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DUBOSC,Georges (1854-1927) :  Le repos du dimanche autrefoisà Rouen(1899).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (18.IX.2008)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées.
Première parution dans le Journal de Rouen du22 juillet 1899. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 6èmesérie, publié à Rouen chez  Defontaine en 1929.

Lerepos du dimanche autrefois à Rouen
par
Georges Dubosc

~*~

A maintes reprisess’est retrouvée posée devant l’opinion publique la question du reposhebdomadaire, la question du repos du dimanche, qui semble devoir êtrerésolue par une entente amiable entre les patrons et les employés, neportant point atteinte à la liberté commerciale.

Sans vouloir approfondir une question qui demeure fort controversée aupoint de vue économique et au point de vue religieux, sans vouloirressusciter les polémiques soulevées jadis par le fameux mémoire deProudhon, paru en 1839, sur la « célébration du dimanche », il estpeut-être intéressant de rechercher quelles étaient jadis, en une villecomme Rouen, qui tint le premier rang dans le commerce et l’industriedu moyen-âge, les conditions régissant le travail et en limitant ladurée, ce qu’étaient alors le repos du dimanche et les chômages imposésà une population fort nombreuse d’artisans. C’est d’autant plus curieuxau point de vue historique, que ces règlementations émanent directementdes Corps de métiers, des Corporations - nous dirions aujourd’hui desSyndicats - et sont basées sur l’application d’un principedémocratique. Ce sont les ouvriers ou les marchands eux-mêmes, réunisen assemblées, qui discutèrent et arrêtèrent les dispositions de leursstatuts et c’est leur opinion propre qu’on retrouve dans ces anciensmonuments de notre droit industriel.

Bien entendu, en un temps où l’Eglise tenait une place dominante dansla vie publique, ils se conformèrent aux lois et aux prescriptionsqu’elle imposait en ce qui concernait les chômages des fêtes et du jourdominical, mais cette observation légale et cette limitation du travailappliquée dans un but uniquement religieux, n’eurent pas moins desconséquences sociales et humanitaires. De part ce fait, l’ouvrier dumoyen-âge fut astreint à beaucoup moins de travail qu’on n’en exigeactuellement de la plupart des artisans. Cette réduction du temps delabeur, elle n’était pas, du reste, exclusivement due - comme onpourrait le croire - au chômage du dimanche, mais à tout un ensemble deprescriptions, de lois qui s’étendaient sur toute la vie ouvrière.

Laissons de côté ce qui vient alléger le labeur de chaque jour pourl’ouvrier du moyen-âge, comme l’interdiction si rigoureuse, si précise,de tout travail nocturne, la réglementation si étroite de la journée detravail, la délimitation des heures des repas, pour nous en tenirseulement à la question du repos et du chômage hebdomadaire à Rouen etdans les environs. Et tout d’abord, la journée du repos dominicaln’était pas la seule qui vînt interrompre le cours du travail. On nechômait pas seulement le dimanche, mais on chômait aussi le samedi,partiellement ou complètement. On a, croyons-nous, encore conservécette habitude dans de nombreux pays, en Angleterre particulièrement.Il en est de même aux Etats-Unis. C’est ainsi que la loi de 1875, votéedans l’Etat de New-York, dit que le samedi est un jour de demi-repospendant lequel les établissements publics ferment à midi. Cette loi,amendée par un règlement de 1891, déclare nulles toutes les opérationsde banque faites le samedi après-midi. Il en est de même dans l’Etat deChicago, où l’après-midi du samedi, surtout en été, est généralementabandonné à l’ouvrier.

