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DUBOSC,Georges (1854-1927) :  Le Foot-ball à l’église(1920).
Saisie du texte : S.Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (15.IX.2006)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées.
Première parution dans le Journal de Rouen du5 avril 1920 sous le titre : Lefootball de Pâques dans les églises du Moyen-Age. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 3èmesérie, publié à Rouen chez  Defontaine en 1923.
 
LeFoot-ball à l’église
par
Georges Dubosc

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Autrefoiscette semaine de Pâques, où le retour du printemps convie aux jeux deplein air, était pour ainsi dire consacrée aux divertissements, auxjeux dramatiques ainsi qu’aux jeux d’adresse, comme ceux du ballon etde la balle. Alors, comme aujourd’hui, on jouait au ballon, nonseulement dans les champs, dans la campagne voisine ou sur les placeset les carrefours des villes, mais aussi dans de nombreuses églises etdans les monastères. Cette ouverture de la saison pascale et… sportive,se faisait même dans une cérémonie très bizarre, qui s’est longtempsperpétuée à Auxerre, en plein pays bourguignon.

C’étaitune sorte de fête burlesque et religieuse, se rapprochant de la fameuseFête de l’Ane, qui se déroulait dans la cathédrale de Rouen et dontDucange a publié le texte, suivant un Ordinaireaujourd’hui disparu,ou comme d’autres offices particuliers à Rouen : drames liturgiques,comme l’Office des Pasteurs, la Messe de l’Etoile ou l’Office desPèlerins. Cependant, la fête du ballon ou de la Pelote d’Auxerreétait plutôt un divertissement, un jeu ordonné d’après certains riteset certains usages, qu’une véritable action dramatique, comme lesmystères primitifs qui se jouaient sous la voûte des églises.

Trèsanciennement, on avait joué au ballon et à la balle dans les églises aumoment de Pâques. Jean Beleth, un théologien de l’Université de Paris,qui vivait avant 1165, dit qu’on jouait à la balle et au ballon dans lacathédrale d’Amiens, où l’évêque lançait la pelote, et aussidans lacathédrale de Reims, qui était cependant un des sanctuaires les plusvénérés de France. Durand, l’évêque de Mende, qui vivait cent ansaprès, dans son Rationaleofficiorum, signale aussi ces jeux deballon dans les églises, à Noël et à Pâques, comme une survivancedes libertésanciennes, accordées aux serviteurs, lors de la fin del’année.

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AAuxerre, la fête du ballon pascal remontait au moins à l’année 1396,car à la date du 13 avril, on trouve dans les archives du Chapitre dela Cathédrale Saint-Etienne, un règlement (ordinatio) pour la cérémoniede la présentation du ballon. On y voit qu’à cette époque, deuxchanoines, nouvellement promus, Me Etienne du Hamel et Me JeanClemente, présentent solennellement de ballon au Chapitre et àl’Archevêque, qui devaient s’en servir pour jouer le jour de Pâques.

Ce« ballon de présentation » ou pelote, parée, ornée de rubansmulticolores, fut tout d’abord très volumineuse et quelquefoisprésentée par deux hommes. Par un décret de ces bons chanoinesauxerrois, rendu le 19 avril 1412, il fut cependant statué que ceballon sacré serait réduit à une grosseur un peu moindre. Toutefois laballe… canonicale ne devait pas être si petite qu’on pût la tenir d’uneseule main, mais de telle grosseur qu’on fût obligé de l’arrêter avecles deux mains : tamenquod non possit comprehendi seu apprehendi unasola manu hominis, dit le latin d’église. Ni trop, ni troppeu, dit laSagesse des Nations.

Cette présentation du ballon,le jour de Pâques, au doyen du Chapitre, dans la belle égliseSaint-Etienne, éclairée par de somptueux vitraux, était une véritablefête fort originale pour le « Tout Auxerre » d’alors : magistrats,échevins, gentilshommes et manants. Elle ne fut pas cependant sansamener parfois des incidents et des différends très violents. En 1471,le jour de Pâques, Maître Gérard Royer, docteur de l’Université deParis, qui avait été nommé chanoine d’Auxerre, n’étant point partisande cette cérémonie, qui trouvait déplacée, ne présenta pas le ballon,ni trop gros, ni trop petit. Le Chapitre d’Auxerre allait se fâcher,quand le chanoine qui avait été nommé l’année précédente, EtienneGerbault, prêta le ballon qu’il avait conservé devers lui. Et cejour-là, la cérémonie put se dérouler suivant la tradition !

