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KAHN,Lieutenant-Colonel : Les Prussiens à Lisieux en 1815.- Lisieux :Imprimerie Émile Morière, 1916.- 44 p. ; 18,5 cm Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (03.VI.2011) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: NORM BR 2139). Les Prussiensà Lisieux en 1815 par Le lieutenant-Colonel Kahn Commandant du Dépôt de Lisieux en 1915 ~*~L’histoire telle que nous lalisons, telle qu’on l’enseigne aux jeunes générations, negagnerait-elle pas à être examinée de plus près, en indiquant pourchaque région les phases qui l’intéressent tout particulièrement ? Au lieu de présenter une suite de faits souvent idéalisés, toutFrançais ne devrait-il pas connaître les événements exacts et de natureà exalter son patriotisme et renforcer sa volonté de maintenir son payshors du joug étranger ? La paix signée, la vie reprend vigoureusement son cours et les ruinesaccumulées par la guerre sont vite relevées. A peine aperçoit-on ça etlà quelques charpentes délabrées et noircies par l’incendie. Le reste adisparu : les plaies sont pansées. On se souvient bien encore, mais lesouvenir s’éteint à son tour et les générations suivantes passent sansémotion à côté des plus grandes tourmentes. Une date apprise :Austerlitz, 1805... Waterloo, 1815.... et c’est tout ! Dans les moments actuels, quels sont ceux qui, parmi nos concitoyens,ont songé aux exactions commises par l’armée prussienne en 1815, àLisieux et dans ses environs ? Et pourtant, c’est en libératrices, enamies, que ces hordes sont venues s’implanter chez nous, durant ledernier semestre de l’année 1815. En parcourant la relation très succinte, mais très réelle des faits etgestes de ces amis charmants (!), le lecteur pourra peut-être se faireune idée des douleurs, des humiliations supportées héroïquement depuisbientôt 28 mois par les populations de la Belgique et de nosdépartements envahis ? Là-bas, le reître est conquérant. Il est le maître et la schlague, ladéportation, la mort sont ses auxiliaires. Son instinct cruel etdespote est déchaîné, il s’épanouit honteusement dans les crimes lesplus monstrueux. Après Waterloo, les Alliés (Prussiens, Autrichiens, Russes), entraînantdans leur suite le roi Louis XVIII le replacèrent sur le trône deFrance, mais afin d’assurer la reprise de son pouvoir, ils décidèrentde stationner chez nous. L’armée prussienne, sous le commandement du maréchal Blücher, choisitles contrées les plus riches pour y restaurer ses hommes et remonter sacavalerie. La Normandie devenait pendant des mois le grenierd’abondance de ce peuple oppresseur. Malgré les ordonnances royales promettant de la part des Prussiens uneoccupation des plus douces, malgré les émissaires du roi – anciensémigrés accrédités auprès de l’ennemi – affirmant les bonnes intentionsdu roi de Prusse, la terreur précéda de beaucoup l’arrivée de l’arméede Blücher dans nos régions. Dès le 26 juillet, le maire de Lisieux, M. Nasse, apprenant l’avancedes premiers éléments prussiens vers Pont-Audemer, dépêche un homme deconfiance à cette municipalité. Réveillé à 3 heures du matin, M.Auvray, maire de Pont-Audemer écrit, le 27 juillet à 3 h. 50 du matin,une lettre dont il chargea cet homme. Elle confirmait l’arrivée de 4.000 hommes de troupes prussiennes àPont-Audemer, destinées à y rester. Le maire s’étonne que le préfet duCalvados, M. d’Hondetot n’ait pas encore averti ses administrés destroupes alliées à recevoir (troupes alliées était alors l’appellationofficielle). Il veut croire à une fausse alerte en ce qui concerneLisieux. Il le souhaite pour elle. La ville de Pont-Audemer doitfournir quotidiennement à chaque Prussien : 2 livres de pain, – 1 livre de viande, – 1 bouteille de bière. – Deplus, une bouteille d’eau-de-vie pour 5 hommes et 16 litres d’avoinepar cheval. Le département de l’Eure, ajoute-t-il, a 20.000 hommes à loger – touschez l’habitant, – les officiers dans les châteaux ou manoirs demaîtres. Il conclut : Pour éviter tous conflits, j’ai dirigé surLisieux tous les blessés français encore en traitement dans ma ville. Dans le même temps, M. Nasse avait envoyé un autre émissaire à Bernay.M. Beaulieu, son maire, lui apprend qu’il a reçu une avant-gardeprussienne. Celle-ci lui annonce la venue de 1.500 Prussiens et 800chevaux. Tout sera logé chez l’habitant, lequel pourvoiera à lanourriture et au fourrage. De Bernay, tous les militaires et blessésfrançais sont évacués sur Rouen. En dépit des menaces de ces gensproclamés « libérateurs », M. Beaulieu ne sait s’il parviendra àsatisfaire leurs exigences. Malgré ses émissaires, malgré les nombreuses demandes adressées à lapréfecture, le maire de Lisieux reste toujours dans l’ignorance, quand,le 2 août, M. Lecordier de Valencour, sous-préfet, lui communique unordre de la préfecture de Caen, en date du 1er août. Le préfet informe l’arrondissement de Lisieux du passage et du séjourdes troupes prussiennes. Il exige la formation d’approvisionnementspour leur subsistance. Il écrit en substance : « Je compte sur votrezèle et votre activité pour que cette troupe n’ait aucune plainte