Aller au contenu principal
Corps
JOLY, Aristide(18..-19..) : Du sort des aliénés dans la Basse-Normandie avant 1789d'après des documents inédits.- Caen : Typ. F. Le Blanc-Hardel,1868.-58 p. ; 21 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (15.XI.2014)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographeetgraphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm1529).

Du sort des aliénés - Joly - 1868

DU
SORT DES ALIÉNÉS
DANS LA BASSE-NORMANDIE
Avant 1789 (1)
D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS
(Archives du Calvados, de l'Hôtel-de-Ville de Caen, Papiers de 1«Maison d'Harcourt.)
par
M. A. Joly
Professeur à la Faculté des Lettres de Caen.

~*~

Ons'est beaucoup préoccupé,dans ces derniers temps, de tout ce qui touche aux aliénés, desmeilleures conditions du traitement à leur donner, des progrès réaliséssur ce point à l'étranger, en Belgique, en Angleterre, du régimeauquel ils sont soumis, etc. De nombreuses critiques ont été adresséesà la loi de 1838, qui régit la matière. Cette loi, qui, à sonapparition, marqua un pas immense fait en avant, qui fut le fruit desméditations de tant de graves esprits, qui donna lieu à une discussionsi longue, si savante, si approfondie, paraît aujourd'hui à plusieurstout-à-fait insuffisante. La question enfin a été portée au Sénat et auCorps législatif, et y a été l'objet de longs et sérieux débats. Dansces conditions, il peut être intéressant de rechercher quel était enFrance, il y a moins d'un siècle, sous le régime du bon plaisir, lesort des aliénés. On sait comment les choses se passaient à Paris.Aujourd'hui que l'histoire provinciale sollicite de plus en plusl'attention, il peut y avoir quelque profit à voir ce qu'il en étaitdans une de nos provinces les plus riches et les plus civilisées, unede celles qui, plus voisines de Paris, étaient en communication plusfréquente avec lui, où les intendants ont été presque toujours deshommes distingués, et où la bonne volonté de l'administration ne s'estjamais démentie, à voir comment la Normandie, au XVIIIe siècle,traitait les aliénés.

Quand on parle d'aliénés, une grave question se présente tout d'abord,qui vient compliquer la question médicale : c'est la question durespect pour la liberté individuelle. La liberté humaine est chose siprécieuse et si sainte que, pour permettre de porter la main sur elle,même chez un être privé de raison, deux conditions semblent désormaisnécessaires, indispensables, tout-à-fait élémentaires. La première,c'est que la folie soit bien et régulièrement constatée par les deuxautorités seules compétentes en pareil cas, la science et la justice,par le médecin et le magistrat : le premier reconnaissant la maladie,le second usant du droit, qu'il a seul, de suspendre la liberté del'individu, quand cette liberté devient dangereuse à la société. Laseconde condition, c'est que la société, qui a confisqué provisoirementla liberté de l'insensé, promette en échange de faite tout ce qui seraen son pouvoir pour abréger sa détention, de l'entourer des soins lesplus attentifs pour retenir, s'il est possible, cette raison prête às'égarer ; pour la rappeler au plus tôt, si déjà elle s'est enfuie. Ilnous semble à tous que la société serait coupable de sa folie si ellene mettait tout le zèle possible à la faire disparaître.

Aucune de ces conditions n'était observée dans l'ancienne société (2),et on ne saurait voir sans une pitié profonde le sort qu'elle réservaità ces infortunés, et où la Justice était autant outragée que la Charité; quand il est question d'eux, on remarque à la fois le mépris le pluscomplet de la liberté humaine, une précipitation extrême à déclarerqu'ils sont fous, l'absence de toute précaution contre les confusionspossibles, enfin l'abandon complet de l'insensé, la société ne songeantpas à le guérir, mais à le retrancher.

Ce qui frappe tout d'abord quand on fouille les Archives desIntendances de la Normandie au XVIIIe siècle, celles de Caen parexemple auxquelles je veux emprunter mes citations, et qu'on examineles traces qu'y ont laissées les gens enfermés pour cause de folie,c'est que la constatation de cette folie n'est entourée d'aucunegarantie, qu'elle n'est pas même requise, que nulle part on nerencontre une déclaration médicale légalement vérifiée, que parmi lesinnombrables ordonnances dont les fous sont l'objet, il n'en manquequ'une seule, celle qu'on y chercherait tout d'abord, l'ordonnance dumédecin (3) ; enfin, que le plus petit nombre a été enfermé en vertud'une ordonnance judiciaire. Pour enlever ces malheureux et lescondamner à un emprisonnement sans fin et aux horribles torturesphysiques et morales dont nous aurons le spectacle tout à l’heure, ilsuffit d'un ordre du roi, quelquefois de moins encore, et, pour motivercet ordre, c'est assez que la famille le demande et que, sans donnerd'autre explication, elle déclare le personnage fou et dangereux.L’administration, quand elle est le plus exigeante, se contente defaire joindre à la signature des parents, celle de quelques notableshabitants du lieu, ou l'attestation du curé, on la déclaration de lanotoriété publique.

Le Ministre a bien, par moments, quelques scrupules de cet enlèvementarbitraire. M. Bertin écrit à un intendant de Rouen : « Il serait plusrégulier et plus sûr de s'adresser à la justice qui, après avoir prisles informations nécessaires, peut ordonner l'interdiction et ladétention de la personne dont la démence est prouvée.. .. Si l'on abesoin d'ordres pour le faire mettre dans une maison de force, lorsquela justice aura prononcé, je proposerai volontiers à sa Majesté de lesdonner. » Mais ce n'est qu'une intention à propos d'un faitparticulier, une intention passagère. On voit, par les termes de l'avisdonné, qu'en théorie, le Ministère ne regarde pas ces précautions commeabsolument obligatoires, et, dans la pratique, on s'en passe sans cesse.

La signature du roi n'est pas même nécessaire. L'intendant accordevolontiers ces ordres de lui-même et sans consulter le Ministre ; et, àl'exemple de l'intendant, le maire de Caen délivre des ordresd'arrestation : cela est passé en loi. Les Archives de l'Hôtel-de-Villecontiennent encore un très-grand nombre de ces pièces. Il arrive à lamairie une lettre couverte de plus ou moins de signatures déclarant, aunom d'une famille, qu'elle a un de ses membres d'esprit dérangé et deconduite peu régulière ; elle a appris qu'il y avait une placevacante dans le lieu spécialement destiné à renfermer les insensés ;elle s'est réunie pour la solliciter des bontés du maire et deséchevins. Et, sans autres informations, le maire donne sa signature etl'enlèvement s'accomplit. Les plus heureux à certains égards, ce sontles insensés qui n'ont pas de famille ; il est vrai qu'ils ne sont passoignés, mais personne ne l'est, et ils y gagnent du moins d'échapper àune affreuse captivité. Cependant, ce n'est pas toujours une garantieabsolue, et, à défaut de parents, des voisins parfois que le prétendufou incommode, interviennent et sollicitent son emprisonnement. Jetrouve à cet égard une réclamation curieuse par sa naïveté : c'est unelettre du 14 juin 1782, où maître Milésius Macparlan, professeur royalde théologie et principal de collège, demande, comme une complaisanceet une preuve d'amitié, l'incarcération d'une pauvre folle. « Je prieM. le comte de Faudoas de vouloir bien faire donner une place à la Tourà la fille L***, qui est folle depuis quelques jours, qui fait grandpitié, mais qui incommode de jour et de nuit mon quartier, et surtoutmoy, étant logé dans une chambre sur le devant de mon collège ; ilobligera son amy et serviteur. » Et le lendemain, un ordre est donné enconséquence (4).

Dans ces conditions, on ne s'étonne pas de voir que parfois des ordresétaient surpris et que des êtres en pleine possession de leur raisonétaient jetés dans ces horribles lieux. « Il m'a été secrètementconfié, écrit un subdélégué, que Mlle P*** ne doit pas être regardéecomme folle, et qu'elle est la victime d'une préférence que sa mère apour ses autres enfants. »

On rencontre, du reste, dans les Archives de Caen, une pièce pleine, àcet égard, d'instructives révélations. C'est le procès-verbal d'unevisite faite, en 1766, à la tour Châtimoine, dont nous parlerons tout àl'heure. Nous y apprenons à la fois quel en était le personnelordinaire et combien il s'y commettait d'erreurs, erreurs effroyablesquand on en considère le résultat. Suivons, en effet, pas à pas lerapporteur. La première personne qu'il rencontre est un individu desplus fous. Mais la seconde est un malheureux qui, un jour de fête,quand tout le monde était en liesse, buvant dans un cabaret, et déjàivre, a mis dans sa poche une tasse d'argent. Il l'a rendue dès qu'il aretrouvé son bon sens ; et cependant, il est là depuis dix-sept ans, etle rapporteur déclare ingénument « que le crime est expié et que lemalheureux mérite qu'on ait des égards pour lui. » La troisième estune femme « qui jouit de toute sa raison, qu'on a mise là pour rendreservice à sa famille, parce qu'on la croit une friponne. » Plus loin,c'est « une femme D***, non insensée, dit le rapport, et trois hommesnon fous, détenus en vertu de lettres de « cachet » ; plus unecinquième, sur laquelle on ne nous donne pas de détails. Ailleurs, àcôté de huit fous dont la folie est bien avérée, un neuvième, à proposduquel le rapport marque expressément qu'il ne l'est pas. Enfin, auplus profond de la prison, avec deux fous reconnus, on trouve troisautres individus qui ne le sont pas. L’un, jeune encore, est le filsd'un marchand de Caen qu'on avait d'abord fait entrer à l'Hôpital, puisqu'on avait provisoirement déposé à la Tour, en attendant que safamille lui eût trouvé une place. Le rapport ajoute avec une placiditéqui fait frémir : « On a oublié cet homme qui n'est pas fou et quipourrait le devenir. » Semblable est l'histoire des deux derniersdétenus ; l'un d'eux a servi honorablement pendant huit années et il aeu son congé, mais il a alarmé sa famille en mangeant du bien ! Leursparents avaient demandé pour eux un asile pendant quelque temps ; « ilsles ont oubliés, ajoute le rapport: à examiner. »

Voici donc, tout compte fait, dans cette maison de fous, vingt-deuxpersonnes retenues, sur lesquelles onze seulement sont de véritablesinsensés ; et sur ces onze, quelques-uns peut-être à leur entréeétaient dans la situation de celui dont parlait tout à l'heure lerapport, et que la prison a rendu fou. En effet, les basses passionsqui avaient trompé la religion du Ministre étaient alors bientôtsatisfaites ; la folie ne tardait pas à venir et à donner raison auxpersécuteurs. On trouve ainsi, en 1789, un sieur M. de La M.,appartenant à la classe des premiers bourgeois de Rennes, détenu sur lademande de sa famille. « Dans les premiers temps, dit le subdélégué, il jouissait de toute sa raison ; mais il ne tarda pas à donner despreuves de son altération d'esprit ; il est depuis parvenu au dernierdegré de démence... le physique n'est pas en meilleur état et m'a parufaire craindre une mort prochaine. » Tel avait été le sort d'un pauvrejeune homme de vingt-sept ans, qu'un ordre du roi avait fait enfermer,parce qu'il était soupçonné d'avoir chansonné Sa Majesté. Jeté dans uncachot malsain, il n'avait pas tardé à devenir fou, d'une folie douce,passant son temps à chanter et à jouer de la flûte.

De telles erreurs étaient inévitables avec les procédés arbitraires del'administration, son insouciance pour la vérité, sa confiance aveugledans les déclarations qui lui étaient faites.
 
Et l'horreur redouble quand on voit le sort réservé aux malheureuxainsi frappés au hasard, l'abandon où ils vont se trouver, lessupplices même qui les attendent. A chaque instant, on acquiert lapreuve qu'ils sont considérés seulement comme des êtres dangereuxcontre lesquels la société a le droit de prendre toutes ses sûretés.Elle seule est tenue pour quelque chose ; quant au fou, il ne compteplus. L'intelligence étant absente, on ne veut plus voir en lui qu'uncorps dont on s'assure, dont on prévient les violences possibles, et uncorps, à ce qu'on paraît croire, insensible. On ne se demande pas unmoment s'il ne serait pas possible de les ramener à la raison.
 
