Corps
DUBOSC, Georges (1854-1927) : Un coin de la rue de laGrosse-Horloge (1926). Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (31.VIII.2016) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Première parution dans le Journal de Rouen du dimanche 31 janvier1926.Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là : études d'histoire et de moeurs normandes, 4ème série, publié à Rouen chez Defontaine en 1928. Par ci, par là UN COIN de la rue de la Grosse-Horloge LA MAISON DES ORFÈVRES L'ANCIENNE EGLISE St.-HERBLAND & LE « PASSAGE » par Georges DUBOSC _____ Pendant longtemps, est resté, à l'extrémité de la rue de laGrosse-Horloge, vers le Parvis de la Cathédrale, sur le côté nord, unvaste terrain qui, débarrassé de constructions, laissait apercevoir leshauts combles et les épis de plomb d'un vieil hôtel du XVIIe siècle.Pendant la guerre, il avait été élevé là, une grande installation enbois qui servit à différents aménagements : restaurant, café,music-hall et attractions de tous genres. Actuellement, des fouilles profondes et l'établissement desubstructions, annoncent la construction, -à demeure et fort solide,d'immeubles importants, dont les coffrages en ciment armé se préparentdéjà, faisant la suite de l'Hôtel Saint-Herbland, sur la rue de laGrosse-Horloge. Aussi bien, ce coin, qui se rapproche du centre de laCité et sur lequel s'élèvent les bâtiments édifiés actuellement, esttrès curieux et a déjà été exploré au cours des siècles. * * * En 1828, par exemple, lorsqu'on édifiait l'Hôtel Saint- Herbland, dansdes fouilles, à la profondeur de 6 mètres environ, on trouva une grandeconstruction romaine, appareillée en pierres de taille, chaînées debriques romaines formant également les cintres des ouvertures. D'aprèsJ.-B. Thaurin, l'archéologue rouennais, qui a publié tant de notes surles fouilles du sous-sol rouennais, cette construction était unaqueduc, venant du Palais-de-Justice, dans la partie vers la rueBoudin, où on avait découvert des bains romains, dont Deville a fait unrelevé très exact. Hyacinthe Langlois, de son côté, a fait pourl'Album de la Commission des Antiquités, où il se trouve, une trèsbelle aquarelle de cet aqueduc. Plus tard, en 1856, en faisant desterrassements clans la rue de la Grosse-Horloge, pour installer desconduites d'eau, on retrouva les substructions de l'ancienne égliseSaint-Herbland et, enfin, en 1861, d'après une note parue, le 15novembre 1861, dans leJournal de Rouen, on rencontra, au-dessousd'une cave, des débris d'architecture romaine, des tuiles à rebords,plates et convexes, des mortiers et des monnaies frustes. Comme diraitLabiche, dans la Grammaire : « Ça sentait le romain !! » La preuve que ce coin formait bien l'un des endroits les plus animés dela Cité, c'est qu'à cette place, où l'on édifie actuellement denouvelles constructions, se trouvait la Maison des Orfèvres, quiavait subsisté jusqu'à nos jours. Elle avait été donnée à la Corporation des Orfèvres rouennais, de toustemps groupés dans ces parages, en 1441, par Guillaume Lallemand,appartenant à la famille des célèbres imprimeurs rouennais. Uneinscription, posée en 1636, sur la cheminée, le rappelait, ainsi qu'unbuste du donateur, accompagné de ces vers : Priez Dieu que pour récompense Donne une maison dans les Cieux A celui qui, pour l'Utilité commune, Nous en a bien voulu donner une. Toute la façade, en pierre, sûr la rue, ne manquait point d'un certaincaractère, quoique la porte ait été refaite au XVIIIe siècle à la suited'un incendie très violent. A l'intérieur, se trouvait une grande cour,entourée d'une seconde maison qui conservait surtout les souvenirs dela puissante corporation. Dans la grande salle de ce second logis,existaient de fort jolies verrières rappelant plusieurs traits de lavie de saint Eloi, d'un côté le roi Clotaire, visitant le saint. Del'autre, le sacre du saint comme évêque de Noyon. Un autre vitrail,donné par l'archéologue de la Quérière et représentant les armes deFrance et les armoiries de la Corporation, figure encore au Musée desAntiquités, dans une galerie. Quand on entrait jadis dans cette Maison des Orfèvres, de la rue de laGrosse-Horloge, au temps où notre concitoyen, le