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LAIR, Pierre-Aimé(1759-1853) :  Essai sur lescombustions humaines, produites par un long abus de liqueursspiritueuses.- Paris : Gabon : de l'Imprimerie de Crapelet, AnVIII0-1800.- 100 p ; 18 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (27.I.2017)
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ESSAI

SUR
LES COMBUSTIONS
HUMAINES,
produites par un long abus des liqueurs
spiritueuses ;

PAR PIERRE-AIMÉ LAIR.

A PARIS,
Chez GABON, Libraire, près l'Ecole de
Médecine.
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET.
AN VIII — 1800.
_____



A
ALEXANDRE BRONGNIART,
COMME UN HOMMAGE RENDU AU MERITE
ET A L'AMITIE.


Essai sur les combustions humaines, produites par un long abus de liqueurs spiritueuses

ESSAI
SUR
LES COMBUSTIONS HUMAINES.

Il est dans l'histoire naturelle, comme dans l'histoire civile, desfaits présentés aux méditations de l'observateur, qui, appuyés par lestémoignages les plus convaincans, paraissent, au premier aspect,dépourvus de vraisemblance. On a vu des personnes subitement embraséespar le simple contact du feu ordinaire, passer tout-à-coup de la vie àla mort, et leur corps être réduit en cendres. Mon étonnement, au récitde faits aussi surprenans, a été suivi du désir d'en connaître la cause; mais effrayé par la difficulté du sujet, ce n'est qu'avec réserve queje hasarderai quelques observations sur une matière encore peu connue,quoique bien digne, sans doute, de piquer la curiosité, et d'exciterles recherches des Savans.

Non-seulement on n'est pas d'accord sur la cause d'un pareil phénomène,mais on est même incertain par quel mot on doit le désigner. Les unsl'ont appelé combustion ; lesautres lui ont donné le nomd'incendie ; quelques auteursl'ont nommé déflagration.C'est lamême idée que l'on a voulu exprimer par des mois différens. Mais le mot incendie semble plutôtapplicable à une chose inanimée et d'unecertaine étendue, qu'au corps humain. La déflagration rappelle plutôtl'idée d'un objet qui brûle avec crépitation, tandis que le mot combustion présente celle d'uncorps éprouvant les effets ordinairesdu feu. Je me servirai de cette dernière expression, comme plusgénéralement usitée en cette circonstance.

Dire que le corps de certaines personnes est sujet à s'enflammer par lecontact ordinaire du feu, et à passer, par une combustion assez rapide,de la vie à la mort, c'est s'exposer à rencontrer bien descontradicteurs. Quand Mutius Scœvola porta sa main sur un brasierardent, et la laissa brûler, le feu ne se communiqua point au reste deson corps. Quand Porcie, pour ne point survivre à son époux, avala descharbons ardens, elle mourut victime de son dévouement ; mais son corpsne fut point consumé. Lorsque le feu prit à la robe-de-chambre deStanislas, duc de Lorraine, ce prince mourut des suites de cetaccident, mais ne périt pas embrasé. Enfin si par malheur on se laissetomber dans le feu, le corps peut être grièvement maltraité, maisjamais il n'éprouve les effets du feu au point d'être consumé.

Comment donc concevoir que, dans certaines circonstances, le feu agissed'une manière tellement active sur le corps humain, qu'il le réduise encendres? On sera tenté d'accorder d'autant moins de foi à ces exemplesde combustion, qu'ils semblent assez rares. J'avoue qu'ils m'ontd'abord paru peu croyables ; mais, pour être invraisemblables, ils n'ensont pas moins présentés comme vrais par des hommes dignes de foi.Bianchini, Maffey, Rolli, Le Cat, Vicq-d'Azyr, et plusieurs Savansdistingués, en ont apporté des témoignages certains. Est-il d'ailleursplus surprenant d'éprouver cette incinération, que de rendre des urinessucrées, ou de voir les os se ramollir au point de passer à l'état degélatine ? Certes, les effets de la combustion ne sont pas plusmerveilleux que ceux du ramollissement des os et du diabète sucré.Cette disposition, morbifique seroit donc un fléau de plus quiaffligeroit l'humanité ; mais en physique, les faits étant toujourspréférables aux raisonnemens, je vais réunir ici ceux qui me paraîtrontavoir des caractères authentiques ; et de peur d'en altérer le sens, jeles citerai tels qu'ils sont attestés dans les ouvrages où je les aipuisés.

On lit dans les Actes de Copenhague,qu'en 1692, une femme du peuple,qui depuis trois ans faisait abus de liqueurs fortes, au point de nevouloir plus de nourriture, s'étant mise un soir sur une chaise depaille pour y dormir, fut consumée pendant la nuit ; on ne trouva, lelendemain matin, que son crâne et les dernières articulations de sesdoigts. Tout le reste du corps, ajoute Jacobæus, fut réduit en cendres.

Voici l'extrait d'un Mémoire de Bianchini de Vérone, tiré du journalanglais Annual Register [1763]. La comtesse Cornelia Bandi, dela ville de Césène, âgée de soixante-deux ans, jouissait d'une bonnesanté. Un soir cependant elle éprouva une sorte d'assoupissement, et semit au lit ; sa femme-de-chambre resta avec elle, jusqu'à ce qu'elles'endormît : le lendemain, lorsque cette fille entra pour réveiller samaîtresse, elle ne trouva plus que son cadavre dans un état affreux. Aquatre pieds du lit, était un monceau de cendres, dans lequel ondistinguait deux jambes intactes avec les bras : entre les jambes étaitla tête de cette dame, dont la cervelle, la moitié de la partiepostérieure du crâne, et le menton tout entier, avaient été consumés :on trouva trois doigts en charbon, le reste du corps était réduit encendres, qui en les touchant, laissaient aux doigte une humidité grasseet fétide. Une petite lampe, posée sur le plancher, était couverte decendres, et ne contenait plus d'huile; le suif de deux chandelles étaitfondu sur une table, mais la mèche restait encore, et les pieds deschandeliers avaient une certaine moiteur. Le lit n'était pointendommagé ; les draps et les couvertures étaient relevés et jetés decôté comme lorsqu'on sort du lit. Les meubles et la tapisserie étaientchargés d'une suie humide couleur de cendre, qui pénétra dans lestiroirs et salit le linge. Cette suie, ayant passé dans une cuisinevoisine, s'attacha aux murailles, aux ustensiles: un morceau de pain,qui était dans le garde-manger, en fut couvert, et aucun chien n'envoulut goûter. L'odeur infecte s'était communiquée à d'autresappartemens. Le journal anglais observe que la comtesse de Césène avaitcoutume de baigner tout son corpsdans de l'esprit-de-vincamphré [ToBath all her body in camphorate spirit of wine.].Bianchinifit imprimer les détails de ce déplorable événement, dans le temps oùil se passa, et personne ne le contredit. Il fut également attesté parScipion Maffey, savant contemporain de Bianchini, qui n'était pointcrédule ; enfin Paul Rolli confirma aussi ce fait surprenant à laSociété de Londres. L’Annual Registercite dans le même passage, deuxautres faits de cette espèce arrivés, l'un à Southampton, et l'autre àCoventry.

Pareil exemple est encore consigné dans le même journal [Année 1773,tom. 18, page 78.], par une lettre de M. Wilmer, chirurgien. « MarieClues, âgée de cinquante ans, était fort adonnée à l'ivrognerie. Sonpenchant pour ce vice s'était augmenté après la mort de son mari,arrivée un an et demi auparavant. A peine avait-elle, depuis environ unan, passé un jour sans boire au moins une demi-pinte de rum oud'eau-de-vie d'anis ; sa santé déclinait par degrés : elle fut aucommencement de février attaquée d'une jaunisse, et contrainte degarder le lit. Quoiqu'elle ne pût agir, et qu'elle fût hors d'état detravailler, elle continua son ancien usage de boire et de fumer tousles jours une pipe de tabac. Le lit de la chambre où elle couchait,était parallèle à la cheminée et en était éloigné d'environ troispieds. Samedi matin, premier mars, elle tomba sur le pavé, et sa grandefaiblesse l'empêcha de se relever : elle demeura dans cet état jusqu'àce que quelqu'un qui entra la remit dans son lit. La nuit suivante,elle voulut rester seule : une personne la quitta à onze heures etdemie, et ferma, suivant son usage, la porte à la clef. Elle avait misdeux gros morceaux de charbon de terre au feu, et placé sur une chaiseà la tête de son lit, une lumière dans un chandelier. On apperçut, àcinq heures et demie du matin, de la fumée qui sortait par la fenêtre ;on brisa promptement la porte, et quelques flammes qui étaient dans lachambre furent aisément éteintes. Entre le lit et la cheminée, onvoyait les débris de la malheureuse Clues: une jambe et une cuisseétaient encore entières ; mais il ne restait rien de la peau, desmuscles et des viscères : les os du crâne, de la poitrine, de l'épinedu dos, des extrémités supérieures, étaient entièrement calcinés etcouverts d'une efflorescence blanchâtre. On fut surpris du peu dedommage arrivé aux meubles : le côté du lit qui donnait vers lacheminée, avait le plus souffert ; le bois en était superficiellementbrûlé ; mais le lit de plume, les draps, les couvertures ne l'étaientpoint. J'entrai dans la chambre, environ deux heures après qu'elleavait été ouverte. J'observai que les murailles, et tous les objets quise trouvaient dans l'endroit, avaient été noircis ; qu'il y régnait unevapeur très-désagréable ; mais rien, à l'exception du cadavre, neportait une forte empreinte du feu ».

