Aller au contenu principal
Corps
[DUMONT-D'URVILLE, Jules SébastienCésar (1790-1842] :  Discoursprononcés lors de l'inauguration de la statue du Contre-AmiralDumont-d'Urville, à Condé-sur-Noireau, le 20 octobre 1844 /HenriDoyen, Alexandre-Lamotte, Gustave de Pontécoulant, Auguste Crochet,Barlatier-Demas.- Condé-sur-Noireau, 1844.- pagination multiple ; 21cm.

Recueilfactice contenant : Discoursprononcé par M. Henri Doyen, sous-préfet de Vire, lors del'inauguration de la statue du Contre-Amiral Dumont-D'Urville, àCondé-sur-Noireau, le 20 octobre 1844 (4 p.) ; Discours prononcépar M. Alexandre-Lamotte, maire de Condé-sur-Noireau, à l'inaugurationde la statue du Contre-Amiral Dumont-D'Urville (7 p.) ; Discours prononcé par M.Gustave de Pontécoulant, lieutenant-colonel au corps royald'État-major,..., à l'inauguration de la statue de Dumont-D'Urville le20 octobre 1844 (16 p.) ; Discoursprononcé par M. Barlatier-Demas, lieutenant devaisseau, à l'inauguration de la statue de Dumont-D'Urville le 20octobre 1844 (8 p.) ; Ode àDumont-D'Urville dédiée à Condé, sa ville natale (7 p.) ; Toasts portés aubanquet le jour de l'inauguration de la statue de Dumont-D'Urville(4p.).

Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (03.XI.2017)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographeetgraphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Normbr 2013 / Deville br 2163.)  

Discours prononcés lors de l'inauguration de la statue du Contre-Amiral Dumont-d'Urville, à Condé-sur-Noireau, le 20 octobre 1844

DISCOURS

PRONONCÉ


PAR M. HENRI DOYEN,

SOUS-PRÉFET DE VIRE,

Lors de l'inauguration de la Statue
du Contre-Amiral

DUMONT-D'URVILLE,

A Condé-sur-Noireau, le 20Octobre 1844

~*~


Messieurs,
 
Une circonstance pénible en vous privant aujourd'hui de la présence dupremier magistrat du département, m'appelle au périlleux honneur de leremplacer et de présider cette solennité consacrée à la mémoire d'un devos plus illustres concitoyens.
 
Dumont-d'Urville est un de ces hommes dont l'existence suffit à lagloire d'un pays.
 
Si la patrie s'enorgueillit de l'éclat qu'il a répandu sur elle, Condédoit être heureuse et fière de l'avoir donné à la patrie, et le jour oùcette ville élève sa statue, par les mains de la reconnaissance, estpour elle un jour de fête.
 
Issu d'une famille distinguée par d'honorables services dans lamagistrature, il reçut lui-même une éducation forte et libérale.
 
De profondes études en botanique, en astronomie, en hydrographie lepréparèrent d'avance à la carrière que depuis il a si noblementparcourue.
 
Telle était sa vocation pour la marine qu'il prédit, étant encoreenfant, qu'un jour il deviendrait amiral.
 
Il passa successivement par tous les grades qui l'élevèrent au rangd'officier supérieur.

Plusieurs missions importantes, furent confiées à son courage, à saprudence, vous savez tous, Messieurs, avec quel succès il les remplit.
 
Appelé en 1827 au commandement de la corvette l'Astrolabe, il futchargé d'aller à la recherche des vestiges des vaisseaux de Lapérouse.
 
Il recueillit les derniers débris de ce triste naufrage ; plus tard,hélas ! la douleur publique devait aussi, par une fatalité cruelle,recueillir ses restes mutilés sur le théâtre d'une horrible catastrophe.
 
Dumont-d'Urville ! Lapérouse ! vos deux noms retracent à la fois lesplus brillants souvenirs et les plus amères douleurs ; que désormaisdans l'histoire ils soient unis par la gloire comme ils le sont par lemalheur !
 
En 1837, Dumont-d'Urville conçut le projet d'aller explorer les mersaustrales; son but était de faciliter la navigation de ces merslointaines, d'enrichir la France de nouvelles colonies, d'étendreencore la science de géographie, d'ouvrir au commerce des routesnouvelles, de donner à l’industrie une heureuse impulsion, de signalerle nom français dans des lieux où il n'était encore représenté paraucune découverte.
 
Mais que d'obstacles à surmonter ! Transportez-vous en effet dans cesaffreux parages, sur ces côtes inhospitalières où nul vestige humainn'avait encore été découvert, où la végétation même expire ; voyez leclimat, la contagion sévir contre l'équipage, des montagnes de glacelui barrer le passage et être prêtes à l'anéantir. Dumont-d'Urvillemesure froidement le danger, la mort lui semble imminente, mais lesouvenir de la patrie est là, il s'abandonne à sa destinée !...

Ce n'était pas avec un talent vulgaire, un faible courage qu'on pouvaittenter cette grande et périlleuse entreprise, elle n'appartenait qu'aunavigateur dont la fermeté, la prévoyante audace devaient en assurer lesuccès.
 
Le plan tracé par Dumont-d'Urville fut accueilli avec faveur par leroi, protecteur éclairé de tout ce qui peut contribuer au bonheur de laFrance.
 
Les sentiments tendres et généreux n'étaient pas non plus étrangers àson noble cœur ; vous le voyez tracer sur les rochers des rives qu'il adécouvertes les noms inspirés par ses affections : « Cette terre,dit-il, portera le nom d’Adélie, elle perpétuera le souvenir de ma plusprofonde reconnaissance pour la compagne dévouée qui a su par troisfois consentir à une séparation longue et douloureuse, pour mepermettre d'accomplir mes projets d'explorations lointaines.

Quand il se plaisait à graver le nom d'Adélie, qu'il était loin deprévoir ce que lui gardait l'impénétrable avenir ; qu'il était loin desoupçonner que cette appellation touchante deviendrait sitôt uneinscription funèbre !

A une autre terre il donne le nom de Louis-Philippe, en mémoire du roi,qui le premier conçut la pensée de ses reconnaissances vers le pôleaustral.

Celle-ci sera honorée d'un nom devenu de plus en plus cher à la France,elle s'appellera Joinville.
 
Tant de talents et de vertus devaient-ils donc s'anéantir au milieu desjoies d'une fête, et pourquoi faut-il que du grand navigateur il nenous reste déjà plus que l'image !

Puisse, du moins, ce monument, objet de notre légitime orgueil, êtreaussi durable que sa gloire et notre reconnaissance !

* *
*

Discours prononcés lors de l'inauguration de la statue du Contre-Amiral Dumont-d'Urville, à Condé-sur-Noireau, le 20 octobre 1844

DISCOURS

PRONONCÉ PAR

M. ALEXANDRE-LAMOTTE,

MAIRE DE CONDÉ-SUR-NOIREAU


A l’Inauguration de la Statue du
Contre-amiral

DUMONT-D’URVILLE

~*~


MESSIEURS,

La France a toujours voué le culte le plus religieux aux Grands hommesqui l'ont illustrée : Poètes, Savants ! Héros, tous ceux dont le génieet le courage lui ont donné, à cette belle et noble France, le titrenon contesté de Reine glorieuse des nations ; tous ceux-là, même si lamère-patrie a pendant leur vie peu payé en honneurs l'éclat qu'ils luipromettaient, lorsque la mort a consacré leur gloire, lorsque leur nomrespecté par tous s'entoure d'une auréole pure et brillante, alors savoix les chante, ses mains pieusement reconnaissantes leur élèvent des MONUMENTS . . . des STATUES …. Elle a toujours compris qu'ainsi elles'approprie cette gloire qu'elle proclame : qu'elle s'honore elle-mêmeen honorant ses illustres enfants.... Oui, c'est ainsi qu'une nationest grande.

Ce n'est pas un mince honneur, Messieurs, d'être choisi commeinterprète de la reconnaissance de la Patrie….   

Car ce n'est pas nous seuls, ce n'est pas seulement Condé-Sur-Noireauqui rend ici hommage à la mémoire du Contre-Amiral DUMONT-DURVILLE,c'est la FRANCE tout entière qui remercie un de ses fils ; c'est laFrance qui glorifie une existence toute passée à la servir ; et cethonneur de représenter la France en cette occasion, trois villes se lesont disputé : Toulon, d'où les expéditions partirent ; Paris, qui vitsa mort déplorable ; mais CONDÉ a revendiqué avec instance son Illustreconcitoyen ; et en effet, Messieurs, Dumont-D'urville nous appartenaitavant tous.
 
Son père était Bailli de Haute Justice à Condé même, sa courageuse mèreappartenait à une des plus illustres familles du pays ; né à Condé, sesétudes se terminèrent au collège de Caen. Disons le donc avec fierté :Condé était sa patrie réelle et aussi sa patrie de cœur.
 
