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DUBOIS, Louis (1773-1855) : Cérémonies des mariages dans lapartie occidentale du département de l'Orne(1826).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (02.VI.2007).
Relecture : A. Guézou.
Adresse: Médiathèque AndréMalraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées. 
Article extrait des Archives annuelles de la Normandie, historiques, monumentales, littéraires et artistiques. vol. 2, publiées à  Caen par Mancel en 1826 [pp. 363-378]. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 558/2). 


Cérémoniesdes mariages
dans la partie occidentale dudépartement de l'Orne
par
Louis Du Bois

~*~

C’ESTordinairement une veuve vieille et pauvre qui, comme au Groenland, secharge de faire les propositions de mariage. Celle qui est revêtue decette espèce de magistrature, l’entremetteuse active de ces sortes demarchés, s’appelle Badochet ou Diolevert. Dans nos campagnes ainsi quepartout, un intérêt sordide préside presque toujours à cette union sisainte, si pure et si belle, quand elle est le fruit de l’estime, de lasympathie et de l’amour ; quand cette chaste alliance des coeurs est larécompense des vertus et le prix du mérite ; quand elle est vraiment unmariage et non pas le rapprochement hétérogène de deux êtres sansrapports, ou l’ignoble vente de l’indigence à la richesse, ou la simpleconformité établie par l’équilibre du trébuchet de Plutus. Mais hélas !depuis long-temps

   Amour est mort….. le pauvre compagnon
   Fut enterré sur les bords du Lignon.

LeBadochet négocie avec plus ou moins d’intelligence et de bonne foi lesmariages de sa commune. Ce plénipotentiaire féminin, cette vieille, vatrouver un jeune homme ou une jeune fille ; elle fait valoir toutes lesbonnes raisons qu’elle peut trouver, le rapport des caractères, qu’ellen’a guère étudiés, la bonne conduite réelle ou supposée, l’avantage dela fortune, qu’elle connaît à peine, la conformité de l’âge, qui n’estpas toujours chez les filles d’accord avec l’extrait baptistaire,enfin, les réalités, les fictions, et tout ce que l’imagination etl’éloquence rustiques peuvent suggérer de plus engageant à la langue laplus active. Si ces choses conviennent, la bonne vieille, toujoursofficieuse, procure aux jeunes gens quelque tête-à-tête décent chez unde leurs parens. Le jeune homme paie à boire ; l’entrevue a lieu. Sielle paraît de bon augure, on invite le père, la mère, ou les proches,à se trouver à l’auberge, parce que le demandant ne peut pas sepermettre d’aller chez la jeune fille avant d’avoir obtenu l’insignefaveur qu’on appelle l’Entrée de la Maison. Le jour fortuné où ilreçoit cette grâce se nomme en langue vulgaire la Bienvenue ou lesVenantises. Alors on traite réellement le chapitre du mariage, comme onfait le marché d’un boeuf ou d’un meuble. C’est alors qu’on dit commequoi les partis sont sortables ; comme quoi le jeune homme travaillebien et n’est point ivrogne ; comme quoi la jeune paysanne estlaborieuse et n’endure point trop patiemment les propos et lesgoguettes des endormeurs de filles. Non seulement la galanterie ne setrouve pas à cette réunion, dont les résultats peuvent devenir siimportans, mais la simple urbanité s’enfuit, mais encore l’impolitessela plus grossière y est souvent portée jusqu’à l’exagération. « Allons! dit le jeune prétendant de celle qu’il recherche en mariage, allons !il faut bien que vous donniez encore quelque chose. Elle est bienlaide, au moins, votre fille ; bonne-dà ! elle n’est guère de débit,voyez vous ! Ah ça ! il me faut encore quelque chose ; il me faut tant,et rien de moins ; je n’en rabattrai rien : sinon c’est un marchémanqué. » Après ces complimens et quelques civilités de ce genre, lesparens, de leur côté, vantent leur marchandise ; on fait l’éloge de lafille ; elle travaille bien ; elle n’est pas trop laide ; elle abeaucoup de conduite, dieu merci ; elle n’est ni raisonneuse, nibabillarde, ni dépensière ; elle n’aime pas, grâce à Dieu, à prêterl’oreille aux galans ; en un mot comme en cent, c’est une fille d’or ;et, pour terminer l’apologie par une démonstration probante, les parensarment d’une bêche la jeune fille. Il faut la voir alors travailler aujardinage et tâcher de prouver son activité et sa force. A partir dujour qu’une fille a été demandé en mariage ou bien a l’espoir d’êtrerecherchée, ce n’est plus tout la même personne : la babillarde devientcirconspecte ; la paresseuse se trouve active et empressée ; elle estforte, sobre, modeste, laborieuse ; elle se rengorge ; elle fait labelle ; elle pince les lèvres ; elle baisse les yeux ; elle enchaîne salangue ; elle adoucit sa voix ; elle devient même, s’il le faut,engageante, officieuse, enjouée. C’est alors que brillent les plusbeaux atours, que la figure et les mains sont soigneusement décrassées,et c’est beaucoup assurément. De la veille d’une demande en mariage aulendemain de cette intéressante mission, il ne s’est écoulé quequelques heures ; eh bien ! ce peu de temps suffit pour opérer degrandes métamorphoses : tant est naturel le désir qui porte un sexevers l’autre ; tant est grande l’envie de secouer le joug de lapuissance paternelle, la plus douce pourtant de toutes les dépendances,puisque son empire est toute protection et bienveillance ; tant estforte la volonté de s’affranchir d’un joug quelconque, pour en prendreun autre qui peut être plus pesant, mais qu’on ne connaît pas encore,dont on ne voit que les charmes, et dont on aime à se déguiser lesinconvéniens !