Ce fait a beaucoup de rapport avec celui que cite Vicq-d'Azyr dansl'Encyclopédie méthodique,article Anatomie pathologique del'homme. Une femme d'une cinquantaine d'années, faisant abus deliqueurs spiritueuses, et s'enivrant tous les jours avant de secoucher, fut trouvée entièrement brûlée et réduite en cendres. Quelquesparties osseuses avaient seules été épargnées : les meubles del'appartement étaient peu endommagés par l'incendie. Vicq- d'Azyr, loinde rejeter ce phénomène, ajoute qu'il en existe beaucoup d'autresexemples.

On trouve un fait de ce genre dans l'ouvrage intitulé : Acta medica etphilosophica Hafniensia, et dans le livre de Henri Bohanser, qui apour titre le Nouveau phosphoreenflammé. Une femme de Paris s'étaitaccoutumée, depuis trois ans, à prendre de l'esprit-de-vin, au pointqu'elle ne buvait que de cette liqueur ; un jour on la trouvaentièrement réduite en cendres, excepté son crâne et l'extrémité de sesdoigts.

Les Mémoires de la SociétéRoyale de Londres, offrent aussi unexemple non moins extraordinaire de combustion humaine. Tous lesjournaux en ont parlé dans le temps : il fut alors attesté par unefoule de témoins oculaires, et fit le sujet de plus d'une discussionsavante. Trois récits de cet événement, présentés par des auteursdifférens, ont les plus grands rapports entre eux. Voici comme onraconte le fait : « Grace-Pitt, femme d'un marchand de poisson deSaint-Clément d'Ipswich, duché de Suffolk, âgée d'environ soixante ans,avait contracté l'habitude, depuis plusieurs années, de descendre de sachambre, toutes les nuits, à demi-déshabillée, pour fumer une pipe. Lanuit du 9 au 10 avril 1744, elle sortit de son lit à l'ordinaire. Safille, couchée auprès d'elle, s’endormit, et ne s'apperçut de sonabsence, qu'en s'éveillant le lendemain ; alors s'habillant etdescendant dans la cuisine, elle trouva le corps de sa mère, couché surle côté droit, sa tête près de la grille du foyer, le corps étendu surl'âtre, les jambes sur le plancher, qui était de sapin, le tout ayantla figure d'une souche de bois qui se consume par un embrasement sansflamme apparente. A cet aspect, la fille s'empresse de verser sur lecorps de sa mère, l'eau de deux grands vases pour éteindre le feu : lafumée et l'odeur fétide qui s'en exhalèrent, pensèrent suffoquer lesvoisins qui étaient accourue aux cris de la fille. Le tronc était enquelque sorte incinéré, et ressemblait à un tas de charbons couverts decendres blanches ; la tête, les bras, les jambes et les cuisses avaientaussi beaucoup participé à l'incendie. On dit que cette femme avait bulargement des liqueurs spiritueuses, en réjouissance de la nouvelle duretour d'une de ses filles, de Gibraltar. Au reste, il n'y avait pas defeu dans le foyer, et la chandelle avait été brûlée en entier dans labobèche du chandelier qui était à côté d'elle. On trouva de plus auprèsdu cadavre consumé, les habits d'un enfant et un écran de papier quin'avaient reçu aucune atteinte du feu. Le vêlement de cette femme étaitune robe de coton.

Le Cat, dans un Mémoire sur les incendies spontanés,cite plusieursautres exemples de combustion humaine. Ayant, dit-il, passé à Reims,quelques mois, de 1724 à 1725, je logeai chez le sieur Millet, dont lafemme s'enivrait tous les jours. Son ménage était conduit par une jeunefille fort jolie ; ce que nous ne devons pas oublier de faire observer,pour qu'on puisse saisir toutes les circonstances qui accompagnèrent lefait que je vais rapporter. Cette femme fut trouvée consumée le 20février 1725, dans sa cuisine, à un pied et demi de l'âtre du feu. Unepartie de la tête seulement, une portion des extrémités inférieures,quelques vertèbres, avaient échappé à l'embrasement. Un pied et demi duplancher, sous le cadavre, avait été consumé ; un pétrin et un saloirtrès-voisins de cet incendie, n'en avaient reçu aucun dommage. M.Chrétien, chirurgien, releva lui-même ces restes de cadavre, avectoutes les formalités juridiques. L'affaire examinée par les juges quis'en saisirent, Jean Millet, mari de l'incendiée, déclara que, le 19février, vers les huit heures du soir, il s'était couché avec sa femme; que ne pouvant dormir, elle avait passé dans la cuisine, où ilcroyait qu'elle s'était chauffée ; que lui Millet s'étant endormi,avait été éveillé, sur les deux heures, par une odeur infecte ;qu'ayant couru à la cuisine, il avait trouvé les restes du corps de safemme dans l'état où le d'écrit le procès-verbal des médecins et deschirurgiens. Les juges, ne soupçonnant pas la cause d'un pareilévénement, poursuivirent vivement cette affaire. La jolie servante fitle malheur de Millet, que sa probité et son innocence ne sauvèrentpoint du soupçon de s'être défait de sa femme par des moyens mieuxconcertés, et d'avoir arrangé le reste de l'aventure, de façon à luidonner l'air d'un accident. Il essuya donc toute la rigueur de la loi ;et quoique, par appel à une cour supérieure et très-éclairée, quireconnut l’incendie, il sortit victorieux, il n'en fut pas moins ruiné,accablé de chagrin, et réduit à aller passer le reste de ses tristesjours à l'hôpital.

Le Cat rapporte encoreun exemple qui a la plus parfaite ressemblanceavec les précédens. M. Boinneau, curé de Plerguer près Dol, m'écrivitle 22 février 1749, la lettre suivante : « Permettez-moi de vousexposer un fait arrivé sous nos yeux, il y a quinze jours. La dame deBoiseon, âgée d'environ quatre-vingts ans, fort maigre, et ne buvantque de l'eau-de-vie depuis plusieurs années, était assise dans sonfauteuil devant le feu. Sa femme-de-chambre s'absenta pour quelquesmomens ; à son retour, elle vit sa maîtresse toute en feu: elle crie ;on vient ; quelqu'un veut abattre le feu avec sa main, et le feu s'yattache comme s'il l'eût trempée dans de l'eau-de-vie ou de l'huileenflammée. On apporte de l'eau, on en jette avec abondance sur la dame,et le feu n'en paraît que plus vif ; il ne s'éteignit point que toutesles chairs ne fussent consumées : son squelette, fort noir, restaentier dans le fauteuil, qui n'était qu'un peu roussi ; une jambeseulement et les deux mains se détachèrent des os. On ne sait point sile feu du foyer avait pris aux habits. La dame était dans la même placeoù elle se mettait tous les jours; le feu n'était point extraordinaire,et elle n'était point tombée. Ce qui me fait soupçonner que l'usage del'eau-de-vie pourrait produire de tels effets, c'est qu'on m'a assuréqu'à la porte de Dinan, pareil accident arriva sur une autre femme,dans des circonstances à-peu-près semblables ».

