[REVER, François(1752-1828)] Voyage desÉlèves du Pensionnat de l'École Centrale de l'Eure, dans la partieoccidentale du Département, pendant les vacances de l'an huitavec des Observations, des Notes et plusieurs Gravures relatives àl'Histoire Naturelle, l'Agriculture, les Arts, etc.- Evreux : J.J.L.Ancelle, An X [1802].- 179 p-7 f. de pl. depl. ; 21,5 cm. Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (07.IV.2015) Relecture : A. Guézou. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/
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Orthographe etgraphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm 1678)
VOYAGE
DesElèves du Pensionnat de l’EcoleCentrale del’Eure, dans la partieOccidentale duDépartement,
Pendant les vacances de l’an huit. Avec des Observations, des Notes et plusieurs Gravures Relatives à l’Histoire Naturelle, l’Agriculture, lesArts, etc. __________________________________________
» Qu’on lui mette en fantaisie une honneste curiosité » de s’enquérir de toutes choses : tout ce qu’il y aura de » de singulier il le verra : un bâtiment, une fontaine, » un homme, le lieu d’une bataille ancienne, le passage » de César ou de Charlemaigne….. La solitude, la » compagnie, le matin et le vespre, toutes heures » lui seront unes, toutes places lui seront d’étude.
Essais deMontaigne,liv. 1. Chap.25 de l’institution des enfants. Edit. de Paris an VI. __________________________________________![[Frontispice] Voyage des Élèves du Pensionnat de l'École Centrale de l'Eure, dans la partie occidentale du Département, pendant les vacances de l'an huit [Frontispice] Voyage des Élèves du Pensionnat de l'École Centrale de l'Eure, dans la partie occidentale du Département, pendant les vacances de l'an huit](/sites/www.mediatheques-lisieuxnormandie.fr/files/images/patrimoine/www.bmlisieux.com/images/frever02_t.jpg) Rapport des Membresdu Conseil d’instruction de l’Ecole Centrale de l’Eure, qui ont dirigé le voyage et les observations des Elèves pendant les vacances de l’an 8, au Conseil assemblé.
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CITOYENS,nous mettons sous vos yeux le recueil des observations que les Elèvesdu Pensionnat de l’Ecole centrale de l’Eure ont faites avec nouspendant les vacances de l’an 8. Vous y trouverez le tableau de tout cequi a fixé notre attention : les sites qu’on a vus ; les manufacturesqu’on a visitées ; les objets d’histoire naturelle ou d’antiquité qu’ona décrits ; les traits historiques qu’on a pu recueillir : vous ytrouverez de même l’exposé fidèle des difficultés qu’on a rencontrées ;des doutes qu’elles ont fait naître, ou des conjectures qu’elles ontsuggérées : enfin toutes les recherches auxquelles on s’est livré….Nous n’ajoutons pas les découvertes qui en ont été le fruit !Pouvait-on espérer d’en faire de bien importantes en visitant un paysgénéralement connu, dans le peu de tems qu’on a pu mettre à leparcourir ?Cetableau eût peut-être été plus intéressant, si les matériaux qu’ilcontient eussent été classés dans un ordre méthodique et régulier :mais on ne s’était pas proposé de faire un ouvrage; onn’avait d’autre intention que de former un seul recueil des notes detous les voyageurs, et l’on s’est contenté de les réunir dans l’ordremême des courses journalières où les observations ont été faites.Néanmoinsnous pensons que la publicité de ce recueil pourra devenir avantageuse,non-seulement à nos jeunes observateurs, mais encore à tous les Elèvesde l’Ecole centrale ; ce sera le moyen de les faire participer auxmêmes recherches et de leur offrir des indications et des exemplespropres à leur inspirer le goût de l’observation.Ilest dans doute inutile de vous prévenir que parmi les citations et lesdéveloppemens qui pourront être inscrits au bas des pages, ou renvoyésà la fin du journal, plusieurs articles n’ont pu être terminés tandisque nous étions en course. Vous savez que la petite bibliothèqueambulante de l’expédition était principalement formée de livresélémentaires : ainsi nous n’avons pu consulter, qu’à notre retour, desouvrages plus étendus, ou ceux dont les rapports avec nos observationsétaient moins directs._______
LEConseil d’instruction publique, vû le rapport qui lui a été fait sur levoyage et les observations des Elèves du Pensionnat de l’Ecole centralede l’Eure, pendant les vacances de l’an 8, convaincu que la publicitéde ces observations peut être utile à tous les Elèves de l’Ecole,approuve, conformément au Règlement du Pensionnat, que les détails duvoyage des vacances de l’an 8 soient rendus publics par la voie del’impression. Les Membres duConseil d’Instruction publique, Signé, &c.
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LES ÉLÈVES A LEURS PARENS. __________
Ovous qui avez prodigué les plus tendres soins à notre première enfance: vous dont les sacrifices continuels sont la preuve d’une affectionsans bornes : vous enfin qui faites dépendre votre bonheur de nosprogrès dans les sciences et dans la vertu : Recevez les premiersfruits de nos études et de notre application ! A qui pourrions nous les offrir qui méritât plus notre reconnaissanceet nos respects ? De qui pourrions nous espérer qu’ils fussent reçus avec plusd’indulgence et de bonté. ? ______________________________________________
Extrait duRèglement du Pensionnat, pour le temps desvacances. ________
P ENDANTles vacances les élèves du pensionnat de l’Ecole centrale, qui ontremporté des prix, parcourent les endroits du Département, les plusintéressans par leur situation, par l’antiquité des monuments qu’ilsrenferment, par les manufactures qui s’y trouvent et par le genre deculture dont on s’occupe en ces endroits. Ils dessinent ce dont il leurparait important de conserver les traits ; ils décrivent ce qu’il estutile de faire connaître. Ils recherchent les productions naturelles dusol, ils recueillent les plantes utiles ou rares, ils consignent avecsoin tous les détails de leur voyage dans un journal, et ils enarrêtent en commun la rédaction. Au retour de leur expédition, ilsdéposent dans le Musæum de l’Ecole les fruits de leurs recherches avecleur journal, et le Conseil d’instruction arrête l’impression de ce quilui paraît digne d’être rendu public. Chaque année les instrumens propres aux observations qui devront êtrefaites, seront portés avec les bagages de l’expédition. Les élèves désigneront les officiersdu voyage, selon le dégré d’instruction qu’ils leur reconnaîtront pourle genre de travail dont ils seront chargés. Ily aura deux dessinateurs… deux naturalistes… deux historiographes….deux phisiciens… deux mécaniciens, etc., etc. Les Professeurs quipourront prendre part aux observations et au voyage, seront invités,etc….. Les Directeurs du pensionnat accompagneront toujours les élèves,etc. * * *
VOYAGE
ET
OBSERVATIONS
Des Élèves duPensionnat de l’École centrale de l’Eure,
Pendant lesVacances de l’an 8. (1)
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LE DÉPART.
N OUS partîmes d’Evreux le 15 fructidor an 8,au lever del’aurore ; jamais elle n’avait annoncé un plus beau jour ; c’était lepremier voyagedes vacances; il était projeté depuis long-temps, nous l’avions attendu avecimpatience, les endroits que nous devions visiter nous inspiraient leplus grand intérêt ; et le jour du départ nous parut le plus brillantde l’année. Déjà nous étions loin de la cité, les bagages et lesinstrumens d’observation suivaient les voyageurs, bientôt nous fûmes àla hauteur de Navarre, et dans un instant nous eûmes dépassé tous lesbosquets dont la route est bordée (2). Nous ne pouvions nouslivrer encore à des observations suivies, ni à de longues recherches ;nous étions forcés de nous rendre au lieu désigné pour notre réunion,parce que plusieurs de nos camarades étaient partis pour s’y trouver enmême-temps que nous, et que d’autres nous attendaient sur la route. Ils’agissait d’ailleurs d’aller voir une des grandes marées del’équinoxe, à l’embouchure de la Seine, et ce spectacle, qui ne pouvaitêtre différé, nous forçait de remettre à notre retour les recherchesqui nous auraient retenus trop long-temps ; ainsi pendant plusieurslieues nos naturalistes n’observèrent, dans la campagne, qu’un petitnombre de plantes échappées au feu de l’été, le plus sec et le plusardent qu’on eût vû.
LEDÉJEUNER.
La faimnous prit. Bientôt, sur le chemin, S’offreà nos yeux enseigne, un peu menteuse, D’unqui vantait son logis et son vin. Auprime abord de la bande joyeuse L’hôtesseparut radieuse : Sur leprofit la dame calculait. C’étaitPerrette au pot-au-lait. Bribesde pain, verres d’eau claire, Notredéjeûner d’ordinaire, Luirapportèrent peu d’argent. Commeelle en faisoit grise-mine, Certaindu petit régiment Luisouhaita quelque berline, De ceuxqui ne savent marcher, Sur litmollet veulent coucher ; Et,s’ils n’ont morceaux à leur guise, Nepeuvent desserrer les dents ; Ceux-là,dit-il, seraient de bonne prise. Que jeles plains, les pauvres gens ! Clos etserrés on les transporte Dansune roulante prison : L’ennuiprès d’eux se place et les escorte ; Tandisqu’à pied, sur le tendre gazon, Lesris, les jeux, nous prenant pour leurs frères ; Voyagentavec nous, sous les mêmes bannières, Sanseffaroucher la raison (3)
LA FINDU JOUR : LE COUCHER.
Ainsilestés, nous partons, et nous marchons jusqu’à la fin du jour. Nouscueillîmes le mirtyle, l’aspérule et le lin multiflore que nousoffraient des bois situés sur la route ; et la nuit approchant, ilfallut songer à faire halte. Ce n’était pas le plus grand embarras duvoyage : une tente assez bien close, mais qu’on dresse en plein air, etde la paille fraîche, au lieu de duvet, sont les préparatifs les plusimportans qui nous occupent quand il fait beau (4).
Que sait-on? Les sciences doivent peut être un jour pousser leurs conquêtesjusques chez les Tartares : on sera bien aise alors de pouvoir répandrenos itinéraires parmi eux, afin de les amener graduellement à l’étudesérieuse des lettres, par l’attrait des excursions et des caravanes.
Ausurplus, nous nous reposâmes avec plaisir, nous soupâmes de grandappétit, et nous passâmes une des meilleures nuits dont le sommeil aitjamais récompensé les fatigues ou le travail de la veille.
LELEVER DU SOLEIL : LA VALLÉE DE RISLE :LA VILLE DE BRIÔNE : LE MOULINA FOULON.
Dès le point du jour, nous nous levâmes en célébrant le réveil de lanature, et bientôt après nous fûmes en chemin.
Leshabitans de la campagne, encore plus vigilans que nous, s’arrêtaientsur la route pour nous voir défiler. On dormait alors dans les villes :la nuit, réfugiée dans les alcoves, y prolongeait son empire, tandisque le soleil sortant à moitié de l’horizon, faisait étincelerl’émeraude et le rubis dans la rosée.
Nous savions déjà qu’ilfallait rapporter à la terre les grands mouvemens dont il n’a, dans leciel, que l’apparence : son élévation progressive sur l’horizon nousexcita naturellement à nous entretenir de cette belle théorie, qu’ilétoit réservé à Copernicde dévoiler. Nous étions encore occupés desrévolutions annuelles de la terre, de celle des autres planètes, desmouvemens plus étonnans des comètes, lorsque nous découvrîmes Briône,dans la riante vallée de la Risle. L’histoire de l’ancienne province deNormandie, fait mention du château qui dominait la ville. Guy deBourgogne s’y réfugia vers le milieu du onzième siècle, après lavictoire que Guillaume-le-Conquérant obtint sur les ennemis qu’il eût àcombattre dans les commencemens de son règne (5).
Elle nous a demême transmis que cette ville fut prise, en 1123, par Henry fils deGuillaume, sur le comte Galeran, et qu’elle fut brûlée, excepté la tourdont il ne put se rendre maître. On voit encore sur la colline, àl’orient de Briône, des restes du château, dont les murs ont dix piedsd’épaisseur (3 mètres 348 millimètres) : ils sont bâtis en silex, etrevêtus de pierres blanches, régulièrement taillées en parallelipipedesd’un pied de longueur. On pourrait s’étonner de la petite quantité dechaux qu’on a fait entrer dans cette construction : le mortier, composéen grande partie d’un sable très-fin, est sec et friable, etl’épaisseur des murs a servi à leur conservation beaucoup plus que lesoin qu’on mit à les construire.
Le commerce qui se fait àBriône n’est pas étendu ; il n’y a point d’usines dans son voisinage,malgré les avantages de sa position, et nous n’avons vu de remarquable,qu’une foulerie qu’on trouve à quelque distance au-dessous de la ville.
L’emplacementen est extrêmement agréable : le travail de clayonage et de maçonnerie,qui forme les prises d’eau et le courant des moulins, est habilementmasqué par la culture de deux isles plantées de peupliers, et la vuequi s’étend au loin dans ce riche vallon, trouve par-tout l’image laplus riante de l’aisance et de la fertilité.
Les procédés dufoulon n’étant inconnus de personne, nous ne les décrirons pas ; maisils étaient nouveaux pour nous, et nous ne vîmes point sans admiration,l’étonnant effet du pilon, dont les coups suffisent pour serrer letissu des étoffes, et pour les rendre plus fortes et plus épaisses auxdépens de la longueur et du lé qu’elles avaient sur le métier dutisserand.
Cet effet de la pression nous fut développé avecautant de complaisance que de clarté, par un citoyen de Briône, quivoulut bien nous accompagner à la foulerie. Il joignit aux explicationsqu’il nous donna, des détails étendus sur les matières premièresemployées dans la fabrication des étoffes, sur les différentes espècesde laine, sur la filature, sur la tissure, sur les manipulations et lesapprêts que reçoivent les draps en sortant des mains du foulon. Quellesfurent les indications qui firent trouver les procédés de la foulerie,ou les heureux hazards qui en donnèrent les premières idées ? cefurent-là les réflexions qui nous occupèrent en reprenant notre routele long de la vallée. Mais bientôt nos regards furent attirés par lescharmes du paysage ; ce n’était plus cet aspect triste et monotone quenous avait présenté, la veille, une plaine aride et jonchée des débrisdes végétaux ; c’était la nature vivante et parée des plus bellescouleurs. On eût dit que toutes les plantes, ayant quitté le sol brûlédes campagnes, se fussent rassemblées sur les bords de la Risle pourrecouvrer la fraîcheur et la vie. Nous contemplâmes avec plaisir lesaigrettes longues et soyeuses de l’épilobe, les couleurs purpurines dela salicaire, les têtes verticales des cardiaires, les feuillesanguleuses des tussilages, les épics penchés des persicaires, lescorymbes de l’eupatoire, les joncs épars et articulés, lespotamogetons, les lys et la lentille d’eau. Les buissons eux-mêmescontribuoient à la beauté du spectacle : ils soutenaient en longuesguirlandes les fleurs argentines de la clématite, dont la couleurblanche et luisante contrastait agréablement avec les fruits rouges dutamus et de la couleuvrée.
Tandis que les uns faisaient, encourant, leurs recherches de botanique, les autres, dans leur marcheplus réglée, mais non moins attentive, contemplaient tout ce quiflattait la vue et pouvait exciter la curiosité.
Ce n’étaientpas seulement les beautés particulières de la vallée, ses sinuosités,son étendue et la longue chaîne de ses collines, c’étaient encore laforme variée de ses prairies, la division de ses champs, la richesse deses plantations.
C’était l’industrie de l’habitant dans laformation de ses enclos, dans l’ordre de ses vergers, dans la structurede ses habitations, dans la belle tenue de ses haies, dans le choix etla culture de ses arbres.
L’ANCIENNEABBAYE : LE CHATEAU ENRUINES : LES PIGEONS.
Letemps s’écoulait ainsi sans ennui, la route même se faisait sansfatigue, lorsque le chemin qui tournait en montant, nous éloigna desbords de la Risle. Ce changement de direction, qui nous fit craindre uninstant de perdre de vue une vallée délicieuse, produisit un effetcontraire ; du point d’où nous la revîmes bientôt, ses contours neparurent que plus agréables.
Nous laissâmes sur la droite, unétablissement fameux, dont les toits élevés, et les constructionsbrillantes fixèrent un moment nos yeux : c’était l’ancienne abbaye duBec, lieu célèbre, où des hommes recommandables par des vertus réelles,se retirèrent, il y a mille ans, pour se livrer, dans la retraite, àl’étude des connaissances de leur siècle !
Plusieurs d’entr’euxobtinrent l’estime et la vénération de leurs contemporains : pendantlong-tems l’Angleterre et la France se disputèrent l’avantage de lesposséder ; et parmi eux il en est encore dont la mémoire n’a pointcessé d’être honorée. Mais les humbles cabanes qu’ils se firent aumilieu des forêts, ont duré dix siècles, et les constructions superbesque leurs successeurs élevaient n’étaient pas même terminées, quand desorages politiques foudroyèrent un orgueil déplacé, en dispersant cesimmenses richesses que le faste et l’ostentation détournaient del’emploi qu’on eût toujours dû en faire (note I).
D’autresobjets se découvrirent bientôt à nous sur la pointe de la colline ;nous apperçûmes les ruines de l’ancien château de Montfort, et le desird’aller les reconnaître nous fit redoubler le pas. Nous apprîmes qu’onvoyait encore, il y a quarante ans, au pied de cette colline, uncouvent d’Annonciades ; dont l’église, quoique gothique, étaitadmirable par l’élégance du dessin et par la hardiesse de saconstruction (noteII).
Rien ne pouvant nous en rappeler lesformes, l’escalade du vieux château fut résolue, et dans un instantnous fûmes tous au pied de ses antiques murailles. Nous savions déjàqu’il n’y a point de château démoli, dans toute l’ancienne province, àqui la renommée ne fasse les honneurs de longs souterrains et deprécipices dangereux. L’opinion du pays n’est point en défaut, de cecôté-là, sur la longueur du souterrain, qu’on dit avoir été creusé duhaut de la montagne jusqu’au fond de la vallée, continué sous larivière de Risle et prolongé fort loin en plusieurs branches. Cependantil est très-vrai qu’on n’en découvre aucun vestige, et que lesdécombres ont obstrué jusqu’à l’ouverture des puits qu’on creusaitautrefois, dans ces châteaux, pour le service de la garnison.
Nousfûmes donc bientôt rassurés contre le danger des mauvais pas, et noustournâmes les fossés qui sont encore très profonds, pour trouverl’accès de cette ancienne forteresse. Un épais taillis en occupeaujourd’hui l’emplacement tout entier, avec une grande partie de sesalentours ; il n’est pas aisé de pénétrer dans les buissons qui endéfendent l’entrée, et nous eussions en vain tenté d’en lever un planexact (6). On y a trouvé plusieurs fois des boulets et des armes ; maistout ce que l’histoire nous a conservé sur cette place, c’est qu’unepartie de ses fortifications fut détruite en 1203, par Jean Sans-Terre,frère de Richard Cœur-de-Lion.
C’est une chose remarquable quel’aspect de ces anciens monumens de la haîne ou de l’ambition deshommes ! A peine y reconnoissez-vous les vestiges des fortifications ;les tours s’écroulent successivement, tout se comble à la longue ; lanature qui reprend ses droits peu à peu, fait croître les arbustes dontelle couronne les cavaliers et les bastions ! L’herbe tapisse lesparapets et les murs en ruine, et sur les glacis et la place d’armesque les fureurs de la guerre inondaient de sang autrefois, vous voyezle pâtre conduire aujourd’hui ses troupeaux, et s’asseoir en paix surdes appuis de créneaux renversés et couverts de mousse !
Tellesétaient nos pensées au milieu des débris et des ruines, lorsque d’unpan de mur plus élevé que les autres, nous vîmes tout à-coup cinq ousix pigeons que notre présence mettait en fuite. Ces oiseaux timideséchappés au ravage des colombiers, et réfugiés parmi les hiboux, dansde vieilles murailles, nous inspirèrent cette espèce d’intérêt auquelon se livre machinalement à notre âge : nous eûmes de l’affection poureux parce qu’ils avaient couru de grands dangers, et nous voulûmes voirs’ils prospéraient dans leur nouvel établissement. Les plus alertes,traversant les buissons, gravirent sur les premières assises de lamuraille : ils s’attendaient à voir les familles naissantes de lacolonie….. et au lieu de nids et de petits éclos, ils trouvèrent deslacs et des rêts qu’on leur avait tendus ! La manie de la chasse et labarbarie de l’oiseleur étaient venues les poursuivre jusques sur desprécipices, et ces oiseaux échappés au feu de mille fusils, devaientenfin périr dans des pièges et dans des filets.
Mettre en piècestous ces rêts odieux, fut un arrêt unanime, prêt à s’exécuter !.....mais l’oiseleur qui les avait placés, en eût ressenti de la peine ; ileût regardé l’enlèvement de ses rêts comme un vol, ou comme l’effet dela méchanceté : d’autres que nous, auraient pu devenir l’objet de sessoupçons ou de sa haîne : nous laissâmes donc les filets sans ytoucher, nous quittâmes ce lieu de destruction, où rien ne pouvaitservir à nous instruire, et nous reprîmes notre route dans la vallée.
L’ÉGLISEET LE CHATEAU D’ANNEBAULT : LESFOURMI-LIONS.
Apeine étions-nous au pied de la montagne, que nous trouvâmes encore desruines : l’ancien château d’Annebault, bâti sur pilotis, auprès de larivière, par l’amiral de France Claude d’Annebault.
On pourraitqualifier cette maison, de superbe extravagance, si plus de vingtanneaux de fer scellés dans le mur de la terrasse, ne concouraient avecla tradition du pays, à persuader que l’amiral avait eu l’utile projetde rendre la rivière de Risle navigable jusqu’au pied de son habitation; mais cette maison n’a jamais été finie, les ancres qui devaient êtresculptées sur sa façade, sont encore en bloc dans quelques endroits, etl’on fait maintenant servir à divers usages, les pierres que l’amiralavait fait venir à grands frais, de plus de quatre lieues, pour lesentasser dans l’épaisseur de ses murailles.
L’église d’Annebaultest du même tems et de la même construction que le château : on y voitdes vitres bien peintes, où l’on remarque divers costumes de ce tems-là(7).
Il y a sous le grand autel un caveau d’environ trois mètresen carré, qui servait de sépulture aux anciens Seigneurs, et l’on voit,dans le cimetière, des tombes en pierre fort épaisses, dont la surfacesupérieure est taillée en croix. Nous n’avons acquis sur ces tombeauxaucuns renseignemens, non plus que sur le nom de cimetière desHuguenots, qu’on donne à un terrain quadrangulaire, éloigné de l’églised’environ 300 pas vers le nord-est.
Ce cimetière des Huguenots,nous rappela seulement les dénominations haîneuses, ou perfides souslesquelles les hommes se poursuivent et s’égorgent de temps en temps ;et nous fîmes des vœux pour n’être jamais témoins des scènes d’horreurdont elles sont ou l’occasion, ou le prétexte (note III).
Nousapprîmes en quittant Annebault, qu’on avait autrefois tenté d’y établirune manufacture de bleu de Prusse. On ignore aujourd’hui jusqu’au nomde l’étranger qui avait formé ce projet.
A une demi-lieue outrois kilomètres d’Annebault, nous vîmes au bord du chemin, dans unravin de la forêt, les cônes renversés de quelques fourmi-lions :c’étaient les premiers que nous eûssions vus ; nous les recueillîmesdonc avec le plus grand soin, et nous marchâmes vers Pont-Audemer, oùnous devions passer la nuit.
PONT-AUDEMER.
Rien n’est plusavantageux que la position de cette commune pour toute espèced’établissement ; et le paysage qu’on peut découvrir du haut descollines entre lesquelles est située la ville, doit être fort agréable.
Nousne pûmes jouir de toute la beauté du spectacle : la pluie qui ne nousavait pas empêché de monter sur la côte, étendit un voile autour denous quand nous y fûmes, et nous déroba les points de vue que nouscherchions.
Mais nous contemplâmes les différentes branches dela Risle, distribuées avec le plus grand succès, pour l’arrosement desprairies et le service de la ville où l’on trouve autant de canauxqu’il y a de rues.
C’est à cette heureuse distribution de l’eau,jointe aux qualités particulières qu’on lui reconnaît, que cette villedoit le grand nombre de tanneries qui en font le principal commerce, etqui conservent, non seulement en France, mais chez l’étranger, la justeréputation qu’elles se sont acquise.
LESMANUFACTURES : LA CORROYERIE FAÇONANGLAISE
L’espoirque nous avions de voir quelques-unes des fabriques de cette ville,nous ramena dans ses murs (8) ; nous allâmes visiter la corroyerie,façon dite Anglaise, des citoyens Donnet, Plumer et compagnie. Cettefabrique n’est pas la seule dans laquelle on prépare les cuirs de cettemanière, à Pont-Audemer ; il y en a d’autres qui s’occupent comme ellede ce genre de travail avec succès : mais elle avait concouru àl’exposition des objets d’industrie au Champ de Mars, en l’an six, elleavait même obtenu le prix ; voilà pourquoi nous désirâmes de visiterses ateliers.
Nous ne décrirons pas tous les procédés desdifférentes préparations à l’anglaise,nous nous bornerons à ceuxqu’on suit pour les tigesde botte, parce qu’ils sont les seuls quenous ayons eu le temps d’observer.
Les cuirs préparés à lamanière anglaise, pour faire des tiges de botte, ont 1.° un dégrétrès-sensible d’élasticité qu’ils conservent plus ou moins long-temps,et qu’ils acquièrent dans le travail de la corroyerie, par la réductionque fait l’ouvrier d’une plus grande dimension de la peau dans une pluspetite ; 2.° une très-grande souplesse qui ne se perd jamais, et quileur permet de se prêter à tous les mouvemens, sans contracter aucunsde ces plis habituels qui se durcissent peu à peu, et se coupent à lalongue ; 3.° ils peuvent devenir par le travail du corroyeur,très-légers en poids, sans rien perdre de leur qualité pour la durée ;4.° ils ont un œil plus fin, plus lustré et plus brillant que les cuirspréparés d’une autre manière ; ils acqu[i]èrent même par le travaildes étiresou des empreintes,un grainqui, tantôt imite les sillonsréguliers du cannelé, tantôt le piqué de loup marin,etc.
Toutesles peaux indistinctement ne sont pas propres à recevoir cet apprêtaussi parfaitement les unes que les autres : il y a du choix à faireentre les peaux de la même espèce d’animal, il faut en mettre entre lesdifférentes parties de la même peau.
La peau de cheval est laplus recherchée pour cette préparation, et quoique celle du veauréussisse quelquefois assez bien, elle acquiert rarement les qualitésde la première.
