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LANGE, médecin du roi (16..-1735?) : Histoire de la fillemaléficiée de Courson, avec une dissertationphysique sur ce maléfice.- A Lisieux : Chez J. Du Roncerey,Imprimeur du Roy, du Diocèse, & du Collège, [1717]-32 p. ; in-8°.

Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique dela Médiathèque André Malraux de Lisieux(27.IV.2004)
Texte relu par : A. Guézou
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HISTOIRE
DE LA
FILLE MALEFICIEE
DE
COURSON

Avec une Dissertation
Physique sur ce Malefice

par

Monsieur LANGE Conseiller,
Medecin du Roy

page de titre


MONSIEUR,

VOUS souhaitez que je vous informe moy-même du Fait surprenantarrive depuis peu en Vôtre Ville ; je le fais avec plaisir,& vous verrez par le Memoire que je vous envoye, que nous avonsemployé tous les soins que la prudence a pû Nous inspirer,pour nous asseurer de la vérité de ce Phenomene, &pour éviter les impostures si ordinaires en pareilles occasions.Je demeure d’accord avec vous, que c’est une foiblesse d’esprit qued’avoir une Credulité aveugle pour tout ce qui paroîtmerveilleux, mais je soutiens que ce n’en est pas une moindre, qued’avoir une Incredulité opiniâtre pour les faits les plusévidens, & dont on ne peut douter, sans renoncer autémoignage de tous ses sens. Cette Incredulité quinaît ordinairement de la présomption & de la paresse,ont empêché jusques à present d’aprofondir beaucoupde choses, qui ont peut-être été traitées defables avec injustice, & dont un Examen sans préventionauroit pû avoir son utilité.

Quoy qu’il en soit des autres Evenemens extraordinaires, on ne peutdouter de la verité de celuy cy, & je me flattequ’étant aussi raisonnable que vous êtes, vous en serezconvaincu aprés avoir vû par ce Memoire, combien Nousavons employé d’exactitude pour n’être pas trompez.

MADELEINE MORIN de la Paroisse de Courson, Diocèse de Lisieux,âgée de 22 ans, d’un Temperamment assez bon, d’uneConduite simple & réguliere, ayant eu quelquedémêlé avec une Voisine accusée de plusieursMalefices, pour lesquels elle est actuellement dans les Prisons d’Orbecavec son Mary, en fut menacée, à ce qu’elle a dit, en cestermes, (Autant de paroles que je tediray, ce seront autant deDiables qui t’entreront dans le corps,) & fut priseaussi-tôt de violentes douleurs, & soulevemensd’estomach : il est certain que depuis ce temps elle fut 22 moisà ne pouvoir manger autre chose que des fruits, & àne boire que de l’eau ; pendant ce temps elle a étéplusieurs fois réduite à l’extremité, par desaccidens surprenans, ayant jetté par la bouche en presence deplusieurs personnes des Chenilles, & un Lezard tous vivans.

Le Sieur du Bois Chirurgien du Bourg de Farvaques l’ayantvisitée, luy conseilla pour la soulager de grandes douleurs detête dont elle se plaignoit de faire couper ses cheveux, &d’y faire appliquer un Pigeon vivant, ce fut la Voisine en question quiles luy coupa.

Ayant été conseillée d’implorer le secours divinpar l’intercession de la Ste. Vierge, elle fit le voyage de la Chapellede Nòtre-Dame de la Délivrande prés de Caën,où elle fit dire neuf Messes : pendant la Consecration decinq, elle s’évanouit, & vomit plusieurs Chenilles vivantesjusques au nonbre de vingt-huit, dont la derniere étoit de lagrosseur du petit doigt, & revint parfaitement guerie, comme il estexpliqué par l’Attestation de Messieurs les Chapelains de cetteChapelle.

Le 22. Juin de l’année dernière, cette Fille sortantseule de grand matin, pour aller au Bourg de Farvaques, futmaltraitée, & ce fut à ce qu’elle nous a dit par lamême Voisine, & reçut un coup de Bâton sur laTête, un sur l’Epaule gauche, & un vers l’Estomach, qui lafirent tomber en syncope sur le Côté droit, où saSœur qui accourut à ses cris, la trouva le Visage tout plein desang.

Le Sr. du Bois ayant été apellé le même jourpour en faire la visite, trouva une Contusion avec Excoriation sur lesommet de la Tête, une Contusion sur l’Omoplate gauche, & unesur la region du Foye, & la malade dans une fiévre violenteavec de frequentes syncopes.

Le 10 de Juillet, le Sr. du Bois ayant visité lad. Morin pour degrandes douleurs de tête dont elle se plaignoit, il trouvaà l’endroit de la Contusion quelques aparences de Corpsétrangers, & ayant fait trois incisions, il en tira uneAiguille & deux Epingles.

Le 22. du même mois, ayant fait huit incisions sur le Brasgauche, où elle ressentoit de grandes douleurs, il en tira septEpingles & une Aiguille.

Le 10. de Septembre, il tira six Epingles du Sein gauche.

Le 28. du même mois, il en tira trois sur les fausses Côtes.

Le 3. de Novembre, il en tira huit de la Cuisse & Jambe, le tout dumême côté.

Le dix Janvier 1717. Mr. Lange le Fils Docteur en Medecine, ayantété informé de tout cecy par le Sieur du Bois,& qu’il s’en presentoit encore de nouvelles, se transporta sur leslieux, & en vît tirer sept du Sein  gauche.

