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DUBOSC,Georges (1854-1927) : Cueilleursde plantes médicinales(1896). Numérisation du texte : O.Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (07.V.2008) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Première parution dans le Journal de Rouen du07 juin 1896. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 3èmesérie, publié à Rouen chez Defontaine en 1923. Cueilleursde plantes médicinales par Georges Dubosc ~*~Suivant l'amusanteparodie du pauvre Jules Jouy : Quand reviendra letemps gris des rhumes, Où sonne des toux le rythme profond, nous serons bien heureux de trouver la bonne tasse de tisane qui nousrendra la santé. Eh bien, à proprement parler, le mois de juin est lasaison de la tisane. C'est le moment où les cueilleurs de plantesmédicinales, profitant de l'épanouissement de toutes les fleurs, s'envont faire la cueillette, ramasser les simples, qu'ils revendrontensuite aux pharmaciens, lorsqu'elles seront séchées. * * * C'est un art plus difficile qu'on ne croit que celui de savoir prépareret sécher les plantes médicinales. Il y faut du soin et certainesconnaissances, et, parfois, nos santés en dépendent. Que des plantes,entrant dans une potion, n'aient pas été bien classées, bien séparées,et voilà notre remède produisant un tout autre effet que celui attendu! Une distraction, lors du classement et de l'arrangement et on peutnous administrer, au lieu d'un calmant, un deces bons « bouillons d'onze heures » qlui nous envoient, par lerapide, ad patres. Aussi, les vendeurs de plantes médicinales sont-ils gens méticuleux etadroits, sachant que, bien souvent, le petit peuple court plutôt chezl'herboriste que chez le médecin. Aussi, prennent-ils les plusminutieuses précautions pour exercer, sans danger, leur humblemétier. Ils savent fort bien quelles fleurs doivent être émondées deleurs boutons ou de leurs pédoncules, qui n'ont pas les mômes qualités;ils connaissent celles qui doivent être séchées avec leurs calices, ettelles autres qui doivent en être privées, et ils n'agissent, qu'à bonescient ! Le séchage est la grande affaire, une affaire de pratique et de main.Autrefois, lescueilleurs de simples, fort nombreux à la campagne, etqui ne vendaient pas que des plantes en vert, faisaient sécher leurcueillette au soleil, en plein air. La dessication se fait plutôtmaintenant en chambre, et voulez-vous que nous vous dévoilions un dessecrets de la profession ? La plupart des vendeurs de plantesdesséchées ont le bon esprit d'installer leur logement dans levoisinage des boulangeries, et surtout le plus près possible de leursfours. Ils ont ainsi, pour leur usage, des étuves à bon marché. Le painqui fait vivre, la pauvre plante des champs qui guérit s'élaborent l'unà côté de l'autre, et ceci aide cela. Triées avec délicatesse, posées l'une à côté de l'autre, sans semélanger, les fleurs et les feuilles sont placées sur des claies ou surdes tamis, et on les laisse ainsisécher suivant le temps et suivant la nature de la plante, un ouplusieurs jours. Autant on a mis de soin à placer et à poser lesplantes dans leur séchoir, autant faut-il en déployer pour les retirer,de peur de les mélanger. Parfois même, les bons sécheurs de plantes lesexaminent brindille à brindille, craignant qu'un coup de vent ait pules mêler entre elles, à l'insu de tout le monde. Toutes les plantes médicinales ne sèchent pas, du reste, avec la mêmefacilité. Voici, par exemple, la bonne bourrache, la fleur des rhumeset des toux, qui ne subit la dessication que très difficilement. Parcontre, d'autres plantes, une fois préparées, bien desséchées,changeront en très peu de temps. Parmi les poisons, la ciguë, parexemple, restera très longtemps dans son état sec, et c'est trèsprobablement cette facilité de conservation qui avait dû la fairechoisir par les Grecs comme leur poison... officiel. D'autre part, lajusquiame attirera en quelques heures l'humidité de l'air, deviendramoite, ridée, incolore et se moisira en quelque temps. Les cueilleursde plantes connaissent toutes ces particularités du séchage et enremontreraient sur ce chapitre aux plus malins. Vous pensez peut-être qu'il faut aller loin, courir