Le succès de ces préparations dépend en partiede la manière de tanner, et en partie de celle de corroyer. Dans latannerie, on apporte la plus grande attention à bien vider le cuir, àbien nettoyer la partie fibreuse de la peau, et l’on retire de l’écorcedu chêne, par le moyen des lavages multipliés, tout l’acide gallique oula substance tannante qu’elle peut contenir.
Dans la corroyerie,on a soin de donner à chaque cuir la destination qui paraît la pluspropre, l’apprêt qui convient à l’usage pour lequel on le réserve, etles façons, les manipulations longues et combinées qui le portent à saperfection : on emploie différens dégras, qui sontdes huilespréparées.
Undes principaux instrumens qui servent aucorroyeur, pour la préparation des cuirs à l’anglaise, est un chevalet,(fig. 2, planche première.) composé d’une table, (B) portée sur troisais, et sur laquelle l’ouvrier met quelquefois une hausse (A), selonqu’il a besoin d’être élevé au-dessus d’un montant fixé debout à l’unedes extrémités de la table. Ce montant n’est pas assembléperpendiculairement sur la table, et son inclinaison est accommodée àl’usage de l’ouvrier, aussi bien que sa hauteur. Il est revêtu, dans lapartie antérieure, d’une planche de bois dur, ordinairement de gayac(C), pour qu’elle résiste davantage et qu’elle ne s’enfonce point sousles pressions qu’elle éprouve.
Lorsque le cuir est suffisammenttanné, le corroyeur le place sur le chevalet pour l’écharner, et ilprocède à cette opération avec le couteau (fig. 3.), dont la forme etl’usage doivent être décrits. Le fil n’en est pas droit comme celui descouteaux ordinaires, des faulx à raser ou des lunettes: mais quandil a été amincisur la pierre, on le renverse sur une des surfaces,et la fig. 4, qui indique le plan de la coupe perpendiculaire à l’axedu couteau, fait voir le retour du fil des deux tranchans, ce qui donneplutôt l’idée d’un racloir que d’un couteau.
C’est avec unebroche d’acier, appelée fusil, (fig. 5.) que l’ouvrier retourne le fildu couteau, et il importe beaucoup que la ligne du fil après sacourbure soit bien droite et bien égale.
L’ouvrier placé sur latablette et penché sur le montant (C) tient le couteau des deux mains,le fil tourné vers lui, et en rasant le cuir, du côté de la chair, ilen enlève des espèces de feuilles très-larges, et il le réduit àl’épaisseur qu’il veut lui donner, en la rendant parfaitement égaledans toute l’étendue de la peau.
Il faut pour ce travailbeaucoup d’adresse, et tous les ouvriers n’acquièrent pas aisémentl’habitude qui est nécessaire pour le faire avec succès.
Lorsquele cuir est écharné comme il doit l’être, on le lave de nouveau, on lenettoye avec des brosses et des pierres de grès, on l’imbibe d’autantde dégras que son épaisseur le requiert, et quand il est seché d’eau,l’ouvrier le roule sous une pommelle, qui est une espèce de rabot sansfer, long d’environ dix pouces, courbé dans sa longueur et cannelé danssa largeur. C’est en roulant le cuir sur lui même, à plusieursreprises, en le froissant avec la pommelle, que l’ouvrier l’assouplitet qu’il le prépare à conserver long-temps sa souplesse.
Il estalors en état d’être façonné en tige de botte, et pour cela l’ouvrierle mouille et l’étend sur une table de marbre, sur laquelle il ébauchele rétrécissement et les extensions convenables. Cette opération,commencée sur le marbre, s’achève sur une table revêtue de lames decuivre, en quelques endroits, garnie de deux pièces de fer (bb) en arcde cercle, représentée fig. I.ere, appelée forme.
Les lames decuivre indiquées par les lettres (aaaa) servent à conserver la surfacede la forme qui, sans cela, se creuserait sous le fer de l’étire(fig. 6.)
L’une des pièces de fer en arc est invariablementfixée à la gauche de l’ouvrier ; l’autre pièce est jointe à une tigequi est maintenue par deux brides coudées sous lesquelles ellecoulelibrement. Une vis de pression peut également la fixer à la distance oùl’on veut qu’elle soit de la première.
La tige de botte,ébauchée sur la table de marbre, est étendue sur la forme,entre lesarcs de fer, et elle s’y colle au moyen du dégras dont onl’abreuve.
L’ouvrierrepasse plusieurs fois l’étire(AB, fig. 6) sur le cuir, il étend lesextrémités, qu’il aggrandit, tandis que le milieu se resserre surlui-même entre les arcs.
Cette manipulation se répète pendantlong-temps, et la pièce de cuir, dont la figure était un carré ouparrallelograme, est, à la sortie de la forme, plus large dans le hautque dans le bas, et si rétrécie dans son milieu, qu’on la croiraitéchancrée des deux côtés. Cependant on n’en a rien enlevé, et quand ontire sur les deux côtés, le cuir s’étend et reprend ses premièresdimensions, qu’on lui fait perdre de nouveau en le replaçant sur laforme.
Enfin, la tige de botte est de nouveau mouillée, passéeen huile, et mise au séchoir, puis rapportée sur lechevalet,lorsqu’il le faut, pour recevoir la dernière et la plus difficile desmanipulations. Ce travail n’est cependant nécessaire quelorsque lafleur est un peu éraflée : il consiste à refendre la fleur,ouplutôt à la parer,et il s’opère en enlevant, avec le couteau, unetrès-légère partie de la fleur, pour rendre à la peau entière le mêmegrain et le même œil, et faire à ce moyen disparaître l’éraflure.
Telssont les procédés particuliers de cette préparation. Les principauxinstrumens dont on se sert, n’étant point décrits dans l’ouvrage surl’art du tanneur et du corroyeur, par le Citoyen Lalande, ils furentdessinés pour que leur figure se trouvât jointe aux détails que nouscomptions donner.
Le couteau sur-tout fut dessiné avec soin,parce que les fabricans nous assurèrent que les qualités qu’il doitavoir, sont une chose très-difficile à saisir ; qu’ils ne pouvaient pass’en procurer en France, et qu’il n’y avait même en Angleterre qu’uneseule famille d’ouvriers qui sçût donner à ce couteau le plus granddégré de perfection (9).
Nous fumes très-sensibles à cettedéclaration des fabricans, nous fîmes des vœux pour que les ouvriersdont la France peut s’honorer, donnent tous leurs soins à lafabrication de ces couteaux ; pour qu’on ne soit pas obligé de lestirer de l’étranger, et que l’imitation d’un procédé utile ne soit plussubordonnée à l’espèce de tribut que le défaut d’instrumens nous impose.
Lesrenseignemens que nous avons acquis sur l’usage des tiges préparées àla manière anglaise, nous ont convaincus qu’elles étaient lesmeilleures qu’on pût employer pour marcher avec des bottes, sans êtrebeaucoup plus fatigué que si l’on n’en avait pas.
Il y a mêmebeaucoup de tiges assez bien préparées pour que l’eau ne les pénétrepoint, et pour qu’elles soient d’une très-longue durée.
Nous nedemandâmes point à voir les autres tanneries de la commune, parce quenous n’avions pas de nouvelles instructions à recevoir, et parce que,si nous avions voulu voir toutes celles qui méritent, par leur travailet par leurs succès, d’être visitées, il eût fallu les parcourir toutes.
LAFILATURE MÉCANIQUE : LA MACHINE A ROUSSIR.
Nousfûmes reçus dans une autre manufacture établie et dirigée, àPont-Audemer, par les citoyens Callon ; elle renferme des ateliers defilature mécanique, et des tisseranderies à navette volante, pour lafabrication de toutes les étoffes de coton, pour les velours, lesbasins, etc.
Tous ces travaux avaient déjà obtenu des succèsmarqués à Rouen, où les citoyens Callon s’étaient établis avant larévolution ; mais leur établissement fut détruit dans un soulèvementcoupable, dont ils n’ont pas recherché les auteurs, malgré les pertesimmenses qu’ils ont souffertes.
On prit pour prétexte de cetteviolation du droit de propriété et de la destruction d’une des branchesde la prospérité publique, dans une nation commerçante et industrieuse,le tort que les filatures mécaniques causaient à tous les ouvriersfilant à la main, et la crainte exagérée de voir ceux-ci périr de faim,en manquant d’ouvrage, si on laissait prévaloir des moyens expéditifs,dont le produit coutait beaucoup moins que le travail ordinaire desfileuses.
Ces violences et ces prétextes nous rappelèrent desoppositions du même genre, que les imprimeries éprouvèrent lorsqu’elless’établirent, dans le quinzième siècle ; et les tracasseries qu’on leursuscita pour les faire prohiber, comme une invention nuisible à tousles copistes, et propre à les faire périr de misère, la plume à lamain, si les livres se multipliaient à l’infini par la rapidité magiquede l’imprimerie.
On conçoit très-bien que tous les moyensmécaniques doivent froisser, quand ils s’établissent, les intérêts desouvriers dont on employait les bras auparavant : mais cet inconvénientparticulier ne peut être mis en parallele avec les avantagesincalculables qui en résultent pour la société toute entière, 1.° parceque les prix de la main-d’œuvre fait non-seulement donner les produitsà meilleur compte, mais qu’il met à portée d’assurer la concurrenceavec l’étranger, et qu’il rétablit la balance commerciale ; 2.° parceque l’état recouvre, pour d’autres travaux, les bras que les mécaniquesremplacent ; 3.° fréquemment encore, parce qu’il y a dans lafabrication plus d’uniformité et que les machines, quand elles sontarrivées au dégré de perfection qu’elles peuvent acquérir, mettent lefabricant et le consommateur à l’abri des torts que leur causentquelquefois l’inattention, la négligence ou la mauvaise foi del’ouvrier.
Telles étaient les observations que nous faisaientles directeurs de la manufacture de coton et qu’ils appuyaient de lafaveur générale que les filatures mécaniques obtiennent actuellement enFrance.
Cette manufacture est située au nord-ouest de lacommune, dans l’ancien emplacement occupé, avant la révolution, par uncouvent de cordeliers, fondéet aumôné par Louis XI en 1473.
Lespropriétaires actuels de cet établissement y ont réuni une portion deprairie qui l’avoisinait, pour former une blanchisserie ordinaire ; etdans les bâtimens de l’ancien couvent ils ont établi leurs ateliers detisseranderie et ceux de filature. Cette dernière partie estalternativement mise en action par un manége et par un courant ; maissi les bienfaits que les directeurs espèrent de la paix prochaineremplissent leurs vœux, ils pourront établir une pompe à feu quiremplacera avantageusement ces deux moyens.
Il nous seraitimpossible de rendre compte de toutes les pièces qui sont mises en jeudans une filature mécanique ; de toutes les roues, de toutes lesbobines, de tous les fuseaux qui se meuvent à la fois, par le moyen desengrenages, des cordes sans fin et des renvois de toute espèce.
Onne voit point sans étonnement, dans la carderie, qu’un enfant puisseconvenablement attacher le coton sur les pointes recourbées d’une cardecirculaire, et que plusieurs tambours, garnis de la même manière, se ledistribuent, dans un ordre admirable, en roulant les uns sur les autresen divers sens.
Un peigne d’acier poli s’abaisse et se relèvealternativement sur le dernier des tambours ; il détache le coton quis’est roulé sur les cardes circulaires et le fait tomber en ouatedans un cilindre, pour être disposé en boudins dont lesdimensionsdiminuent, peu à peu, jusqu’à ce qu’ils soient enfin formés en filsplus ou moins déliés.
La navette volante tire son nom de sacourse rapide dans la chaîne du tisserand. La même mécanique la pousseet la rappèle : l’ouvrier n’a que deux mouvemens à faire de la mêmemain, tandis que de l’autre il frappe, avec le rot, le fil que lanavette vient d’interposer. C’est dans les ateliers qu’il faut allerprendre connaissance du mécanisme qu’on y met en jeu ; les explicationssommaires ne le feraient pas entendre, et les détails seraient infinis,s’il fallait en donner une entière description.
Au surplus lesmécaniques sont aujourd’hui très multipliées dans le département, ellessont connues de beaucoup de citoyens, et ce serait une chose inutilepour les uns et superflue pour les autres d’essayer de les décrire.
Cependantil en est une qui est très-curieuse et dont il est en même temps assezfacile de faire connaître les résultats. C’est celle qu’on emploie pourroussir les étoffes de coton, et qui est représentée dans la planche2e
Lorsque les étoffes de coton sortent du métier, elles sontcouvertes d’une espèce de duvet que le fil porte avec lui, et quel’ouvrier ne peut enfermer dans le tissu. Ce duvet enveloppe, enquelque sorte, le dessin de l’étoffe : les rayes du basin s’y trouventcachées, les points du piqué en sont recouverts, le cannelé des veloursse voit à peine, et l’on sent que, pour faire valoir le dessin et luidonner de la netteté, il est indispensable d’enlever ce duvet et deraser en quelque manière le tissu, pour le rendre lisse et faireressortir les parties élevées.
Cette opération, qu’on tenteraitinutilement avec des tranchans de quelque espèce qu’ils fussent, sefait avec beaucoup de succès par le moyen du feu, en brûlant toutecette surface lanugineuse, pour mettre à découvert le tissu, sans quele feu l’endommage.
Il y a déjà long-temps que ce travail etcette méthode se trouvent indiqués dans l’ouvrage du citoyen Pajot,mais on ne se servait alors que de grandes plaques de fer qu’on faisaitrougir et qu’on passait sur l’étoffe tendue jusqu’à ce que tout leduvet fut brûlé.
Cette manipulation était toujours difficile,quelquefois même elle causait des accidens graves et jamais elle nebrûlait parfaitement le duvet.
Celle qu’on a depuis employée estinfiniment préférable et quoiqu’elle ne soit point particulière à lamanufacture des citoyens Callon, quoiqu’elle soit employée à Rouen etailleurs, et qu’elle soit maintenant connue de plusieurs fabricans,néanmoins comme elle n’est expliquée ni dans l’ouvrage du citoyenPajot, ni dans aucune autre, on sera peut-être bien aise d’en voir ladescription, et voici en quoi elle consiste.
La construction (A.B. C.) est un fourneau de brique avec sa cheminée (D. D.). Une grillede fer (E.) est placée dans ce fourneau et se continue dans toute salongueur jusqu’à la cheminée. C’est sur cette grille que se place lecharbon, et le tout est recouvert d’un demi cilindre de fer fondu (F.F.) qui termine le fourneau.
Les quatre montans de bois (1. 2.3. 4.) maintenus par des traverses forment un chassis solide sur lequelsont ajustés deux cilindres ou tambours (G. G.) soutenus par les braset les liens (H. H.). L’étoffe qu’il s’agit de raser, ou roussir, estroulée sur l’un des tambours, de manière que l’envers (I.) soit endehors et que l’endroit s’applique sur le demi cilindre de fer (F. F.)pour reparaître ensuite sur l’autre tambour.
Lors qu’on faittourner le premier tambour, l’étoffe se dévide pour se rouler sur lesecond en passant sur le demi cilindre. Deux cadres (L. L.) mobiles surdeux pôles fixés dans leur milieu, sont placés entre les montans :l’étoffe est passée dans ces cadres et quand leur côté intérieur estabaissé, elle porte immédiatement sur le demi cilindre ; mais si, enappuyant la main sur les côtés extérieurs des cadres, on élève lescôtés opposés, ceux-ci enlèvent avec eux la toile qu’ils renferment ;ils l’empêchent de toucher le fer, et préviennent les accidens.
Toutétant ainsi disposé, on allume le charbon placé sur la grille ; uncourant d’air l’anime violemment par-dessous et ne tarde pas àéchauffer le demi cilindre ; on parvient même à le faire rougir, etc’est quand il est très-ardent qu’on abaisse les cadres, pour quel’étoffe s’applique sur le fer rouge ; on fait alors tourner lestambours et l’on dévide la pièce entière pour brûler le duvet.
Ceduvet, réduit en charbon sur le cilindre, est enlevé par une longuebrosse, garnie de soies rudes, qu’on voit en (M. M.) et qui est placéesur des appuis mobiles, dans une inclinaison semblable à celle del’étoffe. L’effet de l’ustion, par le fer, et du frottement sur labrosse, se montre à découvert sur le tambour, par la manière dontl’étoffe s’y roule ; l’ouvrier, qui se trouve à portée de conduire etdiriger convenablement la vîtesse des tambours, peut juger en mêmetemps si l’opération s’est bien faite.
Il semble, quand on voitla pièce de coton s’abaisser avec les cadres et tomber sur le ferenflammé, qu’elle va se réduire en cendres, et quand c’est une pièce debasin qu’on voit ainsi frotter sur un fer rouge, les craintesdeviennent encore plus fortes.
On est du moins porté à croire,quand on entend le recit de ce travail, que les tambours tournent avecune grande vitesse et que l’étoffe passe sur le fer avec une extrêmerapidité.
C’est néanmoins le contraire ; les tambours ne vontpas très vîte, les yeux suivent avec facilité le mouvement de l’étoffe,et de peur qu’elle ne s’applique pas avec assez de force sur le fer, onemploie des poids (N. N.) dont la corde s’appuye sur les tambours, aumoyen d’une gorge qu’on y a pratiquée : ces poids augmentent lefrottement des tambours, ils en ralentissent le mouvement ; et latoile, devenant plus tendue, s’applique avec plus de force sur le fer.
Ellese roule même dessus à raison de l’inclinaison qu’on lui donne, et l’onpeut voir dans le profil géométrique (fig. 2) l’angle sous lequel cetteinclinaison est déterminée pour roussir le basin.
Cet anglen’est pas le même pour toutes les étoffes, il est plus ou moins ouvert,et une barre qui s’élève ou s’abaisse à volonté, au moyen des chevillesqui l’assujettissent, sert à fixer l’inclinaison qu’on veut donner auxétoffes.
Malgré la supériorité de cette manipulation sur celledes plaques rougies qu’on passait autrefois sur la pièce de coton, lecitoyen Callon sait qu’il existe encore de nouveaux procédés parlesquels les creux des étoffes, dans le piqué et dans les cannelés, senétoyent mieux, se rasent plus exactement et deviennent lisses commeles points les plus élevés.
Il sçait qu’on ajoute de l’esprit devin dans le travail, soit en faisant passer l’étoffe par une étuve oùelle s’imbibe du fluide réduit en vapeurs pour qu’il s’enflammesubitement lorsqu’il touche le fer rouge, soit en employant d’autresmoyens dont il ne fait pas mystère, mais qu’il est juste de lui laisserpublier lorsque, par les essais qu’il compte faire, il aura justifié lathéorie qu’il sait si bien développer.
LESMÉMOIRES HISTORIQUES.
Nousnous faisons un devoir d’offrir à tous les citoyens, qui ont eu labonté de nous instruire des détails dont nous venons de rendre compte,l’expression bien sincère de notre reconnaissance. Nous desironssur-tout que ce témoignage de nos sentimens, soit agréé des magistratsde cette commune qui nous accueillirent avec indulgence et quivoulurent bien, pour notre instruction, communiquer des mémoiresextrêmement curieux dans lesquels sont consignées des notesintéressantes pour l’histoire.
En effet, c’est dans ces mémoiresqu’on trouve l’explication de deux passages du Catholicon d’Espagneou satire menippée, avec la confirmation de quelques détails quel’histoire a conservés. (noteIV)
Indépendamment del’explication de ces deux passages, nous avons encore trouvé, dans cesmémoires, d’autres détails relatifs aux localités, qui confirment ouqui développent ce que les chroniques et les histoires de la provinceont transmis, et qui peignent d’ailleurs les mœurs et le caractère dutemps. (noteV)
C’est aussi dans ces mémoires que nous avonsappris que Pont-Audemer, par sa situation sur la Risle et sacommunication avec la Seine, fut pendant long-temps, une des placesimportantes de la province. Les Anglais regardaient comme un grandavantage de s’en rendre les maîtres, et dans les troubles des sièclesprécédens, les factieux formèrent contre elle diverses tentatives quien firent souvent le théâtre de guerres sanglantes et ruineuses.
Charlesle Mauvais en était en possession, lorsque le ConnétableBertrand-Duguesclin la prit en 1378 après plusieurs attaques, et rasases fortifications ainsi que le château (10).
Les Anglais s’en étant ensuite emparés, elle fut reprise d’assaut parles comtes de Dunois et de St.-Pol (noteVI).
Ilnous a paru naturel d’inscrire de suite tout ce qui pouvait avoirrapport à la ville dans laquelle nous avions passé : mais tous cesdétails ne nous furent pas connus au moment même de notre passage, cene fut que pendant le séjour, que nous fîmes dans le lieu desobservations, que ces connaissances furent acquises par la lecture desmémoires historiques. C’est aussi par cette lecture que nous apprîmesque cette ville avait donné naissance à Pierre Lelorain, sieur deValmont, auteur des élémens de l’histoire, de la Phisique occulte ou dela Baguette divinatoire, de quelques dissertations sur les médailles,etc. et à Pierre David, cordelier, qui fit imprimer des sermons enlatin.
DÉPARTDE PONT-AUDEMER : L’ERREUR D’OPTIQUE: LE VIEUX IF.
Tandisque nous étions à Pont-Audemer, deux de nos camarades de voyage sejoignirent à nous, et lorsque nous eûmes visité les manufactures, nouspartîmes pour nous rendre dans la commune de Conteville où nous devionsétablir le centre de nos observations ; au confluent de la Risle et dela Seine.
La première chose qui soit digne d’être remarquée surla route, est un ancien château nommé le Bois d’Aubigny, àdeuxportées de fusil de la grande route et six cents pas du chemin detraverse.
Il est bâti sur un terrain très-incliné, et quand onle regarde du côté de l’orient, il semble incliné lui-même vers la côteau pied de laquelle il est construit ; les arrêtes de ses pignonsparaissent sortir de leur à-plomb, l’on croirait qu’un des bouts decette maison s’est affaissé sur ses fondemens et qu’il est entréprofondément en terre.
Cependant il n’en est rien, laconstruction n’a nullement souffert et l’apparence n’est que l’effetd’une illusion d’optique ; mais elle est très-forte, il n’est paspossible de la corriger, on a beau raisonner, d’après la connaissancequ’on a du local, contre le faux semblant de la perspective, ce n’estqu’en approchant de la maison, que l’illusion se dissipe.
L’inclinaisondu terrain est donc la seule cause de l’erreur ; les murs ont moins dehauteur sur le terrain élevé qu’au bas de la pente, et comme on n’envoit pas de loin les premières assises, on se persuade que ladifférence des hauteurs, dans les extrémités de la maison, vient del’enfoncement qui paraît s’être fait dans le sol.
Nous trouvâmesensuite un arbre remarquable par sa grosseur et par les irrégularitésde son contour ; c’était un If extrêmement vieux, entièrement pourridans toute la partie ligneuse du tronc, ne vivant plus que par sonécorce et ses racines ; mais ferme encore sur ses débris et résistant àla violence des tempêtes comme aux attaques ruineuses du temps.
Nousn’en prîmes pas la mesure, parce qu’on nous dit que nous en trouverionsde plus gros et de plus étonnans dans le pays, et nous continuâmesnotre route vers Conteville, où nous arrivâmes après une marche detrois heures, que la pluie nous força souvent d’interrompre.
L’ETABLISSEMENT: LES BAGAGES : LES INSTRUMENS: LE PREMIER DINER SOUS LATENTE : LES TOASTS.
Lavoiture qui portait nos bagages et la tente nous avait précédés ; etles élèves qui devaient se joindre à nous ne tardèrent pas à arriver.En très-peu de temps la tente fut dressée ; nous nous établîmes dans unenclos fermé de murs, dont il nous fut permis de disposer.
Chacunreconnut le bagage qui lui appartenait : on visita les machines et lesinstrumens, tous se trouvèrent sains et saufs à l’exception d’unthermomètre, et quand ces préparatifs furent terminés, nous songeâmes àdîner. Nous nous rangeâmes sous la tente, autour d’une table frugale,et pleins d’espoir dans les courses que nous allions faire, un crigénéral se fit entendre, vive la République, vivent les Naturalistesdes deux mondes !
Que leurs occupations, pleines de charmes,répandent, sur leur vie entière, le calme et la sérénité, qu’ils soientrécompensés de leurs veilles et de leurs travaux par le bonheur dedevenir utiles à leurs semblables ! Que leurs découvertes excitenttoujours notre émulation, que leurs savans écrits soient les guides denotre inexpérience ; puissions-nous par notre conduite et notreapplication, nous montrer dignes de la carrière qu’ils ont ouvertedevant nous !
Ce repas, un des plus intéressans que nous ayonsjamais fait, ne fut cependant pas de longue durée, nous l’eûmes bientôtachevé et nous songeâmes à met[t]re de l’ordre dans le travail que nousallions entreprendre.
Les uns se chargèrent de dessiner les sites, les objets de minéralogie,d’insectologie, de botanique, etc.
D’autres furent chargés de rechercher dans la campagne, les plantes,les insectes, les minéraux et les fossiles.
Les plus avancés en géométrie eurent la partie des mesures et descalculs.
Les plus adroits furent nommés pour disposer les plantes dans lesherbiers et les insectes dans les boëtes.
Tousse promirent de regarder tout, de visiter tout, de ne rien négliger, des’avertir réciproquement et de faire tous leurs efforts pour ne paslaisser dégénérer en une promenade stérile, un voyage dont ilspouvaient retirer tant d’utilité.
Nous étions alors dix-sept, et nous eussions été plus nombreux s’il eutété possible de préparer plutôt l’expédition.
Nouspossédions au milieu de nous les Directeurs du Pensionnat, un desProfesseurs, et un des Membres du Jury d’instruction, qui avaient bienvoulu se joindre à nous pour diriger nos observations. Quand nous fûmesen quelque sorte organisés comme nous venons de le dire, nous nousprésentâmes devant le Maire de la commune, à qui nous rendîmes comptedu sujet de notre voyage, en lui donnant l’assurance que pendant notreséjour, nous ferions nos efforts pour nous rendre dignes de l’affectionque déjà plusieurs habitans se plaisaient à nous témoigner.
LA VUEDE LA MER.
Cepremier devoir étant rempli, nous nous portâmes avec toute l’ardeurqu’inspire la nouveauté sur le rivage que nous avions plusieurs foisentrevu de loin. A mesure que nous avancions, la perspective s’étendaitdevant nous, et ce spectacle imprimait dans notre ame un sentiment degrandeur et d’élévation que nous n’avions jamais éprouvé.
Cependantla surprise se mêlait à notre admiration : nous avions quelquefoisentendu parler de la mer ; nous croyions voir des vagues agitées et desflots écumans ! Cette fois-là c’était un vaste bassin, calme ettranquille comme un lac, pur et limpide comme le cristal.
