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DUBOSC, Georges (1854-1927) :  Les Cheveux « à laJeanne d’Arc » (1924).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la Médiathèque AndréMalraux de Lisieux (25.VI.2004)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de lamédiathèque des Chroniques du Journal de Rouen dudimanche 10 août 1924.
 
Les Cheveux« à la Jeanne d’Arc »
par
Georges Dubosc

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Par un de ses caprices,toujours ordonnés et suivis, la mode aimposé, depuis quelque temps, aux jeunes femmes, de porter lescheveux courts. La plupart se soumettent à cette mode soit parsnobisme, soit parce qu’elle est plus commode et plus pratique et exigemoins de soins et de préparations que les coiffurescompliquées auxquelles se prêtaient les cheveux longs.

La nouvelle mode doit être séduisante, puisque dans uneannonce publiée ici même, une jeune fille faisant valoirses qualités physiques et morales, ajoutait : « yeuxbleus, cheveux coupés». Ces cheveux raccourcis taillésen rond, on leur a donné un nom qui les féminise un peu :ce sont les « cheveux à la Jeanne d’Arc ». C’estvivement dit, mais il faudrait un peu savoir comment et pourquoi Jeanned’Arc a porté les cheveux courts, quelles causes l’ontamenée à adopter cette coiffure. Les cheveux de Jeanned’Arc ne sont pas les cheveux « à la Jeanne d’Arc ».Du reste, ce port des cheveux courts par l’héroïne aété une des causes principales de son martyre et un desgriefs qui l’ont conduite à la mort. Il est peut-êtreutile de le rappeler.

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A part le temps de sapremière enfance, passée auxchamps, où, comme toutes les fillettes de ce temps, Jeanne d’Arcportait des cheveux longs, flottants sur le dos, ou des cheveuxnattés, pendant toute sa vie guerrière, Jeanne aporté les cheveux courts, taillés en rond, comme lesportent actuellement les jeunes femmes et les enfants.

Quand Robert de Baudricourt, gouverneur de Vaucouleurs, aautorisé son départ, Jeanne d’Arc, qui a pris l’habitd’homme, porte les cheveux courts. La requête du promoteur JeanLemaître, au Procès decondamnation rapporte que Robertde Baudricourt, bien qu’avec « une grande abomination »,luiaccorda la permission d’abandonner l’habit de femme : « Ayantcoupé ses cheveux en rond, à la mode des muguets, et prisun chapel…, elle s’habilla et s’arma. » Rejecto et relicto omnihabitu muliebri, tonsis capillis in rotondum, ad modum mangonum…,capucio deciso… se incluit et armavit. (Procès, T. I. 221).

Sans prévoir dès à présent la vie des campset des chevauchées qu’elle allait mener, Jeanne d’Arc, rien quepour se rendre de Vaucouleurs à Chinon, devait adopter unefaçon très simple d’accommoder sa chevelure. Chevauchantavec les hommes de son escorte, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy etleurs servants Jean de Honecourt, le messager du roi Colet de Vienne etl’archer Richard, elle devait avoir la même tenue qu’eux, pour nepas se faire remarquer et être prise pour un jeune page. C’estpourquoi elle dut faire couper ses cheveux par le barbier de la petiteville, ou peut-être par quelques-une de ses compagnesamusées, comme son amie Mangette.

Aussi bien, cette coupe en rond, ensébile, dégageantles oreilles et le cou resté complètement nu,était… à la mode. Quicherat, dans son Histoire ducostume (p. 256), indique que vers le commencement du XVesiècle, vers 1420, on se mit, chez les hommes, à porterles cheveux aplatis sur le crâne et coupés en forme decalotte. Le barbier, dit-il, rasait l’occiput et les tempes, enmême temps qu’il accommodait le visage sur lequel aucun poil debarbe n’était laissé ; d’autre part, les cheveuxétaient coupés droit sur le front, au-dessus dessourcils, en frange, mode qui revint de nos jours, vers 1880, sous lenom de « cheveux à la chien ». Ces cheveuxcoupés en sébille,furent d’abord adoptés parles jeunes valets, les mangonescités par l’inquisiteur JeanLemaître, puis par les pages, les jouvenceaux, les damoiseaux dela bourgeoisie, et les pères furent ensuiteentraînés par les fils. Un cordelier qui prêchaitsouvent sur les variations de la mode, disait que les hommes d’armesdevaient se tremper la tête souvent dans l’eau chaude et avec unrasoir se faire souvent couper les cheveux « car ils ne fontà la tête que nuisement ». « Ils engendrentordures, disait-il, et son cause de plusieurs maladies ».