la campagne et leschamps pour trouver les simples ou les plantes médicinales, dont lesprovisions recueillies seront vendues et livrées aux pharmaciens de nosvilles ? Détrompez-vous. Les cueilleurs d'herbes et de fleursnes'éloignent guère des environs de Rouen, dont la flore fournitamplement de quoi alimenter leur humble commerce, assez lucratif audemeurant et qui aide pas mal de gens à gagnerleur vie. J'ai, là-dessus, les confidences d'un brave cueilleur deplantes, qui, pendant de longues années, a livré ses commandes danstoutes nos pharmacies rouennaises, et qui connaît les bons endroits oùon est sûr de faire ample récolte. Il vous dira, par exemple, que point n'est besoin d'aller en Auvergne,qui a la spécialité de pas mal de plantes médicinales, pour trouver ladigitale. Vous rencontrerez ces grandes fleurs purpurines en forme decloches, suspendues et rangées d'un seul côté de la tige, dans lescoins sablonneux et, pierreux qui avoisinent l'ancienne Ferme Podevin,dans le vallon du Trou-d'Enfer, cette ferme où résidèrent longtemps lesjeunes détenues. Certains cantons de la forêt de La Londe, du côté desEssarts, ont aussi la réputation de fournir la digitale, qui sereproduit toujours aux mêmes endroits. Le Trou-d'Enfer, ce repli de coteau, sauvage, abrité et peu fréquenté,est, du reste, un vrai jardin botanique. A côté de la terribledigitale, vous y trouverez encore les tiges traçantes d'une bonneplante pectorale, la mauve, dont les fleurs d'un bleu pâle vont bientôtcommencer à s'ouvrir. Sur le versant de gauche, avoisinant les bois,voici les fleurs d'un jaune doré du millepertuis, un excellentvulnéraire, connu comme un remède populaire pour la guérison descoupures. Voici encore, de ce côté, l'origan, une petite fleuraromatique d'un rouge cendré, réunie en petites houppes, et l'hièble,une espèce de baie, semblable au sureau et qui n'est guère employéemaintenant que par... les mastroquets peu scrupuleux qui s'enservent pour colorer leur vin. Et encore est-ilabandonné depuis l'invention de la fuschine ?... Mais le Trou-d'Enfer, qui vaut mieux - comme vous le voyez - que saréputation satanique jadis mal odorante, n'est pas le seul jardinbotanique où les pauvres gens vont faire la cueillette des simples.L'un des endroits les plus riches, les plus fournis de plantes de touteespèce, était la ligne de chemin de fer de Rouen à Paris, dans latraversée de la vallée de Darnétal, entre le tunnel Beauvoisine et letunnel de la côte SainteCatherine. Pendant les mois de floraison, de juin à septembre, s'épanouissaittoute là série des plantes médicinales, qui semblent s'être donnérendez-vous sur ces talus ensoleillés. A quelle influence est donc duecette réunion de fleurs et de corolles ? Tout simplement à ce qu'unbrave employé du chemin de fer qui, à ses modestes appointements,joignait le gain que pouvait lui procurer la vente et la fourniture dessimples, avait eu l'idée de semer, en cet endroit, les graines desplantes médicinales, qui lui étaient souvent demandées par lespharmaciens, dont il était le fournisseur. Dans ses excursions auxenvirons de Rouen, les jours de congé, il récoltait les graines, puisil les semait à la volée le long des remblais, sur les revers dutunnel, dont il était le gardien, comptant sur le soleil et la pluiepour les faire pousser et grandir, se réjouissant à l'idée de samoisson prochaine. A peu de frais, sans léser aucunement la Compagnie de l'Ouest-Etat, ilavait là, tout le long de la voie, un vrai terrain botanique,à l'ombre et au soleil, d'autant plus précieuxqu'étant enclos sur toute sa longueur, il n'y avait point à craindreles incursions des concurrents... car il y a des concurrents, même dansle cornmerce des plantes médicinales. C'est. ainsi qu'on rencontrait sur toute cette ligne de la vallée deSaint-Hilaire : la patience rouge, le sang de dragon, dont on emploieles feuilles longues, étroites et veineuses, qui rendent un suc rougecomme du sang ; la tanaisie, une plante qui croît d'habitude au bord dela Seine et qui a été acclimatée dans le ballast, où l'on peut voir, aumois de juillet, ces fleurs jaunes en ombelles, dont on se sert commestomachique ; le mélilot et ses fleurs d'un jaune