àformuler. » Il ajoute que sur l’ordre de M. Foss, intendant du corps d’arméeprussien, il sera établi dans chaque chef-lieu d’arrondissement unmagasin de fourrage par voie de réquisition. La quantité qui doit êtrede suite versée au magasin de Lisieux s’élèvera à : 180 quintaux de foin, – 180 quintaux de paille et 750 hectolitresd’avoine, denrées toutes choisies. Les troupes de passage, comme celles qui séjourneront, serontexclusivement nourries par l’habitant. L’émoi est grand dans l’arrondissement. De tous côtés, les communes etles habitants de la ville, spécialement appauvris par les longuesguerres de la République et de l’Empire, adressent aux pouvoirs lesplaintes les plus qualifiées et demandent des précisions sur lacirculaire du préfet, signalée ci-dessus. Le sous-préfet, M. LeCordier, adresse le 2 août l’ordre suivant : « Vu la nécessité de se procurer les logements, les vivres et lesfourrages aux troupes prussiennes qui doivent arriver demain 3 août,invitons et réquérons au besoin M. le Maire de la ville de Lisieux derecevoir et de donner le logement, les vivres et les fourrages : 1° Au régiment de lanciers de Silésie, 2° à 250 hommes et 250 chevaux de la batterie volante, 3° à MM. les officiers généraux et autres officiers. « Les rations seront préparées à l’avance pour la troupe. « Ces demandes sous peine d’exécution recevront satisfaction immédiate. « LeSous-Préfet, signé : LE CORDIER. » N’est-ce pas là un aimable procédé d’amis ? Mais nos amis-ennemis ne devaient pas s’en tenir là. Le lendemain 3août, le sous-Préfet adressait au maire de Lisieux la lettre suivante : « Veuillez me faire connaître sans aucune perte de temps le nom destailleurs, cordonniers, vanniers, peintres et ferblantiers existantdans votre ville. J’attends ces renseignements pour les transmettred’urgence à M. l’Intendant prussien, qui va les réquisitionner pour lamain-d’oeuvre allemande en un point non encore désigné ». « Signé : LECORDIER ». Enfin, le soir, le sous-préfet adresse une nouvelle note pour laréquisition des bouchers, afin que la viande soit abattue pour lestroupes arrivant à Lisieux et environs. La venue des Prussiens a terrorisé la ville. Sachant leurs femmes etenfants en danger, les hommes n’osent plus quitter leur maison. C’est àqui implorera la municipalité de le libérer des hôtes « indésirables ». Le 4 août, le chef des gardes pompiers adresse au maire une supplique : « Appelé ce matin pour mon service d’incendie, j’ai trouvé au retourles choses les plus graves dans mon intérieur et vu la nécessité danslaquelle je me trouve de partir de jour et de nuit, je demande à êtreexempté de logement ». Signé :BONNIÈRE dit SAINT-CYR. Le maire, devant une situation aussi écrasante et qui nécessitait desfonds importants, réunit son conseil et adresse, le 3 août, à desadministrés cette lettre : « Pour l’exécution de la lettre de M. le Préfet du premier de ce moiset d’après la convention passée avec l’intendant prussien, les troupesde passage et de garnison seront logées et nourries par les habitants,lesquels leur fourniront également les fourrages. « Dans une circonstance aussi pressante, j’ai cru devoir convoquer leconseil municipal, afin d’aviser aux moyens de former un magasin. « Il a été arrêté qu’il serait formé deux classes de citoyens les plusaisés de cette ville. La première fera une avance de 60 fr. ; laseconde de 40 fr. « Je vous préviens que vous faites partie de la....e classe et je vousinvite, en conséquence à verser de suite et sans délai la somme à lacaisse de M. Lebrun, receveur municipal, dont il vous donnera récépissé». Le maire,NASSE. Cette première décision avait pour but de constituer le magasin àfourrage prescrit par l’intendant prussien. Chaque habitant solvablereçut le même avis, mentionnant la somme à payer. Il ressort des reçus existant aux archives de la ville que la grandemajorité s’exécuta. De plus en plus, les troupes prussiennes affluaient dans le pays. Le 8 août, le maire recevait l’ordre suivant daté de Thiberville : « Un détachement de lanciers s’en va d’ici à Lisieux pour entretenir lacorrespondance et surtout les communications entre Cambremer etThiberville. M. le Maire est invité à fournir à ce détachementlogement, vivres et fourrage et mettre la gendarmerie à leurdisposition pour compléter leur service. Ci-dessous le tarif desrations, lequel est celui des troupes prussiennes en France : 1° 2 livres de pain 2° 1 livre de viande, 3° 1 once de sel, 4° 3 onces de riz ou 60 onces de légumes frais, 5° 3 onces de beurre ou lard, 6° 1 litre de bière ou demi-litre de vin, 7° 1 décilitre d’eau-de-vie, 8° 1 once de tabac. Fourrage : 16 litres avoine, 6 livres foin, 3 livres paille. Signé : FISCHER. Le 9 août, le sous-préfet écrivait au maire : « Le préfet m’annonce qu’il vient d’être prévenu d’une nouvelle arrivéede 10.000 hommes d’infanterie du 1er corps prussien et 245 hommes decavalerie. Il importe que tout soit prêt pour les recevoir conformémentaux ordres de l’intendance prussienne et des tarifs fixés ». LE CORDIER. En outre, le maire est invité par l’autorité militaire prussienne