Lorsque les fatigues de longs et périlleux voyages avaient brisé sasanté , à quelle contrée voulait-il demander le repos, des jourspaisibles ? . . . . « J'irai en Normandie; disait-il, je parcourraiavec délices les lieux où s'écoula mon enfance. »

Et au milieu des traverses, des périls, des fatigues qui marquèrent ledernier voyage de l'Astrolabe, sur une terre sauvage et inhospitalière,il a une pensée pour sa ville natale, il lui destine une MagnifiqueCoquille ; il veut qu'elle soit placée dans l'église où son front reçutles eaux chrétiennes du Baptême.

Condé s'est souvenu de celui qui ne l'oublia jamais.

Ça a été une vie périlleusement traversée et laborieusement remplie quecelle du Contre-Amiral Dumont-d'Urville. A dix-huit ans il fesait sonpremier voyage maritime ; son goût, ses études l'avaient toujours portévers le marine qu'il devait illustrer. Après six campagnes, à l'unedesquelles nous devons la découverte d'un Antique admirable, la Vénusde Milo, dont il signala le premier l'existence, et qu'ainsi il adonnée à son pays en 1820.

Il fit sur la Coquille son premier voyage autour du monde. D'importantstravaux de Botanique et d'Entomologie signalèrent cette campagne toutescientifique ; il rapporta un précieux herbier de fleurs éclatantes del'Océanie qu'il voyait pour la première fois. Le Musée d'histoirenaturelle de Paris fut enrichi de brillants insectes ; le Jardin desPlantes, de graines de plantes rares. Car, il faut le dire bien haut, àla louange de Dumont-d'Urville, tous ses travaux, toutes sesdécouvertes enrichirent sa patrie, et non lui. Il publia un nombreinfini d'ouvrages : plus de 40 volumes ; il annula plus d'une gloire ;aucun esprit de spéculation ne le guida jamais.
 
Il voulait être utile À la science, se faire un beau nom, honorer sapatrie.

Donnons-lui donc Messieurs, ce qu'il a cherché : la Gloire! ! la Gloired'être remercié par la France reconnaissante.
 
La destinée inconnue, mais trop surement malheureuse de Lapérousepréoccupait vivement tous les esprits. La France était attentive aumoindres bruits venant des mers lointaines qui pourraient lui apporterquelques nouvelles de ces aventureux marins. Dumont-D'urville cettefois, capitaine de frégate, chef d'expédition, déploya toutes lesressources de son génie dans une lutte continuelle contre des périls detoute nature, son courage et sa persévérance parvinrent à lui faireretrouver assez de restes de ses devanciers pour qu'il traçât un récit,plus que probable, de leur triste naufrage ; et ces deux grandscapitaines, s'honorant l'un par l'autre, Dumont-D'urville , sur laplage fatale de Vanikoro, éleva à la mémoire de la Pérouse un Monumentque l'Astrolable salua de tous ses canons.
 
C'était assez pour illustrer une vie, ce n'était pas assez pourl'infatigable ardeur du contre-amiral, il repartit sur l'Astrolablecherchant, à travers les glaces du Pôle sud, un continent austral et laposition de ce mystérieux Pôle magnétique qu'il surprit et constata.Après la découverte de quelques terres et un long voyage dansl'Océanie, qui profita, comme toujours, à la science, il revenaitlorsque, stimulé par les tentatives rivales du capitaine Ross et dulieutenant Milket, il voulut, là comme partout, faire triompher notrepavillon. Il poussa au milieu des montagnes et des mers de glacejusqu'au 66ème degré, constata l'impossibilité du passage, et découvritla terre Adélie sous le cercle Polaire :

Il revenait alors après 4 ans d'absence, un voyage savamment conçu,courageusement exécuté, 25,000 lieues parcourues, la Géographie del'Océanie éclairée, des terres découvertes, des points importants de lascience rectifiés ou résolus ; il n'avait plus qu'à contempler sesœuvres et à achever paisiblement sa carrière ; il allait se livrerenfin aux joies de la famille trop peu connues, se consoler de sonfils, des pertes cruelles de ses autres enfants, mettre en ordre lesimmenses matériaux qu'il avait recueillis.

Cette besogne une fois terminée, je regarderai, m'écrivait-il, ma tâchecomme, tout-à-fait accomplie en ce monde.

Il n'avait que 51 ans, bien des jours encore devant lui, des jours derepos qu'il s'était doré de gloire, qu'une famille tendrement aiméeaurait doré de bonheur ; aimé du Roi, apprécié, estimé, honoré de tous; voyant son nom célèbre dans les lettres, comme dans la marine, commedans les sciences ; Contre-Amiral, Officier de la légion d'honneur ; ilavait devant lui une carrière de bonheur et de paix, lorsquefatalement, au milieu d'une fête, par un accident épouvantable,horrible dans ses effets, en dehors de toutes les prévisions humaines,cette vie si remplie se trouve misérablement brisée, et non pas luiseul, mais sa femme, mais son fils : tous périrent ! !..

Vous savez quel deuil ce fut pour notre ville ; Condé avait perdu leplus illustre de ses enfants !..
 
Chacun comprit alors qu'une dette nous restait à payer à ce grand nom.

Une souscription s'ouvrit. — Vite couverte des noms les plushonorables. — Le Roi, les Princes, là comme au danger, marchaient ànotre tête, et notre vœu le plus cher a été rempli, puisque cettestatue s'élève à Condé, à la mémoire du Contre-Amiral Dumont-d'Urville.
  
Ce n'est pas là, messieurs, un vain embellissement pour notre ville,c'est une grande et utile leçon pour la jeunesse qui m'entoure. Qu'elleapprenne par ces hommages rendus à la mémoire d'un grand homme, commentla France récompense ceux qui la servent avec loyauté, avec dévouement; qu'ils soient remplis d'un louable zèle, d'une sainte émulation, touttravail consciencieusement accompli, toute vie dévouée à la patrie estglorieusement récompensée ; et si nous avons des palmes et des cris detriomphe pour l'ardente intrépidité de ces marins qui vont défendrel'honneur de notre pavillon, comme à Tanger ou à Mogador, nous avonsdes louanges moins éclatantes, mais tout aussi vraies, pour le couragecalme, qui, au milieu des dangers de toute espèce, enrichit la scienceet honore son Pays.

* *
*

Discours prononcés lors de l'inauguration de la statue du Contre-Amiral Dumont-d'Urville, à Condé-sur-Noireau, le 20 octobre 1844

Discours

PRONONCÉ

PAR M. GUSTAVE DE PONTÉCOULANT,

Lieutenant-Colonel

AU CORPS ROYAL D'ÉTAT-MAJOR, MEMBRE DU CONSEIL-GÉNÉRAL
DU CALVADOS OFFICIER DE LA LÉGION-
D’HONNEUR,

A l’inauguration de la Statue

DE

DUMONT-D'URVILLE.

le 20 Octobre 1844.

~*~

Messieurs et chers Compatriotes,
 
A pareille heure, le 22 Octobre 1807, sur cette même place où tout unpeuple se presse pour rendre d'immortels honneurs à l'un de vos plusillustres concitoyens, un jeune homme passait solitaire. Son frontlarge et intelligent était sombre et soucieux ; ses yeux étaient fixésvers la terre et s'emblaient chercher jusque dans ses profondeurs lasolution d'un doute qui embarrassait ses esprits. Tout-à-coup ce jeunehomme s'arrête, son front se relève avec fierté, ses regards setournent avec confiance vers le ciel ; la sérénité enfin a reparu surson visage et tout son maintien décèle le calme et l'assurance quedonne toujours à l'homme énergique une résolution invariablementarrêtée. Quelques-uns de vous, Messieurs, se le rappellent sans doute,ce jeune homme c'était Dumont-d'Urville qui, après avoir terminé auLycée de Caen le cours brillant de ses études classiques, avait voulurevoir encore une fois sa ville natale, avant de fixer le choix siimportant, si difficile à son âge celui de la carrière qu'il allaitembrasser.

Nous étions alors à l'époque la plus brillante de l'ère impériale ;jours de triomphes et de gloire qui ont coûté, depuis bien des douleursà la France, mais dont toutefois elle s'enorgueillira, car ils ontmontré au monde ce que peut un grand' peuple lorsqu'il est dirigé parun chef habile qui a su l'apprécier et le comprendre. Napoléon, dansl'immortelle campagne de Prusse, venait de triompher encore une fois deses ennemis du continent ; la paix avait été signée à Tilsitt et leslimites du grand empire allaient désormais s'étendre des rives del’Oder jusqu'à celles de l'Èbre. Mais l’Angleterre, cette éternellerivale de la grandeur de la France était encore debout et l'on pouvaitcraindre que, par son or et ses intrigues bien plus redoutables que sesarmes, elle ne parvint bientôt à nous susciter de nouveaux adversaireset à ranimer la lutte qui venait de s'éteindre dans les plaines d’Iéna et de Friedland.
 
