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GUILLEBERT-BEAUMARAIS, L.(18..-18..) : Etudesur quelques types de gallinacés (1882)
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (23.X.2018)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)

Orthographe etgraphie conservées.

Texte établi surl'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : Norm 850) de l'Annuaire des Cinq Départements de laNormandie, 45e année, 1882 publié à Caen par l'AssociationNormande chez Le Blanc-Hardel et à Rouen chez Méterie.


ÉTUDE


SUR

QUELQUES TYPES DE GALLINACÉS

Par M. L. GUILLEBERT

Membre de l'Association normande.
_____


I.

LA POULE COMMUNE.

M. R. G. de Junco a publié un article intitulé : De la Poule Commune,au sujet duquel nous le prions, en toute courtoisie, de vouloir biennous permettre quelques observations.

Et d'abord que désigne-t-il sous ce titre générique de Poule Commune? S'agit-il d'un sujet de faible ou de puissant volume au plumage fixeou varié, et lequel encore ? huppé comme les Crèvecœur, ou à tête lissecomme les Cochinchinois ? Dans quelle région le rencontre-t-on etcomment s'en procurer ? Une race qui posséderait les qualités, lesperfections disons le mot, que notre honorable interlocuteur attribue àla poule dite commune, serait merveilleux et il faudrait la propagervite en tous lieux ; pour notre part nous estimons qu'il faut enrabattre et de beaucoup. S'il prenait par hasard à M. de Juncol'aimable fantaisie de venir dans nos parages, un jour de marché, nouslui serions reconnaissant de nous faire toucher du doigt les méritesdes volatiles innommés, qui garnissent les paniers de nos fermières. Ily en a d'énormes, il y en a de frêles, il y en a des roux, des noirs,des gris, des blancs, des panachés, de toutes les nuances en un mot ;mais, dans ce tas, aucune fixité de type, de couleur, de forme ou detaille. Il est patent qu'aucune sélection n'a été opérée et que coqs etpoules ont été rassemblés au hasard, sans la moindre idée de progrès oud'amélioration de la race. Ce complet dédain, malheureusement tropnotoire, des gens de la campagne pour leur basse-cour semble-t-il à M.de Junco un nec plus ultra etpeut-il soutenir raisonnablement queles résultats en soient bons ? Essayez donc par exemple de convaincreles herbagers, qu'il serait supérieurement profitable d'obtenir desveaux ordinaires, sans se préoccuper principalement de l'origine ;qu'étant reconnu inutile de maintenir la race dans la pureté intégrale,l'on accepterait, à titre égal, les produits fortuitement issus desLandais et des Nivernais ? Eh bien ! ce que l'on appelle la poulecommune, n'est pas autre chose dans son genre et nous défions de luireconnaître un seul de ces mérites traditionnels, qui ne peuvent setransmettre que par l'hérédité.

Nous relevons, dans les aperçus mêmes de M. de Junco, la preuve denotre dire : « Ainsi, déclare-t-il, il n'est pas rare de voir lespoules ordinaires pondre 150 œufs et plus. La moyenne est de 100. »Nous contestons formellement que ce nombre de 150 soit jamais atteintet la moyenne de 100 se rapproche beaucoup plus de la réalité. Tantqu'au poids de l'œuf que M. de Junco porte à 60 grammes, cela n'a riend'extraordinaire, puisque les produits de la Campine ne sont guère endessous et que ce poids même est notablement dépassé chez les poules deBruges, de la Flèche, de Houdan, Espagnoles et de Crèvecœur dont lesmérites particuliers sont indiscutables. Au bout de l'année, le poidstotal obtenu n'est en résumé que de 6 kilogrammes, tandis qu'il arrive au double chez la Padoue, la Bréda,la Campine, etc. ; encore étantadmis que sa ponte n'aura pas été une seule fois interrompue par lessoins de la maternité.

Ceci nous ramène à une autre et très-importante question :l'incubation. Une seule race, la Campine argentée ne couve jamais ;d'autres, très-rarement, telles que la Padoue, la Crèvecœur, etc. ;enfin la Cochinchinoise et ses dérivées sont de véritables machines àcouver.

