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DUBOSC,Georges (1854-1927) :  Les Théophilantropes à Rouen(1905).
Numérisation du texte : O.Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (09.V.2008)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Orthographe etgraphieconservées.
Première parution dans le Journal de Rouen du16 juillet 1905. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 1èresérie, publié à Rouen chez  Defontaine en 1922.

LesThéophilantropes à Rouen
par
Georges Dubosc

~*~

La crise religieuse amenée par la séparation des Eglises et de l'Etat aprovoqué la fondation de divers comités comme celui « de la célébrationdes fêtes humaines » qui semblent vouloir reprendre les différentsessais de religion civile, tentés par la Révolution française, avecChaumette, avec Robespierre ou avec les Théophilanthropes sous leDirectoire.

Cette dernière tentative, qui vient d'être très minutieusement étudiéepar un professeur d'histoire du Lycée de Caen, M. A. Mathiez, futpeut-être l'effort le plus intéressant de la Révolution pourremplacer par une religion naturelle les religions révélées.S'efforçant, comme l'avaient demandé jadis les orateurs de laConvention, de donner un point d'appui solide à la morale, laThéophilanthropie voulut résumer toutes les idées religieuses en uncredo fort court, en une foi tout à fait ordinaire et en un culte d'unesimplicité primitive. Du dogme, elle ne prit « que un couples d'idées», - comme disait drôlement Lareveillère-Lepeaux, qui fut son grandprotecteur : un Dieu et une âme. Ce fut une doctrine de fraternité trèssimple, très modeste, très raisonnable, basée sur une morale cherchéepartout, dans tous les temps et chez tous les peuples, de Confucius àSocrate. Elle pouvait convenir à tous les pays, à toutes les époques, àtous les gouvernements.

Ainsi l'avaient voulu ses fondateurs, Chemin-Dupontès, homme sanséclat, prudent, respectueux, sorti des loges franc-maçonniques oùs'était élaborée sa doctrine, et Valentin Haüy, le protecteur desaveugles, esprit plus vaste, plus emflammé et plus ardent.

Inauguré pour la premièrefois, le 15 janvier 1797, dans lapetite église de Sainte-Catherine, à Paris, le nouveau culte, quicompta rapidement de très nombreux adhérents, Bernardin deSaint-Pierre, Dupont de Nemours, Creuzé-Latouche, se répandit surtoutaprès le coup d'Etat du 18 fructidor, et grâce à l'appui des cerclesconstitutionnels, gagna la province.

En notre pays normand, il devait prendre une certaine importance, etdès ses débuts, il reçut l'adhésion de plusieurs Normands : Goupil dePrefeln, le député de l'Orne au Conseil des Anciens, l'ancienconstituant, « le patriarche des Théophilanthropes » ; l'abbé Michel, deCoutances, qui fut l'un des premiers orateurs du nouveau culte et quicomposa ses premières hymnes ; Lecoulteux de Canteleu, le grandbanquier de Rouen, l'ancien député du Tiers aux Etats-Généraux, alorsdéputé de la Seine au Conseil des Anciens, et qui devait mourir pair deFrance.

A Rouen, le grand propagateur de la Théophilanthropie fut une hommeactif, intelligent, Etienne-Vincent Guilbert. Comme d'autres adeptes dela religion naturelle, comme Chassant, vicaire deSaint-Germain-l'Auxerrois, comme Parent, ancien curé deBoissise-la-Bertrand, près de Melun, comme Latapy à Bordeaux, commeJ.-B. Chapuis, prêtre marié, comme Léger à Châlons, comme Julien, deToulouse ou Malfusson à Sancerre, anciens ministres protestants,Guilbert était un ancien prêtre. Né à Saint-Jean-sur-Cailly, paroisse aujourd'hui réunie àSaint,-André-sur-Gaiilly, il avait été vicaire de l'ancienne église deSaint-Vigor, puis à la Révolution s'était fait homme de lettres, créantune imprimerie et diverses publications : la Vedette normande, le Répertoire universel, la Semaine. Il avait publié de 1793 à 1804l'Almanach des gens de goût et collaboré avec Servan, l'ancien avocatgénéral au Parlement de Grenoble, aux Lettres philosophiques. En dépitde son libéralisme, il avait obligé [été] de se réfugier en Suisse en 1793 etsur un arrêté du département avait été incarcéré quelque temps. Espritlarge, il avait participé au mouvement encyclopédique d'où était sortiela Société d'Emulation et avait même présidé cette association nouvelleoù il se rencontra avec nombre d'écrivains et de savants. Ses opinionsphilosophiques semblaient donc le désigner pour présider àl'introduction de la nouvelle religion à Rouen.