La paix ne semblait donc qu'une trêve de courte durée, et toute lajeunesse d'alors exaltée par ce parfum de gloire qui enivrait la Franceentière, ne brillait, au sortir des écoles, que du désir de servir sonpays et de se faire un nom dans nos armées ou de terre ou de mer. C'estdonc entre les deux carrières qu'elles ouvraient devant lui queDumont-d'Urville avait à choisir. Toutes deux étaient sans douteégalement honorables ; mais la marine lui offrait seule le moyend'appliquer les connaissances variées qu'il venait d'acquérir sur lesbancs du collège, et de cultiver le goût dominant qu'il avait montrédès son plus jeune âge pour les sciences exactes. C'est en effet dansl'art de la navigation que les Mathématiques et l'Astronomie trouventla plus belle application qu'elles puissent faire de leurs brillantesthéories. Ce sont elles qui conduisent le marin au milieu des écueils,lorsque de tous côtés enfermé entre la mer et le ciel, il n'a plus pourse guider que la tremblante lueur des étoiles. Grâce aux progrès de cesdeux sciences l'univers entier lui est ouvert ; il peut parcourir toutel'étendue de l'Océan sans jamais s'égarer dans sa route. Franchir laligne, dépasser les tropiques, s'approcher des pôles sont pour lui desentreprises faciles. Il court dans des climats lointains découvrir desterres ignorées, des peuples inconnus. Tantôt il sert l'humanité toutentière en explorant et en signalant à ses successeurs des rescifsmenaçants, des passages dangereux. Tantôt il ouvre au commerce de sapatrie des débouchés nouveaux, en promenant notre pavillon d'un bout dumonde à l'autre, et en faisant retentir le nom de la France sur desrivages ou la civilisation n'était pas encore parvenue.

Tels sont, messieurs, les éminens services que la marine peut rendre aupays, mais n'oublions pas quels sacrifices, quel dévouement elle exigede celui qui lui consacre sa vie. Une surveillance sans relâche, uneactivité de tous les moments, une fermeté inébranlable contre laquelleles obstacles se brisent, sont des qualités qui lui sont indispensableset que la nature seule peut donner. Mais ce n'est rien encore ; il fautque pendant de longues années il s'arrache au sol de la patrie, auxaffections de la famille, aux douceurs du foyer domestique. Il faut quedésormais toutes ses facultés, tous ses intérêts, toutes ses affectionsse concentrent sur cet assemblage de quelques planches qui va le porteraux extrémités de la terre, et peut-être l'engloutir avec lui sanslaisser même après soi aucune trace de son passage ! ! Ne nous étonnonsdonc plus qu'avant d'embrasser une carrière hérissée de tant de périls,de tant de fatigues, de tant d'abnégation, nous ayons vuDumont-d'Urville hésiter un moment ; mais aussi, lorsque nous auronsmontré que tous les talens, que toutes les vertus qui font le grandnavigateur, ont été possédés par lui ; lorsque nous l’aurons suivi dansses courses lointaines, tantôt découvrant des îles et des archipelsencore ignorés ; tantôt confirmant par des explorations savantes lesdécouvertes de ses devanciers ; tantôt, naturaliste habile,enrichissant la botanique et l'entomologie d'une foule d'espècesnouvelles ; tantôt philologue érudit, faisant connaître à l'Europecivilisée les mœurs, les croyances, les idiômes des peuplades encoresauvages de l'Océanie ; tantôt se frayant à travers les glaceséternelles une route vers le Pôle antarctique et posant la limite queles efforts humains ne pourront sans doute dépasser (1) ; tantôtreportant dans les travaux du cabinet toute la persévérance qu'il avaitdéployée dans sa lutte contre les éléments et classant dans desouvrages admirables d'ordre et de clarté les conquêtes nouvelles dontchacune de ses brillantes expéditions venait d'enrichir la science.
 
Tour à tour marin intrépide, savant éclairé, écrivain habile ; doué auplus haut point de ce coup-d’œil rapide qui sait mesurer toutel'étendue du péril, de la prudente qui le fait éviter, de l'énergie quiapprend à surmonter celui qu'on n'a pu prévoir, sans doute on nes'étonnera pas des honneurs que nous rendons en ce jour à notre célèbrecompatriote ; et, si quelques années ont suffi au jeune homme obscur,qui naguère traversait cette place, pour atteindre la position élevéequ'il va désormais occuper, c'est que la vie d'un grand citoyen esttoujours assez longue pour lui conquérir une éternelle renommée,lorsque chacun de ses jours a été employé à accroître la dignité, laconsidération et la gloire de son pays.
 
Dumont-d'Urville avait dix-sept ans lorsque, le 1er novembre 1807, ilpartit de Caen pour se rendre à Brest où il devait être reçu à bord duvaisseau l'Aquilon en qualitéde novice, car il n'existait pas encore alors en France d'école demarine. Bientôt après, à la suite de brillants examens, devenu aspirantde deuxième classe ; il quitta Brest, passa au Havre et de là futenvoyé à Toulon. Jusqu'alors Dumont-d'Urville avait consacré tout sontemps, toutes les capacités de son intelligence aux études théoriqueset pratiques qu'exige la science navale. A Toulon les devoirs duservice lui laissent enfin quelques loisirs, il les emploie à cultiverune branche de connaissances qu'il n'a pas encore abordées, et verslesquelles cependant, depuis ses plus jeunes années écoulées au seindes coteaux agrestes du bocage Normand, il se sent entraîné par un goûtirrésistible. La botanique et l'entomologie, ces deux sciencescharmantes par leur objet, attachantes par leur variété, deviennent lebut de ses explorations journalières. Il ne leur demandait d'abordqu'un délassement agréable, un refuge contre les passions et lesentraînements de son âge, elles lui donneront plus qu'elles n'avaientpromis, elles suivront le hardi navigateur dans ses plus périlleusesentreprises, et deviendront un jour l'un de ses titres les plusprécieux aux hommages du monde savant.
 
Ainsi s'écoulèrent les premières années de la Restauration.Dumont-d'Urville avait senti que cette grande révolution qui venait derenverser un puissant empire et de briser tant de trônes qui s'étaientélevés sous son ombrage, allait exercer aussi une immense influence sursa propre destinée. Il fallait renoncer aux idées belliqueuses quil'avaient poussé dans la marine militaire ; faire succéder les vertuspacifiques aux vertus guerrières ; honorer notre pavillon par sonsavoir au lieu de le faire redouter par sa valeur. Un tel changementn'étonna pas la grande âme de Dumont-d'Urville ; comme il s'était parde fortes études initié de bonne heure à toutes les connaissances quifont le vrai marin, aucun des devoirs qui lui sont imposés pendant lapaix ne pouvait lui être étranger. Aussi voyons-nous dès 1819 l'un denos marins les plus distingués dans la science de l'hydrographie, M. lecapitaine de vaisseau Gauthier, choisir parmi tous les jeunes officiersqui l'entouraient à Toulon, l'enseigne Dumont-d'Urville commecoopérateur dans la mission importante qui lui était confiée de releverles côtes de la Méditerranée et de réunir les matériaux d'une carte,depuis longtemps désirée, de tout l'archipel du Levant.

L'année suivante, la corvette la Chevrette,qui était rentrée à Toulon après cette expédition, reprit la mer pourentreprendre une campagne nouvelle dont l'objet était plus étendu,sinon plus important encore, que celui de la campagne précédente. Ils'agissait de relever la carte hydrographique du détroit desDardanelles, de la mer de Marmara, du Bosphore et de la mer Noire, enétudiant surtout avec un soin particulier la côte asiatique, Lecapitaine Gauthier était de nouveau chargé de ce grand travail quiréclamait toute son expérience et toute son activité Il s'était tropbien trouvé de la coopération de Dumont-d'Urville pour ne pas sel'adjoindre encore dans cette savante expédition.

