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GOUGET,Louis(1877-1915) :  LaJolie Fille du Roy de Paris (1911).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (20.VII.2005)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 211) del'éditiondonnée à Caen en 1926 par Jouan et Bigot dans lerecueil  Dansle Cinglais : nouvelles et légendes normandesavec des illustrations de Charles Léandre.
 
LaJolie Fille du Roy de Paris
par
Louis Gouget,

~*~

Il était une fois, un roy de Paris dont la filleétait fort jolie, si jolie que plus belle ne peutêtre. Cette histoire commence comme un conte, mais si voussavez en extraire la substantifique moelle, vous verrez asseztôt qu’elle contient d’utiles,profitables et fécondes vérités. Leroy de Paris, dont je parle se nommait-il Philippe, Childeber, Jean ouJacques, je l’ignore et au surplus ce n’est pas laquestion. L’important c’est qu’ilpossédait une santé robuste, une large barbeblonde, dans laquelle apparaissaient de rares poils blancs, un ventrerespectable, beaucoup de philosophie et je l’ai dit mais enpareille matière, « bis repetita placens», une fille délicieuse, Gilberte,c’était le nom de cette beauté, avaitdes yeux que je ne décrirai point, des cheveux que je nesaurai peindre, une bouche que je me garderai de crayonner, enfin milleet mille grâces, dont je ne puis, excusez-moi, vous donner lamoindre idée. Cela au reste est mieux ainsi, caraprès que je vous aurais dit : que les cheveux de Gilberteétaient abondants, fins et blonds, ses yeux profonds,veloutés, et bleus, sa bouche petite et rose, vousn’en seriez pas plus avancés, etsûrement je ne répondrais point àl’idéal que chacun de vous se fait de labeauté ; puisque d’aucunspréfèrent les brunes, d’autres lesblondes, d’autres encore les rousses, d’autresenfin, me suis-je laissé dire, les grises.

Passez-vous donc de description, créez-vous àvous-mêmes une magnifique image de déesse etsachez que Gilberte était encore au-dessus ; cela suffit.Néanmoins, apprenez qu’elle ne se contentait pasd’être belle et qu’elle étaitbonne par dessus le marché. Bref, elle avait toutes lesvertus, civiques et domestiques, de coeur etd’intelligence, de grâce et de force.

Elle eût été parfaite, sans undéfaut qui lui était survenu depuis quelquetemps, et qui faisait, qu’elle ne riait jamais.

Le Roi son père, s’en étaitaperçu et n’en revenait point. - « ParSaint Denis, disait-il (c’était un de ses juronsfavoris) - par Saint Denis, je n’y comprends rien et je nesais de qui cette jeunesse peut bien tenir. Ce n’est pas desa mère qui était si alerte, si avenante, sijoviale que c’en était unebénédiction. La pauvre défunteeût ri de tout et de tous ; je crois mêmequ’elle riait un peu trop et qu’il lui arriva derire à mes dépens et à ma barbe ; maiscela est lointain, n’en parlons plus, je me suisconsolé. Pour ce qui est de moi, Montjoie, serai-je unesprit chagrin. Ah ! par exemple, qu’on demande aux vitres demon Palais, si je sais rire et de quelle manière ! Quand jem’esclaffe, corbleu, mon Louvre en tremble, les Bateliers dela cité s’en roulent, et il n’est pasjusqu’aux Escholiers, maigres et court-vêtus de monUniversité qui ne fassent chorus. »

Et rien qu’à cette pensée, le bon royfut pris d’un rire profond, sonore, homérique quiouvrit sa bouche jusqu’aux oreilles et fit danser sous sonpourpoint ses abondantes et royales tripes.

Mais ce ne fut pas long et le Roy de Paris s’arrêtanet, car il avait devant les yeux, sa belle fille, blanche et rose,vêtue avec une modestie pompeuse, sa belle fille au douxvisage… sa belle fille qui ne riait jamais.

- « Bonjour père, dit-il, avec son joli accentmusical et tendant ses joues fraîches à baiser.»

Le Roy l’embrassa volontiers ; puis la regardant bien en faceet prenant son courage à deux mains : « Dieu ! sije vous aime, ma Gilberte ! Vous êtes la joie de mes jours :« Mais, par Nostre-Dame, expliquez moi donc une bonne foiscomme il se fait, que vous ne riez jamais. »

A quoi la belle réfléchit un instant ; puistrès grave et néanmoins mignonne, ellerépondit : « Pourquoi, père ? rien deplus aisé. Je ne ris point, parce qu’en votreVille de Paris, rire est mort. »

- Rire est mort ! par le Corps Dieu, que me chantez-vous là,ma belle, rire est mort, mais on ne peut plus vivant, plus sautillantet plus allègre. Vous vous moquez pour le coup et me faitesmuser.