Dans quelle catégorie M. de Junco rangera-t-il la Poule commune ? dansaucune et pour cause. Depuis le temps qu'il se livre à l'élevage de sesvolailles de prédilection, il lui aura été donné de constater chezelles, en certaines années et sans qu'il puisse nous éclairer sur cephénomène inexplicable, une ardeur extrême à garder le nid ; dansd'autres, il lui aura été impossible d'obtenir réclusion d'un seulpoussin, pas une de ses poules n'ayant montré la plus légère propensionà couver. Dès lors quelle règle établir, quelle spéculationentreprendre, sur quelles données se basera la fermière ? Avec la poulecommune tout n'est-il pas forcément livré au hasard ? L'industriel’écartera donc de ses combinaisons.

En relatant, avec trop d'exactitude hélas ! les conditions déplorables,faites à la volaille, au point de vue de l'hygiène, de la propreté despoulaillers, des soins divers qu'elle réclame, M. de Junco affirme quela poule ordinaire réussit là où ne saurait tenir une poule de racepure. Regarderait-il comme non-avenues, les épidémies qui ont décimétant de basses-cours, ces dernières années ? Nul animal ne peutrésister à un certain degré de malpropreté, pas plus la poule communeque la poule de race ; et même, nous allons plus loin, à uneagglomération exagérée. C'est ainsi qu'en admirant sincèrement latrès-savante élude, publiée dans les n° du 1er au-15 décembre 1880,nous ne saurions admettre, avec l'auteur inconnu du poulailler, laréunion de 3,000, poules dans un même local. En pratique c'estd'ailleurs quasi-impossible, et, au point de vue si important de lasanté, de ces oiseaux, c'est, à notre humble avis, une erreur capitale.Moins grand est le nombre des volailles habitant sous le même toit,plus la surveillance et le bon ordre sont faciles ; d'autre part, lesmaladies sont à l'état d'exception et d'ailleurs aisément coupées dansle germe. C'est pourquoi, d'accord en cette circonstance avec l'éminentaviculteur de Bellevue, M. Garnot, nous sommes convaincu qu'unpoulailler, loin d'être apte à renfermer 3,000 sujets, n'en devraitjamais contenir plus du dixième au maximum. Encore serait-il prudentd'avoir à sa disposition une construction et un parc de rechange ; car,au bout de quatre ou cinq années au plus, une poulerie est fatalementempestée et devrait rester inhabitée environ un an, temps nécessairepour l'assainir convenablement.

Peut-être un jour nous étendrons-nous plus longuement sur cesconsidérations étrangères à l'article de M. R. G. de Junco auquel nousnous étions proposé de répondre uniquement.

Pour en revenir à notre point de départ et conclure, nous engageons leséleveurs, autant que les amateurs, à proscrire impitoyablement la poulecommune qui n'offre, en aucun cas, un produit assuré et la remplacerpar une race appropriée au climat, au sol et aux besoins locaux.

II.

LA COCHINCHINOISE.

La Cochinchinoise entr'autres, comme la Dinde, a l'inconvénient de brûler ses œufs, suivant lapittoresque expression des gens de lacampagne, si l'on ne prend certaines précautions durant l'incubation.Cette année même, avec une couveuse de cette race, je n'ai obtenu despoussins qu'au vingt-quatrième jour ; par exemple ils étaienttrès-vigoureux, ce que j'attribuerais volontiers à l'extrême fraîcheurdes œufs. Ce cas se présente au reste fréquemment dans l'incubationartificielle ; et je pourrais citer le nom de tel éleveur émérite, qui,au commencement de ce mois, n'a obtenu des éclosions qu'auvingt-sixième jour. Les poussins, très-faibles au début, ont rapidementchangé sous l'hydro-mère et acquis, eu quelques jours, une vigueurextraordinaire ; résultat dû, comme toujours, à la fraîcheur des œufsqui, en outre récoltés sur place, n'avaient pas eu à souffrir des chocsd'un voyage plus ou moins accidenté.