Après douze jours de mer la Chevrette aborda l'archipel grec et jeta l'ancre sur la rade de Milo. Milo,ce nom vous rappelle, Messieurs, l'une des plus heureuses circonstancesde la vie de votre illustre compatriote. Vous savez tous comment dansla misérable cabane d'un pâtre, sous l'argile et la terre qui ladéshonoraient encore, dans un bloc mutilé qu'on lui offrait d'échangercontre quelques piastres, Dumont-d'Urville guidé par cet instinct dubeau qui est l’un des attributs du génie, reconnut l'un des plusbrillants chefs-d’œuvre de l'antiquité, une statue qu'on a depuis jugéedigne du ciseau de Phidias ou de Praxitèle, et qui, sous le nom de la Vénus de Milo,fait aujourd'hui l'un des plus précieux ornements de notre Musée deParis. Sans doute, Messieurs, il y a du bonheur, du hasard peut-être,dans une pareille découverte, mais n'y en a-t-il pas de même danstoutes les conquêtes que la faiblesse humaine arrache à la nature ; ceque l'on peut dire avec vérité, c'est que la fortune, dans le champ dela science, accorde rarement de telles faveurs à ceux qui ne les ontpas achetées par de rudes travaux. Dumont-d'Urville avait étudié dansles auteurs originaux la topographie et les monuments de l'ancienneGrèce, longtemps avant d'être appelé à visiter cette terre classiquedes beaux-arts et de la liberté ; c'est un Pausaniasà la main, son auteur favori qui ne le quittait jamais, même au milieude ses expéditions maritimes, qu'il parcourait ces lieux qui déjàdepuis longtemps lui étaient familiers ; en abordant Milo, l'ancienne Mélos,cette île de l'Archipel jadis illustrée par le séjour des plus célèbressculpteurs de l'antiquité, Dumont-d'Urville s'attendait à trouver unchef-d'œuvre, il le pressentait, il le cherchait et ce n'est pas lehasard seul qui amena sous ses pas la Vénus de Milo (2) ou du moins c'est le même hasard qui révélait à Newton la grande loi de la gravitation , à Cristophe Colomb l'Amérique.
 
M. le capitaine Gauthier ayant entièrement terminé son immense travail,opéra son retour à Toulon et Dumont-d'Urville reprit à terre le coursde ses occupations scientifiques. Mais bientôt, fatigué de l'inactionet de la vie uniforme d'un port de mer, il conçut le projet le plusvaste que puisse accomplir un marin et forma le plan de son premiervoyage autour du monde. L'exposé qu'il en traça était écrit d'unemanière à la fois si savante et si entraînante que le Ministre de laMarine, auquel il l'avait soumis, l'approuva dans son entier, et qu'ilordonna que la corvette la Coquillefût mise en état d'entreprendre cette longue campagne. Dumont-d'Urvillequi l'avait provoquée pouvait être appelé à la diriger, le Ministre ledésirait ; mais, par une modestie qui n'appartient d'ordinaire qu'aumérite supérieur, il demanda que le commandement fût confié à l'un deses camarades, le capitaine Duperrey, (3) officier très-instruit, dontil avait su apprécier les talents, et ne réclama pour lui-même que lamodeste place de second sous le chef qu'il s'était choisi. Cetteexpédition fut heureuse, la Coquillesortie de Toulon en 1822, y rentra en 1826, après avoir effectué letour entier du globe et recueilli de précieux documents pour toutes lesbranches des sciences naturelles. Dumont-d'Urville avait déployé danscette campagne de vastes connaissances comme marin et commenaturaliste, un caractère énergique, un zèle à toute épreuve ; le gradede capitaine de frégate et la croix de la légion d'honneur en fut larécompense méritée.
 
Cependant son activité semblait croître à mesure qu'il avançait dans lavie, comme ces nobles fleuves qui s'étendent à mesure qu'ilss'éloignent de leur source. A peine Dumont-d'Urville était restéquelques mois à terre que déjà il s'occupait d'un nouveau voyage decircum-navigation plus important, plus étendu encore que celui qu'ilvenait d'achever. Le ministre de la marine exigea cette fois qu'il pritle commandement en chef de l'expédition et mit à sa disposition lacorvette la Coquille qui reçut le nom de l’Astrolable en mémoire du célèbre et trop infortuné Lapeyrouse, pour lequel Dumont-d'Urville professait la plus profonde admiration.
 
Nous ne nous étendrons pas ici sur les résultats de cette belle etsavante campagne qui employa les années 1825 1826, 1827 et 1828 ; ilsont été publiés par Dumont-d'Urville lui-même et ce serait en affaiblirle tableau que d'essayer de le résumer. Nous rappelerons seulement,comme un brillant épisode de cette glorieuse expédition que c'est dansles affreux parages de Vanikoro que Dumont-d'Urville, après de longuesrecherches et des dangers inouïs, retrouva les tristes débris dunaufrage des deux navires, l'Astrolable et la Boussole,commandés par l'infortuné Lapeyrouse et dont un grand nombre denavigateurs de toutes les nations, depuis bien des années,recherchaient en vain les traces. Après avoir reconnu la plageinhospitalière où nos malheureux compatriotes avaient sans doute trouvéla mort, et servi de pâture peut-être à de féroces cannibales,Dumont-d'Urville éleva un mausolée à leur mémoire et le salua devingt-un coups de canon. Le bruit s'en perdit dans les grottesprofondes de ces rochers déserts, mais la patrie le recueillit etsembla dès ce jour pleurer avec moins d'amertume la perte de sesenfants ! !
 
L'Astrolabe rentra àMarseille, le 25 mars 1829, après une absence de trente-cinq mois ;elle venait de parcourir près de 25,000 lieues. Le voyage de laCoquille n'avait été pour ainsi dire qu'une promenade pittoresque,celui de l'Astrolabe fut une lutte continuelle contre les éléments,contre les intempéries de climats dévorants, contre des dangers detoute espèce. Jamais Dumont-d'Urville n'avait eu à déployer davantagel'énergie de son caractère, mais sa grande âme suffisait à tout. Deboutsur son gaillard d'arrière il semblait commander aux tempêtes, et sonvisage austère, qui prenait dans le péril une expression sublime,inspirait de la confiance au plus timide. Ni l'influence fébrile d'unfléau dévastateur qui avait moissonné une partie de son équipage, niles hurlements sauvages des peuplades féroces de Tongatabou quipoussaient des cris de mort autour de sa mince escorte, ne purentralentir un moment son zèle pour la science, et malgré les traverses,les fatigues et les dangers d'un pénible voyage, il rapportait devolumineux journaux d'expériences et d'observations sur la physique duglobe et une cargaison tout entière d'espèces nouvelles dans toutes lesbranches de l'histoire naturelle, qui n'attendaient qu'une main habilepour être mises en ordre et pour prendre la place qu'elles méritaientd'occuper dans les vastes dépôts de nos collections scientifiques.
 
Dumont-d'Urville, nous l'avons dit, déployait dans les travaux ducabinet la même activité qu'il apportait dans tous les détails de savie maritime ; la persévérance était le grand pivot de son espritmobile; aussi dès 1835, après avoir achevé et livré à l'impatientecuriosité du monde savant la rédaction de son dernier voyage, ouvrageimmense qui restera, comme l'un des plus vastes monuments élevés à lascience, l'infatigable navigateur reprenait la route de Toulon. L'amourdes découvertes ne s'était pas encore affaibli en lui ; plus il avaitattaché à son nom de gloire et de renommée par ses deux voyagesprécédents, plus il se sentait l'invincible désir d'y ajouter encore.En vain les conseils de ses amis, les fréquents accès d'une goutteviolente, le besoin de soigner l'éducation de son fils, se réunissaientpour le retenir au rivage, le plan d'un troisième voyage autour dumonde fermentait dans sa tête et rien ne pouvait l'en détourner. Lanature, chez lui, n'avait point encore réalisé tout ce qu'elle pouvaitproduire, c'était comme un chêne vigoureux que la sève anime encore, etqu'on eût étouffé en l'arrêtant dans son développement.
 
Deux corvettes, l'Astrolabe et la Zélée,furent désignées pour cette nouvelle campagne de circum-navigation,elles avaient pour mission spéciale d'explorer les détroits de Magellanet de Torrès, et de s'avancer par une pointe hardie vers le pôleaustral pour s'assurer s'il existe ou non de ce côté un continentpolaire. Déjà des navigateurs Anglais et Américains avaient tentéd'éclairer cette importante question géographique, Dumont-d'Urville latrouva digne de toute son attention, il pressentait sans doute que lasolution lui en était réservée.
 