Despêcheurs qui furent témoins de notre étonnement, nous expliquèrent lacause de cette espèce d’immobilité, en nous faisant connaître qu’elleétait l’effet du moment précis de la pleine mer, c’est-à-dire, dumoment où les eaux parvenues à leur plus grande élévation sur lerivage, étaient prêtes à s’abaisser en refluant vers l’océan. Une autrecause contribuait encore au calme de la mer, c’était celui del’atmosphère et le silence absolu des vents.
Mais ilsobservèrent que nous n’étions pas précisément au bord de la mer ; quenous ne voyions encore que l’embouchure de la Seine ; que malgré lalargeur du bassin, l’eau de la mer qui le remplissait se trouvait àl’abri des courans atmosphériques qui se font toujours sentir plus oumoins au large,et qu’en pleine mer l’eau n’était pas aussitranquille. Alors nos yeux se tournèrent vers le Hâvre que nousdécouvrions au pied de la côte du pays de Caux et qui se dessinait àl’horizon comme une langue de terre avancée dans la mer. Vis-à-vis onvoyoit Honfleur situé sur la rive où nous étions nous-mêmes, et dansl’intervalle de ces deux villes on ne découvrait rien !... Le ton duciel se confondait avec les reflèts de la mer, et l’imagination querien n’arrête, nous aurait peint l’étendue comme infinie, si lesprincipes de géométrie ne nous eussent rappelé que l’horizon visible nepouvait avoir qu’une lieue de rayon, du point où nous étions placés(11).
Ces tableaux que nous admirions de plus en plus, secomposaient des côtes élevées qui bordent au nord l’embouchure de laSeine ; de la pente des vallons qui contraste avec elles au midi ; duvide imposant que la mer offre à l’ouest ; et vers l’orient de la coupeperpendiculaire d’une des collines de la Risle, posée d’aplomb sur unevaste plaine, où paissent cent troupeaux, et couvrant un autre pays quedes lointains vaporeux indiquaient au-dessus d’elle, dans les derniersplans de la perspective.
Il y avait près d’une heure que nousétions sur le rivage sans que nous eussions, pour ainsi dire, changé deplace ; personne n’avait éprouvé de fatigue dans la durée du spectacle,personne ne s’était assis, tout le monde admirait ; et ceux-là même àqui la vue du rivage était familière, convenaient encore avec émotion,qu’elle était admirable. Cependant le reflux acquérait de la vîtesse,le sable était découvert en quelques endroits ; et sur toute la rive onvoyait un banc immense de galet que la mer roule devant elle dans lesgros temps.
Le vent s’était élevé à l’occident, il contrariaitle reflux, il soulevait des lames et poussait des vagues ; nous nedésirions pas une tempête, mais une plus grande agitation eût satisfaitnos vœux.
PROJETDE VOYAGE : DÉNOMBREMENT DES INSTRUMENSD’OBSERVATION.
Noncontens du spectacle dont nous venions de jouir, nous voulûmes voir lamer plus en grand, et il fut arrêté que dès le lendemain matin nousirions à Honfleur pour passer au Hâvre. Un motif d’un plus grandintérêt que celui de la curiosité nous détermina ; c’était le lendemainque la plus grande marée de la lunaison devait avoir lieu, et cettecirconstance fit décider le voyage du Hâvre (note VII).
Nousquittâmes le bord de la mer pour aller faire nos préparatifs, et pourmettre en ordre les instrumens que nous n’avions fait que visiter dansles caisses : mais ce ne fut point sans tourner mille fois les yeuxvers le rivage ; et malgré les sites agréables d’une très-bellecampagne que nous traversions, c’était toujours du côté de la mer qu’onse tournait, quand il se présentait une hauteur d’où l’on pût encore lavoir, ou quand une percée la faisait découvrir entre les arbres.
Nousnous entretînmes pendant notre retour des productions innombrablesqu’elle renferme : nous nous rappelâmes cette lumière qui brille lanuit à sa surface, et nous convînmes de revenir le même jour, à lamarée du soir, pour être témoins de ce phénomène.
Au retour durivage, chacun s’occupa des attributions qui lui étaient échues : lesinstrumens furent de nouveau visités et mis en place, le thermomètrequ’on avait trouvé le matin un peu endommagé, était la seule pièce quieut souffert. Nous avions alors, en état de servir, un baromètre àcuvette, un hygromètre avec thermomètre (12), un microscope, untélescope, une chambre obscure d’un très-bon effet, des lunettesd’approche, plusieurs loupes de différens foyers, des équerres et ungraphomètre (13), un niveau d’eau et un autre à bulle d’air, unodomètre ou compte-pas (14), deux décamètres, une petite boussoleportative : outre cela nous pouvions disposer d’un atelier voisin danslequel il y avait une petite forge et beaucoup d’outils.
Nousavions aussi les N.os des cartes de Cassini, répondant au territoireque nous devions visiter, quelques livres d’histoire sur l’ancienneprovince, des chroniques et des mémoires, quelques livres de botaniqueet d’histoire naturelle, des livres de voyage et Robinson Crusoé. Enfinnous avions des crayons pour les déssinateurs, du papier, de l’encre dela Chine, des plumes de corbeau, etc. etc.
Tous les fourmi-lionsque nous avions trouvés près d’Annebault, furent soigneusement mis dansun poudrier, avec une espèce de sable très-fin, d’une couleur ocreusequi nous le fit regarder comme un oxide de fer. Il y en eut trois quine tardèrent point à s’enfoncer, mais les autres étaient languissans,ils avaient souffert dans le voyage, et ce ne fut qu’au bout dequelques jours qu’ils se creusèrent des cônes. Depuis ce temps ils nedûrent pas regretter leur premier pays, jamais fourmi-lions n’ont étémieux approvisionnés ; tous les jours il pleuvait des mouches et desfourmis dans leurs repaires ; leurs mouvemens brusques et rapidesattestèrent le bien-être qu’ils éprouvaient : mais nous ne devionspoint voire éclore cette année les demoiselles dontils filaient letrousseau, et ce n’était que l’année suivante qu’ilsdevaient parvenirà leur état parfait.
En attendant le souper, un des voyageurslut des notes qu’il avait déjà faites sur les premiers jours del’expédition. Mais comme en racontant les observations, il avaitfidèlement employé, dans son récit, les noms de leurs auteurs, ceux-ciréclamèrent aussi-tôt : c’est au hasard que nous les devons,s’écrièrent-ils ; il n’y a pas de mérite à être plus heureux qu’autrui; chaque découverte appartient en commun à tous les voyageurs, sansqu’il faille de prime pour aucun d’eux. Tous se rangèrent à cet avis,parce que tous espéraient de contribuer au succès du voyage : on serappela le proverbe des anciens qui voulait que Mercure fût commun, etl’on se mit à table en se donnant l’assurance d’une émulation généreuseet d’une amitié inaltérable.
VOYAGEDU SOIR AU BORD DE LA MER : INSECTESPHOSPHORESCENS.
Lalune était déjà sur l’horizon, quand nous eûmes soupé, et quoique letemps fût couvert, la demi teinte qu’elle répandait sur les objets,nous faisait craindre de ne pas voir la lumière de la mer.
Nousallâmes néanmoins au rivage : nous prîmes des vases pour puiser del’eau, des sacs de toile, en cône, pour la tamiser, des loupes, desCapsules, etc.
La mer montait quand nous arrivâmes, le flotétait même assez rapide : mais la mer n’était pas lumineuse et le clairde lune nous parut être l’obstacle qui s’y opposait ; Alors nousbattîmes l’eau, nous l’agitâmes de diverses manières, et nous vîmesenfin des points brillans, sur le bord des vagues, dont la lumièredevenait plus vive entre les cailloux ; mais ni l’œil ne pût enapercevoir la cause, ni les loupes ne purent la faire reconnaître, nile tact ne pût l’indiquer.
L’eau, qu’on puise à la mer, brilledans le vase qui la contient comme sur le rivage d’où on la tire ; elleconserve cette phosphorescence pendant plus de vingt-quatre heures : ouplutôt les animalcules, qui brillent dans l’eau de la mer, donnent dela lumière tant qu’ils sont vivans, et ils conservent la vie dans cetteeau, pendant plus de vingt-quatre heures.
Lorsque, pendant lejour, on agite l’eau de mer, on ne découvre pas ces animalcules quisont forts petits et presque entièrement diaphanes :……. mais ce quenous dirions, sur ce phénomène, ne pourrait être qu’une répétition dece qu’a dit un ingénieur de la marine, qui l’observait en 1763 et 1764.
Toutce que nous pouvons ajouter à l’extrait que le dictionnaire del’industrie a donné des observations de M. Rigault, c’est que 1.° cesanimalcules paraissent absolument privés de la faculté de changer deplace ; 2.° ils sont composés d’une partie à peu-près sphérique, d’uneautre partie tubiforme attachée à la sphère ; et cette attache formeune espèce de sinus qu’on découvre dans le profil ; 3.° du pointenfoncé où la partie tubi-forme s’attache à la partie globuleuse, onvoit cinq ou six radicules, étendues dans la sphère, imitant,à-peu-près, une griffe d’asperge et ne paraissant point avoir demouvement ; 4.° la partie tubi-forme paraît composée d’anneauxsuperposés, et sa longueur moyenne est de deux fois le diamètre de lasphère ; 5.° la sphère ne paraît avoir aucuns mouvemens, la seulepartie tubi-forme en laisse apercevoir, mais ils ne sont ni rapides nivariés, et cette partie n’en a point d’autre que de se tordre lentementsur elle-même en divers sens, comme si elle s’efforçait de se détacherde la sphère et de se débarrasser des liens qui la retienne ; 6.°jamais on ne voit ces insectes ni saisir des proies, ni se mettre auguet pour en surprendre ; au contraire, ils sont quelquefois dévoréspar des animalcules trente fois plus petits, qui s’élancent avecviolence contre la partie sphérique, qui paraissent la saisir et qui lafont se rétrécir et se crisper, présage aussi prompt qu’infaillible dela mort de l’animal (15).
D’après toutes ces données commentfaut-il regarder ces animalcules ? quelle est leur origine ? oùprennent-ils naissance ? quels sont leurs développemens, comment senourrissent-ils ? faut-il les ranger parmi les zoophytes, subissent-ilsdes métamorphoses ? sont-ils au dernier période de leurs mutations ?qu’elle est la source de la lumière qu’ils produisent ? quelles sontles conditions pour qu’elle paraisse ? est-ce la sphère qui la donne ?est-ce la partie tubi-forme, est-ce l’animal tout entier ?
Dansl’inspiration de l’eau, par les poissons, ces animalcules périssent-ilsau passage des branchies, ou sortent-ils sains et saufs de ce filtreanimal ? dans le premier cas donnent-ils à l’eau, qui les contient, unepropriété nutritive pour le poisson qui l’aspire ?......
Voilàles questions que nous nous faisions et les embarras que nous n’avionspas l’espoir de lever, à cause du peu de temps que nous pouvions donnerà des observations, qui ne doivent peut être offrir de résultatscertains, qu’après avoir été plusieurs fois répétées avec la plusgrande attention.
LE BOISMORT : LES POISSONS PUTRÉFIÉS : LESVERS LUISANS.
Lanuit qui s’avançait, nous rappela vers la tente ; mais laphosphorescence nous occupant toujours, tout ce qui brille la nuit dansla nature fut mis en parallele avec les animalcules de la mer.
Lebois qui devient également lumineux quand il pourrit, par d’autrescauses que celle de l’humidité, fut un des phénomènes qui fixèrentnotre attention.
Nous observâmes que ce dépérissement du bois,cette transformation de la partie ligneuse et dure en une espèce deparenchime friable quand il est sec, n’étoit qu’une décomposition dubois, c’est-à-dire, une séparation de tous ses principes, unerestitution, lente et graduée, de ces mêmes principes à leurpremière forme…. et dès-lors nous nous demandâmes si la blancheur quiluisait sur le bois pourri, n’était pas un dégagement de la lumière,une émanation de ce principe délivré des liens où l’aggrégation l’avaitenchaîné, pendant l’accroissement du végétal.
Pourquoi,disions-nous, ne serait ce pas de la lumière qui s’évapore, dansladécomposition des fibres (16) ? Elles en absorbent, en croissant, unesi grande quantité, elles en sont si avides pendant la germination,elles sont si faibles, si languissantes, quand elles en sont privées !Certes le principe lumineux doit entrer abondamment dans la formationdu bois ; et dans la déflagration il éclate avec violence. S’il serépand alors par torrens, pourquoi le dégagement chronique du mêmeprincipe, dans la putréfaction, ne se décélerait-il pas, dans certainescirconstances, sous la forme des auréoles phosphorescentes que nousadmirons ?
Mais quelles seraient les circonstances où ceprincipe serait visible en se dégageant ? Pourquoi ne parait-il pastoujours dans les décompositions de tous les bois ? Quelles seraientles recherches à faire, pour constater ces différens états, pour lesreproduire au besoin, pour phosphoriser à volonté un bois qu’onmettrait pourrir, ou pour le faire se décomposer sans lumière ?
Sil’on pouvait admettre cette explication pour les phosphores ligneux,serait-ce la même cause qui ferait également briller les poissons quise putrefient ? Si la lumière des décompositions pouvait s’expliquerainsi, quelle serait ensuite la cause de ces aigrettes bien plus vivesqui dardent leurs rayons au travers du feuillage des arbustes ? Quelleest la cause de la lumière que la femelle du lampyris répanddans lesépoques de la fécondation ? Toutes ces questions, que nous venionsd’élever, en revenant du rivage, ouvrirent devant nous une carrière sivaste d’étude, de recherches et d’observations, que nous désespérions,à juste titre, de la remplir dans le court espace de notre voyage. Nousnous promîmes seulement d’en conserver le souvenir pour le temps oùnous pourrions avoir le loisir et l’occasion de nous y livrer ; nousfîmes des vœux pour que les sçavans qui se plaisent dans l’étude de lanature, découvrissent les causes des phénomènes que nous ne pouvionsencore qu’admirer, et nous rentrâmes dans l’enclos où la tente étaitdressée.
Un des voyageurs qui nous avait quittés vers lemilieu du chemin, pour prendre un sentier différent, revint quelquesminutes après, portant sur son chapeau quatre ou cinq vers-luisansqu’il étoit allé prendre, dans un bois voisin où il les avait apperçus,lorsque nous nous entretenions de leur lumière. Il les mit sur de laterre fraîchement humectée, dont on remplit un pot-à-fleur, en ajoutantdes portions de gazon, et le tout fut enfermé sous une de ces grandescloches de verre qu’on employe dans le pays pour la culture des melons(17).
LEVOYAGE AU HAVRE : LE TOMBEAU DEHARLETTE MÈRE DE GUILLAU- ME LECONQUÉRANT : LE VILLAGE ENGLOUTI.
Lelendemain matin nous fûmes levés dès le point du jour : il s’agissaitdu voyage du Hâvre, il fallait être à Honfleur pour l’heure dupaquebot, et la marée ne souffrant point de délais, nous nous équipâmespromptement et nous partîmes.
Nous ne crûmes point devoir portertous nos instrumens avec nous : nous prîmes seulement des lunettesd’approche et de fortes loupes, des tenettes, desboëtes, des cartonset quelques feuilles de papier pour le dessin.
Du milieu de laplaine que nous traversions, nous revîmes les sites de la veille, lamer qui revenait dans la seine, et le Hâvre où nous allions.
Noustraversâmes une campagne voisine, dont les habitations groupées sur lerivage, offraient avec les arbres entremêlés des vergers, un point devue charmant.
Nous apprîmes que presque tous les habitans decette commune étaient pêcheurs ; on nous montra même de loin, sur desbancs élevés, dont l’embouchure de la seine est parsemée, les filetsqu’ils tendent, àmer montante, et qu’ils soutiennent avec de longspieux enfoncés dans le sable : nous remîmes à voir ces filets et lapêche usitée dans cet endroit, après notre retour du Hâvre.
Bientôt nous fûmes vis-à-vis d’une ancienne abbaye de bénédictins,supprimés depuis plus de trente ans.
Cetteabbaye, nommée Grestain, avait été bâtie et fondée, en 1040, par unseigneur voisin, nommé Herluin, comte de Conteville (note VIII.)C’était dans cette abbaye qu’était le tombeau de la mère du fameuxGuillaume le conquérant, Harlot ou Harlette, qui, depuis la mort deRobert père de Guillaume, avait épousé ce même Herluin, comte deConteville. L’abbaye de Grestain était autrefois considérable, etCharles VII y coucha avec toute sa cour, au mois de janvier 1450, quandil vint de Jumièges, pour reprendre Honfleur, occupé par les anglais(note IX).
Dans les grandes marées on voit, à mer basse, lesvestiges d’un ancien village qui existait vis-à-vis de l’abbaye, et quele sable recouvre aujourd’hui. On croit communément dans le pays, qu’ilfut détruit ou englouti par la mer ; c’est au contraire dans l’incendiedu 20 mai 1139 que ce village périt, et il n’a point été rebâti depuis(18).
A deux kilomètres (petite demi-lieue) de l’abbaye deGrestain, on trouve une cascade qui tombe, avec bruit, dans une grotteprofonde : la crainte de n’être pas rendus, pour l’heure du passager,nous fit remettre à notre retour, la visite que nous comptions en faire.
LAVILLE DE HONFLEUR : LE PASSAGER DU HAVRE :LE VENT CONTRAIRE : LE MAL DE MER, LEMOYEN DE LE PRÉVENIR.
Nousarrivâmes à Honfleur, et l’ardeur de notre marche nous ayant donné plusd’un quart d’heure d’avance, nous traversâmes la ville pour enconnaître la position ; nous vîmes les deux jettées qui forment leport, et nous admirâmes l’immense quantité de poissons, de touteespèce, qu’apportaient les barques des pêcheurs. Nous connaissionstrès-peu de ces poissons ; la variété de leurs formes excitait autantla curiosité, que leur nombre nous paraissait surprenant ; nouseussions désiré savoir leurs noms, leurs mœurs et leurs propriétés ;mais le cornet du passager se fit entendre, le flot ne montaitplus,le paquebot appareillait ; nous courûmes nous embarquer ; noussaisimes, en arrivant, leshaubans, les écoutes etc, et dans uninstant nous fûmes tous à bord.
La mer n’était pas houleuse,le temps était assez beau, mais le vent nous était contraire, lecapitaine annonçait plusieurs bordées, et les voyageurs présageaientune marée longue et fatiguante.
Cependant nous commençions àdépasser les jettées, nous voyions les édifices reculer derrière nouset l’horizon s’étendre à l’infini.
Les murs d’Honfleur et lesrestes antiques d’un bastion très-fort, nous rappelèrent l’anciennedomination des anglais sur cette ville, et le courage des français quiles força de l’abandonner.
Nous vîmes successivement s’éloignertous les objets de la côte, et quand nous fûmes au large, nouséprouvâmes des balancemens que produisaient les vagues. Plusieursd’entre nous furent atteints du mal de mer, comme bien d’autresvoyageurs, et c’était en soupirant qu’ils récitaient les imprécationsd’Horace, tandis que ceux qui se croyaient à l’abri, discouraienttranquillement sur la douleur qu’on ressent à la mer, sur lesoulagement subit qu’on éprouve en débarquant, sur la cause etl’origine de cette affection, sur les précautions qui peuvent endiminuer la violence, sur les moyens qui peuvent en garantir. Ilimporterait sans doute fort peu de savoir que le siége du mal paraîtêtre dans la rétine, et que les convulsions de l’estomac, dans lesbalancemens d’un vaisseau, ressemblent à celles qui accompagnent levertige, ou qu’on éprouve dans les mouvemens rapides d’une voiture,dans les oscillations de l’escarpolette, dans l’impression que produitle tournoyement d’un courant, lorsqu’on regarde fixement l’eau quis’enfuit.
Mais quand on sait que ces observations, oiseuses enapparence, conduisent à trouver des spécifiques, et qu’en suggérantl’usage de l’éther, elles ont fait connaître qu’il ne fallait souvent,pour empêcher les spasmes de l’estomac, que deux ou trois gouttes decette liqueur, prises avec un peu de sucre ; on sait bon gré auxobservateurs de leurs recherches et de la découverte heureuse quel’analogie leur a fait faire (noteX).
L’ANCIENLAZARET : LE PORT COMBLÉ.
Ily avait environ deux heures que nous étions partis d’Honfleur, et qu’enparcourant alternativement deuxcôtés d’un rectangle, nous avancionsdans la direction de la diagonale, lorsque nousdécouvrîmes unattérissement, nommé le hoc, qui servait autrefois de lazaret auxvaisseaux assujettis à la quarantaine. Nous vîmes distinctement, aumoyen de nos lunettes, quelques restes des fortifications du portd’Harfleur, jadis fameux, occupé tour à tour par la France et parl’Angleterre et appelé par Monstrelet, le souverain port de toute laduché de Normandie (noteXI).
Ce même port, où les plusgrands armemens qu’on faisait, dans le 15.e siècle, étaientreçusavec avantage, est aujourd’hui totalement comblé ; des atterrissemenssuccessifs l’ont, en quelque sorte, reculé dans les terres, etle Hâvre-de-gracea remplacé sur la Seine le port d’Harfleur abandonnépar la mer en moins de trois cents ans. Le déplacement progressif de lamer, est constaté, par des monumens sans nombre, sur tous les points duglobe ; mais ses effets, qui sont aussi récens près d’Harfleur qu’ilssont nuisibles à cette ville, exciteront sans doute l’attention desnaturalistes, des navigateurs et des commerçans. L’affermissement duHâvre dont la mer inondait le terrain, lorsqu’Harfleur était un port ;les dépôts de vase et de sable qui semblent de temps en temps menacerle port d’Honfleur, à la rive opposée ; les alluvions intermittentesqui transposent souvent le confluent de la Risle, et qui rendentaujourd’hui si difficile l’accès de cette rivière, autrefois navigable; sont des circonstances qui doivent être mûrement pésées, si jamais ons’occupe des projets d’aggrandissement et d’amélioration que des hommesamis de leur pays, ont cru pouvoir devenir utiles.
La ville duHâvre elle-même ne peut être indifférente, sur ce que présagent depareilles variations. Quand le port d’Harfleur recevait les flottes despuissances maritimes, on ne prévoyait pas que trois cents ans après, cene serait plus qu’une vaste prairie, au milieu de laquelle il neresterait qu’une rivière étroite, capable seulement de donner l’entréedans la ville à quelques petits bateaux !
LEDÉBARQUEMENT : LE PORT DE MER : LEBATEAU PLONGLEUR.
Nousnous trouvâmes fort près du Hâvre, à la suite des réflexions que nousvenions de faire, et les constructions de cette ville attirèrent nosregards et toutes nos pensées.
Bientôt nous doublâmes la jettéedu sud et nous passâmes devant la grosse tour de François I.er. Nousdescendîmes sur le quai, au bout de la grande rue, à l’endroit où lesmagnifiques terrasses d’Ingoville offrent à l’œil enchanté, lespectacle d’un amphitêâtre immense, dont les galeries sontalternativement chargées de maisons élégantes et de bosquets charmans.
Laporte d’Ingoville, construite par la cardinal Richelieu (19), terminaitautrefois la grande rue et masquait la côte : c’est à la démolition decet ancien ouvrage et de ses tours, qu’on doit la beauté de laperspective.
La ville est très agréable, et si la guerre quidétruit tout, n’eût pas mis, depuis quelques années, ladésolation dans le commerce, nous n’eussions pas eu ladouleur devoir le bassin tout entier, rempli de vaisseaux désarmés, offrantl’image du dépérissement et de la destruction ; les chantiersabandonnés ; les bras du commerce paralisés, ses sources taries ; et lamoitié des habitans épuisant, dans la détresse et l’inaction, lesrestes d’une ancienne abondance, dont leurs vœux ne peuvent hâter leretour.
Nous eûmes bientôt parcouru la ville, et prisconnaissance de ce qu’il y avait d’intéressant : nous vîmes l’ancienbassin, les vannes et le pont tournant, le bassin neuf, les détails del’intérieur des vaisseaux, l’arsenal, les vestiges de l’ancien ouvrageà corne, construit par les ordres du cardinal de Richelieu et à sesfrais (noteXII).
Quelques-uns d’entre nous virent aussi cebateau fermé, construit en cuivre et en bois, qui nageait, pendantquelque temps, entre deux eaux, après avoir plongé, et qui remontaitsur l’eau à une grande distance du point de l’immersion. Il était alorsun objet de curiosité et le secret de sa construction n’était pasconnu. Ceux qui le virent, observèrent qu’il était ponté en cuivrejusqu’auprès du bord ; ils pensèrent que ce bateau-coffrepouvaitaisément contenir deux hommes, pour le faire plonger en introduisant del’eau ; pour le faire mouvoir et le diriger au moyen d’un moulinet ;enfin pour le faire remonter, en expulsant l’eau formant l’excès dulest.
LERIVAGE : LES ANÉMONES ET LES ORTIES DE MER: LES PÉTRIFICATIONS.
Lamer qui s’était retirée pendant que nous parcourions la ville, avaitdécouvert le rivage à l’ouest du Havre, et nous nous portâmes avecempressement sur ce terrain que Diquemarre a rendu célèbre par sesdécouvertes sur les anémones de mer (20).
Les premiers pas quenous fîmes, sur le rivage, ne nous offrirent rien d’intéressant ; ilétait entièrement stérile ; nous marchâmes pendant une demi-heure, sanstrouver autre chose que des orties de mer, échouées sur le sable, etdont la putréfaction était plus ou moins avancée (21).
Le nomd’orties qu’on donne communément à ces zoophytes, ne doit pas fairecroire qu’ils puissent causer de la douleur, comme la plante qui portele même nom, à moins que cette propriété ne tienne à la vie de l’animal; en effet nous en touchâmes plusieurs, à différentes reprises, etpersonne n’eut à regretter d’en avoir fait l’essai.
Nousobservâmes seulement que l’odorat, et sur-tout les yeux, étaientaffectés à leur approche, de la même manière qu’ils le sont par lesémanations alkalines de l’urine putréfiée, de l’ail, du phosphore :mais cette affection était peut-être l’effet d’un commencement deputréfaction.
Parmi ces zoophytes, celui qui nous parut le plusremarquable fut une grande ortie nouvellement échouée, dont le pourtourétait agréablement terminé par une découpure très-régulière dans saforme, et d’une très-belle couleur purpurine (22). Les caractèresparticuliers de cette espèce de zoophyte, sa consistance spongieuse,cellulaire et gelatineuse, sa transparence, etc., sont des singularitéssi différentes de ce que présente par-tout ailleurs l’animalisation,que nous ne pûmes nous défendre de les admirer.
Nous eumes lieude nous convaincre qu’en histoire naturelle sur-tout, la mer, est unmonde inconnu, rempli de richesses infinies, mais difficile àconquérir, à cause des obstacles qu’il oppose aux recherches et auxobservations.