Tout d'abord, sous le titre de Principes fondamentaux de la Religiondes Théophilanthropes, Guilbert réimprima dans l'imprimerie qu'il avaitinstallée rue Nationale, n° 29, sur l'emplacement de l'ancien couventdes Cordeliers, tout le Manuel, l'Instruction élémentaire et le Recueilde cantiques de Chemin, puis groupa autour de lui un certain nombred'adhérents, qui partageaient son engoûment pour les nouvellesdoctrines. Il est à remarquer, comme l'indique fort justement M.Mathiez, qu'à Rouen se trouvèrent réunis dans la sociététhéophilantropique, nombre d'anciens adversaires, réconciliés dans lareligion « naturelle ». Guilbert qui n'avait pas prêté serment à laConstitution civile du clergé, qui avait pris la défense du roi dans leJournal du Commerce, en reproduisant un article assez violent d'un journal parisien La Révolution de 1792, et qui de cefait, avait vu sa feuille supprimée ; Guilbert qui avait en l'an VIdirigé des accusations contre certains terroristes comme l'instituteurHubert, accepta le concours et l'aide de ce mêmes terroristes pourétablir à Rouen la Théophilanthropie.

Autour de lui, en effet, on voit figurer Clavier qui, après avoir étéofficier municipal sous les municipalités modérées Rondeaux et deFontenay, devint membre actif de la Commune réorganisée par Legendre,Louchet et Delacroix ; Elie Gueroult, qui fut arrêté par la réactionthermidorienne, en l'an III ; Grandcourt, le vinaigrier de la rue desBons-Enfants, qui fit, lui aussi, partie de la Commune et fut désarméen 1793 ; Le Roy, autre terroriste. Il faut aussi citer le chimisteDescroizilles, ancien girondin, qui fut dénoncé comme fédéraliste etarrêté en 1793.

La première manifestation du culte n'eut pas lieu à Rouen, mais dans labanlieue, au Mont-aux-Malades, qui était alors le chef-lieu du cantonde Sotteville. La vieille église romane de Saint-Thomas-le-Martyr del'ancien prieuré des chanoines, avec sa nef et ses deux collatéraux,fut affectée au culte théophilanthropique dès le 31 décembre 1797.Aignan, Boisguillaume, Martin-du-Vivier, Déville, Maromme étaientaffectés au culte catholique.

Le bonhomme Horcholle, fervent catholique, qui n'est point suspect detendresse pour la nouvelle secte, mais qui' a noté ses débuts à Pariset a même assisté, dit-il, à une réunion théophilanthropique à l'égliseSaint-Roch, n'a garde d'oublier, dans son manuscrit sur la Révolution,l'introduction de la religion nouvelle dans la région.

« Cejourd'huidimanche, 31 décembre, écrit-il, la nouvelle société établie à Paris n'ayant pu encore obtenir d'église àRouen, s'est emparée de l'église du Mont-aux-Malades et y a faitl'ouverture de ses exercices, qui consistent à saluer l'Eternel, luioffrir des carottes, navets et autres légumes, des herbes, des fleurset des fruits suivant la saison. Ensuite, on fait une lecture ou undiscours dans la chaire à prêcher. Après quoi, on chante des hymnespatriotiques. L'infâme Guilbert, ex-prêtre, apostat, jacobin,terroriste, y a débité un discours exécrable contre JésusChrist, laVierge, les saints et la religion catholique... Tous les spectateurs etcurieux ont été scandalisés. »

Ailleurs, Horcholle racontera que Guilbert, dans une de ces réunions,proposa la création d'un impôt de dix francs sur chaque hostie servantaux communions. En dépit de sa singularité, le nouveau culte avaitconquis d'assez nombreux adhérents, puisqu'en ventôse an VI, lesThéophilanthropes adressaient une pétition à la municipalité de Rouen,pour obtenir l'ancienne église Saint-Eloi.