Enfin, après de longs débats,ordinairement l’affaire est terminée à la satisfaction réciproque desjeunes gens. L’accord verbal de s’épouser se nomme les Bonnes-Paroles.On fixe le jour du contrat et celui de la bénédiction nuptiale àl’église. Dans plusieurs cantons, on appelle se faire enregistrer,passer l’acte de mariage devant l’officier civil ; on ne regarde commemariage que la bénédiction nuptiale. Etrange erreur, qui, comme toutesles erreurs, peut avoir des suites funestes ! Il y a des mariés qui,après l’Enregistrement, retardent le mariage de plusieurs mois ; qui,dans cet intervalle, cessent de se plaire, et s’exposent, en cas d’unnouveau mariage sans séparation préalable, au cas pendable dela polygamie,qui n’a pas cessé d’être un crime punissable par les fers.

Laveille du mariage à l’église, les parens de la future (ce sont deshommes) viennent avec une charrette chercher son trousseau. Le harnaisest tout décoré ; les chevaux et les boeufs sont ornés de rubans etmarchent gravement : un violon annonce leur arrivée. Au moment dudépart du trousseau, le ménétrier estropie l’air d’une contredanse, etles assistans se mettent à gigotter de leur mieux. Après cettecérémonie réjouissante, le cortége se met en marche, précédé du violon,qui ne cesse de sonner(c’est là l’expression), devancé par une soeur ou une parente, ousimplement par la couturière de la future. Cette fille accompagne doncà pied le trousseau de son amie ; elle est munie de quelques paquetsd’épingles qu’elle distribue une à une aux curieux qui se présententdevant elle. Les épingles sont offertes de fort bonne grâce ; et, àmoins d’être tout à fait incivil, on ne peut les refuser. On assuremême qu’elles portent chance aux jeunes filles qui les reçoivent enprésent, et qu’elles leur font trouver un mari dans un bref délai. EtDieu sait si l’on fait queue pour obtenir une épingle de si bon augure! Ceux et celles qui reçoivent les épingles embrassent toujours cellequi les offre, soit la veille du mariage, soit le jour même de cettefête, jour auquel elles sont présentées par la nouvelle mariée enpersonne. Dans quelques cantons, la nouvelle mariée va offrir elle-mêmeun millier d’épingles, décoré de rubans, aux personnes qu’elleconsidère, et qui doivent en revanche lui faire don d’une bellequenouillée.

Le jour de la noce est enfin arrivé. Ilparaît enfin, ce jour qui doit récompenser la bonne conduite, qui doitunir à jamais sans doute les coeurs faits pour s’aimer, qui doit mettrel’amour et la faiblesse sous l’empire tutélaire de la force et del’amour. Il luit enfin ce jour si riche d’espoir, si fécond en bellesapparences, si redoutable et si flatteur pour le coeur qui palpite, sifavorable aux désirs qui vont être comblés, si long-temps attendu, etque pourtant on ne voit pas sans quelque inquiétude.