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Toujours est-il que quandJeanne d’Arc se présenta àChinon, devant la Cour et le Roi, pour lui remettre la lettre deBaudricourt, elle était en cheveux courts. Une des gravures surbois de l’édition de 1487 des Vigilesdu roi Charles VII, deMartial d’Auvergne, représente fort bien Jeanne, en costumed’homme, nue tête, un genou en terre, les cheveux courts, ettenant en main un chapeau . Il est, du reste, fait mention de ceschapeaux de Jeanne d’Arc, en plusieurs pièces du Procèsde condamnation. Tout d’abord, dans la Requête duPromoteur,où il est dit qu’elle avait « sur la tête desbonnetsou des chapeaux » etiam incapite capellos seu pileos.(Procès. T. I. p. 224)et en un autre article de la mêmeRequête, où il est dit qu’elle portait un chaperon court, capucio deciso. On connaîtaussi le petit chapeau couvert desatin bleu, chapeau d’apparat, avec quatre rebras, brodés d’oravec des fleurs de lys d’or suspendues, que Jeanne d’Arc aurait offertà Jacques Boucher, trésorier du duchéd’Orléans. On sait que d’après une traditionorléanaise, il fut conservé chez les Oratoriens, puischez Mme de Saint-Hilaire où des bandes révolutionnaires,conduites par Léonard Bourdon, en septembre 1792, s’enemparèrent et le détruisirent par le feu.

Vignaud-Romagnesi, dans ses Notessur le chapeau de Jeanne d’Arc, aconté l’histoire de cette curieuse coiffure que nous avonscomparée avec une figurine semblable, sculptée en formede médaillon, sur la porte en bois de la cathédrale deRouen, s’ouvrant sur la cour des librairies. En dehors de ce chapeau,Jeanne d’Arc, qui était somptueuseen vêtements - et onlui en fera un crime – possédait d’autres coiffures. En tenue decombat, coiffée du heaume, de la capeline de fer, elle portaitsouvent par-dessus, une sorte de capuchon ou gonelle rouge,déchiquetée, fendue sur le devant et laissantapparaître le visage dans une ouverture appelée visagère. C’était unesorte de capuce rouge commecelui des enfants de choeur et des petits chanteurs de lamaîtrisede la cathédrale de Rouen portant les cheveux absolument tondus,tradition qui se perpétua jusqu’en 1830. Du reste, ce capucequ’ils portent encore, était une fondation du chanoine GillesDeschamps, faite à l’époque de Jeanne d’Arc, en 1427.

Le chanoine avait voulu, en fournissant aux enfants « ces bonsbonnets de laine, de couleur vermeille, eschiver aux froidures du tempsd’hiver ». On peut voir Jeanne d’Arc ainsi figurée, aveccette gonelle dans la Tapisserie du Muséehistoriqued’Orléans, acquise à Lucerne, et dans une peinture de sontemps. A citer aussi la miniature du Championdes Dames, de 1440,d’un contemporain, Martin Le Franc, prévôt de laCathédrale de Lausanne, où Jeanne estreprésentée avec un chapeau de feutre, une sorte dechapeau haut de forme, aux poils hérissés et àpetits bords.