A ces exemples, dont je multiplie les citations, afin d'augmenter laconviction, j'ajouterai deux autres faits de cette espèce, rapportésdans le Journal de Médecine[Tome 59, page 440.] : le premier s'estpassé à Aix en Provence, et est ainsi raconté par Muraire, chirurgien.« Au mois de février 1779, Marie Jauffret, veuve de Nicolas Gravier,cordonnier, petite, fort grasse, et portée à la boisson, fut incendiéedans sa chambre. M. Rocas, mon confrère, commis pour faire le rapportdes malheureux restes de son cadavre, ne trouva qu'une masse decendres, et quelques os tellement calcinés, qu'à la moindre pression,ils se réduisaient en poussière. Les os du crâne, une main et un pied,avaient échappé en partie à l'action du feu. Près de ces débris, étaitune table intacte, et sous cette table, une chauffrette de bois, dontle grillage brûlé déjà depuis long-temps, laissait une large ouverturepar laquelle vraisemblablement le feu se communiqua et occasionna cefâcheux accident : une seule chaise trop voisine de l'incendie eut lesiège et les pieds de devant brûlés. A cela près, nulle autre apparencede feu ni dans la cheminée, ni dans la chambre, tous les meubles dansleur intégrité ; de sorte qu'à l'exception du devant de la chaise quibrûla séparément, aucune matière combustible ne parut contribuer à unesi prompte incinération, qui fut opérée dans l'espace de sept à huitheures.

L'autre exemple cité dans le Journalde Médecine [Tome 59, page140.], s'est passé à Caen, et est ainsi raconté par un chirurgien decette ville, encore vivant, nommé Mérille. « Requis le 5 du mois dejuin 1782, par MM. les gens du roi, pour faire le procès-verbal del'état dans lequel se trouvait mademoiselle Thuars, qu'on me dit avoirété brûlée, j'ai observé ce qui suit. Le cadavre avait le sommet de latête appuyé contre l'un des chenets, à dix-huit pouces du contre feu ;le reste du corps était obliquement placé devant la cheminée : le toutn'était plus qu'une masse de cendres ; les os même les plus solidesavaient perdu leur forme et leur consistance ; aucuns n'étaientreconnaissables, excepté le coronal, les deux pariétaux, deux vertèbreslombaires, une portion du tibia, et une portion de l'omoplate ; encoreces os étaient-ils tellement calcinés, qu'ils se réduisaient enpoussière par une faible pression : des deux pieds, le droit fut trouvéentier et enflammé à sa jonction, dans sa partie supérieure ; le gaucheétait plus brûlé. Il faisait froid, ce jour-là : cependant onn'apperçut dans le foyer que deux ou trois petits morceaux de bois d'unpouce de diamètre, brûlés dans leur milieu. Aucun meuble del'appartement n'était endommagé. La chaise sur laquelle mademoiselleThuars paraissait avoir été assise, se trouvait à un pied d'elle etabsolument intacte. Je crois devoir observer que cette demoiselle étaitextrêmement grasse, qu'elle était âgée de soixante et quelques années,très-adonnée au vin et aux liqueurs ; que le jour même de sa mort, elleavait bu trois bouteilles de vin, et environ un demi-septierd'eau-de-vie , et qu'enfin la consomption du cadavre a eu lieu en moinsde sept heures, quoique, selon les apparence , rien n'ait brûlé autourdu corps que les vêtemens ».

Ce récit sur la mort de mademoiselle Thuars, a été confirmé dans letemps par d'Aumenil,pharmacien de la même ville. Son procès-verbal aune telle conformité avec l’autre, que je me dispenserai de lerapporter. Il insiste sur ce que tous les corps ambians étaientcombustibles, sans cependant avoir été endommagés par le feu ; lesvestiges du linge que portait mademoiselle Thuars, n'étaient plusqu'une toile noire fort légère, dont le moindre mouvement étrangerdérangeait bientôt la forme. Les cendres qui provinrent du corps,formèrent un volume si peu considérable, qu'elles auraient pu tenirdans la forme d'un chapeau. D'Aumenil atteste également l'étatd'ivresse où était Habituellement mademoiselle Thuars : et tous leshabitans de Caen qui l'ont connue, l'attestent encore.

La ville de Caen fournit plusieurs autres exemples de ce genre.Beaucoup de personnes, entre autres un médecin d'Argentan, nommé Bouffet, auteur d'un Essai sur les fièvres intermittentes,m'ontraconté qu'une femme du peuple, demeurant place Villers, connue pourêtre fort adonnée à la boisson, fut trouvée brûlée chez elle ; lesextrémités de son corps avaient seulement été épargnées, et les meublesétaient peu endommagés.

Pareil malheur s'est renouvelé encore à Caen, sur une vieille femmeivrogne. Ceux qui m'ont raconté ce fait, assurent que l'eau n'avait puéteindre le feu dans le corps enflammé. Je ne crois pas devoir donnerles détails de cet événement, et d'un autre à-peu-près semblable passédans la même ville, parce que, n'étant point attestés par unprocès-verbal, et ne m'ayant point été communiqués par des gens del'art, ils n'inspireraient pas la même confiance.

Peut-être sera-t-on surpris de voir tant de faits de cette espècearrivés à Caen. Ce n'est pas sans doute que les combustions humaines ysoient plus fréquentes. Si les autres villes semblent d'abord enfournir moins d'exemples, c'est que l'observation ne s'est encorejusqu'à présent portée que d'une manière fort légère sur cet objet. Onne peut guère douter que ce phénomène ne se renouvelle aussi souventailleurs. Mais dans les petites villes, quelquefois les observateursmanquent} et dans les grandes cités, où le nombre considérabled'habitans rend presqu'indifférent sur la mort des individus, lesévénemens de tout genre se succèdent, si rapidement qu'ils fixent moinsl'attention : souvent même la police et les familles se sont réuniespour empêcher la publicité de ces sortes d'accidens, et une fouled'exemples dignes des recherches des Savans, sont restés ou ignorés ousans explication; mais on voit qu'en général les combustions humainessont assez fréquentes. Des voyageurs m'ont assuré, qu'elles sontcommunes dans le nord de l'Europe. Les faits que j'ai rassemblés,prouvent qu'elles ne sont pas rares en France : je n'ai été embarrasséque dans le choix des citations : j'ai rejeté sévèrement celles dontles détails auraient pu sembler douteux. Cette réunion d'exemples estdonc appuyée par toutes les preuves d'authenticité qu'on a droitd'exiger pour former le témoignage des hommes ; car en admettant ledoute prudent de Descartes, il faut aussi repousser le doute universeldes pyrrhoniens. La conviction est dans la multiplicité et l'uniformitémême des faits passés en des endroits différens, et attestés par tantd'hommes éclairés. Ils ont un tel rapport entre eux, qu'on est porté àleur chercher la même cause, et à leur attribuer les mêmes effets.

1°. Les personnes qui ont éprouvéles effets de la combustion,faisaient depuis long-temps abus de liqueurs spiritueuses.

2°. La combustion n'a eu lieu quesur des femmes.

5°. Ces femmes étaient âgées.

4°. Leur corps a été brûlé, non passpontanément, maisaccidentellement.

5°. Les extrémités de leur corps,tels que les pieds, les mains, ontété généralement épargnées par le feu.

6°. Quelquefois l'eau, au lieud'éteindre le feu des parties embraséesdu corps, n'a fait que lui donner plus d'activité.

7°. Le feu a très-peu endommagé, eta souvent même épargné les objetscombustibles qui étaient en contact avec les corps humains dans lemoment où ils brûlaient.

8°. La combustion de ces corps alaissé pour résidu, des cendresgrasses et fétides, une suie onctueuse, puante et très-pénétrante.

Entrons dans l'examen de ces huit observations générales.

La première idée qui frappe en lisant les nombreux exemples decombustions humaines que j'ai cités c'est que ceux qui ont périvictimes de si funestes accidens étaientpresque tous livrés à laboisson. La femme dont parlent les Actes de Copenhague, faisaitdepuis trois ans, abus de liqueurs fortes, au point de ne vouloir plusd'autre nourriture. Marie Clues, depuis un an, avait à peine passé unjour sans boire au moins une demi-pinte de rum , ou d'eau-de-vied'anis. La femme Millet étaitsans cesse ivre. Madame de Boiseon nebuvait, depuis plusieurs années, que de l’eau-de-vie. MarieJauffret était très-portée à laboisson. Mademoiselle Thuars, et les autresfemmes de Caen, étaient égalementfort adonnées aux liqueurs.

