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GASTÉ, Armand(1838-1902) : Pierre Corneille auPalinod de Caen.- Caen : Le Blanc-Hardel-H. Delesques, 1886.- 14p. ; 20,5 cm. Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (23.IV.2016) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm brC 39). PIERRE CORNEILLE AU PALINOD DE CAEN PAR ARMAND GASTÉ PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES SECRÉTAIRE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE CAEN CAEN IMPRIMERIE LE BLANC-HARDEL HENRI DELESQUES, SUCCESSEUR RUE FROIDE, 2 1886 ~*~Extraitdes Mémoires de l'Académie nationale des Sciences, Arts etBelles-Lettres de Caen PIERRE CORNEILLE AU PALINOD DE CAEN (1) Je parcourais, il y a quelque temps, le Mercure de France du mois de mars1726, lorsque mes yeux tombèrent sur une ode française qui avait, cetteannée-là, remporté le prix du Palinod de Caen : Jonas sorti vivant dusein de la baleine ! Le lauréat, M. Heurtauld, prêtre de St-Gilles deCaen, ne s'est pas trop mal tiré de ce sujet assez difficile. La tempête qu'il décrit n'est pas bien méchante elle a, du moins, lemérite d'être très courte : …. La mer s'enfle : un nuage épais Dérobe l'aspect des étoiles. Tout à coup brillent les éclairs ; La foudre gronde dans les airs : L'Aquilon grossit la tempête ; Les nochers, pâles, effrayés, Trouvent mille morts sur leur tête Et mille tombeaux sous leurs pieds. Je tournai la page, désireux de voir si M. Heurtauld avait été aussiambitieux que Jacques de Coras. On sait que, douze ans avant des'atteler, avec son ami Leclerc, à la confection d'une piteuse Iphigénie qui devait éclipser celle de Racine, Jacques de Coras avaitcomposé, tout seul, un poème intitulé : Jonas ou Ninive pénitente.Mais on ne sait peut-être pas que dans ce beau poème, inconnu déjà dutemps de Boileau, et séchant dans la poussière (2), Jonas prononce,pendant qu'il est enfermé dans le ventre de la baleine, un magnifiquediscours, que le monstre fut seul à entendre et dont voici un fragment : Du ténébreux séjour des prisons de l'abîme, Où je suis retenu par l'ardeur de mon crime, Grand Dieu, dont ma faiblesse a méconnu les droits, Je t'offre tous mes vœux, je t'adresse ma voix. Ces gouffres, ces écueils, cette vivante tombe Me chargent d'un fardeau sous qui mon cœur succombe, En cet état pourtant j'ai gardé dans mon sein Ton nom parmi les coups dont m'accablait ta main, Et, célébrant ta gloire au fort de mon supplice, Je t'ai fait de mon être un humble sacrifice. Aussi, Dieu tout puissant, après que ta bonté M'aura rendu la vie avec la liberté, Ma bouche, d'un ton grave et d'un air magnifique, Chantera tes splendeurs dans un sacré cantique, Et mes mains, encensant ton vénérable autel, Rendront un saint hommage à ton bras immortel. En parcourant l'ode couronnée au Palinod de Caen, je me demandais si M.Heurtauld avait fait aussi bien parler son Jonas ; mais, plus sobre dedétails que l'ami de Leclerc, le lauréat caennais nous dira toutsimplement : Tandis que dans l'humide plaine Le prophète aux flots menaçans Oppose des bras impuissans, Il est reçu d'une baleine. Trois jours il gémit dans son sein, Prodige ! et le monstre inhumain Le rendit vivant au rivage. Le Jonas de M. Heurtauld gémit dans le ventre du monstre inhumain(pourquoi inhumain ?); mais il ne fait pas de discours. C'est dommage! Déçu dans mon espérance, j'allais fermer le Mercure, lorsque monattention fut appelée par une note, envoyée de Caen évidemment, danslaquelle on faisait assavoir à tous les poètes de France et de Navarre,que, si les anciens recteurs de l'Université de Caen, trop négligents,n'avaient jusqu'ici donné les prix du Palinod qu'un