Divers moyens sont efficaces pour éviter l'asphyxie des embryons. Lacause première en revenant à la chaleur considérable développée par laCochinchinoise, (d'ailleurs si excellente couveuse et si utile auxamateurs, ne disposant que d'un étroit espace), on pourrait empêcherles accidents de ce genre, en laissant les œufs à l'air, au moins àdeux ou trois reprises dans la journée, plus ou moins longtemps, selonla température et la saison. Un quart d'heure le matin, cinq minutesvers midi, cinq autres minutes le soir suffisent généralement. Dans lesderniers jours de l'incubation, il est encore prudent de baigner lesœufs quelques instants dans de l'eau chauffée à 30° ou 35°. La coquilles'attendrit et le poussin a, par suite, moins de peine à briser sonenveloppe. Ces moyens m'ont réussi et permis d'utiliser laCochinchinoise qui se livre, aisément et sans le moindre préjudice, àdeux incubations suivies.

III.

LA CAMPINE ARGENTÉE A CRÊTE DOUBLE.

Nous nous proposons d'envisager la campine argentée, sous sesdifférents aspects de beauté, de rusticité, de finesse de chair et deproduit. Nous ne prétendons certes pas entreprendre une étude complètesur cette incomparable race ; notre but est plus modeste et nousn'apporterons ici que le résultat de nos propres observations, estimantqu'aucun effort ne doit être épargné pour propager ce qui est utile etbon, en un mot, aider à augmenter la richesse nationale. On se procure,avec combien de mal, des oiseaux de volière, plus ou moins beaux ; ondépense bien de l'argent pour leur entretien, tandis que l'on a, à saportée immédiate, un type d'élégance et de grâce : la poule campineargentée à crête double. Sou plumage crayonné, noir et blanc, est commepeint avec un art infini, et nous avouons la préférer de beaucoup aufaisan captif derrière un grillage métallique. Le délicieux plumage dela poule argentée se détache d'une façon charmante sur le vert-émeraudedes pelouses, et sa légèreté, sa vivacité la fait ressembler aux plusravissants oiseaux. A ce seul titre, cette race privilégiée feraitl'ornement de nos villas et remplacerait avantageusement la pintade,dont le cri perpétuel est si agaçant. Mais il faut l'envisager sous undouble point de vue autrement important : la rusticité et laproductivité.

Nous avions entendu parler des mérites exceptionnels de la campine et,sans les admettre en bloc, nous désirâmes en avoir le cœur net et enposséder dans notre basse-cour.

Découvrir des types purs, absolument irréprochables, est toujours chosemalaisée au commencement ; c'est pourquoi nous fîmes école, comme tantd'autres, en payant bon prix d'abominables animaux. Par bonheur, enparcourant cette Revue si essentiellement pratique, nous lûmes lesremarquables articles de M. Garnot sur le Poulailler, la Poule deHoudan, le Canard du Labrador,etc. Pour le coup, nous étions dansla bonne voie. M. Garnot est presque notre voisin, puisque noushabitons le même département, et nous le priâmes de vouloir bien nousexpédier des œufs, provenant de son admirable installation de Bellevue.

L'auteur distingué de l'étude sur les campines dorées cite en premièreligne M. Garnot, comme ayant acclimaté et fait apprécier en Francecette race d'élite. C'est, en effet, grâce à l'active et incessantepropagande de cet homme profondément instruit, éminemment loyal, que lacampine argentée se trouve répandue, à profusion et au plus grandprofit des cultivateurs, dans la Bretagne, la Vendée, l’Anjou, le Maineet une grande portion de la Normandie. La probité antique est sa règledans les transactions, et il a tout lieu de s'en féliciter, car, chezlui, les demandes affluent de tous les points de la France et del'étranger. Du reste, quand on a vu le parfait aménagement de sespoulaillers et de ses parcs, on s'avoue vaincu d'avance : l'imiter, oui; le dépasser, jamais. En saluant M. Garnot du titre de premieraviculteur de France, nous serons en parfaite communauté de sentimentsavec les nombreux lecteurs de ce journal, qui ont pu juger sonexpérience et sa science.

