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DUBOSC,Georges (1854-1927) : Les noms de famille(1900). Numérisation du texte : O.Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (27.IV.2008) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Première parution dans le Journal de Rouen du11 février 1900. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 2èmesérie, publié à Rouen chez Defontaine en 1922. Lesnoms de famille par Georges Dubosc ~*~L'origine des noms de famille, et particulièrement celle des noms denotre région, est très curieuse, car elle se rattache non seulement àl'histoire de notre langue, mais aussi à celle des moeurs et destraditions. On croirait généralement que ces noms patronymiques seperdent dans la nuit des temps et remontent très haut. Eh ! bien, iln'en est rien ! Certes, dans l’antiquité romaine, chaque citoyen de laVille Eternelle était orné d'au moins trois noms : le prénom, le nom de famille et de maison et le surnom, « qui se donnait, ditAmyot, ou pour quelqu'acte ou quelqu'aventure notable, ou pour quelquemarque de la face et forme du corps ». Mais en France, comme chez laplupart des peuples chrétiens, il fut généralement d'usage de ne porterd'autre nom que le nom de baptême. C'est si vrai, qu'actuellementencore, les souverains comme les évêques, les papes, ont conservél'ancienne habitude de ne signer que de leurs noms de baptême. Onaurait été bien étonné, par exemple, si l'empereur d'Autriche avaitsigné François Joseph de Nordgau, bien qu'Everard III de Nordgau aitété la souche de la maison de Habsbourg-Lorraine ! En France donc, jusqu'au VIIIe siècle, pas d'autre noms que le nom debaptême. A cette date, commencent seulement à apparaître les nomspatronymiques, qui ne sont que des surnoms, comme ceux donnés à nospremiers rois Charles Martel, Pépin le Bref, Louis le Débonnaire,Charles le Simple, Hugues Capet. Encore est-il qu'à cette date, lesurnom n'existait, que pour les personnages historiques et queseulement, vers le XIe siècle, quelques seigneurs féodaux commencèrentà joindre à leur nom,de baptême celui de la terre qu'ils possédaient.De là, la particule nobiliaire, le de, que tant de gens accolent sibénévolement à leur nom, et qui, au fond, n'a aucune signification s'iln'indique point la propriété d'un fief, d'une terre, fût-ce la moindregentilhommière, « savonette à vilain ».C'est la « terre » qui anoblit,ce n'est pas le de ou le du. Voilà ce que devraient se dire ceuxqui ont la manie de scinder leur nom roturier, Pour vouloir en prendre un, bâti sur des chimères. Quant à nous autres, serfs, vilains, manants, nous nefûmes pendant longtemps désignés que par le nom debaptême associé à celui dupère, « Guillaume, fils d'Eude ; Roger, fils de Jean » et parfois àcelui du frère « Jourdain, frère d'Enguerand ». Nous trouverions milleexemples de ces désignations familiales dans nos chartes normandeselles rappellent un peu les dénominations arabes, comme MohammedbenMohammed, « Mohammed, fils de Mohammed », auxquelles la lecturede Gens de poudre a familiarisé les lecteurs. Au XIIIe siècle, on voitcependant apparaître le surnom « Osber dictus Miles » Osber dit LeSoldat, «Wilhemnus dictus Magister » Guillaume dit le Maître.C'est, à proprement parler, à cette époque que commencent les nomsvéritables, passant des individus aux enfants, puis aux familles etservant à distinguer celles-ci entre elles. Quelques particularitéscurieuses signalent cependant l'origine de ces noms. En Normandie, ilarrive qu'on « décline » pour ainsi dire le nom. Nous en avons unexemple par le nom d'un endroit rouennais, Le Pré au Loup. Il nes'agit pas, en effet, d'un pré où il y avait des loups, mais d'unpré appartenant à un sieur Leloup, c'est ce qu'indique l'articlecontracté aupour « à Leloup ». Au Moyen-Age, en Normandie également,il était d'usage de désigner une femme mariée ou une veuve par lenomde famille de son mari - ce qui n'a rien d'extraordinaire - maisen donnant à ce nom, une désinence féminine et en substituant àl'articlemasculin, l'article