Lesfilles de la maison, lorsqu’il y en a, ou des parentes, ou même desamies, habillent la nouvelle mariée avec ses plus beaux atours. Onattache derrière son bonnet une petite couronne. Les veuves quiconvolent n’ont plus évidemment de virginité, et par conséquent pas decouronne. Le jeune épouse arrive aussitôt que la décence lui permet dese présenter ; il accourt, accompagné de ses parens, revêtu de seshabits les plus éclatans, et portant au côté les fleurs de la saison.

Lescoups de fusil se font entendre, le ménétrier se surpasse, la gaîtébrille sur tous les fronts des assistans, et le cortége se met enmarche pour l’église du lieu. Montées sur des chevaux, quand la fortunele permet, les parentes de la jeune fille défilent deux à deux ; ellemonte en croupe derrière un de ses parens, et tout le monde arriveensemble à l’église. Les époux descendent de cheval, et le cortége serange à la porte du temple rustique pour laisser entrer la nouvellemariée, qui s’avance appuyée sur la main gauche de celui quil’accompagne depuis la maison paternelle. Lorsque le prêtre est arrivé,le jeune homme va chercher sa fiancée. Les deux époux se placent aumilieu de l’église, sous un crucifix qui est ordinairement attaché à lavoûte. C’est là que le prêtre donne la bénédiction nuptiale ; de-là lesépoux suivent le prêtre au maître-autel, où il leur récite l’évangile.On remet un cierge à chacun des époux ; deux personnes tiennent unenappe blanche étendue derrière eux en forme de tapisserie. Alorsl’époux présente la main gauche à son épouse ; il la conduit à l’autelde la Vierge, sur lequel  ils déposent leurs cierges, etrécitent quelques prières à voix basse. Ensuite le parent qui avaitaccompagné la nouvelle mariée, la conduit hors de l’église. De là on vadéjeûner gaîment.

          Le dîner vient. La délicate chère !

Ledîner est un fort grand repas composé en majeure partie des présens desconvives, qui sont reçus fort poliment à mesure qu’ils arrivent. Uncuisinier en grand costume est là, coiffé d’un bonnet de cotond’étiquette, en veste de cérémonie, couvert d’une serviette ou d’untorchon en place de tablier de cuisine.

On tenddevant la porte ce qu’on appelle des Barricades : ce sont des rubansauxquels on attache des fleurs, des chapelets, des petites couronnes,et qui semblent défendre l’entrée de la maison à la nouvelle mariée,mais qui réellement ne sont qu’une attention délicate. Elle franchitces obstacles, distribue libéralement les épingles qui attachaient lesbarrières de rubans et les colifichets qui y étaient joints, etparvient triomphalement au logis de son mari. Ces barricades et cettepetite scène offrent l’allégorie du bonheur d’une épouse qui, malgréles embûches de l’envie, est parvenue au terme de ses désirs enobtenant un époux.

Le nouveau marié va au-devant desa femme triomphante, la reçoit et l’embrasse, il embrasse égalementles nouvelles parentes qu’il vient d’acquérir. Le cuisinier remet àl’épouse trois pains qu’elle distribue aux pauvres, qui, pendant lerepas, reçoivent encore des potages. La cérémonie des noces est poureux un acte solennel d’une bienfesance touchante. Deux cents pauvresquelquefois assistent à une noce et y sont copieusement nourris. Ilsemble que tout, dans ce jour de fête, doit participer à l’allégressedes convives et des époux : en effet, la félicité qu’on partage endevient et plus pure et plus douce.

Le mari se rendà la cuisine. Ce jour est pour lui un jour de corvée par laquelle ilfaut bien qu’il mérite son bonheur : il doit servir tous les conviveset partager avec le cuisinier les fatigues de la cérémonie.

