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DUBOSC,Georges (1854-1927) :  Oeufs de Pâques(1896).
Saisie du texte : S.Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (16.IX.2006)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées.
Première parution dans le Journal de Rouen du19 avril 1896 sous le titre : Lefootball de Pâques dans les églises du Moyen-Age. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 3èmesérie, publié à Rouen chez  Defontaine en 1923.
 
Oeufsde Pâques
par
Georges Dubosc

~*~

Enpassant devant la boutique d’un de nos confiseurs rouennais, enregardant ces jolis oeufs de Pâques roses, blancs, tout enrubannés, toutparés de délicats coloriages, vous êtes-vous parfois demandé quellepouvait être l’origine de cette vieille coutume, si chère encore auxenfants ?

« Les oeufs de Pâques, disait un jour ungamin, ce sont des étrennes… en retard ! » Et il ne croyait certes passi bien dire, et donner, par cet aphorisme enfantin, l’origine de cescadeaux traditionnels. Les oeufs de Pâques, ce sont bien, en effet, desétrennes, et ils datent de l’époque où, pour nos aïeux, l’annéecommençait à Pâques, à l’équinoxe du printemps. Ils étrennaient l’annéeavec le renouveau, avec l’éveil de la nature. Ils ne mentaient point ausens de leur emblème, à ce symbole que l’on retrouve dans toutes lesantiques théogonies, et d’après lequel l’oeuf a un sens mystique, quireprésente la grande idée de génération, d’origine, de fécondité, deperpétuité des êtres, des races et du monde.

Que dechoses dans un oeuf de Pâques !

Les oeufs de Pâques,les oeufs « pâquerets », comme on dit encore en Normandie, inauguraientdonc l’année naissante, l’année qui commençait à Pâques-Neuves, avec leretour du beau temps et des fleurs. Et il en fut ainsi jusque sousCharles IX, jusqu’en 1565, où le premier jour de l’an fut déplacé etreporté au 1er janvier. Mais, comme les bonnes habitudes ne se perdentjamais, l’usage de se faire d’agréables cadeaux ne se perdit pas et oncontinua à s’entre-donner des oeufs de Pâques. Du reste, la résurrectiondu Christ conservait encore à cette coutume une vague apparencesymbolique, et il semblait que cet échange d’oeufs colorés fût lemystérieux emblème de notre rénovation morale.

Elleest, du reste, de tous les temps, de tous les pays, cette coutumeétrange. En Grèce, à Rome, on offre des oeufs à Bacchus, pendant lesbacchanales du printemps. A Jérusalem, à la fête de Pâques, il en estde même ; mais c’est surtout en Perse que le nouvel an solaire estl’occasion d’échanger des oeufs historiés. Ecoutons un peu Chardin, levieux voyageur, au sujet du cérémonial dont on entoure, dans le pays du Schah, l’envoi et l’échange des oeufs de Pâques.

Ilnous apprend, tout d’abord, que ce jour de la fête des oeufs s’appelle,là-bas, la fête des Habits-Neufs, probablement parce qu’on étrenne cejour-là sa redingote neuve, ou parce qu’on sort son chapeau à la mode.Il nous raconte comment l’envoi des oeufs peints et dorés est pourbeaucoup dans les plaisirs de cette fête, puis il nous donne ladescription de ces oeufs merveilleux, avec lesquels nos oeufs de Pâquesmodernes ne sauraient rivaliser.

« Il y a de ces oeufs, dit-il, qui coûtent jusqu’à trois ducats la pièce. Le roi endonne ainsi quelque cinq cents dans son sérail, présentés dans de beauxbassins, aux principales dames… L’oeuf est couvert d’or avec quatrefigures ou miniatures, fort fines, aux côtés. On dit que, de toustemps, les Persans se sont donnés des oeufs au Nouvel An, parce quel’oeuf marque le commencement des choses ».

EtCorneille Bruyn, qui voyagea également en Perse, mais plus tard, vers1704, constate la même coutume et ajoute que cette fête a eu lieu le 20mars. Toujours la saison nouvelle !

Tout cela sepasse en Asie, sur cette vieille terre mère de tous les mysticismes etde toutes les religions, mais il en est de même dans notre Europemoderne. Chez les anciens Russes, l’oeuf de Pâques triomphe également.Depuis le tzar - au temps des tzars - jusqu’au plus misérable desmoujicks, tout le monde échangeait des oeufs de Pâques. Il en était derichement décorés ; il en était de plus simples, comme ces oeufspolonais, un peu semblables à nos oeufs rouges, bariolés de losanges, dequadrillés, de compartiments étoilés.