On aurait tort pourtant de dire qu'autrefois on ne faisait rien poureux. On trouve dans les Mémoires de Mme de La Guette l'histoire d'unpauvre malheureux qui devient fou par les chemins. « On fut obligé, ditla narratrice, de le lier sur une charrette de bagages ; et même on luidonna le fouet à plusieurs reprises, ce qui lui fit tous les biens dumonde, étant un souverain remède pour ceux qui tiennent de la folie. »On ne peut pas trop plaindre ces pauvres gens de l'abandon où on leslaisse en certains endroits quand on voit ce qu'étaient les soins.
 
Une seule fois ici je rencontre la mention d'un père qui réclame sonfils , parce qu'il a appris qu'il s'est fondé à Paris une maison oùl'on espère guérir ces maladies.

En Normandie rien de semblable. L'intendant de Rouen déclare « qu'iln'y a dans sa généralité aucune maison destinée à recevoir lespersonnes attaquées » de folie. » L'Intendance de Caen n'est pas plusheureuse. Il y a des prisons où on les enferme ; il n'y a pas demaisons où on cherche à les guérir. On s'en remet de ce soin à laProvidence. Une des requêtes présentées au maire de Caen le constatenaïvement. Un femme y déclare qu'on a fait enfermer son mari à la TourChâtimoine , jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de lui rendre l'espritsain (1772) (5).
 
On ne savait évidemment que faire des aliénés. Parfois, on les abandonnait à la discrétion de leur famille.

Sous prétexte de folie, la royauté autorisait le plus bénévolement etle plus charitablement du monde les séquestrations les plusarbitraires. On permet à un père de faire construire chez lui unelogette pour un fils insensé, à la seule condition qu'elle sera assezvaste, et surtout bien fermée. On essayait parfois de les loger dansles asiles ouverts aux autres maladies. C'est ainsi que nous voyons leshospices ou les couvents de Caen en recevoir quelques-uns ; mais celaau hasard et selon le caprice du moment, car le vice foncier en toutceci et dans toute l'histoire du passé, c'est toujours l'arbitraire ;et quand l'insensé devenait gênant, on l'expulsait sans rémission.

Les religieuses de l'Hôpital ont d'abord accepté une folle. Maisbientôt, « ennuyées et fatiguées de cette femme dont la folie vatoujours augmentant, elles font dire à son mari qu'il ait à lareprendre incessamment et à lui procurer un autre azile, faute de quoi elles la passeraient à la porte. » Un autre jour, elles ne secontentent pas d'expulser la malheureuse qui les embarrasse, elles lacondamnent de leur propre autorité à la prison. En 1772, une familleréclame une belle-sœur qui s'était retirée à l'hôpital par amour deretraite et principe de dévotion, et que les sœurs, pour se délivrerd'elle, surprenant un ordre, ont fait transporter à la Tour aux fous.
 
Parfois, quand l'administration envoyait à l'hospice un malheureux dontla folie n'était pas encore certaine, l'hospice fermait sa porte et serachetait moyennant une légère aumône du devoir d'accueillir unemisère. C'est ainsi qu'en 1779, le maire et les échevins décident qu'unpauvre mendiant, n'étant atteint que d'imbécillité, ne peut être reçuparmi les fous, mais doit être admis à l'hôpital général, « maisondestinée à cet effet. » L'administration de l'hôpital, pressée des'exécuter, consent à contribuer à sa nourriture pour huit livres depain par semaine, et on décide que le malheureux sera reçu à la Tour aurang des fous. On le condamne au Carcere duro, pour ne pasembarrasser l'Hospice.
 
Dans d'autres circonstances, où la bonne volonté ne manque pas, lesressources sont si faibles, les installations tellement insuffisantes,que les malheureux insensés sont réduits à la plus triste condition. Unsubdélégué de Cherbourg écrit (1785) « qu'il a trouvé à l'Hôpital unefolle : c'est une pauvre fille sans ressource dont le frère infirme,cordonnier de son état, est déjà chargé d'une autre sœur folle aussi etqui le bat. » Dans cette condition, l'Hôpital est son asile naturel.Mais à Cherbourg, on n'a ni les salles, ni les cours nécessaires ; lelocal manque pour qu'on puisse la loger et la traiter comme son étatl'exigerait. On est obligé de l'y retenir dans une petite salle, quin'est qu'une espèce de cachot. Dans ce réduit, elle est toujours seuleet ne voit personne. Loin de se guérir, elle devrait, au contraire,devenir plus folle encore.

Cependant, si l'on s'en rapportait uniquement à des déclarationsofficielles, il existait à Caen, au centre même de l'intendance , unasile spécialement réservé aux insensés, la Tour-Châtimoine, que lepeuple appelait la Tour-aux-Fols. C'est ce que proclame unedélibération du Conseil de ville de 1760, qui assure que la Tour sert àcet usage depuis un temps immémorial. Déjà, dans une délibération datéede 1731, le maire et les échevins, repoussant la prétention duprocureur général du Parlement de Rouen de nommer le concierge, ou toutau moins d'accepter sa nomination, déclaraient que la Tour « n'est pasune prison (6), mais bien un lieu choisi « dans le nombre desfortifications de cette ville et destinée par les officiers du Corpsde ville pour servir d'asyle et d'hôpital aux pauvres citoyens dontl'esprit est dérangé qui trouvent dans ce lieu tous les secours quileur sont nécessaires et qu'ils ne peuvent se procurer d'eux-mêmes.»Elle ajoute que les pauvres insensés « qu'on retire par un motif decharité dans la Tour de Châtimoine ne peuvent pas être considérés commedes prisonniers, mais comme de pauvres infirmes. » Et les échevinsassurent, dans une autre pièce du 23 avril 1740, « qu'ils veillentcontinuellement sur la conduite de ce concierge nommé par eux, afin queles malheureux insensés ne soient pas négligés. » Dès le XVIIe siècle,en effet, on trouve, dans les archives de la ville, les preuves decette attribution donnée à la Tour. Les choses s'y arrangeaient d'abordà l'amiable. La ville se bornait à en prêter quelque coin à ceux quivoulaient s'en servir, à condition qu'il ne lui en coûterait rien etqu'ils y feraient telle installation qu'il leur plairait. C'est ainsique, le 25 janvier 1659, un particulier était autorisé « à mettre dansla Tour-Châtimoine son frère tombé en démence et dont il est lecurateur, à la charge de faire fermer par lui à ses frais, soit encharpenterie ou maçonnerie, celle des embrasures de ladite Tour qu'ilaura choisie, afin qu'il ne divague, et de lui fournir les vivres etaliments nécessaires. »

Plus tard, la ville forme là un établissement régulier dans lequel estréuni un nombre assez considérable de fous, envoyés, nous avons vu envertu de quels ordres. Elle y reçoit même des malheureux venus desvilles voisines, tantôt en vertu de lettres de cachet adressées aumaire, tantôt en vertu de concessions faites par elle. Je trouve entreautres, en 1780, une requête du curé de Sacy et des principauxhabitants au maire de la célèbre ville de Caen; ils assurent que « comme il ne serait pas juste que la pauvre folledont ils demandent l'emprisonnement y fût gratis, n'étant pas de votreville, le curé paiera 100 livres. »

L'Hôtel-Dieu fait les frais de l'asile. Il y dépense annuellement de2,500 à 3,000 livres pour vingt détenus (125 livres par personne); unou deux y étaient à la pension du roi, une pension de 200 livres.

Il semble donc que tous les vœux des amis de l'humanité devaient êtresatisfaits. Mais si, après avoir entendu les assertions de MM. leséchevins, on pénètre dans ce prétendu asile, on rencontre de siépouvantables spectacles qu'on aimerait mieux apprendre que cesmalheureux étaient complètement laissés à eux-mêmes. La Tour-Châtimoineest un horrible enfer, si horrible en effet que l'administrationelle-même, s'avisant tardivement, et cinq ans seulement avant laRévolution, de savoir ce que c'était que cette prison à laquelle depuistant d'années elle condamnait tant d'innocents, le jour où elle ypénètre, recule épouvantée ; et l'intendant déclare qu'il estimpossible de conserver une pareille monstruosité.

On ne saurait, en effet, imaginer rien de plus monstrueux que lesdescriptions que nous en fournissent en 1785, dans des rapportsofficiels qu'on ne saurait, par conséquent, soupçonner d'exagération,un inspecteur général des hôpitaux, un exempt de maréchaussée, hommepar état peu porté à l'attendrissement, enfin un maire de Caen qui,sous l'impulsion de ce mouvement général d'humanité qui marquaitl'approche de 89, n'hésitent pas à démentir le témoignage de ceséchevins si satisfaits, de 1731, et déclarent que les cachots étaientsi mal entendus et construits que les malheureux qui y étaient enfermésexcitaient la plus grande compassion.

Ce sont « des cellules prises dans l'embrasure du « mur de la Tour,de largeur en l'entrée de six ou sept pieds, et de trois pieds et demyà l'autre extrémité, vers le jour qui donne du côté du fossé de laville, ledit endroit de profondeur tout au plus de six à sept pieds,voûté dessus et dessous en pierre. » Ce sont des souterrains plusépouvantables encore, « où l'on descend à vingt-cinq ou trente pieds deprofondeur ; là on trouve une cave voûtée qui ne reçoit le jour etl'air que par trois ou quatre lucarnes infiniment étroites, de manièrequ'en plein jour on ne peut y voir sans flambeau. Ce lieu est tellementhumide que plusieurs fois dans l'année il est inondé, au point que l'onest obligé d'y pomper l'eau, et qu'une pauvre femme déposée à la Tourpour dix jours, en attendant son entrée au Couvent, et qu'on y oubliependant deux mois, y languit les jambes à l'eau avec les reptiles lesplus immondes. Dans l'épaisseur des murs de celte cave sont creuséesquatre ou cinq cavités, dans lesquelles on place des prisonniers quisont véritablement scellés dans le mur, puisque, une fois établis dansces lieux, la porte par laquelle ils y sont entrés ne s'ouvre plus, etqu'elle est assurée dans le mur au moyen de fers qui y sont scellés.Quand on voulut en faire sortir un malheureux qui y était détenu depuisvingt ans, la porte n'avait été ouverte depuis si longtemps, nous ditl'exempt, qu'il a fallu abattre la serrure et les barres. Au milieu decette porte est une ouverture carrée, d'environ un pied, par laquellele prisonnier respire, reçoit ses aliments et rejette ses excréments.Genre de cachot inouï, dit le rapporteur, et le plus barbare qu'onpuisse concevoir ! »

Dans les autres étages, les malheureux n'étaient guère mieux installés,nichés qu'ils étaient chacun dans une espèce de cage, que le rapportcompare « aux cabanes roulantes des bergers qui gardent la nuit lesmoutons en pleine campagne, n'ayant pour tout, pour l'entretien de leurvie, qu'une ouverture semblable à celle pratiquée dans les cachotssouterrains (7). »

Je ne connais qu'une description égale à celle-ci enhorreur, c'est celle que, dans une de ses lettres, Horace Vernet nousdonne de la Mosquée des fous du Caire. Mais au moins cette fois, lelieu de la scène est dans cet Orient où la mort et la souffrance deshommes ont toujours été comptées pour rien, où, par un raffinementatroce, elles se mêlent au plaisir, où l'on s'enivre de sang et detortures autant que de voluptés. « Figure-toi, dit le voyageur, unecour de quarante pieds carrés, environnée de murailles prodigieuses dehauteur qui laissent à peine entrer le jour. Dans l'angle une petiteporte de trois pieds de haut, barricadée de chaînes à traverslesquelles on passe avec peine. De chaque côté des murs sont percées depetites niches de quatre pieds carrés, garnies d'énormes grilles defer, et là dedans, sans vêtements, assis sur la pierre, sans autrepaillasse que leurs ordures et une épaisse couche de poussière, sontles malheureux privés de leur raison, une double et lourde chaîne aucou, dont les extrémités viennent s'attacher à de gros anneauxextérieurs et dont le frottement perpétuel sur la pierre l'a détruiteet creusée à plus de deux pieds. Joins à ces tableaux les rugissementsdes furieux, les accents pitoyables d'un amoureux et les deux yeuxfixes d'un nègre silencieux qui vous regarde comme un oiseau de nuit,et tu ne te feras encore qu'une faible idée de ce que nous avons vu(8). » La description d'Horace Vernet est désolante, mais elle n'offreaucun trait qui ne se retrouve dans la Tour-Châtimoine. Les cris et lesrugissements dont il parle ont dû s'y entendre bien souvent ous'étouffer dans ses sombres piliers. Et dans ces tableaux quiépouvantent et indignent le voyageur français, rien n'est comparable àcette horrible caverne, où l'infortuné pourrit pendant des années dansles ténèbres et dans la fange.