Dans toute l’ancienne France, le chômage du samedi était à peu prèsabsolu dans les Corporations, et nous en trouverons de très fréquentsexemples parmi la population ouvrière rouennaise. C’est la corporationdes Cordiers, qui était fort nombreuse à Rouen, puisqu’à la fin dusiècle dernier on y comptait encore dix-sept corderies. Celle-là, dontles statuts dataient de 1397, interdisait le travail le samediaprès none,c’est-à-direà peu près vers trois heures de l’après-midi. Il en est de même pourles Coretiers, ou fabricants de cornets pour l’encre, une corporationjadis assez puissante ; les vieux Rouennais se rappellent peut-êtreencore la CourdesCorets, une sorte de petit clos borné de vieilles maisonsqui existait dans la rue Sénécaux, dans le voisinage de l’ancienneéglise Saint-Jean. Les Coretiers, dans leurs status de 1399, disent :Art. VIII. « Nul ne pourra oeuvrer à samedi après none,à peine d’amende ». Il est de même des Etaimiers-Plombiers, dont lesstatuts, revus en 1544, portent que nul ne pourra besogner d’iceluimestier à jour de dimanches et de fêtes, ne au jour de samedi après none,à peine de quinze sols d’amende ». De même également pour lesEperonniers, ou fabricants d’éperons, pour les Fourreurs-Pelletiers,qui frappent de dix sols d’amende les contrevenants aux chômages dusamedi, après none,et pour les Plâtriers, dont les statuts de 1478 infligent égalementpour tout travail fait le samedi, « si ce n’était en cas de nécessité», une amende de huit sols six deniers. Il n’est pas jusqu’à unecorporation féminine rouennaise des plus curieuses, car ne n’est pasd’hier que date le mouvement féministe, celle des Filassières, qui, en1394, défend le travail du samedi en ces termes : « Nulle personnedudit mestier ne peut ouvrer d’icelui… aux samedys, jusque none  dujour sera sonné, sous peine de l’amende de vingt sols ».

Pour les Couvreurs, cette loi de l’observation du chômage du samedileur était particulièrement recommandée « parce que, selon l’ordonnancede leur métier, maîtres et valets montant souvent haut, mectoient leurcorps en grand péril de vie et de membres, et pour ce debvoient auxlois de Dieu et de l’Eglise un respect plus grand que les autres ». LesCardiers et Peigneurs de laine avaient l’usage de brûler les cardesdéfectueuses le samedi,avant Noël, sur la place de la Vieille-Tour. Vous avez vu que lesinfractions au chômage du samedi étaient réprimées par des amendes. En1684, c’est-à-dire en un temps où les prescriptions étaient devenuesmoins rigoureuses, un maître dinandier, Abraham Bunon, subit une amendede 50 livres pour avoir battu du marteau le samedi. On ne badinait pas,comme vous voyez, avec le règlement !

Qu’est-ce qui donnait, direz-vous, le signal de ce demi-chômage dusamedi, en un temps où les horloges n’étaient pas encore très répandues? En général, il en était pour ce chômage comme pour la durée de lajournée de travail. A Paris, on se basait sur le cor du guet, quisonnait au Châtelet dès le lever du jour ; cela rappelle le tableaude Lohengrin,où l’onvoit l’éveil du burgtout entier se faisant au son de la corne du guetteur de nuit. Parfois,on s’en rapportait aussi au signal des Crieurs qui passaient par lesrues. En hiver, dans l’atelier bien clos, les volets mis, le cor de laguette ou la cloche ne pouvaient s’entendre. Il n’en était pas de mêmeavec les Crieurs, et particulièrement les Crieurs de vin, qui passaientà heures fixes, deux fois par jour, en poussant de véritables cris parles rues, cris qui attiraient l’attention des plus affairés. Enprovince, à Rouen, le travail et le chômage étaient surtout réglés parles cloches communales du Beffroy. La Rouvel, notrevieille Cloched’argent,était généralement mise en branle pour annoncer les prises d’armes, lesincendies, les graves événements de la vie politique ; laréglementation horaire du travail était plus particulièrement réservéeà la Cache-Ribaud,qui sonnait, le matin et le soir, pour appeler les ouvriers de tous lesmétiers au travail ou leur annoncer que la journée touchait à sa fin!...

