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HALPHEN, Louis : Petites biographiesnormandes.- Paris : Typographie Rouge frères et Cie, 1870.- 93 p. ;12,5 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (19.IX.2009)
Relecture : A. Guézou
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Petites biographies normandes
par
Louis Halphen
Maire de Saint-Désir de Lisieux

~*~

MICHEL MARESCOT

MÉDECIN DE HENRI IV
___

Michel Marescot naquit en 1539, au pays des Lexoviens ; certainsbiographes disent : à Lisieux, d’autres : à Vimoutiers.

S’il existe quelque doute sur le lieu de naissance de Michel Marescot,nous en savons du moins la date exacte. Il est né le jour de saintLaurent, martyr, c’est-à-dire le 10 août.

Son père, d’une famille originaire d’Italie, était un riche marchandqui avait pris femme dans la noblesse de la vallée d’Auge. C’est d’ellequ’il tenait la terre d’Hanneval, dont la moitié revint plus tard àMichel.

A huit ans, Michel avait déjà le malheur d’être orphelin. Son frère luifut donné pour tuteur ; mais, fort incapable, celui-ci ne tarda pas àdissiper sa propre fortune et celle de son pupille.

A neuf ans, Michel fut envoyé par son tuteur à Paris, où son éducationdevait être dirigée de façon à le faire entrer dans l’Église ; manquantde vocation, il s’appliqua non pas à la théologie, mais à laphilosophie, et ses progrès furent si rapides qu’ayant à peine atteintsa dix-huitième année, il obtenait la chaire de philosophie au collégede Bourgogne, où il eut pour disciple le célèbre de Thou.

Cependant, de même qu’il avait abandonné l’Église pour la philosophie,il abandonna bientôt aussi la philosophie pour la médecine. Reçudocteur en 1566, il épousa alors Jeanne Vaudoré, fille d’un trésorier.Avec sa grande intelligence, il ne pouvait manquer de réussir dans saprofession de médecin, comme il avait réussi au collége de Bourgogne ;il en tira grand bénéfice et l’amitié d’illustres personnages, entreautres de Henri IV, dont il fut le médecin ordinaire et le confident.

Nous le trouvons aussi recteur de l’Académie de Paris, et s’opposant àl’admission des jésuites, parce que, disait-il, leurs statuts sontcontraires à l’Université, à l’Église gallicane et aux lois du royaume.Toutefois, le Parlement en décida autrement, et un de ses arrêtsautorisa les jésuites à continuer leur enseignement.

Un procès qui fit plus de bruit encore que le précédent, c’est celuiqu’il soutint contre Roche Baillien, médecin de Paris, qui prétendaitappliquer la méthode de Paracelse. Le Parlement ordonna que Roche eût àsubir un examen en sa présence et que cinq médecins, au nombre desquelsfigurait Marescot, fussent chargés de l’interroger.

Roche prétendait connaître l’Astrologie et les simples ; Marescot luiprésenta une corbeille de simples de différentes espèces, et il setrouva que Roche était si ignorant, qu’il ne peut distinguer ni lavalériane, ni la fraxinelle, ni même reconnaître les chardonssylvestres.

Cet imposteur disait qu’il y avait dans le crâne humain un ostriangulaire, ce dont ne s’étaient jamais doutés les disciples deGallien. Cet os, suivant Roche, était placé dans l’occiput, Marescotlui fit apporter plusieurs crânes, sans qu’il pût jamais montrer dudoigt le fameux os triangulaire. Ce fut un grand succès pour Marescot,et il en retira grande gloire dans toute la ville. Aussi le Parlements’empressa-t-il de condamner la doctrine de Paracelse, et il interditd’en suivre les préceptes.

Aujourd’hui, nous sommes plus justes pour Paracelse, et nousreconnaissons qu’il fut un hardi réformateur, et que c’est de lui quedate, aussi bien dans la médecine que dans la chimie, la méthodeexpérimentale pour laquelle il dépensa sa fortune et sa santé. Ce futau point qu’il s’en alla mourir, autant de misère que de maladie, àl’hôpital de Salzbourg. En son temps, il ne fut pas compris, quand,dans son langage acéré à la manière de Luther, il disait aux docteurset aux physiciens. « Que faites-vous donc, faiseurs de systèmes ? Vousne voyez donc pas clair ? Avez-vous des escarboucles à la place desyeux ? »

Une affaire non moins intéressante, et qu’on peut lire dans l’*Histoirede de Thou*, est celle que Marescot eut avec Marthe Brossier, prétenduedémoniaque qu’il démasqua.

Marescot était par-dessus tout grand pourchasseur de charlatans. Voicice que nous lisons dans Guy-Patin :

« Il n’est, Dieu merci, plus question de bézoard, ni d’eaux cordialesdans la petite vérole, ni de juleps cordiaux, ni de perles, en quelquemaladie que ce soit. Le peuple est détrompé de ces bagatelles et deplusieurs autres ; les riches ne s’en servent plus et se tiennentobligés à plusieurs anciens de notre Faculté d’être délivrés de cettetyrannie. Ces messieurs, nos anciens, sont MM. Marescot, Piètre etplusieurs autres qui ont introduit dans les familles de Paris unemédecine facile et familière, qui les a délivrées de ces cuisiniersarabesques. »

Marescot menait une vie très-régulière ; il était sans infirmités et nesouffrait guère que quinze jours par an d’une goutte qui cependantfinit par se porter au ventre, avec tant de danger, qu’il seconsidérait comme mort.

Il n’en continua pas moins de visiter ses malades, auxquels il disait :« J’espère vous porter la santé ; et quant à moi, je n’ai plusd’espérance que la mort. »

Il s’éteignit au mois d’octobre de l’année 1605, entouré de ses enfantset de quarante amis qui priaient à son chevet. Comme ceux-cil’engageaient à ne pas se laisser aller au sommeil :

« Ce n’est pas sommeil, dit-il, c’est impuissance d’être éveillé. »

Il reçut les sacrements, et en cet instant il perdit à la fois l’ouïeet la vue. Il fut enseveli à Saint-Médéric, près de sa maison.

Il laissa quatre fils et deux filles ; l’une d’elles avait épouséPiètre, qui fut lui aussi un médecin célèbre.

C’est ce Piètre, et non pas Marescot, qui est l’auteur du *Discoursvéritable sur le fait de Marthe Brossier*, que Henri IV avait commandéà Marescot par une lettre du 31 mai 1599 « afin, écrit le roi, que parce moyen la vérité de ce fait-là soit recogneue d’un chascun, mêmementpar les gens de bien, et l’imposture, si auculne il y en a, avérée. »

Marescot se reconnaissait redevable à sa profession de trois chosesqu’il n’aurait jamais obtenues d’aucune autre : « J’ai joui, disait-ilsouvent, d’une parfaite santé ; j’ai gagné cent mille écus et l’amitiéintime des personnages les plus illustres. »

~ * ~

VAUQUELIN
___

Louis-Nicolas Vauquelin est une des gloires du Calvados ; il est né, en1763, à Saint-André d’Hébertot, dans le canton de Blangy, à deux pas duchâteau actuellement habité par M. Gillotin.

Sa mère n’avait pas négligé de l’envoyer régulièrement à l’école, et,pour l’exciter à l’étude, elle lui faisait espérer comme récompense deson assiduité une place au château voisin, avec de magnifiques habits,disait-elle, brodés et dorés sur toutes les coutures. L’ambition de labrave femme n’était pas grande, puisqu’il s’agissait simplement d’uneplace de laquais et de porter la livrée.