sculpteur-décorateuret marbrier Bonet, y avait installé ses ateliers, on ne trouvait plus,dans certaines pièces que quelques jolis lambris. Au pied d'un grandescalier à balustres, se détachait pourtant un grand lion sculpté dansle bois, portant un écusson aux armes de la Corporation des Orfèvres etmontant la garde, allongé sur la rampe et sur la potille de départ.Qu'est devenu ce lion « superbe et généreux » ? Lors de l'enlèvement dela Maison des Orfèvres, son acquéreur voulut bien en offrir unmoulage très habilement reconstitué au Musée d'Art Normand, devenu leMusée Le Secq des Tournelles, où il tenait fort bien sa place. La pièceoriginale et l'escalier furent, croyons-nous, remontés dans le halld'un château construit sur les hauteurs du Bois-l'Archevêque et dont ladécoration était fortement inspirée de l'ancien château du Belley. Depuis le XV° siècle, la Communauté des Orfèvres rouennais, avait là,sur l'emplacement où s'élèvent actuellement de puissants échafaudages,sa maison corporative, mais son origine remontait bien antérieurement,puisque ses statuts dataient du 5 janvier 1359. Les Orfèvres de Rouenétaient, du reste, fort nombreux, très réputés pour leur habileté etleurs bijoux et joyaux, leurs pièces d'orfèvrerie religieuse furent detous temps, en haute renommée. Plusieurs d'entre eux, étaient mêmequalifiés d'émailleurs et de médailleurs. Plus heureux que les Orfèvres parisiens soumis à la Juridiction desMonnaies, ils ne dépendaient que des juges ordinaires de la Communauté.Tout au plus, devaient-ils remettre à l'Hôtel de la Monnaie de Rouen,les tables de cuivre où étaient indiqués leurs mercs, leurs noms, etleurs poinçons, choisis par eux le jour de leur réception. Cette tabledes anciens Orfèvres rouennais est encore conservée au Musée desAntiquités, comme un des souvenirs les plus curieux d'une des plusanciennes corporations de la cité rouennaise. * * * Attenante à cette Maison des Orfèvres, se trouvait jadis la vieilleéglise Saint-Herbland, aujourd'hui remplacée par un vaste immeuble enpierre, qui a gardé le caractère froid de l'époque de la Restauration.L'église Saint- Herbland, était certainement une des plusanciennes églises de Rouen, car elle remontait au XIIe siècle. Sonchevet, à plusieurs pans, touchait à la rue des Carmes, que jadis onappelait « Grand-Pont » et au Parvis de la Cathédrale. Par contre,son portail principal s'ouvrait sur la rue du Gros-Horloge. Il estfacile de s'en rendre compte par le dessin du Livre des Fontaines, deJacques Le Lieur, en 1525, et par la reconstitution qu'en avait faiteJules Adeline, en 1896, dans son Vieux-Rouen, une des attractionsprincipales de l'Exposition du Champ-de-Mars. Comme dans la plupart deséglises paroissiales, un aître ou cimetière l'entourait, aître auquelon accédait de l'église par une petite porte latérale. Dédiée au XIIe siècle, on reconstruisait l'église Saint-Herbland en1484, puis en 1505, où un devis de reconstruction complète figure dansles comptes. On y fait mention des fondements de plusieurs piliers, etde la construction d'un portail du côté du Petit Aître, avec laconstruction du pignon et de la tour. (Arch. départ. Gr. 6700). Lestravaux sont confiés alors au célèbre architecte de la Cathédrale,Roulland Le Roux, qualifié de « maçon » et à son confrère, RichardBoyssel. Pour ces travaux, les paroissiens, d'après une lettre du Roi,s'étaient imposé de fortes contributions. En 1530, le portails'achevait sous la direction de Jean de la Rue, et s'ornait de statuesdu Christ en croix, de la Vierge et de la Madelaine, par JeanGuéret, et les huchiers Desmonts, Maurice Becquet et Jean Le Noblesculptaient les panneaux des portes. Enfin, le coq, peint et doré parLoys Petit, se dressait sur la tour où carillonnaient plusieurscloches, baptisées par Gilles Hailé d'Orgeville et Esther Legrand, en1666, et par J. de la Roque et Mme Le Carpentier-Auzout, quelquesannées plus tard. De nouvelles réparations devaient encore être refaites à l'égliseSaint-Herbland, en 1699, où on devait reprendre les voûtes, et, en1702, où l’architecte Millet des Ruisseaux changeait la décoration desprincipales chapelles. En 1731, l'architecte de France, l'auteur de