Depuis ce temps, comme l’on apprît qu’il s’en trouvoit encore denouvelles, Messieurs les Medecins de Lisieux pour s’éclaircirentierement du fait, & pour éviter toute surprise, jugerentà propos de la faire aporter en cette Ville, où ellearriva le 28. Janvier, on la logea dans une Chambre de l’HôpitalGeneral, [       ] mit àla garde de deux Sœurs, qui l’ont observée jour & nuit sansla perdre de vûë, veillant alternativement toutes les nuitsauprés d’elle, & après qu’on luy eut tiré lesoir de son arrivée une Aiguille du Sein gauche, presence deplus de cent personnes, & le lendemain trois Epingles du Seindroit, une du Bras gauche, & une deux doigts au dessus duGenoüil du même côté, en presence de plus demille personnes, & n’en ayant, aperçu aucune autre surtoutes les parties de son corps, on prît la précaution deluy faire ôter tous ses habits jusques à la chemise, &de luy en donner d’autres, & de la peigner ; enfin onprît toutes les précautions possibles pour s’asseurer dufait, ne s’étant point passé de jour, que Messieurs lesMedecins ne l’ayent visitée.

Le 30. du même mois, il commença à enparoître une dans le Sein gauche, & il en parût de jouren jour de nouvelles, en differentes parties du corps, sçavoirdeux dans le Sein droit, deux dans le gauche, une à la Cuisse,une sur l’Omoplate gauche, une sous l’Aisselle, & une sur la regionde l’Estomach, qui furent toutes tirées le six Févrierà neuf heures du soir, & presence de Mrs. les Medecins,& d’un grand nombre de personnes de distinction.

Entre le six & le dix du même mois, il en parût encorequatre, & comme on crût avoir pris assez de mesures, lesParens de la Fille étant venus pour la reporter chez elle, on entira encore deux, pour la satisfaction de plusieurs personnesdistinguées, sçavoir, une sur l’Omoplate gauche, &une sur les Côtes droites, on n’en voulut pas tirer d’avantage depeur d’affoiblir la malade.

Depuis son départ de Lisieux jusques au 29. d’Avril, le Sr. duBois nous a attesté, qu’elle a vomi 62. Epingles & uneAiguille, presques toutes courbées, avec fiévre &vomissemens de sang, & qu’il luy en a tiré dix, trois dansles Joües, une entre les Epaules, & le reste dans les Bras& sur les Côtes.

Pendant le sejour qu’elle a fait en cette Ville, Messieurs les Medecinsla visitant tous les jours, ont fait les Remarques suivantes.

1°. Les Epingles qu’on a tirées sont toutes sans tête,les unes de Fer, les autres de Leton, de differentes grosseurs, toutescoupées aparemment avec des Ciseaux, celles qui sont de Fer sontun peu noires, aussi bien que les Aiguilles, qui sont coupées aucommencement de leur fente, les Epingles de Leton conservent leurveritable couleur.

2° Avant que les Epingles paroissent, la malade est prise de mauxde Cœur, & d’un peu de fiévre, souvent elle vomit dusang ; ensuite aux endroits où elle sent de la douleur, ilparoît dans le fond des chairs, comme une petite dureté,qui de jour en jour se dévelope, & fait sentir la figured’une Epingle, à mesure qu’elle aproche de la superficie deschairs, de sorte que vers le troisiéme jour on les sent sous ledoigt, en plusieurs situations obliques, cependant la pointetoûjours le plus proche de la peau.

3°. De plus de 52. Epingles, qu’on a tirées, il n’y en a paseu deux, qui ayent pris la même route dans les chairs, &qu’on aye pû tirer par la même incision ; ce quiparoît de plus surprenant dans ce Phenomene, c’est que de cegrand nombre d’Aiguilles, & d’Epingles qui ont penetré,& traversé en tous sens les Muscles &particulièrement les Glandes du Sein, il n’y en a aucune qui ayepiqué le moindre Vaisseau, ny fait aucun épanchement deliqueurs dans les parties, de sorte qu’à l’incision prés,elles ont paru aussi saines avant, & après l’operation, quesi aucun Corps étranger ne les avoit penetrées.

4°. le 5. Février à dix heures du soir, elle futprise d’une Convulsion suivie de grands efforts de vomir ; elle nerendit qu’un peu de sang, après quoy elle se plaignit de grandesdouleurs dans la region de l’Estomach, où l’onaperçût une petite dureté, & le lendemain ausoir on luy tira une Epingle du même endroit la pointe en haut.

5°. Pour tirer les Epingles, on attend qu’elles soientarrivées assez prés de la peau, pour en toucher les deuxextremitez. le Chirurgien les pressant avec le doigt fait avec leBistori une incision de deux lignes de profondeur surl’Extremité qui paroît le plus proche de la peau,après quoy poussant un peu l’Epingle par le gros bout, la pointesort par l’incision, puis on la tire avec une petite Pince, on metensuite sur la playe un peu d’huile d’Olive, & elle se trouveguerie en quatre ou cinq heures sans aucune suppuration ; de cettemaniere on a tiré toutes les Epingles & Aiguilles, àla reserve d’une qui est restée depuis plus de deux mois dans leGenoüil, & qu’on n’a pû tirer à cause de saprofondeur.

On peut s’asseurer que toutes ces choses ont étéobservées par Messieurs les Medecins, Chirurgiens &Apotiquaires, & par toutes les personnes de bon sens qui les ontvûës avec toute l’exactitude possible, & même avectous les préjugez d’incredulité, qu’on peutraisonnablement avoir pour un Fait aussi surprenant que celuy-cy ;ainsi, Monsieur, vous pouvez compter sur une entiere certitude, &sur la fidelité de ce Memoire, qui est attesté par cinqDocteurs en Medecine, quatre Chirurgiens jurez, & deux Apotiquaires.

Mais pour revenir à vôtre Lettre, vous me demandez uneseconde chose, sur laquelle je ne me flatte pas de pouvoir voussatisfaire aussi facilement que sur la premiere ; vous voulez queje vous envoye mon sentiment sur un Fait si extraordinaire : vousêtes Philosophe, vous ne vous payez que d’Evidence, & je n’ayque des Conjectures à vous donner. D’ailleurs on ne peut formeraucun Systeme pour rendre raison de ce Fait, sans marcher par desroutes inconnuës, & pleines de tenebres, & oùpersonne n’a encore osé hasarder les démarches de sonesprit ; les uns ont mieux aimé jusques à presentnier les Faits de cette nature que d’en rechercher les causes, &les personnes pieuses, mais qui n’ont pas une Philosophie exacte, ontcru satisfaire leur esprit, en faisant intervenir les Démons,sans examiner de quelle maniere ils le peuvent faire.