quicommande en maîtresse absolue d’avoir en permanence à la mairie 20gardes à cheval, 20 guides avec voitures pour diriger et transporterdans les communes environnantes les détachements qui y sont destinés. Le 12 août, le sous-préfet écrit au maire de vouloir bien exonérer dulogement les percepteurs continuellement absents et chargés durecouvrement des impôts extraordinaires destinés aux dépensesoccasionnées par les troupes prussiennes. Vivres, fourrages, bétail, argent, tout est draîné pour satisfaire auxexigences de ceux qui sont venus chez nous par amour du roi Louis XVIII!!! Le 13 août, le général prussien Grabensky, commandant de place àLisieux, adresse la lettre suivante : « M. Formeville, 1er adjoint au maire, « En prenant le commandement de cette place, je prends l’honorablefonction de protéger M. le Maire, la municipalité et en général tousles habitants. Etant instruit de l’absence de M. le Maire, jem’empresse de vous faire part de mon arrivée. Toutes mesures de policedeviennent dès ce moment sous l’autorité et la direction du commandantde place. Tous les voyageurs doivent présenter leur passeport au bureaudu commandant. Personne ne peut sortir de la ville sans monautorisation ; les aubergistes et habitants seront rendus responsablesde toute infraction. « Ci-joint le tarif des denrées que doivent recevoir les militaires depassage ou de garnison (énumération donnée plus haut). L’habitant fournira sous peine d’exécution tout ce que nossoldats ont aussi le droit de lui demander. « Je prie M. le 1er adjoint de suivre strictement ces instructions. » DE GRABENSKY, Commandant de Place. « P. S. – J’habite chez M. Lerat, où j’aurai l’honneur de vous recevoir». Le même jour, le commandant de place informe le maire qu’il exige quesa porte soit gardée, chez M. Lerat, par des gardes nationaux, doublésde gendarmes d’ordonnance ; 4 plantons de la garde nationale serontadjoints pour porter les ordres. Les portes de la ville seront gardées par des détachements de gardenationale qui amèneront au bureau de la place tous les voyageurstraversant la cité. Ainsi, c’est encore à l’autorité française qu’il appartient de gardersa maison et de faire le service de planton en ville. Le 14 août, le même gouverneur Grabensky se plaint de ne pas connaîtreexactement les maisons et habitants qui logent ses hommes. Il ordonne àla municipalité d’avoir à dresser un journal donnant jour par jour lesindications nécessaires. Le même jour encore, le gouverneur Grabensky ordonne à la municipalitéd’avoir à évacuer une partie de l’hôpital pour y placer les militairesprussiens nécessitant des soins. Le 15 août devait avoir lieu la procession. Le gouverneur, consulté,répond au maire : « Avec plaisir, je donne mon consentement à la procession solennelleque vous voulez tenir demain, selon le voeu de S. M. Louis XVIII, roi deFrance et de Navarre. J’accorde de même volontiers l’accompagnement de60 hommes de la garde nationale et j’aurai l’honneur d’assister à cettefête avec MM. les officiers de mon corps. » GRABENSKY. Peut-être eût-il été préférable, cette année-là, que Louis XVIIIsupprimât la cérémonie. Le même jour 14 août, le gouverneur Grabensky ayant trouvé que lesclasses aisées et fortunées n’étaient pas soumises par la municipalitéaux mêmes prestations et logement que les classes pauvres – oh !justice et égalité ! – il en sera donc toujours ainsi – se fâche, donnel’ordre, sous peine d’exécution, que tous les logements soient changéspour le lendemain. Il n’admettra que les bonnes habitations et veut queles auberges et leurs écuries restent disponibles. Les chevaux serontlogés près des hommes. Il prévient le maire d’avoir à lui remettre leplan du cantonnement ainsi établi, avec le nom du propriétaire et laquantité des militaires ou chevaux qui seront ainsi logés. Le soir du 14 août, le maire, autorisé par ailleurs à faire laprocession du lendemain, est invité à remettre les clefs duGrand-Jardin, afin qu’un régiment puisse y être massé en cas de trouble. Le 16 août, le commandant de Place prescrit que les billets pourl’établissement de bains de la ville lui soient remis, les officiersdevant en faire usage. Dans la même note, il se fâche parce que lespieux et les bridons demandés pour un régiment de cavalerie ne sont pasencore délivrés. Le même jour, de nouvelles réclamations sont adressées au sujet deslogements encore insuffisants et d’un nombre de bridons non encorefournis. Beaucoup de Lexoviens absents apprenant que leur domicile est envahi,essaient d’obtenir de la municipalité le logement à leurs frais, soit àl’auberge, soit chez un particulier. M. Dumoncel de la Jonquinière,retenu à Rouen, insiste tout particulièrement. L’autorité prussiennepasse outre. Le commandement allemand se montre toujours plus exigeant sur lechapitre de la répartition équitable des garnisons chez les habitants.Le favoritisme, une des fleurs les plus néfastes de France, ne peutêtre enrayé ; aussi, le 17 août, Grabensky écrit au maire : « Par ma lettre du 16 courant, je vous invitais à changer lesmilitaires placés chez des individus très peu fortunés. Je