Le 7 septembre 1837, l'Astrolabe et la Zéléeappareillèrent de la rade de Toulon, et au coucher du soleil ellesavaient disparu comme un point imperceptible sur la vaste étendue de lamer. Il serait impossible, sans dépasser de beaucoup les limites que jeme suis prescrites, d'analyser ici les glorieux trophées quicouronnèrent cette troisième campagne plus riche encore en acquisitionsscientifiques, plus féconde en brillants épisodes que les deuxcampagnes qui l'avaient précédée. Ce serait en effet le sujet seuld'one épopée tout entière que ces terribles assauts livrés à deuxreprises différentes et, sous des méridiens très-distans les uns desautres, par les équipages des deux corvettes à ces blocs immenses deglaces éternelles qui, comme les murs d'une citadelle inexpugnable,défendent l'accès du pôle antarctique. Qu'il me suffise de direqu'après des efforts inouïs, après des combats de géants, lapersévérance, le courage, la volonté de fer de Dumont-d'Urvilletriompha de tous les obstacles. Ces énormes montagnes de glace, cesterribles banquises,attaquées par les éperons dont les vaisseaux sont armés, divisés parles longues scies qui grincent sous la main des matelots, broyées parla mine qui les brise en éclats, consentirent enfin à lui livrerpassage ; l'intrépide navigateur, selon ses prévisions, vit s'ouvriralors devant lui une mer libre, et sa persévérance fut couronnée par leplus beau succès que puisse tenter l'ambition d'un marin ; au milieu deces masses inertes qui semblent la barrière éternelle que la nature aplacée entre la vie et le néant, il eut le bonheur de découvrir uncontinent encore ignoré, et le premier il salua cette terre nouvelle aunom du roi des Français. Le problème scientifique qui l'avait amenédans ses affreux climats se trouvait donc définitivement résolu ; lepôle antarctique comme le pôle artctique s'appuyait sur une basesolide, et le nom de Dumont-d'Urville allait prendre rang désormaisparmi ceux des Cook, des Lapeyrouse, des Bougainville, des d'Entrecastreaux,parmi ceux enfin des plus illustres navigateurs qui ont reculé lesbornes de la terre et enrichi l'univers d'un continent nouveau.
 
Le 7 septembre 1840, l'Astrolabe et la Zéléerentrèrent à Toulon après une absence de plus de trois années. Tous lesamis de la science s'empressèrent de fêter le retour de cette mémorableexpédition ; mais il faut le dire, ils cherchèrent eu vain dans le chefhabile qui l'avait dirigée, la mâle énergie, la démarche assurée, lanoble confiance en ses forces qu'ils avaient coutume d'y trouver. Lesfatigues de cette laborieuse campagne, une longue et cruelle maladie,avaient fortement ébranlé la vigoureuse constitution deDumont-d'Urville. Ce corps si droit, si nerveux autrefois, maintenantamaigri par la souffrance, marchait courbé vers la terre. On voyaitencore au récit de ses glorieux travaux s'animer cet œil d'aigle quiavait brillé si souvent au milieu du péril, mais c'était comme lesdernières lueurs que jette un flambeau qui s'éteint. La grande âme deDumont-d'Urville semblait s'être laissée surprendre aussi par lafaiblesse et le découragement. Ce n'était plus cet esprit entreprenantqui, au retour d'une expédition laborieuse, déjà en méditait une autre; ce navigateur infatigable qui, comme l'athlète antique, semblaitreprendre des forces nouvelles toutes les fois qu'il touchait la terre.Au milieu de ses amis, dans de longs entretiens empreints de tristesseet de mélancolie, il revenait souvent sur sa résolution arrêtée de seretirer du service. Il parlait comme Socrate de sa fin qu'il croyaitprochaine, et n'exprimait plus qu'un désir, c'est que sa cendre reposâtdans la retraite qu'il avait embellie, entourée de celle des troisenfants qui l'avaient précédé dans la tombe ; enfin il était en proie àcette douleur sans cause, souvent plus effrayante que la souffrancevéritable, parce qu'elle semble comme un lugubre avertissement dudestin. Telle était la situation morale de Dumont-d'Urville lorsqu'ilreçut la nouvelle de sa nomination au grade de vice-amiral qui venaitde lui être conféré par le Roi. Il reçut cette faveur avec une vivereconnaissance et comme la consécration de ses glorieux services. Cefut la seule idée consolante qui pénétra dans son âme depuis son retourà Toulon jusqu'à l'effroyable catastrophe qui termina sa noble vie.
 
Vous n'attendez pas, Messieurs, que dans un jour comme celui qui nousrassemble, j'afflige votre pensée en rappelant ce désastre épouvantablequi engloutit, avec tant d'autres victimes, la famille entière de votreillustre compatriote. Ce long cri de terreur qui retentit d'un bout dela France à l'autre, ce deuil religieux qui accompagna ses restesrecueillis par des mains amies au milieu des débris de l’incendie,comme lui-même avait recueilli jadis ceux de Lapeyrouse sur les rocherssauvages de Vanikoro ; ces discours éloquens prononcés sur sa tombe parles marins les plus illustres, par les savants les plus distingués, ontsatisfait à ce qu'exigeait une trop juste douleur. En présence de cemonument qui doit éterniser le nom de Dumont-d'Urville, ne laissonspénétrer dans nos cœurs que des idées consolantes et dignes de sagrande âme. Songeons que si la carrière d'un grand citoyen se mesureaux services qu'il a rendus à son pays, celle de Dumont-d'Urville a étélongue, elle a été complète. Celui qui a consacré son existence aunoble culte de la science, attache peu de prix à la vie alors qu'il arempli sa tâche, et qu'importe sur cette terre quelques jours ou deplus ou de moins à celui qui doit vivre éternellement dans la mémoirede ses concitoyens ! !
 
Je m'arréte, Messieurs, je viens de retracer aussi brièvement que lepermettait un si vaste sujet, les droits que Dumont-d'Urville commecitoyen vertueux, comme savant distingué, comme marin habile, s'estacquis aux honneurs qu'il reçoit aujourd'hui ; je n'abuserai pas pluslongtemps de votre attention, il me tarde autant qu'à vous de voircommencer le cours des réjouissances publiques qui doivent signaler unsi beau jour. Qu'il me soit cependant permis, en terminant, de vousremercier au nom des amis de la science des hommages que vous luirendez en ce moment dans la personne de notre illustre compatriote. Detout temps, Messieurs, et chez tous les peuples, la nature, à desépoques marquées par la providence, a produit des hommes transcendans,des génies supérieurs au reste de l’humanité, mais rarement ces hommesd'élite ont obtenu de leurs contemporains les honneurs qu'ils avaientmérités. Galilée rétracta dans les fers l'irréfragable vérité de ses grandes découvertes ; Le Tasse expira dans un cachot ; Cristophe Colomb,qui avait découvert un monde, mourut dans un état voisin del'indigence. Sans doute ces exemples, Messieurs, sont empruntés à dessiècles d'ignorance, et ne se reproduiraient plus aujourd'hui ; maisrendons-en grâce au progrès heureux de la civilisation et surtout auperfectionnement des lois sous lesquelles nous avons le bonheur devivre.
 
Grâces à elles, désormais toutes les carrières sont ouvertes au génieet à la persévérance ; nul art n'est avili, tout mérite a sa gloire, etles mêmes honneurs attendent le guerrier qui défend son pays par savaleur, et l'artisan qui l'honore par ses talents.
 
N'en doutez pas, Messieurs, de cet ordre de choses datera une èrenouvelle pour l'humanité. Ce concours des forces vitales etintellectuelles de tout un peuple vers un même but, celui de servir sonpays, doit produire de féconds résultats. La découverte de la vapeur achangé toutes les combinaisons industrielles ; les rapidescommunications qu'ouvrent les voies de fer menacent de bouleversertoutes nos relations commerciales ; la nature n'est pas épuisée,l'esprit humain est en marche, et nul ne peut fixer le point où ils'arrêtera.
 
Quant à vous, Messieurs, une riche part vous est réservée dans ce champfertile du progrès. L'industrie a depuis vingt ans doublé l'importancede votre cité, et déjà par vos travaux elle a pris l'une des premièresplaces parmi les villes manufacturières de la France. Suivez la ligneque vous vous êtes tracée ; appelez la science à seconder les bras desnombreux ouvriers qui se pressent dans vos ateliers, docile à votrevoix elle vous répondra, elle seconde toujours les efforts de ceux quisavent, comme vous, l'honorer. Tant que la sagesse d'un prince éclairénous accordera les bienfaits de la paix, faites, en occupant leurpopulation, circuler l'abondance au sein de nos campagnes florissantes,et, fiers d'une richesse laborieusement acquise, inscrivez d'une mainferme sur le fronton de vos usines : L'industrie donne le travail, le travail donne l'indépendance !!!


* *
*

Discours prononcés lors de l'inauguration de la statue du Contre-Amiral Dumont-d'Urville, à Condé-sur-Noireau, le 20 octobre 1844

~*~

DISCOURS

PRONONCÉ

Par M. Barlatier-Demas

LIEUTENANT DE VAISSEAU,

A l’Inauguration de la Statue

DE

DUMONT-D’URVILLE

A CONDÉ-SUR-NOIREAU

LE 20 OCTOBRE 1844.


MESSIEURS,
 
Permettez-moi, d'abord, de me féliciter d'avoir eu l’honneur d'êtredésigné par Monsieur le Ministre de la Marine, pour assister, au milieude vous, à cette pieuse cérémonie.
 