féminin. De même pour les femmescélibataires...et les vieilles filles. De là, les Jeanne la Charetière, les Agnès laDépensière. Il se pourrait bien que ce fût même là l'origine denombreux noms fénminins : Lamartine, Larousse, Ladoucette, Lamauve,Bonesseur, Colette, Madeleine, et bien d'autres. Il faut tout d'abord remarquer qu'un très grandnombre de noms patronymiques actuels ne sont, comme nous l'avons,dit,que des noms de baptême, des noms de saints devenus noms defamille.De là, l'innombrable tribu des Gilles, des Simon, des Benoît, desGermain, des Laurent, des André, des Marc, des Philippe, desGervais, des Didier, des Beaudouin, des Etienne, des Bazile, desRoger, des Baudry, des Olivier, des Aubry, des Boniface, des Roch,des Gérard, desHilaire, des Thibault, des Rémy, des Grégoire, des Martin,desMénard. Certains sont moins connus, mais sont aussi des noms desaints : les Crépin, qui portent le nom du patron descordonniers ; les Evrard, qui prennent le nom de Saint-Everard ; lesHervé, les Fouque, les Benedict. A premième vue, i1 paraît aussiextraordinaire que certains noms de famille soient des nomsféminins; mais cette anomalie s'explique quand on saitqu'autrefois ilfallait sous-entendre la filiation. Adeline, :ou son dérivéAlinne,indiquait que le porteur était fils d'Adèle ou d'Adélaïde.C'est ainsi que se sontformés les noms d'Alix, qui vient d'Alice ; de Sibille, d'Isabelle ; deJeanne, de Juliette. L'amiral Cécille, lord Cecil en Angleterre,sont des exemples curieux de ces noms à désinence féminine.Il en est même, que le public ignore. Ainsi Mazeline est une formeadoucie deMadeleine, et Margerin ou Marguerin, est une formemasculine du nomde Marguerite. Marguerin est « le fils de Marguerite ». Parmi nos noms de famillle actuels, ilen est encore bien d'autres - et je ne veux citer que des nomsrouennais - qui sont des noms dénaturés ou des diminutifs desnoms debaptême, des noms de saints. Il arrive tous les jours qu'ondonne aux enfants des noms abréviatifs ou redoublés plus faciles àprononcer.C'est Toto pour Victor, Hieyette pour Henriette, Popaul pour Paul,heureux encore quand Toto ne s'en va pas chez Tata, comme dansl'amusant vaudeville de Meilhac. Eh ! bien, il en fut un peu ainsilors de la formation des noms patronymiques. Il en est un trèsgrand nombre qui ne sont que, des déformations des noms primtifs. Collignon, par exemple, est une variantede Colin ; Eliot, d'Elfe ; Guerrand, d'Enguerrand, nom fort répanduau moyen-âge ; Guyot, Guyomar, Gy, le nom de l'ancien imprimeurrouennais, ne sont que des dérivés de Guy, de Saint-Guy, dont lenom été popularisé... par la danse. Henrion, Henriot, le nom dudessinateur comique, ne sont que des diminutifs cl'Henri. Riquetpourrait bien en venir aussi, mais Riquet a voulu également dire« bossu », d'où Riquet-à-la-Houppe. Binet, Robineau, Robart,Robillard, viennent de Robin. Jacquelin, Jacquinot, viennent deJacques. Besnard et Beunardeau, viennent de Bénard. Pierrin et Perret sontdes diminutifs de Pierre, comme Pierson veut dire fils de Pierre.Boudin n'a rien à voir avec la charcuterie, mais vient de Beaudoin ;comme Pasquet vient de Pascal ; Sylvestre, de Sevère ; Morand, de Morin; Renault, de Regnaud ; Rambert, de Renaud. Il en est de même des noms, dont le sens estbeaucoup plus détourné, mais qui, en réalité, proviennent égalementdes noms de baptême, défigurés à plaisir, de telle façon qu'on a peineà les reconnaître. En voulez-vous des exemples ? Thiessé, un nom bien connu enNormandie, n'est qu'un dérivé de Mathias ; Maheut n'est qu'unedéformation de Mathieu, bien qu'en patois normand, il signifie parfois« malheur », « qué malheu ! ». Doriot, n'est que la forme abréviative deThéodore ; comme Collot, de Nicolas ; comme Drieu, Drouart,d'Andrieu, un nom de saint. Mais en voilà de plus curieuses encore :Nion, qui vient de Denis ; Thénard, qui vient d'Etienne ; Guibert,Goubert, Guébert, qui viennent de Saint-Gilbert ; Rault, Raoux,Raullet, formes dérivées de Raoul ; Béraud, forme contractée deBeroalde, un prénom qu'on