- Je me garderais de me moquer, mon père, mais jen’y peux rien, rire est mort et avec lui le joyeux espritfrançais, c’est pourquoi je ne ris plus.

- Voilà, dit le roi ébahi, le plus fol paradoxeque j’aie  ouï de ma vie.L’esprit français est mort ; quelle sottise, maisil nous imprègne et nous nageons dedans. Il court nos rues,mes gamins le colportent, mes théâtres en vivent,mes concerts en regorgent ; il nous inonde, l’espritfrançais.

Mais au fait qu’en peux-tu savoir, chère petiterecluse, tu ne sors point ; je suis un barbare et je te tiens enprison. J’ai grand tort en cela, j’ai grand tort etdès ce soir je veux changer de méthode. Nousirons ensemble dans mes théâtres et tu riras,malgré que tu en aies, tu riras, te dis-je, aux larmes, turiras à en dégrafer ton corsage. Et si tu ne rispoint, je veux perdre mon sceptre et mettre ma couronne auMont-de-Piété, tu viens, est-ce dit.

- C’est dit, répartit la gente et docile Gilberte,j’irai et je rirai si je le puis,c’est-à-dire si le sujet m’estdonné de rire ».

Lorsque, dans les larges rues, les chandelles essayèrent desuppléer au soleil ; couvert d’une cape espagnolequi le rendait méconnaissable, le roi alla quérirsa fille et la duègne d’icelle, car une damoiselledans ce temps-là ne sortait pas sans suivante, et marchantallègrement, tous trois prirent le chemin duThéâtre.

- « Commençons, dit le Roi, par leThéâtre François ; il porte un beau nomet si quelque sanctuaire du rire doit conserver la finesse desaïeux, c’est bien celui-là ».La duègne approuva de la tête ; elle se rappelaitsa jeunesse et pensait aux fines comédies, d’uncertain Monsieur Pailleron. Ce n’était pasd’une force extraordinaire ; pailleron, petite paille,léger fêtu d’esprit, rire sanséclat et qui fuse, mais tout de mêmec’était charmant, cela ne cassait rien etchatouillait les duègnes. Nous allons, se disait-elle,assister à une fête du galant esprit.

Ah ! la pauvre femme ! mais n’anticipons pas.

Trois coups, le rideau se lève. Un monsieur quelconque vientalors déclarer en des termes d’extrêmeplatitude qu’il est un bandit. Tuteur d’un jeuneautre monsieur, il l’a grattéjusqu’à l’os, en conséquence,il n’a qu’une chose à faire,c’est de se tuer.

- « Bravo, se dit in petto la duègne, que cettevilaine figure disparaisse, tout n’en ira que mieux.» Ah ! la pauvre femme ; elle n’y étaitpas. Le monsieur au bord de la tombe recule tout à coup,comme une rosse, au passage d’un gué. Il ne se tuepas, il se ravise. Il se ravise et pourquoi ? parce qu’ilapprend que son pupille est l’amant de sa propre femme ; etalors, moralité, un voleur qui vole l’autre, lediable en rit ; tu m’as ruiné, je tedéshonore nous sommes quittes, entre ces deux beauxmessieurs, la dame n’a plus qu’àchoisir. Elle choisit le plus dégoûtant et lerideau tombe.

- Ouf, fit Gilberte, dès que le rideau fut tombé,tout cela n’est pas bien gai. Ce n’est point cettefois encore que le rire me reviendra, convenez que pour undébut, vous n’avez point la main heureuse.

- « J’en conviens, dit le roi, mais aussipouvais-je deviner que l’on jouait de semblables sottises surmon Théâtre-François, quelledécadence. Hélas je ne puis fairerevivre… Molière, je ne suis point Louis XIV etje le regrette ; j’aurais Racine pour me louer, Bossuet pourm’absoudre, Montespan, pour …

- Chut dit  la duègne, taisez-vous, sire, cen’est point pour les jeunes filles…

- Mais dit Gilberte, connaissez-vous l’auteur de cette atrocerapsodie.

- Ma foi non, il doit s’appeler Berheim, Brohein ouBernstein, un nom bien français en tout cas et qui finit enTin.