Tout, le monde a pu observer que si les ivrognes boivent beaucoup, ilsmangent fort peu;  ils ont même de la répugnance pour certainsalimens : les légumes, les fruits, et surtout, les fruits acides, leurdéplaisent. Les liqueurs douces leur paraissent insipide s; ils ontpresqu'horreur de l'eau. Les viandes les plus salées, le fromage leplus fétide servent à aiguiser leur appétit usé, et les alimens qui,par un goût trop relevé, répugnent le plus aux autres hommes, sontleurs mets favoris.

De pareils excès de liqueurs spiritueuses et d'alimens épicés devaientagir fortement sur les personnes dont j'ai parlé. Toutes les partiesfluides et solides de leur corps devaient en éprouver la funesteinfluence ; car la propriété des vaisseaux absorbans, qui est si activedans le corps humain, semble jouer un très-grand rôle en cette occasion(1). On a encore observé que l'urine des buveurs est ordinairement peuchargée, et de la qualité de celle que les médecins appellent urine despasme. Il paroît que chez les ivrognes qui font un grand abus deliqueurs fortes, la matière aqueuse s'écoule par les voies urinaires,tandis que la partie alkoolique des boissons, presque semblable à lapartie volatile des aromates, ne subissant point une entièredécomposition, est absorbée dans tout leur corps. Aussi Buquet, quiprenait jusqu'à une pinte d'éther par jour, était persuadé que, par sesprincipes volatiles, ce fluide pénétrait dans toute l'économie animale.Les expériences faites à ce sujet sur les buveurs ne permettent pasd'en douter ; leurs muscles même sont imprégnés de substancesalkooliques. On disséqua, il y a environ, deux ans, à Caen, ungrenadier appelé Colin, mort àla suite d'un duel. Ce militairepassait sa vie dans un état constant d'ivresse ; on observa que toutesles parties de son cadavre répandaient une odeur spiritueuse.Nous enavons un exemple plus récent encore dans un nommé Bijou, ouvrier duJardin des Plantes de Paris, mort il y a quelques mois. Il avait faitla gageure de boire deux bouteilles et demie de vin en dix minutes ; illes but, et même quelques verres d'eau-de-vie de plus ; mais en gagnantson pari, il perdit la vie par les suites de cet excès. Deux hommes siconnus par l'exactitude de leurs observations anatomiques, Cuvier etDuméril, curieux de faire l’ouverture de son corps, furent frappés del'odeur vineuse qu'il répandait de toutes parts. Les muscles mêmeconservèrent cette odeur d'une manière très-sensible, pendant plus devingt-quatre heures. On a encore plusieurs fois vu cetteexpérience serenouveler sur des voleurs sujets à l'ivrognerie, qui avaient étécondamnés à mort. A l'ouverture de leur cadavre s'est exhalée une odeurspiritueuse, remarquable même dans le tissu musculaire et adipeux.Après de tels exemples, il est impossible de nier l'absorption et lapénétration des liqueurs alkooliques dans toute l'économie animale.Souvent même du corps des ivrognes émanent des matières alkooliques quifrappent l'odorat d'une manière très-sensible. On peut d'ailleurs serappeler que lorsqu'on voulutabattre le feu qui consumait le corps demadame Boiseon, le feu s'attacha à la main, comme si on l’eut trempéedans de l'huile enflammée. Cette particularité aurait-elle puavoirlieu, si le corps n'eut été imbibé de substances spiritueuses ?

La combustion devait acquérir un nouveau degré de force sur lespersonnes chargées d'embonpoint. Cette remarque n'a pas échappé àMuraire ; il observe que Marie Jauffret était fort grasse.Mademoiselle Thuars étoit égalementtrès grasse. La graisse desbuveurs fortement imprégnée de substances alkooliques, est molle,flasque, huileuse, particulièrement celle des femmes ivrognes. On saitque la graisse est une huile animale concrète qui se liquéfiefacilement à une chaleur modérée. Si la graisse est de toutes lessubstances animales la plus susceptible de brûler, celle des ivrognes,moins compacte, devait encore faciliter la combustion dans lespersonnes qui l'ont éprouvée. L'extrême maigreur que l'on a puremarquer chez les autres buveurs, ne les a point davantage préservésdes effets de la combustion. Il semble même que leur corps, privé enpartie de matières muqueuses, et devenu aussi inflammable que lessubstances ligneuses, brûlait encore plus facilement que le corps despersonnes grasses. Madame de Boiseonétait fort maigre ; quoiquel'on jetât, avec abondance, del'eau sur son corps, on ne putéteindre le feu que toutes leschairs ne fussent consumées. Ainsil'abus des liqueurs peut également exposer aux accidens de lacombustion, les ivrognes très-maigres ou très-gras. Les Éphéméridesd'Allemagne disent que la graisse, le sang, la lymphe, la biledesséchés par certains procédés, flambent comme de l'esprit-de-vin àl'approche du moindre feu. C’est ce qui paraît arriver dans cettecirconstance : un long usage des boissons fortes, produit ce funesteeffet sur les personnes qui en abusent d'une manière aussi immodérée(2).

Je crains qu'on ne me reproche d'entrer dans de trop grands détails;mais la matière des combustions humaines est encore si obscure, quenous serons heureux de parvenir à la vérité, en prenant le chemin leplus long. Souvent les causes prochaines d'un, accident ou d'unemaladie ne peuvent être expliquées que par la connaissance des causeséloignées dont elles sont les suites. Sans doute la nature patientetravaille pendant bien des années à produire la combustion ; et lecorps humain est un laboratoire où elle fait quelquefois des opérationschimiques inconnues aux chimistes eux-mêmes. Mais ici plusieurs causestoutes naturelles peuvent chez les ivrognes contribuer à occasionner cefâcheux événement. Pour qu'il ait lieu, il suffit sans doute que laquantité et la qualité des parties combustibles l'emportent sur cellesqui ne le sont pas, et forment une réunion de matières susceptibles des'enflammer dans certaines circonstances : ainsi, de quelque manièrequ'arrive ce phénomène, et de quelque façon qu'on veuille l'expliquer,on est porté à croire que les substances alkooliques agissent, après delongs excès, avec assez d'activité sur le corps des ivrognes pour lerendre combustible , comme je l'ai avancé, et comme le prouvent lesfaits que j'ai rapportés.

Je passe à la seconde observation générale, que la combustion n’a eulieu que sur des femmes.

Je ne prétends point que les hommes ne soient également exposés à lacombustion ; mais je n'ai pu en découvrir un seul exemple bien constaté; et comme on ne peut marcher d'une manière sûre qu'avec l'autorité desfaits, je trouve cette particularité trop surprenante pour ne pas fairenaître quelques réflexions. Peut-être à l’examen, la cause enparaîtra-telle assez naturelle. Le corps des femmes est en général plusdélicat (3) que celui des hommes. Le système de leurs solides est plusrelâché ; leurs fibres plus grêles et d'une structure moins ferme, serompent plus aisément. Le genre de vie contribue encore beaucoup àaugmenter la faiblesse de leur organisation. Les femmes livrées pourl'ordinaire à une vie plus sédentaire, chargées des soins intérieurs dela maison, souvent renfermées dans des chambres closes, où elles setrouvent condamnées à passer des journées entières sans prendre aucunexercice, sont plus sujettes que les hommes à devenir grasses. Chezelles la texture des parties molles étant plus spongieuse, l'absorptiondoit être plus facile; tout leur corps plus aisément imbibé de liqueursspiritueuses, doit aussi éprouver plus facilement l'impression du feu.De-là les exemples malheureux de combustion dont les femmes seulesparaissent fournir des exemples ; encore faut-il un tel concours dedispositions physiques et de circonstances, que ces événemens, quoiquemoins rares qu'on ne pense, ne sont cependant pas très-communs.

La seconde observation générale établie, sert à donner l'explication dela troisième ; je veux dire que lacombustion n'a eu lieu que sur desfemmes âgées.
 
La comtesse de Césène avaitsoixante-deux ans ; Marie Clues, cinquante-deux; Grasse Pitt, soixante, madame de Boiseon, quatre-vingt et mademoiselle Thuars plus de soixante. Cesexemplesprouvent que la combustion est plus fréquente chez les vieilles femmes.Les jeunes personnes, distraites par d'autres passions, se livrent peuà la boisson ; mais lorsque l'amour, fuyant avec la jeunesse, laisse unvide dans l'âme, si l'ambition ou l'intérêt, si le goût du jeu ou laferveur religieuse n'y prennent la place, c'est ordinairementl'ivrognerie qui s'en empare. Cette passion va toujours en augmentent àmesure que les autres vont en diminuant, surtout chez les femmes quipeuvent s'y livrer sans contrainte. Aussi Wilmer fait-il observer que le penchant de Marie Clues pour ce vices'était toujours accru depuisla mort de son mari, arrivée un an et demi auparavant. Presquetoutesles autres femmes dont j'ai parlé, étant également maîtresses de leursactions, pouvaient, sans craindre aucune contrariété, s'abandonner àleur penchant pour la boisson.