laFontaine d'Aréthuse, changeait tout le dallage intérieur de la nef,tandis que le sculpteur Lamine, qui fut un si terrible terroriste sousla Révolution, refaisait, en bois sculpté, tous les, trophéesdécoratifs du chœur. C'est à cette époque que la Corporation des Orfèvres, dans un esprit depieuse reconnaissance, fit restaurer la pierre tombale de GuillaumeLallemand et d'Agnès Clément, sa femme, qui, en 1416, leur avaient faitde grandes donations. * * * A l'intérieur, l'église Saint-Herbland, autant qu'on peut en juger parquelques dessins anciens, se divisait en une nef et deux bas-côtés,ornés de belles verrières, soit au chevet où le verrier La Voute, eh1656, procédera à quelques restaurations, soit vers le cimetière où setrouvaient la Transfiguration de Jésus-Christ et le Triomphe de laMort. Que sont-elles devenues ? Peut-être figurent-elles dans quelqueéglise d'Angleterre, comme la verrière de l'église Saint-Nicolas,aujourd'hui dans la Cathédrale d'York ? Peut-être sont-elles conservéesdans le cabinet de quelque collectionneur hollandais ? Toujours est-ilqu'en 1822 — époque de tous les vandalismes — elles furent vendues auHollandais Van Hamp et à l'Anglais Stevenson, qui dévalisèrent presquetoutes les églises rouennaises ! L'église Saint-Herbland était, dit un vieil auteur, assez riche,d'agrès les comptes, ayant reçu de nombreuses donations. L'une les plusanciennes était celle faite, en 1423, par Raoul Auber et GuillaumeCarie, qui avalent normé une rente, pour qu'on chante l'Inviolata,tous les samedis et la veille de toutes les fêtes de la Vierge. Laparoisse avait encore des rentes un peu dans tous les coins de Rouen,par exemple dans l'ancienne rue des Crottes, sur un logis qui portaitle nom pittoresque de Porche-va-te-coucher, rue des Crottes (Arch.départ. G. 6715). N'oublions pas non plus, la Maison des Uniques, sur la Renelle, dansune ruelle disparue L'Ecu de Sable, que la fabrique louait auxÉchevins, comme hôtel pour la Maréchaussée. A côté, se trouvait unlogis, que l'église Saint-Herbland louait comme atelier, au XVIII°siècle, au peintre Michel Peshays. Dans cette petite église, du reste,la Corporation des Peintres faisait dire une messe à la Saint-Luc ; lesChapeliers et les Lingères, à la Sainte-Barbe, et les Orfèvres, à laSaint-Eloi. Peu à peu, ces revenus avaient permis d'embellir et de restaurerl'église Saint-Herbland. Le portail, par exemple, avait été refait en1773, par Marc et Heuzé qui avaient restauré le portail de l'égliseSainte-Croix-Saint-Ouen, en même temps qu'on abattait neuf gargouilles,menaçant de tomber sur une quinzaine d'échoppes, logées autour descontreforts du sanctuaire. A l'intérieur, on avait réparé la belle châsse en argent de SaintHerbland et, en 1686, Clément, et Guillaume Lefebvre, avaient installéles orgues qui furent tenues par des organistes célèbres : Boyvin, qui fut organiste de la Cathédrale ; d'Agincourt, Vitcoq, LeBugle, Desmazures, Heuzé. Parmi les curés, on peut citer : Jean deGorencourt, en 1423 ; Guillaume de Chaumont, qui fut chanoine deBourges, en 1482. Le Prevost, en 1650 ; Louis Dufour; Langlois, en1737-1756 ; Le Roy, en 1758-1778 ; Hubert, en 1779. Supprimée en 1791, l'église Saint-Herbland fut vendue, le 6 thermidor,an IV (24 juillet 1796) à François Moulins, pour 112.860 livres, puis,pendant longtemps, servit de remise pour les messageries royales. Ilexiste même de cette époque, une lithographie pittoresque dont les Voyages dans l'ancienne France, de Taylor et Nodier, montrant lavieille nef où est remisée une diligence. Quelques chevauxs'aperçoivent dans les nefs latérales : ils ont été dessinés parGéricault. Un autre dessin à la sépia, par Merlin, très rare et faisantpartie de l'inestimable collection Edouard Pelay, reproduisait aussil'intérieur de l'église. En 1824, la vieille église Saint-Herbland fut complètement démolie pourfaire place à un grand hôtel en pierre et à un passage couvert quifurent édifiés par une société immobilière. Il existait, encore, dansla collection d'Edouard Pelay, des billets gravés de créancehypothécaire pour la construction de cette propriété. Rien ne restait plus, du reste, alors de la petite paroisse où le grandnavigateur