Aux orties de mer ou méduses succédèrent bientôtles Goëmonset les Varecs de toute espèce ; le Varec en forme deplume, à tige filiforme et rameuse (23) ; le Varec capillacé en formede buisson, aux ramifications déliées (24) ; le Varec enpalme,aux expansions plânes et multipliées, divisées comme les doigts de lamain (25) ; le Varec vesiculeux, aux feuilles ondulées et longues (26).
Nousétions alors loin du Havre ; le rivage était hérissé de cailloux et degrosses pierres. Celles que les pêcheurs avaient amoncelées pour formerla bâse de leurs parcs en clayonnage, nous offrirent, dans des creux etdes interstices, une immense quantité d’étoiles qui rampaient, decrabes qui les mutilaient, de vis, de cornets, de rouleaux et d’autrescoquillages, dont un grand nombre nous était inconnu. Il en était ainsides plantes marines et des mousses qui tapissaient les roches, desmadrepores, des raisins polypiers, etc. : et comme chacun de nousramassait tout ce qui lui paraissait nouveau, nous fûmes bientôtchargés de cailloux, de plantes et de coquilles, au point qu’il fallutse rassembler et comparer ce qu’on avait recueilli, afin de ne garderque ce qui était important. Nous conservâmes les plus grandes étoilesvivantes que nous pûmes trouver, et deux éponges branchues que le flotavait déposées sur le sable.
Nous conservâmes sur-tout un bloc d’argile qui nous parut présenter leplus grand intérêt.
Ilen existe un très-grand banc sur ce rivage : les briquetiers du Havreviennent en enlever quand la mer est basse ; ils en font de la tuile etdes pavés fort durs, dont la couleur est blanchâtre au lieu d’êtrerouge.
Mais le morceau que nous trouvâmes avait cela departiculier, qu’il était dur comme une pierre par un de ses côtés,tandis que par l’autre il n’était que durci comme l’argile battue.
Nousretournâmes à l’endroit où ce morceau d’argile avait été pris : nousvous convainquîmes que sur un banc d’argile enfoncé d’un pied sous leniveau du rivage, il y avait un autre banc absolument pétrifié, etoffrant dans ses câssures les mêmes cavités et les mêmes veines que lebanc d’argile ; la seule différence qu’il y eût, c’est que le banc depierre contenait plus de coquilles que le banc d’argile, et queplusieurs de ces coquilles, qu’on nous dit être exotiques, neressemblaient nullement à celles qu’on trouvait éparses dans le bancd’argile.
Nous ignorons si cette croûte de pierre fait partie dubanc considérable qui a été particulièrement décrit par M. Dubocage, etqui contient beaucoup de coquillages, dont les analogues ne se trouventque dans la mer des Indes : il faut aller fort avant dans la mer pourvoir ce banc pétrifié qui se découvre très-rarement : on ne lui connaîtque neuf pouces d’épaisseur, et il est porté, comme celui que nousavons vu, sur un très-grand lit d’argile.
RETOURA LA VILLE : ESPOIR DEÇU : PHÉNOMÈNEINEXPLICABLE.
Nousserions restés plus long-temps sur le rivage, si la mer qui lerecouvrait en montant, et si la nuit, dont le terme approchait, ne nouseussent forcés de la quitter.
Nous chargeâmes donc dans noscorbeilles tous nos cailloux, nos blocs d’argile, nos goëmons, nosvarecs, nos étoiles et nos coquillages ; nous puisâmes de l’eau de merpour avoir des insectes phosphorescens, et nous gravîmes sur lesrochers de lahève, afin de visiter les phares renommés qui sontplacés sur la côte. Leur lumière s’apperçoit de fort loin dans lestemps calmes et sereins, et elle sert à diriger, pendant la nuit, lesvaisseaux qui viennent en rade.
Le gardien recueille, sur lerivage et dans les débris des bancs pétrifiés, des fossiles dedifférentes espèces ; nous vîmes ce qu’il possédait de curieux en cegenre, et nous retournâmes vers le Havre, dont nous fûmes prévenus queles portes une fois fermées ne s’ouvraient plus qu’au jour.
Quandnous eûmes déposé le butin de notre expédition, nous vîmes sur tous nosvarecs de nombreuses étincelles qui nous rappelèrent nos insectesphosphorescens, et nous vidâmes l’eau de mer, que nous avions puisée,pour les y reconnaître.
Mais nous fûmes trompés dans notre attente, et nous n’en découvrîmespas un seul.
Lapremière idée qui se présenta, fût qu’ils avaient péri dans letransport, ou qu’un peu de liqueur fermentée, qui était peut-êtrerestée au fond de la phiole, les avait tués, ou que l’eau prise à merbasse n’était pas féconde en insectes comme la mer haute. Aussi-tôt unde nous alla chercher de l’eau de mer au port ; mais quand il fût deretour, l’examen que nous fîmes ne nous offrit rien de plus que lapremière eau.
C’est dans de pareilles circonstances, lorsque laconfiance inspirée par le passé se trouve déçue tout-à-coup, quel’imagination va quêter au loin toutes les causes et toutes lesexplications que sa fécondité suggère. Nous ne rendrons point compte detoutes les idées qui nous vinrent, nous dirons seulement que les essaisdu lendemain ne furent pas plus heureux, et que suivant d’anciennesobservations, dont nous vîmes un journal quelques jours après, et donton nous parla dès-lors, il paraît que la lumière de la mer n’est pasaussi régulièrement périodique que son mouvement.
Il y a eu desannées où la mer a été lumineuse de très-bonne heure ; il y en a eud’autres où sa lumière n’a paru que fort tard, d’autres où cettelumière a cessé d’être visible tout-à-coup, en sorte que le lendemaindu jour où elle avait paru très-brillante, on ne voyait pas une seuleétincelle.
Ces observations, dont nous ne pouvions révoquerl’exactitude en doute, nous jettèrent dans de nouvelles incertitudes ;nous cherchions les causes qui pouvaient anéantir, dans un instant,cette prodigieuse quantité d’animalcules dont la mer était peuplée ;nous eussions d’autant plus desiré connaître ces causes, que nousétions précisément dans un des cas que les observations avaientconstatés.
Ce qu’il y avait même de plus piquant, c’est qu’ilfallait que les insectes eussent disparu dans l’intervalle des deuxdernières marées, puisque les varecs, que la dernière mer avaitbaignés, en étaient couverts, et que le retour de la seconde marée n’enoffrait aucun.
TRAVERSÉERAPIDE : LES GROS POISSONS : LECHIEN DE MER.
Cependantnous avions d’autres recherches à faire sur la rive opposée : nous nousdisposâmes à retourner vers notre tente, et nous descendîmes aupassager que la mer venait de mettre à flot. Le tems n’était pas alorsaussi paisible que la veille, les vagues écumaient sous le vent qui leschassait, le paquebot n’était pas seulement balancé, c’étaient desbalotemens qu’il éprouvait ; et de plus nous étions menacés d’une pluieprochaine.
Mais le vent était superbe,au dire des matelots ;la maréene devait être que de trois quarts-d’heure, et rienn’annonçant le plus petit danger, nous entrâmes gaiement à bord, nousmîmes au large, le bâtiment se mit en route sur le babord, et dans unquart-d’heure à peine vîmes-nous, vers l’arrière, la patriedesScudery, des Lafayette, (noteXIII).
Bientôt après, les côtesde Honfleur s’avancèrent à notre rencontre, les objets grandissaient àvue d’œil, la mer était bouillante à l’avant, et marquaitàl’arrièreun sillage à perte de vue : quelquefois il venait à borddeux ou trois muids d’eau dans une lame qui mouillait tout le monde,mais personne ne fût malade ; la traversée ne dura que cinquanteminutes, et nous arrivâmes sains et saufs à Honfleur. Nous y trouvâmes,comme la veille, une poissonnerie abondante : des soles de 18 pouces delong, des rayes énormes et de grands turbots, qui nous rappelèrent laquatrième satyre de Juvenal, et la charge de Potier suivant la Cour,que l’embarras de faire cuire un poisson de cette espèce en son entier,fit ériger à Rome, selon ce poëte, sous l’empereur Domitien.
Undes poissons que l’on pêche fréquemment sur la côte, et qu’on recherchele moins, est un squale,qu’on nomme aiguillat,ou chien de merépineux (27). Il porte au-devant et à l’insertion de chacune de sesnageoires dorsales une pointe dure, fort aigue, qui ressemble à de lacorne, et qui est un peu arquée vers la queue du poisson. Ces pointesdures doivent être une arme ou une défense pour ce chien de mer ; maisil n’est pas aisé de découvrir comment il s’en sert, parce qu’elles neparaissent pas placées avantageusement, et qu’étant fortement attachéessur la colonne vertebrale, ce poisson ne doit avoir aucune facilitépour s’en servir ; cependant il y a beaucoup de chiens de mer qui ontune de ces pointes rompue, et cela porte à croire qu’ils en font usage.
 Lafig. (G) de la planche III, représente celle de la seconde nageoire,vers la queue, sur un squale qui avait deux pieds de longueur : elleest dessinée de grandeur naturelle.
La fig. (H) de la même Pl.représente la forme des papilles de la peau du squale, dessinées aumicroscope, et cette forme des papilles, qui paraissent de la mêmenature que les pointes, explique le motif qui fait employer la peau,dans les arts, pour polir le bois.
Au reste ce ne sont ni lespointes, ni les papilles qui sont le plus remarquable : ledéveloppement du fœtus et les particularités de la gestation le sontdavantage : voici les observations que nous avons eu lieu de faire à cesujet.
La figure (A B) planche troisième, est celle d’un fœtusd’aiguillat, et de l’œufà l’aide duquel il s’est développé. L’un etl’autre sontunis par un prolongement des enveloppes membraneuses del’œuf, quis’attache au fœtus,vers la région de l’œsophage etremplit les fonctions de cordonombilical.
Cette figure a étédessinée de grandeur naturelle, d’après un fœtus qu’une jeune femelleportait avec trois autres à peu-près égaux : ils étaient contenus tousles quatre dans la même enveloppe sans lui être unis par aucunlien nipar aucune attache.
Ils coulaient au contraire librement à côtéles uns des autres, et telle est la mobilité de l’œuf et du fœtus, quepour les faire sortir de la mère, sans les désunir,il suffit assezsouvent de la tenir, pendant quelques minutes, dans une situationverticale.
On est donc obligé de reconnaître, dans la gestationde l’aiguillat, une exception à la loi générale des vivipares ; cardans cette classe nombreuse, c’est immédiatement de la mère, que lefœtus reçoit la nourriture, au moyen du placenta ; au lieuque danscette espèce de squale,le fœtus ne tire la sienne que de l’œuf, sansque cet œuf adhèreà la mère.
S’il nous était permis dehasarder une conjecture, d’après ces observations, nous dirions qu’ilnous paraît probable qu’à la fin de la gestation, la femelle del’aiguillat est à-la-fois délivrée de l’œuf et du fœtus, sans qu’ilscessent pour cela d’être unis. Leur isolement de la mère,avant cetteépoque, fait présumer qu’ils peuvent exister sans elle, au moinspendant quelques temps, et les autres observations ne laissent pas dedoute sur la possibilité de cette délivrance.
S’il fallaitensuite chercher les avantages, ou la nécessité de cette nouvelleexception aux lois générales, il nous semble qu’on pourrait les trouverdans les besoins même du fœtus au sortir de la mère.
Trop faibleencore à sa naissance, et trop incertain dans ses mouvemens, le jeuneaiguillat ne pourrait ni saisir une proie, ni s’élancer sur elle, etprivé des secours de la mère, à qui la nature n’a point donné lesmamelles des vivipares, il périrait bientôt si l’œuf ne continuait delui fournir, pendant quelque temps, ses fluides alimenteux,au défautdu lait maternel.
Au contraire, à l’aide de cette nourrituresupplémentaire, il prendrait des forces et les essayerait à mesure ; ilacquérrait de l’agilité par l’exercice : lorsque l’œuf cesserait d’êtreutile, il cesserait en même temps d’être nécessaire, le cordon sedessécherait….. Mais le jeune squale, instruit par l’habitude, etconduit par l’instinct, se suffirait à lui-même et pourrait seulpourvoir à ses besoins.
S’il en est ainsi, l’œuf nourricierdel’aiguillat sera comme les feuillesseminales des plantes, quisuivent la Plumule quand elle sort du sein de la terre, et que lesbotanistes se plaisent à comparer aux mamelles des animaux, parce queces feuilles précieuses leur paraissent en remplir les fonctions(note XIV).
LEGRAND OSIER : LA CASCADE.
Il y a sur laroute d’Honfleur un osier très-gros, qu’on voit à côté d’un moulin bâtiprès de la grande route (28). Quelques-uns de nous en mésurèrent lesdimensions, et ils trouvèrent qu’il avait huit pieds onze pouces (2mètres 90 centimètres) de pourtour, trente-quatre pieds de tigejusqu’aux branches et, par apperçu, vingt-quatre pieds de hauteur debranches et de couronnement. On nous dit qu’il y avait, dans lesenvirons, un pressoir dont la grosse pièce était faite avec un osierplus fort que celui-ci : mais il était trop éloigné de la grande route,pour que nous pussions l’aller voir, et les dimensions qu’on venait demesurer, sur le premier, rendaient probable ce qu’on nous disait dusecond.
Nous ne tardâmes point à retrouver la cascade de Joble,dont nous avions différé la visite, et l’honnête propriétaire duterrain dans lequel le courant se précipite, s’étant empressé de nous yconduire, nous descendîmes par un ravin profond, dans une grotteombragée d’arbustes, sur laquelle sont suspendus des blocs de sableconcret, qui s’éboulent quelquefois pendant l’hiver, et que l’eaudésunit, en les lavant, pour en reporter les débris à la mer. Nousreconnûmes une espèce de tourbe très-précieuse, observée parScanegatti, au commencement de 1789, et nous en prîmes des morceauxdont la qualité ressemble parfaitement à la description qu’il en fit àl’Assemblée provinciale de Haute-Normandie (note XV). Nousadmirâmesl’aspect agreste et sombre de cette espèce de souterrain : le bruit del’eau qui se précipite dans les puits qu’elle creuse ; et qui s’enfuità travers les rochers qu’elle a minés : la fraîcheur du lieu, pendantque tout était brûlé dans la campagne : la solitude d’un bas-fond,au-dessus duquel passe une route fréquentée : les plantes, dont le verdnaissant et frais tranche sur la teinte rembrunie de la terre détrempée: la mousse épaisse et rase, qui semble être une ouate étendue pouradoucir l’âpreté de la roche.
Les végétaux qui y fuyent le jour et l’aspect du soleil, croissent enabondance dans ce séjour obscur et humide.
Lesarbres, qu’on a plantés sur le penchant du coteau, s’élancent vers sonsommet pour y trouver la lumière : ils portent sur une longue tige, desrameaux effilés : les feuilles n’éclosent qu’à la pointe des brancheset dans les arcs de la voûte qu’elles forment.
Nous ne trouvâmesde plantes remarquables que la circée (29) et le rossolis (30), et noussortîmes du ravin, en nous entretenant de ces sites, autrement sauvageset terribles, dont le voyageur s’épouvante : de ces cataractes, dontle bruit se fait entendre à plus d’un mille : de ces torrens de troiscents pieds de hauteur, dont les éruptions se brisent en tombant sur leroc, rejaillissent avec violence et remontent, comme un brouillardépais, jusqu’au dessus de leur source, pour retomber en pluie dans lesfleuves qu’elles grossissent (31).
Des hommes frappés de laforce et de l’importance du courant de Joble, avaient essayé deconstruire au fond même de la grotte une de ces mécaniques, plusconnues en Hollande qu’en France, qui font mouvoir plusieurs sciesparallèles, au moyen d’une roue, et qu’on emploie pour refendre desplanches et pour scierde long.
L’établissement fut-il malconçu, ou mal conduit ? nous n’en savons rien ; nous savons seulementqu’il n’a pas duré cinq années et que le bâtiment, qu’on avoit élevésur pilotis, s’affaissa bientôt dans des éboulemens.
Néanmoinsil est également certain qu’on pourrait tirer un parti avantageux decette position : nous avons appris que de riches capitalistes, qui enconnaissent les avantages, ont pris à rente une petite portion de ceterrain, et qu’ils acquittent leurs engagemens avec exactitude.
Onignore quels sont leurs projets, mais il est aisé de concevoir àcombien d’usages peut être heureusement employé un courant rapide quine tarit jamais, et qui peut avoir au-delà de quarante pieds de chûte.
OCCUPATIONDES NATURALISTES : OPÉRATION DESMATHÉMATICIENS : OBSERVATION SUR LENOSTOC.
Aprèsêtre sortis de la cascade, nous suivîmes de longues falaises quidominent la mer : nous n’apperçûmes, dans cette partie du chemin, quequelques laureoles (32).
Plus loin nous trouvâmes dans leschenevières l’orobanche branchue (33) : cette plante doit être rangéeparmi les parasites, et nous ne l’avons trouvée, nulle part ailleurs,que dans les chenevières. Dans le pays, on regarde ordinairement safleuraison comme l’indication certaine du moment où l’on doit cueillirle chanvre femelle, c’est-à-dire, celui qui porte la graine.
Nousrentrâmes, avec plaisir, sous la tente ; nous déposâmes, en commun, lesfruits de nos recherches : et le lendemain matin, les uns s’occuperentà disposer les grands varecs entre des cartons, à coller sur du papierles fucus capillacés, tandis que les autres allèrent au bord de laSeine mesurer sa largeur avec le graphometre (34).
Tous nefurent pas occupés à ce travail, qui étoit particulièrement du ressortdes mathématiciens : plusieurs, en cherchant si le galet du rivage neleur offrirait point quelques objets curieux, trouvèrent un très grosfragment du noyau pétrifié d’un de ces planorbes, vulgairement connussous le nom de cornes d’ammon (noteXVI). D’autres observèrent uneespèce de nostoc sur les bords relevés d’une ornière, et le phénomènequi les frappa davantage, dans cette production peu connue, fut uneapparence de mouvement et de vie, qui se manifestait particulièrementdans les intermittences des rayons solaires. Ils nous dirent qu’aumoment où la lumière touchait le nostoc, les inégalités de sa surfaceproduisaient une réflexion ondoyante, que son volume paraissait segonfler et s’agrandir ; qu’au contraire, lorsqu’un nuage ramenaitl’ombre sur le nostoc, il paraissait s’affaisser sur sa base, diminuerde volume, et devenir sensiblement concave.
Mais ils nousprévinrent qu’ils n’étaient pas surs que les choses fussent absolumentce qu’elles leur avaient paru : qu’il pouvait se faire que cesapparences ne fussent que l’effet de la réflexion de la lumière ou desa réfraction ; qu’ils n’avaient pu continuer long-temps leursobservations, parce que le ciel s’était enfin totalement couvert, etqu’il faudrait soigneusement examiner le nostoc, sous ce rapport, s’ilarrivait qu’on en retrouvât (35). On prit géométriquement, et par lesmoyens mécaniques, la mesure du planorbe. Le morceau qu’on avait trouvépouvait être regardé comme l’arc d’une des volutes de ce crustacé, etnous nous convainquîmes qu’en la considérant comme un cercle, elleavait du avoir quatorze pouces de diamètre.
Du reste nous nesommes pas certains que ce fût le plus grand cercle du planorbe, parceque ni l’une ni l’autre des extrémités du tronçon ne paraissaitindiquer la bouche.
La coquille adhérait encore en plusieursendroits à ce fossile ; il portait en quelque sorte avec lui les titresde son origine, et donnait exactement la forme du creux dans lequel ils’était moulé.
LABARRE.
Le même jour nous vîmes uneparticularité remarquable des marées. Les pilotes du Hâvre lui donnentle nom de verhôle, on lui donne celui de mascaret, dans les ports dumidi ; et sur toute la partie de la Seine, où ce phénomène se faitsentir, on lui donne le nom de barre. Cette dénomination a du moinsl’avantage de se rapprocher de la forme qu’il présente.
La barren’est pas également sensible dans toutes les marées, elle n’est mêmepas apparente dans le plus grand nombre : ce n’est que dans les maréesde la pleine et de la nouvelle lune qu’elle est très-élevée : c’estsurtout dans les équinoxes qu’elle a les plus grands effets.
Cephénomène consiste dans la manière brusque et rapide avec laquelle leflux remplit le lit de la rivière, aux époques de la pleine et de lanouvelle lune. Dans d’autres temps, le flux est toujours moinsimpétueux ; il couvre le rivage progressivement et sans secoussemarquée : mais dans la pleine et la nouvelle lune, c’est par irruptionqu’il se gonfle, le rivage est inondé presque subitement, et le premierflot, qui s’élève tout-à-coup de plusieurs pieds au-dessus du niveau dela rivière, se répand avec assez de rapidité, pour qu’un homme puisse àpeine le suivre en courant.
Il est même très-dangereux pour lesbarques d’une construction médiocre. Quand il les heurte par le côté,il les culbute infailliblement, et ce n’est qu’en lesprésentant deboutà ce flot impétueux, qu’on les préserve des accidens qu’ilpeut causer.
Ce phénomène est l’effet de la différence qui setrouve entre la largeur de la rivière à son embouchure, et celle de labaie qui forme une espèce de golfe sur l’ocean.
Le flux,toujours plus sensible dans les syzygies (36) que dans les quadratures(37), élève dans la baie un très-grande quantité d’eau qui doit bientôtse répandre dans l’embouchure que la rivière lui présente : mais cetteembouchure est beaucoup plus étroite que la baie, et les côtes, qui larétrécissent de plus en plus, ne permettant point à la marée de coulerrapidement, l’eau doit nécessairement se gonfler et s’élever d’autantplus, sur la rivière, que le flux est plus abondant. Il nous semble quela même chose doit se faire remarquer aux embouchures de toutes lesrivières, et que labarre doit y être plus ou moins sensible, selonque les causes que nous lui assignons sont plus ou moins grandes.
LAPOINTE DE LA ROQUE : LES PLANTES : LESFOSSILES.
Lelendemain fut le jour fixé pour aller voir un site intéressant, dontnous avions plusieurs fois entendu parler, et que nous avions tous lesjours en perspective. Il est ordinairement désigné sous la dénominationde pointe de laRoque, du nom même de la commune où il est placé, etde la pointe de rocher qui termine ce terrain.
Nous savionsqu’après les éboulemens causés par la gelée des hyvers un peu rudes, ony trouve une grande quantité de coquilles : nos mathématiciensvoulaient vérifier les mesures qu’ils avaient prises de la largeur dela Seine : les dessinateurs voulaient prendre des points de vue : nouspartîmes donc pour cette expédition avec les instrumens demathématique, la chambre obscure, le télescope, quelques lunettes, descrayons, des corbeilles ; et des outils pour extraire les fossiles.
Noustraversâmes toute la vallée de la Risle, à l’embouchure de la rivière.Nous remarquâmes sur un paturage, qui appartient à la commune deConteville, une très-grande quantité de gentiane, improprement appeléepetite centaurée, et nous en cueillîmes plusieurs faisceaux, parcequ’elle nous parut avoir cette précieuse qualité fébrifuge qu’on luiattrîbue (38). Nous cueillîmes encore, dans l’étendue de ce terrain,que nous parcourûmes, différentes plantes que nous n’avons pointtrouvées ailleurs (39).
Enfin nous passâmes la Risle et nous parvînmes, en cotoyant lamontagne, à lapointe de la Roque.
 D’uncôté de cette pointe, vers l’orient, est un vaste terrain que la mercouvrait autrefois, et qui forme une anse de plus de deux lieues deprofondeur, sur environ trois lieues d’ouverture. De l’autre côté, versl’occident, est la vallée que la Risle arrose, et qui peut avoir troisquarts de lieue de large.
Ainsi, des deux côtés de cette pointe,le terrain, très-uni dans toute son étendue, offre un sol plus ou moinsfertile et parfaitement nivelé, tandis que sur la ligne, qui sépare cesdeux plages, on voit se prolonger une montagne étroite et longue, quise dirige en pointe vers la Seine, mais qui ne se termine pas en penteadoucie. Au contraire sa coupe escarpée s’élèveperpendiculairement à sa base, et présente des pics isolés que ladureté de leurs assises a préservés de la chûte, dans les éboulemensannuels.
Du haut de la montagne jusqu’au sol où elle pose, c’estun aspect rude et scabreux de roches et de sables arides, d’arbrisseauxà moitié déracinés, de blocs saillans, de crevasses profondes et deruines menaçantes ; tandis qu’au pied de la montagne, c’est un terrainfertile, couvert d’une herbe succulente, qui nourrit des troupeaux sansnombre.
Nous considérâmes, avec surprise, ces bancs de silice etde terre calcaire, alternativement superposés, ne laissant voir dedifférence entr’eux que dans leur épaisseur, gardant le plus parfaitparallelisme, sur une longueur de plusieurs lieues, offrant l’imaged’une construction semblable à celle de la maçonnerie, et representantles assises régulières des pierres que les ouvriers intelligensalignent, dans les gros murs qu’ils veulent rendre solides.
C’estparticulièrement dans les pics de cette roche, qu’on remarque cettedisposition des différens lits dont elle se compose ; et s’ils étaienttransposés sur un autre sol, il ne serait pas étonnant qu’on les pritpour un ouvrage de la main des hommes, tant les assises sontuniformes et paralleles.
Ce spectacle avait agi surl’imagination de nos dessinateurs ; quelques-uns avaient déjà lescrayons à la main, d’autres cherchaient des points de vue, afin devarier les sites ; et tandis qu’ils se préparaient à nous en conserverle souvenir, les mathématiciens choisirent des points, établirent leurbase et se promirent une vérification exacte des opérations de laveille.
Les botanistes allèrent cueillir des plantes ; (40) lesnaturalistes, armés de leurs marteaux et de leurs ciseaux à froid,gravirent sur les rocs entassés, dont les cassures offraient desfossiles, et parvinrent à ramasser des vis (41), des cornets (42) etdes rouleaux (43), des buccins (44) des oursins de toutes les espèces(45), des peignes (46), des cames, des cœurs (47) et des petites masseséparses d’oxide fer (48).
Ils trouvèrent encore des fossileslongs et arrondis, offrant dans la coupe une sorte d’enveloppe oud’écorce calcaire sur un noyau de silex, semé de points opaques etreprésentant les cavités d’un ancien tissu cellulaire.
Aupremier aspect, on eût pris ces fossiles pour des os pétrifiés ; maisils nous parurent être des madrépores : nous en avons mis, sur lameule, quelques fragmens qui ont pris un assez beau poli.