Mais nous qui sommes persuadez qu’il n’y a que Dieu seul qui soitMaître de la nature, qui en puisse changer les Loix qu’il aétablies de toute Eternité, qu’il ne le fait jamais, quelors qu’il fait des Miracles, ce qui arrive tres-rarement, & pourdes raisons dignes de sa sagesse infinie ; que cette nature quin’est autre chose que la volonté du Createur, qui meut lamatiere selon les Loix constantes, & invariables, mais tres simplesde la mecanique, dont nous avons une idée claire, ne peutêtre violée par aucune intelligencecréée ; nous croyons par cette raison qu’on ne peutexpliquer les effets les plus surprenans, mais qui ne sont pas desMiracles, qu’en suivant exactement ces Regles.

Il y a deux sortes de Mecanisme, le Naturel & l’Artificiel, leNaturel consiste dans l’Action mutuelle des Corps les uns sur lesautres, selon les Loix de la Communication des mouvemens, Loix qui quoyque tres-simples, suffisent pour maintenir l’Univers dans l’arrangementoù le Createur l’a mis, pour déveloper tous les Corpsorganiques que Dieu a formez dés le commencement du Monde, &pour entretenir toutes les fonctions naturelles, vitales, &animales dans les Plantes, & les Animaux.

Le Mecanisme artificiel consiste dans l’Action des Estres intelligenssur les Corps organiques ausquels ils sont unis, & dans le pouvoirqu’ils ont au moyen de cette Action, de remuer les Parties de lamatiere qui les environnent, & d’en regler les mouvemens suivantleurs desseins particuliers : de la Combinaison de ces deuxMecanismes naît une varieté infinie d’effets de l’Art,& de la nature, mais qui tous peuvent être connus, &expliquez par l’esprit humain, lors qu’il est imbu d’une bonnePhilosophie ; la Geometrie. & la Mecanique nous donnant desidées évidentes de la matiere, & de ses mouvemens,& ce que l’Art y peut ajoûter étant à laconnoissance des mêmes Esprits qui en sont les Inventeurs.

Or le pouvoir qu’a un Estre intelligent de remuer les differentesparties de son corps, ne consiste qu’en ce qu’il peut par un ouplusieurs Actes de sa volonté, déterminer comme causeoccasionnelle le cours des esprits animaux dans les differentes partiesqu’il veut actuellement mouvoir, je dis déterminer, parce quetous les efforts d’une volonté créée, nepourroient pas donner le moindre mouvement à la plus petitePortion de matiere qui seroit en repos, & les esprits animaux quisont composez des parties les plus actives du sang mêléesavec les parties élastiques de l’Air, ont toute la force &l’activité necessaires, & n’ont besoin que d’êtredéterminez vers les Muscles, pour y faire les fonctions animales.

Pour prouver que tous les efforts d’une volontécréée, ne peuvent donner le moindre mouvement à laplus petite portion de matiere qui seroit en repos, il ne faut que sesouvenir que Dieu dés le commencement de la création dela Matiere, y a mis une quantité déterminée demouvement, & la conserve toûjours, sans qu’aucun Agent lapuisse augmenter, ny diminuer ; de sorte qu’un Corps ne peutêtre remué que par le choc d’un autre Corps, qui soitactuellement en mouvement, & qui en perd autant qu’il luy encommunique, & c’est sur ce principe que roulent presque toutes lesdémonstrations de la Mecanique.

Il faut encore remarquer, qu’il n’y a qu’une portion des espritsanimaux, qui soient soûmis aux ordres de l’ame, tous ceux quisont destinez pour les fonctions naturelles, pour le battement du Cœur,des Arteres, & pour le mouvement d’oscillation des Fibres motrices,qui avancent, ou reculent la Circulation des liqueurs, & facilitentles Philtrations, tous ces esprits dis-je sont entierementindépendans de la volonté ; c’est pourquoy willis& plusieurs celebres Modernes leur ont assigné desréservoirs differens, sçavoir le Cerveau pour lesmouvemens volontaires, & le Cervelet pour les naturels.

Il me semble qu’on ne sçauroit trop admirer l’Autheur de lanature, en contemplant cette diversité prodigieuse d’effetssurprenans, qui naissent d’une source si simple ; car enfin de ceseul pouvoir qu’a l’ame de déterminer le mouvement rapide &impetueux d’une petite portion de la matiere, naissent uneinfinité de merveilles de l’Art, qui font tous les joursl’admiration des hommes mêmes, & où nous voyons lanature forcée pour ainsi dire de s’ajuster à nos volontez.

Mais, Monsieur, qui nous a asseuré que nos ames sont les seulsEstres intelligens qui ayent le pouvoir de remuer les Corps dans lesens que nous l’avons expliqué ? la Foy, & la raison nenous aprennent-elles pas qu’il y a un nombre infini de substancesspirituelles, dont les unes étant parfaitement unies auxvolontez divines, ne sont occupées qu’à lesexécuter, & à nous proteger, & les autresdéchuës de leur innocence originelle, & remplies dejalousie contre le Genre humain, cherchent tous les moyens possiblespour nous persecuter.

La Foy nous aprend que la plûpart des bonnes inspirations, &des tentations viennent des bons & mauvais Esprits, mais la raisonnous persuade en même temps, qu’ils n’ont aucun pouvoir immediatsur nos Ames, lesquelles étant parfaitement unies à leurCreateur, & ne dépendant que de luy, ne reçoivent quede luy seul les idées claires qui leur découvrent lesveritez intelligibles, & les sensations qu’elles ont àl’occasion des mouvemens du Corps.