an ou deux après lalecture des pièces, il n'en serait plus ainsi à l'avenir ; qu'on lesdonnerait dorénavant « exactement quinze jours après la fête, et que,pour relever le courage abattu des poètes, on les couronneraitpubliquement ! » C'est qu'il était urgent de faire cette importante réforme ! On pouvaitdire, en effet, en 1726 : « Le Palinod de Caen se meurt, le Palinod deCaen est mort. » Rares, très rares étaient les poètes qui envoyaientleurs œuvres à ce concours, autrefois si célèbre (3), et, pour le fairerefleurir, le rédacteur du Mercure de France croyait utile d'insérertout au long les plaintes, écrites en élégant latin, de M. René Louet,curé d'Hubert-Folie, professeur d'éloquence au collège du Bois etrecteur de l'Université de Caen. Cadomus ! ... tel est le premier mot de ce monitum. Ne devais-jepas continuer ? Je sais que la « question du latin » est à l'ordre dujour, qu'on se demande de tous côtés si l'on ne remplacera pas bientôt,dans les collèges, cette langue « inutile » par des exercices pluspratiques, plus sérieux ; et que, si le mouvement s'accentue, onn'osera plus avouer, dans quelques années, qu'on a appris et qu'on saitun peu de latin. Je n'en continuai pas moins ma lecture, et j'eusbientôt lieu de m'applaudir de mon courage. La première phrase est un fort bel éloge de la ville de Caen : « Cadomus ab omni hominum memoria ingenuarum artium laude ita semperinclaruit, ut florentissimis hujus imperii Academiis aut admirationemmovere posset aut invidiam. » Ce début m'encourageait ; je poursuivis. Quelle ne fut pas ma surprise,lorsque, au deuxième paragraphe, je lus ceci : « Corneille, le fameuxCorneille, le prince, sans conteste, de la tragédie française, ne s'estpas contenté des applaudissements de la Cour et de l'Académiefrançaise, et il a brigué les suffrages de l'Université de Caen. « Cornelius, ille Cornelius, Gallicæ tragoediae facile princeps, aulaeipsiusgue Parisiensis Academiae plausus, nisi iis UNIVERSITATIS NOSTRAEsuffragium accederet, ad nominis sui commendationem satis esse nonduxit. Voilà qui est clair : UNIVERSITATIS NOSTRAE ! On sait qu'en 1527, un avocat, Jean Le Mercier, invita les poètes àcélébrer la fête de la Conception de la Vierge, et leur distribua desprix ; et que telle fut l'origine du Palinod de Caen, qui, depuis, futconverti par l'Université en institution permanente (4). Donc, P. Corneille a présenté au moins une pièce de vers à l'Universitéde Caen ou au Palinod de Caen, car c'est tout un. C'est là un fait qui n'a été relevé, que je sache, dans aucune desnombreuses Vies de P. Corneille ou Études sur P. Corneille,publiées jusqu'à ce jour. Et pourtant, le Mercure de France a été souvent lu et dépouillé.Comment se fait-il que cette affirmation si nette du recteur René Louetn'ait jamais été relevée ? Rien n'est insignifiant, lorsqu'il s'agitd'un poète tel que Corneille. Mais il est probable que personne nes'est donné la peine de lire jusqu'au bout les plaintes que poussait —en latin le recteur de l'Université de Caen sur la décadence du Palinod. Voilà donc un fait qui semble bien acquis à l'histoire littéraire. P.Corneille a concouru pour un des prix du Palinod de Caen. Reste à savoir à quelle date il a concouru, et quels sont les versqu'il a envoyés à Caen. Nous savons que les deux frères de Pierre Corneille, Antoine et Thomas,ont concouru et gagné des prix au Palinod de Rouen ; nous savons aussique, le 8 décembre 1640, lorsque Jacqueline Pascal remporta un prix àce même Palinod, Pierre Corneille lui adressa l'impromptu suivant : Pour une jeune muse absente, Prince (5), je prendrai soin de vous remercier ; Et son âge et son sexe ont de quoi