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DUBOSC,Georges (1854-1927) : Où commence le Pays de Caux ? (1906). Numérisation du texte : O.Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (27.III.2008) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Première parution dans le Journal de Rouen du25 novembre 1906. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 3èmesérie, publié à Rouen chez Defontaine en 1923. Oùcommence le Pays de Caux ? par Georges Dubosc ~*~Où commence et où finit le pays de Caux ? Où est-on Cauchois, oùcesse-t-on de l'être ? Voilà une question très curieuse, souvent soulevée, et qu'un de nosconcitoyens, M. Georges Le Carpentier, licencié ès lettres, qui s'estparticulièrement consacré aux études historiques et géographiques,traite dans une étude très complète, très documentée, sur le Pays deCaux, qui se présente avec l'approbation de l'éminent géographe, P.Vidal de la Blache. Ou commence le pays de Caux, qui, à tout prendre, est plutôt unedénomination historique, ethnique qu'une unité géographique ? Il est bien certain, par exemple, que topographiquement,géologiquement, s'il diffère du pays de Bray, si particulier, le paysde Caux, comme composition minéralogique, et même au point de vuephysique, se confond avec le Vexin. En réalité, le pays de Caux tire son origine de ces vieux étatsgaulois, de ces civitatesqui, suivant Fustel de Coulanges, se sont perpétués jusqu'à nous, avecleurs noms, leurs limites et leur existence morale. Le pays de Caux, c'est le pays des Calètes, rattaché tout d'abord à laBelgique, puis à la Lyonnaise. Mentionnés, avec des variantes, par Pline, par César, dans son Histoire de la guerre des Gaules,les Calètes occupaient, suivant Strabon l'embouchure de la Seine, etsuivant Ptolémée, « la rive septentrionale de la Seine, avec Juliobona,Lillebonne pour capitale ». Peut-être même antérieurement leur capitaleétait-elle à Harfleur, Caracotinum,ou M. Naëf fit de si curieuses découvertes. Etaient-ils nombreux ? On peut le penser, car, à l'appel deVercingétorix, lors du soulèvement de la Gaule, ils avaient envoyé6.000 hommes à l'armée fédérale, tandis que leurs voisins, nos ancêtresrouennais, les Véliocasses, avaient envoyé 3.000 combattants. Ils sebattirent, du reste, héroïquement, et même après la chute d'Alesia, ilsfurent de ceux qui, avec les Bellovaques, de Beauvais, résistèrentencore les armes à la main. A plusieurs reprises, on les trouve mentionnés, notamment dans la listedes soixante citésou civitatesde la Gaule chevelue, qui figurent au Concilium de Lyon,et parmi les soixante cités d'Auguste. Les Calètes sont ainsi indiqués: CALÈTES : CivitasCaletum : Juliobona.Leur nom ne figure pas cependant dans la Notice des Provinces,parce qu'à cette époque, il semble avoir été fondu avec lesVéliocasses, avec les Rouennais de la civitas Rothomagensis. Quelles étaient au juste les limites du territoire de ces Calètes, deces primitifs Cauchois Au Sud et à l'Ouest, où le cap de La Hève portait alors le nom de Chef de Caux, de Groin de Caux,c'était la mer. Mais à l'Est ? Grâce aux découvertes de l'archéologieet par l'étude dés forêts, on peut la déterminer. Pour M. Léon deVesly, cité par M. -G. Le Carpentier, la limite des Calètes et desVéliocasses, était tracée par la vallée de la Sainte-Austreberthe, oùse trouve l'ancien oppidumde Varengeville, et, en traversant le plateau, par la ligne des oppida ou desmottes de Varneville, de Bretteville, d'Heugleville, d'Auppegard,allant rejoindre la vallée de la Scie jusqu'à Varengeville-sur-Mer, quidéfendait l'entrée de la vallée sur la Manche. D'autre part, suivant M. Samson, c'étaient souvent les forêts quiservaient de frontières aux civitatesgauloises, sortes de marches et de zones neutres qui séparaient lespeuplades. Or, il existe une zone forestière de ce genre à peu prèsininterrompue entre la Seine et la Manche. Elle commençait par la forêtde Roumare, se continuait par la forêt de Silveison, aujourd'hui notreForêt-Verte, et se prolongeait jusqu'à la mer, par