait pour notre curiosité amusée. Car c'était làqu'éclatait pour ainsi dire, la nuance distinctive de sa manie, et querésidait la mélancolique drôlerie du personnage. Une idée fixe lahantait : promener, par rues et venelles, l'élégante silhouette d'unepoupée parée, poudrée et fleurie. Elle me rappelait ces fillettesqui jouent « à la belle dame », s'affublent des défroques de leursmères, se tirent la révérence, font des mines et ridiculisent ce qu’aufond peut être elles envient. Qui dénombrera les robes vénérables, lesmantes désuètes, les tuniques fripées, les garnitures déteintes, qui,soudain sorties de l'oubli des placards et des penderies, achevèrentsur le dos de la marchande de fleurs, une carrière qu'elles croyaientclose avec les derniers ans du siècle dernier ? Remarquez que cettefemme, si parfaitement indifférente aux formidables vicissitudes dutemps présent, se tenait au courant des révolutions de la mode. Ellesavait rétrécir ou arrondir un bas de jupe, selon le caprice del'heure. Elle s'entendait à moderniser le galurin qui avait reçu jadisle baptême du soleil sous l'azur glorieux où s'affichait la TourEiffel, elle aussi fraîchement née. En quel retrait s'élaboraient ces savants rapetassages ? J'ai recueilliles indications les plus contradictoires sur le domicile de l'étrangefleuriste. Elle semble en avoir changé aussi souvent que de... chapeau.On m'a cité tour à tour, comme lui ayant servi d'éphémère abri, ungaletas de la rue d'Ouville, un hangar dépendant de la communauté de laMiséricorde, une des serres du Jardin Public. Mon anciennepropriétaire, dont la dévotion alerte et souriante fréquente les messesmatinales, m'a déclaré l'avoir vue, pelotonnée et grelottante, au piedd'un pilier de l'église Saint-Jacques, quand vacillait dans les vitrauxl'aube des hivers, triste comme le regard d'un petit aveugle. Pauvreêtre, lavé et blanchi par la douleur, et qui, n'ayant plus de péchés àse faire pardonner, dormait hardiment dans les confessionnaux !... * * * La marchande de fleurs vient de mourir à l'hôpital, sur un lit blanc,dans une salle paisible où l'on peut savourer le bruit lointain desbourrasques s'acharnant sur les épaules des gens solides. J'ignore siquelque piété délicate a disposé sur son cercueil l'une de ces fleursirréelles qu'elle aimait à fabriquer d'un geste machinal et vif. Ilappartenait peut-être à un poète dont l'imagination s'embaume et seconsume aux jardins d'artifice du Rêve, d'offrir à sa mémoire cettesimple touffe de pensées attendries. Aug. BUNOUST. La malheureuse dépeinteci-dessus, était une nommée Larçonnier, d’unebonne famille de Lisieux. Elevée au pensionnat Husse, 22, BdDuchesne-Fournet, elle se maria et tint un commerce de et plumes aun°100 Grande Rue (là où est Jean, le Fleuriste). Ayant eu des déboiresmatrimoniaux, et son mari étant mort tragiquement, elle plaça toute sonaffection sur son fils engagé à 18 ans et qui était devenu rapidementau grade de sergent major. Elle apprit un jour que ce malheureuxs’était brûlé la cervelle. Ce dernier coup du sort, fit sombrer à toutjamais la pauvre tête de la mère, et son commerce. Elle est morte àl’hospice de la route de Paris, dans le courant d’octobre 1919. Elle nous remet en mémoire uneautre folle, bien inoffensive, quiétait, par tous les temps, assise sur un pavé, à l’angle de lapropriété Montgommery de la rue Basse-Navarin, où elle tendait la main,sans jamais proférer une parole. Elle s’appelait Bressancourt, etdisparut un beau matin !! |