- Cela ne m’étonne qu’à demiqu’il rime en Tin, grogna la duègne entre sesdents absentes. Mais oublions-le, le rire ne fleurit plus en la rueRichelieu. Emigrons vers les Boulevards.

Les Boulevards, cela lui rappelait encore sa jeunesse. Que de fois,elle avait ri à de joyeux vaudevilles, pleuréà de belles pastorales, frémi à desombres mélodrames. Cette fois, elle ne rit, ni ne pleura,ni ne frémit, mais s’indigna vertement. Car cequ’elle vit sur les boulevards, ce fut, n’endéplaise aux gobeurs modernes une singulièrecuisine. Le seigneur Muffe, maître-queux de sonmétier et imbécile par tempérament, ymigeotait des divorces. Les condiments variaient, mais leragoût était toujours le même, fade,rance, insipide.

- Seigneur, dit Gilberte que tout cela est lamentable, que ces femmessont sottes et que la fatuité de ces jeunes hommes estécoeurante. Tous parlent, un langage plat, banal, vulgaire,quelquefois vil. Ils n’ont point de sentiments, en fait desensations, ils n’en ont que de basses. Toute leur vie semblese passer à se mentir les uns aux autres, àtromper leurs femmes et leurs amis ; c’est la coquinerie, laveulerie, la bêtise débordantes. Je ne rirai pasde cette fois, il me faut autre chose.

- Ni moi non plus, je ne ris pas de tout cela, dit le roi ; cela manquede nerf, de vigueur, d’entrain. Mes mâchoires nesonnent point pour si peu. Ventre Saint-Quenet, je nedéteste pas la gaudriole, mais je la veux solide et pasanémique. Ici c’est le hennissement de la luxurepoussé par Rossinante. Partons.

- Oui, partons, dit la duègne, ici les moeurs sontbaroques, à ce point qu’on se croirait dans laforêt primitive. Ce n’est plus unthéâtre, c’est un chenil…»

- Par bonheur, poursuivit le Roi, une bonne inspiration me vient. Il mesouvient d’un poète des bords del’Adour, un peu mièvre etmaniéré, mais tout de même attachantnaguère, il nous campa hardiment un bon bretteur gascon etlui fit faire mille amusantes folies dont la moindre futd’aimer, une ravissante dame, alors qu’ilétait lui, laid comme Polyphème. A partqu’il parlait trop de son nez ; c’est le gascon queje veux dire et non Polyphème, il me plaisait beaucoup. Ilm’est revenu aux oreilles que poursuivant sacarrière, le poète de l’Adour, mettaiten scène, pour l’instant le héros duroman de Renart, Chantecler. Le titre nous en promet de belles. Parles visières d’Orgétorix, nousentendrons une piquante gauloiserie, je le jure, allons-y.

- Allons-y, appuya la duègne, qui aimait les histoires decape et d’épée et se souvenait ded’Artagnan, créé par notre CaennaisMélingue, un beau gars, comme nos femmes seules enfont…

A peine furent-ils entrés qu’ils se sentirentsingulièrement dépaysés. Cequ’ils voyaient et entendaient sur la scèneétait tellement baroque, qu’ils setâtèrent tous les trois à la fois et serendirent le réciproque service de se pincer les uns lesautres, pour s’assurer qu’ils ne dormaient point.Devant eux, sur les planches, un merle sifflait, un chien grognait,quantité de poules gloussaient, des pintades criaient, descoqs coqueriquaient, des chats-huants ululaient, des crapaudspioutaient.

           C’est nous qui sommes lescrapauds.
           Nous crevons dans nos vieilles peaux.

Du coup le roi n’y tint plus. « On le voit bien,sales bêtes, que vous êtes des crapauds,s’écria-t-il cédant à lacolère, et se souciant peu d’interrompre lespectacle ; on le voit bien, aussi rentrez dans vos trous ou je mefâche. A-t-on vu cela ? Transformer mesthéâtres de la façon ! Toutà l’heure, c’était un chenil,maintenant, c’est une basse-cour. Et les meilleurs enarrivent-là. Comment toi, ô poète del’Adour que je couronnai jadis de laurier, tut’égares parmi les volatiles. Tu tevêtais de la robe d’Eschyle et maintenant tuchausses les bottes de Nabuchodonosor. Approche que jepiétine ta couronne, et s’il fautmalgré tout quelque chose pour dissimuler taprécoce calvitie, ô pécheur de lune, jete mettrai le bonnet à grelots. Il te suffit. Sortons.»