Il y a quatre ans à peine, deux pauvres corvettes, fatiguées par delongues années de navigation, décimées par la contagion la pluscruelle, se traînaient péniblement vers les côtes de France.

Ces corvettes étaient celles de M. d'Urville.

M. d'Urville arrivait en France exténué, en proie aux plus vivessouffrances, son énergie seule l'avait soutenu au milieu des épreuvessans cesse renaissantes de cette rude navigation,
 
Permettez-moi, Messieurs, de vous retracer en peu de mots l'existence si utile, si remplie de votre illustre compatriote.
 
Entré jeune au service, M. d'Urville se consacra tout entier à lapartie scientifique de la noble carrière qu'il venait d'embrasser ; ilservit activement pendant la dernière période de la guerre de l'empire.
 
A la paix, d'Urville était désigné par tous comme un officier de laplus haute espérance, aussi fut-il embarqué sur la corvette laChevrette qui, sous les ordres du capitaine Gautier, avait reçu laglorieuse mission de faire le relevé hydrographique d'une partie desmers du Levant et de l'archipel grec.
 
M. d'Urville contribua puissamment aux succès de cette campagne, dontles résultats ont été admirables. Les cartes de la Chevrette conduisentaujourd'hui tous les marins qui sillonnent cette partie de laMéditerranée.
 
Ce fut dans le cours de cette campagne que M. d'Urville enrichit le Musée royal de la magnifique Vénus de Milo, qu'il découvrit après les recherches les plus minutieuses.
 
De retour en France, M. d'Urville sollicita avec ardeur un voyaged'exploration. D'une instruction profonde, doué d'une rare énergie etd'une constitution de fer, M. d'Urville était par-dessus tout avide degloire. A lui le grand Océan, ses immenses archipels si dangereux, sessauvages, ses féroces cannibales.
 
Les grandes figures de Koock et de Bougainville étaient sans cesseprésentes à son esprit. Il se sentait appelé à de grandes choses, ilvoulut les accomplir.

Le gouvernement reconnut ses services à bord de la Chevrette, par le grade de lieutenant de vaisseau.
 
On armait la corvette la Coquille pour un voyage de circum-navigation ;le commandement en fut confié à l'un des officiers les plus distinguésde la marine, à M. Duperrey, aujourd'hui membre de l'Académie desSciences. Lié d'amitié avec M. d'Urville, il le choisit pour son second.

La Coquille rapporta les plus belles observations et d'immensesmatériaux en tous genres. Ils ouvrirent à M. Duperrey les portes del'Institut, et valurent à M. d'Urville le grade de capitaine de frégate.
 
M. d'Urville, à son tour, proposa un plan de campagne qui reçut uneapprobation complète et qui eut en France un retentissement énorme.Personne n'avait oublié le déplorable sinistre qui avait coûté la vie ànotre illustre et malheureux Lapeyrouse et à ses équipages. Déjàl'assemblée constituante avait fait partir de France une expéditionsous les ordres du contre-amiral Bruny-d'Entrecasteaux. Il avait reçula mission spéciale de découvrir ce qu'étaient devenues l'Astrolabe etla Boussole. L'expédition rendit d'immenses services géographiques ;mais malgré les recherches les plus consciencieuses elle ne put riendécouvrir du sort de nos infortunés compatriotes.
 
Depuis, les guerres continuelles qui ensanglantèrent l'Europe ne permirent pas de tenter d'autres essais.
 
M. d'Urville reçut le commandement de la Coquille, qui prit le nom de l'Astrolabe en mémoire de la frégate de Lapeyrouse.

Arrivé sur le lieu du sinistre, après des fatigues, des dangers inouïs,malgré la plus terrible épidémie que des pluies incessantes, deschaleurs accablantes développèrent à bord de la nouvelle Astrolabe, M.d'Urville parvint à arracher du fond de la mer les débris desmalheureuses frégates.

Un modeste monument rappellera aux rares navigateurs, qui viendrontexplorer ces funestes parages, la terrible catastrophe de nosdevanciers, et l'intrépidité du grand navigateur qui bravant lesinnombrables rescifs de corail, les fatales influences d'un climatpestilentiel, est venu pieusement rendre à leur mémoire un dentierhommage.

Échappé aux mille dangers de Vanikoro, M. d'Urville atteint comme laplus grande partie de son équipage, de l'épidémie régnante, se dirigevers les côtes de la nouvelle guinée.

Il explore avec un talent admirable la plus grande partie de ce vastecontinent et revient enfin en France, rapportant d'immenses matériaux,des observations, des collections de toute nature.
 
Ces travaux reçurent leur juste récompense, M. d'Urville fut élevé au grade de Capitaine de vaisseau.
 
De retour dans ses foyers , M. d'Urville mit en ordre ses nombreuxdocuments, et livra au public la relation de son voyage, qui lui fit,dès son apparition, la réputation d'un écrivain pur et élégant.
 
Fatigué de ses longues navigations, le commandant d'Urville se reposaquelque temps au sein des douces affections de sa famille ; mais lerepos était antipathique à son énergique nature ; dans sa charmanteretraite de Toulon, il ne rêvait que mers et périls nouveaux. Ce fut làqu'il conçut le plan de sa dernière campagne, la plus complète etcertes la plus aventureuse des temps modernes.

Il fut approuvé par le Roi et par M. le vice-amiral Ducamp-de-Rosamel,alors ministre de la marine, sa Majesté daigna y ajouter elle-mêmel'exploration du Pôle, austral.
 
Justement fier d'une pareille preuve d'estime et de confiance, M.d'Urville ne pend plus qu'à hâter son départ. M. l'amiral de Rosamelmit à sa disposition d'excellents équipages, les meilleurs produits denos arsenaux et lui laissa la faculté de choisir ses navires.

Au milieu des admirables bâtiments de notre flotte M. d'Urville choisitsa fidèle compagne, sa vieille Astrolable et la Corvette la Zélée.

Le 7 septembre 1837 les Corvettes étaient sous voiles.

M. d'Urville se dirige d'abord vers le détroit de Magellan. Avantd'aborder la région antarctique, il veut habituer ses équipages à unetempérature rigoureuse, à une dure navigation. Il y complète saprovision de combustibles, puis longeant la terre de Feu, la terre desÉtats, il laisse bientôt derrière lui l'Amérique Méridionale ets'élance bravement dans un monde nouveau.

D'abord ce sont de gigantesques montagnes de glaces qui flottant çà etlà, semblent menacer de leur masse les hardis navires, puis d'immensesplaines solides viennent leur barrer le passage. M. d'Urville lescôtoie dans toute leur longueur, il parcourt ainsi plus de 200 lieuessans voir de terme à cette imposante barrière.
 
Cependant la température se radoucit, les abords des banquises sebrisent, leurs débris flottent autour des corvettes et des craquementsprolongés semblent annoncer une débâcle. Le commandant prend alors uneénergique détermination, il la communique à ses officiers qui lareçoivent avec enthousiasme.
  
La banquise qui se brise de toutes parts autour de nous ne peut pasavoir une grande largeur, quelques lieues de glace à traverser et del'autre côté la mer libre vers ce Pôle si ardemment désiré.
 
En un instant les corvettes sont couvertes de voiles et se fraient unétroit passage qui se referme immédiatement derrière elles ; ellesreçoivent des chocs terribles qui le ébranlent et font fouetter leursmâtures.
 
Mais le froid devenait plus vif, la neige tombait tellement fine etserrée que l'horizon se bornait à dix pas, il fallut s'arrêter.
 
Deux forts glaçons servirent d'ancres flottantes aux corvettes. Deuxheures après nous étions enclavés dans une immense plaine, la neigeavait cessé de tomber et l'œil fatigué, par la réverbération pâle etmonotone de la glace, n'apercevait plus de mers, pas la plus petiteflaque d'eau. des vents du nord, qui soufflaient avec un bruit lugubreà travers nos cordes gelées accumulaient sans cesse de nouveaux glaçons; les longues ondulations de l'Océan soulevaient la banquise dont lesglaces venaient à temps égaux battre les flancs de nos pauvres navireset cependant rien, pas un mouvement de muscle ne venait trahir uneangoisse, une pensée amère sur la figure de notre chef. Il était aussicalme que si sa corvette eût flotté dans les belles eaux de l'équateur.
 
Pendant huit mortels jours cette affreuse position resta la même, tousnos efforts furent infructueux. Nos braves matelots désormais habituésaux périls, livraient des combats à outrance aux gigantesques phoquesqui se prélassaient autour de nous, et de toutes parts cette lugubreplaine retentissait de leurs joyeux éclats.
 