vousdemandais de les placer chez les gens les plus fortunés de cette ville.Je regrette que l’ordre ne soit pas exécuté. « J’ai reçu les plaintes de ces malheureux et je sais qu’un nombre trèssupérieur de familles aisées n’ont pas un seul militaire. « Si une nouvelle plainte de ce genre me parvient encore, vous sereztenu responsable de l’exécution de mes ordres, que je ne renouvelleraiplus. V. GRABENSKY. Les difficultés croissent d’ailleurs de plus en plus. Les exigences desofficiers et soldats prussiens ne connaissent plus de limites. Une foisles meilleurs logements occupés, ces envahisseurs les trouvent encoreinsuffisants et les appartements intimes doivent même leur être remis. Un ordre de Grabensky, en date du 18 août, est très impérieux, mêmevis-à-vis du maire. Les pouvoirs publics, vivement actionnés par les populations, vontchercher à venir en aide à leurs administrés et par circulaire en datedu 19 août, le sous-préfet, M. Le Cordier, invite le maire à luiindiquer chaque jour, le nombre de Prussiens et de chevaux cantonnés enville. Chaque commune doit faire de même. Si dans la ville de Lisieux rien de très regrettable ne s’est encorepassé, – et cela peut-être grâce à l’autorité de Grabensky, – il n’enest pas de même dans les environs. Les bruits les plus fâcheux arriventde la région de Falaise, St-Pierre-sur-Dives, Mézidon, Fumay, etc.,etc., où la soldatesque prussienne s’est livrée aux plus honteux excès.Tout est pillé, saccagé. Les femmes et les enfants mêmes sont outragés.Nombreux sont les paysans qui abandonnent tout, fermes, bestiaux etrécoltes, pour se réfugier à Caen, Lisieux, ou tout autre endroit. Pourtant le Roi est sans énergie devant ceux qu’il traite d’ailleurs enalliés. Son entourage, en outre composé d’anciens émigrés, n’oses’insurger contre de semblables procédés et laisse les populations sousla schlague étrangère. L’aveuglement était tel à Paris que l’on vit à une soirée de galadonnée en l’honneur des empereurs de Russie et d’Autriche et du roi dePrusse, une salle entière composée de partisans du Roi, applaudir unchant remerciant ces autocrates d’avoir... délivré la France ! Les exigences augmentent toujours ! L’eau-de-vie devenant rare, lecommandant de place ordonne la création d’un entrepôt. Un nomméClavelin est désigné pour sa direction et rend compte, le 20 août,qu’il dispose de 30.000 rations à distribuer par jour. Le 20 août, le général Grabensky retire à la municipalité le droit dedésigner les logements. Il signera à l’avenir tous les billets etrépartira la garnison suivant ses désirs. Le 29 août, des difficultés s’étant produites au sujet des rations àaccorder aux officiers, le maire reçoit du commandant une fixation, –laquelle est le double de celle accordée aux hommes de troupe, – sanspréjudice d’ailleurs de ce qu’ils exigeront sur bons. Le 22 août, – ne perdons pas de vue que ces brutes sont chez nous depar la volonté du Roi, et en amis ! – la municipalité reçoit l’ordre defournir un local afin que les armes existant chez les particuliers detout l’arrondissement de Lisieux, y soient déposées. Chaque possesseurd’armes doit les remettre à la mairie de sa commune, sous peined’exécution. Toutes ces souffrances, ont bien peu d’influence sur Louis XVIII. Ilordonne la célébration de la fête de la Saint-Louis, le 26 août. La municipalité doit en demander l’autorisation aux Prussiens, ainsique celle de tirer le canon, suivant la coutume. Grabensky autorise lafête, promet d’y assister, mais il convoque M. Forneville à venirconférer le lendemain avec une autorité supérieure présente, au sujetdes coups de canon. Cette conférence n’eut probablement pas de solution, car le 24,Grabensky écrivait : « Monsieur le Maire, « N’ayant à ce moment reçu aucune réponse de Caen relative à la fête duRoi, qui doit être célébrée demain, je vous prie, en conséquence, dedonner l’ordre à vos administrés qu’il ne soit tiré aucun coup de feu.Je ne puis vous autoriser à tirer le canon, pouvant être répréhensible. « Au surplus, vous pouvez prévenir vos administrés qu’ils peuvent selivrer à tous les plaisirs qu’ils trouveront convenables, mais àl’exclusion de ne tirer aucun coup de feu. » GRABENSKY. Quelle envie on devoir avoir de se livrer aux réjouissances ! Afin de faciliter la nourriture de la garnison prussienne, laMunicipalité décide de distribuer elle-même les rations. Les noms deshabitants logeant ces militaires figurèrent sur une liste, maisbeaucoup furent oubliés et des réclamations affluèrent à la mairie, carnon-seulement ils fournissaient à leurs garnissaires, mais encoreétaient redevables à la Municipalité des sommes dépensées. Le procureur du roi – Danglerville – habitant chez Mme Milcant, localdes ci-devant Jacobins, se trouva parmi les omis et réclama par lettredu 24 août le remboursement des vivres ainsi distribuées. Ces réclamations furent une source de graves discussions pour les gensde la ville et même les militaires. Le commandement prussien régla les choses à sa convenance. Le 24 août, le maire reçoit la lettre suivante : « Monsieur le Maire, « Son Excellence M. le Général en chef baron