En voyant les malheureux ainsi logés, il est à peine besoinde se demander s'ils reçoivent les soins nécessaires. Ne cherchez pass'il y a là un médecin pour soigner leur corps et rappeler leur raison,des sœurs de charité pour les entourer de soins délicats ; s'ilspeuvent tout au moins compter sur la main plus rude d'un infirmier ;s'il y a un prêtre qui vienne, au moindre réveil de leur âme, leurapporter les consolations de la religion ? Le personnel de la maisonest des plus réduits ; le seul fonctionnaire chargé de veiller sur euxest un concierge qui doit seul suffire à tous les services ; et si l'onjuge de la sollicitude du gardien par son intégrité, elle ne devait pasaller loin : car on le voit, en 1770, moyennant un écu de trois livres,procurer l'évasion d'une détenue (9). Parfois, plus coupable encore, ilexploitait la misère des malheureux confiés à ses soins ; on nousapprend que l'un d'eux, manquant de tout, était donné en spectacle,pour une rétribution, à une curiosité imbécille.
 
Toute la sollicitude de l'administration municipale se borne à aller deloin en loin, en grande pompe, faire une courte visite à la Tour (10),et demander aux détenus, encore en état de répondre, s'ils ne sont pasmécontents du concierge. Que ne leur demandait-on également s'ilsétaient contents du traitement ?
 
Quels sont, en effet, ces secours que les pauvres insensés trouvaientlà, au dire des échevins, et qu'ils n'auraient pu se procurerd'eux-mêmes ? En présence des faits, ces paroles ne semblent qu'uneamère dérision. Le ministre, dès 1749, apprenait avec indignation letraitement auquel, en réalité, ces malheureux étaient soumis ; il seplaignait de l'état misérable et contraire à l'humanité dans lequel lesprisonniers étaient tenus dans ce lieu, malgré la pension que payait leroi pour quelques-uns. Son indignation n'est que trop justifiée par lesdifférentes confidences parvenues jusqu'à nous. Les malheureux foussont là sans air, sans lumière, sans vêtement.
 
C'est ainsi qu'on avait trouvé en 1767, après dix-huit ans decaptivité, le malheureux enfermé pour ses chansons « sans un lambeaupour se couvrir. » Et le maire expliquait paisiblement sa nudité endisant que c'était la faute de ses parents qui s'obstinaient à ne paslui fournir de vêtements. Lorsqu’en 1785 la Tour livre ses mystères,quand on ouvre les loges en bois, « on en voit sortir tout d'abord unefemme toute nue qui tombe du haut de la Tour, ne pouvant se tenirdebout. Dans la même salle, dans l'épaisseur des angles de la Tour, ontrouve dans le même état deux femmes, et un homme qui est là murédepuis vingt ans. » Plus loin on en rencontre un autre sur la paille, «vêtu d'une chemise gâtée, lequel a une partie de la cuisse corrodée ;un autre enfin qui avait été attaché avec des fers aux pieds à unechaîne dans le mur, mais qui n'avait plus que les accolle-jambes, leschaînons ayant été rompus par le temps. Il ne pouvait supporter lalumière et ses jambes refusaient de le soutenir. »
 
Il n'est pas besoin d’ajouter un commentaire à ces détails.
 
Tous ces malheureux n'ont pas d'histoire ; la seule dont on retrouvequelque trace est vraiment attendrissante. Un certain des V., natif deMarseille, ancien chirurgien aux colonies, interdit par une sentence dela sénéchaussée de St-Domingue, avait été envoyé par ordre du roi etentretenu à ses frais à la Tour-Châtimoine. « L'état malheureux de cedernier « des renfermés en ce lieu affreux, dit l'officier demaréchaussée qui visite la Tour en 1785, renchérit encore sur lesprécédents. Il était renfermé dans un des piliers servant de fondementà la Tour, du côté de l'abbaye de St-Étienne. L'intérieur du cachotétait très-humide par la filtration des eaux. Il n'en était pas sortiun instant depuis dix ans. » La femme du concierge, de son côté,déclare : « Qu'il était vêtu à ses dépens avec de  vieilles hardesà elle ; que, du reste, il n'avait pas besoin d'être mieux habillé, vuqu'il restait presque toujours couché. C'était un être doux, honnête,continue le rapport, sans aucune malice, à ce qu'il paraît, et ildemandait à rester dans sa prison, pourvu qu'on voulût seulementempêcher les enfants de lui jeter des pierres, plaisanterie dont il estsujet à éprouver le désagrément, le seul jour qu'il ait étant du côtédu chemin de l'abbaye. »
 
N'y a-t-il pas quelque chose de singulièrement touchant dans cette simple requête, si naïvement reproduite par ce rapport ?
 
L'histoire de ce malheureux devait être mélancolique jusqu'au bout. Le7 novembre 1789, le ministre de La Luzerne écrit aux administrateurs dela maison de Beaulieu et leur rappelle l'ordre envoyé en 1785 derecevoir des V. « Comme depuis cette époque, ajoute-t-il, il ne m'estrien parvenu qui serve à constater l'existence de ce particulier ou sasortie de votre maison, je vous prie de m'écrire en détail sur ce quile concerne, afin que, s'il existe, on puisse juger, sur votre rapport,s'il convient de faire cesser sa détention ou de la prolonger encore.Il est intéressant que votre réponse me parvienne sans retard. » Lamême demande est renouvelée le 5 janvier 1790 ; elle reste sans réponse.
 
On voit ce qu'un pareil traitement pouvait faire pour eux ; comment, aulieu de les guérir, on ne faisait que hâter la ruine de leurintelligence. Ainsi, un pauvre être, dont le seul tort était undérangement passager d'esprit, était condamné par la société au plusépouvantable des supplices, à celui que les plus effroyables tyranniesn'ont jamais osé rêver, condamné à la folie furieuse. Dans cettehorrible solitude et cette nudité, sur une paille infecte, dans cesténèbres, cette humidité et cette inondation périodique, le troubled'esprit devenait vite égarement, l'égarement folie, la folie démencefurieuse. C'était à une marche inévitable et dont nous voyons, dans lesdossiers que nous feuilletons, de trop nombreux exemples.

Aussi, les intendants ne signaient qu'à regret ces aggravations depeine pour un malheureux frappé déjà par la nature. Ils sentaient bienà quel châtiment ils envoyaient celui qu'on aurait dû essayer deguérir. Je trouve, entre autres, un exemple intéressant de ces inutilesscrupules du magistrat et d'une touchante infortune. C'est un certainDaniel, dont le sort émeut le lieutenant-général de police deCherbourg. « C'est vraiment, écrit-il, pour des gens de cette espècequ'une maison de force générale paraîtrait devoir être destinée, n'yaïant pas dans les lieux particuliers d'endroits propres à placer lesfous, dont la folie, comme celle de Daniel, est douce et tranquille. »Daniel, en effet, est un jeune homme de vingt-six ans, pauvre et sansparents qui puissent le contenir dans ses accès de démence ; il n'ajamais fait de mal à personne, il a seulement cherché parfois à senoyer. Faute d'une maison convenable, le pauvre Daniel sera condamné àla Tour-Châtimoine.

Combien de malheureux ne devait-il pas y avoir, semblables à celui-là,et dont la folie eût peut-être cédé à des soins assidus, à untraitement intelligent et attentif !
 
Nous en avons la preuve dans ces dossiers mêmes, dans la requête d'unepauvre femme qui réclame la liberté de son mari. Pendant neuf mois,elle n'a cessé de l'aller voir et de lui procurer tous les secourspossibles ; il a recouvré la raison. Comment cela n'avertissait-il pasde ce qu'on aurait pu faire pour d'autres ?
 
Il faut rendre à l'administration de la Normandie cette justice, queses représentants, à tous les degrés, intendants et subdélégués, sepréoccupèrent de ce triste état de choses et cherchèrent, à plusieursreprises, les moyens d'y remédier. La voix éloquente des philosophesdemandant la réforme des abus, le respect de l'humanité, le soulagementdes souffrances, retentissait de toutes parts ; on ne pouvait plusl'étouffer, et les intendants de Caen n'avaient pas été des derniers àl'entendre. Dès 1765, M. de Fontette déclarait que l'Hôtel-Dieu étaitriche, que le logement des insensés était une de ses chargesnaturelles. Il proposait de détruire la Tour-Châtimoine et detransporter à l'Hôtel-Dieu une vingtaine de loges, ce qui ne coûteraitqu'une dépense médiocre.
 
L'intendant, M. Feydeau de Brou, qui paraît avoir été un espritdistingué et plein de bonnes intentions, écrivait la même année : « Ilserait désirable de voir se former dans la province un établissement engrand où les personnes dont l'esprit est aliéné pussent être soumises àun traitement. » En mars 1785, il demandait les fonds nécessaires pourfaire disposer, à Beaulieu, un logement spécial. « On pourrait, dit-il,ce me semble, établir des loges en bois dans les nouveaux bâtiments, ausecond étage, où les fous seraient très-sainement. Mais l'argent manque: les dépenses d'aménagement sont trop considérables, et ce n'est passans peine qu'il pourra se trouver, à Beaulieu, des loges de fous ennombre suffisant pour ceux qu'il sera indispensable d'y admettre. »

Un instant, on avait espéré que le roi prendrait ces améliorations à sacharge. « Il est question, écrivait-on en 1765, de former dans toutesles provinces des établissements pour recevoir les insensés, lesfurieux, les épileptiques et les gens mal figurés, qui forment lapartie la plus onéreuse de la mendicité. Le roi est décidé à lesprendre à sa charge. » Mais l'ancienne société devait en demeurer à cesintentions, et laisser à une société nouvelle le soin et le mérite deles réaliser.
  
A défaut des secours de la royauté, les intendants ne sachant oùtrouver les fonds nécessaires, auraient voulu mettre les insensés à lacharge des paroisses, comme les enfants-trouvés ; mais ils étaientobligés de s'arrêter devant l'impossibilité de trouver un texte qui lesautorisât. L'arbitraire que rien ne trouble pour faire le mal, ne sesent pas le courage de faire arbitrairement le bien.
 
L'essai tenté tardivement à Beaulieu après la démolition de laTour-Châtimoine (1785), ne devait pas, du reste, donner d'heureuxrésultats. Les pauvres insensés n'avaient guère gagné au changement. ABeaulieu ils étaient aux prises avec d'autres misères et d'autresdangers. Les femmes supposées folles y avaient été jetées pêle-mêleavec des voleuses, des mendiantes et des prostituées, livrées à leurmépris et à leur dérision, et leur servant de jouet.
 
On voit dans tout cela les meilleures intentions demeurer impuissantes.Il y fallait un renouvellement de la société tout entière, etl'infusion d'un principe nouveau, le respect de la liberté individuelle.