Voici l'extrait d'une lettre qu'il nous adressait au sujet de lacampine argentée :

« N'allez pas croire que, parce que j'ai mis deux cents poulesargentées à vendre, il s'ensuive que je ne veuille plus élever de cetterace merveilleuse au point de vue tout particulier de la fécondité. Jevoulais donner à quelques amateurs l'occasion de se procurer quelquesanimaux de choix, à un prix inférieur pour eux. Je conserve untrès-beau poulailler de reproducteurs et, dans deux mois l'incubateurva recommencer sa mission en couvantpour mes poules qui ne le fontjamais. C'est là un des triomphes Je cette race : elle ne couvejamais. Le volume des œufs est assez considérable pour que, surnosmarchés de Normandie, on les confonde avec les autres ; c'est vous direque leur grosseur est moyenne. Je ne connais aucune race capable delutter avec la campine pour le poids d'œufs pondus, par rapport à sonpropre poids. Vous avez pu juger vous-même de la rusticité de cetterace. Cette année, j'en ai eu la preuve. Des houdans, élevés et couvéspar le même incubateur en nombre égal des campines, ont tous péri,moins trois. Je n'ai pas perdu unseul poulet campine de sa bellemort. Le peu que je n'ai pu élever avait été victimed'accidents,pattes écrasées, etc. Je vous engage fortement à continuer et àpersévérer, vous ne trouverez pas mieux. J'ai essayé, j'ai expérimentétoutes les races, les unes après les autres ; j'ai comparé, j'ai étudiéd'aussi près que possible ces oiseaux et je me suis arrêté à lacampine. Sauf le poids, elle réunit comme viande toutes les qualitésque l'on peut désirer chez un animal de rapport. La chair est exquiseet véritablement d'une finesse extraordinaire. L'œuf est celui quipossède le jaune le plus fort (seule matière nutritive), relativement àson poids. Le climat de Bellevue, la température moyenne de toutel'année sont très-favorables aux races moyennes, à quelque ordrequ'elles appartiennent. J'ai remarqué que, généralement, toutesaugmentaient de taille. La race de la campine n'a pas échappé à cetteloi et mes sujets importés, que je possède encore, en sont bien lapreuve : ils sont un tiers moins gros et moins lourds que leursdescendants. »

En présence d'affirmations aussi catégoriques, le doute n'était paspermis et nous nous mîmes à l'œuvre, nous promettant d'exploiter notremodeste champ d'expérimentation et de tenir le public au courant de nosobservations, pour peu qu'elles nous parussent concluantes. L'heure estarrivée d'apporter notre faible contingent de lumière.

Le 1er juillet 1879, nous obtenions 24 poussins, en une même dated'éclosion, sur lesquels 4 sortis d'œufs, envoyés de Bellevue.L'incubation avait été opérée par une dinde, et, trois semaines aprèsleur naissance, nous lâchâmes mère et petits dans l'herbage, encomplète liberté. Qui ne se souvient de cette lugubre année, pendantlaquelle la pluie ne cessa de tomber ! Malgré ces conditionsdésastreuses, les quatre campines vinrent à merveille, tandis que nousperdîmes la moitié de leurs compagnons, issus de poules communes,parfaitement acclimatées dans le pays. Le fait était d'autant plusdigne de remarque, que les sujets, venus un peu tardivement, devaientoffrir infiniment moins de résistance, surtout étant donnée unetempérature aussi humide et froide. Preuve convaincante del'extraordinaire rusticité de cette race, véritablement précieuse entretoutes.