Parmi les signataires au nombre de vingt-sept, on relèvera les noms deDelozier, de François Barjolle, qui appartenait à une familled'entrepreneurs rouennais, de Christophe [H]ermier, ancien membre ardentde la Société populaire ; d'Hamon, de Bertin, de Blondel le jeune, deLe Couturier, de Friquenot. L'administration municipale consentit àcette concession de l'église Saint-Eloi, par une délibération du 4germinal, mais l'administration centrale, dans sa séance du 7 germinal,révoqua l'arrêté en alléguant qu'antérieurement elle avait mis l'égliseSaint-Eloi à la disposition de l'autorité militaire.

Provisoirement, les Théophilanthropes continuèrent à chanter leurshymnes sous les voûtes de l'église du Mont-aux-Malades, jusqu'en vendémiaire an VII, où ils réclamèrent pour leurculte l'église Saint-Patrice, qui servait alors au culte catholique. Siinvraisemblable que parût ce partage des édifices du culte entredifférentes religions, il existait déjà antérieurement même à laRévolution et Grégoire, dans son Histoire des Sectes, a cité leséglises où se rencontraient, les catholiques et les protestantsd'Alsace, séparés seulement par un voile et rappelé que l'évêque deQuébec avait permis qu'on tint un prêche dans sa cathédrale.

La municipalité de Rouen permit donc, par un arrêté en date du 23vendémiaire an VII aux Théophilanthropes « d'exercer leur culte àl'église Saint-Patrice tous les jours depuis midi très précis, jusqu'àtrois heures également très précises », c'est-à-dire à partir de ladernière messe. Horcholle indique du reste le motif de cette fixation.« On a fixé cet instant, dit-il, afin que les citoyens qui se trouvent aux exercices qui se font le jour du decadi dans le templedécadaire, puissent se réunir avec eux et que  lorsque le decadi tombeun dimanche, le curé « intrus schismatique de Saint-Patricepuisse avoir fini sa  messe ». L'arrêté de la municipalité autorisantles Théophilanthropes déterminait du reste assez minutieusement lesdroits des deux cultes en présence. Tous les objets dans l'église,stalles, autels, statues, ne pouvaient être sous aucun prétextedérangés. Ils pouvaient cependant les voiler pendant leur réunion. Ilspouvaient également se servir de la sacristie pour y déposer.lesinscriptions, l'autel et les costumes. La garde des clefs était confiéeà un dépositaire désigné par l'association théophilanthropique dont lenom devait être indiqué à l'administration municipale.

Ces précautions prises, l'administration centrale ratifia la décisionmunicipale et les Théophilanthropes purent inaugurer leur culte enl'église Saint-Patrice, le 10 brumaire an VII. En quoi consistaientles cérémonies de la « religion nouvelle » et quel était l'aspect deleur temple. Sur ce point, une gravure de Mallet représentantl'intérieur d'un temple théophilanthropique, fournit quelquesrenseignements intéressant ce que pouvait être l'aménagement del'église Saint-Patrice.

De grands rideaux séparaient la nef du choeur réservé aux catholiques,tandis que de nombreux écriteaux portant les maximes philosophiques oumorales étaient apposés sur les piliers. C'était une des obligationsspéciales du culte nouveau, qu'on retrouve un peu partout, dans lesvilles et dans les centres où il s'était propagé, comme à Auxerre, àSens, à Bourges, où le culte théophilanthropique se maintint longtemps.On y lisait des maximes qui rappelaient un peu celles du Décalogue : Nous croyons à l'existence de Dieu et à l'immortalité de l'âme. - Adorez Dieu. Chérissez vos semblables. Rendez-vous utiles à la Patrie - Femmes, voyez dans vos maris les chefs de vos maisons - Maris, aimezvos femmes, et rendez-vous réciproquement heureux.

Au milieu de la nef était disposée une sorte de petit autel bas etcirculaire, enguirlandé de fleurs. Dans plusieurs villes, on voit quecet autel était souvent formé par un tonneau couvert de draperies. Enface, se dressait une petite tribune en forme de pupitre, dissimuléesous un tapis où prenait place le ministre ou l'officiant, quand il nemontait pas dans la chaire du culte catholique. Quant aux assistants,tête nue, ils restaient assis sur des chaises, placées sans ordre, entourant la tribune des musiciens, qui souventcomme à Saint-Patrice étaient remplacés par les organistes, soitDelaporte, un aveugle-né, soit Broche, le maître de Boïeldieu, quifut un des premiere théophilanthropes rouennais.