Roendern, doit arriverincessamment en cette ville avec une suite composé de : 11 officiers ; 8 commissaires ; 54 militaires ; 80 chevaux. « Il sera fourni tous les jours douze couverts au nom de votre ville età vos frais pour le général, 62 couverts pour la suite et le fourragepour 80 chevaux. « GRABENSKY ». Le 25 août, nouvelle lettre : « Monsieur le Maire, « Par votre lettre d’hier, vous m’avez désigné le château de Fervaquespour recevoir Son Excellence le général en chef Roendern, mais dans lecas où ce château ne conviendrait pas à M. le général, veuillez bienvous assurer en cette ville du logement qui sera le plus convenablepour le recevoir avec toute sa suite. Vous m’indiquerez aujourd’huiquel endroit vous aurez désigné. « GRABENSKY ». Pauvre maîtresse de maison de Lisieux ou de Fervaques ! Quellescontributions de guerre à verser sans cesse à nos « bons amis et alliés! » La présence continuelle des troupes prussiennes devient une chargeaccablante, non pas seulement au point de vue des dépenses, mais de lagêne générale. Aucun habitant n’ose quitter sa maison, craignant deconstater au retour les pires atrocités. Le sieur Jean-Baptiste Herfort écrit ainsi à la municipalité le 26 août: « Je supplie très humblement – depuis le 11 août, j’ai chez moi unegarnison de Prussiens ; or, forcé de partir à la campagne pour rétablirdes dégâts urgents – demande pendant le temps juste des réparationsd’être délivré des Prussiens. Autrement, vous savez pour quellesraisons je ne pourrais partir. « Jean-Baptiste HERFORT ». Signalons aussi, parmi les procédés de ces soudards, l’ironie ducolonel de lanciers, lequel ayant reçu l’ordre de partir, adresse endate du 26 août, la lettre suivante : « Monsieur le Maire, « En partant de votre ville, je me rends l’honneur de vous dire mesadieux et vous préviens par la présente que je partirai demain matin 7heures, dans l’arrondissement de Pont-l’Evêque, vers Blangy. Je vousinvite d’avoir la complaisance de me faire savoir si vous êtes contentde la conduite de ma troupe. J’ai la coutume de m’informer de celachaque fois que je quitte un endroit. S’il y avait quelque objet àplainte, vous me le communiqueriez avant mon départ. « V. FOLGERSBERG, « Colonel des lanciers». Ah ! le bon billet ! Quel cas aurait-il fait des réclamations ? Le 26 août au soir, le maître reçoit un avis urgent. Il paraît que leslocaux désignés en ville sont insuffisants pour le général de Roendernqui doit arriver. Il est donné jusqu’au lendemain matin, au maire, pours’exécuter. L’ordre lui est renouvelé de fournir les 12 couverts pourle général et ceux de sa suite, aux frais de la ville. Les guides placés dans les mairies des communes ne suffisent plus. Ilsdeviennent les domestiques des Prussiens, aussi en est-il réclamé denouveaux. Le Maire proteste auprès du Sous-Préfet qui répond parl’ordre suivant : 27 août. « Le Sous-Préfet de l’arrondissement de Lisieux requiert MM. les Mairesde Saint-Jacques et de Saint-Désir de faire placer, à partir de demainmatin 7 heures, chacun trois hommes et trois chevaux de selle à ladisposition des Prussiens à la mairie de Lisieux. MM. les Mairesdevront obtempérer de suite aux ordres de l’autorité prussienne, souspeine d’exécution militaire. Ils répondront personnellement del’exécution des mesures. » On voit que l’entente était complète entre l’armée prussienne etl’administration préfectorale ! Le 27 août, malgré une réquisition générale des cordonniers faiteprécédemment par l’autorité allemande, la municipalité reçoit l’ordred’un colonel de hussards de passage avec son régiment d’avoir à assurerle ressemelage des bottes de cette unité. Le régiment restera à lacharge de la ville jusqu’à la fin du travail. Là encore, il n’y avait qu’à s’incliner. La municipalité n’était plusqu’un agent d’exécution entre les mains de ces envahisseurs, dont lespouvoirs constitués se faisaient complices... Toute la ville devait souffrir, et l’Evêché ainsi que son parc –gracieux joyau de Lisieux – étaient remis aux soldats du Roi de Prusse. Toujours le 27 août, le Maire de Lisieux adresse la lettre suivante auSous-Préfet : « Monsieur le Sous-Préfet, MM. les officiers d’artillerie exigent que leurs pièces et caissonssoient placés dans le parterre de l’ancien Evêché, qu’il soit fait unpassage près de la maison du sieur Verneuil. « J’ai l’honneur de vous prévenir et j’attends votre réponse. « FORMEVILLE, 1er adjoint ». Bien entendu la réponse fut la suivante : « M. Le Maire de Lisieux est autorisé à faire tout ce qui convient poursatisfaire la demande ci-contre. CORDIER. Le même jour, le commandant de la Place avise le Maire que le généralbaron Roendern arrive le lendemain avec sa suite. Il insiste encore surles 12 couverts et sur ceux de la suite. Il ajoute qu’il désigne lamaison de M. Friardel pour servir de pied-à-terre au général, lequeldisposera des cinq appartements de cette maison. Le général Grabensky s’émeut de nouveau de ne pas connaître le nombredes armes déposées à la mairie. Si toutes les armes des habitants nesont pas remises dans les 24 heures, il agira par voie d’exécutionenvers les