la forêt d'Eawy. Cerideau forestier était limité à l'Ouest par la Sainte-Austreberthe etla Scie, le long desquelles courait la ligne des oppida gaulois.Les deux conclusions se corroborent : le pays de Caux primitif, leterritoire des Calètes, était limité par la Sainte-Austreberthe, laScie et une ligne qui, passant par Varneville et Bretteville,rejoignait les sources des deux rivières. Telle était alors la limite de la civitascalète, qui ne subit pas de modifications pendant les trois siècles quisuivirent la conquête romaine, jusqu'au jour où Juliobona,incendiée et détruite au IVe siècle par les pirates saxons, disparut,remplacée par Rothomagus, ou Ratumacos, par Rouen, qui donna alors sonnom à toute l'ancienne civitasgauloise agrandie. Un point particulièrement curieux, c'est que, depuis la véritabledélimitation du pays de Caux à l'époque gauloise, jamais aucune descirconscriptions successives données à cette région, n'a eu les mêmeslimites. A l'époque mérovingienne, capétienne ou même normande, le pays de Cauxformait ce qu'on appelait un pagus,une sorte de grand arrondissement, le pagus Caletus, le pagus deCaux. Eh bien, ce pagusn'a jamais eu les anciennes limites du pays de Caux de l'époquegauloise ! Pendant un temps, il n'a compris que les partiesoccidentales et septentrionales, la pointe de la presqu'île et la côtede la Manche. A un autre moment, il a été absorbé par deux autres, pays ou pagus : le Talou,toute cette région entre Dieppe et Le Tréport dont, la ville d'Eusemble avoir été la capitale, et par le Roumois, le pagus Rodomensis,dont le nom n'a été conservé qu'à une partie du département de l'Eure,mais qui comprenait alors les environs de Rouen, tout ce qui forme àpeu près actuellement l'arrondissement de Rouen. Quand l'ancienne Normandie rentra dans le domaine de la Couronne, en1204, Philippe-Auguste s'empressa de diviser tout le pays enbailliages. Le Bailliage de Caux, ainsi que nous l'indique M. GeorgesLe Carpentier, reprit tout d'abord les limites de l'ancien Pagus Caletus, telqu'il était constitué sous les ducs normands, c'est-à-dire comprenantles deux divisions ecclésiastiques : l'archidiaconé du Grand Caux,englobant la région havraise jusqu'à la Durdent, et l'archidiaconé du Petit Caux, limitépar la Durdent d'un côté et jusqu'à la Scie de l'autre côté. Mais d'autres bailliages royaux vinrent s'adjoindre au bailliage deCaux, et augmenter ses limites. C'est le bailliage de Neufchâtel, citédans un Cartulairenormand en 1214 et en 1219 ; c'est le bailliage d'Aumaleen 1238, et enfin celui beaucoup plus important d'Arques en 1204. C'estseulement sous Saint Louis, vers le milieu du XIIIe siècle, que lebailliage de Caux prit définitivement le nom du pays, dont il englobaitla totalité, sauf les bailliages voisins, de Rouen et de Gisors. Chosecurieuse, jusqu'à l'annexion des bailliages d'Arques, de Neufchâtel etd'Aumale, le bailliage de Caux n'avait pas été désigné sous le nomgéographique, mais par le nom des fonctionnaires qui l'administraient «Bailliage de Richard de Bléville », par exemple, ou « Bailliage deGeoffroy la Chapelle ». Tout au plus, après ce nom, ajoutait-on, in Caleto « enCaux ». Quoi qu'il en soit, avec ces nouvelles limites, le bailliage de Cauxcomprenait dans sa partie Nord des régions qui n'avaient jamais faitpartie de l'ancien pays des Calètes, tandis que la partie Sud-Est del'ancienne civitasgauloise était exclue du bailliage de Caux. Rien donc de plus arbitraire, de plus contraire aux origines du pays deCaux véritable, que ces nouvelles limites du bailliage. Ce sont ellescependant qui ont été données la plupart du temps par tous lesgéographes ayant traité du pays de Caux, et c'est encore ainsi que, denos jours, on le détermine dans nombre d'ouvrages contemporains. C'estun peu la faute d'un excellent écrivain du XVIIe siècle,Toussaint-Duplessis, qui, dans sa Descriptionde la Haute-Normandie, a ainsi fixé les limites du paysde Caux. « Entre la Bresle et l'embouchure de la Seine, a-t-il écrit,étaient anciennement