Quelle était la liturgie suivie dans ces réunions de fidèles ? Quelleétait la « messe théophilanthropique » ? Si l'on s'en rapporte au Rituel publié par Chemin en l'an VII, et qui rapprochait le cultenouveau des religions positives, au début du service, les enfants dechoeur déposaient sur l'autel, la corbeille de fleurs. Après le chantd'introduction, le père de famille, qui remplissait le rôle deministre, vêtu d'un costume spécial, habit bleu, tunique b1anche etceinture rose, prenait la parole pour inviter l'auditoire aurecueillement. Ensuite il récitait à haute voix l'invocation « Père dela Nature ! »

L'invocation terminée, les assistants procédaient en silence à l'Examende conscience, sorte de confession tacite, aidée par des demandesfaites par « le père de famille ». Après quoi, chacun s'asseyait pourentendre des lectures ou des discours de morale, entrecoupés par lechant de quelques hymnes, ou par l'Invocation à la Patrie. La plupartde ces chants, au nombre de trente et un, étaient empruntés aux odes deJ.-B. Rousseau. Les chants des fêtes nationales ou révolutionnairesétaient composés spécialement, tel par exemple l'hymne à laSouveraineté du Peuple, dû à Rallier, un des premiersthéophilaritropes, tel l'hymne « Père de l'Univers », de Desorgues :

Peuple, quand tu diras : « C'est de l'Etre Suprême
Que je tiens monautorité ».
Dans la bouche des rois, ce qui fut un blasphème,
Sera pour toi lavérité.
Tyrans, votre cause cruelle
Se fonda sur la trahison.
La cause du peuple a pour elle
Dieu, la Nature et la Raison.

Tout cet appareil de cérémonies ne présente rien qu'on n'ait rencontrédans les cultes révolutionnaires de la Raison ou de l'Etre suprême. Cequi fait l'originalité du culte des Théophilanthropes, c'est que pourfaire oublier à la nation le christianisme, à l'exemple de l'ancienneéglise, il suivait l'homme dans les différentes circonstances de savie. « Pourquoi, avait dit La Reveillère-Lepeaux, se contenterd'enregistrer l'enfant à sa naissance comme un - ballot à la douane ? »    Et lesThéophilanthropes s'étaient empressés d'établir une sorte de baptêmecivil, sans oublier le parrain et la marraine, qui, devant le père defamille, promettaient d'élever l'enfant dans les principes républicains.A Sens, où le culte naturel fut très développé, l'officiant, avec sondoigt trempé dans l'eau, traçait sur le front de l'enfant les lettresC. T. (citoyen théophilanthrope). On mettait également du miel dans labouche de l'enfant et on plaçait dans ses petites mains quelquesfleurettes si c'était une fille, ou un rameau de chêne si c'était ungarçon, en prononçant ces mots symboliques ; « Qu'il soit doux comme lemiel ! Que le parfum de ses vertus soit plus doux que celui des fleurs! » et on chantait les strophes :

Dieu bon, d'un crime imaginaire,
Pourrais-tu punir un enfant ?...

On avait aussi imité les cérémonies de la première  communion remplacée par l'examen public passé après un cours de morale.On avait reconstitué le mariage religieux avec un appareil assezpittoresque. Les époux paraissaient à l'autel « enlacés de rubans et defleurs dont les extrémités étaient tenues de chaque côté par lesanciens de la famille », et l'on échangeait l'anneau et la médailled'union, le tout accompagné de discours. Lors des funérailles, onplaçait dans le temple un tableau sur lequel étaient écrits ces mots :« La mort est le commencement de l'üninortalité », et devant l'autel onmettait une urne entourée de feuillages. C'est ce cérémonial qui futsuivi, par exemple, lors des obsèques de la fillette de Haüy. Le pèrede famille ajoutait en quelques mots : « La mort a frappé l'un de nossemblables. Conservons le souvenir de ses vertus et oublions ses fautes».