Cependant de lourds nuages noirs s'amoncèlent sur nos têtes, on entendau loin le mugissement de la mer et d'épouvantables craquements se fontentendre autour de nous ; c'est un coup de vent du Sud. La délivranceou une mort affreuse ? M. d'Urville n'hésite pas un moment, par sonordre la corvette déploie toutes les voiles qu'elle peut supporter,elle ploie sous la formidable pression qui lui est imprimée, sa fortemâture est arquée comme un faible roseau sous l'effort du vent, mais lebrave navire se relève et part comme la foudre, broyant tout ce quis'oppose à son passage et bientôt nous le sentons bondir sous nospieds, comme un vigoureux cheval qui s'élance et se cabre, après avoirlongtemps blanchi son mords sous la main de fer qui le retenait.
 
Pardonnez-moi, Messieurs, si j'entre dans tous ces détails, si je melaisse aller à mes souvenirs ; mais voici notre brave commandant, voilàses traits si nobles, et j'entends encore sa voix calme et sonoredominer les hurlements de la tempête.

M. d'Urville, loin de se rebuter, continue sa dangereuse exploration,mais partout, mais toujours cette désolante agglomération de glaces.

Une riche compensation lui était réservée, tant de courage ne pouvaitêtre dépensé en pure perte, et la découverte d'une immense terre vintlui faire oublier les périls passés. Terre de désolation, sans unecréature vivante, sans un brin de mousse ; mais immense service rendu àla Géographie.
 
M. d'Urville aux acclamations de tous lui imposa le nom de Terre Louis-Philippe premier,
 
Six mois après l'expédition parcourrait les belles Iles du grand Océan,rectifiant les positions erronées, en indiquant de nouvelles, châtiantles féroces populations cannibales des Viti, vengeant la déplorablemort d'un capitaine et d'un équipage Français, dont ils avaient fait unhorrible festin.
 
Plus tard nous retrouverons l'expédition dans les mers de Chine, dansles Moluques, toujours travaillant à compléter l'hydrographie de cesparages encore peu connus.

Après deux longues années de la plus pénible navigation, M. d'Urvilletrouve qu'il n'a pas encore assez fait, il va gagner les établissementsAnglais du sud de l'Australie, pour retourner dans les mers glaciales àla recherche du Pôle.

Il veut planter le pavillon Français sur l'axe du monde.

Mais une terrible épidémie se déclare, officiers et matelots succombentau cruel fléau. Chaque jour de nouveaux cadavres sont jettés auxrequins qui ne quittent pas le sillage des malheureux navires.
 
Quatre officiers, près de trente matelots sèment notre route de tristes jallons.
 
M. d'Urville malade lui-même n'en persiste pas moins. Cette fois ilarrive sous le cercle polaire, détermine le Pôle magnétique austral,découvre un immense continent auquel il impose le nom de sa seule, desa plus tendre affection, de sa compagne chérie.
 
Riche de gloire il s'apprête à regagner la France mais en contournanttoutes les terres de la nouvelle Zélande dont il a fait un si beautravail dans sa précédente campagne.

Puis il va remonter la côte Ouest de la nouvelle Hollande, passant enrevue les nombreux archipels qui s'y rattachent, et s'ouvre un nouveaupassage à travers les innombrables dangers du détroit de Torrès.
 
Là le plus affreux naufrage l'attendait, échoué pendant 72 heures surune tranchante arête de coraux, il parvient à remettre ses deux naviresà flot. Les vaillantes corvettes qui avaient résisté aux rudesétreintes des glaces polaires ne pouvaient pas rester sur de bannalsrescifs. Enfin voici les côtes de France ! ses forces physiques étaientà bout, il était tellement faible qu'il lui fallut l'aide de deuxmatelots pour se rendre chez lui à pied. Mais désormais plus defatigues ; toute une existence de gloire et de bonheur.
  
Le 8 mai le Contre-Amiral Dumont-d'Urville, sa femme et son fils, mouraient broyés dans un chemin de fer.


* *
*

Discours prononcés lors de l'inauguration de la statue du Contre-Amiral Dumont-d'Urville, à Condé-sur-Noireau, le 20 octobre 1844

~*~


ODE

A

DUMONT D’URVILLE

DÉDIÉE

A CONDÉ

Sa ville natale,

Par M. Auguste Crochet

Généreuse CONDÉ, sois mille fois bénie ;
Naguères tu donnas ton lait à ce génie ;
Hier c'étaient des pleurs, aujourd'hui c'est l’encens,
Ta douleur maternelle élève sa statue,
Afin que tes regrets se repaissent la vue
Du plus cher de tes enfants.

Ni le souffle du temps, ni le vent de l'automne
Ne pourra, de ton front, effeuiller ta couronne
Que viennent arroser les vagues de la mer.
Tu cueillis chaque feuille au sein de la tempête,
Et, des pôles du Nord, ton intrépide tête
Vit le temple de l'hiver.

A peine dépouillé des langes de l'enfance,
Tu ceignis dans tes bras l'arbre de la science,
Ainsi qu'un jeune lierre embrasse un vieil ormeau.
Mais, hélas! bien souvent, Dieu veut que la colombe
Vole, sans sans douter, se choisir une tombe
Sur l'arbre où fut son berceau.

Hélas! l'homme se brûle au flambeau qu'il allume.
Et lui-même remplit le vase d'amertume
Où trempera sa lèvre au plus beau de ses jours !
La Fatalité veut qu'il tisse son suaire,
Et, de ses propres mains, creuse jusqu'à la terre
Qui le couvrira toujours.

Dans le char du Progrès, infortuné d'Urvile,
Dieu devait-il briser l'enveloppe d'argile
Où tomba de son sein l'un des plus beaux rayons ;
De notre ciel français retrancher cette étoile,
Et déchirer sitôt ta glorieuse voile
Qui vit tant de nations !!!

Mais le fil de la vie est un fil d'araignée
Que la mort vient un jour trancher de sa cognée ;
Aujourd'hui pour l'enfant, pour le vieillard demain ;
Un matin pour la gloire, un soir pour l'infamie,
Pour l'obscurité ; tard et tôt pour le génie,
Cet éclair du genre humain.

Mais la Mort jette au feu le froment et l'ivraie,
Pressure dans sa coupe et la figue et la baie,
Pose son doigt osseux sur la feuille et la fleur,
Arrache des feuillets au livre de l'histoire,
S'assied, pour dessécher les palmes de la gloire,
Sur l'aile de la vapeur.

La vapeur, cet oiseau de la science humaine,
Plus vite que le vent qui ravage la plaine,
Que le torrent roulant de la cime des monts !
La vapeur, ce coursier qui jamais ne se lasse,
Qui dérobe pour nous et le temps et l'espace
Rien que d'un seul de ses bonds.

La vapeur amphibie à l'haleine fumante,
Aux nageoires d'acier, à la bouche écumante,
Qui fait bouillir la mer comme un Léviathan,
Court sous le lit du fleuve, à travers les campagnes,
Et qui, pour marcher droit, oblige les montagnes
Même de s'ouvrir le flanc.

La vapeur, ce géant qui porte tout un monde,
Plus vite que ne l'est le caillou par la fronde,
Que le miel brigandé par l'essaim de frêlons ;
Pour lui le plus lourd poids n'est qu'un monceau de liège,
Ne lui pèse pas plus que le flocon de neige
Sur l'aile des aquilons !

Mais, ô malheur! un jour il se fit Minotaure,
Un jour il dépouilla sa robe de Centaure,
Afin d'en affubler ce grand navigateur.....
Ah! dans ce jour fatal, l'ange de l'anathème
Pulvérisait tes os et leur refusait même
La bêche du fossoyeur.

Tu goûtais le repos, tu dormais sur la plage ;
De baisers une épouse effleurait ton visage,
Un fils passait ses doigts à travers tes cheveux.
Mais soudain l'incendie accourt comme la foudre :
Et tige, et fleur, et fruit sont quelques grains de poudre
Aliment de vers fangeux.

O, Grand homme ! il te reste encor bien autre chose ;
C'est ta gloire immortelle et ton apothéose,
Ce don national de bronze et de granit,
C'est ton nom seul tracé sur la plage barbare ;
Où le marin français le verra, comme un phare,
Brillant au sein de la nuit.

Il te reste l'honneur d'avoir, par ta science,
Ajouté des lauriers au drapeau de la France,
Et d'avoir mesuré l'Univers de tes pas.
Ton pays te couronne au nom de Lapérouse,
Toi qui de son tombeau baisas les brins de mousse,
Et de pleurs les arrosas.

Sous des climats brûlants, sous des zones glacées,
Tu trouvas des trésors pour doter nos Musées.
Où l'on avait glané, toi souvent moissonnais ;
Des trois règnes toi seul envahis le domaine
Et brisas les anneaux de la magique chaîne
Qui ceint leur triple palais.