coupables. M. Fromage Desfigogiers, qui avait été incarcéré dès le début del’arrivée des Prussiens, est momentanément libéré afin d’être délégué àla vente des chevaux, qui, par ordre de Grabensky, a lieu tous lesjours, de 8 heures à midi et de 3 heures à 6 heures. Le 28 août, des correspondances sont encore échangées au sujet ducantonnement. Le général exige de la municipalité un plan détaillé dela ville, avec le nom des habitants. Enfin, de nombreux corps de garde installés aux abords de la villenécessitent des quantités de paille, chandelles, falots, etc.... Afind’éviter toute discussion, le général Grabensky prescrit à M. le Mairede remettre, aux frais de la ville, tout ce qui pourrait être demandépar ces militaires. L’ordre est daté du 30 août. Les armes sont enfin déposées à la mairie. Le Maire reçoit un état àremplir ; on le prévient qu’un officier passera l’inspection de cematériel. En même temps, on ordonne une enquête au sujet de M. Baudry,maître de poste, accusé de loger des voyageurs suspects. Le 9 septembre, le service du cantonnement étant assuré suivant lesexigences prussiennes, le général Grabensky autorise à nouveau le Maireà remettre lui-même les billets de logement. Le 10 septembre, le maire de Livarot, Le Sénéchal, envoie un exprès aumaire de Lisieux afin d’avoir des vivres pour un détachement prussiende 954 hommes qui vient de lui arriver. Satisfaction est donnée. Pendant quelques jours, les relations entre le commandant prussien etla municipalité sont très restreintes. Elles se bornent à l’exécutionde bons pour augmenter le bien-être des troupes, en demandes dechandelles au moule. Ces chandelles paraissent être très en honneurchez eux. On prétend même que certains soldats prussiens y trouvaientlà une nourriture à leur goût. Le délégué de la ville a fort à fairepour satisfaire toutes ces demandes. Les observations faites par le général Grabensky au sujet de l’égalitédes citoyens devant l’impôt du logement commencent à se retournercontre lui. La faveur s’achète ; les complaisances sont récompensées.Le sieur Chemin, sellier, rue de Paris, qui travaille pour le général,est dispensé de logement. Le service des guides, si pénible pour les exécutants, si dur, vu lesdistances à parcourir, ne donne pas satisfaction au commandant. Ilécrit le 14 septembre : « Monsieur le Maire, « Pour que le service des guides à pied et à cheval se fasse avec plusde célérité et de promptitude, il est urgent qu’il soit pris desmesures, afin qu’aucune espèce de service n’éprouve du retard. Lesréquisitions qui vous seront faites de fournir des cabriolets pour letransport d’officiers ou autres, doivent être exécutés avec la plusgrande rapidité. A cet effet, il doit rester jour et nuit, troiscabriolets attelés de deux chevaux chacun dans la cour de votre mairie,de même que six chevaux destinés aux guides ou ordonnances devantporter des paquets aux endroits qui leur seront désignés. « Je vous invite à assurer l’exécution de ces ordres et m’en rendrecompte. « GRABENSKY ». M. Foss, intendant prussien, arrive à Lisieux le 16 septembre. Lamaison de M. Toutain est mise à sa disposition, ainsi qu’à celle de sasuite ; le couvert fourni par le propriétaire. Les réclamations reprennent auprès de l’autorité prussienne. Grabenskydécide qu’une nouvelle assiette de logement sera établie dans les 24heures. Il fera visiter lui-même ces logements avant d’autoriser laville à y envoyer des troupes. En même temps, il prend pitié de M.Aumont, maréchal qui, depuis l’occupation, est mis en coupe réglée parles Prussiens. Le maire est chargé de requérir, jusqu’à nouvel ordre,M. Lorrin, maréchal, rue Tour-des-Halles. La misère atteint toutes lesclasses. M. Delaunay, entrepreneur, réputé fortuné, écrit le 16septembre au maire : « Depuis l’arrivée des troupes prussiennes à Lisieux, je n’ai cessé deloger des troupes et cependant je suis sans moyen, vu que tout monavoir est entre les mains du Gouvernement et le fonds et les travauxsont suspendus depuis le 1er janvier, ce qui m’a réduit au dénuementcomplet et me met dans l’impossibilité de loger des troupes. C’estpourquoi je vous supplie, M. le Maire, d’avoir la bonté de m’exempterde ce fardeau jusqu’à ce que certaines rentrées me permettent de leurfournir ce qu’elles ont besoin. « Vous obligeriez votre très obéissant serviteur, « DELAUNAY, entrepreneur ». Les autorités prussiennes, si despotes, ne font cependant assurer aucunservice d’ordre par leurs troupes. Ils rendent la municipalitéresponsable de tout. A l’occasion des distributions d’un stock dedenrées aux troupes de passage, le maire est prévenu d’avoir à faireassurer le service par la Garde nationale. Tout doit être donné auxsoldats et les bons de toutes sortes figurant aux Archives portentjusqu’à des demandes de six mains de petit papier coupé, et deux mainsde petit papier également coupé. Pour faire face à toutes ces dépenses de nourriture, d’habillement, dechandelles au moule, voire même de menus papiers, le Préfet prescritune contribution extraordinaire de 15 centimes, indépendante des fondsdéjà ordonnés par la Municipalité. Le 17 