retrouve dans le nom du joyeux conteur de laRenaissance, Beroalde de Verville ; Tanguy, abréviation de Tanneguy ;Josse, « M. Josse, l'orfèvre », qui vient de Jud, comme Jore est laforme flamande de Georges, comme Ernouf est la forme du vieux nomgermanique Arnoult, Arnoulf, dont un village près de Lillebonne,célèbre par sa mare miraculeuse de Saint-Onuphre, porte encorele nom. Pour terminer, voici encore des noms dénaturés : Joanne, Jouenne quiviennent de Jean, nom qui se préte à bien d'autres métamorphoses,puisque Jannequin, Hanneton,Hanotteau, Hanniquet en viennent, comme Hannequin qui est la formeflamande, comme Hans qui est la forme allemande. On a même voulu enfaire venir Anquetil et Anquetin, qui ne seraient que des dérivésdiminutifs de Hanquet, Janquet, qui voulait dire « Petit Jean ». Quantà Ferry, c'est bien la forme française de Frédéric, forme abrégée,par la suppressionides consonnes qu'on n'aime guère en France.Au surplus, le nom est surtout lorrain et l'on sait qu'il futporté parplusieurs princes de la maison de Vaudémont. Pour mettre un peu d'ordre dans ces origines denoms, passons maintenant aux noms qui proviennent de laprofession ou;des métiers exercés par leurs premiers possesseurs.Ils sontinnombrables, - est-il besoin de le dire ? - et beaucoup s'expliquentd'eux-mêmes, mais il en est d'autres qui demandent quelqueséclaircissements. Voici, par exemple, l'innombrable famille desLefebvre, Lefèvre, Lefeuvre, Lefébure. Qui sait aujourd'hui que lefèvre était, autrefois, le forgeron, le maître-ouvrier en fer, le faberlatin, ce qui indique la présence du B conservé dans le mot Lefebvre ?A Rouen même, la tour Saint-André, dans la rue Jeanne d'Arc, nousconserve le souvenir de l'église « Saint-André-aux-Fèvres » aux «forgerons ». Le nom de Fabre, - Ferdinand Fabre - ; de Faure - FélixFaure - ; de Favre - Jules Favre ; de Faberot, l'ancien députésocialiste, ne sont que les formes méridionales, dans la langue d'oc,du mot « fèvre » et signifient aussi le « forgeron », le, maître deforges cher à M. Ohnet. Qui connaît également l'origine du nom toutaussi répandu de Lesueur ? Le « sueur », c'est le cordonnier, du latin Sutor, oupour mieux dire c'est le piqueur, car les ordonnances de nos rois fontla différence entre les « cordouenniers » et sueurs. Dans les noms qui tirent encore leur origine desmétiers se rapportant aux vêtements, nous trouverons ceux deParementier, le tailleur, le faiseur de parements ; Le Tellier, letellier, le fabricant de toile ou de telle; Le Tissandier, Texier,noms de tisserands ; Pélissier, Pelletier, Le Pelletier, noms defabricant de pelisse et du vendeur de pelleterie. Dans les métiersdu bâtiment et de la construction, en dehors de l'immensecoterie des Massons et des Massots, de celle des Carpentier etLecarpentier, il nefaut pas oublier la famille des Tuilier, Thuillier, Tulier, qui ne sontque des ouvriers en tuiles. Certains métiers, quoique trèsparticuliers, fournissent cependant plusieurs formes de noms, tels lecharronnage et la fabrication des voitures. C'est tout d'abord lesnoms de Voiturier et de Levoiturier , ceux deCaron, Chéron, LeCharron, Lechertier, Charrette, qui désignent l'ouvrier charron ; ceux.de Royer, Leroyer, de Royer, Rodet, qui dénomment l'ouvrierfaiseur de roues ; le nom de Rouher, l'ancien ministre ded'Empire, n'estqu'une forme du même nom. Cartier, Le Chartier, Carlier, servent àdésigner le charretier. Comme en vrai patois normand, poié, pouyer veutdire grand, du verbe poier,monter, Pouyer-Quertier signifie le «grand charretier », qualificatif qui n'aurait point effrayé le rudeet solide ministre de M. Thiers. Si nous passons auxprofessions del'alimentation, aux métiers de gueule, voici Thubeuf et Tuvache, deuxbouchers ; Masquelier, en langue d'oc, veut dire la même chose,commeaussi Massabiau, le nom d'une des parentes de Gambetta, quisignifietout simplement : «Assomme-boeuf ». Le Saulnier est le marchand de sel; Lailler, Layer, lemarchand d'ail ; Loyer, le marchand d'oies ; Lepesteur, le boulanger «pesteur