situés les peuples de la Gaule que César nomme Caleti. L'espacequ'ils occupaient porte aujourd'hui le nom de pays de Caux ». Et ilajoute qu'autrefois on appelait les habitants du pays de Caux, les Caillots et les Caillettes. Ilajoute même que c'est là l'origine de Gonfreville-la-Caillot, et quec'est à tort que la puissante famille des seigneurs de ce pays, les LeTot de Varneville, avaient mis dans leurs armes « trois têtes decailles arrachées ». A son ouvrage, Toussaint-Duplessis joignit la carte du pays de Caux,qui est également celle du bailliage. En effet, on y voit que le paysde Caux est borné, depuis la Bresle, par une ligne sinueuse passant parBlangy, Hodeng, Fouilloy, Gaillefontaine, Gournay, Croisy, côtoyant lepérimètre du Vexin, puis, remontant par La Ferté-en-Bray, Sommery,Saint-Saëns, Bellencombre, Saint-Victor, Thibermesnil, Panneville,Bouville, Limésy, Pavilly, Saint-Pierre-de-Varengeville, pour finir àHénouville près de Duclair. Thomas Corneille, qui connaissait bien le pays, et qui ne manque jamaisdans son Dictionnairegéographique, d'écrire la mention « dressé sur les lieux», donne aussi au pays de Caux « en latin, dit-il, Caletensis ager »,des limites à peu près semblables, toujours d'après les limites dubailliage. « Il est situé, dit-il, entre la Seine, l'Océan, laPicardie, le pays de Bray et le Vexin normand ». On voit cependant que,contrairement à Toussaint-Duplessis, il ne comprend point dans le paysde Caux, le pays de Bray, auquel il consacre un article spécial. Ilajoute cependant que « sa plus grande largeur est de 16 lieues, depuisla banlieue de Rouen, jusqu'à la ville d'Eu ou du Tréport ». AndréDuchesne, dans sa Descriptiondes villes et provinces, était aussi tombé dans la mêmeerreur, de même que de nos jours, Houël, dans ses Annales des Cauchois. Meilleur géographe que ces érudits, le médecin rouennais Lepecq de laClôture, qui a donné une topographie médicale, - souvent attaquée dureste, - du pays de Caux, dans son Traitésur les maladies épidémiques, a nettement retranché dupays de Caux, tout le coin compris entre Dieppe et la Bresle, toute lavallée d'Arques et le pays de Bray. Bien qu'ils aient la même coutumeque les Cauchois, il constatait que les moeurs, les habitudes, laconstitution de ces habitants différaient sensiblement. Comment, après cela, nos géographes n'auraient-ils pas reproduit lesdélimitations données par Toussaint-Duplessis ? C'est le cas de Viviende Saint-Martin dans son Dictionnairegéographique, qui comprend, dans le pays de Caux, « lesarrondissements du Havre, d'Yvetot et de Dieppe » ; de Baudrillart,dans la France agricole,qui y comprend, en plus, les cantons de Buchy, Clères, Maromme,Duclair, Pavilly et de Saint-Saëns. Joanne, Passy appellent aussi le Petit Caux, toutela partie entre Dieppe et le pays de Bray, ce qui ne concorde nullementavec les limites de l'ancien archidiaconé, qui portait cettedénomination et ne comprenait que les doyennés de Canville, Brachy etBacqueville. Comme l'a dit avec raison l'abbé Cochet : « C'est uneterre plus picarde que normande », où les habitants n'ont ni le mêmeparler ni les mêmes coutumes que les Cauchois. Quant à Reclus, ilindique que le pays de Caux est limité par l'Andelle, faisant ainsi bonmarché du Vexin normand. Comme on le voit, la question, d'après les géographes, est assezobscure, et il reste autour du véritable pays de Caux, circonscrit àl'ancienne civitas calète, des zones et des pays intermédiaires, dessortes de marches ou d'états-tampons, comme on dit aujourd'hui, assezmal définis. Pour le délimiter plus strictement, M. Georges Le Carpentier, dans sonintéressant mémoire, indique qu'il faut s'en rapporter, au dire mêmedes habitants, appelés à trancher ce problème ethnique. Ainsi, leshabitants des cantons de l'Est de Dieppe diront en parlant de ceux quisont à l'Ouest : « Vous autres Cauchois » et ceux-ci leur répondront :« Vous autres Picards ». De même, dans la région entre la vallée deBray et la limite occidentale de la forêt d'Eawy, où les habitants,dit-il, ont