A l’âge de treize ans, le jeune Vauquelin alla chercher fortune à Rouen; il entra en qualité de garçon de boutique et de laboratoire chez unpharmacien. Il faisait le feu, balayait l’officine, roulait les cornetset nettoyait les bocaux.  Son patron donnait des leçons dechimie à quelques jeunes gens de la ville ; Vauquelin, caché dans uncoin de la salle, y assistait et prenait des notes.

Cet amour de la science, ce zèle et ce signe de précoce intelligencefaillirent lui coûter cher, car, surpris un jour par son maître, il sevit menacé de perdre sa place, et ses cahiers de notes furent déchirés.« Je n’ai jamais éprouvé pareil chagrin dans ma vie, » écrit-illongtemps plus tard à un de ses amis. Ne pouvant plus vivre avec cepatron, il partit pour Paris, à pied, ses hardes sur le dos, et n’ayantdans la poche qu’un écu de six francs qu’une personne charitable luiavait prêté.

A Paris, il entra successivement au service de deux pharmaciens qui nesurent pas l’apprécier : car le premier ne parvint pas à le retenir àson service, et le second, chez lequel il tomba malade, au lieu de lesoigner, le fit porter tout simplement à l’hôpital.

A sa sortie de l’Hôtel-Dieu, Vauquelin se trouva sur le pavé et sansressource aucune. Il s’en allait pensif et abattu, le long d’une desrues les plus marchandes de la capitale, la rue Saint-Denis, espérantque là où s’affirmait tant d’activité, il aurait quelque chance derencontrer des coeurs généreux. En effet, un apothicaire le recueillit.Vauquelin reprit courage et sentit renaître son ardeur pour l’étude.Tout en remplissant avec exactitude ses devoirs de garçon delaboratoire, il continua d’apprendre à ses moments perdus, et déjà ilfaisait quelques petites expériences de chimie devant lesquelles ilrestait comme en extase. Voulant savoir le latin, qui, à cette époqueplus qu’aujourd’hui, était si nécessaire dans les sciences, il achetaun dictionnaire dont il coupa les feuilles, et qu’il apprenait par coeurune à une, pendant les courses que lui faisait faire son patron.

De si belles dispositions frappèrent le pharmacien. Il en parla à ungrand chimiste, M. Fourcroy, qui voulut aussitôt prendre Vauquelin àson service. Celui-ci devint successivement l’élève, l’aide et lecollaborateur de M. Fourcroy. La science doit à ces deux hommes degrandes découvertes qui sont le fruit de leurs travaux communs. Mais lenom de Vauquelin vivra plus longtemps que celui de Fourcroy, car il aeu le rare bonheur de découvrir un corps simple, c’est-à-dire un de ceséléments indécomposables dont est formée la matière de notre globeterrestre. Cet élément est un métal qui a beaucoup d’analogie avec lefer, et qu’on a appelé le chrome. Il s’obtient difficilement etjusqu’ici n’a reçu aucune application ; mais il n’en est pas de même deses composés, tels que l’oxyde vert et les chromates, qui jouent unrôle important dans les arts.

Vauquelin s’était fait recevoir docteur en médecine. Il devint plustard inspecteur des Mines, professeur à l’École polytechnique, membredu Conseil des Arts, professeur au Collége de France et au Jardin desplantes ; enfin il entra à l’Académie des sciences.

La fortune ne changea pas Vauquelin : il resta simple et bon. Il aimaità venir se reposer de ses fatigues à Saint-André d’Hébertot, où ilavait acquis de grandes propriétés. Sa mère vivait encore ; elle avaitconservé ses habitudes de travail, et, quand il revenait près d’elle,il la retrouvait comme il l’avait laissée une première fois, le fuseauà la main. Il en était fier et l’aimait tendrement. Il mourut en 1829 ;peu de temps avant sa mort, l’arrondissement de Lisieux l’avait envoyéà la Chambre des députés. Il s’est éteint dans les bras de son ami M.Duhamel, et dans ce même château d’Hébertot où sa mère avait jadis rêvéde le voir domestique.

Vauquelin a laissé un grand nom dans la science ; il avait beaucoupaidé à ses progrès, et si, parmi les savants de son temps, quelques-unsont fourni une carrière plus brillante, je n’en sais pas de plus utileet de mieux remplie que la sienne.

Nous avons de Vauquelin un curieux portrait tracé par Humphry Davy.

« Vauquelin, dit-il, était au déclin de sa vie quand je le vis pour lapremière fois, en 1813. C’était un homme qui me donna l’idée deschimistes français d’un autre âge. Il vivait au Jardin du roi. On nesaurait imaginer rien de plus singulier que sa vie et son intérieur.Deux vieilles filles, mesdemoiselles Fourcroy, soeurs du professeur dece nom, tenaient sa maison. Je me rappelle qu’en y entrant pour lapremière fois, je fus introduit dans une sorte de chambre à coucher,qui servait en même temps de salon. L’une de ces demoiselles était aulit et occupée à nettoyer des truffes pour le déjeuner. Vauquelintenait absolument à me régaler, malgré mes efforts pour décliner soninvitation.

« Rien de plus extraordinaire que la simplicité de sa conversation. Iln’avait pas le moindre sentiment des convenances ; il parlait de chosesqui, depuis le temps du paradis terrestre, n’avaient jamais fait, entrehommes, l’objet d’une conversation devant les personnes de l’autresexe. »

~ * ~

LETTRES SUR LA LUNE
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LETTRE I

Monsieur,

Je me souviens que, dans un voyage que je fis en Espagne, un ami quej’y rencontrai me donna le conseil suivant :

« Voulez-vous être bien accueilli des Espagnols et vous faire écouterquand vous leur parlerez ? Cela est proverbial ici : ne les entretenezque de leurs propres affaires. »

Ce qui est vrai pour l’Espagne me paraît également vrai pour notreglobe terrestre tout entier. Or, ce globe a pour satellite la lune, àlaquelle nous tous, habitants de la terre, nous portons un très-sérieuxintérêt.

Le petit astre qui nous avoisine, et nous accompagne à travers lesespaces, est donc, je dois le croire, au nombre des sujets qui peuventfixer une conversation.

Au surplus, et aussi loin qu’on remonte  dans l’histoire, iln’y a pas de science plus en honneur, chez tous les peuples, quel’astronomie, et en astronomie pas d’étude qui ait jamais plus éveillél’attention publique que celle de la lune. Comme nous sommes beaucoupplus près de cet astre que d’aucun autre et que le voyonsdistinctement, nous nous plaisons à y retrouver un monde semblable aunôtre, et, contents de nous-mêmes, nous sommes contents de lui.

Oui, monsieur, et si bizarre que puisse vous paraître l’expression, jedirai que la lune est populaire. Ceux qui ont suivi le cours publicd’Arago, à l’Observatoire de Paris, et je suis du nombre, peuventaffirmer que jamais la foule n’était plus grande que les jours oùl’illustre professeur traitait de notre satellite. Ces jours-là, lesouvriers s’y donnaient rendez-vous.