clair, trèsdifficilesà sécher et qui sert pour une eau guérissant les ophthalmies ; lepas-d'âne, une plante très aromatique, qui couvre tout le revers dutunnel de Beauvoisine, tout le long de la rue Descroizilles, et qu'ontrouve aussi au garage de la gare Saint-Sever. Toutes nos voies ferrées, avec leurs remblais incultes, peu fréquentés,leurs terres rapportées, sont d'excellents terrains pour les plantesmédicinales de toute espèce. A l'abord des voies de la gareSaint-Sever, poussait, par exemple, en grande quantité, la verveineofficinale, dont les feuilles servent pour une tisane : le sommet dutunnel de la côte Sainte-Catherine est aussi couvert de ses petitesfleurs roses, dont se couronnaient jadis les druidesses. Sur la nouvelle voie de la gare Saint-Sever, fleurit également ladouce-amère, mais on ne se sert guère de sapetite fleur violette ; on coupe plutôt, en petits fragments, sa tigecreuse, à moitié remplie d'une espèce de moëlle, qui sert commedépuratif. La ligne ferrée, rien qu'aux alentours de Rouen, fournitchaque saison quarante à cinquante bourrées de douce-amère. L'armoise,fort usitée en herboristerie, s'était aussi propagée trèsvigoureusement. dans les parages des ateliers de Sotteville, près dunouveau dépôt, et c'est par là qu'on allait la cueillir. * * * Si propices soient-ils à la culture de nombreuses espèces, les remblaisdes lignes de chemins de fer ne peuvent pas se prêter à toutes lescultures. Mais il n'y a jamais bien loin à aller pour trouver les simples sous lamain. La racine de « patience », un dépuratif souventemployé, qu'on reconnaît à sa teinte jaune, une plante qui pousse dansles prés, se rencontre, par exemple, dans les prairies de Grammont,près du pont à escalier qui traverse la voie ferrée. Pour trouver la valériane, chère aux gens nerveux, il suffît de suivreles bords de la Seine, de Croisset jusqu'en Basse-Seine ; elle abondelelong des talus du fleuve. Seulement, c'est une cueillette assezdifficile; on ne se sert, en effet, que des petites racines jeunes,quand la plante a tout au plus deux ans, et ces radicelles ténues,qu'il faut laver avant de les faire sécher, exigent des soinsméticuleux. Les prairies de Sotteville fournissent aussi une planteconnue dès l'antiquité et chantée par les poètes, le colchique qui,tout comme la police rouennaise, a une réputation canicide, et que lebon peupleappelle « le tue-chien ». C'est une plante de printemps, mais dont lafleur rouge n'apparaît qu'en septembre. On se sert encore de sa racinequi forme deux bulbes farineux quand ils sont séchés, pour les maux degorge. Pour trouver la racine de bardane et ses grandes feuilles, sisouvent reproduites par nos paysagistes, depuis que notre compatriote,le peintre Le Poittevin, les avait mises à la mode, il fallait aller unpeu plus loin et pousser une excursion jusqu'à la ferme de laGrande-Madeleine, la ferme Ponchy. D'après la légende populaire, saracine qui est très longue, très difficile à arracher, est souverainecontre les glaires. Pour la pariétaire, vous la trouverez le long desPetites-Eaux et sur les talus et les murailles de la propriété formantl'angle entre la route de Bonsecours et la route d'Eauplet. Quant « àla gui, gui, la guimauve », dont la pâte est devenue populaire, maisdont on use également comme gargarisme, sa racine abonde dans certainsjardins de la route de Lyons. Connaissez-vous le Sceau de Salomon, dont les fleurs ressemblent un peuau muguet ? C'est un astringent, et la médecine populaire vous dira quesa racine est excellente contre les hernies. Toujours est-il que lesbûcherons de la forêt de Lyons, où on rencontre souvent cette racine,vous citeront des cures phénoménales dûes au Sceau de Salomon. Il estvrai qu'on vous racontera que rien n'est plus souverain pour lesenfants rachitiques que de les faire coucher sur un oreiller de fougèremâle. Après tout, cela vaut bien un pèlerinage à Saint-Barnabé pour lesenfants noués; à Saint-Marcou, pour la débilitéinfantile ; à Saint-Maur, pour la franche-terre,une maladie de peau ; àSaint-Saturnin, pour la migraine ; à Saint-Eutrope, pour l'hydropisieetaux mares baigneresses du pays de Caux, à Caillouville ou à Biennais. Nos forêts fournissent aussi à la