Oui n'a entendu parler des ravages causés, depuis un certain temps, parla diphtérie ? L'année 1880 a été particulièrement désastreuse, malgrésa sécheresse : à notre connaissance, plusieurs fermes des environs deValognes ont été littéralement dépeuplées de leurs volailles. Il fautbien avouer qu'à la campagne les poulaillers sont généralement aussimal tenus que possible, pleins de vermine qui ronge les poules,exhalant une puanteur intolérable. Il n'en est pas moins vrai que,jusqu'en ces derniers temps, ces malheureuses bêtes avaient réussi àvivre, tant bien que mal, dans ces déplorables conditions d'hygiène :jusqu'ici elles avaient échappé à ces fatales épidémies. Mais le fléaus'est abattu partout et les parcs les plus soigneusement entretenusn'ont pas été à l'abri de la contagion. Eh bien ! nous avons élevé plusde cent poussins cette année et pas un seul n'a succombé à cetteaffligeante maladie. Plusieurs, une demi-douzaine au plus, en ayantsubi les atteintes, nous leur appliquâmes un remède à base arsenicaleet réussîmes à les sauver. En dépit de tous nos soins, une superbepoulette, des couvées précoces, était arrivée au dernier degré dedécrépitude : nous lui fîmes avaler, chaque jour, une pilule dedioscoride (1 milligramme d'arsenic), et, à partir de ce moment, sonétat changea à vue d'œil. Au bout de deux semaines, elle étaitcomplètement guérie et, aujourd'hui, elle n'a rien à envier aux plussaines. De même pour les autres sujets ultérieurement atteints, chezlesquels nous coupâmes le mal au début.

Nous livrons la recette aux amateurs, tout en souhaitant qu'ils nesoient jamais contraints à en faire usage. En résumé, ces deuxdernières années, au milieu des conditions atmosphériques les plusdéfavorables et d'épidémies sans précédent, nous avons élevé descampines avec un plein succès. Il n'y a pas à le nier, les faits acquisétablissent que cette race est résistante entre toutes, et il n'en estpas une seconde qu'on puisse lui opposer pour la rusticité.

A cette qualité dominante, la poule argentée joint la facilité às'acclimater partout ; elle supporte également les ardeurs du midi etla bise du nord, vit dans les terrains les plus pauvres, tels que laprovince belge d'où elle tire son nom, et se rencontre de même dans lessols les plus riches. A l'instar de la charmante petite vache bretonne,au lait crémeux et au beurre exquis, on la voit, répandue sur tous lespoints du pays. Elle donne des produits, en raison de la nature et dela composition du sol, mais elle prospère partout.

Sa taille reste stationnaire ou s'accroît selon la région. Déjà nousavons pu vérifier, sur place, l'exactitude des assertions de M. Garnotet, ici même, nous avons constaté que le volume de la campine tend à sedévelopper. Nous sommes dans le voisinage du Cotentin, si réputé pourses gras pâturages qui nourrissent le plus beau bétail du monde.L'élevage du dindon entr'autres s'y pratique sur une large échelle et yréussit à merveille ; ce que l'on attribue à l'herbe dont la forcealimentaire préserve les dindonneaux de la mortalité du jeune âge. Lapoule, vaguant en liberté dans les prairies où elle picore à son gré,jouit d'une vigueur inconnue chez les volailles, habituellementrenfermées dans des parquets, si abondamment nourries soient-elles. Del'instant qu'elle peut becqueter quelques brins d'herbe, elles'approprie un mets dont les effets sont uniques, par cette raisontoute naturelle que c'est l'essence même du sol qu'elle s'assimile.Logiquement et par la force des choses, sans avoir recours à unentraînement bien savamment combiné, la campine atteindra dans notrepays un volume auquel elle ne saurait prétendre en Bretagne où dans lesLandes par exemple.