Il est donc évident que les Esprits bons & mauvais nepeuvent agir sur nous qu’en remuant les Organes, où sontattachées les modifications de nôtre Ame, & parconsequent, que ces Estres intelligens sont établis aussi bienque nos Ames causes occasionnelles des mouvemens des Corps : Ilfaut maintenant examiner de quelle maniere nous pouvons concevoir quecela se fasse.

Comme les Esprits celestes sont dans la contemplation continuelle del’Ordre, & qu’ils ont une revelation immediate de tous les Decretsde la divine Providence, dont ils sont les Exécuteursfidéles, & ausquels ils obéïssent exactement, iln’y a pas d’inconvenient de croire que leur pouvoir s’étend surtous les Corps en general & en particulier, puisqu’ils n’en peuventjamais abuser ; car soit qu’ils suivent des voyes ordinaires, ouextraordinaires, ils ne le font jamais qu’en exécution desvolontez divines.

Mais il est impossible de dire la même chose des mauvais Anges,& on peut asseurer, qu’étant déchûs de leurpremiere innocence, & n’ayant plus que de l’aversion pour l’Ordre,& pour la Justice, si ce pouvoir leur étoit resté,ils en abuseroient tellement, qu’il n’y auroit aucune seuretésur la Terre ; puisque d’un seul acte de leur volonté ilspourroient confondre tous les Elémens ; & faire pour ladestruction des hommes d’aussi grands prodiges, que St. Michel en afait pour la conservation & la conduite du peupled’Israël : Il est donc constant que leur pouvoir nes’étend que sur une petite portion de matiere, & qu’ils nepeuvent agir, non plus que nous sur les Corps, qu’en suivant &menageant les Loix d’un Mecanisme artificiel.

Cela étant, je crois qu’un Physicien ne doit point se faire unpoint d’honneur de n’admettre jamais l’intervention des Démons,lorsque les raisons prises de la nature, & de l’art luy manquent.Car de même que si on luy montroit pour la premiere fois uneMontre, comme il n’en pourroit pas expliquer les mouvemens par les Loixdu Mecanisme naturel, il ne balanceroit pas à dire que l’esprithumain seroit intervenu dans cét ouvrage, & qu’il en auroitarrangé les parties avec industrie, dans le dessein de reglerles mouvemens de cette machine, selon le cours du Soleil, de mêmelorsque les raisons prises des Loix de la nature, & de l’industrieluy manquent, sçachant qu’il y a d’autres intelligences dans lemonde, il n’est pas honteux de les supposer pour auteurs de ce qu’on nepeut expliquer autrement.

Ce qui choque les esprits forts, & ce qui les a plongez dansl’incredulité là-dessus, c’est que lors qu’on a faitintervenir le Démon dans quelques occasions extraordinaires, lacredulité & la superstition luy ont donné un pouvoirsans bornes ; après cela l’imagination a forgé millecontes frivoles de faits miraculeux, & a revêtu les chosesles plus averées de mille circonstances, dont on adécouvert la fausseté.

Mais si on conçoit le Démon comme un Esprit malheureux,décheu de sa premiere felicité, & du pouvoir qu’ilavoit sur toute la nature, lorsqu’il étoit le fidéleExécuteur des volontez bien-faisantes de laDivinité ; qui de Prince de lumiere est devenu Prince detenebres, comme dit l’Ecriture, qui comme dit St. Augustin aété précipité de la regionlumineuse du Ciel dans la region grossiere & épaisse del’Air inferieur. In hujus Aëirsimam caliginem de supernaCoelesti habitatione dejecti. (Aug. de Genesi ad Litteram. l.3a.10.)qui selon St. Bernard, étant destiné au feuéternel, & n’y étant pas encore plongé, estlaissé dans l’Air pour y exercer encore pendant quelque temps samalignité sur le Genre humain. Definitaquidem, sed nonpromulgata sententia est, denique jam Diabolo ignis paratur, etsinondum ille præcipitatus in ignem, modico adhuc tempore siniturmalignari. (Bernard. Sermone de Transitu Sancti Malachiæ.)Sin’ayant que tres peu de pouvoir, il est obligé d’user de finessepour nous surprendre, si enfin on se persuade, comme il esttres-vraisemblable qu’il ne peut agir par sa volonté que sur unetres-petite portion de la matiere, & qu’il ne peut la remuer queselon les Loix de la Mecanique ; on pourra peut-êtreréduire en Systeme toutes ses operations : mais comme iln’y a pas d’aparence qu’il veüille nous découvrir lesressorts qu’il fait joüer, & que vous & moy n’avons pasenvie d’avoir le moindre commerce avec luy pour en êtreéclairez, quand il le voudroit faire ; il faut nous entenir aux conjectures, & réflechissant sur ce qui se sepasse en nous dans les productions de l’Art, découvrir commentil agit pour exécuter les Malefices.

Nous avons un sentiment interieur de l’existence de nôtre Ame,qui ne peut jamais nous tromper, quand nous douterions de tout, nous nepourrions jamais douter que nous ne soyons des Estres qui doutent,& par consequent des Estres qui pensent : mais nous n’avonsaucune idée répresentative de l’éssence denôtre Ame & de ses proprietez, & nous ne connoissons lesmodifications de la pensée qu’à mesure que nous leséprouvons, & par sentiment interieur : Nous avons uneidée de l’étenduë qui nous endécouvre toutesles proprietez quelques infinies qu’elles soient, & nous formonstous les jours des démonstrations sur des figures que nousn’avons jamais vûës, & que peut-être nous neverrons jamais : mais il est tres-probable qu’il y a un nombreinfini de modifications de la pensée, dont nous n’avons àpresent aucune connoissance ; il paroît que toutes lessensations & toutes les passions que nous avons en cette vie neregardent que le Corps, & comme nôtre Ame est faite pourêtre éternellement unie, & d’une union beatifiqueà son Createur, il est certain qu’elle aura dans cetemps-là des modifications, dont à present elle n’aaucune idée. C’est ce qui a fait dire à St. Paul, quejamais l’œil n’a vû, ny l’oreille entendu, & que l’esprithumain ne peut comprendre les plaisirs que Dieu prepare à ceuxqui l’aiment. Nous ne pouvons donc juger du Démon non plus quedes autres Estres intelligens sur aucune idéerépresentative, mais sur de simples conjectures, en leurtransportant pour ainsi dire tout ce que nous éprouvons qui sepasse en nous même.