Cependant, pour le chômage du samedi, le signal n’en était point donnépar la cloche communale, mais par la sonnerie de none à laCathédrale ou noneNotre-Dame. On en trouve la mention dans les statuts desTireurs de fil de fer, en 1332 ; des Filassiers, en 1390 ; desTisserands, en 1398 ; des Fondeurs, en 1402 ; des Gaîniers, en 1404 ;des Balanciers, des Chapeliers-Aumuchiers, en 1450. Il est bon de noterque les salaires de ces demi-journées du samedi étaient déterminés parles règlements intérieurs. En voulez-vous un exemple ? Lors de laconstruction de certaines parties de la Cathédrale par une sorte decorporation qui s’appelait la Logeaux Maçons, celle-ci était soumise à une véritableréglementation pour son travail. C’est ce qui s’appelait l’ « Ordonnance comme les maçons dela Cathédrale doivent ouvrer. » Or, voici ce qu’elle diten ce qui concerne les salaires du chômage du samedi : « S’il échiet enune semaine deux fêtes, le samedi ne vaudra que demi-jour ; mais, aucontraire, s’il échiet en une semaine une fête, tant seulement lesamedi, elle vaudra plein jour. » Cette distinction n’avait pas lieupour les autres ouvriers de la Cathédrale. Ceux-ci, le samedi, nerecevaient qu’une demi-paie. Ces conditions du paiement le samediétaient parfois formulées dans les contrats de louage entre maîtres etvalets du même métier. En voici un exemple très explicite qui concerneun sieur Guillaume Larchier, de la paroisse Saint-Pierre-l’Honoré,ouvrier coutellier, forgeur de lames, qui alloue ses services à JeanTyerri, de la paroisse Saint-Patrice, pour 2 sols et 4 deniers parjour, « tant comme il ouvrera, tousles samedis comptez pour un jour entier. »

Et le chômage du dimanche, le repos dominical imposé par les lois del’Eglise ?

Dans tous les statuts des Corporations, il était rigoureusement exigésous peine d’amende : « Nul ne doit ouvrer à jour de fête que commun devile foire, disent les statuts ». Il nous semble aujourd’hui que ledimanche, à ces époques où l’Eglise était toute puissante, devait êtrechômé avec une sévérité sans restriction. Certes, on pourrait citer desexemples de ce rigorisme absolu, tels que les statuts des Bouchers deCaen, qui interdisaient non seulement la vente de la viande, mais aussil’achat du bétail, le dimanche. On pourrait aussi rappeler leslettres-patentes de Louis XI, données aux Barbiers en 1461 et leurinterdisant non seulement de faire oeuvre de Barbiers aux jours fériéset aux dimanches, mais les empêchant « de mettre enseigne de bassinshors de leurs portes. » Pas commode de se faire raser en cet heureuxtemps ! A Rouen même, il existait des prescriptions aussi sévères pourcertains métiers. Pas moyen pour les Cuisiniers de Rouen, pendant lesjours fériés, de cuire de la viande, et même d’en porter de cuite !Cela n’aurait guère fait l’affaire de nos restaurants modernes, de noscuisiniers et de nos rôtisseurs, qui voient, surtout le dimanche,affluer chez eux la clientèle qui n’a point eu le loisir de préparerles repas du matin et du soir ! Les Marchands de cidre de Rouen, euxaussi, étaient soumis à une réglementation très étroite. Aucunepossibilité pour eux, non seulement de vendre la moindre bolée de cidre, ledimanche, mais même de le laisser goûter. Il est vrai que sous prétextede « goûter » on aurait pu s’en régaler tout à son aise ! Observateurstrès fidèles des lois de l’Eglise, les Maîtres de danse rouennaispunissaient d’une amende de six livres ceux d’entre eux qui auraientfait danser pendant les messes paroissiales des dimanches et fêtes. Età ce propos, savez-vous qu’une des institutions les plus critiquées,les plus attaquées de nos jours, le droit des pauvresdans les théâtres, la perception d’une partie de la recette au profitdes établissements charitables, n’a pas d’autre origine que le reposdominical ? L’arrêt du Parlement du 27 janvier 1541, qui permet auxconfrères de la Passion de commencer leur spectacle à une heure aprèsmidi et de finir à cinq heures, l’indique formellement par ces termes :»Et à cause que le peuple sera distrait du service divin et que celadiminuera les aumônes, ils bailleront aux pauvres, la somme de 1.000livres tournois, sauf à ordonner plus grande somme ».

Mais, tout cela, c’est un peu l’apparence… la façade ! En réalité,

           Il fut avec le ciel desaccommodements.