En1531, même incident, qui, dans l’intervalle, se compliqua d’uneintervention judiciaire. Un nouveau chanoine, Laurent Bretel, curé deSaint-Regnobert, refuse nettement de participer à la présentation duballon, qu’il trouve ridicule. Jaloux de ses droits, le Chapitreassigne le récalcitrant devant le Bailliage, qui, contre l’attente desdemandeurs, donne raison à Bretel et interdit la cérémonie, par unarrêt du 22 août 1531. Le Chapitre fait appel au Parlement et, dèslors, on n’entend plus parler que de l’affaire de la Pelote d’Auxerre.François Ier qui est à Lyon, se passionne pour ce différend et ondélègue un conseiller, François Disque, pour assister le jour dePâques, 28 mars 1535, à la cérémonie et en dresser un procès-verbal. Ilest présent à la séance du ballon sacré, qui se passe trèssolennellement devant l’évêque d’Auxerre, François de Dinteville, queRabelais a si souvent blagué. Après quoi, on nomme une Commission -dans tous les temps on a nommé des Commissions - pour arbitrer cettequerelle digne du Lutrin: quatre conseillers au Parlement, quatrechanoines de Notre-Dame de Paris, quatre docteurs en Sorbonne - quediable venaient-ils faire là ? - quatre procureurs, représentant lesparties. Enfin, après huit ans, le 7 juin 1538, le Chapitre d’Auxerrefut condamné. Plus d’oblation de la pelote, plus de commessation,terme juridique, qui veut dire : banquet en commun, supprimé àl’avenir. En somme, c’était la fin de la fête du ballon. Tout seréduisit à une somme d’argent, que les chanoines nouvellement nommésdevaient payer, sous le nom de droit de pelote auChapitre d’Auxerre.

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Commentse passait donc, en son bon temps, cettefête si curieuse ? Contons-la d’après un vieux manuscrit, reproduit enpartie par Ducange. Vers une heure et demie de l’après-midi, lechanoine, nouvellement reçu, se présentait, portant le ballon sur lapoitrine, le remettait, par les soins d’un diacre ou d’un clerc, audoyen. Celui-ci, paré de son aumusse fourrée, dont il se couvrait latête, appuyait le ballon contre sa poitrine, de la main gauche, puissaisissait par la main le chanoine le plus voisin et ouvrait une dansesacrée, suivi des autres chanoines se tenant par la main et formant uneronde joyeuse, une vraie farandole au milieu de la nef de la cathédraleSaint-Etienne.

Alors le doyen entonnait la prose sipopulaire du Victimæpaschali laudes, Immollent Christiani, qui,suivant la tradition, serait l’oeuvre d’un chroniqueur allemand, Wippo,originaire de Bourgogne, chapelain de l’empereur d’Allemagne, Conrad IIle Salique et d’Henri III le Noir, de 1027 à 1056. Il n’est que justed’ajouter qu’on a aussi attribué ce chant du XIe siècle à deux moinesde l’abbaye de Saint-Gall, soit à Nolker le Bègue, soit à Nolker leLippu. Les érudits allemands, là-dessus, ont entassé les volumes !

Accompagnéà l’orgue, le chant très rythmique, se déroulait en même temps que lafarandole. A un moment donné, les danseurs se rapprochaient etstationnaient sur le dedalum« le dédale ».  On appelaitainsi une sorte de labyrinthe, formé d’une façon savante et compliquéepar des lignes noires, figurées sur le dallage. Ce dédale de lacathédrale d’Auxerre est disparu en 1650, mais il en existait d’autresà Sens, à Amiens, à Saint-Quentin, à Chartres, à l’église deSaint-Bertin à Saint-Omer, à Reims, où les chanoines le firent détruireau XVIIIe siècle, à Bayeux, où il existe encore dans une salle voisinede la Cathédrale. On parcourait à genoux et en priant ces « labyrinthes» et c’était là un exercice de piété, procurant des indulgences, àdéfaut de pèlerinages en Terre-Sainte ou à Saint-Jacques deCompostelle. Au milieu du cercle, des chanoines et des invités, dansantet chantant les répons rimés de la prose :

              Die nobis Maria
              Quid vidisti in via.
              Sepulcrum Christi viventis.
              Et gloriam vidi resurgentis.

setenait le doyen du Chapitre, seul au centre du labyrinthe. De là, iljetait le ballon aux chanoines, qui le renvoyaient de la main ou dupied avec une véritable adresse. Rien n’était, du reste, plus originalque cette compagnie de chanoines, la tête couverte de leurs aumusses,dont les queues fourrées, agitées par la danse, tournoyaient dansl’air, courant, sautant, chantant, tandis que la pelote, jetée etrenvoyée à coups de pied et à coups de poing, bondissait d’un pilier àl’autre. C’est bien ainsi que ce jeu de la Pelote est décritdans LeRoman d’Athis :

              Li preudhomme et li bachelier
              Allèrent les jeux regarder
              De pelotes et de plommées
              Dont se donnoient grans colées…
              ………………………………………………

              Font la pelote tressaillir,
              Puis en commencent à courir
              Tout coste à coste, sans trespas
              Que l’un fesist l’autre d’un pas ;
              Tels les suivent, de leur povoir,
              Qui faillirent de leur espoir.