convier A porter jusqu'au ciel sa gloire encor naissante. De nos poètes (6) fameux les plus hardis projets Ont manqué bien souvent d'assez justes sujets Pour voir leurs muses couronnées ; Mais c'en est un beau qu'aujourd'hui, Une fille de douze années (7) A, seule de son sexe, eu des prix sur le Puy. Un impromptu, voilà tout le bagage de Pierre Corneille au Palinod deRouen. C'est en vain qu'on parcourt les Œuvres diverses de Corneille,publiées en 1738 ; en vain qu'on feuillette la dernière édition de ses Œuvres complètes, donnée par M. Marty-Laveaux, on ne trouve aucunepièce en tête de laquelle on lise : Envoyée ou couronnée au Palinod deRouen ou de Caen. Cependant, dans l'Avertissement (8) du premier volume de sa belleédition, M. Marty-Laveaux nous promettait d'insérer, dans les Œuvresdiverses, six stances de P. Corneille, couronnées au Palinod de Rouen,stances signalées pour la première fois et publiées par M. ÉdouardFournier dans les Notes sur la vie de Corneille, qui précèdent sajolie comédie : Corneille à la butte St-Roch (9). Mais, dansl'Introduction du tome X (10), M. Marty-Laveaux refuse d'insérer,même dans l'Appendice, les six stances publiées par M. Éd. Fournier,par la raison que M. Éd. Fournier ne dit « ni d'où il tire ces stances,ni par quelles circonstances elles sont venues à sa connaissance. » Il y a une chose certaine, c'est que Corneille n'a obtenu aucun prix auPalinod de Rouen de 1633, date que M. Éd. Fournier assigne aux sixstances publiées par lui. Les lauréats de cette année furent, d'aprèsJos.-André Guiot, l'auteur du Ms. de la Bibliothèque de Caen, intitulé: Les trois siècles palinodiques ou histoire générale des Palinods deRouen, Dieppe, etc. : DAVID DU PETIT-VAL, imprimeur, pour le 1er chant royal ; GUILLAUME AUVRAY, pour le 2° chant royal ; ............. D (?), pour la ballade ; T. MOLLIÈRE, pour l'ode française ; HENRI CANU, sieur de Bailleul, pour les premières stances ; FRANÇOIS DE HARLAY, archevêque de Rouen obtint un prix pour une «allégorie latine honoraire » ; Le poète caennais ANTOINE HALLEY remporta le 1er prix d'allégorielatine, probablement pour la pièce, couronnée également à Caen, quifigure dans ses Œuvres (11), et qui commence par ces vers : Hectoridum sublime decus, tibi nostra laborat Calliope, aspira Vati, et sis dexter Apollo. Le deuxième prix d'allégorie latine fut décerné à FRANÇOIS DE LA FONTAINE ; Enfin, GABRIEL P. LE VERDIER fut couronné pour son ode latine. Rien non plus pour les autres années. Le nom de P. Corneille brille parson absence dans les tables dressées par le consciencieux Jos.-AndréGuiot. Il en est de même pour Caen. Toutes les recherches que j'aifaites et que j'ai fait faire à la Bibliothèque de Caen ou aux Archivesdu Calvados ont été vaines. On ne rencontre nulle part le nom de P. Corneille dans les piècesmanuscrites ou imprimées, concernant le Palinod de Caen, qui sontconservées dans ces deux dépôts (12). M. Édouard Fournier a emporté, comme on dit, son secret dans la tombe ;ses notes ont dû être dispersées après sa mort ; il me semble donc biendifficile, sinon impossible, de retrouver l'original, manuscrit ouimprimé, de la pièce qu'il a dû publier pour la première fois en 1862,et qui, d'après lui, aurait été couronnée à Rouen en 1633, l'année dela représentation de La Veuve et de La Galerie du Palais. Devons-nous nous montrer aussi méfiant que M. Marty-Laveaux (13) ? M.