Martyr de la science, apôtre des lumières,
Tous nos cœurs ont pour toi des vœux et des prières,
Et tous venons baiser les clous de ton cercueil.
Notre France te pleure, et telle qu'une veuve,
Donnant de son amour la plus touchante preuve,
Fait de son voile, un linceuil.

Il ne te manque rien, ô glorieux d'Urville !
Un fils de notre Roi, le prince de Joinville,
Après toi fils du peuple, a monté sur ton bord
T'apporte pour tribut sa guirlande d'Afrique,
Et, sur ton piédestal, vient jeter une brique
Des remparts de Mogador.

Ah ! que la Renommée embouche sa trempette
Et proclame qu'en France on sait payer la dette
Qu'impose le Génie au pieux souvenir !
Condé, de l'or du riche et du, pauvre l'obole
A, d'avance, acheté l'éclatante auréole
Que te devait l'avenir.

Ah! regarde du Ciel, maintenant ta patrie,
Tout le peuple accourant honorer ton génie
Et rendre un pur hommage à ta célébrité !!!
Ecoute nos bravos et que ton œil contemple
Notre main bénissant les colonnes du temple
De ton immortalité.

Adieu d'Urville, Adieu, notre bouche t'implore
Et t'offre en holocauste à ce Dieu qui nous dore
D'un soleil bienfaisant, de fertiles sillons :
En retour, à Condé qu'il donne de grands hommes,
A ses fils ; du bonheur; à ses vergers, des pommes ;
A ses fleurs, des papillons.

J'ai semé des bleuets sur ce tapis de pierre,
Et je sais que pourtant leur pétale éphémère
N'aura plus de parfum au midi de demain ;
Mais je sais que l'autel aime la violette
Et ne dédaigne pas une humble pâquerette
Née à l'ombre du chemin.

Auguste Crochet


Discours prononcés lors de l'inauguration de la statue du Contre-Amiral Dumont-d'Urville, à Condé-sur-Noireau, le 20 octobre 1844

* *
*


Discours prononcés lors de l'inauguration de la statue du Contre-Amiral Dumont-d'Urville, à Condé-sur-Noireau, le 20 octobre 1844

~*~


TOASTS

PORTÉS

Au Banquet

Le jour de l’Inauguration de la Statue

DE

DUMONT-D’URVILLE.



M. le Sous-Préfet de Vire :

  Au Roi! si juste appréciateur du mérite, dont le regard pénétrant, labienveillance éclairée découvre et met en relief tous les talents ! AuSouverain qui, unissant à nos trophées en Afrique, les trophées del'industrie nationale, avance doublement la civilisation, ne combat quela barbarie et ouvre ainsi une nouvelle ère de gloire et de prospéritépour la France !

M. Lanon de La Renaudière
(AU NOM DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE) :
  
A la mémoire du contre-amiral d'Urville, l'une des gloires de la Franceet l'un des plus illustres navigateurs géographes du 19e siècle.Puissent les honneurs que lui rend sa ville natale exciter encorel'émulation de ceux qui le prendront pour modèle. Au contre-amirald'Urville et à la ville de Condé, dont les noms sont désormaisinséparables.

M. le Maire de Condé :

MESSIEURS,
 
C'est un beau jour pour la ville de Condé que celui où elle voit tantd'honorables citoyens s'empresser, avec un si noble et si généreuxélan, à rehausser l'éclat de cette fête patriotique qui a pour but derendre hommage à la mémoire de son Illustre marin.
 
Dans cette mémorable circonstance, je suis heureux de vous exprimerici, au nom de la cité entière, les sentiments de gratitude qui sontdûs à ceux qui, par leur généreuse souscription, ont concouru àl'érection du monument que nous venons d'inaugurer, et par-là y ontattaché leur nom ; je viens en même temps remercier, avec l'expressionde la plus vive reconnaissance, tous ceux qui sont accourus pourhonorer et embellir ce banquet véritablement national.

Au nom de la ville de Condé, je porte donc un toast de remerciement et de reconnaissance à tous.

M. Barlatier-Demas :

A la ville de Condé ! Je suis heureux d'avoir été choisi par M. leministre pour représenter la marine française que vous honorez si bienen honorant Dumont-d'Urville !

M. Deslongrais,
DÉPUTÉ DE L'ARRONDISSEMENT DE VIRE :

Au prince de Joinville et à la marine française !
 
Élément de force, de richesse, de grandeur et de puissance nationale,la marine française a toujours rendu d'éminents services au pays etmérité sa reconnaissance. C'est elle qui dans la paix, état normal desnations ouvre à notre commerce de nombreux débouchés, et porte soustous les points du globe les merveilles de nos arts et de notreindustrie. C'est elle qui, avec l'illustre Dumont-d'Urville et sesintrépides compagnons, recule les limites du monde connu et apprend àdes peuples nouveaux à aimer et à vénérer le nom de la France. C'estelle qui, sur toutes les mers, aux yeux de toutes les nations, étaleavec orgueil notre immortel pavillon, symbole de civilisation, d'ordreet de liberté, comme un gage de protection pour les faibles, de respectpour les forts. Si après lui avoir demandé ses soins, ses veilles, lesmille dangers qu'elle affronte chaque jour, la patrie fait un appel àson courage, elle la trouve encore prête à verser son sang poursoutenir l'honneur et la dignité du pays. C'est alors que l'arméenavale est heureuse et fière d'avoir pour chef un des fils du Roi,notre brave et intrépide prince de Joinville. Elle l'a vu àSaint-Jean-d'Ulloa, foudroyant en quelques heures une place que l'ondisait imprenable, prouver au nouveau monde que l'Océan et lesdistances n'arrêtent pas la France pour venger une offense. Elle l'a vuchargé d'une pieuse mission, ramener de Sainte-Hélène les cendres del'empereur Napoléon, prêt à s'ensevelir plutôt avec elles, que de leslaisser entre des mains qui ne fussent pas françaises. Naguères encoreà la tête de nos vaillants marins, le prince de Joinville ajoutait ungrand et glorieux épisode à la longue liste de nos victoires, au bruitdu canon de Tanger et de Mogador. La France entière y répondait par sesacclamations.

Joignons-y les nôtres.

Vive le prince de Joinville! Vive la marine française!


M. Chatel,   
Commandant de la garde nationale de Vire :

MONSIEUR LE MAIRE, MES CHERS CAMARADES DE CONDÉ,
 
Conviés par vous à cette fête, nous avons été heureux et fiers de venirpayer notre tribut d'hommages à l'une des plus belles gloires de notrearrondissement, à votre illustre concitoyen, à Dumont-d'Urville.

Vous exprimer tous nos remerciements pour l'invitation cordiale quevous nous avez adressée, devait être pour mes camarades, pour moi,notre premier devoir. Mais, à cette heure, nos cœurs en éprouvent unautre encore : c'est de vous témoigner toute notre gratitude pour laréception si flatteuse que vous nous avez faite hier et pour cettebienveillante hospitalité, dont nous emporterons un souvenir qui jamaisne s'effacera.
 
A la ville et à la garde nationale de Condé : dévouement, reconnaissance, affection pour toujours !
   

M. Dumont-Delalonde,
DOCTEUR - MÉDECIN A VASSY, NEVEU DE L'AMIRAL :

MESSIEURS,

C'est avec une bien vive émotion et un profond sentiment dereconnaissance que je viens vous remercier en mon nom et au nom detoute ma famille, de la glorieuse manifestation dont notreinfortuné et cher parent Dumont-d'Urville, est aujourd'hui l'objet ; siquelque chose pouvait alléger les éternels regrets que sa findéplorable a laissés gravés si cruellement dans nos cœurs, ce seraitsans doute les généreux sacrifices que sa ville natale et la Franceentière se sont imposés avec tant d'enthousiasme pour immortaliser samémoire.
 
La ville de Condé, déjà si pleine de souvenirs pour les Dumontd'Urville, où la plupart de leurs aïeux, depuis des siècles, ont vécuparmi vous, la ville de Condé, dis-je, vient encore, en ce jourmémorable, de resserrer, s'il était possible, par l'auguste cérémoniedont nous venons d'être les témoins, les liens d'amour et de dévouementque ma famille lui a voués à tout jamais.


NOTES :
(1) Dumont-d'Urville dépassant le cercle polaire s'est avancé jusqu'au66e degré de latitude australe ; on annonce que le capitaine anglais James Ross, a pénétré depuis jusqu'au 77e degré, mais la relation deson expédition au pôle Sud n'est pas encore publiée et rien n'aconfirmé jusqu'ici l'authenticité de l'assertion précédente.
(2) C’est une notice savante rédigée par Dumont-d’Urville sur la Vénus de Milo, qui décida M. de Bivière, ambassadeur à Constantinople, à en faire l’acquisition pour la France.
(3) Aujourd'hui membre de l'Académie des Sciences.