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DUBOSC,Georges (1854-1927) : LesCygnes de la Seine sous Louis XIV(1919). Numérisation du texte : O.Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (09.V.2008) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Première parution dans le Journal de Rouen du20 avril 1919. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 1èresérie, publié à Rouen chez Defontaine en 1922. LesCygnes de la Seine sous Louis XIV par Georges Dubosc ~*~Louis XIV eut de nombreux amours, mais il aima surtout... les cygnes.La noblesse majestueuse de ce bel oiseau, glissant sur les eaux, luiplaisait et là-dessus, il aurait volontiers partagé le sentiment d'undes grands écrivains de son temps, Buffon, qui a écrit : « Le cygneplaît à tous les yeux ; il décore et il embellit les lieux qu'ilfréquente. » Aussi, le Roi-Soleil voulut-il parer et animer de beauxcygnes argentés, voguant en liberté, non seulement le miroir tranquilledes pièces d'eau des palais et des maisons royales, mais aussi laSeine, dans la plus grande partie de son cours, de Corbeil jusqu'àRouen. Si l'on s'en rapporte aux Comptes des Bâtiments du Roi, il yavait plus d'un millier de cygnes, pendant tout l'été, descendant lecours du fleuve, contournant les îles, passant sous les ponts. C'étaitlà un spectacle curieux et superbe, surtout aux approches de notrecité, où le Pont-de-Bateaux formait une barrière à leur coursevagabonde. Dès 1672, Colbert, qui ohéissait à toutes les fantaisies royales, avaitété chargé de recruter cette troupe de cygnes. A cette date, ilécrivait à notre ambassadeur en Danemark, Hugues de Terlon, pour luidemander d'envoyer deux ou trois cents de ces beaux cygnes blancsdescendant tous les ans des mers boréales dans les îles desdétroits danois. Il voudrait qu'on les mit sur un navire, dans degrandes cages et qu'on en prit soin. Terlon ne put réunir qu'unequarantaine de cygnes, qu'il envoya sur un navire de Lubeck à Rouen,puis adressa dans une voiture, accompagnée d'un commis, une centained'oeufs « qu'on fera couver à Versailles ». En même temps, Colberts'informait auprès de Ribeyre, l'intendant de la Touraine, pour qu'illui envoyât aussi, avant les grandes gelées, une centaine de cygnes dupays. Deux années se passèrent encore, pendant lesquelles on mobilisatous les cygnes disponibles... Enfin, en 1676, était promulguée une ordonnance de Louis XIV où estexposée très clairement la pensée du monarque, qui veut protéger lescygnes royaux contre la cupidité ou la malice des riverains et despassants. Sa Majesté, dit l'ordonnance, ayant fait venir des cygnes des paysétrangers pour servir d'ornements sur les canaux des maisons royaleset, « voulant aussy embellir la Seine, dans l'estendue, de Paris etau-dessus et au-dessous. Elle donne l'ordre de les mettre dans l'isleen face du Cours-la-Reine, l'île Maquerelle. Défense est faite d'yentrer, aux basteliers y aborder, prendre des oeufs, faire du mal, avecdes filets, bâtons, à peine de 300 livres d'amende et punitioncorporelle, en cas de récidive. » En suite de cette ordonnance, par lettre du 16 septembre 1676, lelieutenant-général de police La Reynie, était nommé pour faireexécuter les mesures protectrices des cygnes royaux, de préférence auxOfficiers des Capitaineries du Bois de Boulogne et. de la Garenne duLouvre. Ce quartier général, ce rendez-vous, ce port d'attache des cygnes de laSeine, grands et petits, c'était une longue île parisienne, formée auMoyen-Age de plusieurs petites îles soudées ensemble, séparées par unétroit bras d'eau, de la plaine de Grenelle et du Gros-Caillou. Onl'appelait L'Ile aux Cygnes et, bien que réunie à la terre depuis 1773,elle a gardé ce nom. C'est dans le voisinage actuel du pont d'Iéna, oùse trouvent encore la Manufacture des tabacs, le Dépôt des Marbres etles antiennes Ecuries de l'Empereur. L'île aux Cygnes, sous Louis XIV, devenue le refuge inviolable de leursflottilles, défendue aux deux bouts par des