le parler bref des Picards, mais ne se considèrent pascomme Cauchois. Le canton de Buchy, une partie de celui de Clèresjusqu'à Cailly, le canton de Maromme, toute la partie du canton deDuclair, sur la rive gauche de la rivière de Sainte-Austreberthe, nesont pas Cauchois. Ce sont des restants, des souvenirs de l'ancien pagus Rodomensis,ou pagusdu Roumois. Reste la région entre la Varenne, la rivière de Cailly jusqu'àMonviile, Barentin, la Sainte-Austreberthe et la Scie, qui comprend unepartie du canton de Tôtes, de Pavilly et de Clères. Est-on là dans lepays de Caux ? Des communes, Saint-Victor, Montreuil, portent encoresouvent l'appellation de « en Caux », Longueville l'a porté au XVIIIesiècle. Malgré cela, M. G. Le Carpentier ne croit pas qu'on soit là enplein pays de Caux, parce que cette région n'est qu'un essart del'ancienne forêt gauloise formant la limite de l'ancienne civitas calète. Pour lui, le pays de Caux incontestable et incontesté, ne commencequ'au delà de la Scie et de la Sainte-Austreberthe et ne comprend quele plateau. Il a des doutes pour les populations riveraines de laSeine, et pour celles de quelques valleuses de la Manche, Yport, parexemple, où il reconnaît une population méridionale immigrée. Ilpourrait ajouter le Pollet et Quillebeuf, où un parler zézayant, descostumes spéciaux, ont semblé indiquer une colonie vénitienne ouitalienne. Mais sur quoi se base cette définition et cette détermination desCauchois par eux-mêmes ? Est-ce sur un caractère ethnique, anthropologique ? Dans sa Géographie de la Gaule àl'époque romaine, Abel Desjardins avoue qu'il est à peuprès impossible de déterminer les caractères particuliers des peupladesgauloises, en dehors de certaines généralités. Malgré toutes sesrecherches sur les types de la femme calète, grande, sèche, un peuplate, qui aurait rappelé le type l'Anglaise, sans poitrine et sansappas... callipyges - « Ils n'en ont pas en Angleterre », comme disaitsi drôlement Maurice Donnay, - de Mortillet n'est point arrivé à fixerle type de la femme calète. Tout au contraire, Posidonius, d'aprèsAthénée, réhabilite les Cauchoises, en disant qu'elles étaient grandeset belles. Un autre ajoute qu'elles ont de longues jambes, et Timagèneraconte qu'elles excellaient dans les batailles à coups de poing et àcoups de pied, où leurs bras forts faisaient merveille. A défaut de détermination ethnique, M. Georges Le Carpentier estime que« le Cauchois se reconnaît à un ensemble de particularités qui ledistinguent, plutôt qu'à une particularité déterminée. ». Ce quidifférencie surtout le Cauchois de l'habitant des régions voisines,c'est son langage, c'est sa prononciation. Là-dessus, le père Malandrinne se tromperait pas et répondrait hardiment : « C'est un Cauchois » ou: « Ce n'est pas un Cauchois ! » Les Cauchois se reconnaissent donc,conclut M. G. Le Carpentier, « au patelin ». De cette unité morale desCauchois jusqu'en 1789, il a existé un monument vivant etcaractéristique, c'était un droit spécial, la Coutume de Caux,citée par Thomas Corneille et par Houard. Supplantée en certainsendroits par la Coutumede Normandie, elle avait été conservée sur le plateau,prouvant que les Cauchois étaient plutôt des Gaulois, des Calètes, quedes Normands !... Il y aurait bien encore à signaler un des caractères du pays de Caux...C'est qu'il est un des pays les plus plantureux, les plus féconds enbonnes choses et en braves gens. Mais cela, un bon poète de l'ancientemps, Sarasin, le normand Sarasin, l'a dit en fort bons vers : Cailles y vont dans le plat dix à dix, Et perdreaux tendres comme rosée ! Le fruit y pleut, si que c'est chose aisée De le cueillir se baissant seulement. Poissons en beurre y nagent largement ; Fleuves y sont du meilleur vin d'Espagne Et tout cela fait dire hardiment : Le pays de Caux est pays de Cocagne ! Et malgré tout le talent que M. Le Carpentier a mis dans sonintéressante monographie du pays de Caux, c'est peut-être ladescription du poète qui restera la plus vraie !... . GEORGESDUBOSC |