Édouard Fournier peut-il être soupçonné d'avoir donné comme de P.Corneille un pastiche qu'il aurait composé lui-même ? On voudrait nepas le croire ; mais une heureuse indiscrétion nous a récemment apprisqu'un jour, interrogé par M. Marty-Laveaux au sujet des stances enquestion, M. Fournier aurait répondu « qu'il avait dû transcrire cesvers fort anciennement, lorsque, encore très jeune, il était tout àfait étranger aux habitudes rigoureuses de la critique. » Et il paraîtqu'il souriait en disant cela. Du reste, il suivait avec intérêtl'édition de M. Marty-Laveaux, et jamais il n'a songé à lui reprochercette omission. Ces réponses embarrassées, ce sourire discret et cette réserve prudentede M. Fournier nous en disent assez long. N'insistons pas davantage,car nous ferions fausse route, assurément, en attribuant à Corneilleles stances mises sous son nom par M. Éd. Fournier. Ah ! si ces stances ou d'autres du même genre étaient de P. Corneille,la difficulté serait vite aplanie. Puisqu'il est certain que Corneillen'a pas concouru à Rouen en 1633, on pourrait dire : c'est à Caen etnon à Rouen que ces stances ont été envoyées — Mais,encore une fois, il n'est pas possible de les attribuer à P. Corneille. Le problème est donc et restera longtemps, je le crains, insoluble. Il me semble impossible de ne pas admettre, — tant sont nettes lesallégations du recteur René Louet — que P. Corneille a concouru à Caen; mais, à moins d'un heureux hasard, sur lequel il n'est guère permisde compter, nous ne saurons pas de sitôt à quelle date le prince de latragédie française (Gallicae tragoediae facile princeps) a concouruet quelle pièce il a envoyée à notre Palinod. NOTES : (1) Lu au Congrès des Sociétés savantes, à la Sorbonne (avril 1886). (2) Le Jonas inconnu sèche dans la poussière (Sat. IX, 91). (3) « Virginis sine macula conceptae Podium, sanctissimum illud avitaeglorae monumentum, non nisi inani quodam et vacuo ritu celebratur. » (4) Trebutien, Caen, son histoire, etc., 3° édition, p. 283. (5) Le Prince du Puy était,, en 1640, Jacques Le Conte, marquis deNonant-[…] (6) Poètes, de deux syllabes. (7) Jacqueline Pascal avait, en réalité, quatorze ans. (8) Page XII. (9) Paris, E. Dentu, 1862, page VII. — Voici ces stances : Homme, qui que tu sois, regarde Ève et Marie, Et, comparant ta mère à celle du Sauveur, Vois laquelle des deux en est la plus chérie Et du Père Éternel gagne mieux la faveur. L'une à peine respire, et le voilà rebelle, L'autre en obéissance est sans comparaison ; L'une nous fait bannir, par l'antre on nous rappelle ; L'une apporte le mal, l'autre la guérison. L'une attire sur nous la nuit et la tempête, Et l'autre rend le calme et le jour aux mortels ; L'une cède au serpent, l'autre en brise la tête, Met à bas son empire et détruit ses autels !... L'une a toute sa race au démon asservie, L'autre rompt l'esclavage où furent ses ayeux ; Par l'une vient la mort et par l'autre la vie; L'une ouvre les enfers, et l'autre ouvre les cieux. Cette Ève, cependant, qui nous engage aux flammes, Au point qu'elle est formée, pst sans corruption, Et la Vierge, bénie entre toutes les femmes, Serait-elle moins pure en sa conception ? Non, non, n'en croyez rien, et tous, tant que nous sommes, Publiant le contraire à toute heure, en tout lieu, Ce que Dieu donne bien à la mère des hommes Ne le refusons pas à la Mère de Dieu, (10) Page VII. (11) Page 60, ou plutôt, (car il y a une faute d'impression,) page 82. (12) Il est bon d'ajouter que les Recueils palinodiques de Caen sontloin d'être complets. (13) M. E. Picot (Bibliogr. Cornélienne, p. 438, n°1199) dit, enparlant de M. Éd. Fournier : « Il attribue au poète six strophes quiauraient été composées, en 1633, pour l'Académie des Palinods ; maiscette attribution n'est accompagnée d'aucune preuve. » — Et, comme M.Marty-Laveaux, M. E. Picot n'ose pas attribuer à Corneille les stancespubliées par M. Éd. Fournier. » |