NOTES :
(1) Ce travail est le complément naturel de celui que nous avons publié naguères sur les Lettres de cachet dans la généralité de Caen. (Paris, Imprimerie impériale, 1864.)
(2) Elle était sans pitié pour ces infortunés. On se faisait du fou undivertissement. Un exemple entre mille : la grande Mademoiselle, envisite à Fontevrault, où elle a une tante abbesse, commence à s'yennuyer dès le premier instant. On ne trouve d'autre moyen, pour ladivertir, que de lui montrer une folle enfermée dans un cachot. « Jepris ma course vers ce cachot, dit-elle (V. ses Mémoires),et je n'en sortis que pour souper. » Le lendemain, on la régale d'uneseconde folle ; comme il n'y en avait plus pour un autre jour, l'ennuila prend, et elle s'en va malgré les instances de sa tante.
(3) Dans les soixante-six demandes que j'ai rencontrées, une seule est accompagnée d'un certificat de chirurgien à l'appui.
(4)Il peut être intéressant de voir quels sont les divers cas de foliementionnés par ces requêtes. Nous avons signalé le vague de la plupartdes allégations ; il en est quelques-unes pourtant dans lesquelles onest entré en plus de détails. Chez plusieurs, la folie se témoigne parune irrésistible tendance à mettre le feu. Ici, c'est un fou méchant,dont la paroisse de Vauxelles réclame la réclusion, qui garde dans safolie une certaine lucidité ; il a fait scandale dans l'église, brisantdes chaises, un crucifix ; il a tiré son couteau contre le bedeau , iljette des pierres aux portes, il menace et maltraite tout le monde ;mais il se vante que s'il tue quelqu'un, il n'a rien à craindre, parcequ'on le traite de fou. Un autre est possédé de la manie du suicide :il a voulu se tuer d'un coup de couteau, se pendre. Les sœurs déclarent que la Tour doit être naturellement son partage.Il en est d'autres dont la folie est innocente et semble être de cellesdont un traitement intelligent et attentif eût pu triompher. Tel est cepauvre diable de menuisier qui, ayant emprunté pour payer sa maîtrise,a fait de mauvaises affaires ; sa raison s'est perdue, il s'imaginequ'il est riche, qu'il possède de gros biens ; il ne veut plustravailler et reste enfermé dans sa chambre, vêtu de son habit le pluspropre. Un autre, ô profanation des plus poétiques images, ô souvenird'Ophélia ! court la campagne ayant toutes sortes de fleurs autour dela tête.
(5) Il faut cependant signaler deux exceptions heureuses : deuxcouvents, l'un d'hommes et l'autre de femmes, où les insensés sontmieux traités ; mais ce ne sont pas là des établissements ouverts àtous, on n'y est reçu qu'en payant, et les pensionnaires y sonttrès-peu nombreux. C'est d'abord la maison du Bon-Sauveur de St-Lo,couvent de femmes où, dit le subdélégué, les folles sont bien traitées.Aussi demande-t-il que l'administration vienne en aide aux religieuses,ajoutant : « Des maisons de cette espèce sont d'une grande ressourcepour la province. » Pour les hommes, il y avait un couvent duMesnil-Garnier dans l'élection d'Avranches, où la détention était assezdouce ; mais les soins y étaient bien insuffisants. C'est le subdéléguéde Grandville qui nous l'apprend ; il écrit en 1785 que, dans sesdifférentes visites, il a remarqué que les religieux Dominicains decette communauté sont, en général, des sujets très-faibles d'esprit quiont besoin d'être conduits et qui sont peu propres au gouvernement desautres, excepté le prieur, homme très-capable, mais qui s'absente pouraller prêcher les stations du Carême et de l'Avent.
(6) MM. les échevins ne paraissent pas ici très au courant de ce qui sepasse dans leur Tour-Châtimoine. Non-seulement, bien des ordres du roiavaient déjà pris ce chemin, mais la police elle-même sait l'utiliserau besoin. Une ordonnance de police, avec ce mépris de toute proportionentre le délit et la peine qui est le caractère de l'ancienne pénalité,« fait défense à tous décrotteurs ou autres de pareille espèce demarcher sur les gazons de la place Royale    … peined'être enfermés, pendant l'espace de six mois, dans les cachotssouterrains de la Tour Châtimoine. »
(7) En présence de cette situation, on comprend la sollicitude de cemari qui demande l'autorisation de transporter sa femme à Paris, où «il lui a trouvé une place moins désagréable.» Si l'on eût connu cet horrible état de choses, combien n'eût-on pashésité à demander pour des infortunés un semblable asile ! Je vois, parexemple, une pauvre femme réclamer une place pour sa fille, qu'ellereprésente « enfermée dans une misérable chambre où elle vit plutôt enanimal qu'en humaine » ; et le curé de St-Nicolas appuyer sa demande,touché qu'il a été du spectacle qu'il a eu « dans ce petit appartementqu'elles occupent et qu'il a trouvé rempli de toutes sortes demalpropretés, de vermines et ordures qui exhalaient les plus mauvaisesodeurs et causaient une infection des plus grandes. » La malheureuseallait-elle gagner au change ?
(8) V. Sainte-Beuve. Causeries du lundi. Article sur Horace Vernet.
(9) Le concierge traitait pour son compte avec les familles. Nous levoyons, d'accord avec des parents, prendre un détenu en pension et «lui accorder une honnête liberté. »
(10) V. Arch. de la ville de Caen. Reg. 95. —A. f° 28.— 17 janv, 1750.—Visite de M. Hue de Prébois à la Tour-Châtimoine.


APPENDICE
 
Nous avons pensé qu'on nelirait pas sans intérêt les détails suivants que nous empruntons à despièces également inédites, et qui achèveront de montrer ce qu'était, auXVIIIe siècle, le régime des prisons dans la généralité de Caen.

Note A.
 
Voici, par exemple, ce qu'on peut lire sur le traitement auquel sontsoumis les prisonniers et sur les évasions, dans un rapport de M.Couraye du Parc, écuyer, conseiller du Roi, vicomte et délégué deGranville, commissaire nommé, en 1786, par le roi pour faire dansl'abbaye et maison du Mont-St-Michel une visite exacte de tout ce quiconcerne les personnes qui y sont détenues :
 
« Prié de nous dire quelles sont les corrections que les exiléssubissent lorsqu'ils ont commis quelque désordre : le prieur nous arépondu que, lorsqu'ils se portent à certains excès, comme de casserleurs vitres ou quelques meubles, on les prive de vin, pour, avec lavaleur de ce qu'ils en auraient bu, réparer le dommage ; que lorsqu'ilssont intraitables, on les met aux fers pour deux fois vingt-quatreheures ; que ces occasions sont très-rares ; que pour ceux qui ont laliberté du château, on les en prive, lorsqu'ils en ont abusé ; que ceuxdes détenus qui descendent à la ville, sont obligés d'en obtenir tousles jours la permission, qui leur est expédiée sur une carte, sanslaquelle le portier ne leur ouvrirait pas. »

« Prié de nous dire si la pension est la même pour tous les détenus ?Nous a répondu qu'originairement il y avait deux pensions ; l'une à sixcent cinquante livres sans vin et au cidre, l'autre à huit centslivres, à cinq septiers de vin par jour , que la portion était la même,que tous les détenus qui se trouvent actuellement sont à la mêmepension de huit cents livres. » — « Prié de nous dire en quoi consisteordinairement le repas des détenus ? A répondu qu'au déjeuner on leurdonne du pain et du beurre et un septier de vin de Bordeaux ; à dinerun potage, une entrée , un bouilli et du dessert suivant la saison, etune demi-bouteille du même vin ; à souper un rôti, une salade, ou, àdéfaut de salade, un plat de légumes cuits, du dessert et unedemi-bouteille de vin ; que c'est ainsi que vivent les religieux de lamaison ; qu'on donne de la volaille au moins une fois la semaine , etque l'on varie les mets suivant la saison. — Prié de nous dire qu'elleest la règle pour le chauffage ? Nous a répondu que, lorsque plusieursexilés se chauffent à la même cheminée, la maison leur fournit le bois; que lorsqu'ils veulent leur cheminée à eux seuls, qu'ils paient lebois. — Prié de nous dire en quoi consiste le couchage des détenus ?Nous a répondu qu'il consiste en une couchette, deux matelas, unepaillasse, un traversin, deux couvertures l'hiver et une en été, letout dans une couchette sans rideaux ni housses, dans la crainte qu'onn'en abuse pour faire des cordes pour s'évader, ce qui est arrivéplusieurs fois. Le soir, pour plus de sûreté, on leur enlève leursvêtements, afin de les empêcher de s'évader pendant la nuit. »

 « Prié de nous dire comment on fournit à l'entretien des détenus? Nous a répondu que les parents fournissent ce qu'ils veulentsacrifier pour cet objet, qu'il en a la manutention, qu'il tient unétat exact de ce qu'il dépense et qu'il en justifie aux parents, etqu'il est presque toujours en avance du prix des objets fournis auxdétenus. »
………

 « Prié de nous dire comment les détenus sont servis en santé ?Nous a répondu qu'ils sont servis par des domestiques que l'onmultiplie en raison de leur nombre et de leurs besoins ;qu'actuellement il n'y a que trois détenus d'enfermés et qu'un seuldomestique les sert le jour, que la nuit deux ou trois viennent visiterleur grille et fermer leur porte lorsqu'on les sépare. »

COMPLOTS ET EVASIONS. — DECLARATION DU PRIEUR.

« Sur la fin de février 1784, les sieurs d'E., d'EL, R., de L. et deG., demeurant dans le même quartier, il fut formé un complotd'assassiner le domestique M. Ch., préposé à leur garde, de s'emparerdes clefs, d'aller ouvrir aux autres détenus, de se porter ensuite chezle prieur, de lui voler ce qu'ils auraient pu trouver d'argent, d'allerde là dans l'église enfoncer la grille du trésor, prendre une crosseque le sieur d'E. leur avait dit être d'or, et ils devaient massacrertous ceux qui s'opposeraient à leur évasion. « M. de G., témoin decette conspiration, en eut horreur et menaça les conjurés de tournerses forces contre ceux qui voudraient faire mal à quelqu'un, leurdisant : pour l'évasion j'en suis, mais pour les assassinats, je m'yoppose. Les sieurs R. et d'El., encore détenus dans cette maison,voyant que le projet était manqué par la résistance du sieur de G.,prirent le domestique en particulier, et pour écarter le soupçon quiaurait pu naître contre eux, ils accusèrent le sieur d'E. d'avoir forméle projet et dirent qu'ils étaient trop honnêtes gens pour donner lamain à un pareil complot. Ils engagèrent ce domestique à conterl'affaire au prieur, et pour qu'il ne restât aucun doute sur leurfranchise, ils demandèrent à être séparés des autres. Le sieur prieurvoulant découvrir quel était l'auteur du complot, les fit appelerséparément ; il reçut leurs dépositions par lesquelles il demeuraitconstant que ni M. de L., ni M. de G. n'étaient coupables ; les sieursd'E., d'El. et R. s'accusèrent mutuellement.

 « Le sieur prieur ne pouvant reconnaître la vérité, les engageade faire chacun leur mémoire sur cette affaire. Les mémoires neprésentaient que des doutes sur l'auteur du complot, mais ils enconstataient la réalité ; les choses restèrent en cet état, le sieurprieur ayant pris les précautions de prudence nécessaires dans lacirconstance, faisant distribuer les logements différents et sanscommunication aux trois conjurés présumés, et le sieur prieur restasaisi des mémoires respectivement faits. Après quoi le sieur prieurnous a fait le récit suivant :

« Le 8 septembre 1784, les pensionnaires étant dans la cour de l'exil,le sieur d'El. s'avisa de tenter une évasion ; il y avait pour lors deséchafauds suspendus à la hauteur de 20 pieds : y étant parvenu, iltrouva des échelles au moyen desquelles il s'introduisit dans lamaison. Les religieux chantaient les vespres. Le sieur d'El. parvenu àla porte du monastère, engagea le portier de lui ouvrir en luipromettant 25 louis de rente. Le portier, fidèle à son devoir, refusaet vint promptement en donner avis. Le nommé F., commis engagé à vie àla congrégation de St-Maur, se porta promptement du côté de la porte,il engagea le sieur d'El. à rentrer dans le devoir. Celui-ci, armé d'uncompas ouvert, s'élança contre F. avec rage, lui en porta un coup dansle ventre, lequel fit peu d'effet ; il lui en porta un second dans lalèvre supérieure, et sans le secours qui arriva fort à-propos, c'enétait fait de la vie dudit F. — Le sieur prieur s'étant transportéaussi vers la porte de la maison, y vit le sieur d'El. se débattant enfurieux contre les personnes qui approchaient de lui ; on fut obligé dele tirer pour le reporter à l'exil, où il fut mis dans une chambre dontla fenêtre était défendue par une barricade et on lui mit les fers.Cependant ayant entendu qu'on reportait leur camarade à l'exil, etl'ayant entendu vomir des imprécations contre le prieur, les exilésfirent révolte de leur côté. L'un d'eux, qui n'est plus dans cettemaison, menaça même le prieur d'attenter à sa vie. Ils quittèrent leursbas, mirent des pierres dedans et menacèrent de tuer le premierdomestique qui entrerait dans la cour. Le sieur prieur crut qu'il étaitprudent de faire monter la garde bourgeoise de la ville, qui, ayant étéintroduite dans la cour de l'exil, parvint à arrêter les uns après lesautres. On mit aux fers celui qui avait témoigné le plus d'emportementet qui avait menacé le sieur prieur... Le sieur d'El. eut les ferspendant huit jours, et le sieur F. pendant deux fois vingt-quatreheures. »

 Les détails suivants ont trait à la tentative de résistance quej'ai rapidement indiquée plus haut et qui fut si brutalement réprimée.Ils sont tirés des dépositions du chevalier d'El... lui-même.