La Religion nous enseigne que le Démon est nôtre ennemi,qu’il cherche tous les moyens possibles pour nous tenter, soit encorrompant nôtre imagination, soit en excitant nos passions. Ilne peut le faire comme je l’ay dit, en agissant immediatement surnôtre Ame, parce qu’il n’y a que Dieu seul qui aye le pouvoir dela modifier, il ne le fait donc qu’en agissant sur les Organes duCorps. Or il ne le peut faire que d’une de ces deux manieres, ou commecause occasionnelle immediate de la détermination du mouvementdes esprits animaux qui sont dans nôtre Cerveau, ou en remuantnos Organes par l’impulsion de quelque Portion déterminéede matiere étrangere, qu’il a le pouvoir de faire agir. Lepremier ne peut se soutenir, car le Démon auroit le mêmepouvoir que nôtre Ame sur nos esprits, nous ne serions plus lesmaîtres des mouvemens volontaires de nôtre Corps, & onpourroit dire que nous serions tous possedez du maladin esprit, il fautdonc s’en tenir au second moyen, & supposer que le Démon nepeut agir sur nos Organes, qu’au moyen d’une Portion de matiere qu’ilanime, & par laquelle il les remuë.

Mais comme nous ne devons pas abandonner les principes de Mecanique, ilfaut necessairement, 1°. Que cette Portion de matiere, où ceCorps soit rempli d’esprits, c’est à-dire de corpusculestres-subtils & tres-agitez, puisque nous avons prouvé qu’iln’y a point d’Estre intelligent créé qui aye le pouvoirde remuer un Corps qui est en repos. 2°. Il faut que ce petit Corpsaye des Organes, afin que ces esprits déterminez par leDémon excitent les mouvemens, & les impulsions necessairespour ses desseins. 3°. Il faut que ce Corps organisé que leDémon anime soit invisible. 4°. Il faut qu’il puissepenetrer jusques aux endroits les plus reculez de nôtre Corps,pour y exciter ces mouvemens dans les Organes immediats des sensations& des passions.

Je ne crois pas pour cela que le Démon aye avec ce Corpsorganisé une union qui le rende l’Ame de ce Corps, comme noussommes l’Ame du nôtre ; nous sommes unis ànôtre Corps d’une union formelle, & substancielle : laTheologie & la Philosophie la plus saine nous persuadent qu’il n’ya que dans nous que les deux Creatures, spirituelle & corporelleayent une pareille union, & quand toutes les raisons prises de laReligion ne nous en convaincroient pas, le plaisir, & la douleurnous interessent trop à conserver cette union entre deuxsubstances, qui à une petite interruption prés, sontdestinées à être éternellement jointes l’uneà l’autre, pour ne nous pas persuader de cetteverité : Ainsi quoy que je puisse produire letémoignage d’un grand nombre de Peres de l’Eglise, qui ontcrû avec Lactance que les Démons étoientcorporels ; je crois que l’union que je suppose entre cet Esprit,& les Corps organiques qu’il anime, n’est qu’une union qu’on peutappeler Instrumentale, tellequ’on peut concevoir entre un Pilote,& le Navire qu’il gouverne, ou entre un Organiste, & l’Orguequ’il fait joüer.

L’Ecriture Sainte & les S S. Peres nous enseignent, que l’Airinferieur que nous respirons est la demeure des Démons, qu’onapelle pour cela les Puissances de l’Air, soit comme croyent S. Bernard& plusieurs autres, qu’ils y soient releguez en attendant qu’auJugement dernier ils soient précipitez dans les flâmes del’Enfer, qui leur sont préparées, soit comme le croyentplusieurs autres, qu’une partie de ces Esprits rebelles, ayant moinspeché que les autres, soient demeurez en chemin, où ilssouffrent une punition proportionnée à leur faute, soitenfin qu’ils ayent le pouvoir de quitter leur Prison, pour venirtourmenter les hommes ; quoy qu’il en soit de toutes ces opinions,tous conviennent suivant S. Hierôme, que leur résidenceordinaire est dans l’Air. Hac autem,dit-il, omnium Authorum opinoest, quod aër iste, qui Cælum & Terram mediusdividens inane appellatur, plenus sit contrariis fortitudinibus.(inEphes. v. 1.12) Ainsi si on peut prouver que l’Air est rempli de petitsCorps organiques invisibles remplis d’Esprits animaux, & de Membrespropres à exécuter les desseins malins de ces Estresintelligens, on pourra supposer avec bien de la vraisemblance que cespetits Corps sont les instrumens de leurs Malefices.