pharmacie leur contingent : l'écorcede chêne, le pelart ; la fleur et la deuxième écorce de sureau dont lapréparation fournit une poussière sèche, très incommodante ; lebourgeonde sapin. Pour les braves gens qui font le commerce un peu spécial dubourgeon de sapin, ce fut une aubaine inespérée que la création dunouveau champ de manoeuvres. Pensez donc, l'Administration des Forêts, avec juste raison, ne laissepas enlever les jeunes pousses des arbres ; mais comme il s'agissait dequatre ou cinq cents arbres abattus et devant être enlevés, elle sedépartit de sa sévérité et abandonna le produit aux cueilleurs deplantes. Ils firent à bon compte des affaires d'or et un seul envendit pour 700 francs et c'est une somme pour ces petits métiers ! Que ne pourrions-nous encore citer parmi les plantes médicinales, serencontrant dans nos environs ? L'ortie blanche, qu'on trouve un peupartout, dont les fleurs dépouillées de leur calice servent seules ; lasanicle, la pensée sauvage, dont la vertu dépurative est connue et queles cueilleurs d'herbes médicinales cueillent surtout dans les piècesde trèfle rouge ; le bouton de ronce, que les pauvres gens vontrécolterdans les coins sauvages où les buissons épineux abondent.Encore faut-il une autorisationadministrative, car on a vu parfois les cueilleurs de boutons de roncese métamorphoser en « poseurs de collets » et remplacer la tisane parune gibelotte plus succulente. La feuille de noyer rapporte moins ; autrefois, elle était fournie àRouen par les beaux noyers du vieux cimetière Saint-Maur, car lacoutume de nos pères était de planter, en ces endroits, ces beauxarbres, auxquels ils attribuaient une vertu purificatrice. On trouve,en effet, les noyers mentionnés dans tous les comptes des paroisses.Maintenant, les noyers du cimetière Saint-Maur sont abattus, et ce sontceux quise trouvaient à l'entrée du cimetière du Mont-Gargan qui fournissaientleurs feuilles aux herboristeries rouennaises. Quant à la belladone, undes plus terribles poisons du règne végétal, c'est uneplante bizarre qui pousse toujours sur les terrains caillouteux. On larencontre le long de la ligne d'Orléans, et l'on se souvient qu'ellecausa la ., mort de plusieurs petits enfants qui, dans les parages duChâteau-Robert, avaient mangé ces baies noires qu'ils avaientconfondues avec d'autres, moins dangereuses. Promeneurs du dimanche,méfiez-vous-en ! Par la simple énumération que nous venons de faire des plantesmédicinales, - et combien n'en avons-nous pas oubliées !... on voitque la flore rouennaise, à elle seule, nous offre bien des moyens decombattre les maladies. La mode est peut-être un peu moins portée, denos jours, vers les médicaments végétaux, et nos pilules, nos extraits,nos émulsions, nos robs, nos affriolants vomitifs, nosappétissants purgatifs, nos délicats laxatifsfont de plus en plus des emprunts à la chimie. Faut-il pour celadédaigner les simples, qui 'ont rendu tant de services et qui enrendront encore ? Ne serait-ce qu'à ceux qui les récoltent, qui lescueillent et vivent de ce pauvre métier ? Il exige, après tout, certaines connaissances botaniques plus raresqu'on ne croit, car il est, parfois, difficile de bien reconnaître uneplante rien qu'à ses caractères généraux. A ce propos, une anecdoteamusante qui se rattache à notre sujet et nous servira de mot de lafin. Tout le monde parmi les étudiants en pharmacie et en médecine,connaissait la sévérité froide du professeur Baillon, mort il y aquelques années, et sa rigueur implacable aux examens de botanique. Un jour, un vieil étudiant se décide à se présenter devant le féroceexaminateur. Dans le tas de plantes coupées qui encombrait la table, ilchoisit une large feuille verte de nicotiane ou de tabac, la présente àl'étudiant, en lui demandant son nom et sa nature. L'autre hésite, etfinalement reste muet. - « Allons, reprends Baillon ; qui a senti une odeur de vieille pipe,necherchez pas si loin le nom de cette plante. Vous en usez tous lesjours ! » Et triomphalement, le vieil étudiant réplique : - « Ah ! parfaitement,c'est de l'absinthe ! » Vraiment nos cueilleurs de plantes rouennais,qui n'ont jamais cependant passé d'examens, sont plus forts que ça ! GEORGESDUBOSC |