Troistables sont dressées ; et couvertes de linge blanc, rapprochées parleurs extrémités, elles forment le fer à cheval : là, sont entassés,pour ainsi dire, les bouillis, les fricassées, les ragoûts et lesrôtis, le boeuf nourrissant, le mouton aux sucs échauffans, le porcsavoureux et surchargé d’un lard épais, le gâteau brûlant de sel et depoivre, les oiseaux de basse-cour assez mal assaisonnés quand ils nesont pas rôtis, peu de légumes, mais des viandes en quantité, du beurresalé, des pains de seigle, de blé ou de sarrasin, du poiré acidule, ducidre médiocre, du vin blanc et capiteux, et de l’eau-de-vie, l’ardenteeau-de-vie au goût d’empyreume. Tel est le menu d’un repas de noceschez les villageois opulens. Au centre du fer à cheval, est placéecomme un trône la chaise destinée à la nouvelle épouse : cette chaiseest couverte de linge blanc et ornée de trois bouquets de fleurs ; undrap blanc forme une tapisserie derrière ce trône modeste et si souventlorgné d’un oeil d’envie par les jeunes filles de l’assemblée.

Lesplus illustres convives sont placés auprès de Madame La Mariée.

Lorsquele dîner est fini, on se met à danser sans mesure et sans fin ; puis lecuisinier et le joueur de violon conduisent Madame La Mariée chez sesnouveaux voisins, afin qu’elle leur fasse sa visite et leur présentedes épingles. A son retour, on place deux chaises l’une auprès del’autre : on y fait asseoir les époux. On danse autour d’eux, puischaque convive leur fait présent de sa quenouillée. Cette quenouilléen’est autre chose que le don d’une quenouille, ou bien de lin, dechanvre, de toile, de vin, d’argent même, de vaisselle d’étain etd’autres objets plus ou moins chers, suivant la générosité ou lafortune des conviés. Chacun danse, en tenant à la main son présent : cequi offre un spectacle assez divertissant. Cet usage de porter des donsaux nouveaux mariés existe aussi en Angleterre, dans le Pays de Galles.

Lesparens du marié portent en pompe et promènent solennellement la jeuneépouse dans la chaise où elle est assise. Le violon ne cesse de fairemerveille ; les assistans chantent la vieille chanson qui commence parces vers :

       Sur les ponts d’Avignon
       J’ai vu chanter la belle, etc.

Joignezà cet interminable brouhaha le bruit et l’odeur des coups de pistoletqu’on tire presque continuellement dans l’appartement et dans la cour.

Aprèsle dîner, les Momons (*) se présentent : ce sont des farceurs déguisés,masques fort grotesques, et montés sur des chevaux de bois qu’ilsappellent des Bidoches, et qu’ils font caracoler, pour faire rirel’assemblée. Les Follets, autre espèce de farceurs, les accompagnentvêtus en bergers du bel air, et décorés de rubans.

Surles cinq heures du soir, on se remet à table ; on mange, on danse ; onmange encore, puis on danse de nouveau. C’est le cuisinier qui danse lapremière contredanse avec la mariée ; le mari danse la seconde, puis ilconfie sa femme aux autres danseurs, qui se disputent l’honneur defaire danser Madame La Mariée. Vers huit à neuf heures du soir, lesRéveilleurs arrivent : ce sont les jeunes garçons du voisinage. Onferme alors les portes, et on se met à détonner à qui mieux mieux, etle plus haut qu’on peut, la fameuse chanson qui revient si souvent :

       Sur les ponts d’Avignon, etc.

LesRéveilleurs sont amplement régalés de cidre et de poiré ; quant auxalimens solides, il n’y faut pas songer, un Réveilleur est trop bienappris pour se permettre de manger à cette cérémonie ; l’usage luiprescrit de boire seulement, et Dieu sait quel déshonneur ilmériterait, et, qui pis est, quels coups de bâton lui seraientdistribués sur l’omoplate, s’il enfreignait la législationtoute-puissante des usages du pays. A dix heures du soir, le cinquièmeou sixième acte du repas commence. C’est alors qu’on sert le moutonrôti, et qu’on danse ; après minuit, viennent les oies rôties etsavoureuses, la brûlante eau-de-vie et puis la danse encore ; car, sil’on mange pour avoir la force de danser, on danse afin de recouvrerassez d’appétit pour manger.

Le jour arrive, et àneuf heures du matin on sert le déjeuner, composé de beurre et defromage ; puis enfin la bande, gorgée d’alimens, exténuée de fatigue,accablée de sommeil, et toute en proie aux fumées des boissons, sesépare avec peine et se disperse à regret.