Le roi ne voulut point, ayant erré dethéâtre en théâtre descendrejusqu’au café-concert. La basse-cour luisuffisait, plus bas, c’était trop. Et comme pourrentrer au Louvre, il noctambulait, Gilberte au bras, par les quadrivisde Lutèce, il exhalait sous la lune narquoise, une plaintemélancolique : « O rire français, vousêtes donc mort ; rire des aïeux, noble rire,précieux nectar, pain de nos jours, quel dommage que vous nesoyiez plus. Vous étiez frais comme la rosée etmontiez joyeux comme l’alouette matinale. Grâceà vous, nous supportions tout : peines, douleurs et revers,vous étiez notre espoir, notre défense, notrerevanche, notre réconfort. Baume divin qui calmiez nosblessures et séchiez nos larmes, à quoi puis-jemieux vous comparer, qu’au clairon qui sonnejusqu’à la fin des batailles, et dont les notesmâles et gaies, font vibrer les vivants, consolent lesblessés, endorment les morts dans la gloire. Espritfrançais vous exaltiez jadis le héros ! vousêtes devenu le venin des cuistres et des sots, et vous netraînez plus sur nos théâtres que fadespolissonneries, turpitudes infâmes, moeurs immondes! Par le Corps-Dieu, pour laver les endroits mauvais, jedétournerai quelque matin le fleuve Seine, tout ainsiqu’Hercule en usa avec l’Alphée pourdébarrasser Augias. »

Ainsi se lamentait le sire ; mais, comme il avait beaucoup dephilosophie, il ajouta : « Sur ce, allons nous coucher.»

On se coucha, mais de longtemps on ne dormit point. La belle Gilbertene riait toujours pas et dépérissait de chagrin.Ses traits d’une fraîcheur si rare se ternissaientet son âme aussi était atteinte. «Hélas, se disait-elle, vais-je devenir semblableà ces femmes,  tout hordes, folles, et vilaines queje vis naguère. Devrais-je moi aussi pour cacherl’amaigrissement de mes traits, poudrer mes joues de fard,peindre mes lèvres et couvrir ma nuque des cheveuxd’une autre. Aux Dieux ne plaise ! »

- Aux Dieux ne plaise, ajouta le roy, qui entrait en coup de vent,écoute ma fille, il faut que ton chagrin cesse. Tu ne risplus, parce que rire est mort. Rire est mort à Paris,peut-être ne l’est-il pas ailleurs. Essaye de lacampagne.

- J’essayerai.

Voilà pourquoi, ayant pris son meilleur carrosse, la joliefille du roy de Paris vint un jour dans notre Cinglais. Elles’arrêta au bord d’uneclairière, tout près d’un ruisseauoù les biches vont boire et résolut d’ydemeurer. Comme Geneviève de Brabant, elle se trouvait fortbien en cette retraite ; la fraîcheur des beaux arbres, lestons violets des bruyères, les frissonnements doux etélégants des vertes fougères, lespastourets des lapins, les sifflets des merles, le gazouillis despinsons, les vocalises du rossignol, lui donnaient une vie nouvelle.Non pas qu’elle pût rire encore, mais ellecommençait à retrouver le sourire, etc’était le commencement du bonheur.

Advint qu’un jour elle se promenait dans la forêt,rassérénée, respirant narinesouvertes, les violettes et le thym qui fleurent mieux que lepétrole et le crottin de la capitale. De doux pensersl’accompagnaient, voltigeaient autour d’elle, commeles cauvettes autour des clochetons ; quand soudain, audétour d’un sentier elles’arrêta : un être, dieu, homme, ousatyre, en tout cas doué d’une belle barbe, fermesur ses jambes courtes et riant des bonnes histoires, qu’ilinventait, lui apparut.

- Qui êtes-vous, dit Gilberte, avec unelégère surprise.

- Qui je suis, répartit l’autre, je suisLemaître parbleu, je me promène tranquillement etgaîment, voilà tout.

- Gaiement, vous pouvez le dire, car vos rires viennentjusqu’à moi ; mais pourquoi riez-vous ainsi.