Peu à peu, les rigueurs d’une réglementation exagérée s’adoucirent etdes exceptions furent faites successivement aux prescriptions desstatuts, exceptions amenées par les nécessités de la vie ouvrière, tantet si bien qu’on a pu écrire que le repos dominical était moins observéau XVe siècle qu’au XIXe, sous le régime de la loi de 1814. A Paris,par exemple, si j’en crois le Livredes Métiers, liberté complète était laissée aux Faiseursde Hauberts, sorte d’armuriers, et aux Faiseurs de Barils. On défendaitseulement aux Lormiers - les boisseliers de ce temps-là - d’exposer desmarchandises hors de leurs boutiques. Les Selliers pouvaient, ledimanche, réparer un bouclier ou un harnais ; les Bouquetières avaientle droit de fabriquer leurs chapeaux de roses, « tant comme la saisondes roses durent » ; les Fourbisseurs pouvaient aiguiser un couteau ouune épée.

Bien plus, en plein XIIe siècle, on se montrait plus libéral que de nosjours où l’on voudrait interdire la vente, le dimanche, sur les marchéspublics. On avait créé alors une sorte de « roulement » entre lesboutiques, les ouvroirs d’une même corporation. En 1323, par exemple,les Orfèvres, les Chapeliers de feutre, les Pourpointiers, les Drapierss’étaient entendus pour laisser une boutique ouverte, le dimanche, àtour de rôle. Les Chaussetiers étaient autorisés à en ouvrir trois. LesGantiers - les gants ne sont pourtant pas un objet d’absolue nécessité- pouvaient vendre un dimanche sur six, et, en plein XIe siècle, quatrede leurs boutiques restaient ainsi ouvertes le dimanche, d’où l’on peutconclure qu’il y avait alors, à Paris, 24 maîtres gantiers.

Partout la nature des choses, les exigences du travail apportaient à larigueur des lois les tempéraments nécessaires. En 1461, Louis XIpermettait aux Pourpointiers de la Rochelle de travailler le dimanche «pour les nopsailles ou gens qui voulussent aller en voyage ». En 1467,on permettait aux Vanniers de Paris de travailler le dimanche, en lasaison de vendange. Dans ses belles études sur Les Paysans et les Ouvriersd’autrefois, M. d’Avenel cite le cas des consuls deVinsobre, dans le Dauphiné, qui font présent d’une charge de pommes àleur évêque, parce qu’il leur a permis de travailler le dimanche. End’autres diocèses, il est licite de se livrer les jours chômables,après l’office, à la récolte des grains : un pareil usage devait êtregénéral à la campagne. Mille autres exemples pourraient être cités quimontrent, du reste, que si le chômage du dimanche était uneprescription générale, il n’en existait pas moins de fort nombreusesexceptions, prouvant qu’on se rendait compte des nécessités de la viejournalière. On est très étonné quand on parcourt des actes notariés dumoyen-âge, de voir qu’un grand nombre de ces pièces sont datées dudimanche. Les Universités délivraient même des diplômes ce jour-là, etRabelais fut, je crois, nommé docteur à Montpellier, le dimanche de laToussaint. Ces accommodements ne furent pas même sans créer des casassez curieux. Ainsi la corporation des Ecrivains, des Enlumineursavait la permission de travailler le dimanche ; en ornant, en décorantles livres religieux elle faisait oeuvre pie. Quand vint la création del’Imprimerie, qui tout d’abord ne fut considérée que comme une aide,une annexe à la fabrication des manuscrits, on voulut étendre auxImprimeurs la faculté de travailler le dimanche, mais ils n’obtinrentpoint ce privilège, et les derniers statuts de la corporationrouennaise, qui datent du XVIIIe siècle, disent « qu’il est enjoint auximprimeurs de tenir leurs boutiques fermées le dimanche, sous peined’amendes ».