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Il est bien certain que, pourles hommes, la mode des cheveux courtsétait générale dans les premièresannées du XVe siècle, et qu’on en trouve de trèsnombreux exemples, comme dans la miniature du British Museumoù le duc de Bedfort, apparaît les cheveux courts, le couresté complètement nu et dégagé, et dans lastatue de Charles d’Artois, dans la crypte funéraire del’église d’Eu. Mais il en est autrement pour les femmes. C’estune faute très grave, un véritable péchémortel, sur lequel on basera toute l’apostasie de Jeanne d’Arc. Dans saseconde délibération sur ce cas, la Faculté dedécret de l’Université de Paris dira : « Item queladite femme est apostate, parce que la chevelure que Dieu lui donnacomme un voile, quam sibi Deus deditad velamen, elle s’est faitcouper dans un mauvais dessein, maloproposito sibi amputari fecit(Procès T. 1., p. 147).C’est un des griefs principaux contreelle, qui sera porté dans l’article XII et XIII de l’Acted’accusation. L’accusateur considère ce fait de porter les cheveux courts comme une atteinteà« l’honnêteté du sexe féminin, interdit parlaloi divine, abominable à Dieu et aux hommes et interdit par lessanctions ecclésiastiques, sous peine d’anathème. »(Procès T. 1, p. 223)On retrouve encore ce grief des cheveuxcourts, soulevé contre Jeanne jusque dans laprétendueformule d’abjuration du Cimetière Saint-Ouen, où elle seserait repentie d’avoir porté un habit contre la décenceet « les cheveux coupés en rond, comme les hommes, contretoute honnêteté du sexe féminin, capitos tonsos inrotundum, more hominum, contra honestatem sexus muliebris.(Procès T. 1., p. 449).Dans la formule en français, cescheveux coupés courts sont désignés par ces mots :« d’avoir porté les cheveux rougnez en rond en guise dehomme, contre toute honnesteté du sexe de femme. »Et, encela, l’Eglise ne faisait que suivre les prescriptions du Concile deChalcédoine et une parole de saint Paul dans la première Epitre aux Corinthiens, paragraphe11, ainsi formulée :« Toute femme qui prie ou qui prophétise, la têtenonvoilée, deshonore son chef. C’est comme si elle étaitrasée (Nombres V. 18 et Deutéronome, XXI,12). Car siune femme n’est pas voilée, qu’elle se coupe les cheveux. Or,s’il est honteux pour une femme d’avoir les cheveux coupés oud’être rasée, qu’elle se voile. » Ce texte est biencurieux, car c’est de lui que découle toutes les prescriptionsde l’Eglise, concernant la tenue des femmes dans les sanctuaires oudans les visites au Souverain Pontife. Saint Paul précise encoresa pensée dans les termes suivants qui lui ont étéempruntés par l’Université de Paris, dans sa consultation: « Jugez en vous-même, dit saint Paul. Est-il convenablequ’une femme prie Dieu sans être voilée ? La nature,elle-même, ne nous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pourl’homme de porter les cheveux longs, mais que c’est une gloire pour lafemme d’en porter, parce que la chevelure lui a étédonnée comme voile ? »

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 Quelle était lacouleur de la chevelure de Jeanne d’Arc ?Selon le chroniqueur Philippe de Bergame, dans son De clarismulieribus, paru en 1497, « elle était trèsforte,de petite taille, brevi statura,de figure paysanne, rusticana facieet de cheveux noirs, nigro capillo.» Mais peut-on se fierà ce chroniqueur italien, dont les assertions sont souventdouteuses ? Le greffier de laRochelle, dans la Relation du Livrenoir de la Rochelle, publiée par Quicherat dans la Revuehistorique (T. IV. 1877), assure aussi que les cheveux de Jeanned’Arcétaient noirs. Enfin, on aurait deux preuves matérielles,qui sont toutefois bien fragiles. A une lettre que Jeanne adressa auxhabitants de Riom, le 9 novembre 1429, qui fut découverte en1844 aux Archives municipales de Riom par le président Tailhand,était suspendu un cachet rouge, dont le revers était seulconservé. On y voyait, dit Quicherat (Procès, T. V., p.147), la marque d’un doigt et le reste d’un cheveu noir, quiparaît avoir été mis originairement dans la cire.Il est possible que ce cheveu ait appartenu à Jeanne d’Arc. Ilest admis, en effet, que d’après une coutume du moyen âge,on insérait, pour affirmer l’authenticité du sceau,quelque partie ou fragment corporel appartenant à l’envoyeur :un brin de barbe, un cheveu. Aussi bien, ce cheveu noir, sur lequelon discutait, est-il disparu. Francis Perot, en 1889, écrivaitau chanoine Th. Cochard, qui a spécialement étudiéles Reliquiæ de Jeanned’Arc pouvant exister : « Le sceaude la lettre aux habitants de Riom a perdu le cheveu avec le cachet.Il reste un petit fragment de ce cachet, avec les traces des doigts quiont pressé la cire. » On a dit qu’une lettre de Jeanned’Arc aux habitants de Reims (16 mars 1430) portait également uncachet de cire rouge, traversé par un cheveu très noir.M. Francis Pérot, dans sa notice sur Jeanne d’Arc enBourbonnais, l’a affirmé, mais M. de Mateyssie, bienconnuà Rouen par ses travaux sur l’abjuration, qui étaitpossesseur de cette lettre, a gardé le silence sur cettequestion du cheveu noir. Rien ne reste donc que l’affirmation du moineitalien, soixante-dix ans après sa mort. « La chose avaitdonc pu faire doute jusqu’à présent, écritQuicherat dans sa Relationinédite sur Jeanne d’Arc (Revuehistorique. T. II, p. 328, année 1877), la chronique delaRochelle la mettra désormais hors de toute contestation. Elleaffirme, en effet, que la Pucelle eut les cheveux « noirs etronds », dit le texte, c’est-à-dire coupés suivantcette mode du XVe siècle, que Quicherat qualifie de hideuse, quifit de la chevelure comme une calotte posée sur uncrâne. » Ajoutons un détail. La Pucelle, quand ellearriva à Chinon, avait un «chapeau noir sur la têteet une robe courte de gros gris noir», somme toute une sorte decostume de voyage.