« ... Étant logé le 15 décembre (1794) avec le chevalier R. à l'exil,il descendit seul à la cour pour prendre de l'exercice. Étant danscette cour, il entendit marcher plusieurs fois sur le pont qui estplacé sur cette cour, et ayant entendu tousser, il regarda et vittomber un morceau de papier : ayant été le ramasser, il entendit denouveau tousser à une fenêtre grillée du corridor du prieur et crut yvoir quelqu'un vêtu de noir. Ayant ouvert le billet, il y lut ces mots: « M. d'El. et M. R. défiez-vous du père prieur, car il vous en veut àla mort. Je vous préviens que si vous faites quelques tentatives pourdemander votre changement ou pour vous évader, vous serez poignardés ouempoisonnés, dans la crainte qu'il a que vous ne portiez des plaintescontre lui. » Et au bas était écrit : « Je vous plains de tout moncœur. » Ledit billet sans signature, paraphé et marqué de quatrepoints. Le répondant, aussitôt après cette lecture, alla vers soncamarade lui montrer le billet ; il en ressentit une vive impression.Dès lors ils firent ensemble le projet de se barricader et de sedéfendre si on venait les attaquer ; ils attendirent avec impatience lejour de l'an pour recevoir la visite du prieur, afin de démêler dansses regards quels étaient ses projets. Le prieur étant venu les visiterle 5 janvier, ils lui firent plusieurs demandes : celle de n'être plusdépouillés, celle d'être mieux nourris, celle d'en imposer à sesdomestiques. Voyant que le prieur ne voulait point accorder lesdemandes, ils lui déclarèrent que leur intention était d'en écrire auministre et de lui faire des représentations sur la manière dure dontils étaient traités. Le prieur répondit qu'il ouvrirait les lettres,qu'il ferait ses réponses à côté des demandes et qu'il serait plutôtcru qu'eux; que d'ailleurs le ministre n'avait aucun droit sur lui ;qu'il ne pouvait pas lui ôter son capuchon. Il sortit en disant qu'ilsaurait mettre le répondant et son camarade à la raison et qu'il lesséparerait    Le sieur prieur étant sorti, le répondantet le sieur R. prirent la résolution de se barricader, et travaillèrenttoute la nuit à faire des mémoires pour le ministre et pour leursfamilles respectives, auxquels ils joignirent une copie du billetanonyme par lequel ils demandaient leur changement. Le lendemain, àmidi, ils envoyèrent leurs paquets au prieur avec un billet pour lui,par lequel ils lui demandaient de mettre ses réponses à côté de leursplaintes, mais de les envoyer, lui déclarant, qu'ils étaient résolus dene point ouvrir leurs portes sans un ordre du ministre, ou sans qu'uncommissaire vint recevoir leurs plaintes ; que cependant ils luidonnaient leur parole d'honneur d'être tranquilles et de ne faireaucune tentative pour s'évader….. »

Le surlendemain on les sépare et on enferme le chevalier avec unreligieux détenu. Le soir, on enlève leurs habits. « Le religieuxrefuse de se laisser dépouiller sans que le prieur lui en donnâtl'ordre lui-même. Au bruit, le répondant vint frapper à sa porte etdire aux geôliers que, s'ils n'abandonnaient pas son camarade, ilallait crier par la fenêtre. Les geôliers lui ayant répondu qu'ilssauraient bien le mettre à la raison, il cassa son volet et cria àl'assassin, auquel bruit le chevalier R., ne pouvant ouvrir son volet,cassa un carreau de vitre et cria aussi à l'assassin. Les moines semirent aux fenêtres, menacèrent des fers ; le répondant voyant tout lemonde assemblé, dit tout ce qu'il savait des moines et rapporta lateneur du billet anonyme qu'il avait reçu, déclarant hautement qu'ilconsentait à se rendre et ouvrir sa porte si on voulait faire passerles lettres au ministre, ou faire venir le subdélégué d'Avranches.Qu'après cette scène, il mit son lit contre la porte, cassa ses chaisesafin d'avoir des bâtons, attacha avec le cordon de ses cheveux « lebouton de fer avec lequel le cadenas se fermait et qu'il avait arraché,brûla le volet pour avoir la lame de fer qui servait de penture et sefit ainsi des armes. Au matin du 9 janvier, le répondant s'étant mis àla fenêtre, appela le sieur Le R. et lui dit qu'il était résolu à tenirferme, jusqu'à ce qu'il fût venu un commissaire ou jusqu'à ce qu'il yeût des ordres du ministre ; qu'il pouvait être tranquille sur le sortdu billet, qu'il était en sûreté. A l'heure de la grand'messe, leprieur vint au guichet du répondant et lui dit, que, s'il ne voulaitpas se rendre, il allait faire tirer sur lui. A quoi le répondant ditqu'il consentait de se rendre, aux conditions qu'on ferait passer seslettres sans les ouvrir, qu'on le remettrait avec son camarade et qu'onoublierait le passé. — Le prieur répondit qu'il n'était pas fait pourtraiter avec le répondant, qu'il eût à obéir, sinon qu'il allait fairedéfoncer la porte. »

On sait ce qui arriva ensuite et comment le chevalier fut renversé d'un coup de fusil.

Le prieur déclare qu'après sa guérison il fut remis comme les autresprisonniers dans une chambre où s'étant sagement conduit jusqu'au moisde septembre, le sieur prieur lui accorda la liberté de la maison, mêmecontre le vœu de ses parents.

« Le sieur d'El., dans cette nouvelle position, ne laissa pas longtempsle sieur prieur sans inquiétude, celui-ci ayant été plusieurs foisaverti qu'il méditait d'assassiner G. et de décamper ; il n'exécutacependant pas ce noir projet ; mais, le 16 octobre, sur les six heuresdu soir, ayant simulé un grand mal de dents, il quitta ses confrères,disant qu'il allait se coucher. Au lieu d'entrer dans sa chambre, ilalla dans l'endroit appelé le plan du four,où il trouva des échelles dressées pour l'usage des ouvriers quitravaillent aux réparations ; il s'en servit pour s'évader. Le journ'étant pas tout-à-fait clos, il fut aperçu par les habitants duMont-St-Michel qui le joignirent et le ramenèrent au sieur prieur, quilui fit une réprimande et le fit conduire à l'exil………….. »


Note B.

Nous croyons devoir donner ici le modèle des ordres en vertu desquels les malheureux étaient enlevés.

Ordre du Roi. — A MM. les Administrateurs de la maison de Beaulieu. —Chers et bien amés, nous vous mandons et ordonnons de recevoir dans lamaison de Beaulieu, près Caen, le nommé     …… etde le garder et détenir jusqu'à nouvel ordre de notre part, moyennantpension qui vous sera payée par la famille. Si n'y faites faute, cartel est notre bon plaisir.
      
Signé : Louis.
Et plus bas :
BERTIN.

A Monsieur le marquis de C, maréchal des camps et armées du Roy. —Monsieur le marquis de C., je vous fais cette lettre pour vous dire quemon intention est que vous demeuriez dans votre terre de C. et que vousne vous en éloigniez pas plus que de deux lieues jusqu'à nouvel ordrede ma part. La présente n'étant à autre fin, je prie Dieu qu'il vousait, Monsieur le marquis de C. , en sa sainte garde.
Versailles, le 9 juin 1763.
    
Signé : Louis.
Et plus bas :
PHELYPEAUX.

Lettre de M. Bertin. — Versailles, 31 décembre 1773. — La famille de N.demande, Monsieur, par le mémoire ci-joint, des ordres pour le faireenfermer dans une maison de force. Je vous prie d'examiner avecattention si la conduite de ce jeune homme mérite une punition aussisévère et si le mémoire est signé des parents paternels et maternelsdes plus proches. Dans le cas où il mériterait cette punition, ilserait à propos que la famille indiquât dans quelle maison ellevoudrait qu'il fût enfermé, et lorsque vous aurez pris à ce sujet leséclaircissements nécessaires vous m'enverrez, s'il vous plaît, votreavis.


Note C.

Nous avons vu quelle part les passions les plus basses ; l'intérêt et la cupidité, avaient dans ces arrestations arbitraires.
 
C'est encore l'avidité d'une famille qui a fait enlever, en 1773, Mmede B. et qui l'a conduite dans ce cachot de 5 pieds de large où elle seplaint d'être enfermée depuis six mois, couchée sur la paille.L'humidité, le mauvais air, la mauvaise nourriture, les mauvaistraitements ont dérangé sa santé. En effet, lorsqu'elle est sortie decette horrible geôle, on trouve, jointe au dossier, une interminableliste de médicaments fournis journellement.

L'intendant avoue que le traitement est excessif, que le régime de laCharité, fait pour des filles de mauvaise vie, est très-sévère, que Mmede B. doit avec peine se voir assimilée à elles. Malheureusement M. deVergennes découvre qu'il est incompétent, vu que l'ordre a dû passerpar les mains de l'intendant de Bretagne et être expédié dans ledépartement de M. Amelot. Enfin, le 10 août 1780, Mme de B. obtientd'être envoyée à l'Hôtel-Dieu de Caen.

De là elle écrit au ministre pour lui dénoncer les manœuvres desparents qui veulent la dépouiller, qui depuis huit ans n'ont pas laisséune lettre d'elle parvenir à son mari, détenu à Pontorson. Mais lalettre reste sans réponse jusqu'à ce que le comte de Faudoass'intéresse à elle. C'est ainsi que se passent généralement les choses.Les gens languissent jusqu'à ce que quelque personnage puissant veuillebien s'occuper d'eux. Le comte écrit au ministre : « Les injustices etles mauvais traitements qu'elle a essuyés pendant sa captivité ont étéreconnus. » Il ajoute : « Elle désirerait pouvoir jouir de son bien.Son mari, décédé en 1781, lui a laissé de mauvaises affaires. Lesparents qui ont été la cause de sa détention ne sont pas pressés de luirendre des comptes. Ils paient pour elle une modique pension qui nepeut suffire que pour son logement et sa nourriture, et elle estactuellement dans le plus grand besoin. M. Amelot a bien voulu avoirégard aux représentations qui lui ont été faites et a promis de luirendre justice ; mais elle a des parents à Paris qui sollicitentvivement contre elle, dans la crainte d'être forcés de rendre compte etd'être obligés de restituer. »

Grâce à cette puissante intervention, les choses changent de face, etl'intendant s'aperçoit qu'il pourrait bien être temps de mettre unterme à sa captivité. « Ses infirmités, la régularité de ses mœurs etla douceur de son caractère me font désirer, dit-il, qu'elle puisserentrer dans la société, ou au moins que l'on la mette à portée de seprésenter devant les tribunaux. » Enfin, le 20 mai 1782, la pauvrefemme est mise en liberté. Mais ses épreuves n'étaient pas finies.Arrivée à Rennes pour régler ses affaires, elle trouve milledifficultés : « On ne m'attendait  pas, dit-elle, mes parentsattestaient que je mourrais dans leurs fers. » Elle s'est réfugiée,pour suivre un procès, dans un couvent d'Avranches. On essaie de l'enchasser. Son beau-frère fait dire qu'elle va produire des désordresaffreux, qu'on va venir l'arrêter. Le secours lui vient de l'endroitd'où on l'attendait le moins, de l'administration repentante.

En effet, et ceci est un trait caractéristique, l'arbitraire ne gardepas rancune à ceux qu'il a persécutés. Dès qu'ils ont su se fairerendre justice contre lui, il se montre plein d'affabilité. Rs'intéresse à eux de tout le mal qu'il leur a fait, et ses anciennesvictimes deviennent ipso factoses protégés. En l'absence de l'intendant, son secrétaire écrit àl'abbesse du couvent où Mme de B. a trouvé asile : « Depuis longtempscette dame m'est connue par ses malheurs, sa patience dans les mauxqu'on lui a fait éprouver, sa douceur et sa bonne conduite. Il paraîtqu'il n'y a jamais eu que des motifs d'intérêt pour l'en priver... J'aiactuellement sous les yeux des témoignages non suspects de la manièredont elle a vécu dans la dernière communauté où elle a été reçue et oùelle s'est fait respecter par la régularité de ses mœurs et l'honnêtetéde ses sentiments. »

On doit remarquer ici l'impression singulière que produit la lecture deces dossiers en prenant les pièces par ordre de date. On croit d'abordavoir sous les yeux un misérable rebut de la société, une pestepublique, à la suppression de laquelle on ne saurait qu'applaudir. Puisvient l'intérêt pour des souffrances excessives, démesurées, l'objet decet intérêt fût-il coupable. Puis quand enfin, après de longuestortures, le malheureux a pu faire entendre sa plainte, on s'indigne devoir des innocents livrés à de semblables persécutions.