A Rouen même, nous pourrions citer des exceptions à cette loi duchômage du dimanche, qu’on s’imagine, à tort, si rigide. Les Changeursrouennais, par exemple, habitant pour la plupart sur le parvisNotre-dame ou dans la rue du Change qui a conservé leur nom, usaient dece système du « roulement » dont nous avons parlé en ce qui concerneles corporations parisiennes. D’après un article de leurs statuts, quidatent de 1366, il est dit, en effet, qu’aux « jours qu’ils sontaccoutumez de fester, - et le dimanche rentrait dans cette catégorie, -il y aura seulement deux changes ouverts : l’un pour les grands changeset l’autre pour les petits ». Les Petits changes étaient même autorisésà faire le Grand change, en une fenêtre du Grand change, laquelleserait baîllée, par les gardes de la corporation, à chacun changeur pardroit d’ordre ». Cette prescription fort libérale était absolumentnécessaire au commerce très important de cette époque dont leschangeurs étaient aussi les banquiers. Mais voici une corporationbeaucoup moins utile qui jouit également du droit de travailler ledimanche. C’est celle des Tréfiliers de fer, de Rouen, quelque chosecomme les faiseurs d’épingles, qui d’après leurs statuts, peuvent,jusqu’au couvre-feu du dimanche, « recuire de fil gros » et faire leurfilière d’acier ou de fer. Les Fondeurs rouennais étaient un peu dansle même cas, et leurs statuts de 1369 toléraient que le jour où ilsdevaient aller dans une foire ou un marché ils pussent « apprêter leuroeuvre le jour de devant, à telle heure comme ils voudront, soit jourounuict, férieou non férie», en prévenant seulement un ou deux des Gardes du métier.

Comme on le voit par ces exemples, pris aussi bien à Rouen qu’ailleurs,une très grande tolérance, une indulgence fort étendue régnait aumoyen-âge en ce qui concernait l’obligation du chômage du dimanche. Onse trompe, et lourdement, quand on pense qu’il existait, le dimanche,un véritable arrêt, une suspension complète de la vie publique, quelquechose comme le dimanche des pays protestants. C’est plus tard, au XVIesiècle, sous l’influence des luttes religieuses, que les loisconcernant le repos dominical devinrent de plus en plus sévères. Denombreux arrêts, - j’en trouve onze de cités dans le Traité de la Policede Delamarre, de 1560 à 1698, - prohibèrent alors l’exercice de touteindustrie, de tout commerce, en ce jour-là. Jusqu’à la Révolution, lesCabaretiers n’eurent pas le droit de donner à boire durant le temps desoffices… Ils se sont rattrapés depuis ! Les Boulangers étaient bienautorisés à vendre du pain, mais il fallait que leur boutique restâtfermée.

Au samedi et au dimanche, ne se bornaient pas les jours de chômages. Ily avait encore les vigiles,les veilles des grandes fêtes, ne tombant pas le dimanche, et oùl’interdiction de tout travail était exigée par des arrêtés dontl’origine remonte aux édits de Childebert et de Gontran. C’est uneprescription qu’à Rouen on retrouve dans de nombreux statuts descorporations : chez les Drapiers, les Eperonniers, les Couvreurs, lesFilassiers, les Fondeurs, qui la veille de ces fêtes, cessaient à deuxheures de l’après-midi, les Papetiers, les Plâtriers.

Aux grandes fêtes, ces chômages duraient fort longtemps et étaient trèsincommodes. C’étaient de véritables vacances, comme celles de nosEcoliers ou de nos Juges. Aussi, très souvent, les Corporations,contrairement à ce qui se passe actuellement, réclamèrent-elles lasuppression de ces chômages forcés et inutiles ! Les Balanciersrouennais avaient douze jours de repos après Noël et après Pâques. Ilsdemandèrent de réduire ces jours de chômage à huit et à pouvoirtravailler, le jeudi après la Pentecôte. Les Etaimiers ne pouvaienttravailler « la veille d’une fête solennelle dont le jeûne était decommandement de l’Eglise, ni à toutes les veilles de Notre-Dame, laveille du Saint-Sacrement, la veille de Saint-Michel ». Les Fondeurs,dans leurs premiers statuts de 1378, n’avaient le droit de se mettre enbesogne que huit jours après Noël, huit jours après Pâques et huitjours après la Pentecôte. Quelques années plus tard, une ordonnance duBailli, en 1409, réduisait ces chômages à quatre jours après Noël et àtrois jours après Pâques et la Pentecôte, tant on comprenait déjàcombien nuisaient à l’industrie ces vacances prolongées.