ou boullenger, » dit Ducange en son Glossaire, et Lequeuxest le maître-cuisinier. Dans les métiers qui fabriquent les objetsdomestiques, voici les Maignan, Manier, Le Meignan, Magnin, qui ne sontque des chaudronniers ; les Lormier, qui fabriquent tous les menusustensiles de fer, la lormerie ; les Cuvelier, qui font les cuves ;les Vannier, la vannerie ; les Féron, la ferronnerie. Les métiersagricoles tiennent aussi leur place : Gautier, c'est le bûcheron, duvieux mot gaut, forêt ; Magnier, c'est le meunier, comme Monier,Lemonier, formes usitées en Normandie ; Lesertisseur, c'est ledéfricheur de la terre pour la culture ; Metivier, c'est le gardiende moisson, du latin metis,mais c'est la forme méridionale ; enlangue d'oïl, on dira Le Messier. Lebedel est aussi un gardiende moisson. Leberquier est tout simplement le berger, prononcé àlanormande, comme Loiselier est l'oiseleur, comme Leharivel, un nombas-normand, est « le marchand de bestiaux », un peu pris en mauvaisepart, car le harivel est celui qui discute, qui « haricote ». Paturel,lui, est le petit pâtre. Bergeret, de même. La chasse va nous fournir d'autres noms. Tout d'abord LeCacheux, le chasseur, et un tas de noms de louvetiers : Heurteloup,qui pousse le loup ; Bouteloup, qui a la même signification, « quichasse, qui boute le loup » ; Virlouvet, qui fait « virer », tourner leloup ; Cacheleu, chasse-loup. Les Cachaleux, en Picardie, portenttrois pattes de loup dans leurs armes. Un de ces noms, doublementsignificatif, était celui de Chasseloup-Laubat. Chasseloup voulaitdéjà dire, dans la langue d'oil, le « chasseur de loup », et Laubat, dans lalangue d'oc, voulait dire le loup. Il est vrai que l'amiralChasseloup-Laubat était un vrai loup... de mer ! La pêche nous fournira le nom normand deLepesqueur, si répandu sur les bords de la Seine, du côté d'Oissel, etPêqueux, Pêcheux, qui est la forme picarde. Mais voilà que noustoucherons au haut commerce avec l'innombrable famille des Marchand etLemarchand. Les Marcadé, Marcadet, Marcadier, en est une formeméridionale : c'est le marchand, le mercator antique. Si nous passons aux noms provenant de la fonction,la liste devra comprendre tout d'abord le Graverand, qui n'est autreque le collecteur d'impôts. Tous ses privés et ses baillais, Ses Graverens et es vicomtes. ditRobert Wace, dans le Roman de Rou ; Le Maillard recueille, lui aussi,l'impôt des mailles, une petite monnaie qui est demeurée dansl'expression proverbiale : « Il n'a ni sou ni maille ». Fortier est legardien du fort, comme Viard est le gardien d'une porte de ville,,comme Massard est le trésorier général de la « masse », comme Censierest le percepteur du cens. Clavier, Claverie - vous souvient-il d'unvieux bouquiniste méridional de la place Saint-Sever qui portait cenom ? - sont les gardiens des clefs (clavis) Clamageran, sous sa formeméridionale, qui vient du verbe clamader, est le «,procureur, lefondé de pouvoir » ; Delatre, Delestre, est l'homrne préposé à lagarde de l'aître, de l'entrée qui par extension, est devenu lecimetière, comme l'aître Saint-Maclou. Quant à tous les Bailly,Lebailly, et Lebaillif, ils descendent tous de Monsieur le Bailli... quin'est pas toujours de Corneville ! La nationalité servit aussi à donner toute unesérie de véritables surnoms, pour, la plupart précédés de l'article le ou la, soit qu'ils fussent d'origine étrangère ou simplementprovinciale. Langlois, c'est l'Anglais ; Lallemand, nom decélèbres imprimeurs rouennais, c'est d'Allemand ; Le Danois, c'est leDanois ; Flamand, s'explique de: lui-même ; mais Vallois, c'est leGallois, du pays de Galles, et Grieu, Grieux. c'est le Grec ; Cauchois,Le Cauchois viennent du pays de Caux ; Dauge, l'Augeois, viennent dupays d'Auge ; Manceau, du Mans ; Picard, de Picardie ; Lebret, LeBreton, de Bretagne ; Langevin, de l'Anjou ; Poittevin, Le Poittevin,du Poitou ; Barrois, de Bar ; Bourguignon, de Bourgogne ; Gascard, deGascogne ; Objois, de l'Albigeois ; Defrance, de l'Ile de France ;Briols, Briard, de la Brie ; Paris - qu'on