On a pu observer que l'embonpoint des femmes, à mesure qu'ellesavancent en âge, les rend plus sédentaires ; et si, comme le remarqueBeaumes [Essai du système chimique dela science de l'homme.], la viesédentaire surcharge le corps d'hydrogène, l'effet devait en êtreencore plus sensible chez les vieilles femmes. La danse, lespromenades, qui forment une dissipation salutaire pour les jeunespersonnes, sont à un certain âge, interdites autant par la nature quepar le préjugé. Il ne faut donc pas être étonné si les vieilles femmes,ordinairement plus grasses et plus livrées à l'ivrognerie, souventimmobiles comme des masses inanimées, sont plus susceptibles, dans unmoment d’ivresse, d'éprouver les effets de la combustion.

Mais la difficulté n'est pas de prouver que le corps de certainespersonnes, renfermant des parties très-inflammables, est susceptible de combustion ; la preuvese trouve dans les faits même que j'ai cités,et qu'on ne peut révoquer en doute, vû leur multiplicité et leuruniformité: l'embarras est d'expliquer comment elle s'est opérée. Parmiceux même qui seraient persuadés de son existence, les opinionspourraient être partagées sur la manière dont elle est produite. Aureste, de quelque façon qu'on veuille expliquer la combustion humaine, elle n'a pu être occasionnée que parcommunication avec quelque corpsenflammé, ou par un feu spontané (4).

Les ivrognes ont une haleine vineuse, que l'on sent d'assez loin : lesémanations spiritueuses de leur bouche doivent être très-inflammables ;souvent même leur estomac, trop plein de liqueurs, rend une partie decelles qu'ils ont bues. De là on pourrait attribuer l'accident de lacombustion au voisinage d'une lampe ou d'une chandelle allumées, aveclesquelles leur haleine ou leurs vomissemens spiritueux auraientcommuniqué. L'abbé Adam,professeur de philosophie à Caen, citaitsouvent l'exemple d'une femme ivrogne, qui, en approchant de sa boucheune chandelle pour l'éteindre, reprit son haleine ; le feu, par l'effetde l'inspiration, gagna subitement l'intérieur de son corps, et leconsuma. Ces effets de l'expiration et de l'inspiration près d'unechandelle ou d'une lampe allumées, auraient pu aussi quelquefoisattirer la flamme dans le corps de ces personnes, rempli de matièrescombustibles, et le réduire en cendres. C'est de cette manière que lefeu aurait pénétré dans le corps de Marie Clues et de Grace-Pitt, quiavaient contracté l'habitude de fumer tous les jours une pipe.

Peut-être ne devons-nous pas aller chercher si loin la cause de cescombustions ; le feu de la cheminée, de la chaufferette ou de lachandélie auraient pu se communiquer aux vêtemens, les brûler, etbrûler ces femmes elles-mêmes par la disposition particulière de leurcorps (5). Maffey observe que la comtesse de Césène avait l'usage dese frotter tout le corps avec de l'esprit-de-vin. Le voisinagedeschandelles et de la lampe qu'on trouva près des débris de son corps,occasionna sans doute la combustion. Cet accident rappelle celuiqu'éprouva Charles II, roi de Navarre. Livré à l'ivrognerie et à desexcès de tout genre, ce prince s'était fait envelopper dans des drapstrempés d'eau-de-vie, pour ranimer sa chaleur affaiblie par lesdébauches ; le feu prit aux draps, tandis qu'on les cousait, et ilpérit victime de cette imprudence.

Il est inutile de citer d'autres exemples, pour prouver les effetsrapides de la combustion dans les liqueurs spiritueuses et les objetsqui en sont imprégnés. Quand on fait de l'eau-de-vie brûlée, il suffitd'approcher une lumière à une certaine distance, pour que la flammegagne subitement la liqueur. On concevra d'autant plus facilement leseffets de la combustion dans les personnes qui l'ont éprouvée, que leurcorps qui en était très-susceptible, apresque toujours été trouvéprès du feu. Tout le monde sait à quel état de stupeur etd'insensibilité est réduite une personne ivre ; à peine peut-elledonner quelque signe de vie. Ces femmes, ensevelies dans le sommeil del'ivresse, ou trop faibles, par leur grand âge et leur excessifembonpoint, pour éteindre le feu, n'auront pu appeler du secours, etauront péri embrasées. A la première action du feu, dit Muraire, lesmembranes adipeuses se sont brisées, la graisse a coulé  lesvêtemens en ont été imbibés : à l'instar des mèches, ils ont brûlélentement, et sont devenus le foyer ardent dans lequel leur corps a étéconsumé.

Outre la combustion accidentelle,il nous reste à examiner s'il peutarriver des combustions humaines spontanées,comme le prétend Le Cat. Lacombustion spontanée est l'embrasement qui aurait lieu dans lecorps humain, sans le contact d'une substance en ignition (6).Lanature offre, il est vrai, plusieurs exemples de combustion spontanéedans le règne minéral et végétal. La décomposition des pyrites, et letravail souterrain qui se fait dans les volcans, en sont la preuve. Lesmines de charbon de terre peuvent aussi s'enflammer spontanément On avu le feu prendre à des tas de charbon de terre déposés dans desendroits clos (7). C'est par une fermentation de cette espèce, que lefumier s'échauffe quelquefois et s'embrase. C'est encore ce quiexplique pourquoi des bottes de foin récoltées dans un état d'humidité,et entassées l'une sur l'autre, prennent feu quelquefois. Mais la combustion spontanée peut-elleavoir lieu dans le corps humain? S'ilfaut en croire quelques auteurs [Ephémérides d’Allem. Observat. 77],des feux très-violens peuvent être produits dans nos corps par lanature et par des procédés artificiels. Sturmius [Idem, dixièmeannée, page 53.] dit que, dans les pays du nord, des flammess'évaporent souvent de l'estomac des ivrognes. Trois seigneurs deCourlande avaient fait un pari. Il s'agissait de savoir lequel boiraitle plus de liqueurs fortes; deux d'entre eux moururent suffoqués parune flamme sortie violemment de leur estomac. Thomas Barlholin[Centurie première.] rapporte, sur l'autorité de Vorstius, qu'unmilitaire, ayant bu deux verres d'eau-de-vie, était mort après uneéruption de flammes par la bouche. Dans sa troisième centurie,Bartholin cite encore un accident de cette espèce à la suite d'unedébauche d'eau-de-vie.

Après tous ces exemples (8), il reste à prononcer sur les causes accidentelles ou spontanées qui produisent lacombustion. Lanature, prenant mille formes différentes, semble d'abord vouloiréchapper à nos observations; mais lorsqu'on vient à y réfléchirmûrement, autant la combustion accidentellesemble facile à prouver,autant la combustion spontanéeprésente d'invraisemblance ; car enadmettant l'exemple de gens suffoqués par les flammes sorties de leurestomac, il y a encore loin de là à l'embrasement entier du corps. Il ya bien de la différence entre ces demi-combustions et les combustionsspontanées tellement complètes, qu'elles réduisent les corps encendres, tels qu'on les a trouvés en cetlte occasion. Ainsi comme onn'a jamais vu le corps humain éprouver spontanément une combustiontotale, ces assertions paraissent plutôt les produits d'une imaginationfrappée, que ceux de l'observation : et trop souvent il arrive que lanature n'adopte pas, dans sa manière d'agir, notre manière de voir.