palissades, était uneîle... sacrée. Défense aux bate liers, voituriers d'eau, pêcheurs, d'yaborder avec bateaux ou chevaux. Défense d'y pêcher dans le voisinage,du Pont des Tuileries à Auteuil. Défense de toucher à aucuns cygnes, deleur jeter du pain. Défense de pêcher dans le petit bras. Défense delaisser approcher les chiens, sous peine d'être tués, avec amendes auxpropriétaires. Défense, du mois d'avril au mois de juin, à aucun bateaude circuler dans les parages. Pour plus de sûreté, les barques étaientcadenassées au rivage. Colbert, on le voit, n'y allait pas de mainmorte !... Ainsi protégés, les cygnes pullulèrent dans leur île. De là, leursescadrilles séparées, remontaient par le pont de Charenton, jusque dansla Marne et par la Seine, poussaient par Choisy,Villeneuve-Saint-Georges, Draveil, jusqu'à Juvisy, jusque dans lespetites rivières :de l'Orge et de l'Essonne. De ce côté, ils nedépassaient pas Corbeil. En aval de Paris, ils suivaient tous lesméandres de la Seine, passaient sous les ponts de Sèvre, deSaint-Cloud, de Bezons, de Meulan, de Vernon, de Mantes et de Pont-de-l'Arche. Leursflottes, trouvaient des abris de verdure dans les longs chapeletsd'îles, dans les roseaux des berges, à peine génés par les gords oubarrages des pêcheurs. La Seine, à cette époque, était du reste à peinetroublée par quelques barquettes de pêcheurs, par des galiotespaisibles, par les coches d'eau, traînés par les chevaux de halage, etpar les trains de bois descendant vers Rouen, en longues files. Pour surveiller un pareil domaine aquatique, il fallait une sorte deministre... des cygnes, un inspecteur et un conservateur des rives dela Seine. On le nomma. Ce fut, dès 1677, un sieur Ballon, ancienhuissier de la chambre du roi, dont les pouvoirs furent définis par uneordonance spéciale du 18 avril 1681. Il lui fallait avoir 1'oeil surtout ce long parcours de la Seine et sur les petites rivières, surtoutsur l'Oise, l'Epte, l'Eure, l'Andelle, on trouva des cygnes égarés àPont-Saint-Pierre et sur les étangs voisins, comme le lac d'Enghien.Partout, en tous lieux et en tout temps, il lui fallait assurer laconservation des cygnes ; empêcher qu'on ne touchât aux jeunes commeaux vieux, écarter les chiens. Pour toute cette tâche, il avait ledroit de dresser procès-verbaux et contraventions. A Ballon revenait aussi la tâche d'assurer, par de longues tournées, enbateau, la conservation des nids où les cygnes déposaient leurs grosoeufs verdâtres. Il plaçait dessous de petits pontons en bois qui, encas de crue, empêchaient les nids d'être détruits et emportés. Acertaines dates, M. le Conservateur des cygnes devait encore éjointerles jeunes cygnes, c'est-à-dire, rogner une de leurs ailes, suivant un terme de fauconnerie. Et la besogne devaitêtre dure, quand il fallait éjointer une centaine de jeunes oiseaux. * * * Chaque saison ramenait une besogne nouvelle. A l'approche de l'hiver,quand la Seine menaçait d'être prise et commençait à charrier lesglaçons, Ballon devait rentrer les cygnes royaux dans leurs quartiersd'hiver de l'Ile aux Cygnes. Sur la Seine, il lui fallait prendre lescygnes, malgré leur rude résistance, et les ramener en bateau, si lanavigation n'était pas interrompue, ou en voitures, à l'Ile des Cygnes.Parfois on les hospitalisait, dans des stations intermédiaires, auchâteau de Chatou, à Rueil ou aux Carrières-Saint-Denis, ils étaientalors nourris avec de l'avoine, dont les septiers apparaissent souventdans les comptes. A Ballon revenait aussi le soin de surveiller lespoteaux plantés le long de la Seine et où étaient placardées lesordonnances concernant les oiseaux. A Ballon succéda, en date du 6 septembre 1689, Henri Le Venneur,garde-cygne du roi, qui demeurait à Chatou. Détail curieux : sanomination fut proclamée au prône de l'église en même temps que lesordonnances sur la conservation des cygnes. En plus, Henri Le Venneurétait exempt de toutes charges, comme syndic ou collecteur. On voulaitqu'il soit tout à