prononce mal - Parizet,Parigot, de Paris. Quant à Sarrazin, il s'explique également delui-même. Mais nous voilà arrivés à l'une des sources, oùcertainement on a le plus puisé pour fournir des noms : c'est celledes particularités physiques, de la tournure du corps ou du visage.Les noms, à l'origine, durent constituer de véritables passeports,qui, par la suite, se sont bien modifiés, car M. Legrand, peut êtrefort petit et M. Leblond, noir comme un. corbeau. Passons cependant enrevue des plus caractéristiques : Poutry, en Picardie, c'est le « pansu » commePanchout, en Normandie, comme Legrêle, c'est le « mince», et Grossin l' « assez gros ». Pouyer, poié, nous l'avons dit, enpatois normand, c'est le « grand », et Klein, en patois alsacien,c'est le « petit ». Voilà pour la taille ; le visage nous donnera :Giffard, un nom bien cauchois et qui signifie le « joufflu », de giffe, joue ; Belgul, n'est qu'une variante de « Bellegoule » , quiexiste aussi et signifie beau visage, belle bouche. Rozé serapportera au teint. Quant à la chevelure, il est difficile de se...démêler dans tous les noms qu'elle a pu fournir. C'est tout d'abord: Hérissey et Le Hérissey, Hurault, Hurel, Hurepois, Hurepy, qui ontla même signification ; Peulevey, Pelleevé, qui eux aussi, ont lepoil « levé» et dressé. Piel, Beaupel, Pefloux, forment des dénominations analogues : c'est le « poil », le beau poi1, quidisparaît cependant avec Touzé qui veut dire le « tondu », le rasé, etavec Chauvin et Cauvin. Quant aux couleurs, toutes sont notées, avecMorel, qui veut dire « noir comme More » ; avec Niel, Néel, Niellon,qui signifient égaleraient « noirâtre », car le mot « nielles » gravureet incrustation en noir, n'a pas d'autre origine ; avec Canu, qui veutdire blanc ; avec Brunon, qui veut dire brun ; avec Roux, Rousseau,Rouillard, Roussel, Rousselet, Rousselin, et même Rouanet, qui nousindiquent toutes les nuances de la rousseur, et avec Rouget, Roujot,Roujon, Robichon qui marque la teinte rouge des cheveux, jusqu'aupoint où elle devient fauve et nous fournit Fauvel et Falloux.Tire-t-elle sur le brun rouge, elle forme le mot Baillard ; sur leblond ardent, Sorel et Soret ; sur le blond pâle, Blanchot. L'âge a servi aussi à ,donner deis nones etsurnoms : « Jeune » c'est Jonnart, Jouvencel, noms de députés connus ;Jonain, Jouvenet, le nom du peintre ; Jouve, Jouvin. « Vieux » c'estViel, c'est Viez et Vial, qui sont des formes méridionales ; c'estDaviel, c'est Viette, c'est Viallard, Viallaret. Quant aux infirmités,elles ont aussi leur bonne part dans les désignations. Qui ne sait queGambu, Gambier, Garubard, Gambey, désignent les gens à petites jambes. Gambetta ne veut pasdire autre chose. Par contre, Chopard est encore plus malheureux, caril signifie « boiteux », qui chope, comme Garet et Garel. Gobin a-t-ilplus de chance, car il désigne un « bossu ? » Quant aux Manchon, sinombreux, ils ne sont pas tous... « manchots », comme tous lesMutels ne sont pas « muets », et tous les Sailliard ou lesLeballeur, danseurs, sauteurs, gens qui « saillent » et « baillent »joyeusement. A l'aspect physique, viendront encore se joindre,pour déterminer de nouvelles dénominations, les vocables signalantles qualités morales, ou ceux empruntés aux conditions sociales.Ceux-là sont innombrables. Voici d'abord Bonet, « le bon », et Mallet, « lemauvais » ; puis, c'est Hardy, l'audacieux ; Harel, le querelleur, quivient du mot harelleou querelle ; Randon, l'impétueux ; Hazard, lejoueur ; Gaudel, le « réjoui » ; Tribouillard qui, lui, aime lesrixes de la « tribouille » ; Lerebours, le pillard, lerevêche ; Mauduit, « le mal duit », le mal conduit ; Hurtu, celuiqui frappe,qui heurte ; Quettier, le doux et le tranquille, le « quiet » ;Malandrin,le « mauvais homme », et Talbot, le « noir bandit » ; Marjollin,l'étourdi ; Trufault, le trompeur, qui « trûffe » et ruse ; Appert,l'adroit ; Artaud, l'habile ; Briffault, le goulu et 1e glouton ; Devé,le rêveur ; Goulard, Gouley, Goulon, le gourmand ; Hettier, legai, le joyeux ; Laffetay, le