Nous, qui étions sans partialité pour l’un ou l’autre des corpscélestes, et qui ne choisissions pas les leçons, nous appelions cettecatégorie d’auditeurs : les Sélénistes (1) ; et ils étaient vraimentbien nommés, car lorsque la belle et entraînante parole d’Arago lesintroduisait dans la lune, le rayonnement de leurs visages épanouisindiquaient, à ne s’y pas tromper, qu’ils se sentaient chez eux.

L’idée d’un cours d’astronomie populaire, qu’Arago a le mérite d’avoirle premier mise à exécution, est d’autant plus juste que beaucoupd’hommes sans instruction première ont pu contribuer aux découvertes etaux progrès de cette science. La contemplation du ciel, qui est innéecomme le sentiment religieux, fait naturellement de l’homme unobservateur de la figure et du mouvement des astres, et l’histoire del’astronomie abonde en exemples de pâtres, de cultivateurs etd’artisans à qui elle est redevable de connaissances nouvelles.

Sans remonter dans l’antiquité, et même pour ne parler que de ceux dontles noms sont déposés, non pas dans la tradition, mais dans lesouvrages sérieux des astronomes, je vous rappellerai Féronce, Arnold,Palitizch, Guertner, Ferguson et notre Le Febvre.

Féronce n’était qu’un simple jardinier au service d’un M. de Vallois, àVizille, près de Grenoble. Vers l’an 1650, il observait assidûment lesastres. On trouve plusieurs de ses observations dans les manuscrits dela Bibliothèque impériale, et le très-célèbre Tycho-Brahé le cite commeun des trois observateurs qui faisaient le plus d’honneur à la France.Ce n’est pas un mince éloge, car l’un des deux autres s’appelleGassendi.

Arnold, un paysan des environs de Leipsick, découvrit la comète de1685, huit jours avant Hévélius ; il observa aussi celle de 1686, et lepassage de Mercure sur le Soleil, en 1690.

Les magistrats de Leipsick, fiers de leur compatriote, et voulant luidonner des marques toutes particulières de distinction, l’exemptèrentde la taille et firent placer son portrait dans la salle de leursdélibérations.

On touchait à la fin de l’année 1758, et depuis deux ans tous lesastronomes attendaient avec impatience une comète ; le premier quil’observa le 25 décembre, à six heures du soir, et qui la cherchait,lui aussi, depuis deux ans, fut un petit cultivateur de la campagne deDresde, nommé Palitizch.

Lalande, dans l’Histoire de l’Académie pour 1759, rapporte qu’unautre paysan saxon, Guertner, découvrit également une comète vers lamême époque.

Ferguson était un berger, qui gardait, en Ecosse, les troupeaux du roid’Angleterre : il inventa une machine avec laquelle il trouvait letemps, la quantité, les progrès, les circonstances et la durée d’uneéclipse pour tous les pays de la terre. Il est venu à Londres, en 1750,mettre à profit un talent extraordinaire, mais naturel chez lui, pourla mécanique et pour l’astronomie ; il se distingua grandement et futcomblé des bienfaits du roi.

Quant à Jean Le Febvre, vous savez, monsieur, qu’il est né à Lisieux,vers le milieu du dix-septième siècle, et qu’il y a exercé laprofession de tisserand. Le Febvre a marqué comme astronome et devintmembre de l’Académie des sciences. Je vous parlerai de lui dans maprochaine lettre.

LETTRE II

Monsieur,

Les almanachs pour l’année 1870 commencent sans doute à se montrer auxétalages. L’Astrologue normand, gros Mathieu Lænsberg à l’usage deshabitants des villes et des campagnes ; le Double Almanach de Mathieude la Drôme, indicateur du temps ; le Normand, almanach de Lisieux etdu pays Lexovien, annuaire de la ville et des campagnes ; le TripleLiégeois, avec les prédictions de Thomas-Joseph Moult, natif de Naples: telle est la liste de ceux qui l’an dernier, à cette époque,formaient de véritables montagnes à la porte de nos libraires lexoviens.

J’ai tout lieu de croire qu’on les y verra non moins nombreux cetteannée, et qu’ils seront enlevés avec le même entrain que par le passé.

C’est que chacun veut savoir à quelles dates tombent les Quatre-Tempsdu Carême, de la Pentecôte, de Septembre et de l’Avent, et Pâques, laTrinité, les Rogations, la Fête-Dieu ; et à quelle heure chaque jour selèveront et se coucheront le soleil et la lune. Voilà pour régler sestravaux et sa vie. Et puis, la curiosité scientifique s’en mêlant, onveut connaître les jours et l’heure des phases de la lune pour chaquemois, et ses passages au méridien, et les éclipses, qui seront aunombre de six en 1870.

Il y en aura deux de lune et quatre de soleil, mais trois seulementseront visibles à Lisieux. Les deux éclipses de lune seront totales ;celle du 17 janvier, qui sera visible en partie à Lisieux, et celle du12 juillet, qui s’y verra complètement. L’éclipse totale de soleil du22 décembre 1870 sera partiellement visible.

Les éclipses ! nous en parlons bien à notre aise aujourd’hui. Si lesastronomes n’ont pas cessé d’y voir des phénomènes importants, pour lepublic, ce n’est plus qu’un spectacle curieux ; il n’en a pas toujoursété ainsi, et les éclipses ont longtemps inspiré la terreur.

L’éclipse totale de soleil de 1560, qui plongea les populations dans deprofondes ténèbres pendant un peu plus de deux minutes, est doublementcélèbre dans les annales de l’astronomie.

C’est elle qui d’abord fit de Tycho-Brahé l’astronome que nous savons.Né d’une famille illustre qui subsiste encore en Suède, Tycho étaitvenu faire ses études à Copenhague, et fut fort étonné de la précisionavec laquelle y arriva l’éclipse du 21 août 1560, suivant lesprédictions des astronomes ; dès ce moment, il conçut le désir depouvoir faire à son tour de semblables prédictions.

Cette éclipse de 1560 fut en outre, comme on le voit dans unedissertation de Petit, datée de 1665, le phénomène dont les astrologuestirèrent peut-être les plus funestes pronostics. L’un prédisait unbouleversement considérable des Etats et la ruine entière de Rome ;suivant un autre, il ne s’agissait de rien moins que d’un délugesemblable à celui de Noé ; un troisième annonçait une pluie de feu :c’était à qui renchérirait.

On avait si bien épouvanté les gens que ceux qui, d’après l’ordreexprès des médecins, se contentaient de s’enfermer dans des caves biencloses, bien chauffées et bien parfumées, pour se mettre à l’abri desmauvaises influences, ceux-là, dis-je, croyaient être en droit derailler les esprits timides et de faire les esprits forts.

Le moment décisif approchait, quand tout à coup la consternation devintsi grande qu’un curé de la campagne, à ce qu’on raconte, ne pouvantplus suffire à confesser tous ses paroissiens, qui croyaient toucher àla fin du monde, fut contraint de s’en tirer par un trait d’esprit, enleur disant au prône : qu’ils ne se pressassent pas tant ; quel’éclipse était remise à quinzaine.

L’effroi que causaient les grandes éclipses n’avait pas beaucoupdiminué un siècle environ après celle dont nous venons de parler, quandJean Le Febvre naissait à Lisieux. C’est par des calculs d’uneexactitude remarquable, annonçant ces phénomènes célestes, qu’il pritrang parmi les astronomes les plus habiles de son temps, et fut de ceuxqui contribuèrent à détruire la superstition par la science.