Voici letour du mari. Il redevient le maître de la maison. Le premier usagequ’il fait de son pouvoir reconquis, est pour prier de passer lajournée chez lui ceux qui lui plaisent davantage ; et le soir, sur leminuit, les époux sont livrés à eux-mêmes.

Souvent,dès le premier soir des noces, lorsqu’on présume que les nouveauxmariés pourraient se retirer de la société pour aller au lit nuptial,quelques malins dérobent l’épouse, que le mari cherche en vain, qu’ilne retrouve qu’avec beaucoup de peine et après de longues recherches.Souvent aussi, de son propre mouvement, Madame La Mariée se cache pourdéfendre sa virginité menacée, et pour donner de sa pudeur une opinionavantageuse.

Plusieurs nouvelles mariées, comme nousl’avons dit, portent sur le fond de leur coiffure un ornement composéd’un petit miroir entouré de fil d’argent tressé, de rubans et depaillettes. Ce colifichet, qu’on nomme une couronne, est un emblêmevirginal dont les jeunes filles ont un soin empressé de se parer pourfermer la bouche aux mauvais plaisans, prouver qu’elles ont été sages,et qu’elles sont à l’abri des soupçons et des quolibets.

N’oublionspas de dire que les mariés qui se piquent de dévotion et de savoirvivre, ne se croient véritablement époux que la troisième nuit après lemariage, et qu’ils craindraient de commettre un énorme péché s’ilshabitaient ensemble avant cette époque. Préjugé ridicule et stupide quia pour base une idée de perfection ! Dans un roman charmant, Sauvignyretrace en ces termes cet usage de nos pères (c’est Pierre qui parle) :

«Et puis voyant encore qu’elle ne répondait, me mis à lui dire : Sitoutefois, ô mon cher ange, mes amoureuses tendresses font répugnance àvotre trop grande chasteté, bien que ne soit de l’intérêt de mon amourd’obéir à vos commandemens, le vas pourtant faire !... Oui, dites celaque vous voulez…. J’avoue qu’il est d’un saint usage que soient lesépoux trois nuits en oraisons, l’un près l’autre, avant qu’avoirensemble nulles privotés. Eh bien ! m’amie, soit fait si ce vous plaît.Or donc, faut que je sache là où est le briquet, j’allumerai un ciergeà votre prie-dieu, et verrez, par-là, combien est pur et non intéressél’amour que je vous porte ! Parlez donc voir, m’amie, et je le vas vousaller chercher tout de suite. Là-dessus je voulais me lever, mais elleme retint doucement, me passant les bras à l’entour de mon col. »

Onse réunit encore le dimanche qui suit la noce, pour danser de nouveauen l’honneur des époux. Cela s’appelle Fouetter le chat.

Aprèsce dernier gala, les époux sont vraiment maîtres chez eux. Le bonheurdomestique, enfant du calme et du contentement, succède à ces bruyantescohues, qu’on est convenu d’appeler des fêtes, et la mariée n’a plusqu’à endurer patiemment quelques mauvaises plaisanteries sans sel commesans ménagement, qui font rougir la pudeur, et auxquelles elle répondquelquefois en baissant les yeux, plus souvent par des propos assezénergiques qui prouvent que la sphère de ses connaissances et de sahardiesse s’est passablement étendue. Les époux se querellent ensuite ;on se cogne pour passer le temps, et pour convaincre, puis on seraccommode. Le mari devient souvent ivrogne et brutal ; la pauvreépouse est surchargée d’enfans et de misère ; et, pour combler desmalheurs qui rappellent trop souvent les démêlés du Sganarelle deMolière, leur grossièreté ne connaît pas les charmes naïfs du baiser,ni ces expressions délicates que trouve la tendresse, et dont elle sesert pour essayer de rendre, malgré l’indigence des mots, une partie deces sentimens qui abondent dans une âme aimante et vive.

LOUIS DUBOIS.

(*) Le Mumming du nord del’Angleterre, le Mummer allemand ont quelque rapport avec le Momon dontil s’agit ici ; la Druschka, espèce de bouffon que l’on appelle àtoutes les noces des Russes, remplissent à-peu-près les mêmes fonctions.