Il est à penser qu'on ne célébra point souvent à Rouen ces cérémoniesd'un symbolisme doux, simple et inoffensif et qu'on se contenta duservice ordinaire, ainsi décrit par Horcholle :

Le père de famille est monté dans la chaire à prêcher et y a discouru.C'était un instituteur de la rue Saint-Eloi, Nicolas Foubert. On a faitles offrandes, on a chanté des hymnes patriotiques avec accompagnementde l'orgue qui était touché par le citoyen Delaporte, organisteaveugle, membre de la société. Il y avait des sentences imprimées surdes cartons accrochés aux piliers de l'église.

C'est à ces incidents sans importance que se borna l'opposition faiteaux Théophilanthropes rouennais. Tout au plus, le 30 pluviôse an VII,se produisirent quelques farces dirigées contre ceux que la malicepopulaire avait ornés du sobriquet de « filoux en troupe ou filles entroupe ».

Tout l'exercice se fait dans la nef. Ensuite le « père de famille » etses associés sont allés dîner au cabaret du Chêne-Vert, en haut de larue Dinanderie, où tout le monde indistinctement était bien reçu enpayant chacun son écot. Parmi les chanteuses, on a remarqué la fille dufameux jacobin Mabon. L'on a tenu banquet jusqu'à cinq heures du matin.On a sorti en groupes et accompagnés d'un mauvais violon, ils ontchanté, crié, hurlé et troublé le repos public.

Ce jour-là, dit Horcholle, quelques jeunes gens dispersés dans letemple s'avisèrent de plaisanter le nouveau culte. Les uns par leursdémonstrations semblaient critiquer ou quelquefois applaudir le pèrede famille, pendant qu'il instruisait ses auditeurs ou sectateurs dansla chaire à prêcher. Les autres cinglaient de l'eau des bénitiers parla figure de la quêteuse. D'autres dans les chapelles collatéralescontrefaisaient le hurlement du chien ou les cris du chat et le proposordinaire du perroquet en chantant « jaco, jaco », par allusion aux Jacobins qui assistaient à cettecérémonie.

Le commissaire Ernoult saisit au collet un de ces farceurs, lui fitvoir son chaperon et, au nom de la loi, l'entraîna hors du Temple. Ilse forma un attroupement et il en résulta un esclandre, quand lecommissaire tira son pistolet et menaça de faire feu après avoir arrêtétrois jeunes gens qui furent jetés en prison. L'un fut élargi le soirmême. L'autre était le fils d'un parfumeur de la rue des Carmes, letroisième le fils d'un boucher de la rue de la Savonnerie. Ils furentjugés, condamnés à plusieurs décades de détention et aux frais desaffiches. En germinal, le tapage se renouvela et un nommé Gambu futcondamné pour ce fait.
 
Le culte théophilanthropique se répandit-il en dehors de Rouen ? AuHavre, un certain Duclerc, avec quelques jacobins, essaya de fonderun culte théophilanthropique en adressant une circulaire à différentsamis, et s'ouvrit de ses projets au Comité de direction de Paris, dansune lettire que Grégoire a publiée, mais on ne trouve point la trace dela réalisation de ce projet. Dans l'Eure, malgré l'hostilité cachée desautorités, il se fonda des sociétés théophilanthropes à Verneuil et àBernay, en nivôse an VI si on s'en rapporte à une lettre adressée parMater à l'instituteur Chapuis et publiée par Grégoire dans son «Histoire des Sectes ».

Peu à peu, surtout après le coup d'Etat du 18 brumaire an VIII, laThéophilanthropie alla en décroissant, et en l'an X, un arrêté desConsuls interdisait les réunions dans les édifices nationaux.Vainement, les derniers fidèles protestèrent et le pauvreChemin-Dupontès, créateur de la secte, fut réduit à colporter sesleçons de latin à travers les rues du Vieux-Paris. A Rouen, depuislongtemps, les derniers Théophilanthropes avaient abandonné la nef deSaint-Patrice, et Guilbert, l'ancien républicain, était devenu lepanégyriste enflammé du général Bonaparte parcourant laSeine-Inférieure !

En réalité, la Théophilanthropie, qui fut comme l'a dit l'abbé Sicard,« le plus sérieux essai de religion naturelle » fut une religion tropraisonnable, sans mystères et sans foi, pour pouvoir s'implanterdéfinitivement. « Elle recommandait la vertu avec des écriteaux, ontécrit les Goncourt ; elle enseignait l'immortalité de l'âme avec despancartes. Elle reposait trop sur une bibliothèque, au lieu de reposersur un tabernacle ».

GEORGESDUBOSC