Le Febvre appartenait à une de ces anciennes familles d’artisans où lesfils, obéissant à un sentiment qu’on ne saurait trop louer, avaientcoutume de seconder leurs parents dans leurs travaux, pour lescontinuer après eux. C’est ainsi qu’il devint tisserand dans la maisonpaternelle. Il ne faisait donc point partie, ni par sa naissance ni parsa profession, des notabilités de Lisieux ; aussi ne trouve-t-on nullepart, dans les annales de votre cité, la trace de sa famille ni lasienne propre. Il semble que, pour ses concitoyens, Le Febvre ne soitjamais sorti de l’humble condition d’ouvrier, et qu’il ait vécu ignoréjusqu’à son départ pour Paris. C’est cependant aux observationsastronomiques qu’il fit à Lisieux, et au calcul de ces observationsqu’il dut les honneurs et les faveurs qui vinrent l’y chercher.

Comment Le Febvre devint-il astronome ? On prétend qu’il n’eut jamaisde maître, qu’il s’initia tout seul aux mathématiques et que la lecturede quelques ouvrages d’astronomie lui a révélé sa vocation.

Mais ce que nous savons, c’est qu’un de ses compatriotes qui occupait àParis la chaire de rhétorique du collége de Lisieux (voir la note 1),le sieur Pierre, lui procura les instruments nécessaires à sesobservations, et que ce même Pierre le recommanda à Picard, quiobservait alors à l’Observatoire royal de Paris.

Picard, frappé de ses aptitudes, se l’attacha dès lors dans le travailde la Connaissance des temps, dont il était chargé, sans toutefoisl’appeler définitivement auprès de lui. Ce n’est qu’en 1682, à la mortde Picard, que Le Febvre quitta Lisieux pour accompagner La Hire dansson voyage de Provence et le seconder dans ses opérations géodésiques.C’est également avec La Hire qu’il entreprit le nivellement de larivière de l’Eure. Il a donc participé aux premiers travaux quidevaient aboutir, à une époque rapprochée de nous, à ce beau monumentqui s’appelle la Carte de France.

La mort de Picard et le retour de Roemer en Danemark, sa patrie, ledépart de Huyghens au moment de la révocation de l’Edit de Nantes,laissèrent trois places vacantes à l’Académie des sciences. Le Febvrevint avec La Hire et Richer combler le grand vide qui s’y était fait.L’Académie ne comptait alors que seize membres. Le roi les pensionnait.Dès 1684, Le Febvre avait obtenu le privilége de la Connaissance destemps et il le conserva jusqu’en 1701.

LETTRE III

Monsieur,

Le travail le plus important de Le Febvre, comme je vous le disais dansma dernière lettre, est la rédaction de la Connaissance des temps,depuis 1684 jusqu’à 1701. En dehors de cette publication et de celle dedeux volumes d’Ephémérides pour les années 1684 et 1685, on ne trouvedans les annales scientifiques de l’époque qu’une seule communicationde notre astronome : c’est celle qui est relative au bolide de 1688.

On lit dans le tome II des Mémoires de l’Académie des sciences :

« M. Thévenot fait part à la compagnie de la description d’un phénomènequi avait paru le 17 avril 1688, à deux heures et demie après minuit, àHeilbronn sur le Neer, et qui avait été observé par M. Le Febvre.C’était un globe de feu fort éclatant et qui rendait une fort grandeclarté, en sorte qu’on voyait distinctement les objets. On commença del’apercevoir sur le dos de la constellation de la Baleine, et,traversant l’écliptique vers le 7e degré au signe d’Ariès, il montapresque parallèlement au colure des équinoxes, et alla se perdre entrel’aile de Pégase et la tête d’Andromède. Ce globe laissa paraître alorsune queue, ou, si l’on veut, une chevelure de 40 degrés de longueur :elle était ondée et ne s’étendait pas sur le chemin du globe même ;mais lorsqu’il disparut, elle passait sur la tête d’Ariès et seterminait presque aux étoiles qui sont à la naissance de la queue. Toutce phénomène ne dura qu’environ un quart d’heure. »

Je vous demande pardon, monsieur, de vous retenir à ces détails quevous trouverez sans doute par trop techniques. Mais, à l’heure où jevous écris, les bolides sont à la mode, et voici que M. Le Verrierinvite le public à les observer. Il a fait construire à cet effet unecarte céleste suffisante pour l’étude du ciel sur notre horizon, et quechacun, sur sa demande, pourra recevoir par la poste.

Qu’est-ce donc que ces bolides ? Le Febvre ne s’en doutait pas plus quetous les astronomes de l’Académie qui s’y sont succédé jusqu’à nosjours. Eh bien, monsieur, il paraîtrait que ce sont autant de lunes,c’est-à-dire de satellites de la terre, et que leur marche est toutaussi régulière que celle de notre grande lune ; seulement, ce n’estque très-rarement qu’elles se manifestent à nos yeux, éclipséesqu’elles sont, généralement, dans le cône d’ombre terrestre. Ces lunesen miniature sont innombrables, et en général plus voisines de notreplanète que ne l’est son grand satellite. C’est à M. Faye, del’Institut, et à M. Petit, de l’Observatoire de Toulouse, que nousdevons cette appréciation nouvelle de myriades de planètes ; et c’est àeux que nous devrons aussi le champ nouveau qui s’ouvre pourl’astronomie.

Il n’était pas sans intérêt, je crois, de vous montrer que Le Febvre,par les indications précises qu’il a données de la position du bolidede 1688, va certainement contribuer à faire retrouver dans le ciel lapetite lune d’Heilbronn.

Voilà bien des lunes ! Et les premiers habitants de l’Arcadie seraientplus anciens que tout cela !

C’était, en effet, l’opinion des Arcadiens, qu’une comète ayant passéprès de notre globe, celui-ci l’aurait entraînée dans sa marche et enaurait fait son satellite, à la vue de leurs ancêtres étonnés.

Je vous avouerai, monsieur, que cette prétention arcadienne me froissebeaucoup ; car je croyais descendre du plus vieux peuple de la terre,et ce vieux peuple est cependant postérieur à la lune, puisqu’il atoujours compté par mois lunaires.

LETTRE IV

Il y a, monsieur, dans la science comme ailleurs, des luttes qui n’ontpas toujours pour but l’établissement de la vérité, mais bienl’établissement des personnes les unes au-dessus des autres. Le Febvrenous offre le triste exemple d’une carrière brisée dans une lutte de cegenre. Picard, qui l’avait formé à son école, l’avait légué à La Hire,et, pendant plusieurs années, c’est avec La Hire qu’il poursuivit lesremarquables travaux dont je vous parlais dans une de mes précédenteslettres. Il n’occupait toutefois que le second rang, non pas à latâche, mais à la gloire, car La Hire évitait toujours de le mentionnerdans ses communications à l’Académie.

On savait et on répétait, d’un autre côté, dans le monde savant, que LeFebvre était un observateur plus exact et un calculateur plus habileque son chef et collaborateur. Il n’en fallait pas davantage pourfroisser l’amour-propre de l’un et de l’autre, et rendre, à un jourdonné, un éclat inévitable. C’est ce qui arriva en 1701.

L’un des fils de La Hire, qui était lui aussi un astronome, et quiavait à l’Académie un siége qu’il devait à l’influence de son père,publiait des Éphémérides comme Le Febvre publiait la Connaissancedes temps. Il y avait rivalité entre ce jeune astronome et notresavant Lexovien, comme il y avait rivalité entre celui-ci et La Hirepère.