Le bon patoisant Normand, car c’était lui, vousl’avez deviné, répondit : «Mon Dieu, princesse, je ne ris pas des misèresd’autrui, je ne ris pas des malheurs du temps, je ne connaisni le sarcasme, ni l’insolence, ni la blague, nil’ironie à froid ou à chaud. Je risparce qu’ayant glané dans nos plaines et nosbocages la bonne verve des aïeux, je tâcheà en faire profiter les amis, car…

       « De c’qui tracasse terjous ma vie
       C’est d’avé poue, mes pauv’samis
       Qu’vo n’teumbiez en mélancolie
       Mé qu’aime tant vé les gensréjouis.
        - Aussi,j’fais tout de c’que j’peux faire
        Portâchi d’vo faire rire un brin
        Et parcho n’on chôme pas d’histoueres
        Dans notbon vieux pays boscain.

Voilà pourquoi, je ris tout seul, ce qui est un peudrôle, excusez-moi, princesse.

Gilberte fut touchée de tant de bonne modestie. «Contez-moi, ces histoires, demanda-t-elle. Notre amis’exécuta ; pareil aux aèdes antiquesqui traduisaient seulement la pensée populaire, il dit toutd’une traite et ne s’interrompant que pour boire :« où qu’est l’ma ».« Les deux Codes ». « La Poue du diable».

La jolie fille du roy de Paris se sentait toute transforméeet pour la première fois depuis quarante mois et plus, ellerit, vous dis-je, aux larmes, rit à s’endécrocher la mâchoire, rit à en fairebailler son corsage. « Montjoie, Saint-Denis, comme dit monpère, voilà de bonnes choses et qui viennent desclaires fontaines de France. Par le Corps-Dieu, toujours comme dit monpère, cela rappelle les fabliaux du vieux temps ;c’est si amusant, si franchement drôle que jen’en puis plus… Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !… »

- Ce n’est rien encore, dit le patoisant, demeurez quant etnous et vous en verrez bien d’autres. » Et Gilberteayant fait bâtir un beau chalet normand demeura quant etnous. Nombreux furent les gais conteurs qui vinrent la voir,d’autant qu’elle avait bon accueil, bonne table etpayait volontiers chopine. Paul Harel lui chanta ses chansons deVénerie ; Louis Beuve lui conta la « Vendeuse» qui comme un bon drame shakespearien la fit rire et pleurertout ensemble. Lepileur lui soupira de jolis sonnets. Les huit premiersvers du « Soir d’Evangile » la ravirentaux Anges.

       « Pour écouter le maître aux doucesparaboles,
       Près du lac aux flots bleus, le peuple était venu.
        Et commeun passereau par le grain retenu
       N’osait quitter le nid des divines paroles.

        Les irisaux tons mats, entr’ouvrant leurs corolles
        Sepenchaient à demi comme un nouveau venu
        Qui nesait pas où le conteur est parvenu
        Et lesroseaux chantaient avec les herbes folles. »

Pour mon compte je lui dis, contraint et forcé, « Le Luminaire », qui l’amusa, quoique macabre et« La Métamorphose », qu’ellemit, ô royale flatterie, bien au-dessus de toutes celles denotre confrère latin Ovide.

Un jour même, elle invita le Roi son père qui nes’attendait pas à telle fête. Le bonmonarque s’esjouit tant qu’on craignait, vu sonobésité, qu’il ne crevât derire ; il en « bulletait » comme on dit chez nous.Pourtant il se calma et se levant « Par Saint-Martin,cria-t-il, je n’aurais pas cru mes sujets normands si bonscompagnons : Onc ne pris plaisir aussi vif chez les baladins et les« faiseux vèe »de la capitale. Aussi jebois de tout coeur au bon pays de Cinglais qui aguéri ma fille, ma jolie fille qui ne riait jamais.»

Et comme le bon roi buvait en toute sincérité etnon par métaphore, il avala un horrifique trait de cidrepétillant qui fit, tombant en son gosier, le mêmebruit que font aux pieds du Mont-Joly, les cascades blanchissantes duLaison.

    Août 1911.

NOTE DEL’ÉDITEUR :
« Le Luminaire » et « LaMétamorphose» ont paru dans le recueil de Conteset Poésies de Louis GOUGET : « Au Vald’Orne ». Bien des Normands se souviennent encoredes joyeuses réunions d’avant guerre oùl’auteur disait avec tant de charme et de finesse cespoésies en patois qui restent deschefs-d’oeuvre du genre. « Le Luminaire » est d’ailleurs encorebien vivant, puisque tout récemment on areprésenté à Paris « LeLuminaire », pièce en deux actes, de M.René Mathieu, d’après le Conte en versdu regretté poète et avocat caennais Louis GOUGET.