bien soigné, le bien paré ; Lavolée,l'étourdi ; Lavoisier, l'avisé ; Lecointe, le bien tenu ; Lehodey, lefatigué ; Lereffait, le trompé ; Lesouëf, le doux, agréable, commeAmable et Mabile qui en dérive et a le même sens. Voici encore Létorey, le bien pourvu, le gratifié ; Manoury, le malnourri ; Mauchrétien, le mauvais chrétien ; Maubert, le mauvaisseigneur ; Ribard, celui qui aime à plaisanter ; Larible, celui quigoûte la débauche, les rixes, « la rible » ; Védy, celui quiest habile et trompeur. Parmi les noms à désinences étrangères,Erluison vient du mot germanique Erl, qui veut dire « noble » ;Siegfried veut dire le victorieux et le pacifique, tel Sigefroid enfrançais. Quant à Bergevin, c'est une forme de Burgevin, du vieux nom «Burgvvin », défenseur et ami. Waddington, c'est « la ville du gué ». Les conditions ne fournissent que peu,de noms à lapatronymie ; encore ceux-ci nous renseignent-ils sur l'état social denos ancêtres : Lefranc, c'est l'homme affranchi ; Vasse,Vasseur, Levavasseur, Vasselin, c'est le « vassal » ; Saintier, c'estl'homme qui se fait homme d'église ; Tiercinier, c'est celui qui a letiers d'un bien ; Sosson, c'est l'associé ; Aubain, l'homme qui aquitté la terre de son seigneur, pour aller habiter une terre, où ilpaye le droit d'aubaine. Papin, c'est le grand père ; Filleul, c'est lepetit-fils ; .Bruinent, Le Brument, en Normandie, c'est l'homme quise marie ; Malfilâtre, c'est 1e mauvais fils ; Baron, c'est le marid'après l'origine germanique du mot ; Besson, c'est le frère jumeau ;Frère, c'est particulièrement le membre d'une charité, d'une Frairie ;Hébert, c'est l'hôte, celui qui « héberge » ; Ledru, c'est l'ami,suivant un vieux mot qu'on trouve dans les Miracles de Notre-Dame ;Leudet, le petit « leude », compagnon du chef à la guerre ; Lienard,le locataire, celui qui tient en lienage ; Mainbourg, le tuteur ;Plège, qui est un nom normand, le répondant, celui qui cautionne ;Prud'homme, l'homme sage ; Soyer, celui qui possède un bien en soyesté, en société, en commun; Lancesseur et Lancestre,l'ancêtre. Les dates de naissance ont également servi àdénommer certaines familles ; de là, les Avril, les May, et surtoutles Ozanne, Ozannam, Ozanneaux, qui :sont les surnoms des hommes, nésle jour des Rameaux, parce qu'on chante ce jour-là l'Hosannah.Quantà Tierce, c'est le troisième né d'une fairnille. Pour l'innombrablefamille des Marquis, des Preves, des Leroy, des Lerey - ce qui estla même chose - son origine n'est ni nobiliaire, ni royale : cesdénominations veulent simplement signifier plutôt leur servitudeet doivent se traduire plutôt par « l'homme du marquis », «l'homme duprevost », « les gens du roi ». L'habitation, la demeure grande ou petite, sesenvirons,, son voisinage devaient aussi servir à la dénomination desfamilles, particulièrement des familles campagnardes : De là, les Mesnil et les Du Mesnil, les habitantsdu mansionile latin, la petite habitation rurale ; de là aussi lesMansion, qui ont la même origine. Viennent ensuite des Dupré, lesPrevel, les Prat, les gens du domaine du pré ; les Masure,Desmasure, Mazurier, Maze, gens de la masure normande ; les Deschamps,les Duclos, les Deshays, dont le nom s'explique naturellement ; lesDutuit et les Dutot, les gens du « toit » ; les Hamel, Hamelin etDuhamel, gens du hameau ; Les Rivet, Ruel, Riou, Durier, près duruisseau ; les Nau, près de da source ; les Vauchel, Duvauchelle,gens de la vallée, sous la forme picarde, et les Vallée, Vallette,Vallon, sous la forme normande ; les Chemin, Duchemin, Quemin, gensproches du chemin ; les Chatelain, Castelet, Castelot, proches duchâteau ; les Capelle, Chapelle, près de la. chapelle ; les Soulié,qui habitent les soliers,leschambres hautes ; les Chefdeville, qui habitent le haut, le « chefdela ville » ; les Beaucantin, qui habitent un beau coin, unbeau «canton » ; les Beaurepaire, qui logent en une belle retraite ; lesHeurtault, perchés sur une éminence ; les Cavé, dans un chemincreux ;les Gastines, Gastinel, des Vastines, qui habitent des plaines