Enfinon trouva plusieurs pierres figurées connues sous le nom de dendrites,et des cailloux, dont la cassure offrait des nuances très-vives dedifférentes couleurs ; mais ces couleurs n’ont point été à l’abri del’action de l’acide carbonique de l’atmosphère, ou du contact de lalumière, et elles se sont ternies très-promptement.
Toutes cesrecherches prirent beaucoup de temps, sans que personne se fatiguât deleur longueur ; et quand les excursions furent terminées, on se réunitune seconde fois au pied de la montagne, on se communiqua le fruit deses recherches : les dessinateurs, malgré les obstacles que leuropposait le vent qui soufflait avec force, étaient parvenus à esquisserdifférentes vues ; nous adoptâmes unanimement celle qui est gravée,planche 4, comme exprimant un plus grand nombre de détails (49).
Cependantnous ne connoissions encore qu’une partie des avantages de ce terrain,nous n’avions vu que le pied de la montagne, et les botanistes, quis’étaient élevés jusqu’au sommet, nous confirmèrent tout ce qu’on nousavoit dit de l’étendue de l’horizon et de la beauté des différenspoints de vue dont on y jouissait.
Il faut donc arrêté que nousy reviendrions le lendemain matin, et nous retournâmes à la tente, avecles collections dont nous étions chargés.
LESANTIQUES : LES DÉSERTEURS :
Onnous avait apporté, pendant notre absence, divers objets d’antiquitéque nous examinâmes à notre retour. Parmi ces objets, il y avait unemédaille du bas-Empire, dont le revers attira toute notre attention :sa légende n’eût pas eu plus de justesse et de vérité, quand elle eûtété faite pour les circonstances glorieuses où la France se trouvaitalors.
La figure était celle d’un guerrier, s’appuyant d’unemain sur son bouclier, et de l’autre présentant une branche d’olivier ;on lisait, autour de la médaille, les mots latins, Marti pacifero(50). Les dessinateurs la copièrent, sous de plusgrandes proportions,parce que cette médaille n’est que de petit bronze : les traits en sontgravés avec exactitude planche 5.e lettre B.
 Les figures de lamême planche, sont celles d’autres objets qui furent trouvés, il y aquelques années, dans la commune de Préaux, près le Pont-Audemer. Lapierre de l’anneau (D) est une hyacinthe dont la gravure présentel’image d’un soldat romain sous les armes (E). Cette pierre est malgravée ; elle était montée en argent, et son grand axe se trouvait dansle plan du cercle de l’anneau. La fig. C. représente une petite cuillerd’argent, dessinée de grandeur naturelle.
Ces objets furenttrouvés presqu’à fleur de terre, dans un terrain couvert de ronces,qu’on défrichait alors pour le rendre à l’agriculture : ils étaientrenfermés, avec 600 médailles de petit bronze et quelques autresmédailles en argent, de la même grandeur, dans un vase d’airain, quereprésente enpetit la fig. A. Ce vase était fait au marteau : sahauteur était d’un pied, et l’on a scrupuleusement suivi sesproportions dans le dessin qu’on en a fait.
Ce qu’il y eût eu,selon nous, de plus important à conserver : ce dont nous déplorâmestrès-vivement la perte, était un morceau de toile, ou d’étoffe, qu’onnous dit avoir été trouvé, dans ce vase, avec les antiques.
Leseul récit qu’on nous en fit, nous affecta comme si nous eussions eucet objet présent : il nous semblait qu’il eut été du plus grand prix,par les indications qu’il eût pu fournir sur les fabriques de cetemps-là. Mais les hommes qui l’avaient trouvé, ne virent à saconservation aucun motif d’intérêt. « Il était tout consommé » ditnaïvement l’un d’eux « il n’était propre à rien, on le jetta dehors. »
Nousmîmes alors en usage divers moyens, pour leur faire entendre que cetteétoffe était infiniment au-dessus de tous les lingots d’argent que levase eût pu contenir, nous leur donnâmes des regrets sur la pertequ’ils avaient faite, et depuis cette époque nous avons fait ce quidépendait de nous, afin d’inspirer du respect pour tous les objetsd’antiquité qu’on déterre : nous desirons que cela puisse servir à lesfaire conserver avec plus de soin.
Les mêmes citoyens nousdonnèrent encore deux autres pièces de cuivres (1 et 2). La figure 3présente le dessous de la même pièce, dont le dessus est indiqué n.° 2.Nous n’attachâmes point un grand prix à ces objets, que nous regardâmescomme l’agraffe d’un baudrier ; nous n’en avons conservé les traitsqu’à cause de la grossièreté du travail, et parce qu’il est néanmoinsvraisemblable, que cette agraffe avait appartenu à quelque homme demarque. En effet elle a été trouvée dans un cercueil de pierre, qu’on adéterré depuis quelques années, avec beaucoup d’autres, à une demilieue de Pont-Audemer. Les lignes paralleles de la figure n.° 1. sontdes sillons creusés, à la lime, dans l’épaisseur de la pièce, pourtenir lieu d’ornement et de ciselure ; et il faut regarder comme un desproduits du même goût, les points enfoncés qu’on voit entre ceshachures et sur toute la surface de la fig. n.° 2.
Nousconservâmes ces pièces, ainsi que plusieurs médailles trouvées dans levase fig. A., et l’anneau fig. D., pour les porter à l’Ecole centraleavec nos collections.
Les insectes phosphorescens ; lesintermittences de leurs apparitions, et la cessation subite duphénomène nous occupèrent aussi pendant le même jour. Quelques-unsproposèrent d’aller, après souper, faire une nouvelle tentative sur lerivage, afin d’examiner si ces insectes ne paraîtraient point ce soirlà, et tous voulurent prendre part à cette recherche. Nous ne vîmes pasun seul insecte dans l’eau de mer que nous puisâmes, à diversesreprises, et en différens endroits : mais nous en apperçûmes plusieursdans les varecs épars que le flot avait poussés sur le rivage. Celanous fit regretter de n’avoir pas une plus grande quantité de varec ànotre disposition : nous nous rappelâmes l’observation du Hâvre où nousavions vu, pour la première fois, les insectes sur le varec, et nousarrêtâmes qu’un de nous irait sur la grève de Honfleur, où nous avionstrouvé beaucoup de varec, pour prendre, sur ces végétaux, tous lesrenseignemens que l’observation lui fournirait.
Nous apprimes, ànotre tour, que des ordres avaient été donnés pour la recherche deplusieurs déserteurs qu’on disait avoir été vus marcher en troupe dansla campagne, et sur les intentions desquels on avait des craintes.
Cettecirconstance pénible nous fit désirer vivement le retour de la paix, etla légende de notre médaille revint à notre esprit. Nous plaignîmes lapatrie d’être réduite à se défendre contre ses ennemis et contre sespropres citoyens : nous fûmes extrêmement affligés du tourment de cesinfortunés qui se trouvaient, par la désertion, en révolte contre lessentimens de leur conscience, et que les angoisses, toujoursrenaissantes, de leur position devaient rendre insensibles aux beautésde la nature, que nous admirions dans toutes les heures du jour.
L’INTÉRIEURDES MONTAGNES : LE CAMP DES ANGLAIS: LES CERCLES MAGIQUES.
Lelendemain matin, nous partîmes pour la seconde expédition de la roque.Avant de monter sur la hauteur, nous voulûmes revoir les sitespittoresques de la veille, les blocs suspendus, les excavations, leséboulemens et les assises paralleles de la montagne.
Ce dernierpoint nous faisait toujours une impression profonde, il nous présentaitles traces du travail successif des alluvions, dans la formation desmontagnes, et nous ne pûmes nous défendre de ce sentiment de plaisirque donne l’évidence, lorsqu’en comparant le flanc de cette montagne,où les bancs étaient si marqués, aux attérissemens herbés que la mer aformés depuis, au pied de la roche, nous vîmes, dans la coupe de ceterrain, le même mécanisme de construction, le même parallelisme desassises, en un mot, la preuve irréfragable que les couches du bancd’alluvion et les assises de la montagne étaient produites par la mêmecause : excepté seulement que la mer, beaucoup plus élevée sur le sol,quand elle posa les fondemens de la colline, agissait en grand avectoute la puissance des courans et des grandes marées ; au lieu que lesbancs, qui se sont formés au pied du roc, ne sont que le produit desdernières lames du flux et du reflux, et n’ont pas, à beaucoup près,l’épaisseur de ces bancs de silice et de terre calcaire qu’on voit dansla montagne.
A quelle époque ceux-ci furent-ils entassés les unssur les autres ? combien y a-t-il de temps que ces grandes alluvionssurmontèrent le sol primitif ? c’est un problême dont quelques heureuxhasards offriront peut être la solution ; jusqu’à présent rien ne peutservir à la faire connaître : mais combien de siècles n’a-t-il pasfallu pour endurcir le limon de silice, où furent enveloppés lescoquillages qu’on y voit aujourd’hui !
Nous n’osons rienaffirmer sur les conjectures que fait naître l’aspect de ces pierresqui présentent tantôt le silex enveloppé de terre calcaire, et tantôtla terre calcaire au sein du silex : mais il n’y a rien qui puisseattirer plus sérieusement l’attention du naturaliste que l’intérieur deces masses hétérogènes.
Au milieu de leurs cassures, vous voyezdes oursins dont le centre siliceux est transparent comme l’agathe,tandis que l’enveloppe et le creux formé dans le caillou par l’oursin,sont assez profondément calcaires ; après cela, le silex reparait dansune épaisseur plus ou moins grande, jusqu’à ce que sa transparencediminuant peu à peu, et comme par couches, le bloc se confonde à lafin, par le ton, la couleur et la dureté, avec la pierre calcaire quiforme sa dernière enveloppe.
Nous avons cassé beaucoup de ces cailloux dans lesquels se sontoffertes ces apparences d’enveloppes et de couches roulées.
L’épaisseurde ces couches était souvent la même, et leur succession régulière etparallele ne servait qu’à augmenter nos incertitudes. Nous nousdemandions par quel moyen le limon de silice avait pu acquérir satransparence et sa dureté, à des profondeurs qui paraissaientinaccessibles à l’action de tous les fluides répandus dans l’atmosphère!
Cependant nous avancions vers le sommet de la colline ; déjàdes points de vue magnifiques s’offraient à nos regards, et nousparvinmes au point le plus élevé du plateau, qu’on appelle dans lepays le campdes Anglais. On n’a pu nous dire d’où vient cettedénomination : les vestiges de quelques anciens fossés, dont on voitencore la direction, ressemblent plus à des dispositions de culture etd’enclos rural, qu’aux lignes simétriques d’un camp.
Mais cette position est admirable par la beauté du spectacle qu’elleoffre de tous les côtés.
Descollines cultivées et couvertes de bois vers le sud : la Seine, vers lenord, avec les côtes du pays de Caux, couronnées de grands arbres etvivifiées par des habitations : à l’orient, un immense terrain bordépar une chaîne de montagnes demi circulaire, avec des attérissemensfertiles qui s’étendent jusqu’au-delà de Quillebeuf : et versl’occident la superbe embouchure de la Seine et les rives qui labordent ; les ports de Honfleur et du Havre ; le mouvement que donnentau tableau toutes les barques qui montent la rivière ou qui ladescendent.
Le sol lui-même nous offrit des productions que nousn’avions pas encore trouvées : nous vîmes, sur la pelouse, un grandnombre de ces bandes circulaires, connues sous le nom d’anneaux, oucercles magiques, et dans la largeur desquelles on voit un gazon plusou moins différent de celui qui se trouve en dehors et en dedans de cesanneaux. La différence qu’on remarque entre la couleur des bandes etcelle du gazon environnant, n’est pas toujours du même genre ; il y ades temps où le gazon des anneaux est plus frais et plus vert que celuiqui les entoure ; il y en a d’autres où il est au contraire sec etfané, tandis que celui des environs conserve encore sa fraicheur(note XVII).
Du plateau sur lequel nous nous étions reposés,nous marchâmes vers lapointe de la roque, afin de voir, d’en haut,les pics et les éboulemens qui, la veille, avaient été dessinés d’enbas. Ce fut un spectacle d’un autre genre, et presqu’effrayant parl’âpreté de la coupe de la montagne et sa chute perpendiculaire. Lesmesures, que nous avions prises, de son élévation, avaient étécalculées, mais les calculs n’avaient point été vérifiés, etl’estimation, que nous fîmes alors de la hauteur, nous donna quelquesinquiétudes sur l’opération de la veille.
Plusieurs pensèrentqu’il y avait de l’erreur : un de nous le soutint même avec assezd’assurance, pour nous faire soupçonner qu’il avait plus que desapperçus, et il convint que pendant les opérations des mathématiciens,il était secretement monté sur la pointe et qu’il en avait mesuré lahauteur avec un plomb. La certitude de cette vérification fit chercherla cause de la différence des résultats ; on la trouva dans le choixqu’on avait fait d’un pic, comme le plus élevé, quoiqu’il ne le fut pasréellement. En effet, sa pointe rapprochée cachait la plus grandeélévation de la montagne, et quoique l’opération et les calculs eussentété régulièremen[t] faits, cette illusion avait cependant produit uneerreur de dix pieds.
Mais l’isolement de cette montagne et sonescarpement nous présentaient l’apparence d’une erreur bien plus grandeet nous l’eussions très-mal jugée, si les vérifications et les calculsn’avaient été employés pour connaître la hauteur réelle (note XVIII).
Laseule plante remarquable que nous trouvâmes fut la digitale jaune (51); mais nous vîmes une très grande quantité de papillons, notamment desagrestes, des petits argus de montagne, etc. (52).
Nous nousprésentâmes ensuite chez le maire de la Roque, à qui nous avionsd’anciennes obligations, parce que c’était à sa recommandation quel’Ecole centrale devait les premiers tadornes que lui avait donnés lecitoyen Mabire, professeur d’hydrographie et de mathématiques àQuillebeuf (53).
Nous offrîmes au maire nos remercîmens et nos civilités, et nous luirendîmes compte du motif de nos excursions.
LETÉLESCOPE : LE BORD DE LA LUNE.
Le reste du jour fut employé à des observations microscopiques ; et lesoir nous considérâmes la lune avec le télescope.
Nous reconnûmes aussi sur le disque, les taches dont nous avions vu lafigure dans les cartes du ciel.
Maisnous ne vîmes point sans étonnement une apparence singulière, quel’instrument nous fit appercevoir, et dont nous n’avions point encoreentendu parler. Le limbe de la planète, qui nous semblait, à la vue,terminé d’une manière très-nette par une ligne circulaire, nous parut,dans l’instrument, sous la forme d’une suite d’aspérités quiprésentaient l’image d’une déchirure.
Les peupladesproblématiques de cette terre inconnue ne nous parurent pas aussiprobables qu’on a quelquefois voulu le faire entendre ; l’apparence decette espèce de cordonde pierre ponce, qui renfermait le disque,nous fit présumer que le globe se dessinerait toujours de la mêmemanière, sous d’autres aspects. Ses nuits de quinze jours noussemblèrent excessives, et la lenteur de caractère et de mouvementqu’auraient les habitans engourdis de ces climats, nous parut une sortede léthargie organique. Nous quittâmes ce spectacle pour reporter nosyeux sur les étoiles qui se trouvaient alors sur l’horizon : nousreconnûmes le signe du verseau, nous vîmes le lien des poissons, lebelier, les pleïades, etc.
C’est ainsi que la superbe théorie deCopernic doit être étudiée, plutôt encore que dans les livres qui enétablissent les bases et qui en développent les conséquences. C’est enprésence des astres que leurs révolutions doivent être expliquées, etnous sentîmes tout ce que dut avoir d’intérêt et de charmes, pourl’heureux magistrat de Vénise, l’ingénieux appareil de Galilée, sur lestours de St.-Marc (54).
Nous aurions vivement désiré voirJupiter, mais il n’était sur l’horizon que dans les heures du jour, etnous nous bornâmes à admirer l’usage que l’astronomie avait fait despassages fréquens et périodiques de ses satellites.
LESNOUVEAUX POINTS DE VUE : LES VIEUXHÊTRES.
Lejour suivant nous parcourûmes ce qui nous restait à connaître des côtesde la Roque et d’une commune voisine, nommée saint-Samson.
Lessites que nous avions vus la veille étaient magnifiques : mais lecoup-d’œil, que nous offrit l’autre partie de cette côte, étaitravissant par les contrastes qu’il réunissait.
Dans le lointain,la vue des grandes villes, des ports de mer et des vaisseaux, nousrappelait les idées du pouvoir, des richesses et de l’abondance quedonnent aux hommes le commerce et l’industrie ; mais, dans lespremiers plans,nous voyions l’image de la vie pastorale et douce dont jouit,au milieu des champs, l’homme paisible et bon, sachant apprécier lesvrais biens que fit pour lui l’auteur de la nature.
La premierepartie du tableau présentait à nos yeux tout ce qui peut élever l’ame,agrandir les idées, échauffer l’imagination et donner l’éveil auxpassions vives : la seconde nous offrait tout ce qui peut remplir lecœur de sentimens délicieux, dans une famille agricole et pure ; toutce qui rappèle les hommes à ces devoirs primitifs, qui les unissent parles services mutuels, et qui les rendent heureux par la générosité etpar la reconnaissance.
Tel fut, sans doute, le site enchanté oùse reposait Horace, quand il peignit, dans la même ode, le faux éclatdes cités et l’heureuse simplicité des campagnes ; les illusions de lafortune et les produits assurés de la charue ; la soif brûlante desrichesses et les jouissances paisibles de la médiocrité ; les crimesque l’or fait commettre et la bienfaisance qu’inspire l’usage des donsde la nature : enfin les naufrages où les ambitieux vont périr, et lessoins affectueux que reçoit la vieillesse au sein d’une famillepatriarchale.
Nous ne quittâmes ces heureux points de vuequ’avec peine, et nous exprimions nos regrets en nous en éloignant,lorsque nous découvrîmes la tente sur la côte opposée du vallon. Sablancheur la faisait distinguer parmi les différens tons du paysage ;nous nous plûmes à la considérer : sa vue nous rappela les objets quenous y avions déjà déposés ; elle nous fit penser à ceux que nousavions encore à recueillir, et nous reprîmes nos travaux et nosrecherches, en parcourant la côte orientale de la Risle.
Sonélévation qui en fait un lieu très-agréable, pendant la belle saison del’année, doit en faire un séjour bien incommode pendant l’hiver. Lescoups de vent du nord-ouest exercent, à son sommet, toute leurviolence, les arbres et leurs rameaux contractent une directionpenchée, comme s’ils étaient arrêtés et maintenus par des attaches ;les branches ne poussent point du côté du vent, c’est à l’oppositequ’elles se tournent, et c’est de ce côté-là seul que les boutonspeuvent se développer.
Nous remarquâmes surtout deux hêtresantiques battus par les tempêtes sur cette côte élevée. Ils tiennent auroc par des racines noueuses et entortillées, comme le lierre tient auxmurailles ; le chevelu seul a pénétré dans les fentes de la pierre,mais les racines n’ont pu s’enfoncer ; à mesure qu’elles ont grossielles ont surmonté la légère couche de terre végétale, qui couvre laroche, et s’étendant plus loin que les branches autour du tronc, ellesprésentent aujourd’hui l’aspect d’un assemblage tortueux, qu’unevégétation tourmentée a construit malgré tous les obstacles (55).
Nousne trouvâmes aucune plante nouvelle sur ce côteau, nous vîmes seulementquelques insectes : les papillons nommés par Geoffroi la petite tortue,le vulcain et la belle-Dame ; des sauterelles à ailes bleues, d’autresà ailes rouges, la sauterelle ensanglantée et des cicadelles écumeuses,autrefois nommées cigalesbédaudes (56).
LAGRANDE MARE : LES EPONGES D’EGLANTIER.
Noustraversâmes la largeur du plateau pour découvrir, de l’autre côté, lemarais vernier à l’extrémité duquel est un lac, connu sous le nomde la grandemare et désigné de même dans les cartes de Cassini.
Toutce que nous avions entendu dire de la position et des particularités dece lac, de la nature du terrain marécageux qui l’entoure : ce que nousappercevions de loin dans la manière dont on cultive ce même terrain :les nombreux potagers qu’il renferme et qui ont la forme de découpureslongues et parallèles, nous firent regretter de ne pouvoir, dès cetteannée, pousser nos recherches de ce côté-là.
Nous sentîmes dequel intérêt il serait, pour le pays, de rendre productif un aussivaste marais ; de convertir, en terre labourable, une surface immensede tourbières et de marécages, qui ne peut avoir, dans son état actuel,que des influences pestilentielles, qui cause, dans les environs, desfièvres automnales et donne aux riverains cette constitutionœdemateuse, qui n’a le caractère ni de la force ni de la santé.
Onnous a dit qu’une compagnie de Hollandais avoit demandé, il y a prèsd’un siècle, à faire le défrichement de ce marais ; nous n’avons pointdécouvert la cause qui a pu faire échouer cet utile projet : lesavantages d’un pareil travail sont évidens et font désirer qu’on lereprenne bientôt.
Nous revinmes sur nos pas, du côté de laRisle, et nous allâmes vers une pointe de la côte, qui s’avançait dansla vallée ; nous y vîmes des papillons que nous ne pûmes saisir, et quiparurent être de la famille des aurores.
Nous cueillîmes desbédéguars monstrueux sur les églantiers de la colline (57) ; nousbrisâmes quelques cailloux dont l’enveloppe quartzeuse et brillantefaisait soupçonner qu’ils renfermaient des produits curieux, mais ilsn’offrirent que les empreintes coniques et cannelées de pointesd’oursins. Nous nous reposâmes ensuite pendant quelques instans, puisnous descendîmes par le flanc de la colline où de nombreux troupeauxpaissaient le thym des montagnes.
LARENCONTRE INATTENDUE.
Nousétions alors dans la commune de St.-Samson et nous avançons vers larivière qu’on traverse en cet endroit, sur un bac,…… lorsque descitoyens armés, se montrant tout-à-coup à notre rencontre, nouscommandent d’arrêter et se présentent avec une sorte de résolution dontnous ne concevions pas le motif. Nous n’étions pas très-éloignés lesuns des autres, mais nous n’étions pas non plus tous ensemble, et cefut aux plus avancés que les citoyens commandèrent de s’arrêter etdemandèrent des passeports. Cependant les derniers de notre petitetroupe ne tardèrent point à rejoindre l’avant-garde, qui se trouvait enpour parler avec les citoyens armés, et ceux-ci ayant bientôt reconnul’un des membres du jury d’instruction, posèrent leurs fusils, avec unéclat de rire qui devint plus inconcevable encore que le serieux deleur premier abord.
Le mot de cette énigme est que notreapparition subite et nombreuse, sur la croupe d’une de leurs collines,s’était jointe, dans leur esprit, au souvenir des ordres qu’ils avaientreçus la veille, relativement aux déserteurs ; dès-lors nous étionsdevenus pour eux un sujet d’inquiétude publique ; l’uniforme dupensionnat, que portaient plusieurs d’entre nous, semblait être lapreuve d’un enrôlement particulier ; nos instrumens avaient paru desmachines hostiles ; la descente précipitée que nous avions faite par leravin, sans aller chercher des chemins frayés, étoit comme uneirruption qui présageait une attaque réfléchie, et ces citoyensestimables s’étaient armés pour la défense commune.
Nous devons rendre hommage à la franchise de leur caractère, qui lesfit s’amuser avec nous de la méprise qu’ils avaient faite.
LESTOMBEAUX : LES EPITAPHES.
Lemaire de S.-Samson nous donna obligeamment tous les secours quidépendirent de lui, pour les recherches que nous eûmes l’occasion defaire dans la commune.
Nous en avons fait sur des objets fortextraordinaires, et c’est une chose assez rare, qu’une petite commune,comme celle de St.-Samson, ait autrefois servi de retraite aux évêquesd’un diocèse éloigné, situé même dans une autre province.
Onvoit encore aujourd’hui les ruines d’un vieux monastère qui fut bâtipar ces évêques, et l’on retrouve les traces d’une très-anciennecollégiale, établie pour le service de l’église paroissiale (noteXIX).
Maisce qui nous parut le plus remarquable est une vieilleépitaphe, dont la planche VI présente la copie figurée. Nous ne savonsprécisément qu’elle date il faut donner à cette pièce, parce que sonauteur, qui marquait avec soin les jours du décès des deuxprêtres Raoulet Benoît,n’a pas eu l’attention d’en indiquer, en mêmetems, l’année.
C’est donc uniquement d’après la comparaison, quenous avons faite, des caractères de cette épitaphe, avec d’autrescaractères anciens, et sur-tout avec ceux que Montfaucon a fait graver,qu’il nous semble que cette épitaphe peut être du neuvième siècle.
Nousavons cru devoir la conserver comme un des monumens de l’écriture de cetems-là, et de l’état où les lettres et l’instruction se trouvaientalors. Nous croyons d’ailleurs pouvoir affirmer que les caractères ontété fidèlement copiés, malgré les difficultés que nous éprouvâmes,non-seulement à cause des dégradations que la pierre avait souffertes,mais encore à cause des lichensdont elle était couverte, en quelquesendroits, et que nous n’osions enlever de peur de causer de nouveauxdommages (58). Il y eut des lettres que nous prîmes la peine derelever, avec de la cire, pour être surs de leur vraie forme ; en unmot nous fîmes, de ce travail, une sorte d’étude pour touteautreoccasion dans laquelle il s’agirait de déchiffrer un monument d’uneplus grande importance ; nous avons même essayé de suppléer à ce que letemps a détruit et à ce que nous avons considéré comme des abréviationsdans l’écriture, et nous avons copié dans la note XX l’épitaphe, ainsicompletée, avec des caractères de différens ordres (note XX).
Lapierre, sur laquelle on lit cette épitaphe, n’est plus sur un tombeau ;elle est maintenant employée dans la construction du mur méridional del’église ; et dans le même mur, à dix pieds plus loin, on en voitencore une autre dont les caractères paraissent un peu plus modernes ;mais dont le style est correct et la conception plus heureuse.
Lafig. A qui est gravée au bas de la planche VI est la tête mutilée de lafig. d’évêque, dont nous avons parlé dans la note XIX, et que lessalpêtriers de l’an deux mirent en pièces, sous prétexte d’en tirer dunitre ; nous en avons conservé les traits parce qu’ils peignent laforme que les mitres avaient à des époques reculées de l’ère ancienne ;nous lui avons trouvé beaucoup de ressemblance avec une autre mitrequ’on voit à Rouen, sur le tombeau d’un évêque, auprès du chœur de laCathédrale.
LE BAC.S.T-SAMSON : LE PASSAGE DE LOUISXI.
Lorsquenous eûmes reconnu ce qu’il y avait de curieux dans ce local, nouscontinuâmes notre route vers le passage de la Risle, au bac deSt.-Samson.