Une faute de calcul, due à une simple inattention, s’étant glissée dansun travail de Le Febvre relatif à une éclipse, cette faute donna lieu,de la part de La Hire fils, à une attaque publique des plus violentes.On venait enfin de prendre le rival en défaut, et l’occasion étaitbonne pour l’humilier.

Le Febvre eût agi sagement en répondant aux fureurs de ses adversairespar de nouveaux travaux qui eussent affirmé de plus en plus sasupériorité. Il ne le comprit pas. Son coeur manqua de fermeté et laissaexhaler une colère mesquine qui se traduisit en propos injurieux pourLa Hire père et pour La Hire fils, dans sa préface de la Connaissancedes temps pour 1701.

L’Académie se sentit blessée dans cette circonstance ; elle tenait àrester une compagnie polie en même temps qu’elle était une compagniesavante ; et, après avoir obtenu la suppression de la préface de LeFebvre, elle voulut aussi son expulsion.

La Hire père, par un retour à de meilleurs sentiments pour soncollaborateur, et sans doute aussi par une sorte de respect pour unvrai mérite, qu’il avait tant de fois pu apprécier, intercéda auprès del’Académie en sa faveur.

Le Febvre ne fut donc pas expulsé ; mais comme il avait manquéplusieurs séances à la suite d’une maladie occasionnée par ces débats,on lui appliqua cruellement le règlement de l’Académie, qui exigeaitl’assiduité, et il cessa d’en faire partie. Le privilége de la Connaissance des temps lui fut en même temps retiré par l’influencedu ministre Pontchartrain dont La Hire était le courtisan et le client.

Le Febvre mourut à Paris en 1706.

LETTRE V

Monsieur,

Tous ceux qui ont quelque littérature connaissent la profession de foid’un mandarin au dix-huitième siècle. J’en détache les articlessuivants :

11) « Si vous donnez à un charlatan le privilége exclusif de faire desalmanachs, il fera un calendrier de superstition pour tous les jours del’année ; il intimidera les peuples et les magistrats par lesconjonctions et les influences des astres. Si vous laissez vingtcharlatans faire des almanachs, ils prédiront des événements différents; ils se décréditeront tous les uns et les autres : un temps viendra oùtout le peuple aura découvert la friponnerie de tous les astrologues.

12° « Alors il n’y aura plus d’almanachs que ceux des véritablesastronomes, qui calculent juste les mouvements des globes, quin’attribuent d’influence à aucun, et qui ne prédisent ni la bonne ni lamauvaise fortune. Le peuple insensiblement ne croira que ces sages;  il adorera d’un culte plus pur le Créateur et le guide detous les globes, et notre petit globe en sera plus heureux.

13° « Il est impossible que l’esprit de paix, l’amour du prochain, lebon ordre, en un mot la vertu subsiste au milieu de disputesinterminables. Il n’y a jamais eu la moindre dispute entre ceux qui sebornent à reconnaître un Dieu, à l’aimer, à le servir sans mélange desuperstitions, et à servir leur prochain.

14° « C’est là le premier devoir ; le second, c’est d’éclairer lessuperstitieux ; le troisième est de les tolérer en les plaignant, si onne peut les éclairer. » (2)

Ces quatre articles forment ce qu’on peut appeler le Catéchisme desgens de science. N’est-ce point aussi celui des honnêtes gens dans tousles temps et dans tous les lieux ?

Aussi, monsieur, si on se reporte à l’époque où parut pour la premièrefois la Connaissance des temps, c’est-à-dire en 1679, époque où lecharlatanisme était encore tout-puissant, on ne saurait avoir que durespect et de l’admiration pour les hommes qui entreprirent de lutteravec lui et de le détruire.

C’est à mes yeux le plus beau titre de Picard qui le premier publial’almanach officiel de la science, et c’est aussi le plus beau titre deLe Febvre d’avoir continué l’oeuvre de son maître. Aujourd’hui, la Connaissance des temps n’a plus qu’un intérêt pratique, c’est lelivre où sont enregistrées les positions des corps célestes pour lesdifférents jours de l’année, et où les astronomes et les marins vontpuiser les éléments nécessaires à leurs calculs. A son début, l’ouvrageavait une importance plutôt philosophique. Toutes les superstitions setiennent ; celles que répandaient les astrologues dans le monde étaientd’autant plus funestes qu’elles engendraient les autres.

C’est la science qui engendre la liberté, et les progrès de l’unedécoulent des progrès de l’autre. Aussi les amis de la libertédoivent-ils toujours honorer les savants, et l’un des caractèresauxquels on peut reconnaître l’absence de sentiments libéraux chez ceuxqui gouvernent un pays, c’est leur dédain pour les sciences. L’histoiredu moyen âge pourrait nous en offrir bien des exemples, mais je mebornerai à vous rappeler cette terrible époque connue sous le nom de laTerreur (1793). Lavoisier, conduit à l’échafaud, suffirait pour ladéfinir et la juger.

Daubenton, le célèbre naturaliste, autrefois collaborateur de Buffon,aurait eu le même sort que Lavoisier, car il était placé comme lui aupremier rang de la science, et s’il n’avait pas son génie, sa notoriétén’était pas moins grande que celle de l’illustre chimiste. Unecirconstance heureuse le fit échapper à la mort : il avait acclimaté enFrance les moutons mérinos d’Espagne, et, quand il parut devant letribunal révolutionnaire, un ami qu’il y avait le fit passer pourberger. Vous pensez bien, monsieur, qu’aux yeux des hommes quisiégeaient au tribunal, un berger ne pouvait pas être un aristocrate.

Et Daubenton s’en alla avec un brevet de civisme, qui nous a étéconservé. (Note B.)

Berthollet, à qui notre ville de Lisieux est redevable d’une de sesplus importantes industries, le blanchiment des toiles, et c’est encorele procédé de ce chimiste que nous employons aujourd’hui, Berthollet,dis-je, sauva sa tête par une grande présence d’esprit.

Quelques jours avant le 9 thermidor, on trouve dans une barriqued’eau-de-vie destinée à l’armée un dépôt sableux. Le fournisseur estaussitôt arrêté comme suspect d’empoisonnement. Berthollet est chargéd’examiner l’eau-de-vie et il la déclare pure de tout mélange.

- Tu oses soutenir, lui dit Robespierre, que cette eau-de-vie necontient pas de poison ?

Pour toute réponse, Berthollet en avala un grand verre en disant :

- Je n’en ai jamais tant bu.

- Tu as bien du courage ! s’écrie Robespierre.

- J’en ai eu bien davantage quand j’ai signé mon rapport ! répondBerthollet.

Et il eut la vie sauve.

Le président Bochart de Saron ne fut pas aussi heureux. La notoriétéqu’il s’était acquise par ses travaux d’astronomie le désigna au Comitéde salut public comme un aristocrate dont la mort était utile à lapatrie. Peu d’hommes ont montré d’ailleurs une énergie comparable àcelle dont fit preuve M. de Saron.