Une autre et très-précieuse qualité qui devrait faire adopterexclusivement la poule argentée, c'est qu'elle ne couve jamais, jamais.Depuis une quinzaine d'années, que M. Garnot s'occupe d'aviculture,avec un talent et un succès indéniables, jamais il n'a reconnu, dansses milliers d'élèves, une seule couveuse ; Il est du resteparfaitement avéré que c'est une propriété inhérente à la race.Aujourd'hui, grâce aux appareils d'incubation si perfectionnés, lapoule couveuse est devenue un embarras, une gêne, sans compter la perteconsidérable subie par l'interruption de la ponte. Et si la campine estune pondeuse émérite, une machine à œufs, selon une pittoresque ettrès-heureuse expression, qui empêche de la classer résolument aupremier rang ! Pourquoi ne pas suivre les conseils, basés sur unelongue expérience d'un praticien hors ligne, comme M. Garnot ? Telleest la question que nous allons traiter par des chiffres et des faitsprécis, n'empruntant rien à l'imagination.

Dans le tableau comparatif de M. A. Gobin , la campine occupe lapremière place, comme donnant le plus grand nombre d'œufs en un an :230, du poids moyeu de 50 gr., formant en total 11 kilog. 500 gr. Ilrésulte de celte évaluation même qu'aucune race ne peut lutter avecelle, sur le terrain de la productivité. Sans doute la poule espagnolearrive annuellement au poids de 18 kilog. 700 gr. avec 220 œufs ; mais,sa taille étant au moins double, cette variété exige moitié plus denourriture et par suite procure, en réalité, un moindre revenu. D'autrepart, elle est de complexion très-délicate et incapable de supporter latempérature du nord-ouest et du nord-est de la France. Le froid de noshivers lui étant fatal, il faut donc l'écarter pour défautd'acclimatation irrémédiable. Nos remarques seront analogues pour lesraces de Crèvecœur et de Padoue, excessivement fines comme chair,très-bonnes pondeuses, mais également dépourvues de rusticité. Noustrouvons ensuite, inférieures à la campine et de beaucoup, les races deHoudan, La Flèche, Cochinchine, Bruges et, tout en queue, l'espècecommune (c’est-à-dire n'appartenant à aucune race et ne pouvant êtreclassée, ni comme fixité de plumage, ni comme forme, ni comme taille,en un mot d'aucune sorte), donnant 100 œufs de 60 gr. chacun, soit 6kil. pour une année. D'après cette statistique, il reste formellementétabli que la poule campine, pond tous les jours, selon l'appellationanglaise, demeure en tête comme produit : cette raison nesuffirait-elle pas à la juger préférable à toute autre variété ?

M. A. Gobin , dans son savant traité, a pris judicieusement la moyenne,et-encore la moyenne faible. Nous ne l'en blâmerons point, parce qu'ilest toujours prudent d'abaisser la note des produits et forcer aucontraire la somme des pertes. Quoi qu'il en soit, il est patent qu'unecampine a pondu 300 œufs au Jardin d'Acclimatation en une seule année ;M. Garnot en a obtenu 280 à Bellevue. Ce sont des résultatsexceptionnels que nous ne saurions prendre pour base ; mais ils n'enprouvent pas moins, chez cette race, objet de soins attentifs etsuivis, une aptitude vraiment unique pour la ponte. La moyenne admisepar les éleveurs est 260, il y a unanimité sur ce point. D'autre part,le poids de l'œuf est réputé ne pas dépasser 50 gr. : à la Foulerienous en avons obtenu pesant 54 gr., d'une poule âgée de 15 mois, et lesplus légers ne descendaient pas au-dessous de 52 gr. Notre dire setrouve donc confirmé : dans la plaine du Cotentin, la campine auraittendance à développer sa taille et par suite le poids de ses œufs, sansque pour cela le rendement de ces derniers subisse une diminution.

Maintenant nous demandons au lecteur la permission de lui exposer lerésultat de nos observations.

Nous installâmes le plus joli couple dans un parquet séparé, uniquemoyen de nous livrer à une étude raisonnée et de recueillir desarguments précis. Nous avons donc suivi, jour par jour, les progrès deces volatiles, séquestrés dans un espace restreint et, pour éclairerchacun, nous n'avons qu'à relever les notes consignées sur notre agenda.