Avant la construction des grandes routes ce passageétait extrêmement fréquenté. On ne prenait pas ordinairement d’autrechemin pour aller de Honfleur à Pont-audemer ; et ce fut au bacSt.-Samson, que les échevins de cette dernière ville allèrentprésenter duvin clairet à Louis XI, lorsqu’il revenait de Honfleur, le3 juin1475 (noteXXI).
De l’autre côté de la Risle nous cueillîmes,le long des fossés, le chardon des marais (59), l’inule dyssenterique(60), le bidens à feuille de chanvre et le bidens penché (61).
LESPÊCHERIES DE BERVILLE : LES HAMEÇONSD’EPINE : LES BALEINES.
Quandnous fûmes arrivés, nous nous hâtâmes de dîner, pour aller visiter lespêcheries de Berville, que nous avions entrevues en allant à Honfleur.
Ony pêche avec une espèce de filet en entonnoir, dont on arrête lepavillon sur des pieux enfoncés dans le sable (62). C’est la manière laplus lucrative dont la pêche se fasse sur les bancs de cette commune ;on y prend beaucoup de hareng, dans l’arrière-saison ;beaucoupd’un excellent poisson qui exhale, au sortir de l’eau, une odeurtrès-agréable de violette (l’éperlan) ; on y prend aussi beaucoup decrevette, appelée ailleurs salicoque, de l’œillet, un peu de capelan,etc.
On prend encore des saumons dans la rivière, quand ils laremontent pour frayer, et nous pourrions ajouter qu’on y prend aussides baleines, si les événemens de ce genre étaient plus nombreux, ouplus rapprochés.
Il n’y avait néanmoins qu’une vingtained’années qu’on en avait pris une très-grosse, lorsque l’année dernière,au commencement du printemps, les habitans de Berville prirentencore un cétacé.
Nous serions portés à croire que c’était ungrand cachalot (63), s’il était permis de compter sur les rapports quinous furent faits ; mais les hommes à qui nous les devons, nesongeaient à autre chose, qu’aux moyens de tirer le meilleur parti deleur bonne fortune, et le souvenir confus, qui leur était resté, nenous parut pas suffisant pour garantir la description qu’ils nousfirent.
Une seule circonstance nous sembla mériter del’attention, et nous pensâmes qu’elle pourrait du moins servir àdéterminer, à très-peu de chose près, la grosseur du cétacé. On nousdit que deux hommes, d’environ cinq pieds trois ou quatre pouces, quise trouvaient placés des deux côtés, ne se pouvaient appercevoir, audessus de son épaisseur, qu’en s’élevant sur la pointe des pieds :ainsi en défalquant ce que la mobilité du sable pouvait leur faireperdre, il parait que le poisson avait, au moins, cinq pieds dediamètre.
On en tira quelques barils d’huile, mais on en perditla plus grande quantité, et du reste, rien n’a été conservé : la chair,la peau, les os, tout a été dissipé par ceux qui en achetèrent despièces ou des tronçons. Le regret de ne pouvoir acquérir aucunrenseignement précis nous fit inviter les pêcheurs à donner avis, àl’Ecole centrale, des évènemens de ce genre, s’ils serenouvellaient, et si quelque baleine venait encore échouer sur lesbancs de sable.
C’est en effet au grand nombre de ces bancs, etpeut-être aussi à leur instabilité, qu’on doit la prise des deuxdernières, parce qu’ils forment, dans l’embouchure de la Seine, desespèces de parcsnaturels au milieu desquels la mer laisse, en seretirant, les poissons d’un grand volume lorsqu’ils s’arrêtent troplong-temps après le reflux.
Mais il n’est pas aussi facile dedécouvrir les causes qui font divaguer ces monstres exotiques, et quiconduisent, sous des latitudes tempérées et douces, ces habitans desmers du nord.
Les filets nommés guideaux, ne sont pas les seulsmoyens qu’on employe pour pêcher à Berville : on prend en outre desplies (64), des flondres (65) et autres poissons plats (66), avec deslignes. Les pêcheurs vont tendre ces lignes au bord de la Seine, et ilsles arrêtent sur le sable, avec des pieux ou des pierres. Ces lignesont environ un pied de longueur ; elles sont attachées à une maîtressecorde qui se prolonge fort loin, et sont toutes arméesd’hameçonsfaits avec des pointes d’épine.
Pour faire ces hameçons, lespêcheurs employent, avec la pointe d’épine, une petite portion de labranche qu’ils aiguisent, en-sorte que ces hameçons prennent la formed’un angle droit, semblable à celle d’un clou à crochet dontles deuxpointes seraient égales.
Nous ne pûmes jouir du spectacled’aucune de ces pêches. En effet, avant nous nous fussions présentéspour y prendre part, les pêcheurs avaient reçu la défense de continuerla pêche, jusqu’à ce qu’ils eussent prouvé qu’ils ne s’écartaient pointdes anciennes dispositions de l’ordonnance sur cet objet de police.
LESMAISONS DE CAMPAGNE : LES BRUYERES.
Nouslongeâmes la rivière, pour remonter sur les côteaux que nous avionsdevant nous, et nous jouîmes encore une fois du spectacle magnifiqueque l’embouchure de la Seine offre de toutes parts.
On voit, aupied d’un de ces côteaux, une maison de campagne, agréablement situéedans un vallon fertile, entourée de bosquets, décorée de terrasses etde pièces d’eau (67).
C’est aussi sur le même côteau, qu’ontrouve une propriété remarquable par ses plantations nombreuses et bienordonnées, ainsi que par les sites heureux qui l’entourent (68). Detoutes parts ce sont ou des points de vue qui se prolongent sur la mer,entre des avenues et des quinconces, ou des tableaux rapprochés deculture et de pâturages ; tantôt c’est un point élevé que le soleilfait briller d’une lumière vive, et tantôt c’est une percée dans dejeunes taillis, qui donne une ombre agréable et fraîche.
Leplateau de cette colline est couvert d’une couche de terre végétale,qui n’a pas une grande profondeur : mais avec une culture soignée etdes engrais, on la rend productive et même fertile.
Il y en acependant une partie qui n’est couverte que de bruyère, ou de genêtépineux (69) et ne présente que l’image de la stérilité la plusabsolue. Cette partie du plateau est un terrain communal dontles usagersenlèvent le gazon, à mesure qu’il se reproduit, pour lebrûler comme de la tourbe. Ainsi au lieu de s’améliorer, avec le temps,par les dépôts terreux que les tourbillons élèvent et par les débrisdes végétaux que l’atmosphère y fait croître, ce terrain,successivement pelé de place en place, n’offre à l’œil que le cailloumis à nud, avec l’aridité brûlante de la pierre et du sable.
Ilest à souhaiter qu’on trouve les moyens d’améliorer les côteaux decette espèce, qui sont en grand nombre dans le département.
Oncroit généralement que les plantations dont le besoin se fait de plusen plus sentir, sont les plus avantageux qu’on puisse prendre ; il fautespérer que l’industrie agricole portera enfin ses regards sur cetobjet. Ce serait le moyen de procurer aux hommes peu fortunés, unmeilleur chauffage que la tourbe médiocre qu’ils vont chercher sur cescôteaux.
LABOURAGE: TROUPEAUX : ECONOMIE RURALE.
Au piedde cette colline aride, est une campagne peu étendue, mais fertile, quenous traversâmes pour retourner à la tente. Ce fut dans ce trajet, quenous donnâmes une attention particulière à la manière dont on cultivela terre.
On fait communément deuxsaisons, c’est-à-dire, onseme du froment tous les deux ans, et dans l’année où l’on n’en sèmepas, la terre se repose en jachère, à moins qu’on n’y sème ce qu’onappèle dans le pays des menus grains, ce qui comprend lespois, lavesce, etc.
Le bled qu’on sème après la récolte de ces menusgrains, s’appèle bled de froissis,apparemment parce qu’au lieu dedonner à la terre les tours accoutumés de charrue, on ne fait enquelque sorte que la froisser par celui qu’on lui donne, avant de semerle grain. Il est de notoriété que ce bled de froissis ne vautpassouvent la moitié de celui qui vient dans la terre de jachère, et qu’onnomme bled devoret.
Il y a même des cultivateurs qui ontcompté ce que le bled de jachère donnerait de grain, au-delà de ce quefournit celui de froissis,et qui assurent qu’il y a de la perte àfaire du froissiset à ne pas accorder à la terre le repos d’uneannée. Cependant il est bien à regretter que les cultures décrites parArthur Young, et suivies avec succès dans plusieurs parties del’Angleterre, ne prennent encore en France aucune faveur ; il est àregretter qu’on néglige des moyens qui doublent si avantageusement lesproduits dans une île où l’on est obligé de suppléer, par le travail etl’industrie, au peu d’étendue que présente le sol.
Les charruesemployées dans le territoire que nous avons parcouru, sont d’uneconstruction plus forte que celles des parties orientales dudépartement ; les sillons sont aussi plus profondément labourés, ilssont beaucoup moins larges et plus arrondis.
Cette dispositionmultiplie les surfaces, elle augmente le contact de l’air et facilitel’écoulement des eaux pluviales, par les raies qui se trouvent entrechaque sillon.
Cette forme n’est cependant pas la même pourtoutes les qualités de terre ni pour tous les genres de culture, etelle n’est adoptée que pour le seigle et le bled, dans les terresfortes ; dans les autres cultures et dans les terres sabloneuses, oucontenant des cailloux, on fait de larges sillons applatis, qu’onappelle planches.
Les propriétés, qui ne sont pas encloses,sont, pour la plupart, séparées des propriétés voisines par de groscailloux qui leur servent de bornes, et c’est la meilleure précautionqu’on puisse employer pour prévenir toute espèce d’usurpation. Mais ily a des terres dont les limites ne sont pas ainsi déterminées, et quandil s’élève à ce sujet des difficultés, que les titres ne peuvent pasdétruire, on a recours à la loi suprême de l’ancienne possession.Quelque défigurées qu’on en suppose les traces, on parvient presquetoujours à les reconnaître, dans la terre, par la couleur ou le ton desveines, des filons et des couches qui attestent les anciennes cultures.
Onenferme toujours les vergers d’habitation (note XXII), etsouventaussi les pâturages, dans des clôtures qu’on appèle fossés. Cetteexpression comprend non-seulement la fosse pratiquée autour du terrainqu’on enclôt, mais encore une butte qu’on élève, sur le bord de lafosse, avec la terre qu’on en a tirée : on distingueseulement ces deux parties de la clôture, en donnant à lafossele nom de creuxde fossé, et en appelant masse de fossé, labutteélevée sur le bord du creux.Ces masses defossés sont couronnéesd’épines et plantées de grands ormes dont la tige droite et les raméesfeuillues forment des palissades très-agréables, sur le bord deschemins.
On seme du froment dans les terres fortes, du seigledans les terres plus légères, et beaucoup de petits haricots danstoutes les espèces de terre. On cultive aussi du chanvre et du lin ;mais il est vraisemblable qu’on attend trop tard pour semer celui-ci,et la différence étonnante qui se trouve entre les époques de cetteculture, par rapport aux pays voisins, est peut-être une des causes decelle qu’on remarque dans sa qualité. L’exposition qu’on en faitpendant long-temps à la rosée, avant de le faire rouïr, contribue sansdoute encore à le détériorer.
Les bestiaux qu’on nourrit sontdes brebis et des vaches, on ne voit point de chèvres et l’on engraisserarement des bœufs. On élève encore des cochons dans les fermes et dansles vergers d’habitation ; on sait cependant qu’il y a peu de profit àfaire sur ces animaux, mais l’argent qu’on en retire est le résultatdes soins économiques et des dépenses, presque imperceptibles, qu’onfait chaque jour pour les nourrir. Ce résultat qu’on reçoit en somme,quand on les vend, paraît comme un gain réel qu’on applique aux besoinsdomestiques.
On élève d’ailleurs ces animaux pour un autremotif, c’est-à-dire, pour l’avantage qu’en retirent les arbresfruitiers, par l’engrais qu’ils répandent ; on a même coutume detransporter leur auge au pied des arbres qui languissent, afin quel’habitude qu’ils prennent de s’y rendre, devienne salutaireet fertilisante.
On voit un assez grand nombre de troupeaux demoutons ; mais on n’a point encore l’usage de les parquer, et noussommes portés à croire qu’on les tond trop tard, vû la grande quantitéde laine qu’ils laissent sur les épines et dans les buissons. Uneobservation qui nous a frappés, est relative à la manière dont on lavequelquefois la laine. Nous venons de dire qu’on attend en quelque sortequ’il y en ait une partie de perdue pour la tondre, mais il en estautrement de l’époque du lavage : on la devance et on lave la laineavant même que les brebis soient tondues.
Ce n’est pas un légertravail que de laver ainsi un troupeau entier, et l’on y employecommunément beaucoup de monde. On conduit les brebis au bord de larivière ; une partie des laveurs entre dans l’eau jusqu’à la ceintureet reçoit les brebis que présentent, l’une après l’autre, ceux quirestent à terre pour ce service. Il faut deux personnes pour laver unebrebis ; l’une tient la tête élevée hors de l’eau pour préserverl’animal de suffocation, pour le présenter au laveur sur tous les côtés; la fonction de celui-ci est de bien mouiller la laine, de la manier,d’en exprimer l’eau, enfin de la nettoyer des ordures et du suintdont elle se salit dans les étables. Ce travail est un vrai tourmentpour les hommes qui le font, comme pour les brebis qui l’endurent, etmalgré tous les soins qu’on se donne pour le bien faire, il esttoujours beaucoup moins parfait qu’il ne le serait si l’on attendaitque la toison fut enlevée pour la laver ; 1.° on pourraitemployer de l’eau tiède et la lessive en serait meilleure ; 2.°l’opération serait moins longue et beaucoup plus facile ; 3.° elleserait moins dispendieuse ; 4.° enfin l’animal s’en trouverait mieux,et nous croyons que cette considération n’est point à négliger, parceque la souffrance de l’animal doit toujours avoir des résultatsfâcheux, quelqu’insensibles qu’on les suppose.
FINPROCHAINE DU VOYAGE : EGLISE SOUTENUEPAR UN IF : CERCUEIL DEPLATRE : AGARIC REMARQUABLE.
L’époquede notre retour devenant très-prochaine, nous prîmes un jour entierpour recueillir les différentes notions que nous avions acquises dansnos courses. Tandis que ce travail nous occupa, l’un de nous se rendità Honfleur pour vérifier les doutes que nous avions sur les insectesphosphorescens, et d’autres allèrent à St.-Samson faire de nouvellesrecherches sur l’ancien tombeau de cette église.
Leursrecherches furent infructueuses : ils apprirent que le cénotaphe avaitété déplacé il y a cent ans, et il leur fut impossible de reconnaîtrele véritable lieu où le cercueil avait été mis.
Mais le voyagede St.-Samson ne fut pas entièrement inutile : ceux qui en avaient étéchargés observèrent, en revenant, un if remarquable par sa position, sataille, et les particularités du sol sur lequel il est planté. On levoit dans la commune de Foullebec,à l’angle sud-est du chœur del’église, qu’il soutient, et qui s’écroulerait dans un ravin profond,sans l’apui que l’arbre lui prête.
Les observateurs employèrentd’abord des moyens mathématiques pour mésurer son diamètre : mais ayanttrouvé des sarmens de clématite, ils en firent un lien avec lequel ilsreconnurent que cet arbre (mesuré à trois pieds au-dessus des racines)a vingt-un pieds de pourtour (70).
Sous cet if, et dans unterrain de sable et de cailloux, on voit la coupe d’un cercueil deplâtre dont la direction est de l’ouest à l’est comme celle del’église. Il est facile de reconnaître, par le diamètre de la coupe ducercueil, et par les tibiadu squelette, qui percent la terre, qu’iln’y en a qu’une petite partie de rompue ; que c’est l’extrémitérépondant aux pieds qui s’est cassée dans l’éboulement du sol, et quele milieu de l’if répond au milieu du cercueil. Cela fait présumer quecet arbre fut autrefois planté, à dessein, sur le tombeau dans lequeldut être mise une personne de considération.
Les mêmesobservateurs apportèrent un agaric blanc, sec et dur, dont la surfaceinférieure offrait l’image d’un tissu réticulaire et connait à cetagaric, l’apparence d’un os blanchi ; c’était sur l’if qu’il avait prisnaissance, et cette circonstance contribuoit à rendre la singularité desa contexture plus frappante : il semblait que tout ce qu’on trouvaitdans ce lieu, portât l’empreinte de la mort (71).
LESCRAPAUDS.
Cefut encore auprès de St.-Samson, qu’un des observateurs eut occasion devoir de quelle manière les crapauds happent les insectes dontilsfont leur pâture. Il examinait, depuis quelques instans, un de cesanimaux qui s’approchait lentement et avec une sorte de précaution, dela branche d’une ronce, abaissée vers la terre ; le crapaud faisait unou deux pas et s’arrêtait aussi-tôt ; il recommençait ensuite la mêmemanœuvre, et il la continua jusqu’à ce qu’il eût la tête auprès d’unedes feuilles de la ronce. Il y avait sur la feuille un de ces grandsmoucherons qui ressemblent aux cousins et qu’on nomme tipules ; c’étaitlui que le crapaud convoitait, et ce fut sur lui qu’il fit brusquementtomber sa langue, pour l’enlever comme un harpon.
On n’ignorepas que c’est avec la langue que les crapauds prennent leur nourriture: cette observation fut faite, en Angleterre, sur un très-gros crapaudqu’on avait eu la patience et le singulier courage d’apprivoiser. Maisle mécanisme de la langue n’ayant point été suffisamment développé,nous ajoutons ici le détail que nous donna l’observateur qui avait ététémoin de l’enlèvement du moucheron.
La langue du crapaud, deuxfois plus longue que sa tête, ne peut être contenue entre lesmâchoires, qu’en se pliant sur elle-même, au milieu de sa longueur : lapointe est alors renversée sur la base, comme les feuilles d’unecharnière sont couchées l’une sur l’autre, quand elle est fermée.S’agit-il d’enlever une proie, la gueule du reptile s’ouvre de toute salargeur, la langue se redresse brusquement et s’abat comme une trappe ;l’insecte qu’elle étourdit, en le frappant, se trouve englué dansl’humeur muqueuse dont elle est enduite, et la langue, en se repliant,le précipite dans l’æsophage avec une prestesse que l’œil a peine àsuivre (72).
VARECSETINCELANS : NOUVELLES DIFFICULTÉS: OBSERVATION CONSTATÉE: SPECTACLE BRIL- LANT.
Nousétions encore occupés des différens rapports que nous faisaient nosobservateurs, lorsque nous vîmes arriver d’Honfleur, celui qui étaitallé examiner les varecs. Il rapportait une assez grande quantité deces plantes marines, avec quelques poissons qu’il voulait nous faireconnaître. Il nous apprit que les essais qu’il avait faits, pourdécouvrir quelques insectes dans l’eau de mer, n’avaient eu aucunsuccès. Il nous dit qu’il ne craignait point d’assurer qu’il n’y enavait plus dans la mer : mais il ajouta que les varecs en étaientremplis et que les étincelles qu’on y voyait briller, quand on lesagitait, ressemblaient aux aigrettes lumineuses du fluide électrique,quand il parcourt la limaille de cuivre, ou les parcelles d’avanturinesur des plateaux de verre.
Le moyen qu’il nous dit avoir mis enœuvre, pour s’assurer que les plantes étaient chargées d’insectes, aumoment même où il les prenait, est aussi simple qu’il est infaillible.Il avait fait faire un cône de fer-blanc dont il plaçait la bâse sur levarec, ensuite il mettait l’œil au sommet du cône, et il lui étaitalors très-aisé d’appercevoir la lumière des insectes, dans l’ombreintérieure de cette espèce de chambre obscure.
Il exposa doncdevant nous les varecs qu’il avait apportés pour nous faire jouir dumême spectacle : mais nous n’eûmes pas la satisfaction qu’il avaitvoulu nous procurer, parce que les insectes avaient péri dans letransport.
Nous nous livrâmes à toutes les conjectures que faisait naître lasingularité des mœurs de ces animalcules.
Commentse fait-il, disions-nous, que quelques jours seulement après avoir paruremplir l’immense bassin de l’océan, ils soient tous à-la-fois reléguésdans le varec, et qu’il ne s’en détache pas un seul pour flotter dansl’eau de mer ? Vont-ils chercher, dans les rameaux du varec un abricontre l’hiver, comme nous voyons des milliers de mouches se mettre àcouvert de la gelée dans des crevasses et dans des troncs d’arbres ? Ysont-ils réunis pour la reproduction, comme divers insectes seressemblent sur des branches et sur des feuilles pour la même fin (73),ou sont-ils grouppés dans le varec pour y terminer leur carrière, commenous voyons les hannetons du printemps se réunir au bord des mares danslesquelles ils périssent ?
Mais encore, par quel changementd’organisation deviennent-ils capables de gagner les varecs, dans unesaison où tous les insectes commencent à languir,… eux qui, dans unetempérature plus favorable en apparence, n’ont aucun mouvementprogressif, eux qui ne peuvent se déranger de la perpendiculaire, parlaquelle leur légéreté spécifique les porte lentement à la surface del’eau, quand elle est en repos et tranquille ? Faut-il dire que lesvarecs, arrachés par les courans, recueillent ces insectes, en flottantau milieu des vagues ? ou plutôt les insectes qui brillent et quiétincelent sur les varecs, sont-ils bien les mêmes que ceux qu’on voitbriller dans la mer, ou ne sont-ils point une espèce différente ou unevariété ? car notre observateur avait reconnu la présence des aigretteslumineuses, et nous ne pouvions révoquer en doute les faits qu’il avaitconstatés, mais il n’avait pu extraire ces insectes du varec ; il neles avait pas comparés et il ne pouvait nous dire s’ils étaient lesmêmes que ceux qu’il cherchait (74). Nous fîmes donc des vœux pour quel’histoire de ces animalcules fut étudiée par des naturalistes capablesde la suivre avec succés : nous regrettâmes de ne pouvoir nous livrerplus long-temps à cette recherche.
Mais avant de quitterl’article de ces insectes, dont le seul souvenir a pour nous beaucoupd’attrait, nous consignerons ici l’opinion dans laquelle nous sommes,d’après plusieurs expériences, qu’il faut nécessairement leconcoursde l’air atmospherique pour faire briller les insectes, et que malgrél’agitation de l’eau dans laquelle ils sont, leur lumière ne paraîtpoint lorsque cette eau les recouvre entièrement.
Enfin nousajouterons que si l’on veut jouir du spectacle le plus brillant de cegenre qu’on puisse se figurer, il faut réunir la plus grande quantitépossible de ces insectes dans une bouteille d’eau, et verser cette eaudans l’obscurité, soit à terre, soit dans un vase transparent : lalumière qu’elle donne en coulant, peut être comparée aux éclairs dumétal liquefié que le fondeur verse du creuset dans les chassis (75).
LADORÉE : LA VIVE ET SES ÉPINES.
Lespoissons apportés d’Honfleur étaient des dorées (76) et des vives (77).Les premiers ne sont connus des pêcheurs que sous le nom de lune, etce nom qui ne leur convient pas, leur vient peut-être de la tache rondequ’ils ont de chaque côté, comme cette même tache leur a fait donnerailleurs le nom de poissonde St. Pierre.
La Dorée, dont lachair est excellente et de très facile digestion, n’est point connuedans le pays sous ces deux rapports : elle y est au contraire négligéeet l’on n’y vend les plus grosses que quatre à cinq sols la pièce (20ou 25 centimes). (note XXIII).
Les Vives paraissent plusestimées, quoi qu’elles ne soient pas meilleures, mais on a coutume deles rechercher, et cela suffit pour qu’elles se vendent plus cher.Elles sont armées de fortes épines, dont trois sont particulièrementredoutées des pêcheurs : les deux plus fortes sont placées auxextrémités des opercules (78) et la troisième est au milieu de lanageoire dorsale. On assure que la piqûre de ces épines est cruelle etque la plaie qu’elles font est accompagnée d’irritation, de chaleur etd’âcreté. On ajoute que le malade a souvent des accès de fièvre, et queles accidens ne s’appaisent qu’au bout de quelques jours.
Lapolice defend d’exposer les vives en vente, avant que les épines ayentété coupées, parce que la blessure est réputée aussi fâcheuse après lamort de l’animal, que pendant sa vie. Mais il existe une oppositiontrès-bizarre entre la précaution sagement commandée par la police, etla volonté permanente des acheteurs qui mettent moins de prix à la vivedont les épines sont coupées, et qui payent plus cher celle qui lesporte encore. La poissonnière qui a des vives les serre dans sespaniers et ne les expose pas ; elle attend qu’on lui en demande, ouelle les propose elle-même : quand on paraît vouloir en acheter elleles découvre, et quand on est convenu de prix elle coupe les épinespour livrer le poisson.
Il est inconcevable qu’on laissesubsister un pareil danger, pour donner un peu plus de prix au poissonqui peut causer des accidens graves ! Il ne faudrait que l’accord despêcheurs qui couperaient les épines au sortir de l’eau, pour faireperdre aux acheteurs le desir aussi déplacé qu’inutile de les voircouper eux-mêmes.
Nous n’avons pu examiner cette arme de la Viveau microscope, mais on assure que ce n’est qu’en déchirant les chairsqu’elle cause de la douleur, et qu’il n’est répandu dans la plaieaucune liqueur venimeuse : cela paraît d’ailleurs assez vraisemblable,s’il est vrai que la blessure soit aussi douloureuse après la mort dela Vive, qu’elle l’est auparavant.
LENIVELLEMENT : LA RÉDACTION : LESVISITES : LES ENCOURAGEMENS : LA FIN.
Letemps qu’il nous avait été possible d’employer à notre voyage, étaitsur le point d’expirer ; il y avait près de vingt jours que nous étionsen marche et l’époque de l’ouverture des nouveaux cours approchait :ainsi malgré l’imperfection de toutes nos observations, nous fûmesobligés de songer à notre retour.
Nous terminâmes nos opérationspar le nivellement du sol où nous étions campés, et nous trouvâmes quel’emplacement de la tente était à quatre-vingt-quatorze pieds au-dessusdu niveau de la rivière de Risle. La veille de notre départ, nousreçûmes la visite de plusieurs citoyens qui voulurent honorer nostravaux de leur présence ; des membres du jury d’instruction publiqueet le maire de la commune étaient de ce nombre.
Ces citoyensexigèrent que nous lussions devant eux les différentes notes que nousavions recueillies, ils les écoutèrent avec indulgence, ils eurent mêmela bonté d’encourager nos premiers essais.
Le maire déclara queles Elèves de l’Ecole centrale n’avaient donné aucun sujet de plainte,pendant le séjour qu’ils avaient fait dans la commune.