La Révolution avait dispersé les astronomes : Ménier seul continuaitses observations nocturnes au collége de Cluny, privé, bien entendu,des appointements de sa charge. Au plus fort de la Terreur, ildécouvrit une comète. Les astronomes dispersés ne pouvaient lui encalculer l’orbite, il songea au président de Saron, qu’il savait enétat d’arrestation, et qui, déjà condamné à mort, revit lesobservations de Ménier et employa les dernières heures de sa vie àfaire les calculs nécessaires. Les hommes de la Terreur estimaientn’avoir pas plus besoin d’astronomes que de chimistes, et Bochart deSaron périt comme Lavoisier. C’est Bochart de Saron qui fit imprimer àses frais, en 1784, les premiers Mémoires sur la lune, de Laplace,l’homme le plus illustre qu’ait produit le Calvados.

LETTRE VI

Monsieur,

En 1813, un des plus grands savants de l’Angleterre, sir Humphry Davy,désireux de se lier avec les savants français les plus en renom, vintpasser six mois à Paris. A sa mort, on trouva dans ses papiers unesérie de portraits des hommes éminents avec lesquels il avait été enrapport : j’aurais dû plutôt dire des croquis. Il montre tous cespersonnages par leurs traits caractéristiques et saillants, au pointque l’on a pu les reconnaître, grâce à l’exactitude de leursdescriptions, Davy ne les nommant pas toujours dans ses notes.

Laplace y est dépeint en une ligne. « On ne pouvait, dit Davy, regardersa physionomie sans se persuader que c’était un homme réellementextraordinaire. » C’est de cet homme extraordinaire que je veux,monsieur, vous parler aujourd’hui.

Pierre-Simon Laplace est né le 23 mai 1749, dans le bourg deBeaumont-en-Auge, situé à 6 kilomètres de Pont-l’Evêque. (Note C.)

Son père cultivait la petite ferme du Merisier, laquelle était sapropriété, et dépendait de la paroisse de Beaumont.

Le jeune Laplace manifesta de très-bonne heure un grand bon sens, unegrande rectitude d’esprit dans la discussion ; il aimait et recherchaitla controverse et s’y montrait toujours plein d’ingénieuses ressources.

Ces qualités, rares chez un enfant, frappèrent ses parents, qui prirentla résolution de l’enlever aux travaux de la ferme pour le remettre auxmains de maîtres capables de faire fructifier en lui les heureusesdispositions dont il était doué.

Il existait alors à Beaumont-en-Auge, dans l’abbaye qu’y avait fondéeRobert Bertran, seigneur de Roncheville, en 1050, un couvent deBénédictins. (Note D.)

Dès le douzième siècle, ces moines s’étaient consacrés à l’instructionde la jeunesse, et le collége qu’ils dirigeaient était un des plusremarquables de la province. C’est à ce collége que Louis XV donna lenom et le privilége d’École militaire, et c’est là que Pierre-SimonLaplace fut envoyé par ses parents pour faire ses premières études.

Placé dans un milieu religieux, il lui arriva ce qui était facile àprévoir, étant donnée la nature de son esprit : il se passionna pourles discussions théologiques et la scolastique ; le même fait, et dansdes circonstances analogues, s’était produit pour Descartes.

Laplace ne resta que peu de temps chez les Bénédictins et passa aucollége des Arts, de Caen. Ce collége était dirigé par des prêtres : lafamille de Laplace désirait le voir entrer dans les ordres, mais sesétudes prirent toutefois une direction autre. Quelques ouvrages demathématiques supérieures, tombés entre ses mains, le détournèrent àjamais de la théologie, et fixèrent irrévocablement pour lui lacarrière scientifique où il devait s’immortaliser.

En un an, c’est d’Alembert qui nous l’apprend dans une de ses lettresinédites, « Laplace traversa toutes les mathématiques. »

Voici donc notre jeune savant faisant ses adieux à la vie religieuse,et retournant dans la ferme du Merisier pour s’y livrer, au milieu ducalme de la nature, à la poursuite des solutions les plus ardues de lahaute mathématique. On voyait, il y a quelques années encore, dans lamaison patrimoniale du Merisier, le petit cabinet à peine éclairé danslequel il rédigea ses premiers mémoires. Il sentit bientôt que songénie, confiné à l’étroit, ne pourrait y prendre tout sondéveloppement. Il tourna les yeux vers Paris où d’Alembert jouissaitalors de tout l’éclat de sa renommée, et se présenta chez l’illustregéomètre, précédé de nombreuses lettres de recommandation qu’il croyaittrès-puissantes. Mais ces tentatives furent vaines, il ne fut pas mêmeintroduit.

Laplace adressa alors à celui dont il venait solliciter l’appui unelettre fort remarquable sur les principes généraux de la mécanique. Ilétait impossible que d’Alembert ne fût point frappé de la profondeursingulière de cet écrit. Le jour même, il appela l’auteur de la lettreet lui dit :

« Monsieur, vous voyez que je fais assez peu de cas des recommandations; vous n’en aviez pas besoin. Vous vous êtes fait mieux connaître, celame suffit. Mon appui vous est dû. »

Peu de jours après, d’Alembert obtenait pour Laplace la nomination deprofesseur de mathématiques à l’École militaire de Paris. Dès lors,livré sans partage à la science qu’il avait choisie, il put donner àtous ses travaux une direction fixe dont il ne s’est jamais écarté,car, ainsi qu’on l’a justement remarqué, la constance imperturbable desvues a été le trait principal de son génie.

Laplace avait à peine vingt-quatre ans lorsqu’il entra à l’Académie dessciences comme membre adjoint. Peu d’années après, il succédait àBezout, dans les fonctions d’examinateur des élèves au corps royald’artillerie, et, en 1785, devenait membre titulaire de l’Académie.

LETTRE VII

Monsieur,

Je vous ai montré dans Le Febvre, dans La Hire et dans Picard troisastronomes, c’est-à-dire trois savants dont l’occupation constanteétait d’observer le ciel, et de déduire de leurs observations par descalculs rigoureux, la marche des astres. Tel ne fut point Laplace ; lenom qui lui convient n’est pas celui d’astronome, mais de géomètre.Encore que ses plus grands travaux aient porté sur les corps célesteset aient abouti à son admirable Exposition du système du monde, il nefut observateur que par occasion, presque jamais calculateurd’observations ; comme Newton, dont il a été le continuateur, ilappliqua, avec toutes les forces de son génie, les mathématiques à lavérification et à la découverte des lois immuables qui régissentl’univers.

Son vaste esprit était celui d’un philosophe préoccupé d’arracher à lanature ses plus intimes secrets, afin d’étendre tous les joursdavantage l’horizon de l’entendement humain.

Il avait au suprême degré les rares qualités qui font le grand géomètre: la justesse de l’esprit pour saisir les raisonnements et démêler lesparalogismes, la facilité de la conception pour entendre avecpromptitude, l’étendue pour embrasser à la fois les différentes partiesd’un problème compliqué, et la mémoire pour retenir et se rappeler àpropos toutes les propositions et en faire usage.

Ces qualités, on peut les définir en examinant l’oeuvre de Laplace et endisant qu’on y trouve la profondeur, l’invention, la force et lasagacité.

Vous n’attendez pas de moi, je pense, une étude de ses travaux par lemenu ; cette étude ne serait point ici à sa place, et d’ailleurs je neme sens nullement digne d’une pareille tâche. Il me faudrait discuterun savant dont Arago disait naguère : « Il y a cinq personnes en Europecapables de le lire. » (Note E.)

Seulement, Arago eût bien fait de dire en même temps que ce grand géniesi peu accessible, au point qu’il n’était compris que de cinqpersonnes, avait travaillé, comme pas un, pour tout le monde, car iln’est pas de savant qui ait mieux servi l’humanité que Laplace. (NoteF.)