sa fonction ! Toute une équipe de gardes-cygnes subalternes parcourait la Seine etses bords. Pour la plupart, c'étaient d'anciens jardiniers deVersailles : Octavien Herny et sa veuve ; Jacques Foubert, Louis Germain, Pierre et Claude Le Cochois. Tour à tour,on les rencontre en tournées, à Melun, Corbeil, au pont de Saint-Maur, àVilleneuve-Saint-Georges, à Chatou, à Saint-Cloud, à Suresne, à laRoche-Guyon, à Mantes, à Vernon. Eux-mêmes ont des aides : le batelierLedru, qui pose les poteaux le long du fleuve en 1685 ; le charpentierBrassard, qui construisit les petits pontons, placés sous les oeufs decygne ; les anciens soldats invalides Jacques Bobert et Paul Letellier,qui, en 1687, sur leur canot à rames, remontent l'Eure à la poursuitedes cygnes ; la veuve Denis, qui fournit les livraisons d'avoine pourla nourriture des cygnes royaux. Mais le principal inspecteur des cygnes de notre région rouennaise estJean Frades, qui est garde de la section entre Suresne et Rouen. C'estlui qui, en 1689, court après 76 cygnes qui voguant entrePont-de-l'Arche et Oissel, se sont échappés vers Rouen ; en 1694, il enfait reprendre une centaine, bloqués dans les glaces à Eauplet, et lesramène dans l'Ile des Cygnes à Paris ; au printemps de 1695, ilparcourt toutes les berges pour assurer la conservation des oeufs. * * * Colbert, au surplus, veillait lui-même sur les cygnes de la Seine,surtout à Rouen. En veut-on une preuve Le 25 décembre 1678, il écrivaitmaintes lettres à l'intendant de Rouen, Louis Le Blanc : « On m'a prévenu, dit-il, que nombre de cygnes sur 1a rivière delaSeyne, pour l'ornement public, sont descendus cette rivière dans toutel'étendue de la généralité de Rouen. Comme ils sont icy conservés sousl'autorité publique et que qui que ce soit n'ose y toucher, Sa Majestéveut que vous envoyiez promptement les deux gardes de la Prévostéde l'Hôtel de l'Intendance, l'un d'un côté de la rivière etl'autre de l'autre, s'informer soigneusement des endroits où ils sontsur la rivière de Seyne, soit dans celles qui y descendent, m'ayant étédit qu'il y en avait sur celle d'Epte, et qu'on donne tous les ordrespour les reprendre et les rapporter. » COLBERT. En 1679, le puissant ministre s'adressa encore à l'Intendant Le Blancpour qu'il renvoie immédiatement les cygnes pris à la Roche-Guyon. Plustard, ce sera au successeur de Le Blanc à Rouen, à l'intendantMeliande, que Colbert fera ses recommandations touchant les cygnes : «Car le Roy veut que chacun prenne plaisir à voir un ornement de cettequalité, et le prie de veiller sur les cygnes qui sont, en cet été de 1683, arrêtés à Pont-de-l'Arche. Il luifaut, surtout, ajoute-t-il, prendre des mesures pour empescher qu'ilsne passent le Pont-de-Rouen, parce qu'ils pourraient descendre jusqu'auHavre, ces sortes d'animaux ayant une inclination naturelle pour seretrouver vers le Nord ! » Comme on le voit, les cygnes de la Seine étaient bien gardés ! Ils secontentaient la plupart du temps de voguer le long des rives deLongboel, du Cours de la Reine et de l'île de La Mouque, alors l'îleLacroix, arrêtés par les pontons assez reserrés, qui supportaient lePont de Bateaux. Une fois, cependant, profitant que celui-ci étaitouvert, pour laisser passer quelque navire, les cygnes s'étaient enfuisrapidement vers d'autres climats. Mais déjà les grands jours du règne s'évanouissaient. Le roisexagénaire devenu plus retiré, ne s'intéressait plus à ces grandsspectacles d'embellissement des rivières de son royaume. Peu à peu,les cygnes disparurent des fleuves français. Valenciennes, seule, cité héroïque, qui dans lessupports de ses armoiries, porte deux cygnes d'argent, en garda ainsile souvenir. Et puis les bons Boches, les Berlinois de Frédéric II,s'avisèrent de copier les modes de Louis XIV. Ils couvrirent les eauxfétides de la Sprée, la rivière prussienne par excellence, de flotillesde cygnes... manoeuvrant comme à la parade. Ce fut la fin ; ce fut ledernier chant du cygne ! GEORGESDUBOSC |