Jeanne d’Arc n’apparut pas sur le lieu du supplice, devant lebûcher du Vieux-Marché, portant les cheveux courts. Ellese montra la tête complètement tondue et rasée,dans l’état où elle avait étélaissée après l’abjuration du cimetièreSaint-Ouen. D’après le Procès,Jeanne, à sonretour de la cérémonie du cimetière Saint-Ouen,avait été entraînée jusqu’à la Tourvers les champs, où elle avait accepté derevêtirl’habit de femme et, les cheveux qu’elle portait auparavant,« coupés en rond, elle voulut bien et permit qu’on lestaillât et les rasât. » Il n’y a pas de doute sur letexte latin, abradi et deponi,voluit et permisit.

Ce mot abradi veut dire« raser complètement », eton le trouve employé dans le même sens par un chroniqueurespagnol, Lucas de Tuy, évêque de cette ville. « Lesinstigateurs de sédition seront condamnés, les cheveuxcoupés et la barbe rasée, abrasis barbis et les piedsnus. »

C’était même une peine infamante, la decalvatio, le« déchevelement ». A tous ceux qui étaientconsidérés comme infâmes, aux adultères, auxproxénètes, aux fous même – car la folieétait souvent considérée comme une tare – onrasait les cheveux et parfois même on les brûlait. Pour lesadultères, on a un exemple, la célèbre Margueritede Bourgogne et sa soeur.

       A Andely, par bonne estraîne
        De tout noble atourdespoillées
        Et puis résées et roignées.

Cette rasure de la tête,on la pratiquait surtout, ditDamboudère, dans sa Pratiquedes causes criminelles, sur lessorcières, pour qu’elles ne puissent pas cacher dans leurscheveux, des pentaclesmagiques, pour les aider à supporterles douleurs de la torture. Du reste, cette peine des têtestondues, comme un opprobre, a existé jusqu’à la fin de laRévolution pour les filles publiques, ainsi qu’entémoigne la gravure si connue LeTransport des Filles de joiepar Jeaurat. Elle existe encore dans nos compagnies disciplinairesd’Afrique, dont Albert Londes a raconté toutes lesmisères.

Jeanne d’Arc contrairement à la représentation qu’endonnent tous les peintres et les sculpteurs, fut donc tondue etrasée, quand elle se présenta sur son bûcher. Iln’est peut-être qu’un seul peintre Albert Maignan, qui dans uneillustration de l’ouvrage de Marius Sepet, ait représentél’héroîne sous cette apparence disgracieuse. D’autre part,Daniel Vierge et Willette l’ont représentée mitrée, coiffée de lamître en papier si souventemployé à Rouen, même pour les sorcièresrouennaises, Jeanne la Turquenne, Jeanne Vaneril, Alice la Rousse,Jeanne la Guillorée qui furent prêchées en face dela Cathédrale ou de Saint-Ouen, en 1430, une année avantle supplice de Jeanne d’Arc. Ces mîtres en parchemin, quiétaient conservées, comme pièces de justice dansles prétoires, portaient en grosses lettres, l’inscription,rappelant l’objet de l’inculpation, le nom et les prénoms. Undes témoins du procès Clément de Fauquenberge,raconte qu’étaient écrits sur la mître de Jeanned’Arc ces mots : hérétique,relapse, apostate,idolâtre, mots empruntés à la sentence quilaconduisit au bûcher.

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Par ces quelques notes, on voitquelles graves réflexionssuggèrent le port des cheveux courts par Jeanne d’Arc, port quis’expliquait par les conditions toutes spéciales où ellese trouvait, et que la mode vient de remettre en vogue, aprèsdes siècles, avec peut-être moins de raison.

GEORGES DUBOSC