LETTRE VIII

Monsieur,

Laplace est mort le 5 mars 1827 et ses funérailles eurent lieu le 7,jour du centenaire de la mort de Newton. Personne n’a mieux défini songénie et ses travaux que l’illustre Poisson, qui fut son élève, son amiet son émule. Je ne résiste pas, monsieur, au désir de vous faireconnaître en son entier le discours prononcé par Poisson sur la tombede Laplace.
Ce discours est aujourd’hui fort rare. Je suis redevable de cettecommunication intéressante à l’obligeance de M. le général marquis deLaplace.


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DISCOURS DE M. POISSON
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Messieurs,

Fallait-il donc que le centenaire de la mort de Newton fût marqué parla fin d’un de ses plus illustres successeurs, de celui quel’Angleterre et la France ont si souvent nommé le Newton français,comme pour exprimer à la fois la gloire des deux nations. Sans doute,ce n’est pas le moment de chercher à diminuer notre profonde douleur ;mais si nous contemplons le siècle entier qui sépare ces deuxévénements, quel spectacle admirable nous présentent le progrès dessciences, leur tendance vers l’esprit mathématique qui en est la vraiephilosophie, et surtout la hauteur où s’est élevée l’astronomiephysique, par le concours de la plus sublime analyse et desobservations les plus exactes ! Quand une main habile aura tracé cetimmense tableau, on ne verra pas sans étonnement que toutes les partiesen soient éclairées par le génie d’un même homme, hélas ! dont nouspleurons la perte. Ami de Lavoisier, il a fait avec lui des expériencesqui suffiraient à la réputation d’un physicien du premier ordre ; liéintimement avec Berthollet, il existait entre eux une communautéd’idées qui a porté ses fruits, et dans la Statique chimique et dansl’Exposition du système du monde. Il a servi toutes les sciences, ettoutes lui ont rendu hommage : parmi leurs plus célèbres interprètes entous genres, Hauy, Berthollet, Cuvier, Biot, Humboldt ont tenu àhonneur de lui dédier leurs ouvrages.

Newton a renfermé dans une seule pensée les lois constantes quirégissent la matière ; et, ce qui n’est pas moins digne d’admiration,il a indiqué la plupart des conséquences de son principe, que le tempset une observation assidue devaient nous dévoiler. Mais qu’il y avaitencore loin de cette vue anticipée d’un génie qui a paru s’éleverau-dessus de l’humanité à l’appréciation entière des phénomènes, à leurcomparaison parfaite avec l’expérience, qui constituent l’astronomie denotre époque ! Il a fallu, pour atteindre ce but, les travaux d’Euler,de Clairaut, de d’Alembert, de Lagrange et de Laplace ; et aujourd’hui,la Mécanique céleste est le développement complet du livre de la Philosophie naturelle ; ouvrages qui ne portent le nom que d’un seulauteur, mais qui sont le fruit des méditations profondes de plusieursgénérations.

Je n’ai pas pu nommer Lagrange sans que vous vous soyez rappelé,messieurs, combien ce nom et celui de Laplace ont été souvent prononcésensemble, et comment ils étaient unis dans l’opinion du monde, pour quiils désignaient les sommités de l’intelligence. Pendant longtemps,l’Europe savante a vu, sur un même sujet, un mémoire de l’un succéder àun ouvrage de l’autre, et le Bureau des longitudes, au nom duquel jeparle en ce moment, conservera toujours le souvenir de cette séance, eneffet mémorable, où ils vinrent, l’un et l’autre, lui communiquer untravail sur la même théorie, l’une des plus importantes de l’astronomiephysique. Mais telle était la vaste étendue des questions quioccupaient ces hommes supérieurs, qu’elles pouvaient être envisagéespar eux sous des points de vue entièrement différents, quelquefois mêmesans épuiser la matière. Il y avait d’ailleurs entre leurs génies unedifférence qui aura été remarquée par tous ceux qui ont étudié leursouvrages : que ce fût la libration de la lune, ou un problème sur lesnombres, Lagrange semblait, le plus souvent, ne voir dans les questionsqu’il traitait que les mathématiques dont elles étaient l’occasion ; etde là vient le haut prix qu’il mettait à l’élégance des formules et àla généralité des méthodes ; pour Laplace, au contraire, l’analysemathématique était un instrument qu’il pliait aux applications les plusvariées, mais toujours en subordonnant la méthode spéciale au fond mêmede chaque question. Peut-être la postérité jugera-t-elle que l’un futun grand géomètre, et l’autre un grand philosophe, qui cherchait àconnaître la nature en y faisant servir la plus haute géométrie. C’estainsi que Laplace nous a donné la théorie de l’action capillaire ;qu’il a déterminé les degrés de probabilité des différents précédés decalcul appliqués à de grands nombres d’observations ; que les lois duflux et du reflux, malgré le nombre considérable d’éléments arbitrairesdont elles dépendent, ont été exprimées par ses formules quireprésentent avec une exactitude singulière des observations séparéespar un intervalle de plus de cent années ; qu’il a découvert la causeet la mesure de l’équation séculaire de la lune, et des inégalités àlongue période de Saturne et de Jupiter, deux des problèmes dont lesgéomètres s’étaient le plus occupés jusque-là, que l’ancienne Académiedes sciences leur proposa plusieurs fois, et qui avaient toujoursrésisté à leurs efforts ; que, parmi les nombreuses inégalitéspériodiques de la lune, il a distingué celle qui dépend de la parallaxesolaire, et qu’il a fait connaître les inégalités dont la cause estl’aplatissement de la terre, de telle sorte que, sans sortir de sonobservatoire, un astronome peut actuellement déterminer, parl’observation du mouvement de la lune, la forme de notre planète et sadistance au soleil ; et enfin, pour abréger cette énumération derésultats admirables où j’ai compris ceux qui plaisaient le plus à sonimagination, c’est encore la direction particulière de son esprit quilui a fait démêler les lois si compliquées des satellites de Jupiter,question dont la difficulté provenait d’une circonstance unique dans lesystème du monde, que présentent les mouvements des trois premierssatellites, et qu’il a saisie avec une heureuse perspicacité.

Ces travaux ont rempli sans interruption près de soixante années de savie. On aurait lieu cependant d’être surpris de leur nombre et de leurvariété, si l’on ne savait qu’en toute chose la fécondité est unattribut essentiel du génie. Il faut aussi dire que les calculsnumériques, qui auraient absorbé une partie considérable d’un temps siprécieux, ont été faits par son ami Bouvart. Ses formules sont la basedes Tables astronomiques de Delambre, qui fut également son ami, etdont le nom devait, à ce double titre, être prononcé sur sa tombe.

Ce fut d’Alembert qui dirigea ses premiers pas dans la carrière dessciences, et qui ne tarda pas à reconnaître en lui un géomètre qu’ilaurait bientôt pour émule. Quoiqu’il soit entré à l’Académie àvingt-quatre ans, il avait fait auparavant une découverte capitale,celle de l’invariabilité des distances moyennes des planètes au soleil,et publié en outre plusieurs mémoires importants. Le Bureau deslongitudes a entendu la lecture de son dernier travail et, pour ainsidire, ses derniers accents ; encore cette année, quinze jours avant samaladie, il nous a communiqué un mémoire sur les oscillations del’atmosphère, dont l’impression dans la Connaissance des temps estachevée. Celle d’une nouvelle édition du Système du monde étaitcommencée : il préparait un premier supplément au cinquième volume dela Mécanique céleste, ouvrage de ses dernières années ; et le tomeseptième des Mémoires de l’Académie des sciences, qui paraîtraincessamment, renferme encore un mémoire de lui, digne de terminer lalongue série d’ouvrages dont il a enrichi toutes nos collections etdont l’origine remonte à 1772.