Si l'on n'avait trouvé aucune trace de feu dans l'endroit où lacombustion avait lieu, j'ajouterais peut-être foi à l'existence descombustions spontanées. Mais comme on a toujours vu les débris descorps près d'une cheminée, d'une lampe, ou d'une chandelle, il est plusnaturel d'en attribuer la cause au contact avec ces objets. On trouvales restes de Marie Clues près de lacheminée, où en la quittant onavait mis deux gros morceaux de charbon de terre. Quand on entradansla chambre de madame de Boiseon, soncorps enflammé était près dufeu. On apperçut également le corps de mademoiselle Thuars près dufoyer, et trois ou quatre petits morceaux de bois dans la cheminée,lesquels faisaient présumer qu'il y en avait eu davantage au moment del'embrasement. Si, dans les autres exemples que j'ai cités, on n'a plustrouvé de feu dans la cheminée, ni de lumière dans le chandelier, c'estqu'on était arrivé long-temps après la combustion, qui a quelquefoisduré sept à huit heures, et peut-être plus. Rarement le feud'unecheminée se soutient aussi long-temps sans être entretenu ; la lumièrede la chandelle n'a pas ordinairement une plus longue durée. J'avouedonc qu'en ajoutant beaucoup de foi aux combustions humaines accidentelles, j'éprouve infinimentde répugnance à croire auxcombustions spontanées, ouplutôt je les regarde comme impossibles.

Reprenons l'examen des divers effets de la combustion. Si je suisparvenu à prouver que la combustion n'arrive ordinairement que sur desivrognes, les autres observations, n'étant que les conséquences decette première idée, trouveront une explication facile. J'ai remarquéen cinquième lieu, que lesextrémités du corps de ces femmes avaientété épargnées par le feu.

Les os sont en général difficilement consumés. On peut observer dansles amphithéâtres de dissection, lorsqu'on mêle les os avec le bois,qu'ils résistent très-longtemps à l'action du feu. La chimie peutexpliquer facilement ce phénomène. L'analyse des os a fait connaître,qu'ils sont composés en partie de phosphate de chaux, et que la chaux,avec l'acide qui entre dans leur composition, les empêchent de brûlerfacilement. Voilà pourquoi, dans les combustions humaines, lesextrémités du corps se trouvent souvent épargnées ; lesjambes, les pieds, les mains, les os du crâne, étant peu garnis departies charnues et de graisse, résistent davantage à l'action du feu ;tandis que les os du tronc, environnés de substances plus molles etplus combustibles, présentent moins d'obstacles à l'incinération, Lanon combustion des extrémités du corps, loin d'être contradictoire, estdonc très-naturelle, et justifie en quelque sorte la possibilité de lacombustion humaine.

A mesure que nous avançons dans l'explication de ce phénomène, ilsemble que l'incertitude diminue, et que la conviction augmente. Nousavons observé que quelquefois l'eau,au lieu d'éteindre le feu dansles parties embrasées du corps, n'a fait que lui donner plusd'activité.

On en saisira facilement la raison, en se rappelant que la cause descombustions vient de la qualité des substances alkooliques que renfermele corps des ivrognes ; car si l'on jette de l'eau sur certainesmatières grasses ou spiritueuses enflammées, telles que l'huile oul'eau-de-vie, le feu n'en deviendra que plus vif. C'est ce qui arrivedans le moment où le corps des ivrognes brûle. Aussi l'eau, bien loind'éteindre le feu du corps de la dame de Boiseon, ne fit que le rendreplus vif  et il ne s'éteignit point, que toutes les chairs nefussent consumées. L'eau n'eut pas plus de succès sur la femmede Caen.

Tout le monde pouvant être témoin d'un pareil malheur, qu'on mepermette d'indiquer ici le moyen qu'on employait avec avantage contrele feu grégeois : on parvenait, lorsqu'il prenait au corps humain, àl'étouffer par des peaux humides d'animaux qu'on jetait aussitôt sur lecorps. Mais comme souvent on est privé d'un pareil secours ; et commeil n'y a pas de temps à perdre en cette occasion, peut-être un drapimbibé d'eau, appliqué sur toutes les parties du corps, produirait-ille même effet ; car il ne s'agit, pour éteindre le feu, que d'empêcherla communication de l'air atmosphérique avec le corps en combustion (9).

Mais si le feu était assez vif pour résister à l'action de l'eau, ilparaît difficile d'expliquer comment les objets combustibles en contactavec le corps brûlant de ces femmes, ont été peu endommagés et souventmême épargnés par le feu. C'est le sujet de la septièmeobservation.

Tout le monde fut surpris du peu dedommage arrivé aux meubles de lachambre de Marie Clues. On trouva près du cadavre de Grâce-Pitt, leshabits d'un enfant et un écran de papier qui n'avaient éprouvé aucuneatteinte du feu. Quelqu'un voulant abattre le feu qui consumait lecorps de la dame de Boiseon, le feu s'attacha à sa main, comme s'ill'eut trempée dans de l'eau-de-vie ou dans de l’huile enflammée.Cesremarques prouvent que le feu qui émane des ivrognes, est d'une natureparticulière, qui, en détruisant leur corps, épargne souvent les objetsvoisins. Aussi est-il à observer que le corps de Grace-Pitt seconsumait par un embrâsement sansflamme apparente, à la manière despyrophores qui brûlent assez lentement et avec peu d'activité. On saitque les substances alkooliques ne communiquent pas aussi facilement lefeu aux objets avec lesquels elles sont en contact. Il est donc peusurprenant que le corps des buveurs, imprégné de ces mêmes substances,éprouve les mêmes effets dans la combustion.

On a trouvé à la suite de ces accidens , un tas de cendres, formant lesdébris des corps brûlés: celles de la comtesse de Cezène avaient cettequalité, qu'en les touchant, elles laissaient au doigt une humiditégrasse et fétide. L'appartement était rempli d'une suie légère. Tousles objets qui étaient dans la chambre de Marie Clues, avaient éténoircis, et il y régnait une vapeur très - désagréable. Le tronc deGrâce - Pitt ressemblait à un tas de charbon couvert de cendres.Cesdétails, qui font le sujet de la huitième et dernière observationgénérale, n'offrent rien de surprenant. Ils arrivent toujours dans lacombustion des matières animales. Les cendres qui en proviennent, sontordinairement grasses. Les cendres ne sont pas le seul résidu qu'ellesfournissent ; une partie de ces corps qui a échappé à une combustioncomplète, reste en charbon; l'autre forme une suie onctueuse,pénétrante et d'une odeur désagréable. Les résidus de matières animalessont toujours très-fétides, et les produits qu'on en retire, donnentune odeur empyreumatique très forte; aussi Millet fut éveillé,quoiqu'à une grande distance, par l'odeur infecte du corps de sa femme; et celui de Grace-Pitt exhalaitune odeur si insupportable, qu'ilpensa suffoquer les voisins témoins de cet accident.
 
Je n'étendrai pas plus loin ces observations sur les combustionshumaines. Je crois qu'il n'est personne, après cet examen, quine soitfrappé du rapport qui existe entre la cause de ce phénomène et lesfunestes effets qui en sont la suite. Quelquefois un système embellides charmes de l'imagination, séduit ; mais jamais il ne présente unensemble aussi parfait. Nous avons d'abord vu les faits justifier lesraisonnemens ; les raisonnemens ont ensuite servi à expliquer les faits; et la combustion humaine, qui, au premier aspect, semblait tenir dumerveilleux, a présenté, à l'explication, le plus grand caractère desimplicité : tant il est vrai que souvent le merveilleux est produitpar des effets qui, frappant rarement nos yeux, permettent plusrarement encore à notre esprit d'en saisir la cause.

Quelques personnes pourraient cependant rejeter sur la perversité deshommes, ce que nous attribuons à un accident. Peut-être, dira-t-on, desassassins, après avoir fait périr leurs malheureuses victimes, poureffacer toutes traces de leur crime, auraient imbibé le cadavre dequelques substances combustibles qui l'auraient consumé. Mais quandl'idée d'un pareil crime entrerait dans le cœur de l'homme, elle seraitd'impossible exécution (10). Lorsqu'autrefois on condamnait lescriminels au supplice du feu, combien n'employait-on pas de matièrescombustibles pour brûler leur corps ? Un garçon boulanger, nomméRenaud, fut condamné dans la ville de Caen, il y a quelques années, àêtre brûlé vif : il fallut deux fortes charretées de fagots pourconsumer son cadavre ; et, plus de dix heures après, on en trouvaencore des débris osseux. Ce qui prouve d'ailleurs que la combustionn'était point artificielle, c'est qu'on est souvent arrivé à l'instantqu'elle avait lieu, et qu'on a toujours trouvé le corps dans son étatnaturel. On entra chez madame de Boiseon, au moment où son corps étaiten feu, et tous les voisins en furent témoins. D'ailleurs lespersonnes dont j'ai parlé, étaient presque toutes d'une condition peupropre à exciter la cupidité, source de tant de crimes. La femme dontparlent les Actes de Copenhague,était une femme du peuple ;Grace-Pitt était la femme d'unmarchand de poisson ; Marie Jauffret,celle d'un cordonnier ; deuxautres femmes de Caen, dont j'ai parlé,étaient également de la classe la plus inférieure de la société. Il estdonc incontestable que, dans tous les exemples dont j'ai parlé, lacombustion a toujours été accidentelleet jamais intentionnelle.
 