septembre, le sous-préfet Cordier écrit : « J’ai l’honneur de vous adresser une copie de la lettre du préfetrelative aux fournitures faites aux troupes prussiennes qui ont étéplacées dans votre commune et aux 15 cent. de contributionextraordinaire. Veuillez bien vous pénétrer des dispositions qu’ellerenferme en ce qui vous concerne et me faire passer dans le plus brefdélai toutes les pièces relatives à cet objet, afin que j’en fassel’envoi à M. le Préfet pour les soumettre à la commission centralechargée d’en opérer la liquidation définitive. « CORDIER ». La lettre du Préfet disait en substance que les recouvrances faites parles receveurs étant épuisées, il prescrit une contributionextraordinaire de 0 fr. 15. Comme malgré tout, beaucoup de fournitures restent à solder, unecommission centrale est chargée à Caen de prendre les mesuresnécessaires, etc., etc..... En dépit de toutes les difficultés de l’existence, on ne peuts’empêcher de sourire devant certains faits. Un bon porte par exemple. « Poste d’Orbec, « Chef poste invite le bourgmestre à porter suite trois livres de « ponjandelle ». Mais hélas combien vite ces sourires se glacent-ils ! L’inspecteur des forêts, Godard, adresse le 21 septembre cette lettre : « Monsieur le Maire, « Etant très occupé par la rentrée du bois de Sa Majesté, obligé enmême temps de me transporter sans délai dans la sous-inspection pardevoir de mon emploi, j’ai l’honneur de vous prier M. le Maire, devouloir bien donner vos ordres pour arrêter le logement militaire chezmoi. Hier, je n’étais pas encore rentré du bois d’Orbec, à 11 heures dusoir, que ma femme recevait encore deux militaires prussiens. N’ayantplus que notre lit, ma femme fut obligée de le leur abandonner, et ellese trouvait seule au milieu de cette soldatesque. « J’ose espérer, etc.... « GODARD, «Sous-Inspecteur des Forêts ». Mais, en outre des troupes stationnées à Lisieux, les troupes depassage augmentent considérablement les charges déjà si écrasantes dela ville. Le 22 septembre, Grabensky écrit au maire : « Il est urgent de requérir 20 voitures attelées chacune de 2 chevauxpour porter les bagages de la troupe que je mettrai en marche le 24 etil sera nécessaire aussi de requérir d’autres voitures pour les troupesvenant de Saint-Lô. « En outre, il y aura 10 cabriolets pour les officiers. (Cabrioletsattelés à deux). « GRABENSKY ». On réquisitionne ainsi ces voitures dans toute la région. Lespropriétaires et les attelages ne cessent d’accompagner les convois etsont soumis à la discipline la plus rigoureuse. Plus de 50.000 hommes traversent et retraversent Lisieux. Aux environs du 24 septembre, le 1er corps prussien tout entier vientde Saint-Lô, dans la contrée plus riche de Lisieux, Pont-l’Evêque,Pont-Audemer. Les réquisitions de conducteurs, chevaux, voitures,atteignent leur maximum. Le nommé Thomas Vaillant, rue Bocage, qui montre quelquemécontentement, est condamné par la commission militaire àl’emprisonnement. D’autres exécutions ont lieu encore dans la région. Les relations avec les autorités prussiennes deviennent de plus en plusdifficiles. L’intendant Foss adresse au maire, le 23 septembre, la note suivante : « Les rapports du pain, viande, bière, tabac, eau-de-vie, qu’ellesdoivent être déjà hier apportées chez moi ne sont pas entré. Je lesattends dans une demi-heure. Si je n’avais pas, je suis forcé d’envoyerdes exécutions à ceux qui sont si tardifs. « FOSS ». Son style comme ses procédés, sont encore plus grossiers que ceux dugénéral Grabensky. Le pays n’est probablement pas encore assez vide ! Le 24 septembre,Grabensky écrit en effet : « Monsieur le Maire, « Vous ferez connaître de suite à vos administrés qu’à partir de demain25 courant, il passera en cette ville plusieurs régiments de cavalerieet d’infanterie, qui y séjourneront. Les habitants qui seraient absentsseraient passibles d’exécution. « GRABENSKY ». En outre, toutes les forges sont réquisitionnées et un nombreconsidérable de chevaux doit être fourni pour la remonte de lacavalerie. Nous reviendrons plus tard sur cette énorme consommation de chevaux,qui épuise les meilleurs produits de la Normandie. Au milieu de cette misère, revient constamment la note comique du bonde 4 livres de chandelle au moule à fournir à Grabensky. Le 30 septembre, un fort contingent d’artillerie arrive à Lisieux. Ledépart s’effectuera après que les batteries auront été remontées enchevaux, fournis par l’arrondissement. A cette époque, la ville al’honneur de loger 13.000 hommes et 730 chevaux de l’armée du roi dePrusse. Malgré ces charges, malgré les tribulations du conseil municipal,Grabensky n’oublie pas les plus petits détails, et de même qu’il écritpour annoncer la réquisition de tous les corps de métiers, ou l’arrivéede plusieurs régiments, de même il adresse, la date du 10septembre, la lettre suivante : « M. le Maire fera porter à mon domicile six paquets de plumes et despains à cacheter.... avec une petite boîte en carton pour les mettrededans. « GRABENSKY ». O candeur ! Le même jour, il annonce l’arrivée du service postal prussien, composéde 1 directeur, 6 