Si l’unde nous eût mérité le moindre reproche, il se fût rendu doublementcoupable dans un pays dont tous les habitans nous avaient témoigné dela bienveillance, et avaient paru prendre un intérêt réel à nosrecherches.
Nous partîmes animés d’un nouveau zèle et pénétrés de reconnaissance.
FIN.
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CERTIFICATDES MAIRE ET ADJOINT DECONTEVILLE
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Nous,Maire et Adjoint de la commune de Conteville, arrondissement de Pontaudemer, Département de l’Eure, attestons que plusieurs Elèves duPensionnat de l’Ecole centrale de l’Eure se sont présentés devant nous,le dix-sept fructifor dernier, qu’ils nous ont déclaré s’être rendusdans cette commune, située dans la vallée de Pont-audemer auprès del’embouchure de la Risle et de la Seine, pour faire, dans les environs,des recherches et des observations d’histoire naturelle ; qu’ils sesont constamment occupés de cet objet pendant le séjour qu’ils ont faitdans la commune, d’où ils ne sont sortis que le deuxième descomplémentaires, et que pendant ce temps-là ils se sont conduits avechonneur et dignité, ce dont nous leur avons accordé le présentcertificat.
A Conteville, aubureau de la mairie, le troisième des complémentaires an huit de laRépublique Française.
SignéGRESSENT, Maire; GROUARD, Adjoint.
NOTES : (1) Les Notes indiquées dans le Texte, par des chiffres romains, sont àla fin du volume. [A lasuite des notes en chiffres arabes] (2) Navarreest une propriété de la maison de Bouillon. Ce nom lui vientde Jeanne de France, comtesse d’Evreux et Reine de Navarre. C’est unlieu très-agréable : Chaulieu s’y plaisait beaucoup. On croit que c’estde là qu’il écrivait au marquis de Dangeau, gouverneur de Tourraine,
Avouez, Marquis, que sans peine, Pour voir cette charmante cour, Vous quitteriez votre séjour Et tous les muscats de Tourraine.
(3)Il fut long-temps incertain si le déjeûnertrouverait place dans lejournal. Plusieurs avaient lu le fameux voyage de deux hommes célèbres,et ceux-là sur-tout étaient inexorables ! A la fin on pensa qu’unevingtaine de vers ne tirait point à conséquence : on convint d’ailleursqu’on n’en recevrait pas d’autres ; et l’amitié plaidant la cause dupoëte, ledéjêuner devint un des articles du voyage. (4) Ladistance fixée pour chaque jour de marche étant remplie, les élèvesfont halte, et les bagages s’arrêtent ; etc. Les élèves dressent leurstentes pour passer la nuit, etc. Règlement du Pensionnat. (5) Siles objets dont il s’agit sont des monumens anciens, leshistoriographes en recherchent l’origine dans les histoires de laci-devant province, et s’occupent de constater, s’il est possible, toutce qui tient à l’époque et aux motifs de leur construction, auxdifférens périodes de leur durée. Régl. du Pensionnat. (6) Lesingénieurs mesurent les limites et les formes des anciens monumens :ils en lèvent le plan et prennent toutes les notes nécessaires pour enbien constater l’état actuel. Les mécaniciens se joignent à eux pour enmesurer l’élévation et s’assurer de toutes leurs dimensions autantqu’il est nécessaire pour en exécuter ensuite le relief en terre cuite,si l’objet en est jugé digne. Ext. du Réglement. (7) On voit, surle mur méridional de cette église, une inscription qui se termine parces mots : « Et fut cette église commencée neuve, l’an de grace 15[1]8,V.e de Juillet. » On lit sur une autre inscription, près du grandautel, le vieux mot cliquer,employé pour signifier le tintementlugubre des funérailles. (8) On s’occupait alors à réparer les pontssur lesquels on ne pouvait passer sans danger depuis long-temps. LesMagistrats n’avaient point voulu faire établir de contributionsparticulières pour ce travail : ils avaient sagement préféré d’inviterleurs concitoyens à faire volontairement une dépense dont tout le mondesentait le besoin pressant, et les fonds ayant été le fruit d’unesoumission libre, l’ouvrage se faisait très-bien, et l’on n’entendaitpoint ces murmures désagréables que les contraintes et les rôles forcésentraînent toujours après eux. (9) La forme de ce couteau n’est pasnouvelle, et depuis long-temps il est employé dans la corroyerie, sousle nom de couteauà revers : mais il est rarement fait avec le soinqu’il exige. (10) Les mémoires observent que c’était la premièrefois qu’on entendait le canon en Normandie. Ils sont d’accord sur cepoint avec les historiens contemporains. (11) Géométrie de Bézout, 2e partie. Résolution des trianglesrectangles, pag. 25, édit. de l’an VI. (12) Par le cit. Richer. (13) Par le cit. Lenoir. (14) Par le cit. Richer. (15)La forme de ces insectes phosphorescens, est dessinée planche 3. fig.I. les dimensions de ce dessin sont celles qu’à présentées lemicroscope, sous l’objectif duquel les insectes étaient placés. (16)On dirait quise précipite, si l’on voulait employer l’expressionconsacrée par la chymie. Un peu moins d’exactitude dans l’emploi desmots, sert quelquefois à faire mieux entendre les idées qu’on veuttransmettre et les faits qu’on veut expliquer. Nous voulons dire: Quise sépare des autres principes dont le bois est formé. (17) Nousavons sçu depuis, que ces femelles de lampyres avaient déposé dans laterre un grand nombre d’œufs, et que ces œufs ont été lumineux pendantlong-temps. On les a collés au fond d’une boëte, et l’on en a formé unesuite de lettres qui ont été très-lisibles dans l’obscurité. (18)L’abbaye fut seule rebâtie, puis détruite et dépouillée de tous sesbiens en 1363, par les anglais, puis enrichie par les mêmes anglais,cinquante-cinq ans après. NeustriaPia. (19) Hist. du Hâvre, par Pleuvri. (20)Zoophytes qu’on nomme actinieset qui présentent une forme assez ressemblante à la fleur des anémones. Leur force de reproductionest prodigieuse ; il suffit de les couper par morceaux, pour avoirbientôt autant d’actiniesqu’on a fait de tronçons. L’abbé Diquemaredécrivit ces zoophytes, dans un grand détail, et le gouvernement fitgraver les dessins que le naturaliste avait faits. (21) Les Méduses; vulgairement connues sous le nom d’orties de mer errantesou libres: les pêcheurs leur donnent celui de Sagonne. On aquelquefois appelé les actinies,orties de mer fixes. (22) Méduse bleue, medusaaurita. (23) Fucusplumosus. (24) Fucusconferroides (25) Fucuspalmatus. (26) Fucusvesiculosus. (27) Aiguillat Squalusacanthias Lin. Squalus acanthias sive spinax.Aldrov. (28)Quoique cet arbre nous ait présenté les caractères du sauleblanc, salixalba, nous lui avons cependant conservé le nom d’osier, qu’onlui donne dans le pays, parce que l’osiersaule ou osier jauneprend tous les caractères du saule blanc, quandil n’est pastronçonné. VoyezJoli-clerc, Phytol.univ. (29) Circœa luteciana. Lin. 2. dria. Monogyn. (30) Drosera rotondi-folia. Lin. 5. dria. 5 gyn. (31) Les cataractes de Vologda, en Moscovie, de Niagara, dans leCanada, la cascade de Terni, en Italie, etc. (32) Daphné laureola. 8. – Dria. 1. – Gyn. (33) Orobanche ramosa. L. Dydin. angiosperm. (34) Ils employèrent d’abord la méthode des triangles semblables. Cetteméthode, extrêmement simple en théorie, n’est point sans difficulté,dans l’application, à cause de l’exactitude avec laquelle il fautmesurer les lignes, qui deviennent les termes connus de la proportion,et à cause des obstacles que présentent souvent les inégalités duterrain. (35) Nous pensons que ce nostoc était celui que Linnédésigne sous le nom de tremelle nostoc gélatineux, plissé, ondulé, d’unverd pâle. Lin.Cryptog. (36) Epoques de la pleine et de la nouvelle lune. (37) Epoques des deux quartiers. (38)Nous avons appris que ces faisceaux fûrent suspendus sous un hangard,pour être desséchés à l’ombre, et qu’on les trouva, quelque tempsaprès, entièrement remplis de perce-oreilles. Ce serait un moyen fortsimple pour détruire ces insectes qui sont quelquefois très-incommodesdans les fruitiers. (39) Arenariatenella } L. 10. – Dr.3. –Gyn. Arenariarubra. Apium graveolens. } 5. – Drin. – 2. – Gyg. Sonchusmaritimus. } Syngen. polyg.æqualis. Sonchusarvensis. (40)Ils trouverent le chelidomiumglaucum, ou pavot cornu, le crithmummaritimum, criste marine, ou fenouil marin, ombelliferequ’on trouveen abondance dans les fentes au pied de la montagne, le plantagomaritima. (4. – Dria.1. – Gyn.)l’aster maritima (Syngen.polyg.superflua.) (41)Turbinites. (42) Volutites. (43) Cylindrites. (44) Buccinites. (45) Echinites. (46) Pectinites. (47) Bucardites. (48) Pyrites. (49)Elle a été dessinée, à très-peu de choses près dans le plan du cerclehoraire de dix heures, l’observateur étant tourné vers le sud. (50) A MarsPacificateur. (51) Digitalis lutæa. Lyn. Dudin. angiosperm. (52)Le papillon appellé par Linné le comma ; et ceux que Geoffroy nomme labande noire, le plein chant, la grisette et le satyre. (53)Maintenant professeur à Rouen. Les tadornes sont une espèce de canard,fort jolie. Ces oiseaux ne font point leurs nids sur les eauxdormantes, ou dans les marécages comme les autres oiseaux de rivière oude mer ; ils vont déposer leurs œufs dans des terriers delapin. Hist.nat. de Buffon. (54) Spectacle de la Nature, tom. 4. (55) Il nefaudrait qu’un peu plus de régularité, dans cet entrelacement desracines, pour qu’on put le comparer aux parquets à cases,que lesorfèvres et les joailliers placent sous leurs établis, et qu’ilsnomment grillageou claie. (56) La larve de ces insectes senourrit du suc des végétaux ; c’est elle qui forme ces petits floconsd’écume blanche, qu’on voit au printemps sur les herbes, ou sur lesjeunes rameaux des arbustes, et qui ressemblent parfaitement à de lasalive. Nous croyons connaître le moyen que cette larve employe pourformer l’écume sous laquelle on la trouve : cependant nous n’osons pasencore rendre compte de nos observations ; nous voulons les vérifier leprintemps prochain. (57) Bédéguar : éponge ou mousse d’églantier ;les cinips de ces bédéguars sont éclos, à l’école centrale, dans lespremiers jours de floréal. (58) Nous avons regardé ces Lichens comme ceuxque Linné désigne sous le nom de Lichen rupicola.Chryptog. (59) Carduus palestris. Lin.Syng. Poly. æq. (60) Inula dyssent.Syng. Polyg. superflua. (61) Bidens tripartita : Bidens cernua. Syng. Polyg. æq. (62) Ces filets sont décrits et figurés, sous le nom de guideaux, dansle traité de la pêche, de la collection in-folio des arts et métiers, et dans l’encycl. (63) Physeter maximus. (64) Pleuronectesplatessa. (65) Le Flet ou Picaud. Pleuronectesflesus. (66) Pleuronectes. (67) La Pommeraye appartenant au citoyen Masson-St.-Amand, Préfet del’Eure. (68) La terre de St.-Pierre. (69) Ulex Europeus. Vulgairement connu sous le nom de jonc marin. Lin.Diadelph. dec. (70)Il en existe un autre, à trois lieues de là, qui a plus de vingt-quatrepieds de tour. Les ifs ont dans ce pays la mauvaise réputation qu’ilsont en beaucoup d’autres endroits. Nous ne pouvons ni les excuser demalignité, ni les en convaincre : nous avons seulement observé qu’ilsétaient remplis de nids de moineaux et que plusieurs oiseaux, notammentles fauvettes, les grives, les merles, dévoraient leurs baïes avecavidité ; ces baïes sont extrêmement douces et sucrées. (71) Cetagaric est déposé dans le muséum, avec les autres objets qui ont étérecueillis dans le voyage. Nous n’avons pu le reconnaître dans lesdescriptions des botanistes, et quand nous en parlons, nous ne lenommons point autrement que l’agaric funéraire, ou l’agaric destombeaux. (72) Cette observation n’ayant été faite qu’une fois, nousnous promîmes de la répéter quand l’occasion s’en présenterait. Maisaucun de nous ne put dire que, pour le plaisir de constaterl’observation, il voulût apprivoiser un crapaud et se mettre enfamiliarité avec un reptile dégoûtant, dont les approches ne sont pasd’ailleurs regardées comme entièrement exemptes de venin. (73) Lespunaises rougeâtres des jardins, au mois de germinal, (Pun. demi-ailéecimex apterus.) les petits hannetons d’été à la fin du jour, dans lemois de thermidor (Scarabeus solstitialis), etc. (74) Les beroèsrépandent aussi une lumière brillante. Plusieurs espèces de pennatulessont également phosphorescentes…. Et nous ajoutons à ces deux espèces,les néréides (tableau élément. de l’hist. nat. des anim. par le cit.Cuvier.) si l’espèce que nous avons voulu reconnaître n’est paselle-même lanéréïde. Il en est ainsi des lampyres ou vers luisans dontil y a plusieurs espèces. (75)Puisez de l’eau de mer quand elle est lumineuse ; laisse-la reposerdans des vases à goulot étroit, les insectes seront bientôt portés à lasurface, d’où vous pourrez les enlever aisément pour les mettre dans unréservoir. (76) Gallus marinus. Zeus faber. (77) Draco marinus. Trachinus draco. (78) Pièces écailleuses qui recouvrent les ouïes.
(I) LEBEC fut fondé vers l’an 1040, dans une vallée profonde, au milieu desbois. Cette abbaye éprouva de grands malheurs et souffrit beaucoup, desguerres civiles. Cependant le bec était devenu une place assezforte, malgré sa position désavantageuse, lorsqu’en 1421 les Anglaisdémolirent les fortifications, dont on voit encore les ruines. Deuxcents ans auparavant, l’abbaye avait été totalement brûlée, la grossetour s’était écroulée à la suite de l’incendie, et ce dernierévènement, malgré son peu d’importance, devint la matière d’un poëme,dont voici les quatre premiers vers : « L’an degrace, mil deux cents »Soixante-treize, virent gens » Lamaître tour du Bec descendre »Lendemain du jour de la cendre. » Neustria pia. artic. Beccum. (II)Nous avons appris sur les lieux, que l’archevêque de Rouen (deTavannes) qui supprima ce couvent d’Annonciades, frappé de la béauté del’église, engagea les habitans de Montfort à la conserver pour en faireleur église paroissiale. Il offrit même d’affecter des fonds àl’entretien de ce monument : mais il y eut des habitans qui craignirentque cela ne devint par la suite une source de dépenses ruineuses : laproposition de l’archevêque ne fut point admise, et l’église futdémolie. Le citoyen Hébert, membre du Conseil du département,nous a fait voir une table d’un assez beau granit, qui provient desmatériaux de cet édifice. (III) Lescris de guerre que les passions adoptent, ne présentent presque jamaisd’idées claires et precises, et l’histoire ne conserve ordinairementque les mots, sans pouvoir en donner ni la signification positive, nila juste étymologie. Telle est la dénomination de Huguenot,dont les historiens et les critiques n’ont encore pu déterminerl’origine ; de sorte qu’on ne peut assurer si ce mot vient de deuxautres mots Hucnos, par où commençait une harangue latine, ainsi queplusieurs ont essayé de le faire croire, ou de la prononciationdéfectueuse des mots Suisses eid-gnossen, quisignifient liés parserment, comme le disent Ménage, Voltaire et l’Encyc., ou enfin del’expression bizarre, mais proverbiale de Roi Hugon, que laportionignorante du peuple employait alors en Tourraine, pour signifierun phantôme etune vision nocturne. Pasquier, auteur contemporain, estde ce dernier avis dans ses recherches. Il fait entendre que cettedénomination fut donnée aux réformés, parce qu’ils ne se réunissaientque la nuit. C’est ainsi que deux siècles après, la dénominationde Chouan,qui vient à peu près du même pays, n’est empruntée que dela prononciation populaire du mot Chat huant, parceque lesrassemblemens armés ne se sont faits, dans les commencemens, quependant la nuit. « Le plus grand malheur qui puisse advenir »,dit le sage Pasquier : « C’est lorsque soit par fortune, soit pardiscours, l’on voit un peuple se bigarrer en mots de partialité !....Ce sont histoires, ajoute-t-il, qui méritent d’être cornées auxaureilles d’une longue postérité ! » (IV) On lit dans la description des vertus du Catholicon, lepassage suivant : «Ayez le front ulcéré et le visage honni comme les infidèles gardiens duPont-Audemer et de Vienne, frottez-vous un peu les yeux de ce divinélectuaire, et il vous sera advis que vous serez prud-homme et riche ».Voici les détails qui se trouvent dans les mémoires de Pont-Audemer, etqui donnent l’explication de ce passage. Aumois de juillet 1590, Hacqueville de Vieux-Pont, frère du gouverneur duNeubourg, fut nommé gouverneur de Pont-Audemer. La ligue n’étant pasalors très-puissante, Hacqueville fit les protestations les plussolennelles de dévouement au service du Roi. Depuis cette époque laligue prit des forces, le Roi fut même obligé de lever le siège deRouen, et Hacqueville, croyant que la ligue l’emporterait, pratiqua desintelligences avec le duc de Mayenne, et livra Pont-Audemer à Villars,qui s’en empara au mois de juillet 1592. Cependant la ligueayant été vaincue par Henri IV, ce Roi des Français fit proclamer uneamnistie. Hacqueville sçut en profiter : il se replia même si bien,qu’il gagna la confiance de l’amiral Biron, et resta gouverneur de laplace. Ces particularités expliquent parfaitement le passage dela satyre, qui ne nomme pas Hacqueville, mais qui le dépeint assez pourqu’il fût reconnu dans ce temps-là. Elles suffisent aussi pour détruireune tradition érronée du pays, d’après laquelle on croit, mal-à-propos,que la ville fut livrée par un Montgeron. C’estune erreur qui peutvenir de ce qu’on a mal entendu un passage de la même satyre, (Disc. del’arch. de Lyon) dans lequel Hacqueville est accolé à Montgeron pourdes faits semblables ; mais ce Montgeron était gouverneur de Vienne. Ily a dans le secrétariat de la Mairie onze clefs passées dans un anneaude fer et clouées sur une poutre. On croit communément que ces clefsservirent à ouvrir les portes par ou Villars entra : cependant on n’entrouve pas la preuve dans les mémoires. Ce qu’on y lit à ce sujet,présente plutôt l’image de ces dénonciations vagues, qui sereproduisent fréquemment dans des temps de troubles, qu’on reçoit alorsprécipitamment, mais qui ne méritent point qu’on s’y arrête. D’ailleursces clefs sont trop courtes de tige, pour avoir pu servir aux énormesserrures qu’on plaçait autrefois aux portes des villes. Enfin était-ilbesoin de faire onze clefs pour livrer une ville ? N’est pas toujourspar une seule issue bien désignée, que les traîtres introduisentl’ennemi ? (V) Il faudrait peut-êtrecompulser beaucoup de volumes pour retrouver l’origine ou les tracesd’un droitque s’arrogeaient les officiers du Roi, quand il était envoyage. Les mémoires de Pont-Audemer en font mention, et c’estdans le compte des dépenses occasionnées par le passage du Roi, quece droitest énoncé. « Item « disent les échevins comptables » unducat d’or aux maîtres de l’artillerie, pour le droit qu’ils direntavoir de prendre sur chaque cent pesant de métal de cloches qui avaientsonné à l’entrée du Roi. » Les comptes rendus et les mémoires dedépenses, sont presque toujours des articles intéressans pourl’histoire ; ils répandent ordinairement une lumière certaine et fidèlesur des usages entièrement oubliés, sur l’état de richesse ou depénurie du siècle où l’on fit ces dépenses ; ils caractérisentle goûtd’après lequel elles furent ordonnées, quelquefois même lesopinions politiques qui en furent l’occasion ; ils montrent le luxe quiles étendit, ou ils marquent la sagesse qui sut les régler ; ils fontbriller les sentimens expansifs et généreux qui les commandèrent ; ilsdécèlent aussi la corruption qui les rendit quelquefois indispensables,etc. Nous ne citerons pas tous les articles qui pourraient présenter del’intérêt sous ces différens rapports, nous nous bornerons aux deuxsuivans. « Item, est-il dit en 1515, onze sols au cuisinier des carmes,pour avoir soin de nettoyer et curer la fontaine publique. » « Item,est-il dit ailleurs, deux cents francs au secrétaire de l’intendant,pour bons offices. » (VI)« Le comte de Dunois et plusieurs autres chevaliers et écuyers,jusqu’au nombre de 2500, et le comte d’Eu, de St.-Pol, les sires deSavennes, de Roys, de Moy, et plusieurs autres, jusqu’au nombre detrois cents lances et quatorze à quinze cents archiers chevauchaientd’un côté et d’autre, et se trouvèrent tous devant la ville duPont-Audemer, et premièrement du côté du comte de St. Pol, fut assaillisi vigoureusement tellement et longuement qu’il emporta d’assaut laditeville, jaçoit ce que les Anglais qui étaient dedans firent bien etgrandement leur devoir de la garder et défendre, et du côté du seigneurde Dunois y eut aussi de moult et belles armes faites…. moyennant aussiet par le feu de fusées qui furent jettées par dedans les fossés où ilsétaient en l’eaue jusqu’au col, qui était une belle proësse. Monstrelet liv. 3. Chronique deNormandie, an 1449. (VII)La correspondance invariable du mouvement de la mer avec les révolutionslunaires, la hauteur même des marées sous les différenteslatitudes, sont maintenant une de ces parties de l’enseignement publicqu’on n’est pas excusable d’ignorer quand on a reçu de l’instruction…..A quelle distance des sciences exactes, des connaissances naturelles etde l’art d’observer faut il donc croire qu’étaient les hommes instruitsil y a deux mille ans, lorsque nous voyons le plus grand capitaine deson siècle mettre en danger sa flotte et son armée, parce qu’il neconnaissait pas les marées de la pleine lune….. Quand nous voyonsCÆSAR, aussi grand homme de lettres que grand général, avouer que lesRomains n’avaient jamais entendu parler de cette particularité del’Océan. « Eadem nocte accidit ut esset luna plena quæmaritimos æstus maximos in oceano efficere consuevit nostrisque iderat incognitum. » Cæs. Comm. lib. IV. Il est vraiqu’alors,les connaissances d’un siècle étaient presque toujours perdues pour lessiècles suivans. Les livres des savans ne pouvaient se multiplier :nous ne voyons même pas que ces bibliothèques éparses, formées parquelques rois amis des lettres, aient été d’un grand secours pour lessciences. Les hommes de génie, enflammés du desir de savoir ;étaient isolés les uns des autres ; ils avaient toujours à vaincre lespremières difficultés ; ils se consumaient en efforts, et laissaient enmourant la carrière aussi embarassée pour les autres, qu’elle l’avaitété pour eux. C’est à l’époque de l’établissement duchristianisme, qu’il faut rapporter celle de la transmission deslivres, parce que les livres même tenaient à l’opinion religieuse, etque les réunions chrétiennes formées sous l’empire de cette opinion,conservaient et multipliaient les livres par principes. Le mêmeesprit anima dans la suite ces corporations permanentes, composéesd’écrivains et de copistes, dont le travail pénible, mais opiniâtre,conserva du moins les livres ou les multiplia, jusqu’à ce quel’imprimerie vint répandre les livres et les lumières par torrens ;unissant dans un seul faisceau les connaissances de tous les siècles,et ne faisant du monde entier qu’une seule école, où les hommes de tousles pays et de toutes les langues se rallieront peut-être un jour, auxmêmes principes et aux mêmes opinions !