Les Cordiers fêtaient également par huit jours de repos Noël, Pâques etla Pentecôte, comme aussi les Cuisiniers, qui, à cette liste des joursfériés, ajoutaient la Toussaint. Pour eux, le chômage devait êtrecomplet, et, de peur qu’on ne violât cette loi, on octroyait chaqueannée, 16 livres aux gardes de la corporation pour faire en cesjours-là des visites chez les maîtres. Les Boulangers ne pouvaientcuire leur pain ni le dimanche de Noël, ni les jours duSaint-Sacrement, de la Nativité de Saint-Jean-Baptiste et des fêtes deNotre-Dame, sans le congé de justice, et à peine de 30 sols d’amende.Il fallait faire sa provision à l’avance. De même, du reste, pour lesBrasseurs rouennais qui ne pouvaient commencer à brasser ou à mettre lemast aux jours de dimanches et aux fêtes-Dieu.

Et ce n’est pas fini ! En dehors de ces grandes fêtes de l’Eglise, laplupart des corporations chômaient encore certaines fêtes de saints,comme celles des patrons de la corporation, ou comme la fêteparticulière du maître. C’était là de nouvelles occasions de fermerl’atelier. A Rouen, les Boulangers fêtaient Saint Honoré ; lesChapeliers fêtaient Sainte Barbe ; les Eguilletiers chômaient le jourde Saint Cyr, leur patron ; les Futaillers le jour de Saint Cler ; lesCharcutiers, Saint Rémy ; les Cuisiniers, le jour de Saint Ouen ; lesCordonniers, le jour de Saint Crépin. IL y avait même certainescorporations qui avaient trois patrons, comme les Toiliers, quifêtaient Saint Mathurin, Saint Nicolas et Saint Romain. Et tous lestrois étaient chômés ! Si on veut avoir une idée générale de ces joursd’interruption dans le travail, de cette fête perpétuelle, on n’a qu’àlire l’Ordonnance de la Logeaux maçons de la Cathédrale, dont nous avons déjà parlé.

« A vigille des Rouvaisons, Saint Jean-Baptiste, Saint Pierre, SaintPaul, l’Assomption, les maçons s’en iront quand on sonne nonne àSaint-Vivien (3 heures de l’après-midi), pour les paroisses et aurontpleine journée et ne doivent pas déjeuner forts si ils veulent boire,et ils doivent boire sur leurs pierres.

« Noël, Jour de l’An, de la Tiphaine (Epiphanie), Caresme-Prenant, leSacrement, Saint Laurent, Saint Martin, la Toussaint, la Purification,l’Annonciation, la Conception Notre-Dame, Saint Mathias, Saint Marc,Saint Philippe, Saint Jacques, Saint Jean-Porte-Latine, Saint Barnabé,Saint Martial, Saint Barthélemy, Saint Lucas, Saint Simon, Saint Jude,Saint André, Saint Thomas, à ces vingt-trois fêtes dessus dites, s’eniront quand vespres seront sonnées et auront pleines journées. Le jeudiaprès Pâques et la veille Saint-Michel, s’en iront à nonne Notre-Damede volée et doivent en avoir pleine journée ».

Les Boulangers de Paris n’avaient pas moins, en dehors des dimanches etdes vigiles, de 27 jours de fêtes dans l’année ! Et c’était une descorporations les plus occupées !

Ce n’est pas tout. Il fallait ajouter le chômage du jour des fêtes dela paroisse, du maître, de sa femme, puis les enterrements de maîtresou de compagnons auxquels assistait la communauté ; les entréessolennelles des rois ou des princes. Bref, un tiers de la vie ouvrièreétait consacré au chômage. M. Alfred Franklin, si documenté en cesmatières, en a fait le compte ainsi :

« Dimanches, 52 jours. - Veilles des dimanches (demi-chômage), 26jours. - Fêtes mobiles, 4. - Veille de ces fêtes (demi-chômage), 2. -Fêtes fixes, 22. - Veille de ces fêtes (demi-chômage), 11. - Fêtespatronales, 6. - Veille de ces fêtes (demi-chômage), 3. - Divers, 15. -Total : 141 jours ».