Ici, du reste, pour la consolation des âmes sensibles et amies desdénouements heureux, cette histoire commencée comme un drame finitcomme une comédie. La main de l'administration s'est fait sentir. Lesdernières pièces qui figurent au dossier sont deux lettres presqueidentiques avec les seules différences commandées par la position desdeux destinataires où Mme de B. reconnaissante fait part, à M.l'intendant et à son secrétaire de son mariage avec un gentilhomme dudiocèse de Lisieux, M. A. de M., ancien chevau-léger et chevalier deSt-Louis.


Note D.

Voici les prix de quelques-unes de ces maisons :

Mont-St-Michel, 800 livres avec le vin ; 600 livres sans le vin. On paie le premier quartier au moment de l'entrée.
Mesnil-Garnier, en 1775, 450 livres.
Au Bon-Sauveur de Caen, 950 livres pour une dame noble accusée d'adultère.
Au Bon-Sauveur de St-Lo, 400 livres.
A Beaulieu, 1,200 livres.
 
Le roi n'accorde de place gratis au dépôt qu'en faveur des mendiants,des vagabonds, et de ceux qui y sont renfermés par ordre du ministèrepublic, dans le cas toutefois qu'ils seraient sans ressources. Dansquelques maisons, certains sujets sont reçus gratuitement lorsqu'ilspeuvent rendre des services et payer par leur travail.

Voici la note d'une femme détenue en 1779 dans un couvent de St-Lo, surla demande de son mari : « Pension de 200 livres payables par quart. Unpetit cabinet avec une couche, des rideaux, une paillasse, deuxchaises. Pas de draps, serviettes, ni linges. Blanchie à ses frais,éclairée, chauffée de même. »


Note E.

SUR LA TOUR CHATIMOINE.

La Tour Châtimoine, autrement appelée Grosse Tour ou Tour aux Fols,était une tour ronde, lourde, massive. « Elle est fort spacieuse etd'une solidité qui ne permet pas de craindre les évasions, » disaientdans un rapport les magistrats municipaux. Un détail que je trouve dansun procès-verbal de visite de l'an 1600 peut donner, en effet, une idéede sa grandeur. Au deuxième étage ou Salle de la Tour,on constate la présence de « seize pièces de canon de fonte, plus unepetite pièce, cent boulets, trente-et-un barils de poudre à canon encontenant 3164 livres, quatre cent trente-cinq barils de poudre grenuepour l'arquebuse, de grandes pièces de bois, des affûts, etc. »

Elle se divisait en trois étages : la salle haute, la salle du concierge, les prisons souterraines ou basse-fosse.
 
Elle avait été construite sous Charles VII, à l'endroit autrefois leplus mal défendu de la ville, à celui par où les Anglais l'avaientattaquée en 1417, et par où les Français, à leur tour, l'avaientabordée et prise en 1450, les Anglais s'étant contenté de réparer à lahâte les brèches qu'ils avaient faites eux-mêmes et n'ayant pu donnersuite à leur projet d'établir là une solide fortification, et leconnétable de Richemond ayant fait sauter, au moyen d'une mine, unevieille tour qui faisait toute la force de la ville de ce côté. C'estce que constatent les « lettres royaux », qui permettent aux habitantsde s'imposer pour relever les murailles détruites. « Nos bien amés lesbourgeois, manants et habitants de notre ville de Caen nous ont faitremontrer que la muraille de la ville du côté de l'abbaye de St-Étienneavait été fort rompue et estonnée par bombardes et canons du temps quedernièrement y fîmes tenir le siège, et qu'elle fut par nous prise surnos anciens ennemis et adversaires les Anglais. » En conséquence, en1453 (1) le roi avait permis de « mettre sus et imposer par septannées, sur les habitants de Caen, la somme de 500 livres par quartierou 2,000 livres par an, pour employer et convertir à faire un pan de ladite muraille et une grosse tour pour la sûreté et défense d'icelle ducôté de St-Étienne. »
 
L'imposition avait été levée, en effet, pendant sept ans, et la ville yavait encore joint plusieurs autres sommes de ses deniers sans quel'œuvre fût achevée. Aussi de nouvelles lettres de 1460 « octroyaientauxdits bourgeois et habitants de Caen que ladite somme de 500 livres,soit du consentement desdits bourgeois et habitants ou de la plusgrande et saine partie d'iceux, mise et imposée sur eux par chacunquartier d'une année entière. » Grâce à ces sacrifices et malgré lemauvais vouloir de l'abbé de St-Étienne, qui défendit même à sesvassaux du Bourg-l'Abbé d'y travailler, la tour s'était enfincomplètement élevée en 1461, et au lieu du nom de tour d'Haucourt,qu'elle avait hérité de la vieille tour qu'elle remplaçait, le peuplelui avait donné le nom de Châtimoine, en souvenir du chagrin qu'elleavait causé à l'abbé (2).

La ville, qui l'avait payée, entendit bien en conserver la propriété ,et nous voyons qu'elle la revendique à plusieurs reprises, soit contrele parlement, soit contre l'autorité militaire, qu'elle repousse parexemple avec vivacité la prétention du procureur général du parlementde Rouen d'intervenir dans la nomination du concierge de la tour, de lenommer ou tout au moins de l'accepter, qu'elle nie également ce droitaux représentants du pouvoir royal. Le maire et les échevins assuraientque la tour était un hôpital pour les fous, ce qui ne regarde que lapolice, que ni le parlement ni l'autorité militaire n'ont droitd'intervenir. La ville, à plusieurs reprises, avait déjà revendiquécontre cette dernière, qui les réclamait au nom du roi, seul possesseurdes fortifications du pays, la possession de la tour et de ses fossés,remparts et contrescarpes, à l'exception de ceux du château. Dans unmémoire justificatif au sujet des tours, murailles, fossés, remparts etcontrescarpes de la ville de Caen, du 23 avril 1740, ils déclarent quela ville a payé ces fortifications de ses propres deniers ; que lesmurailles et les tours, qui dataient pour la plupart du XIVe siècle(car auparavant la ville était peu fortifiée), avaient été faites parles habitants sur des fonds qu'ils avaient acquis, ou plutôt aux dépensde ceux qui les avaient pris en constitution.

Que les rois Philippe VI, Jean-le-Bon et Charles V dit le Sage, leuravaient accordé la permission de lever un octroi sur les boissons, dontle produit était employé au paiement de ces intérêts et à l'entretiendes fortifications. Que sous les règnes suivants la ville obtint lapermission de compléter ses fortifications, qu'elle acheta les fondsqui convenaient à cet usage, et fournit à cette dépense nouvelle aumoyen d'un nouvel octroi sur le sel.

La ville, en effet, faisant de tout temps acte de propriétaire sur ses fossés, remparts et contrescarpes, « en avait fiefféla meilleure partie, à condition de les abandonner lorsque la sûretél'exigera sans aucun dédommagement. » Elle affermait le surplus aumoyen d'un certain loyer par an, et les deniers en étaient employés aupaiement des dettes de la communauté, et spécialement des rentes dues àcause de l'acquisition des fonds occupés par ces fortifications.
 
La propriété avait été parfois contestée. En 1564, le gouverneur deCaen, M. de Lago, s'en était emparé par force ; mais son successeur, M.de La Vérune, en avait fait la remise aux maire et échevins par un actedu 2 mars 1568.

En 1671, nouvelle entreprise de M. de Vieuxfumé, lieutenant du château.Il avait été débouté de ses prétentions par un arrêt du Conseil du 20novembre de la même année.

Un arrêt de décembre 1710 avait renouvelé les décisions du précédent.Il avait été reconnu que tout le pouvoir des gouverneurs, lieutenantsde roi, majors et commandants du château, se bornait à obliger leshabitants à tenir les fortifications en bon état lorsqu'elles n'y sontpas et que la sûreté exige qu'elles y soient.
 
La tour ne semble avoir servi d'abord qu'à des usages militaires, bienque la disposition de l'étage inférieur semblât la destiner à serviraussi de prison. On se demande si le nom même que lui avait donné lepeuple n'indiquait pas une semblable destination. La présence de cescanons et de toutes ces munitions que nous y avons déjà signalées en1600 indique qu'on en avait fait une sorte d'arsenal.
 
C'est en 1659 (3) que je vois la première trace de son attribution aulogement des fous. Plus tard (4), la ville accorde la jouissance de latour aux directeurs du bureau général des pauvres valides de la villepour y renfermer les pauvres, jusqu'au moment où elle leur donna enéchange « le Lieu de Santé pour faire ledit renfermement (5). »
 
En 1673, la tour se trouvant vide, Guillaume Brodin et Allain Auber,maître maçon et charpentier de la ville, représentent qu'ils ont besoind'un lieu pour rentrer et mettre à couvert leurs outils servant àtravailler pour la ville. On leur permet de se servir de la tour à ceteffet, « à charge de la tenir nette et de la quitter toutes fois etquantes qu'il sera jugé à propos. On leur donne, de plus, à ferme pourneuf ans le jardin proche la tour, le long du mur de la ville, pour leprix et somme de 30 livres par an. »
 
Ils ne devaient pas, du reste, en garder longtemps la jouissance. En1676 (6), les directeurs du bureau général des pauvres représentent quele Lieu de Santé, qui leur aété donné par la ville, n'est plus suffisant pour leurs services, etils demandent « qu'il plaise à la ville leur accorder la jouissance dela tour Chastimoigne, laquelle sera même plus commode pour enfermer lesvagabonds. » Ce qui leur est accordé.

En 1678 (7), il se fait à la tour des travaux auxquels on consacre unesomme de 800 livres, mais ce n'est pas pour l'amélioration du sort desdétenus. La ville y fait établir une glacière, « parce que c'est lelieu qu'on a trouvé le plus commode. » Et le conseil paraît avoir donnébeaucoup plus d'attention à la surveillance de sa glacière qu'à celledes divers prisonniers qu'a renfermés la tour. Nous voyons, en 1751(8), le conseil en grand émoi. Le maire a représenté que le maîtred'hôtel de « M. de Mathan, lieutenant de roi des ville et château deCaen, a envoyé chercher de la glace et a prétendu en avoir sans endemander à aucun des officiers du corps de ville, ce qui est contrel'usage, et sur le refus du concierge, il a répondu que son maîtreétait libre d'en faire prendre lorsqu'il le jugeait à propos, sans endemander à personne. » En présence d'un pareil empiétement de pouvoir,on décide en hâte qu'un échevin et le procureur du roi setransporteront au château pour représenter de la part de la compagnie àM. de Mathan les inconvénients qui pourraient arriver, « et le prierd'envoyer des billets signés de lui au concierge. »
 
Heureusement cette grave affaire s'arrange, et M. de Mathan accueilleavec une parfaite bonne grâce les réclamations de la ville.
 
C'est au XVIIIe siècle que la tour est régulièrement assignée aulogement des fous (9). On trouve, en 1718, une requête d'un certainGaspard Lemaître, bourgeois de Caen, demandant « à être nommé à lagarde de la tour et des fous renfermés en icelle. » Il est admisauxdites fonctions « aux profits et émoluments y attachés. » Cependant,malgré les services de toute sorte qu'elle rendait, la tour Châtimoineétait menacée de démolition. Un arrêt du conseil, du 13 juin 1765,porte que la ville sera tenue d'évacuer, dans les six mois de lanotification, la tour Châtimoine, en transférant ailleurs les insenséset autres sujets qui y sont détenus ; de faire construire dans le mêmedélai, où il appartiendra, une ou plusieurs glacières, et que lesmatériaux de la tour seront employés à la construction d'une intendancequi doit occuper la place de la tour et des terrains adjacents. Mais laville réclama contre cette décision. Elle assurait que « les pauvresmalades de l'Hôtel-Dieu et les revenus de la ville étaient trop obéréspour pouvoir fournir aux travaux considérables qu'exigeait le transportet établissement des insensés et autres sujets renfermés à la tourChâtimoine. Et M. de Fontette demandait, le 20 décembre 1765, qu'onlaissât sans exécution l'arrêt du conseil pour bâtir un hôteld'intendance.