Cet ardent amour qu’il avait pour les sciences, c’était sa vie, et ilne s’est éteint qu’avec elle. Qui leur donnera maintenant l’impulsionqu’elles recevaient de l’activité de son esprit et de la chaleur de sonâme ? Où donc ceux qui les cultivent trouveront-ils un suffrage aussiflatteur et d’aussi nobles encouragements ? En songeant à l’accueilqu’il fit à ma jeunesse, aux marques d’une vive amitié qu’il m’a sisouvent prodiguées, aux communications de sa pensée qui éclairaient maraison sur tant d’objets divers, je sens trop l’impuissance où je suisd’exprimer, dans ces derniers adieux, tout l’amour que je lui portaiset toute la reconnaissance que je lui dois.


NOTES :
(1) Ceux qui croient que la lune a des habitants les appellent Sélénites, du mot grec qui signifie lune.
(Note A.) Le collége de Lisieux (à Paris) fut fondé en 1336 par leslibéralités de Gui de Harcour, évêque de Lisieux, lequel laissa partestament la somme de mille livres parisis en faveur de vingt-quatreécoliers, au choix des évêques ses successeurs, outre cent livresparisis pour leur logement, qui fut premièrement dans la rue auxPrêtres, près de Saint-Séverin ; mais ce n’était pour lors qu’unemaison empruntée. Dans la suite, les fonds de ce collége furentincorporés à un autre, fondé par trois frères de l’illustre maisond’Estouteville, dont le premier était Guillaume d’Estouville, évêque deLisieux, le second abbé de Fécamp et le troisième Colardd’Estouteville, seigneur de Torcy, ce qui fit aussi donner le nom deTorcy à ce nouveau collége, bâti sur la montagne Sainte-Geneviève, maisqui ne fut plus connu par la suite que sous le nom de collége deLisieux. FÉLIBIENHistoire de Paris, 1725.
(2) Voltaire.
(Note B.) Section des Sans-Culottes.
Copie de l’extrait des délibérations de l’Assemblée généralefraternelle de la séance du 5 de la première décade du 3e mois de laseconde année de la République française une et indivisible.
« Appert que d’après le rapport fait de la Société fraternelle de lasection des Sans-Culottes sur le bon civisme et faits d’humanité qu’atoujours témoignés le berger Daubenton, l’Assemblée générale arrêteunanimement qu’il lui sera accordé un certificat de civisme, et leprésident, suivi de plusieurs membres de ladite Assemblée, lui donne l’accolade avec toutes les acclamations dues à un vrai modèled’humanité ; ce qui a été témoigné à plusieurs reprises.
         Signé : R. G. DARDEL, président,  
      Pour copieconforme,     
                                       Signé : DOMONT-ST-AIR.
(Note C.) Extrait des registres de la paroisse de Beaumont-en-Auge :
Le 25 mars 1747 a été baptisé par nous, soussigné, Pierre-Simon, né du23, fils de Pierre Laplace et de Marie-Anne Sochon, sa légitime épouse; - a été parrain Pierre Halley et marraine Marie-Magdeleine de Launey,qui ont signé avec nous.
    Signé : Delauney, P. Halley, Ad.Leperchey, curé de Beaumont.
(Note D.) Le prieuré de Beaumont-en-Auge fut fondé, en 1050, par RobertBertran, baron de Briquebec, seigneur de Roncheville, et par Suzanne LeTort, sa femme.
La charte de fondation fut signée par Guillaume le Bâtard, sa femmeMathilde, et Robert, leur fils aîné, par les donateurs et par plusieursgentilshommes illustres de la province qui y figurent comme témoins.
La baronnie de Roncheville était la première de Normandie ; elle passaensuite entre les mains de la famille d’Estouteville qui a fourni unévêque à Lisieux, puis dans la maison de Bourbon et dans celled’Orléans.
Les seigneurs de Roncheville, qui devinrent dans la suite seigneurs deHonfleur, avaient séance parmi ceux du pays de Caux, à l’échiquier deNormandie, avec les principaux de la noblesse et du clergé de laprovince. Le siége de cette baronnie était situé dans ce qui formeaujourd’hui un hameau dépendant de la commune deSaint-Martin-aux-Chartrains, canton de Pont-l’Evêque. Ce hameau estbâti sur la rive gauche de la Touques.
Le prieuré de Beaumont, de la Congrégation de Saint-Maur, sous levocable de Notre-Dame, dépendait de l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen. Leprieur de l’abbaye était à la nomination du sire de Roncheville, quichoisissait sur douze religieux de l’abbaye de Saint-Ouen, présentéspar l’abbé.
(Note E.) M. Biot, au début de sa carrière (il sortait de l’Écolepolytechnique et n’était encore que professeur de mathématiques àl’École centrale de Beauvais), avait obtenu, non sans peine, deLaplace, la permission de lire les épreuves de son grand ouvrage, sijustement appelé la Mécanique céleste, au fur et à mesure qu’ellessortaient des presses. Il ne jouissait de cette faveur qu’à lacondition de corriger les fautes typographiques. « Chaque fois quej’allais à Paris, nous raconte M. Biot, j’apportais mon travail derévision typographique et je le présentais personnellement à M.Laplace. Il l’accueillait toujours avec bonté, l’examinait, lediscutait, et cela me donnait souvent l’occasion de lui soumettre lesdifficultés qui arrêtaient ma faiblesse. Sa condescendance à les leverétait sans bornes. Mais lui-même ne pouvait pas toujours le faire sansy donner une attention quelquefois assez longue. Cela arrivaitd’ordinaire aux endroits où, pour s’épargner des détails d’expositiontrop étendus, il avait employé la formule expéditive : Il est aisé devoir. La chose, en effet, avait paru dans le moment très-claire à sesyeux ; mais elle ne l’était pas toujours, même pour lui à quelquestemps de là. On doit dire à sa décharge que, s’il eût voulu êtrecomplétement explicite, son ouvrage aurait dû avoir huit ou dix volumesin-4° au lieu de cinq ; et peut-être n’aurait-il pas vécu assezlongtemps pour l’achever. » BIOTJournal des Savants, 1854.
(Note F.) « Nous serions impardonnables si nous oublions de mettre aupremier rang des travaux de Laplace le Perfectionnement des Tables dela lune. Ce perfectionnement, en effet, avait pour but immédiat larapidité des communications maritimes lointaines, et, ce qui primait debien loin tout intérêt mercantile, la conservation de la vie desnavigateurs. Le navire, jouet des vents et des tempêtes, n’a point àcraindre aujourd’hui de s’égarer dans l’immensité de l’Océan. Un coupd’oeil intelligent sur la sphère étoilée apprend au pilote, toujours, entout lieu, quelle est sa distance au méridien de Paris. L’extrêmeperfection des Tables de la lune donne à Laplace le droit d’être rangéparmi les bienfaiteurs de l’humanité. » ARAGO, rapport pour la réimpression, aux frais de l’État, des oeuvresmathématiques de Laplace.