Certaines communautés, comme les Tréfiliers d’Archal de Paris, quiavaient un mois de congé pendant le mois d’août, voyaient l’année ainsipartagée : jours de repos : 171 ; jours de travail : 194 ; soit, à peuprès, un jour de repos sur deux.

En réalité, cette multiplicité des jours chômés, si elle amenait unrepos pour l’artisan, n’en était pas moins fort nuisible au commerce.Henri IV, qui avait trouvé la plupart des grands travaux abandonnés,par l’entremise du cardinal d’Ossat, demanda la suppression deplusieurs jours fériés, mais n’obtint rien.

Louis XIV fut plus heureux, mais du diable si vous vous doutez de cequi fut la cause de cette suppression des jours fériés ? Toutsimplement la colonnade du Louvre ! Louis XIV voulait qu’on la finîtrapidement ; on ne le pouvait, à cause des jours trop nombreux dechômage pendant lesquels les ouvriers se reposaient. Monarque absolu,Louis XIV estima que « ces jours qui auraient dû être employés enprières et en actions pieuses, ne servaient qu’à la débauche ».Supprimer ces occasions, c’était tout à la fois sauver l’âme desouvriers et hâter l’achèvement du Louvre ! Colbert négocia donc avecl’archevêque Harduin de Pérefixe, et du coup, 13 jours de fête sur 32furent supprimés. Dès 1658, La Fontaine indiquait, du reste, dans safable du Savetier et du Financier, l’inconvénient de ces joursfériéstrop répétés :

    Lemal est que dans l’an, s’entremêlent des jours
   Qu’il faut chômer. On nous ruine en fête
   L’une fait tort à l’autre et Monsieur le Curé
   De quelque nouveau saint charge toujours son prône.

Il est vrai que pour les saints… restants et maintenus, l’ordonnance de1764 exigeait un chômage tout ce qu’il y a de plus rigoureux. Denouveau, heureusement, un mandement du 11 février 1778 supprima 13jours de fête, malgré l’opposition du Parlement. On prétendit alorsdans le public que les magistrats ne tenaient tant aux saints évincésque parce qu’ils représentaient 13 jours de congé ! Ils cédèrentcependant et les malheureux saints, qui perdirent en eux leur dernierappui, eurent encore l’humiliation de se voir chansonnés dans descouplets fort irrespectueux, dont voici un spécimen :

    Unange me dit : J’arrive des Cieux
   Où c’est un bacchanal énorme.
   On voit mille séditieux
   Au sujet de cette réforme.
   Des Saints qui s’y trouvent compris,
   Grands et petits,
   Font les diables… en Paradis !...

Somme toute, malgré tous ces chômages, contre lesquels on protestait àcette époque, contrairement à ce qui a lieu de nos jours, l’ouvriern’était pas beaucoup plus heureux, car cet excès des fêtes chôméesavait sur le taux des salaires une influence mauvaise. En rendant letravail plus rare, dit M. d’Avenel, il semble qu’elles auraient dû lefaire renchérir, ce qui eût été à l’avantage des artisans. Mais ellesrestreignaient la production, augmentaient par là le prix de toutes lesmarchandises, en paralysant par suite la consommation et diminuaient lademande de bras, c’est-à-dire de salaires. Il est donc vraisemblableque les travailleurs, par ces lois forcées, voyaient leurs recettesamoindries et leurs dépenses accrues et que le charme d’un reposobligatoire ne compensait pas la privation d’autres jouissances.

En réalité, la vérité est - comme toujours - entre les deux extrêmes.Entre cet abus des chômages répétés, tel qu’on le voit surtout auXVIIIe siècle, entre le dimanche obligatoire, le loisir imposé etd’autre part le labeur sans interruption, le travail forcé, tel que lerêvèrent l’abbé de Saint-Pierre et Napoléon, qui, dans une trèscurieuse lettre à Portalis, disait : « qu’il aurait voulu ordonner quele dimanche les boutiques fussent toutes ouvertes », il y a place pourune solution plus raisonnée, plus logique, consentie de part etd’autre, et basée sur le respect de la liberté.

GEORGESDUBOSC