Ce n'est qu'en 1785 que la Tour devait enfin tomber et ses horreursdisparaître. On songeait alors à construire de nouvelles prisons, et onavait pensé à utiliser la tour Châtimoine sur laquelle elle devaits'appuyer, et ses cachots. Mais nous avons vu que l'intendant lavisitant pour savoir si elle pouvait servir à cette destination,l'avait trouvée si horrible qu'il avait déclaré au ministre qu'il étaitimpossible de la conserver. Ainsi avait dit le maire, ainsil'inspecteur général des hôpitaux. Tous avaient d'une seule voixdemandé la suppression de cette monstruosité.
 
En conséquence, un brevet royal était intervenu, 2 avril 1785. On ylisait : « Sur ce qui a été présenté au roi que la vieille tour,appelée tour de Châtimoine, faisant partie des anciennes fortificationsde Caen, n'offre plus que des cachots aussi affreux que malsains,qu'elle tombe en ruines de toutes parts, qu'elle tient à d'anciens mursdont la démolition a été ordonnée, que restant isolée elle formeraitl'aspect le plus désagréable, que d'ailleurs elle nuisait auxconstructions des nouvelles prisons et des bâtiments destinés auxjuridictions, qu'enfin elle est devenue absolument inutile au moyen del'établissement de la maison de Beaulieu, qui est arrangée pourrecevoir les personnes qu'on y renfermait, S. M. ordonne qu'elle seradémolie. » — On ajoutait que les matériaux paieraient les frais.

La démolition, commencée le 12 octobre 1785, ne fut achevée que le 28novembre 1787. Le vieux donjon tenait bon. Il y fallut trois millejournées de travail ; il en coûta 3,054 livres à 1 livre par journée.La dépense fut loin d'être couverte. La vente des matériaux de la tourSilly et de la tour Châtimoine produisit 2,727 livres ; la dépense futde 5,713. Tout le monde, du reste, fut convié à prendre part à sesdépouilles. La ville donna une partie des matériaux : les uns pour desréparations municipales, d'autres « pour raccommoder le tort fait à desmaisons voisines », d'autres à des particuliers : à M. de M., troisvoitures de pierre ; au comte du R., une couverture de puits en pierredure ; au comte d'O., des « chaussins » ; à celui-ci, de la pierre detaille pour faire deux fenêtres et trois portes ; à celui-là, desmarches d'escalier en pierre dure ; à tel autre, trois cents devieilles tuiles ou des tombereaux de sable de la démolition ; aucommandant de la maréchaussée, vingt charretées de moellons ! Luitrouvait-on, en vertu de son titre, des droits spéciaux sur les débrisde la prison ? Aux Capucins même, vingt voitures de moellons, douze auxDames de l'Hôtel-Dieu, quatre aux Sœurs grises de St-Nicolas ; auxCordeliers, huit toises de pierre et de la pierre de taille. Il y atrente-huit permissions de ce genre accordées.

Pour en finir avec la vieille tour, nous donnons ici in extenso,d'après les archives de l'hôtel-de-ville, la pièce à laquelle nousavons fait tout à l'heure quelques emprunts et qui contient toutl'historique de la question.

Mémoire instructif au sujet des tours, murailles, fossés, remparts et contrescarpes de la ville de Caen.— « Avant le XIV siècle, la ville de Caen étoit peu fortifiée. Lesmurailles et les tours qui subsistoient alors avoient été faites parles habitans sur des fonds qu'ils avoient acquis de leurs propresdeniers, ou plutôt aux dépens de ceux qui les avoient pris enconstitution.
 
« Pour payer les intérêts de ces deniers, les roys Philippe VI,Jean-le-Bon et Charles V dit le Sage, leur avoient accordé lapermission de lever un octroy sur les boissons, dont le produit étoitemployé au payement de ces intérêts et à l'entretien desfortiffications.
 
« Sous les régnes suivans, la ville, manquant de fortiffications enplusieurs endroits, obtint la permission d'en faire faire et elleacheta les fonds qui convenoient à cet usage.
 
« On luy accorda un nouvel octroy sur le sel pour subvenir à ces fortiffications, et cet octroy subsiste encore.
 
« Au nombre de ces fortiffications, il y a une tour nommée la tourChâtimoine, qui doit son existence à la première entreprise que lesAnglois firent sur cette ville sous le règne de Philippe de Valois.
 
« Cette tour sert depuis un temps immémorial à renfermer les pauvreshabitans dont l'esprit est dérangé. Ils y sont nourris, aux dépens desrevenus de l’Hôtel-Dieu, par un concierge, que les maire et échevins yplacent, et sur la conduite duquel ils veillent continuellement, afinque ces malheureux ne soient pas négligés. (On a vu ce que valait cettesurveillance continuelle qui ne s'apercevait pas que de pauvres gens étaient oubliés là depuis dix-huit ans.)
 
« Depuis quelques années on y a reçu (en conséquence des lettres decachet addressées à M. le Maire) des personnes furieuses des villesvoisines.
 
« De toute antiquité connue, les maire et échevins sont en possessiondes fossés, remparts et contrescarpes de la ville, à l'exception deceux du château ; ils en ont fieffé la meilleure partie, à condition deles abandonner lorsque la sûreté l'exigera, sans aucun dédommagement.
 
« Ils afferment le surplus au moyen d'un certain loyer par an, et lesdeniers en sont employés au payement des dettes de la communauté etspécialement des rentes dues à cause de l'acquisition des fonds occupéspar ces fortiffications.
 
« En l'année 1564 ou à peu près, M. de Lago (qui étoit pour lorsgouverneur de Caen) s'empara de force et de violence de ces fossés,remparts et contrescarpes ; mais M. Pellet de La Vérune, qui luisuccéda, en fit la remise aux maire et échevins, par un acte du 2 mars1568 qui se trouve au folio 13 recto du 28e registre del'hôtel-de-ville.
 
« En 1671, M. de Vieuxfumé, major du château, eut des prétentions surles mêmes fossés, etc.; mais il en fut déboulé par arrêt du conseil du20 novembre de la même année, qui est dans la 33e boete des archivescommunes, sous le n° 625, avec un autre arrêt du 20 décembre 1710, quimaintient les habitans de cette ville dans la propriété et possessionde ses murailles, fossés, remparts et contrescarpes.
 
« Il est donc bien certain que MM. les gouverneurs, lieutenants de roy,majors et commandans du château n'ont aucun droit sur lesfortiffications de la ville de Caen. Tout leur pouvoir se borne àobliger les habitans de les tenir en bon état lorsqu'elles n'y sont paset que la sûreté exige qu'elles y soient.
 
« La tour Châtimoine en particulier est un hôpital pour les foux, cequi ne regarde que la police et non pas les militaires ; aussi aucun deMM. les gouverneurs ne s'est meslé dans aucun temps d'y placer desconcierges : ce droit appartient aux maire et échevins seuls, àl'exclusion de tous autres.
 
« Autant du présent remis à M. le major du château pour envoyer à M. le maréchal de Coigny, le 23 avril 1740. »


Note F.

SUR BEAULIEU.
 
 
Nous avons nommé la maison de Beaulieu, près de Caen. Il estintéressant, puisque les lettres de cachet prenaient souvent ce chemin,de savoir quel en était le régime intérieur et à quelle nature deprisonniers il s'appliquait.

On y recevait tout d'abord les hommes et les femmes frappés par uneordonnance du lieutenant de maréchaussée ou de l'intendant. On retrouvelà la mendicité sous toutes ses formes, des infirmités simulées, defaux paralytiques et de faux muets, des jeunes gens valides, qui n'ontd'autre profession que la mendicité, et dont quelques-uns ont mendiéavec menace ; une fois on a arrêté au bord de la mer, à Gray, prèsCourseulles, « plusieurs mendiants errants et vagabonds attroupés » ;là, c'est toute une famille de bohémiens, « des femmes qui faisaientles devineresses pour tromper les imbéciles, procuraient desavortements et mendiaient sous prétexte d'accomplir un vœu ». Mais on ytrouvait aussi des prisonniers d'autre sorte. On y mettait des voleursqu'on n'avait pas voulu juger, des épileptiques, des paralytiques, desidiots, des imbéciles, des culs-de-jatte, des fous. La misère étantgrande et la province ne possédant pas d'établissements spéciaux, laprison devenait un asile. On voit souvent plusieurs infirmes ougrabataires sans ressources s'y rendre volontairement pour pouvoirsubsister. Ce qui frappe, en effet, tout d'abord, quand il s'agit depénalité et d'établissements pénitentiaires dans le passé, c'est laconfusion, l'inégalité, le défaut de proportion entre la peine et ledélit, l'indifférence absolue pour le résultat de la peine. Ainsi ontrouve pêle-mêle à Beaulieu, des gens qui n'ont d'autre tort qued'êtres infirmes et pauvres (10), d'autres qui sont des mendiants oumendiantes de profession et condamnés comme tels à la réclusion, desfemmes qui ont fui la maison paternelle pour se livrer au désordre,puis enfin des prostituées de la plus misérable espèce, comme ces deuxfilles qui ont suivi un régiment en garnison à Coutances, et quipendant huit jours, jusqu'à leur arrestation, ont vécu dans un bois,près de la ville, nourries par les soldats. C'est au milieu de cescréatures infâmes que la lettre de cachet jette des individus nonécoutés, non jugés, et qu'on est par conséquent en droit de regardercomme n'étant pas coupables. Telle est par exemple cette femme dequarante ans qu'on y trouve, en 1786, réduite à vivre du pain despauvres et à propos de laquelle se rencontre cette note : « elle paraîtde bon sens et honnête et appartient à une famille à l'aise, le pèrevit de son bien. Arrêtée par ordre du roi, elle devait être gardéemoyennant pension payée par sa famille, la famille n'a pas paru. »C'est ainsi encore qu'une pauvre femme et sa fille, marchandesambulantes, y sont enfermées parce qu'elles n'avaient pas leurpasseport.
 
Ce qui fait frissonner encore, et montre comme on songe peu à moraliserle coupable, comme au contraire on semble vouloir faire peser sur desfamilles tout entières la faute d'un des membres, on voit à chaqueinstant de pauvres enfants jetés dans ce cloaque avec leur mère, etn'ayant d'autre école que la société de tous ces vices et de toutes cesinfamies. Comment voir sans chagrin et sans indignation ce sang-froidavec lequel un lieutenant de maréchaussée condamne avec la mère un filsde huit ans et une fille de deux ans à être enfermés à Beaulieu ? Unenfant de huit mois est ainsi condamné.

Une autre suite inévitable de cette confusion, c'était de supprimerdans l'esprit du peuple toute idée de flétrissure et cette répulsionqui s'attache à l'homme justement frappé par la loi. On voit unbourgeois de Caen demander pour nourrice une des femmes perduesenfermées là ; et comme il paraît, du reste, que l'administrationconsidère ces sujets comme des choses et non des personnes humaines,mécontent d’elle, il la réincarcère. Ceux des prisonniers qui sontvalides et qui se conduisent bien sont placés comme domestiques chezdes fermiers. Que de pauvres enfants abandonnés, recueillis par lacharité publique, voient s'ouvrir devant eux cet asile de ladomesticité villageoise, et par là la voie à l'existence et àl'honnêteté communes, rien de mieux. Mais le premier de tous les soinsdevait être de placer en des maisons différentes le crime justementpuni, la paresse invétérée, l'infamie sans ressource. Dans lesconditions où se trouvait Beaulieu, il faut avouer que les envois qu'ilfaisait aux fermiers offraient une singulière façon de moraliser lescampagnes.
 
L'administration avait, il est vrai, songé à l'instruction et à lamoralisation des détenus, le règlement de Beaulieu y a pourvu. Maisc'est parmi les détenus mêmes qu'on choisit un maître et une maîtressed'école pour instruire les enfants dans la lecture et la religion, une heure le matin et une heure l'après-midi. De singuliers aumôniers qu'on avait trouvés là !