stériles; les Desjonquières, dans un terrain où poussent les joncs ;lesDesgenétais, où poussent des genêts ; les Delanoë, Lanoë, en un vraimarécage, car « la noë » ne veut pas dire autre chose. Vialle, dansle Midi, c'est Viala équivalent à Villa, le domaine, 1e bourg, le village. En voici d'autres encore : Maupas est le mauvaispassage, comme Maupassant est le mauvais voyageur ; Montier est lemonastère ; Montreuil est le petit monastère ; Pancelet et Poncin, lepetit pont ; Tesnière, la tanière ; Hallé, Hallay, l'endroit desséché; sans compter les dénominations méridionales : les Laborde, quiéquivaut à nos Desmaisons, comme aussi les Lacaze ; les Dumas (du mas),qui équivalent à nos Masure ; les Vilars, gens du village ; lesClaparàde, gens près du champ de pierre ; les Casabianca, gens de lamaison blanche ; les Souchières, gens de la terre défrichée ; les LaPerrière, d'un endroit plein de pierres. On croirait que le vêtement, si caractéristique,aurait pu servir à de nombreuses dénominations. Il n'en est rien, etcela se comprend au surplus. Il est trop changeant, se modifie trop augré de la mode pour fournir des dénominations fixes Tout aupluspourrons-nous citer, comme lui empruntant leurs vocables : Fouré, quia de la fourrure ; Heuzey et Houzeau, qui portent des heuses,deshouseaux ; Pelay, garni de fourrure ; les Cauchard, Cauchon, lesChauchard, qui portent des chausses ; les Chaperon, les Capperon,qui portent les « chaperon » en tête ; les Capet par sonorigine royale, le premier nom français -, qui signifient le chapeau ;Les Malcape, mauvaise, chape, vieux nom normand ;les Courdemanche, à la manche courte. Beaucoup plus nombreuses sont les dénominationsempruntées au règne animal et il semble que jadis nos pères secomplaisaient à se donner des noms de quadrupèdes... et d'oiseaux.Passons rapidement en revue cette ménagerie... philologique. C'est Thorel, Taurel, le taureau ; Caval, Cheval,« la plus noble conquête que l'homme ait jamais faite » ; Leboeuf,Lebeuf, Bobeuf, le boeuf ; Bouvot, Bouvet, Vachon, Viau, le veau ;Lasne, Lannes, Aze, Asse, l'âne ; Bourri, le même avec une autre dénomination ;Regnard, Goupil, Legoupil, le renard ; Gadeau, Laquièvre, lachèvre ; Oursel, Oursat, l'ours ; Lecat, Catois, le chat ; Pelcat,peau de chat, ; Leleu, le loup ; Laignel, Piedagnel, le mouton, lepied de mouton ; Lequien, le chien , Blin, Belin, le bélier ; Chevrel,Le Chevrel, le chevreau ; Cagnon, le jeune chien, en latin canis,comme les Quenault et les Quenet ; Poutrel et Poullain, le jeunecheval ; Vaquette, Vachette, la jeune vache, d'où Vacquerie, lavacherie ; Goron, le jeune porc, le goret ; Tesson, le blaireau d'oùvient le Tasse et le Teysonnier ; Esquiros, l'écureuil. Loisel indiquel'oiseau avec ses dérivés Maloisel, mauvais oiseau, Chandoisel,chant d'oiseau. Puis voici : Leteurtre, le tourtereau ; Coulon,Couloin, le pigeon, d'où colombier ; Coquerel, le jeune coq ;Malard, le canard, suivant le terme normand ; Passerat, Moisson etMoigneau, le moineau ; Héron et Arondel, le héron et l'hirondelle ;Lemesle, le merle ; Plouvier, Pluvinel, le pluvier ; Vanel, le vaneau; Perdrix et Perdriguier, le perdrix et le chasseur deperdrix ; Pinchon. et Pinsart, le pinson ; Loriot et Lorieut,le loriot, qui voisine avec le Rossignol ; Huet le jeune oiseau ;Cornillot, la jeune corneille ; Lepec, le piver ; Laloë, Lalo, Lalauze,l'alouette ; Chu, le chat-huant ; Videcoq, la grosse mésange ; Cucu,le coucou ; Mézange, Lacaille, l'Autour, Lestournel, Lécoufley, lemilan qu'on appelle l'écouffle. Hue isvgnifie l'oeuf et Pennetiercelui gui arrache les plumes, les « pennes ». Faut-il encore citer des dénominations empruntéesaux animaux inférieurs ? Frémy, c'est la fourmi, prononcé à la normande; Botrel, c'est le crapaud ; Abeillard, Evette, Avette, c'estl'abeille, et Cocatrix, c'est le crocodile, bien qu'en Normandie ontrouve ce nom avec le sens de bénitier. Parmi les poisson, c'estSalmon, le saumon ; Hareng et Harenger, le hareng ; Cabot, le chabot,car les Rohan-Chabot portent d'or, à trois