Vous êtes Philosophe, Monsieur, & délivré detoutes les erreurs de l’Ecole, qui ne juge de la réalité& de la perfection des Estres que par leur masse, & qui atraité jusques à present les Insectes comme de petitsAnimaux imparfaits, & engendrez de corruption : Avec quelleadmiration n’avons-nous point contemplé les actions de cespetites Machines vivantes, lorsque nous comparions une Abeille avec unBœuf qui n’a pas seulement l’instinct d’étendre sa paille pourse coucher à son aise, pendant que ces petits Animaux sanscompas & sans instrumens, se bâtissent de petites Maisonsdans toutes les régles les plus exactes de la Geometrie & del’Architecture ? Combien de fois avons-nous consideré avecétonnement les laboratoires chymiques que ces petits Animauxportent dans leurs entrailles, où se forment des Extraicts siprecieux de la rosée, & du suc des fleurs que les Artistesles plus habiles ne pourront jamais imiter, ces Mausoléesmagnifiques, que les Vers à soye & plusieurs autres Insectesse préparent eux-mêmes, où ils s’ensevelissent tousvivans, pour y mourir, & ressusciter ensuite avec une beautécharmante ? Ils font cependant tout cela machinalement & n’ontpour principe de leurs actions d’autre intelligence, que celle qui lesa formez, & qui par la seule figure, situation, &varieté de leurs petits Organes animez par les Esprits animaux,nous donne un spectacle digne d’amiration, & un objet auxobservations les plus serieuses de Messieurs Redi, Suammerdam, &Leuvenhoec, & de plusieurs Physiciens tres-celebres.

Mais comme à l’aide du Microscope on en découvre, quisont absolument invisibles à nos yeux, & qui ne paroissentmême avec cet instrument que comme de petits Atomes vivans, quepar la proportion que nous concevons de ces petits insectes invisiblesavec le Corps humain, nous jugeons qu’il n’a point de partie oùils ne puissent penetrer, que d’ailleurs quelques petits qu’ils soient,nous pouvons leur concevoir des Organes aussi parfaits qu’aux autres,& des Esprits animaux qui les animent ; en supposant lavolonté de ces Estres intelligens nos ennemis, causeoccasionnelle de la détermination des esprits animaux d’une ouplusieurs especes de ces petites machines invisibles ; nouspourrons sans choquer la vraisemblance établir un Systeme, quiexpliquera les illusions, les tentations, & les autres effets lesplus surprenans de la malice des Démons lorsqu’ils seront bienaverez.

Car il y a trois conditions requises pour rendre un systemevraisemblable ; la premiere, que le Fait en question n’aye pointde causes qui puissent tomber sous les sens, la seconde, que la causequ’on suppose existe actuellement dans la nature ; & latroisiéme, que par la supposition de cette cause, on renderaison de toutes les circonstances du Phenomene qu’on veutexpliquer : Toutes ces conditions se trouvent dans le Systemetres-simple que je vous propose, comme je vous le feray voir dans lasuite.

Quoy que je ne vous donne cecy que pour une simple conjecture, ellen’est pas cependant dénuée de preuves, parmy lesquellesj’en trouve trois qui ne vous paroîtront pas méprisables.La premiere est, que si le Demon pour la premiere des hostilitez qu’ila exercées contre le Genre humain, s’est servi d’un Insecte,visible à la verité, parce qu’il tenta Eve en agissantsur ses Organes exterieurs, n’ayant aucun pouvoir sur les Organesinterieurs d’une personne qui étoit encore dans son innocenceoriginelle. Il peut bien lorsqu’il veut séduire les hommes seservir d’Insectes invisibles pour agir interieurement en remuant lesOrganes du Cerveau, & y exciter les imaginations criminelles, &les passions. La seconde est, que l’introduction des Insectesaëriens invisibles dans le Corps humain n’est pas une choseinoüye : Kirkerus, Langius, & plusieurs celebresPhysiciens ont découvert que la cause immediate de la peste,& des maladies pestilentielles, est l’entrée d’une especeveneneuse de ces Insectes dans le Corps humain, qui après avoirrongé & consumé en peu de temps les principes de lavie, vont faire leurs œufs dans les Emonctoires, où se formentles bubons pestilentiels, & où l’on a découvert unefourmillere de petits Vermisseaux, qui comme vous sçavez ne sontque les fétus de ces Insectes volans envelopez dans leursNymphes, dont ils se dépoüillent enfin pour s’envoler enl’Air ; comme on perfectionne tous les jours le Microscope, je nedésespere pas qu’on ne découvre à la fin que lacause de plusieurs maladies extraordinaires & inconnuës, commesont la Rage, l’Epilepsie, & quelques autres, ne soitl’introduction d’Insectes invisibles de differentes especes. Enfin latroisiéme preuve est le nom que le Prince des Démonss’est donné, lorsqu’il a voulu se faire adorer, & qui luyest demeuré jusques à present, nom qui est siéloigné de la Majesté d’une Divinitéprétenduë, qu’il paroît avoir étéforcé par une Puissance superieure de le prendre, pour marqueraux hommes la honte de sa chûte, & la bassesse de sonemploy ; car vous sçavez que Béelzebub signifie DieuMoucheron, ou Dieu des Moucherons, qui est le genre de tous cesInsectes aëriens visibles & invisibles.

Il est temps, Monsieur, après ces préliminaires d’entreren matiere, ainsi nous allons d’abord apliquer nos principes pourexpliquer la tentation, les illusions, & tous lesdéreglemens de l’imagination causées par cesintelligences ennemies, puis nous rechercherons les causes de ce qu’ily a de plus surprenant dans la maladie de cette Fille.

Quoy que j’aye entrepris, Monsieur, de vous décrire les exploitsde ce Prince de l’Air, je ne prétends pas en faire monHeros ; je vous avouë que j’ay une tres-petite idée deson habileté : Dieu qui ne permet pas que nous soyonstentez au dessus de nos forces, n’a laissé aparemment quetres-peu de lumieres & de pouvoir à nôtre Ennemidepuis sa chûte, aussi ne se communique-t’il qu’à despersonnes fort grossieres, & avec tout cela je suis du sentiment deVauhelmont, qui croit qu’il a si peu d’esprit, que dans les Maleficesun peu extraordinaires, il est obligé de se servir de celuy desSorcieres qui le mettent en œuvre, & dont il n’est quel’écolier. Vis incantamentipotissima, dit-il, pendet abideanaturali saga. (Cap. Recept. inject. v. 19.) D’ailleursl’ouvrage dela tentation luy coûte peu de travail & d’industrie ; iltrouve dans le Corps humain les materiaux tous prêts àmettre en œuvre, & il n’a qu’à les remuer.