Cavelier de la Salle, l'explorateur qui avait donné à laFrance le Canada, le Texas, la Louisiane et le Mississipi, fut baptisé,le 22 novembre 1643. Son père, qui était marchand drapier, habitait ruedu Gros-Horloge, dans la partie très courte allant de l'église jusqu'àla rue du Bec, du côté nord, sans qu'on eût pu déterminer où setrouvait son logis. Il nous souvient, quand on eut décidé l'appositiond'une plaque commémorative, dans la rue du Gros-Horloge, avoir été,accompagnant le regretté archiviste Charles de Beaurepaire, solliciterchacun des propriétaires d'immeubles. Ce fut navrant. L'un confondaitCavelier de la Salle avec Jean-Baptiste de la Salle. L'autre trouvaitque la plaque gênait son étalage de balais et de brosses suspendus. Untroisième craignait qu'on ne vit plus son enseigne commerciale. Enfin,on voulut bien accorder au coin de la rue du Bec, un emplacement d'unmètre environ pour le marbre de Cavelier de la Salle, qui avait donné tout un monde à la France, qui n'a pas su le garder ! Rien ne reste plus aujourd'hui de la petite église rouennaise, dont lepérimètre paroissial ne dépassait pas la rue du Bec et la rue auxJuifs. Elle possédait, toutefois, un privilège curieux. C'est dansl'église Saint-Herbland que les archevêques de Rouen, nouvellementpromus, venaient se mettre pieds nus, pour faire leur entréesolennelle à la Cathédrale, précédés par les croix et le Clergé de lapetite paroisse. Les moines de Saint-Ouen, qui accompagnaient aussi laProcession nu-pieds, avaient obtenu du clergé de l'égliseSaint-Herbland, une chapelle spéciale pour cet office. Au temps oùJ.-B. Le Roy, membre de l'Académie de Rouen, qui traduisit en vers le Paradis perdu, de Milton, était curé de Saint-Herbland, l'archevêqueDominique de la Rochefoucauld, lors de son entrée à la Cathédrale,partit encore pieds-nus de la vieille église, remplacée aujourd'huipar... un élégant magasin de chaussures ! * * * Le Passage Saint-Herbland, construit en 1826, est le seul témoignage àRouen, de cette manie des passages intérieurs, dont le passage desPanoramas, à Paris, avec le café Véron, le théâtre Comte, les magasinsluxueux de Susse et du chocolatier Marquis, était le modèle. On enfêtera le souvenir cette année... Quelques temps après son ouverture, un des principaux magasins, quiexiste encore, était dans le passage Saint-Herbland, le magasind'estampes de Hacbeth, où il y avait toujours foule pour regarder lesdessins, les caricatures, les lithographies de Raffet, de Charlet, deTraviès, puis les dessins des dessinateurs rouennais H. Langlois,Bellangé, Bérat, Tudot, Legal, Parelle... Il arriva au marchand Hacbeth une drôle d'aventure. Ayant exposé lacharge d'un type populaire de Rouen, grossier et cynique, quis'appelait Pimort, le Marchand de mourron, celui-ci attaqua, devantle tribunal correctionnel, le marchand d'estampes Hacbeth, et l'auteurde la caricature, le dessinateur Pieters. Est-il besoin d'ajouter quePimort, défendu par Me Frédéric Deschamps, fut, débouté de sa plainte ?Bien plus, Pieters fit un second dessin du suceptible Marchand demourron, avec la mention : déclaré ressemblant par jugement dutribunal correctionnel du 13, 14 et 22 janvier 1830, dans le Journalde Rouen. Parmi les autres boutiques célèbres du passageSaint-Herbland, il faut citer aussi le petit magasin, de l'entrée ducôté de la rue des Carmes, en face l'orfèvrerie-joaillerie de notreconcitoyen Gustave Lévy. C'était un coin où s'était installé, vers1876, le libraire Lemonnyer qui a réédité Les chansons de La Borde etqui avait été maintes fois poursuivi, pour avoir republié pas mal delivres légers du XVIII° siècle. Parfois, dans un coin, on apercevaitdans l'ombre, portant le vêtement masculin avec crânerie, Mme Marc deMontifaud, qui avait publié alors quelques études sur Héloïse etAbelard, sur les Romantiques et un roman Madame Ducroisy, qui luivalut quatre mois de prison. D'autres boutiques du passage, ou desalentours, évoquaient encore quelques souvenirs, celle du grainetierTeinturier, et celle de Mme Beauquesne, marchande de comestibles, dontles melons et cantaloups parfumaient tout le passage Saint-Herbland.Mais tout cela est bien loin ! Georges DUBOSC. |