chabots de gueules.L'animal fantastique a même pris place dans cette nomenclature, avecDauphin et Dugrippon - du griffon. Très nombreux sont également les noms empruntés aurègne végétal, à la forêt, à ses arbres, :aux plantes, aux légumes,aux fruits. « Que c'est comme un bouquet de fleurs ! » La forêt nous vaut d'abord Le Forestier etForestier, ainsi que Le Verdier, qui veut dire le garde forestier.Puis voici tous les noms tirés du bois : Dubois, Dubosc, Dubusc,Dubousquet, Duboc, Basquain, Bousquet, Bouquet, Boichot et mêmeBuguet, ainsi que Beaurain, le « raim » signifiant le bord dubois.Voici Rachinel, la racine, et Suchetet, la petite souche.Voici encore Breuil, Dubreuil, le bois-taillis ; Buisson,Dubuisson, lebuisson ; Tréfouel, Trefeu, la bûche de Noël. Pour les noms d'arbresproprement dits, voici la tribu innombrable des Lechesne,Lequesne,Duchesne, Duquesne, Quesnel, Chesnais, Quesnot, Beauchesne,Beauquesne sans compter les formes de langage méridional : Rouvre,Rouvray, Rouveyere, Rouvier, Rouvière, ou encore celles comme Casse etDucasse. Voici encore Lahaye, Deshayes, Delahaye, et même Bracquehays,qui veut dire « brise haies ». Voici Boullay, du Boullay,Boullart, pour le bouleau ; Aulnay, Launay, Delaunay, Delaunne, pourl'aulne ; Dessaux, Saussaye, pour le saule ; Fresnay, Fresnoy, DuFresnoy, Dufresny, Freycinet, pour le frêne. Palfresne et Palefresneveulent dire également « qui arrache le fresne »,comme Pelletan indique « l'homme qui enlève le tan ».Perier, Poirier, c'est le poirier ; Pommereu, Pommeraye, l'endroit oùl'on plante les pommiers ; Vergne, Verneuil, Vergnaud désignent aussil'aulnaie, comme Coudray, l'endroit planté de coudriers ; Houssaye,Houssard, Houzard, le houx ; Lépine, L'Epinois, Dépinay, d'épine ;Thil, Thillaye, Thillois, c'est le tilleul ; Faguet, Fagerolles, Fayet,Lafayette, Dufay, Dufétel, Dufau, Dufeu, Desfous, le hêtre, le fau, dulatin fagus. Frechon, dans la langue d'oc, sert aussi de désignationau même arbre. Quant à Sanguin, il signifie le cornouillier et àLepeuple, le peuplier. Parmi les céréales, beaucoup de mots ontégalement fourni à la patronymie : Fromentin vient de froment ;Avenel, Avenne, Chandavoine, de l'avoine, comme Alavoinne ouAlorge signifie le marchand d'avoine ou d'orge. Alaboissette a lamêmesignification, la « boissette » servant à mesurer les grains.Millerandveut dire le champ de millet et aussi une maladie du raisin,et nous en passons pour arriver aux fleurs de nos jardins et auxlégumes, à Dugard quisignifie Dujardin, à Malesherbes qui indique les mauvaises herbes, àFlour, la Fleur ; à Pelouse, le gazon comme Zola, du reste ; à Cardon,le chardon ; à Poirel, et Porraz, le porreau ; à Pezas et Favier, lafève ; à Chennevièvre, le chanvre ; à Feuchères, et Fougureray, lafougère ; à Castaigne, la châtaigne ; à Aveline, l'amande ; à Orange ;à Lavaissière, le prunellier ou le coudrier sauvage . Enfin, nous arrivons aux simples dénominationsdues à des objets usuels : Chéruel, Quéruel, la charrue ; Panel, lepanneau ; Pestel, le pieu ; Rondeau, le rouleau ; Fauquet, la faucille; Bultel, le tamis, le blutoir ; Buhot, la corne ; Bidault, la lance àdeux tranchants qui servait aussi à désigner le soldat qui en usait ;Caudron, le chaudron ; Lepinois, Dépinay, l'épine; Thil, Thillaye,Thillois, c'est le tille -, Cagniard, le réchaud ; Pochon, la besace ;Ratel, le râteau ; Bonnière, une mesure normande, comme Bacette etcomme Conge, une mesure de 3 litres chez les Romains, qui servait auxempereurs romains lorsqu'ils faisaient des distributions au peuple ;Pouchet, le petit sac ; Galimard, l'étui à plumes ; Hain, l'hameçon ;Rispal, le balai ; Rebulet, un mélange de son et de farine... Arrêtons-nous, car la liste des noms avec leursorigines étymologiques serait inépuisable. Ceux que nous avons cités,suffisent pour montrer l'intérêt philologique et historique, quis'attache à cette question du nom, si intimement liée à nos croyances,à nos idées, à nos moeurs, à notre nationalité, en un mot, à notrecivilisation. GEORGESDUBOSC |