La plupartportent une inscription : Christos vos chrest. « Christ estressuscité ». C’est, en effet, l’habitude parmi les Russes de s’aborderavec cette phrase, le jour de Pâques. Quand on se rencontre, ons’embrasse sur la bouche, et celui qui, le premier, aperçoit un ami,lui dit : « Christ est ressuscité ! » L’autre répond aussitôt : « Oui,Christ est ressuscité ! ». Un jour de Pâques, le tzar Nicolas, sortantde son palais, donne ainsi le salut pascal au factionnaire qui,tranquillement, montait la garde auprès de sa demeure : « Frère, luidit-il, Christ est ressuscité ! » Et le soldat impassible, de répondre: « Non, père, il ne l’est pas ! » Interloqué, le tzar reprend avec uneplus violente insistance : « Christ est ressuscité ! » « Non, il nel’est pas ! » réplique le soldat. Pour lui, en effet, il ne l’étaitpoint, car le factionnaire était juif. Le tzar le sut et il se contentade rire de l’aventure.

En Pologne, les oeufs dePâques sont encore en honneur. Le matin de la fête, à chaque visiteurqui entre, le maître de la maison offre un oeuf dur, le sépare en deuxet chacun mange la moitié. A la fin de la journée, s’il a reçu pas malde visites, il a aussi mangé une innombrable quantité d’oeufs. Et commerien n’est « un éperon à boire » comme l’oeuf dur, le maître a bud’autant. Il est vrai que les Polonais, à tort ou à raison, ont uneréputation d’intrépides vide-bouteilles !

Lesamateurs d’oeufs durs forment, du reste, une confrérie internationale.Galiani nous raconte, par exemple, que l’usage de commencer le souperpar un plat d’oeufs durs s’est maintenu en Italie pendant la semaine dePâques ; en Belgique, c’est lors des noces que la tradition consistantà offrir une corbeille d’oeufs à devises a persisté, en même temps qu’onremet à la mariée son bouquet de fiançailles.

Et enFrance, direz-vous ? La coutume des oeufs de Pâques est-elle aussiancienne qu’à l’étranger ? Mais, certainement, et pendant tout le moyenâge on connut la Procession des oeufs, pour laquelle clercs,basochiens se réunissaient, avec sonnettes et tambours, lances etbâtons. Le cortège s’arrêtait à l’église pour changer Laudes, puisallait, de porte en porte, quêter les oeufs. Chez nous, en Normandie, iln’est pas un conte ancien qui ne parle de cette redevance des oeufs dePâques, qu’on allait cueillir de maison en maison, dans les villages,avec bien d’autres choses, du reste : du beurre, une échinée de lard…

Etcette obligation de donner des oeufs pendant la semaine de Pâques nedate pas d’hier. Voici, en effet, le Livre des Jurésde l’abbaye deSaint-Ouen qui, dès 1291, la relate pour presque tous les villagesenvironnant Rouen et dépendant du monastère. C’est une sorte deredevance, comme le vin de la Saint-Martin, comme les gants donnés àcertaines fêtes ; Le village de Quincampoix, par exemple, doit cinqoeufs à Pâques, par chaque coutumier, pour la cuisine de Saint-Ouen.Isneauville de même, avec un denier à Pâques fleuries. Houppeville, leHoulme, Saint-Maurice, quatre. Quelle belle omelette les bons moinesdevaient déguster à la fin de la semaine, après ce temps de carêmesévère et rigide où les oeufs étaient interdits !

Onles voyait reparaître alors dans le pain bénit pascal, et nous en avonspour témoin l’historien des Fastes de Rouen, Grisel, qui, à proposdes coutumes du jour de Pâques, dit : « Reçois le pain marqué du signede la croix, le pain bénit, donné le jour de Pâques ; il a certainementun jaune d’oeuf délayé dans la pâte. » C’est encore un exemple de cesymbole mystérieux de la régénération, de la résurrection, attribué àl’oeuf. On mangeait, dit l’abbé Martigny, dans son Dictionnaire desAntiquités chrétiennes, on mangeait l’oeuf bénit avant tout autrenourriture, le jour de la pâque de résurrection, qu’on a souventappelée la pâque de l’oeuf.

Cette significationmystique de l’oeuf, emblème de la résurrection chrétienne, est si vraie,qu’on en rencontrerait des exemples à Rouen même. C’est ainsi qu’en1884, lors des fouilles entreprises dans l’église Saint-Ouen, ontrouva, dans une tombe d’enfant, deux oeufs qui ne pouvaient y avoir étéplacés, comme l’expliqua M. F. Bouquet, à la Commission des Antiquités,qu’en vertu d’une idée symbolique de résurrection.

Est-cecette idée qui guide, pendant leurs quêtes des oeufs, nos petits enfantsde choeur normands ? Il serait téméraire de l’avancer. Toujours est-ilque dans les campagnes cauchoises, depuis le Jeudi-Saint, le jour oùles cloches, suivant la tradition, sont parties à Rome, les clergeots, les petits clercs et le vieux sacristain, tous les cueilleux d’oeufs de Pâques, se mettent en marche. Par les routes, parles chemins herbeux où s’ouvrent les premières fleurs des pommeroles,la petite troupe des quêteurs s’en va : les uns portent le grandpanier, à deux compartiments, où s’entasseront les oeufs récoltés,d’autres font carillonner les tinterelles et les clochettes sacrées,d’autres tiennent le sac où s’empileront les gros sous.