…. (VIII)Les titres anciens de cette abbaye, et sa légende en parchemin, sur lepremier feuillet de laquelle était peinte l’histoire de la fondation,se voyaient avant la révolution dans le chartrier. Il y était dit queHerluin, comte de Conteville, couvert de lèpre, et ne trouvant point desoulagement à cette maladie, fut averti dans un songe qu’il neguérirait qu’en dotant des moines et en leur construisant un couvent àGrestain. Depuis ce temps les sources qui coulent abondammentdans le vallon, et dont l’eau est d’une excellente qualité, ont étéregardées dans le pays, comme très-utiles dans les maladies de peau lesplus hideuses. Mais il existe une lecture qu’un évêque deLisieux écrivit au Pape, dans le douzième siècle, pour lui rendrecompte de l’abbaye de Grestain, située dans le diocèse de cet évêque.Entre autres plaintes très-nombreuses contre les moines, cette lettrearticule un fait grave, qu’elle dénonce au pape : il y est dit que lesmoines prétendaient guérir la fièvre en plongeant les malades sept foisdans une fontaine de leur couvent, à laquelle ils attribuaient unegrande vertu. L’évêque ajoutait qu’il était urgent de remédier à depareils abus, et citait, pour exemple, une femme qu’on avait tant defois plongée dans la fontaine, qu’elle y avait enfin perdu lavie. Neustriapia. cap. Grest. (IX)« Le 17 janvier 1450, le roi partit de Jumièges et alla coucher à uneabbaye nommée Grestain, à deux lieues dudit Honnefleu, et tous ceux quiétaient audit siège firent grans approches, fossés et mines, etassortirent bombardes, canons et engins volans, qui moult ébahirentceux de ladite place….. Et furent tellement ébahis les Anglais, quepaour et nécessité les contraignît d’eux rendre, pourquoi fût faitecomposition de rendre ladite place, le dix-huitième jour de févrierensuivant, au cas qu’ils ne seraient combattus….. Et pour combattreaudit jour firent les Français grandes diligences de ordonner et clorrele champ où ils étaient….. Mais les-dits Anglais n’y vinrent point etne comparurent aucunement. » Chronique de Normandie.C’étaitl’usage, dans ce temps-là, que les assiégés, sommés de se rendre,demandassent, au préalable, à combattre les assiégeans en champ clos,soit en troupe, soit en duel. Cela tenait à l’opinion du siècle et àl’orgueil des camps. On pouvait convenir de la supériorité del’ennemi sous le rapport du nombre de ses soldats, de la force de sesmachines, ou de la faiblesse de la place attaquée : mais on ne pouvaitpas convenir de cette supériorité en valeur et en courage, et c’étaitune chose indispensable pour l’honneur, de demander à se mesurer corpsà corps : cela se faisait presque toujours, et nous en trouvons uneautre preuve au siège d’Harcourt. « Les Anglais douptant fortles canons, composèrent à rendre le château, au cas qu’ils ne seroientles plus forts en champ un jour dit, qui fut le vendredi, et de cebaillèrent hôtages, auquel jour ils ne se trouvèrent point, et pour cerendirent ledit château. » Monstrelet (X)» Le vomissement est l’effet du mouvement convulsif de l’estomac, etces convulsions peuvent être produites par différentes causes ; cellesqui sont la suite d’un état maladif, ne peuvent être appaisées que parla guérison des affections qui en sont la source ; mais celles que desmouvemens insolites occasionnent se guérissent d’elles-mêmes, aprèsavoir fait beaucoup souffrir les personnes qui en sontattaquées. Il y a des physiologistes qui placent dans l’œil,et même dans laretine, la première source du mal : les mouvemens apparens des objetsextérieurs donnent un commencement de vertige, et les affections secommuniquent de proche en proche jusqu’à l’estomac qui entre enconvulsion. M. Ruelle a trouvé que l’éther, ou la liqueuréthérée de Frobenius était un remède souverain contre ces accidens.Cette liqueur appaise les vomissemens et facilite la digestion, etc….Pour prévenir cette incommodité, l’on n’aura donc qu’à prendre dix oudouze gouttes d’éther sur du sucre que l’on avalera, en se bouchant lenez, de peur qu’il ne s’exhale ; ou bien on commencera par mêlerl’éther avec environ dix ou douze partie d’eau, on agitera ce mélange,afin qu’il s’incorpore au moyen d’un peu de sucre en poudre, qui estpropre à retenir l’éther et à le rendre plus miscible avec l’eau, etl’on boira une petite cuillerée de ce mêlange, ce qui empêchera levomissement ou le soulèvement de l’estomac que cause le mouvement de lamer. » Encyclopédie.Art. vomiss. de mer. (XI)« Icelle ville de Harfleur était moult forte de murs et tours moultépesses, fermée de toutes parts, ayant grands et parfonds fossés….. futmise en la main du roi d’Angleterre, le jour St. Maurice 1414, à lagrande et piteuse déplaisance de tous les habitans et aussi desFrançais, car c’étaitle souverain port de toute la duché deNormandie. » Le roi Charles VII, se partit de sa cité deRouenseptembre 1449, armé d’une brigandine, et par-dessus d’une jaquette dedrap d’or, accompagné du roi de Cécile et des autres de son sang engrans habillemens et richesses, et par espécial le comte de St. Pol quiavait un chamfrein à son cheval, prisé trente mille écus,etchevaucha le roi mettre le siege à Harfleur….. et fut en personne èzfossés et èz mines sa salade sur la tête et son pavois en sa main….. Etfut le premier janvier 1460, après la reddition des clefs de Harfleur,ôtée la bannière des Anglais, qui était sur une des tours du Havre làChampblanc, et une croix rouge parmy ; et après, par deux héraults, futmise la bannière du roi de France, en laquelle mettant il y avaitgrande crierie et réjouissement de peuple. » Monstrelet. Lemot Havre,ne signifie dans ce passage, que le port d’Harfleur. C’estun mot générique comme le mot Anglais harbour, quisignifie comme lui portde mer, et qui a la même origine. Il n’est pas le seulqui rappele l’ancien mélange des deux langues. On formerait un petitvolume, si on voulait recueillir tous les mots semblables, tous lesdérivés, toutes les étymologies, toutes les racines que la comparaisondes deux langues ou des idiômes locaux donnerait lieu d’observer. Laressemblance est si fréquente et si marquée, qu’on est tenté de donnerune origine anglaise à beaucoup de noms qui se rapprochent de cettelangue. Tels sont ceux qui se terminent en fleur, et qui sontentrès-grand nombre dans le voisinage de la mer. Prenons pourexemple, Harfleuret Honfleur.On écrivait autrefois Harfleu,Honnefleu. Hard, en anglais, signifie fort, grand, puissant; flew,signifie courant,rivière, flux, flot, et leur composé Harfleusignifiait que les marées s’élevaient fort haut en cet endroit de larivière, que le mouillage était avantageux à Harfleu, qu’onpouvaitentrer dans ce port et en sortir à volonté. Honnefleu, composéde flew, flux,flot, etc., et de One un, seul,donnait à entendrequ’on ne pouvait entrer à Honnefleuqu’en certain temps, et quetoutes les marées ne présentaient pas la même facilité pour lemouillage. (XII) Le nouveau bassinn’est point encore achevé, les murs seuls et le parapet sont finis. Ilssont construits avec deux espèces de pierres, l’une coquillière etl’autre granit micacé : on tire cette dernière des isles de Chosay.Parmiles particularités remarquables de la ville, on peut compter, 1.° lesbalustrades gothiques des frontons des deux croisillons de l’égliseNotre-Dame, dans lesquelles, au lieu de balustres, l’architecte adécoupé les premiers mots du Pater et de l’Ave qu’on voitencore. 2.°Le portail de cette église, qui menaça ruine pendant quelque temps, etdont la chûte paraissait inévitable, parce qu’il était sensiblementsorti de son à-plomb. On assure qu’un simple maçon se chargea de leredresser, et qu’il réussit en creusant la terre au pied, du côtéopposé à la pente, et en rappelant la masse dans la perpendiculaire,par le seul effet de sa pesanteur. (Histoire du Havre, par Pleuvri.)3.°Une épitaphe, dans la même église, dite l’épitaphe des trois Raullins.Il est constant que ces trois frères furent massacrés en plein jourdans l’hôtel de ville, sous les yeux et par les ordres du commandant,jaloux de leur mérite. L’épitaphe dit modestement, qu’ils décédèrenttous les trois à la même heure, au Havre, le 16 mars 1559.LeHavre souffrit beaucoup pendant les dernières guerres civiles. Il tombamême au pouvoir d’Elisabeth, par suite de la convention que le partides réformés fit avec cette reine, en 1562. Hist. du Havre.Certesnous n’examinerons point dans quels cas les persécutions etl’oppression peuvent rendre légitime une résistance armée…… mais ellesne peuvent jamais rendre excusable l’appel aux étrangers, ni l’entréequ’on leur donnerait dans la moindre portion du territoire de la patrie! (XIII) Scuderi fit un poëmeintitulé Alaric,et le dédia à Christine, reine de Suede, qui promitau poëte une chaîne d’or de mille livres ; mais dans l’intervalle de ladédicace à l’impression, la reine disgracia le comte de Gardies dontl’éloge était dans le poëme, et l’on conçoit bien que la reine voulutfaire supprimer l’éloge. Le poëte répondit qu’il faisait le plusgrand cas des dons de la reine, mais qu’il ne renversait pas les autelssur lesquels il avait brûlé de l’encens ! (Encyclop.) En necitant que quelques noms célébres nous sommes loin d’insinuer que leHâvre n’ait pas donné naissance à beaucoup d’autres personnes demérite. Il en est qui ne sont pas très-connues et à qui les arts ontdes obligations réelles ; par exemple le Hantier qui a donné des règleset une méthode particulière pour mettre les objets en perspective. Il anon-seulement écrit sur cette matière, mais il a mis ses principes enpratique avec succès, et il a peint en différens endroits des racourcis du plusgrand effet. Le Hantier n’eut point une grande célébrité, point defortune, point de protecteur zélé, il n’eût que des talens et desennemis. (XIV)Deux fœtus d’aiguillat, que nous conservons à l’Ecole centrale, nousont fourni la solution d’une difficulté qu’on élevait contre laconjecture que nous avons hasardée.Si l’aiguillat, disait-on,sortait de la mère avec l’œuf pendant à l’æsophage, il serait entraînépar le poids et ne pourrait se mouvoir. D’ailleurs ce squale, commetous ceux du même genre, ne saisit sa proie qu’en se tournant sur ledos ; or, le poids de l’œuf, sa forme, son volume, seraient pour lejeune aiguillat un obstacle invincible à cette manœuvre. Voici ce quele hasard nous a fait reconnaître. 1.°L’œuf est spécifiquement plus léger que l’eau de la mer. 2.° Le poissonest plus pésant que la même eau, d’où il suit que dans l’immersion dujeune aiguillat et de son œuf, celui-ci s’élève et flotte au-dessus dupoisson, comme les ballons précèdent les aréonautes dans l’atmosphére.Ainsi la position renversée devient très-facile à prendre, elle estmême la plus naturelle de toutes pour l’aiguillat. Peu s’en fautque nous ne comparions cet œuf et son cordon aux lisières protectricesqui servent à l’enfance de préservatif et de support ; …….. maiscombien d’apparences l’observation n’a-t-elle pas souvent démenties ? (XV)Le citoyen Scanégatti, de l’académie de Rouen, fut chargé en 1788, parle bureau intermédiaire de l’Assemb. provin. de haute Normandie, defaire des recherches sur les tourbières et les mines de charbon deterre : voici l’extrait de son rapport, inséré dans celui du bureau,page 184. « A Joble, il existe à un quart de lieue de la Seineun banc de quinze pieds d’épaisseur apparente, d’une tourbe concrete,laquelle brûle comme l’amadoue, sans s’éteindre, jusqu’à sa totaleréduction en cendres ; sa flamme, d’un jaune bleuâtre, est très-ardente; son odeur est sulphureuse et non pas nidoreuse, comme celle desmarais, sur laquelle sa compacité lui donne encore l’avantage derésister à l’action du soufflet du maréchal. Une excavation de douzepieds a augmenté d’autant l’épaisseur apparente de ce banc, enfournissant encore une matière plus compacte. On ignore sa profondeurtotale, ainsi que sa longueur, qui se prolonge dans la colline,composée supérieurement d’environ 130 pieds de crayon et de deux piedsde terre plus ou moins végétale à sa surface. La facilité del’exploitation et la proximité de la rivière, rendent cettedécouverte précieuse. » Si, dans des essais qu’on a faits àParis, il y a quelques années, on a pu convertir de la tourbe en uncharbon, avec lequel on soudait à la forge des douilles de bayonnettes,on pourrait certainement tirer le même parti de cette tourbière. (XVI)Le nom de cornesd’ammon, sous lequel ces fossiles ont étévulgairement connus vient, 1.° de ce qu’ils ont un peu de ressemblanceavec certaines cornes de bélier ; 2.° de ce qu’ils étaient autrefoisconsacrés à Jupiter Ammon, comme propres à révéler aux hommesl’interprétation des songes. Quoiqu’ils n’ayent plus aujourd’huile même crédit et que les naturalistes les ayent avec raison classésparmi les nautiles, ils ont conservé leur nom primitif etsonttoujours appelés cornesd’ammon. Si nous leur donnons ici celui deplan-orbes c’est uniquement pour désigner leur forme par un seul mot.Au surplus ce nom qui pourrait devenir générique leur convient au moinsautant qu’à certains mollusquesde nos rivières, pour lesquels ilparait avoir été composé. (XVII)Valmont de Bomare, dans son dictionnaire d’histoire naturelle, parleainsi de cette espèce de phénomène, au mot cercle ou anneaumagique :« C’est un phénomène que l’on voit assez souvent à la campagne, qui estune espèce de rond que le peuple supposait autrefois avoir été tracépar les fées, dans leurs danses. On voit un gazon pelé en rond, à lalargeur d’un pied, tandis que le milieu de sept à huit toises au moinsde diamètre est vert. Quelques-uns attribuent ce phénomène autonnerre, d’autres prétendent que ces cercles sont formés par lesfourmis : quelle qu’en soit la cause, elle est naturelle et nonmagique. » Cette description n’est pas suffisante, et nouscroyons pouvoir ajouter, pour l’explication de ce phénomène, desparticularités dont nous nous sommes rendus certains.1.° Il y abeaucoup plus de bandes interrompues et d’arcs, proprement dits, qu’iln’y a de cercles entiers. 2.° Il y a des bandes et des cerclesde toutes les dimensions, depuis deux pieds de rayon jusqu’au de-là dequarante pieds de diamètre. 3.° La seule uniformité qu’on remarque dansces bandes, est leur largeur, qui presque par-tout est la même. 4.° Legazon des bandes n’est pas toujours sec et pelé, il est au contraired’un très-beau vert dans quelques circonstances. 5.°Il y a beaucoup de ces bandes qui se coupent sous différens angles,avec plus ou moins d’excentricité, et l’on n’en trouve nulle part deconcentriques. 6.° Enfin, il n’y a pas un cercle, pas une seule bandeoù l’on ne trouve des champignons, ou des débris de champignons.D’aprèsces observations, il parait évident que ce phénomène ne doit absolumentson origine, qu’à quelques espèces de champignons qui croissent dansl’étendue des bandes. Il est vrai qu’en attribuant à l’influence deschampignons l’état du gazon dans lequel ils se trouvent, il faut queles champignons affectent de pousser en rond, etpeut-être celaparaîtra-t-il aussi difficile à expliquer que l’anneau de gazon luimême ; mais toute la difficulté se réduit à savoir si les champignonssont toujours semés enrond, et cela ne paraîtra peut-être pasinvraisemblable, si l’on considère, 1.° que tous les champignonsrépandent autour d’eux quand ils sont mûrs, une poussière abondanteplus ou moins noirâtre ; 2.° que cette poussière est universellementregardée par les naturalistes comme la graine du champignon ; 3.° enfinque cette poussière examinée au microscope, présente réellement toutesles apparences d’une graine. On peut donc considérer chaque champignoncomme le chef d’une nombreuse famille, et le centre de lagénération future. Lesfeuillets, qui sont en dessous du chapeau, contiennent la poussièrenoire qui doit produire les champignons de l’année suivante ; lechapeau qui les a recouverts pendant l’accroissement de la plante,change de forme à l’époque de sa maturité ; de convexe qu’il avait étéjusqu’alors, il devient concave, et les feuillets relevés en dehors, setrouvent le plus convenablement disposés pour lancer au loin la grainequ’ils renferment. C’est alors que par la contraction subite desfibres, cette graine est projettée plus ou moins loin selon la force duchampignon. Nous voyons la même chose arriver dans la dispersion desgraines du génêt, de la balsamine, de la fraxinelle, (dictamnus) duconcombre sauvage (momordicaelaterium), et mieux encore dansl’explosion de cette espèce de champignon spherique, connu sous le nomde vesse de loup : on sait en effet que son enveloppe se déchire àl’époque de sa maturité, pour donner issue à la graine que cechampignon lance, sous la forme d’une poussière noirâtre. Sil’on admet une fois cette supposition, que tout concourt à rendreprobable, il ne sera plus mal aisé d’expliquer la forme circulaire queprésentent les semis de champignon. 1.° La graine sera seméeen rond, parce qu’elle sera lancée, avec une égale force, detous les points du chapeau.2.°Il n’y aura jamais de bandes concentriques, elles seront au contrairetoutes excentriques, parce qu’il n’y a qu’un champignon générateur,pour chaque bande dont il est le centre ; et les bandes se couperontlorsque deux champignons seront assez voisins l’un de l’autre, pour queles rayons de leur force expansive se croisent et que la projection dela graine forme des cercles ou des arcs excentriques. 3.° Lescercles seront parfaits lorsque le chapeaun’aura été blessé dansaucun point de sa circonférence ; et il n’y aura que des portions decercle ou des arcs, lorsque le chapeau endommagé par la pluie, entamépar le vent, brûlé par le soleil, vicié par la carie, rongé par deslimaçons ou paralisé par les piqûres des insectes, n’aura conservé savertu productive que dans une partie de ses feuillets. Lacitation que nous avons faite de l’explosion de la vesse de loup,(lycoperdon bovista)nous donne occasion d’ajouter que dans le mêmebois où l’un de nous prit les femelles de làmpyris, ou versluisans,il y avait plusieurs vesses de loup de quatorze à quinze pouces dediamètre ; nous avons déposé une de ces productions monstrueuses aumuséum de l’école. (XVIII) La coupeperpendiculaire de la pointe de la Roque, l’isolement de ses pics etl’étendue de son horizon, contribuent ensemble à faire regarder sahauteur comme beaucoup plus grande qu’elle ne l’est en effet. Tous ceuxà qui nous avons dit qu’elle ne s’élève qu’à cent cinquante pieds, enont été surpris ; peut-être même eussent-ils douté de nos opérations sila vérification qu’on en avait faite, avec un plomb, n’eût pas levétoute incertitude. Cette vérification nous a donné la preuve,qu’on ne peut apporter trop d’attention aux mesures qu’on prend sur leterrain ; qu’il faut continuellement vérifier le travail, et qu’on nepeut se donner trop de soins pour constater toutes les opérations. Ily avait autrefois, sur la pointe de la Roque un hermitage, dont on n’aconservé que le souvenir sous le nom de grotte de St.-Berenger; lescartes de Cassini en marquent encore l’emplacement, et le Neustriapia attribue l’origine au dégoût de Geremerabbé de Pantalle,queles moines voulurent faire périr une nuit, lorsqu’il revenait de prierà l’Eglise. Neust.pia cap. pantallium, sæc, septimo. (XIX)Cette commune et trois autres communes voisines, enclavées dansl’ancien territoire des diocèses de Lisieux et de Rouen, dépendaientautrefois, parexemption, d’un diocèse de l’ancienne Bretagne, et latradition, les historiens, les chroniques locales sont d’accord sur lademeure temporaire que quelques évêques de Dol ont faite à St.Samson-sur-Risle : 1.° Lobineau dans son histoire de Bretagne, tomeI.er, page 75, dit que « Childebert donna plusieurs propriétés situéesdans les environs de Pont Audemer, à St. Samson, de Dol, qui bâtit encet endroit un monastère. » 2.° Une épitaphe qu’on lisait avantla révolution, dans l’abbaye de Préaux, à deux lieux de là, attestaitqu’un évêque de Dol, nommé Baudry, (Baldéricus) était enterré dansl’église de cette abbaye. 3.° Au commencement du dernier siècle,on trouva dans l’église de St.-Samson, dont on pava le sol, une crosseau fond d’un cercueil qui était près de la grande porte. 4.° Onvoyait encore, il y a dix ans, dans cette église, un cénotaphegrossièrement construit, sur lequel était une figure d’évêque en habitspontificaux, avec un pallium, signe d’un privilège que lesévêques deDol ont pendant long temps prétendu conserver. 5.° Uneinscription qu’on lit sur un pilier de l’église, vis-à-vis de la portelatérale, prouve que les prebendésde St. Samson furent, il y a centans, condamnés par arrêt de la cour à faire l’office canonial.L’histoirenous apprend que vers le milieu du 6.e siècle, St. Samson, originairede la Grande Bretagne, vint en Armorique, et que s’étant efforcéd’appaiser des troubles et des dissentions entre les princesd’Armorique, il y parvint en employant la recommendation de Childebert,qui le prit lui-même en grande affection. D’après cela il n’estpoint invraisemblable que Childebert ait donné des terres à St. Samson,qui n’était qu’évêque régionnaire : cela suffit pour expliquer ce qu’ily a d’étonnant dans l’exemptiondes quatre communes, et pourjustifier les manuscrits de diverses bibliothèques conventuelles, quis’accordent à raconter le fait de la même manière. (XX)Les majuscules représentent les lettres conservées, les petitescapitales sont employées pour remplacer ce que le temps a détruit, etles italiques pour développer les lettres doubles et lesabréviations.
HICREQUIESCUNT CORPORA SACERDOTIS BENEDICTI QUi OBIIT. septimo kalendas.MAI (25 avril) ET RODULFI. tertiokalendas Augusti. (30 juillet) Qui IN HOC LOCO SERViERunt DomiNuS IN DiE JUDiCIIRESUSITAT ILLIS ANIMaS etCORPORIS et DUCIS IN REGNUMQUod Est Pro MIssum (ou QUEm Pro MIttis) SPE FIDE IIBeati (ou Beatum) PARADIsum PoSSIDEANT INterR ANGelisARCHANGelisDet EIS DomiNuS CORONIS auREIS et INTERSANCTOS (ouSANCTIS) ESCE ACILLIS SINE FINE CUM CHRISTO IN GLORIAPERmaneRE.AMEN. Le style de cette pièce rappèle un passage deGrégoire de Tours, dans lequel il s’appliquait à lui-même ce qu’on eûtpu dire à l’auteur de l’épitaphe. « Sæpius pro masculinisfœminea pro fœmineis neutra et pro neutris masculina commutas : proablativis accusativa et rursùm pro accusativis ablativa ponis.» Greg.Turon. Prœf. lib. de glor. confess. La seconde épitaphequiparaît un peuplus moderne, est beaucoup moins longue et beaucoupmeilleure ; elle a même cet avantage, qu’elle paraît avoir été faite oudemandée par celui dont elle marquait le tombeau. « Quod es fui, quodsum eris, precor te ora pro me peccatore ad Dominum Patrem nostrum. » (XXI)Ce voyage de Louis XI sur une frontière importante, par des cheminsdifficiles et couverts, où l’on ne pouvait aller qu’à cheval et àpetites journées : le passage du roi et de toute sa suite dans un bacqde 20 pieds de long sur dix de large, nous firent concevoir l’embarraset les lenteurs que la difficulté des communications devait apporterautrefois dans les affaires, l’incertitude que cela jettait dans lesdélibérations, et les partis que cela donnait lieu de former dans destemps de troubles. C’est principalement dans les époquesreculées de notre histoire, qu’on peut voir de quels désastres cesinconvéniens étaient la source. « Dans la Gaule, dit Cæsar, Comm. lib. I., onn’a communément de connaissance d’un pays éloigné,qu’autant que les passans et les marchands forains peuvent en donner.Tout le monde les entoure quand ils paroissent, pour leur demander desnouvelles : ceux-ci, interrogés à droite et à gauche, accablés de millequestions, forcés de parler des pays d’où ils viennent, alors mêmequ’ils ne savent rien de ce qui s’y passe, répondent au gré desquestionneurs, et ne leur donnent souvent que des détails controuvés,qui deviennent pour ceux-ci la source des plus grands malheurs et desregrets les plus amers, à la suite des delibérations hasardées qu’ilsprennent sur les affaires les plus importantes. » Avec un peuplus de facilité dans les communications, rien de tout cela ne futarrivé ; et ces voyes Romaines construites dans les Gaules et dans tousles pays conquis, étaient peut-être un des plus grands moyens que lapolitique des généraux joignit à la force de leurs armes, pour asservirles peuples ou pour les contenir sous le joug. En effet, en lesétablissant, pour la communication des garnisons et des camps, lesconquérans réunissaient, en peu de temps, des forces immenses etdissipaient, avant qu’ils fussent dangereux, les rassemblemens que ladifficulté du pays empêchait elle-même de grossir et de devenirformidables. Qu’on se rappèle, ce qu’on a du remarquer pendantla révolution : cette rapidité de communication d’un bout à l’autre dela France ; cette profusion de feuilles périodiques qui parlaient àtrente millions d’hommes à-la-fois ; cette influence magique descourriers sur les déterminations de la majorité ; cette impossibilitéd’accréditer de faux bruits et de former des partis, quand tout lemonde était instruit des vrais résultats et que les conquêtes du plusfort ne pouvaient être démenties par personne ! Quelles sontdonc les chances incalculables que la civilisation présente aujourd’huipour la conservation des corps politiques : depuis qu’il est plusfacile à deux peuples de communiquer entre eux, qu’il ne l’étaitautrefois à un suzerain d’écrire à son vassal ; ou plutôt depuis lamultiplication des grandes routes, l’établissement des postes etl’invention de l’imprimerie ? ajoutons la découverte du télégraphe. (XXII)Nous employons ici l’expression de verger d’habitation, pour faireentendre qu’autour de la maison il y a toujours un terrain enclos etplanté comme un verger ; mais ce n’est pas ainsi qu’on a coutume denommer ces enclos. On leur donne souvent le nom de cour qui leurconvient très bien et souvent aussi celui de masure, qui partoutailleurs ne signifie qu’un vieux bâtiment tombé en ruines. Cetteacception locale du mot masure,pour signifier un enclosd’habitation, quelque étendu qu’il soit, produit quelquefois dans lesactes, la plus grande opposition qu’il puisse y avoir entre deux motset les idées. Item,une belle masure en bon état avec plusieursbâtimens tout neufs. Ce mot vient du latin mansio, mansile,mansura,masura, masure. (Ducange.) (XXIII)Un auteur Anglais qui a écrit sur la pêche, rend plus de justice auxbonnes qualités de la dorée, et nous citerons ici le passage où cetauteur appuie ce qu’il écrit, sur le témoignage d’un Epicurien assezconnu de son temps, pour qu’il pût l’invoquer comme une preuve sansréplique. « La chair de la dorée est très-tendre et facile à digérer,elle est même assez délicate pour qu’elle soit préférée par plusieurspersonnes à celle du turbot. Les chasse-marées en apportent beaucoup àla poissonnerie de Londres, où elles se vendent fort cher, et lecélèbre Epicurien M. Quin, a souvent exalté le mérite de la dorée, endisant qu’elle était, pour le goût, au-dessus de tout ce qu’il y avoitde poissons dans la mer. » theart of Angling by R. Brookes. Ilest cependant un reproche que pourraient lui faire des acheteurs, quisongent plus à la quantité qu’à la délicatesse de leurs mêts : c’estqu’il n’y a pas beaucoup àprendre dans la dorée, et que la panse enest énorme.
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Nota.Les élèves ontfait un second voyage et de nouvelles observations pendant les vacancesde l’an 9 ; mais au lieu de voyager tous ensemble, ils ont formé deuxdivisions : la première a commencé ses recherches au point où lesobservateurs de l’an 8 s’étaient arrêtés, et elle a parcouru un espacede vingt-cinq lieues sur les limites des départemens de l’Eure et de laSeine-Inférieure, en partant du confluent de la Risle et de la Seine.La seconde a visité une partie de l’intérieur du département, et deslimites qui le séparent de celui de Seine et Oise. Cesdeux divisions correspondaient entre elles, et se faisaientmutuellement part de leurs découvertes ; la première portait le nomd’expédition de l’ouest ; la seconde s’appelait l’expédition del’Orient, et le zèle qui les animait leur faisait mettre à leurstravaux l’intérêt le plus vif. Ces travaux n’ont point été sansquelques succès. Les divers objets d’histoire naturelle et d’antiquitérecueillis par les élèves, ont été exposés à l’ouverture solemnelle descours de l’an 10, et le public les a vus avec satisfaction. LeConseil d’instruction, jaloux de soutenir l’émulation des élèves,publiera leur correspondance lorsqu’il aura pu faire graver leursdessins. Il regrette vivement que ces petits voyages n’ayent pu avoirlieu plutôt : l’expérience de deux années lui en a fait sentir tous lesavantages, et s’il avait été possible de les commencer dèsl’établissement de l’Ecole centrale, comme il en avait eu le projet, onaurait peut-être acquis un grand nombre de précieux détails sur desobjets qui restent ignorés, et qu[’]il faut presque toujours allerétudier sur les lieux.
FIN.
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