L'intendant est maître absolu du sort des détenus. C'est lui qui les yenvoie sans fixer la durée de l'emprisonnement. C'est lui ou sonsubdélégué qui les rend, quand on les réclame ou quand il est satisfaitde leur conduite, ou qui déclare « que telle détenue est incapable derien faire, qu'elle n'est réclamée par personne et qu'elle est mieux làque partout ailleurs. »

Les détenus doivent travailler et sont pour cela distribués enateliers. Sur les listes de la prison, on voit figurer une fille de 41ans, attachée à la maison « pour apprendre et faire travailler à ladentelle les détenues. » Us ont une heure de récréation tous les deuxjours.
 
Voici quel est le régime alimentaire : « Ils ont chaque jour 1 livre1/2 de pain, moitié froment, moitié orge moulu à la blanche (11). » Unjour, « 2 onces de riz pesé sec, assaisonné avec du sel et du lait (1pot pour 25 rations); l'autre, quatre onces de légumes, pois, fèves,haricots cuits et assaisonnés avec sel et poivre convenablement. Ledimanche et les jours de fête les détenus peuvent, au nombre de six,passer une heure dans une buvette et y consommer 1 petit potd'eau-de-vie ou de cidre mitoyen, la bonne chère à volonté, aux prixfixés par les préposés de la maison. Les malades et les vieillards ontune portion d'infirmier, c'est-à-dire une demi livre de viande, lasoupe en provenant bien assaisonnée de sel et de légumes, et 16 oncesde pain dit à la seconde. »

Ces infirmiers étaient pris parmi les détenus pour veiller au bon ordrede chaque salle. On voit que la prison devait se suffire, et trouver enelle-même ses infirmiers comme ses maîtres d'école et ses aumôniers.
 
Mais les vieillards n'étaient qu'à demi assurés de ce bienfait. On litdans le règlement, art. 33, cette incroyable prescription : «Lorsqu'après les ordonnances du médecin et du chirurgien un ouplusieurs des détenus seront mis à la diète, le bouillon sera pris surcelui des vieillards qui souffriront tous en proportion de cette diminution. »

Tout prisonnier au cachot devait être privé de toute espèce de rationet recevoir seulement la ration ordinaire de pain, de l'eau et unebotte de paille, de huit jours en huit jours.

Quant au coucher ordinaire des prisonniers, le règlement dit qu'onchangera la paille et les paillasses des détenus tous les deux mois, àquatre bottes de paille du poids total de 40 livres pour troispersonnes, trois pour deux personnes, deux bottes pour une personne.
 
Tel est le régime des détenus ordinaires. A côté d'eux, il y a des pensionnaires à des degrés différents.

Les pensionnaires à 120 livres sont confondus avec les prisonniers,habillés, nourris et couchés de même. Pour 150 livres, ils ont unechambre à part que la famille meublera. Pour 200 livres, ils sontentretenus par la famille, logés à part ; ils ont « 1 livre 1/2 de painà la seconde, 3/4 de viande, le bouillon en provenant, 2 tians de cidremoyen et 2 gros de sel. » Pour 300 livres, ils sont entretenus etmeublés par la famille. Ils ont droit « à une suffisante quantité depain à la seconde, » (La ration ordinaire n'était donc pas suffisante!) la soupe à midi, le bouilli et 1 quarte de cidre mitoyen ; le soir,du pain, du rôti ou un ragoût, du cidre, et le droit de réserver pourle goûter du matin.

Telles étaient les conditions de vie auxquelles pouvait obliger unelettre de cachet. Il faut ajouter que les duretés du régimeréglementaire étaient souvent aggravées par la manière dont onpratiquait les prescriptions. L'état des vivres y était tel que quandon y amena, en 1784, les pauvres détenus de la tour Châtimoine, ilscommencèrent par refuser le pain du dépôt et le jetèrent (12).


Note G.
 
Les luttes du jansénisme ont laissé leur trace dans les dossiersauxquels nous avons emprunté tous ces récits. De 1727 à 1745, unequarantaine d'ordres du roi atteignent des prêtres. La plupart sont desvictimes de la Bulle. C'est ainsi qu'un chanoine de Bayeux est « frappéparce qu'il excite journellement des divisions entre les membres duchapitre » (13), qu'en 1732 le principal de Bayeux a le même sort, quele principal du collège du Bois, à Caen, est éloigné de la ville avecdéfense d'en approcher de 10 lieues.

Ailleurs on retrouve les Convulsionnaires. L'intendant s'oppose auretour d'un curé dans sa paroisse. Je crois, dit-il, que le fanatismede Landes n'est pas encore assez calmé pour qu'il puisse être rappelé ;sa présence y ranimerait bientôt le courage des actrices de cettechimérique possession, et elles donneraient au public de nouvellesscènes, peut-être plus fâcheuses encore que les premières (14).

Le protestantisme a aussi sa part dans ces ordres du roi. En 1759, onvoit un subdélégué demander que l'on condamne à six mois de prison et àune amende deux malheureux religionnaires soupçonnés d'avoir favorisél'évasion d'une jeune fille. « Leur punition, dit-il, ne manquerait pasde faire éclat et d'intimider ceux qui voudraient comme eux favoriserla sortie des protestants hors le royaume (15).

Plus loin, ce sont des parents que l'on jette en prison parce qu'ils sesont refusés aux vœux de conversion du Gouvernement et ont caché leursenfants. « J'ai vu, écrit le Ministre, qu'ils ont non-seulement refuséde les conduire aux Nouvelles Catholiques pour y être instruits, maisqu'ils les ont même fait disparaître. N'étant pas possible de tolérercette désobéissance sans porter à l'autorité un préjudice dontl'exemple serait dangereux, il était indispensablede faire mettre les La F. en prison comme vous l'avez fait. Il faut uneoccasion marquée comme celle-ci pour user de cette sévérité, parce que la cause qui la détermine n'est pas susceptible de grâce,et qu'il faut nécessairement que ceux qui sont mis en prison pour avoirfait disparaître leurs enfants ne soient mis en liberté qu'en lesreprésentant. » Et il ne suffit pas qu'ils promettent de les envoyer àl'église et aux instructions ; il faut que le curé de la paroissecertifie les avoir vus et leur avoir donné l'instruction nécessaire.Alors seulement les malheureux parents seront remis en liberté ; etencore il leur reste à payer des cavaliers de maréchaussée, qui pendantquatorze jours « ont travaillé à cette affaire (16). »
 
Ailleurs c'est une jeune fille qu'on arrache de la maison paternelle etque l'on conduit dans un couvent, où on l'instruira dans la religioncatholique, moyennant une pension que des personnes charitables offrentde payer pour elle (17). En 1738, une fille de 52 ans, que l'on mèneainsi aux Nouvelles-Catholiques de Caen, devient folle et la tourChâtimoine compte une victime de plus (18).
 
L'administration, en se substituant ainsi violemment à la famille, nesongeait pas qu'elle s'imposait gratuitement une lourde charge et desdevoirs bien délicats. Il convient du reste de remarquer à sa décharge,si l'on peut en admettre une en présence de telles erreurs, qu'elleessayait consciencieusement de les remplir. Elle veillait attentivementsur la moralité de ses pupilles. Nous la voyons refuser de laisserentrer aux Nouvelles-Catholiques une femme arrêtée sur la demande deson mari, de peur que son contact ne soit dangereux pour les jeunesfilles qu'on y élève.

Il est curieux de voir avec quel soin elle s'occupe, jour par jour, desnouveaux convertis, comme elle les suit, une fois qu'elle s'est ainsiemparée d'eux : un tuteur attentif ne ferait pas davantage ; comme elleveille surtout à la pureté de leur foi !

En 1754, le ministre avertit l'intendant qu'il ait à retirer un enfantdes mains d'un tuteur suspect à l'administration et de « choisir lelieu où il conviendrait de le mettre pour que sa religion soit hors dedanger, sans porter au surplus de préjudice à son éducation. » Letuteur lui-même indique le curé de St-Sauveur, principal du collège desArts. Un ordre du roi enjoint d'y retenir l'enfant. Le 27 février 1755,il est autorisé à changer de pension ; mais dès le 2 février 1756, onse plaint que depuis qu'il a quitté son premier maître, il anon-seulement négligé ses études, mais mené une conduite irrégulière.Le ministre, 11 février 1756, ordonne de le réintégrer chez le curé deSt-Sauveur.

Au mois d'avril 1757, le jeune homme demande sa mise en liberté.L'intendant écrit au ministre qu'il n'y voit point d’obstacle, qu'ils'est informé de sa conduite dans toutes les pensions où il a été placépar ordre de Sa Majesté. On lui a rapporté qu'elle a été régulière etqu'il s'est toujours acquitté des devoirs d'un bon catholique. Le curéde St-Sauveur, chez qui il est depuis le mois de février 1756, attestela régularité de ses mœurs, son inclination à persévérer dans la foi dela religion catholique, apostolique et romaine et son exactitude à enremplir les devoirs. « Les curés des autres paroisses où il a demeuré,ajoute le subdélégué, m'en ont fait un rapport également avantageux.Son attachement à la religion romaine suffiroit pour lever tout soupçond'inconstance. » Mais l'intendant signale une seconde garantie nonmoins forte à ses yeux : « Comme sonbien est situé dans cette généralité, ses propres intérêts nepermettent pas de penser qu'il puisse jamais succomber à la tentationde sortir du royaume pour aller trouver son père dans le pays étranger.» L'intendant est cependant d'avis qu'on attende, pour lui donner sacomplète liberté, qu'il ait atteint l'âge de vingt ans ; c'est le tempsfixé par la coutume de cette province aux jeunes gens pour sortir de latutelle de leurs parents, et dans les circonstances où ledit M. setrouve, il semble qu'il doit attendre à ce moment pour penser à sonétablissement. »
 
Enfin, le 4 mars 1758 le roi daigne « accorder au sieur M., nouveauconverti, sa pleine liberté, après dix ans d'instruction et depersévérance dans la religion catholique (19). »


NOTES :
(1) Archives de la ville, lettres royaux de 1460. Un mémoirejustificatif de 1740, au sujet des tours, etc., voudrait en faireremonter la construction plus haut. On y lit : Au nombre de cesfortifications, il y a une tour nommée la tour Châtimoine, qui doit sonexistence à la première entreprise que les Anglais firent sur cetteville, sous le règne de Philippe de Valois. Il y a évidemment iciconfusion entre la tour Châtimoine el la vieille tour qu'elle avaitremplacée ou tour d'Haucourt.
(2) Huet, Origines de Caen , 2e édit., p. 50-51.
(3) Arch. de la ville. Reg. 70, fol. 30.
(4) Ibid. Reg. 69, fol. 56. 19 juin 1673.
(5) Ibid. Reg. 70, fol. 30.
(6) Le samedi 25 janvier 1659. J'ai déjà parlé de cette autorisationdonnée à un certain André de L., curateur de son frère Antoine de L.,d'y faire enfermer celui-ci.
(7) Arch. de la ville. Reg. 70, fol. 103.
(8) Arch. de la ville. Reg. 95, fol. 60.
(9) Ibid. Reg. 84, fol. 90.
(10) Il en est un qui porte cette note curieuse à propos de son arrestation : « porteur d'une très-mauvaise physionomie, »
(11) Observations sur l'administration, la police et le traitement de Beaulieu par le subdélégué, 1776, art. 24.
(12) Archives du département du Calvados. Maison de Beaulieu.
(13) Archives du département du Calvados. Ordres du Roi.
(14) Ibid.
(15) Ibid.
(16) Archives du département du Calvados. Ordres du roi.
(17) Id.
(18) Id.
(19) On retrouve partout cette même surveillance des nouveauxconvertis. Un M. M. du V. a été placé par les soins du roi, d'abord auxNouveaux-Catholiques d'Alençon, puis à Caen, afin de lui faciliter lesexercices qui ne sont pas incompatibles avec ceux de la religion.Maintenant (28 mars 1756) il voudrait se faire gendarme ; le ministredéclare qu'auparavant il est nécessaire de l'informer exactement desprogrès que le jeune homme a faits dans les instructions qui lui ontété données, « Un simple certificat borné à un seul acte de religion nesuffisant pas pour s'en assurer, l'intendant s'informera de sa conduiteet chargera le curé de la paroisse de l'examiner. » Le 23 avril M. duV. est mis en liberté et entre dans la compagnie des gendarmes de lagarde du roi. — Archives du Calvados. Ordres du roi.