On voit que ce phénomène n'est pas moins intéressant à connaître pourla justice criminelle, que pour l'histoire naturelle ; car un injustesoupçon peut tomber quelquefois sur des hommes innocens. Qui nefrémirait, en se rappelant l'histoire de ce malheureux habitant deReims, qui, après avoir perdu sa femme par l'effet de la combustionhumaine, manqua périr lui-même sur l'échafaud, injustement condamné parun tribunal ignorant ! Il est étonnant que la police soit aussiindifférente sur de pareilles morts, et qu'on ne s'attache pas ànommer, pour l'examen de tels événemens, des hommes capables d'observeret de juger. Ces visites de police se font plutôt par usage que sousles rapports d'utilité : faut il être surpris si la médecine légaleoffre encore tant d'incertitudes ?

Mais je sens qu'il est temps de m'arrêter, de peur de passer les bornesd'un simple essai. Mon but étant moins d'établir un système, que deciter des faits et de présenter quelques réflexions sur les combustionshumaines, je laisse aux physiologistes et aux chimistes à traiter cettematière plus en détail. Dans ce siècle, où ils se sont ouvert une routenouvelle; dans ce siècle, où, marchant d'un pas assuré vers desdécouvertes plus étendues, ils semblent devenus les confidens de lanature, ils développeront avec avantage le peu d'idées que j'aihasardées sur un phénomène aussi extraordinaire qu'intéressant.

Je me trouverais heureux, si ce côté du tableau des funestes effets del'ivrognerie, pouvait faire impression sur quelques personnes, etsur-tout sur les femmes qui en sont les plus déplorables victimes.Peut-être les détails effrayans d'un mal aussi épouvantable que celuide la combustion, préserveront-ils les buveurs de ce vice honteux.Plutarque dit qu'à Sparte on détournait les enfans de l'ivrognerie, enleur présentant le spectacle d'esclaves ivres, qui, par leurscontorsions hideuses, faisaient entrer dans l'ame des jeunesspectateurs un tel mépris, qu'ils ne s'enivraient jamais. Cependant cetétat d'ivresse n'était que passager. Combien n'est-il pas pluseffrayant dans ces malheureuses victimes consumées par les flammes, etréduites cii cendres ? Puissent les hommes n'oublier jamais que lavigne produit quelquefois des fruits bien amers, les maladies, ladouleur, le repentir et la mort (11) !



NOTES :
(1) J'AURAIS pu citer beaucoup de faits qui prouvent combienl'absorption est active dans le corps humain. Cruiskshank [Chap. 8 del'Anatomie des vaisseaux absorbans.] dit que non-seulement lesvaisseaux absorbans reçoivent le chyle, mais encore qu'on les a vusprendre très-promptement les fluides colorés qu'on jetait dans lesintestins. Il cite les expériences multipliées de Hunter, parlesquelles il leur communiquait, en très-peu de temps, le lait, lasolution d'empois dans de l'eau, colorée d'indigo, l'eau musquée enfintous les fluides qu'il poussait dans la cavité des intestins. Et pourne parler que de ce qui se passe sur le corps vivant, que l'on appliqueun vésicatoire au bras, à la jambe ; avec quelle activité les mouchescantharides opèrent sur les voies, urinaires ? Qu'on fasse desfrictions mercurielles à forte dose sur une partie du corps ; lacommunication ayant lieu rapidement avec les glandes, provoquera lasalivation. Le simple contact ne suffit-il pas pour faire passeraussitôt le virus vénérien dans la masse du sang ? On a vu despersonnes en proie à ce funeste mal, embrasser quelqu'un sur la bouche,et lui communiquer le poison. C'est aussi par la même influence, quetous les jours on guérit des enfans à la mamelle infestés de ce virus,en traitant leurs nourrices attaquées de pareille maladie. Le capitaineKennedi nous fournit un exemple bien surprenant des effets del'absorption [Méthode de guérir les Maladies vénériennes de Clarck,page 557.]. Se trouvant à la suite d'une longue navigation, privé d'eaudouce, il s'avisa de tremper ses habits dans de l'eau de mer, et de lesappliquer mouillés sur son corps. Il rendit, par ce moyen, autantd'urine que s'il eut bu modérément. Il imbibait d'eau ses habits deuxfois par jour avec un tel succès, que la soif était calmée ; sa langue,sèche et brûlée, redevenait humide quelques minutes après. Kennediconvient que lui et six autres personnes de son équipage durent la vieà cette pratique. L'absorption est si forte dans le corps des animaux,que Duhamel ayant nourri des poulets avec de la garance, la partiecolorante de ce végétal passa jusques dans leurs os. Après de telsexemples, on doit être moins surpris que les liqueurs alkooliquespuissent pénétrer dans toutes les parties du corps humain.

(2) Le système de la chimie moderne ajoute de nouvelles preuves auxeffets de la combustion. Si le vin, et sur-tout l'eau-de-vie,l'esprit-de-vin, l'éther, sont particulièrement composés d'hydrogène etde carbone, substances propres à la combustion, qu'on juge del'influence de ces boissons inflammables sur les personnes que j'aicitées pour en faire un aussi grand abus. Leur sang, chargé d'unepartie plus considérable d'hydrogène et de carbone, que ne pouvait luien enlever la respiration, devait les reporter dans le torrent de lacirculation, et ce carbone, extrêmement divisé, devait ensuite serépandre dans toutes les parties de leur corps : aussi leurs musclesmême en étaient-ils imprégnés. La graisse composée, en grande partie,d'hydrogène et de carbone, devait encore beaucoup faciliter lacombustion.

(3) De la délicatesse du corps des femmes vient peut-être celle de leuresprit, plus enjoué et plus léger, mais moins profond et moinssusceptible de persévérance que celui des hommes. Il n'en est pas demême des sentimens de leur cœur, toujours plus vifs ; les passions sedéveloppent en elles avec bien plus d'énergie. Quel homme aima aussipassionnément que Phèdre ? Quel père chérit sa fille aussi tendrementque Clitemnestre ? Quel rival poussa aussi loin la vengeancequ'Hermione ? enfin quel homme se livra avec aussi peu de ménagement àla boisson que les bacchantes ? Et qu'on ne me reproche point d'allerpuiser mes exemples dans l'antiquité ou dans les ouvrages des poètes.En se livrant à d'aimables fictions, ces premiers historiens du mondeont souvent présenté la vérité, et fait des portraits que noustrouverons fidèles, si nous rentrons dans le cercle ordinaire de la viepour y faire des comparaisons. Si l'ivrognerie est un défaut pluscommun chez les hommes, il est cependant porté plus loin chez lesfemmes, quand elles ont le malheur de s'y abandonner.

(4) Il paroît qu'il n'existe point d'exemples de combustion humaine,produite par la foudre. C'est un vieux préjugé depuis long-tempsdémenti par l'expérience. Quelquefois les poètes anciens, profitant decette erreur, pour la faire tourner au profit de la morale,attribuaient ces prétendus embrâsemens, à la colère des dieux. Lespeintres imitant cette fiction, représentaient Jupiter tenant d'un airmenaçant la foudre dans ses mains, toujours prêt à réduire en poudre larace impie de Deucalion. Mais les physiciens, sévères observateurs dela vérité, en convenant que l'homme peut être quelquefois frappé demort par la foudre, n'ont jamais remarqué, qu'elle réduisît son corpsen cendres. .

(5) Les vêtemens que portent les femmes, étant souvent en fil ou encoton et d'un tissu fort léger, comme la mousseline, la gaze,l'indienne, prennent feu avec plus de facilité que les étoffes de lainedont s'habillent ordinairement les hommes. Aussi Gibbons remarque-t-ilque l'habillement de Grâce-Pitt étaitune robe de coton. Les bonnets,les chapeaux de paille, coëffures ordinaires des femmes, ne présententpas plus de résistance au feu.

( 6 ) Je me sers du mot spontané,comme généralement adopté en cetteoccasion, quoiqu'il ne me paraisse pas exact, pris au physique ; carrien ne se fait de rien. Quand le phosphore s'enflamme par le simplecontact de l'air libre, la combustion qui en résulte, n'est pas plusspontanée que celle d'un autre objet qu'on approche du feu, et quibrûle. Il est de la nature du phosphore de dégager facilementl’oxigène, et de s'enflammer par la seule communication avec l'airatmosphérique.