secrétaires, 18 postillons et 36 chevaux. Le toutaccompagné d’un escadron. Le logement de ce personnel devra être assuréd’une façon irréprochable. En dépit des magasins et des réquisitions,l’arrondissement ne peut faire face aux exigences prussiennes. Pourtant, les réclamations des habitants ont peu de succès, car lesous-préfet fait connaître par une lettre en date du 4 octobre « quetout ce qui ne pourra pas être fourni par les entrepreneurs le sera parles habitants ». Le 5 octobre, Grabensky signale au maire qu’un régiment arrivera lelendemain en ville pour y séjourner. En post scriptum, il écrit : «Envoyez-moi 4 livres de chandelles au moule !!! » Il les brûle évidemment par les deux bouts ! Les réclamations adressées à la Préfecture se multiplient sans cesse.Nos représentants n’y peuvent rien. Ils sont totalement sous la férulede l’envahisseur. Le maire de Caen, ayant refusé de fournir les couverts à un nombreuxétat-major qui résidait au chef-lieu du département, le gouverneurprussien de cette ville s’installa à la mairie, commanda aux frais dela municipalité tout ce qui était nécessaire et déclara qu’il nequitterait l’Hôtel-de-Ville qu’au cas où promesse lui serait faitequ’une pareille chose ne se renouvellerait jamais. Le 8 octobre, Grabensky apprend au maire l’arrivée dans la ville de 250militaires. Ces hommes séjourneront à Lisieux. Le maire de St-Julien-le-Faucon écrit, le 8 octobre, tant le servicedes guides devient pénible, qu’il lui est impossible de fournir lesguides, chevaux et cabriolets réquisitionnés dans sa commune. Il ne luien reste aucun et ceux déjà réquisitionnés ne sont pas encore revenus. Grabensky fait maintenant savoir qu’une colonne de chevaux maladesarrivera dans la nuit. On devra immédiatement indiquer des écuriesnettement séparées de celles de chevaux sains. Des difficultés s’étant élevées sur la valeur des pièces prussiennes,or et argent, le commandant de Place établit un tarif, fortdésavantageux pour le public français, auquel tous doivent se conformer. Le 11 octobre, le sous-préfet annonce au maire que 5.500 hommes et 900chevaux arriveront à Lisieux, du 14 au 16, pour se ravitailler. Les plaintes des habitants, les réclamations des maires des communessont de plus en plus pressantes en ce qui concerne le service desguides à cheval et avec voitures. Le maire, en désespoir de cause, s’adresse au sous-préfet, quidésignera les communes à tour de rôle, ainsi que le nombre à fournir. Mesnil-Guillaume, St-Julien-de-Mailloc, Montviette, assureront lesservices imposés jusqu’alors à Moyaux, surchargé de troupes. Tordouetet Mesnil-Germain remplaceront Fervaques à bout de ressources. Les communes ainsi situées en dehors du parcours des troupesprussiennes reçoivent toutes la mission de fournir guides, chevaux etvoitures. C’est pourtant par les guides, jusqu’ici source si grande de tourments,que parvient une bonne nouvelle. Des rumeurs persistantes de Saint-Lô,Bayeux, Caen, font prévoir un repli de ces alliés (!) vers l’est. Unsentiment de bonheur ranime aussitôt les énergies défaillantes. Le 17 octobre 1815, le dernier Prussien quittait la ville. Le 20octobre, tout le département du Calvados était libéré d’une oppressionjusqu’alors inconnue dans nos régions. Nous laissons à supposer l’état d’âme qui en résulta. Restaient les difficultés des réglements de compte. Ce fut pour labasoche normande une ère réelle d’excitation. Tout devenait matière àprocès entre les administrés et les pouvoirs publics. La question de la remonte de la cavalerie prussienne ne devait pas êtreterminée en 1821. Les Prussiens avaient imposé à chaque commune la remise d’un certainnombre de chevaux. Mais quand ils constataient un retard dansl’exécution de leurs ordres, ils réquisitionnaient eux-mêmes. Un sieur Bernard, de Courson, livra ainsi un nombre de chevaux pourLisieux, sans que la municipalité en ait arrêté le prix. Procès surprocès, délibérations sur délibérations. Bref, en 1821, le sieurBernard n’avait pas encore touché un sou. La municipalité restaitirréductible. Le 5 mai 1821 – six ans après les faits – le Sous-Préfet écrivait aumaire de Lisieux que, malgré un arrêté du Préfet, en date du 30septembre 1820, relatif à la créance du sieur Bernard, il a renducompte à S. E. le Ministre de l’Intérieur de cette résistance qui, tropsouvent, s’est manifestée à Lisieux et que rien ne peut motivervalablement. Après bien des considérations, il ajoute qu’au nouveau casde refus, le payement se ferait par voie d’imposition extraordinaire,etc., etc. L’histoire ne dit pas si le sieur Bernard toucha jamais le prix de seschevaux. Les événements si pénibles par lesquelles venait de passer une des plusbelles parties de la France nous laisse entrevoir avec terreur ce qu’ilserait advenu de la Normandie, en 1914, sans le courage et la vaillancede nos armées. Que notre reconnaissance se porte sans cesse vers elles, que chaquejour ceux de l’arrière s’assurent s’ils font tout leur devoir ! Et maintenant, comme après la guerre, que notre devis resteéternellement : « Souviens-toi ». Lieutenant-colonel KAHN, commandant d’armes en 1915 |