La poule commença à pondre le 29 janvier 1880 et, à partir de cettedate, nous inscrivîmes régulièrement le nombre d'œufs, obtenus jusqu'au10 octobre dernier : à cette époque nous dûmes faire une absenceprolongée, qui nous empêcha de continuer notre pointage. Dans ces huitmois et demi, nous avons ramassé 160 œufs, ainsi répartis :

2 en janvier.
20 en février.
24 en mars.
23 en avril.
21 en mai.
18 en juin.
12 en juillet, (interruption de 14 jours du 20 juillet au 2 août).
16 en août.
17 en septembre.
7 en octobre (jusqu'au 10 seulement).
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160 œufs. Total égal.

Il s'agit maintenant d'établir la balance et rechercher, qui, del'actif ou du passif, l'emporte à la date susdite, où la pondeuse étaitâgée d'un peu plus de 15 mois, autrement dit de 468 jours.

Pendant ce temps et en estimant la moyenne à un litre de sarrasin pour10 jours, il nous a fallu acheter 47 litres de grain, soit en chiffresronds un demi hectolitre pour la nourriture de cette poule. Par suited'une extrême cherté, il nous coûta 7 fr.

A Valognes, les dix premiers mois de 1880, le cours moyen des œufss'est tenu à 0 fr. 98 c. la douzaine ; soit, pour 160 œufs, la somme de12 fr. 75 c. En raison du volume moyen de ces œufs, mettons, y comprispour 1 fr. la valeur de la poudrette, un revenu brut de 10 fr. II resteun excédant de 3fr., donné par une campine à son quinzième mois d'âge ;l'anuée suivante, le bénéfice sera évidemment plus considérable, lesœufs devant être supérieurs en nombre et en poids. Et cela jusqu'à laquatrième année, époque de la mise en réforme des volailles.

Nous avouons ne connaître aucune race, offrant un pareil résultat, lapremière année de sa naissance. Mais ce n'est pas tout, ce couple s'estadmirablement développé et parfaitement reproduit. Dès le 1er avril,nous en obtenions des poussins et ainsi de suite jusqu'en juin, date denos dernières éclosions. Ici, non moins que chez nos amis, leurfertilité ne s'est point démentie et les œufs clairs ont étél'exception. Nous en avons cédé pour couver, même dans la fin d'août,et partout les poussins sont venus à charme, partout l'on s'est éprisde cette race d'élite. Au concours de l'Association normande dont lejury nous décerna le 1er prix, notre exposition attira nombred'amateurs qui ne cessaient d'admirer cette charmante race, jusqu'alorsinconnue dans nos parages. A l'enthousiasme qu'elles excitèrent, nouseussions facilement vendu, bon prix, vingt paires de campines, si nousles avions alors possédées.

Les sujets, issus de nos reproducteurs, se sont si bien comportésqu'une des poulettes s’est mise à pondre en septembre, âgée seulementde 5 mois. Le poids des œufs de ces campines de l'année varieentre 34et 46 gr.

Ces exemples sont probants et établissent péremptoirement que cetterace, supérieure à toutes, s'acclimate rapidement sous les latitudesles plus diverses, tend à conquérir le volume des espèces autochtoneset n'en conserve pas moins partout son étonnante productivité et sonincomparable rusticité. A ce propos on lisait, en mars, dans la Gazette des Campagnes, la notesuivante, émanant de M. l'abbé Guinard:

« Voici le produit de 5 poules de campine, âgées de 6 mois, au 6novembre 1879. Pendant le premier froid qui a été très-rigoureux, j'aieu un jour 5, le lendemain 4, le ; surlendemain 3 œufs, le quatrième 5.La moyenne a été de 4 œufs par jour. — Pendant le second froid, ellesprirent huit jours de vacances et depuis elles ont toujours pondu, enmoyenne, 4 œufs par jour. Jusqu'au beau temps chaque poule me donnerégulièrement 8 œufs en neuf jours. Leur habitation est si froide quel'eau tiède y était, en vingt minutes, changée en glace. Chaque poulene reçoit par jour qu'une poignée d'avoine. Aucune ne couve. Leur robeest charmante, etc., etc. .,