Quandles deux teamsauxerrois étaient un brin fatigués, à la « mi-temps »,c’est-à-dire après la danse, les jeux, les lancers et les renvois deballon, on offrait à tous les assistants, une belle collation, enattendant l’heure des vêpres. Elle était servie dans la salle duChapitre, aux frais du chanoine qui avait présenté le ballon rond,cette année-là. Les chroniqueurs auxerrois veulent bien nous apprendrequ’on y mangeait avec modestie, et qu’en ce pays de bons vinsbourguignons et de crus renommés de la « Côte d’Auxerre » ou deChablis, « on buvait avec sobriété. » Nous voulons bien le croire,quoique la chaleur et l’entrain du jeu aient pu servir d’excuse auxbuveurs. On faisait même mieux et un des chanoines terminait lacollation de la pelote, en lisant dans l’Homéliaire, la fin del’Homélie du jour.

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Durand,le liturgiste célèbre, dans son Rationale officiorum(Livre 7,chapitre XVI), a montré que la fête du ballon rond, qui fut longtempsconservée à Auxerre, n’était pas particulière à cette ville. Le clergéjouait aussi à la pelote pendant les fêtes de Pâques, à Vienne, enDauphiné. Ce jeu ne se déroulait pas dans l’église, mais dans une sallede l’Archevêché, où tous les chanoines de la cathédrale s’assemblaient,le lundi de Pâques, aux carillons des cloches en volée. Celles-cidevaient sonner pendant toute la durée du repas, qui précédait lapartie de pelote. Et parfois le repas, accompagné de copieuses rasades,se prolongeait….. Ensuite, l’archevêque jetait la pelote. Quand ilétait absent, ce soin et cet honneur revenaient, dit un manuscrit decette église, à un officier de l’évêque désigné sous le nom de Mistralou Ministrialis. A Nevers, on avait joué également auballon, le jour de Pâques, mais bientôt le jeu avait été abandonné.Seule subsista la collation, avec quelques coups de vin qu’on buvaitdans des hanaps « de madre », avec des gaufres toutes chaudes, et dessortes d’oublies, qui avaient la forme de ces gouttières, de ces canauxque, dans le Nord, on appelait Eschenelsou Eschenaux,d’où vient,soit dit en passant, le nom du pauvre président Deschanel.

ARouen, les ecclésiastiques, les prêtres, les chanoines aimaientbeaucoup le jeu du ballon et de la paume. Les registres del’Officialité viennent à l’appui de cette constatation. On y voit aussique ces jeux se terminaient souvent par des rixes et desscènes  violentes. C’est surtout à cause de ces inconvénientsque les statuts synodaux de Pierre de Colmieu, archevêque de Rouen, en1245, défendirent le jeu du ballon aux prêtres, comme le fit plus tard,en 1512, Etienne de Poncher, archevêque de Paris. La question de tenueet de costume était aussi pour beaucoup dans ces interdictions. C’estce qui résulte d’une défense édictée en 1485 au Concile de Sens,défendant aux religieux de jouer la paume en bonnet, en bras de chemiseet en caleçon, comme on y jouait habituellement.

Enlui-même, le jeu de ballon auquel on s’exerçait le jour de Pâquesn’avait rien d’indigne. C’était si vrai que le Chapitre, Clerici duDroit Canon, ne le défend pas et le classe comme un excellent exercicecorporel. Aussi bien, les joueurs de paume, de tennis, de footballpouvaient s’autoriser d’un très haut exemple et prendre pour protecteurun saint qui n’est point banal, délicat poète latin, parent del’empereur romain Avitus, par sa femme Pampanilla, saint SidoineApollinaire, évêque de Clermont. Dans une de ses lettres, si curieusespour les moeurs et les usages de notre pays gallo-romain, au Ve siècle,il conte que sous une grande allée de tilleuls de sa villa, il jouaitau ballon avec son beau-père Eudice, du matin au soir, jusqu’à ce que «la pelote soit usée et hors d’état de servir ». Celui-là était unvéritable joueur de « grande classe » comme on dit aujourd’hui, unsaint patron du ballon rond, digne de présider aux matches les plussévèrement disputés.

GEORGESDUBOSC