(7) Duhamel cite deux exemples d'embrâsemens spontanés de charbon deterre, arrivés à Brest en 1741 et 1757. Depuis le rétablissement de ceport en 1681, jamais on n'avait vu d'incendie de charbon de terre,malgré la grande consommation qu'on en fait dans ses arsenaux. Ons'avisa d'établir un magasin couvert, que l'on remplit de barriques decharbon. L'événement ne tarda pas à montrer combien la précaution étaitdangereuse : le feu y prit spontanément, il y reprit une seconde foisde la même manière. Duhamel cite un troisième exemple de combustionspontanée non moins surprenant : il eut lieu sur des balots de toilesimprimées d'un côté seulement avec de l'ocre rouge : le feu prit aumilieu des balots, sans que l'extérieur fût endommagé. Des voiliersdéclarèrent que pareil événement était arrivé quelques annéesauparavant ; mais que n'imaginant pas que le feu pût prendre delui-même dans les toiles, ils avaient gardé le silence, de peur d'êtretaxés de négligence. Cet accident a souvent lieu sur des pièces dedrap. Montet, de la Société de Montpellier, en cite plusieurs exemplessur des étoffes nommées impériales.Ces étoffes ne sont exposées àpareil accident, que pendant l'été, lorsqu'elles sont entassées engrande quantité. L'hiver, cet accident n'arrive point, quoiquefortement entassées ; et il n'arrive en aucun temps de l'année,lorsqu'elles sont bien dégraissées. C'est qu'avant de filer la lainequi entre dans ces étoffes, on l'imbibe d'une grande quantité d'huiled’olive, dont l'odeur marque bien que ses principes se désunissent ;'il n'est donc pas étonnant que la fermentation qui a lieu dans cesétoffes entassées, aidée de la chaleur atmosphérique, achève cettedésunion, et produise un embrasement.

(8) Plusieurs fois aussi, on a vu à l'ouverture des cadavres, sortirdes flammes de l'estomac ou des autres parties du corps. Bonami etRuysch, ayant approché une bougie allumée de l'estomac d'un sujet qu'onvenait d'ouvrir, il en sortit aussitôt des vapeurs qui s'enflammèrent.Ruysch observa un effet semblable à l'ouverture de l'estomac d'unefemme, qui quatre jours avant sa mort n'avait pris aucune nourriture ;elle avait le ventre tellement gonflé, qu'on soupçonnait qu'elle étaitgrosse ; un élève ayant à l'ouverture de l'estomac présenté une bougie,il en sortit avec explosion une vapeur passagère, qui, en s'enflammant,donna une lumière jaune tirant sur le vert. Fourcroy et Chaussier ontsouvent remarqué de pareils effets, à l'ouverture des cadavres. Ils enattribuent la cause à la présence du gaz hydrogène, tantôt sulfuré,tantôt carboné, et quelquefois phosphore. Dans ce dernier cas, laflamme peut être spontanée, etdans les autres, la présence d'unebougie allumée, suffit pour la produire. Mais cette flamme est toujoursfaible, de peu de durée, et jamais elle ne produit l'embrasement ducorps, comme dans les combustions humaines.

(9) Le feu ayant pris un jour aux vêtemens de Louis XIV, les courtisanseffrayés restaient immobiles ; mais la maîtresse du roi, la sensible laValière, ne consultant que sa tendresse, se précipita sur lui, et leserrant fortement contre elle, parvint à éteindre le feu : c'est ainsique l'amour, par son dévouement, obtint un résultat aussi heureux quele physicien le plus habile.

(10) On était dans l'usage, chez les Grecs et chez les Romains, debrûler les corps des morts. Homère, Virgile, font souvent ladescription de ces sortes de pompes funèbres. Tout le monde a lu lerécit des funérailles de Patrocle, et celui de la mort de Didon.Quoiqu'on choisît de préférence, pour former le bûcher, l'if, le pin,le mélèze, le frêne, et les bois les plus combustibles [Antiquitéexpliquée par Montfaucon , tome 6.], il en fallait une telle quantité,et la dépense était si considérable, que tout le monde ne pouvaitobtenir cet honneur. Cicéron [Discours pour Milon, et prem. Philip.] etSuétone [Vie de Tibère.] observent que c'était une espèce d'ignominiepour une personne, lorsque son corps n'était qu'à moitié brûlé. D'aprèsl'idée peu honorable que l'on attachait à cette demi-combustion, ilsemble qu'on ne devait rien épargner pour l'obtenir complète. Maisrarement on y parvenait. De-là, comme le remarque Montfaucon, on aquelquefois nommé les urnes funéraires ossaria. J'ai vu moi-même àNîmes plusieurs de ces urnes que l'on venait de découvrir parmi desdébris de monumens antiques, et qui contenaient des os à moitié brûlés: il paraissait qu'on les avait concassés avant de les recueillir. Jen'entrerai pas dans de plus grands détails pour prouver combien de gensmal intentionnés éprouveraient d'obstacles pour incinérer le corpsd'une personne qui n'aurait pas une disposition particulière à lacombustion.

(11) L'ivrognerie n'est peut-être pas un mal aussi incurable qu'on lepense ; souvent ce défaut s'allie avec de grandes qualités ; souventles buveurs sont francs, généreux, spirituels et aimables. On n'a pointencore examiné cette classe d'hommes avec toute l'attention qu'ellepeut mériter; il n'y a pas un seul bon ouvrage sur l'ivrognerie. Ce nesont cependant point les exemples qui manquent. Malheureusement, ilsemble que chez les nations modernes, on ait abandonné à la gaietélégère des poètes un sujet digne de toute l'attention des médecins etdes législateurs. Platon sentait bien l'influence dangereuse de laboisson, quand il défendait aux jeunes gens et aux magistrats de boiredu vin ; et qu'il n'en voulait permettre l'usage aux hommes, que pourcélébrer les bienfaits des dieux et les belles actions des héros.

L'ivrognerie est en général le défaut des gens sans éducation, et despersonnes oisives. Les voyageurs nous représentent les peuples sauvagescomme enclins à ce vice. Rarement on s'y livre chez un peuple où lesmœurs sont policées, les hommes occupés et les femmes respectées. EnFrance, l'ivrognerie est presque réduite à la classe de l'artisan et àcelle du soldat. On voit quelquefois l'homme poursuivi par le malheur,se porter à des excès de ce genre ; mais c'est pour se dérober auxidées tristes qui assiègent continuellement son ame affligée ; levieillard ne s'y abandonne, que parce que tout ce qui l'environnesemble le délaisser. Les jeunes gens éprouvent quelquefois les effetspassagers de l'ivresse ; mais on ne les voit point dans un étatconstant d'ivrognerie ; ils n'attachent aucune jouissance à la boisson,pourvu qu'ils aient la facilité de se procurer d'autres plaisirs.L'ivrognerie est donc une passion factice, vers laquelle les hommes nesont portés que dans un temps et dans une situation où les autrespassions laissent un vide dans l'ame : ils ne se livrent à ce plaisirdangereux, que parce qu'ils n'en conçoivent et n'en peuvent goûterd'autres.

Le caractère particulier des buveurs, et la cause de leurs désordresétant bien connus, ne pourrait-on point donner à leurs actions unedirection différente ? Quel changement ne voit-on pas s'opérer sur leshommes en combattant une passion par une autre ? Avec quel succèsn'emploierait-on pas ce traitement moral sur les ivrognes ? Il nes'agirait chez les uns que d'occuper le cœur ; et chez les autres, dediriger l'esprit vers un objet différent. Alexandre ne se livrait à laboisson que dans les momens de loisir que lui laissait l'amour de lagloire. Les femmes, par l'agrément de leur société, peuvent encorebeaucoup contribuer à corriger les hommes de ce défaut. Pierre-le-Grandpassait des jours entiers à boire jusqu'au moment où il épousal'aimable et spirituelle Catherine. Souvent même l'arme du ridiculequ'on employait avec tant de succès chez les Lacédémoniens, ne seraitpas impuissante contre ce vice. Ainsi l'occupation, la société desfemmes, les nombreuses distractions, et le ridicule, cet antidote sipuissant contre l'amour-propre, sont des remèdes salutaires dont unmédecin moraliste pourrait habilement tirer parti pour guérir del'ivrognerie.

FIN.

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