Nous pourrions citer bien d'autres témoignages aussi concluants ; maisà quoi bon donner à cette étude une longueur démesurée ? Notre butétait de prouver, par l'expérience et par les faits, que la campineargentée est non-seulement le plus gracieux des oiseaux de basse-cour,mais encore qu'elle donne mathématiquement un produit supérieur auxdépenses qu'elle occasionne ; et cela uniquement par le nombre des œufsvendus, non à des prix de fantaisie, mais à leur valeur vénale.Prenons, en effet, le cours moyen minimum des œufs à Paris ( suivantprovenances ) :

Normandie    132 fr. le mille, soit 1,584 la douz.
Brie               122——             1,464 —
Orne              120 ——             1,44 —
Bourgogne      106 -—                1,272 —
Bourbonnais    100 ——             1,20 —
Vendée           100 ——              1,20 -
Auvergne          96 ——             1,152 —
Bretagne           94 ——             1,138 —

Adoptons, pour point de repère, le prix le plus faible : 1,128 ladouzaine, coté pour les œufs, fournis par la Bretagne où la pouleargentée est universellement répandue. Diminuons, si vous le voulez,l'évaluation d'un tiers, en nous arrêtant à 0 fr. 75 c. la douzaine,cours le plus bas possible. Nous aurons alors un revenu brut de 12 à 15fr., selon qu'une campine aura pondu, dans l'année, 200 œufs, sonproduit habituel. La nourriture aura consisté en 40 litres de sarrasin,50 tout au plus, maximum qui ne saurait être dépassé sans préjudicepour la ponte ; trop grasse la campine donne un moins grand nombred'œufs.

Depuis dix-huit mois le blé noir est exceptionnellement cher ; au lieude 10 à 11 fr. l'hectolitre, il s'est communément vendu de 14 à 15 fr.,en grain de premier choix. C'est donc une dépense de 7 à 8 fr., aumaximum, pour la nourriture annuelle d'une poule qui procurera unbénéfice, variant de 4 à 7 fr. Toutes déceptions prévues, minimumd'œufs, minimum des prix de vente, maximum des prix d'achat dusarrasin, ce dernier peut être régulièrement estimé à 5 fr. par tête, ycompris 1 fr. de poudrette.

Et les pertes ? vous objectera-t-on ; et les épidémies ? — Nousrépondrons qu'il est de ces accidents, de ces désastres que l'homme nepeut ni prévoir, ni empêcher : Dieu merci ! ils sont très-rares,passagers, et ne peuvent fournir matière à argument. Celui qui aspireau moins de mécomptes possible en élevage doit s'en occuper lui-même etposséder certaines connaissances usuelles, qu'il n'est pas facile derencontrer chez les domestiques : il faut, en un mot, avoir l'amour dela chose. Que l'on se fasse aider, que l'on préside simplement à ladirection, rien de mieux ; mais que l'on veille sans cesse. Autrementles poulaillers seront abandonnés à leur infection, l'eau ne sera pointrenouvelée, la nourriture ne sera pas rationnée, les malades ne serontpas séquestrés à l’infirmerie, les poussins seront dévorés la nuit parles rats faute d'une trappe baissée, quelles misères encore ? Le nombreen est plus que suffisant pour amener, à bref délai, une dévastationcomplète. C'est ainsi que, pendant une absence prolongée, un de nosamis a trouvé, disparus à son retour, une cinquantaine de poulets bonsà envoyer : perte sèche, ou renouvellement de la bassecour compromis.

Pour conclure, habitez-vous la campagne, ou les faubourgs d'une ville ?aimez-vous, autour de vous, les allées et venues perpétuelles de lagent ailée ? Ne vous privez pas d'une satisfaction propre à charmer vosheures de loisir ; mais choisissez une race excellente à tous égards,la campine argentée, de toutes la plus jolie, la plus facile àacclimater et la plus productive, vous aurez un champ d'observationsintéressantes, une occupation agréable, et, en fin de compte, votredistraction ne coûtera rien à votre bourse, au contraire, ce qui estappréciable par le temps qui court.