Deporte en porte, ils font leur cueillette traditionnelle, et tous,depuis la fermière, habituée à cette demande annuelle, jusqu’au pluspauvre, placent les douzaines d’oeufs dans le panier des petitsquêteurs. Parfois même, ils reçoivent un poulet ou des fruits. Le vieuxsacristain, lui, distribue de grandes hosties blanches, du pain àchanterqu’on gardera précieusement. Quand la tournée, qui secontinuera ainsi jusqu’au Samedi-Saint, sera terminée, lespetits cueilleux se partageront la récolte. Il en est quis’amuserontparfois à jouer entre eux les oeufs, en les frappant les uns contre lesautres, le vainqueur s’attribuant le coquart qui aura résisté auchoc. Mais la plupart du temps, les oeufs de Pâques serviront àconfectionner quelque bonne omelette fumante, arrosée d’un pichet decidre.

Bien que l’usage en soit un peu disparu,cette cueillette des oeufs « pâquerets » était parfois accompagnée d’unrefrain, d’une de ces chansons de quête, naïves et simples comme les aguignettes du Jour de l’An, ou les Events-Dieu des Rois. Encertaines contrées de France, ce sont des complaintes de la Passion oùdes chansons sur l’air de Pâques « O filii ». En Normandie, lachanson est plus gaie et plus drôle. Les petits chanteurs commencentsouvent ainsi :

          Séchez les larmes de vos yeux :
          Le Roi de la terre et des cieux
          Est ressuscité, glorieux.
              Alleluia !

          Réveillez vos yeux endormis
          Pour fêter l’Seigneur Jésus-Christ
          Qui, pour nous, la mort endura.
              Alleluia !

Et si,d’aventure, on ne répond point à la demande des quêteurs, dit notreconfrère Charles Vesque, qui a recueilli ce chant de Pâques, ceux-ciajoutent un troisième couplet :

          Bonn’ femm’, vot’ flanc tient aux linceux,
          Secourez les pauvres chanteux,
          Par là vous aurez part aux cieux.
              Alleluia !

Ets’engageait alors, à travers le pothuis, un dialogue versifié entreles quêteurs et le fermier qui répliquait parfois :

          Pauvres chanteurs qui sont à l’hus
          Vous êtes les bien mal venus !
          Car nos poul’s ne couvent qu’des fétus.
              Alleluia !

Et leschanteurs, malicieusement, de répondre au fermier peu accueillant :

          Ce n’est pas des oeufs que nous cherchons
          C’est la jeun’fille de la maison :
          S’elle est jolie, nous la prendrons,
          S’elle est vilaine, nous la laisserons.
              Alleluia !

Il enest même, qui, plus gouailleurs que les autres, ajoutent cette varianteau couplet :

          Prêtez-nous la, j’vous la rendrons !...

Furieux, lepaysan ne se laisse pas ainsi berner et conclut par cette réponse biennormande :

          La fille de la maison d’ici
          N’est pas pour des coureurs de nuit,
          Un plus riche que vous l’aura.
              Alleluia !

Voilàpar quelle suite de traditions et de coutumes, la tradition des oeufsdePâques s’est maintenue. Autrefois, à la cour, on présentait au Roi,après la grand’messe, des oeufs enluminés et dorés, et Lancret n’apointdédaigné d’en peindre. Longtemps encore, à Versailles, on montrait deuxoeufs dorés qui furent donnés, un jour de Pâques, à Mme Victoire deFrance, fille de Louis XV. Aujourd’hui encore, l’oeuf de Pâques reçoitson hommage dans nos villes modernes, grâce à l’exhibition que font lesfruitières d’oeufs rouges, lie de vin, ou d’oeufs jaunes, d’un jauneassez terne, teints à la fuschine pour les rouges, ou au marc de caféet avec épluchures d’oignon pour les jaunes.

Les oeufs rouges ont prédominé ; les coloriages et les dorures ont étéréservés aux oeufs en carton, servant de boîtes à bonbons et de jouets.Mais pourquoi les oeufs rouges ? De terribles érudits, d’impitoyableschercheurs ont répondu à cette question, avec le plus bel aplomb dumonde, que c’était en souvenir de l’oeuf rouge, pondu le jour où naquitAlexandre Sévère, d’après ce qu’en dit Ælius Lampidius. Ce n’est pasplus difficile que ça ! Mais parions que les gamins du quartier ou lespetits enfants de choeur de nos villages se soucient peu d’étudier laquestion ab ovo, et se contentent, pendant la semaine traditionnelle,de recueillir avec joie leurs oeufs de Pâques !...

GEORGESDUBOSC