Il y a trois parties dans nôtre Corps, qui sont les magasins desinstrumens de nos passions, & qui renferment les levains propresà les enflamer, à les entretenir, & àséduire nôtre cœur : le Foye contient la bile quiallume la colere, la Rate renferme l’humeur melancolique propreà exciter la tristesse, la haine, le desir de vengeance, &les autres passions tristes, & les Parties destinéesà la conservation de l’espace, renferment des levains propresà allumer les passions contraires à la continence. Lesobjets ordinaires de la cupidité agissant sur nos sens, yexcitent des mouvemens qui se communiquent au Cerveau, donnent desémotions tumultueuses aux esprits, & des passions vivesà l’ame ; ces émotions séditieuses desesprits, par une Mecanique que Descartes & willis ont tres-bienexpliquée, irradiant dans les Nerfs vague & intercostal, quise répandent dans les Visceres, qui contiennent les sucs dont jeviens de parler, expriment & font couler dans le Sang, & delà au Cerveau ceux qui sont propres à entretenir &à fortifier la passion allumée.

Le Démon de son côté au moyen du petit Corpsinvisible qu’il anime, entre & penetre facilement dans tous lesplus petits recoins du Corps humain, où il étudie &imite les mouvemens interieurs des Fibres que les objets ontexterieurement excitez, & fait dans la partie imaginative lesmêmes émotions que les objets font dans la partiesensitive, & souvent avec autant de force que les objets enemployent pour exciter les sensations, & c’est ce qui forme lesillusions & les phantômes. Il fait plus, il va jusques dansles receptacles de ces sels fermentatifs, il les transporte au Cerveau,& par leur moyen entretient & les idées & lesémotions qui portent au peché. Lors qu’il rencontre ceslevains dépravez, particulierement ceux de la Rate, & desGlandules seminaires, ce qui est ordinaire aux hommes atrabilaires& aux femmes & filles sujettes aux affections histeriques, ilcharie dans le Cerveau un amas de ces sels qui excitent dans lesesprits animaux ces violentes tempêtes ausquels la raison ne peutresister, & si on suppose, comme on le peut faire aisément,qu’il dirige selon ses desseins ces levains dépravez dans lestraces du Cerveau, où sont attachées les sensations &les imaginations, on n’aura pas de peine à expliquer tout ce quiarrive aux possedez & aux fanatiques, qui ne different desManiaques qu’en ce que leurs paroles & leurs actions supposant desconnoissances qu’ils n’avoient pas auparavant, paroissent manifestementêtre dirigées par une intelligence étrangere. Toutcela cependant se fait d’une maniere si grossiere & si peu suivie,qu’il donne une pitoyable idée de ces esprits malins, &c’est ce qui fit dire agréablement à une personned’esprit, après avoir entendu le mauvais Latin que parloient lesReligieuses de Loudun, que le Démon qui les possedoit n’avoitétudié qu’en Sixiéme.

Venons maintenant à la Fille qui fait le sujet de cetteLettre. Il y a d’abord lieu de conjecturer que le Démonexcité contre elle, & mis en œuvre par quelque personneennemie, après avoir parcouru tous les recoins de son corps, n’ya point trouvé de ces sels dépravez, & propresà exciter les symptomes d’une possédée : eneffet sur le raport de toutes les personnes qui l’ont connuë,& dirigée, & sur un examen exact de toutes ses actionspendant quatorze jours, nous luy avons trouvé de la douceur,& de la sagesse, point de passions dominantes, une pietésans superstition, & beaucoup d’attachement à son devoir,& de résignation à la volonté de Dieu, simple& sans affection ; tout cela ne sent point la melancoliedépravée, ny les dispositions aux fureurs uterines, ainsile Démon ne pouvant l’attaquer par ces endroits, aemployé les moyens exterieurs, & a joüé dans leCorps de cette pauvre souffrante les Tragedies extravagantes, dont vousavez vû le détail.

Si nous n’avions à expliquer que la generation & l’expulsiondes Chenilles, il nous seroit aisé de le faire, par le Mecanismenaturel, car on peut supposer sans peine, que cette Fille ayantavalé dans quelques fruits ou legumes, dont elle a fait pendantsi long temps son unique nourriture, une bonne quantité depetits œufs presque invisibles de ces Insectes, ces œufs se sonttrouvez dans son Estomach envelopez dans une abondance de cruditezpasteuses. Là comme dans leur Matrice, à l’abri despointes du dissolvant de l’Estomach, qui dans la perte d’apetitoù elle étoit actuellement étoient fortémoussées, ils ont été couvez & ontéclos par la chaleur de cette partie, & au moyen des fruits,herbes, & de l’eau, qui étoit la seule nourriture de cetteFille,  & leur aliment ordinaire, sont parvenus à cepoint d’acroissement où on les a vûs ; ainsi ceteffet quoy que tres-singulier, pourroit bien n’avoir rien que denaturel.

Il n’en est pas ainsi de celuy des Epingles & Aiguilles, ce ne sontpoint des Corps qui puissent être formez ny nourris dans le Corpshumain : quand on supposeroit que plusieurs Corpusculesmetalliques cachez dans les alimens auroient pû se reünirdans le Corps par les differentes fermentations, &précipitations qui s’y font, elles ne pourroient produire que depetites masses informes ; mais ce sont de veritables Epingles& Aiguilles formées & aiguisées de main d’hommequ’on a tirées & qu’on tire tous les jours, dont on amanifestement coupé les têtes, où les vestiges desCiseaux paroissent encore, dont il y en a quelques unes qui sontdemeurées courbées par l’effort qu’on a fait en lescoupant, & qui luy ont fait beaucoup plus de douleur que lesautres, lors qu’on les a arrachées ; ainsi dansl’explication de ce Phenomene, il faut necessairement avoir recours aumecanisme artificiel : Voyons donc ce qui peut venir de l’homme,& ce que nous serons contraints d’attribuer au Démon.

Il est constant que les Epingles & Aiguilles ont étéintroduites dans le Corps de cette Fille, puisqu’elles n’ont pûs’y engendrer ; il est encore plus constant qu’on n’a pû lesfaire entrer dans tous les endroits en particulier d’où on les atirées, les observations exactes qu’on a faites pendant quatorzejours ne laissent aucun lieu de le soubçonner ; il est vrayqu’il y a des personnes qui ont l’adresse de s’en introduire dans lesJambes, dans les Bras, & dans plusieurs parties musculeuses, sansdouleur, en les faisant entrer adroitement entre les Muscles, mais il ya bien de la difference entre ce petit badinage & ce qu’onaperçoit en cette Fille, où l’on sent avec les doigts lesEpingles dans le fond des chairs sur le Perioste, & qu’on lesaperçoit sensiblement s’avancer tous les jours peu à peuau travers des Muscles, penetrer toutes les parties glanduleuses duSein, & presenter toûjours la pointe la premiere :d’ailleurs les nausées, & les vomissemens de Sang, & laFiévre qui précedent toûjours les aparitions desEpingles, la grande quantité qu’elle en a renduës par levomissement, & les picotemens douloureux qu’elle ressent de tempsen temps dans l’Estomach, sont des preuves certaines qu’on les luy afait avaler.

Il n’est pas difficile de comprendre que dans le temps qu’ellereçût les coups qui la firent tomber dans une longueperte de connoissance, on a pû luy faire avaler deux ou plusieurspaquets de ces Epingles & Aiguilles, ou enfermées dans depetits étuys, ou dans quelques envelopes bienserrées ; les coups qu’elle reçût à latête ayent exprimé une abondance de matiere pituiteuse,qu’on avale ordinairement & machinalement dans de pareils accidens,& dans les affections convulsives, & soporeuses, quiaccompagnent toûjours les commotions considérables duCerveau ; ces petits paquets qu’on luy aura pû mettre dansla bouche, seront sans peine à l’aïde de ces eaux, & deces déglutitions convulsives & machinales descenduësjusques dans l’Estomach, sans qu’elle s’en soitaperçûë. J’ay vû moy-même un homme dansun accez épileptique, avaler tout d’un coup une paire de Ciseauxde plus de deux pouces de largeur à l’endroit des anneaux, quesa femme luy avoit mis entre les dents, & les rendre par les sellesau bout de neuf jours, & Vauhelmont asseure dans son Chap. (deInjectis materialibus) avoir vû à Anvers en 1622.unepetite Fille vomir deux mille Epingles empaquetées avec desPoils & d’autre ordures.

Ces envelopes se consumant insensiblement par le suc salivaire del’Estomach, ont laissé peu à peu écouler lesEpingles qu’elles contenoient, qui ont étéentraînées avec le chile dans les Intestins, dans lesVeines lactées par le receptacle, & le Canal torachique,jusques dans la Veine axillaire, & de-là elles ont pûsuivre le cours du sang dans le Cœur, & dans tous les grosvaisseaux jusqu’à leurs plus petites ramificatiõs.

Quoy qu’il ne soit pas absolument impossible que cela se soit fait parle pur Mecanisme naturel, il est cependant tres-difficile de comprendreque ce grand nombre d’Epingles ayent par le hazard seul si bienajusté leurs pointes à l’embouchûre des Veineslactées, qu’elles ayent suivi le cours des liqueurs sans semettre de travers dans plusieurs passages assez larges, s’il n’y enavoit eu qu’une ou deux dans le grand nombre qu’on suppose, cela neseroit pas sans exemple ; on a vû dans la Veine du Bras d’unhomme une Epingle qu’il avoit avalée, & plusieurs en ontrendu par les urines, & par differentes parties du Corps dans lesAbscez, mais il est vraisemblable qu’icy ces Epingles n’ont pû seglisser en si grand nombre dans les Vaisseaux, sans la direction de cespetits Corps aëriens que je suppose toûjoursinstrumentalement animez par les Démons, qui ont pûfacilement les conduire, & les empêcher de se mettre detravers, & de heurter contre les membranes.

Mais lorsque ces Epingles sont parvenuës jusques aux plus petitesdivisions des Arteres, qui non seulement sont d’une petitessedisproportionnée à leurs masses, mais qui sont encoreavec les Veines avec lesquelles elles s’embouchent mille plexus, &mille contours ; c’est là qu’il est physiquement impossiblequ’elles puissent en sortir sans percer le Vaisseau, & sans faireun épanchement de sang dans la partie, sans rompre les fibrillesde la membrane de l’Artere qui sont encore autant-de-petits tuyauxremplis de liqueurs, & lors qu’elles sont sorties de cette maniere,elles trouvent à leurs passage un grand nombre de Nerfs, deMembranes, & de nouveaux Canaux qu’il faut qu’elles percent, cequ’elles ne peuvent faire sans exciter de nouveaux épanchemensde liqueurs, des contractions convulsives dans les Fibres nerveusesblessées, qui arrêtent la circulation du Sang dans lapartie, & forment des Inflammations & des Abcezinévitables ; il n’est cependant pas arrivé lemoindre de ces accidens, & c’est ce que je trouve icy de plusmerveilleux.

Mais il ne sera plus difficile d’expliquer ce Phenomene en supposantl’intervention des Intelligences malignes, qui par le moyen des petitsCorps invisibles qu’elles animent, s’introduisent facilement danstoutes ces parties : Car à l’en droit où cesEpingles se presentent pour sortir, ils étendent les Fibrillesqui sont le tissu de la Membrane, ouvrent l’intervale de ces Fibrilles,jusques à ce que la pointe de l’Epingle puisse y passer, cettepointe y étant introduite, augmente l’extension des Fibrilles,qui sont les côtez du Rézeau, & qui s’alongentfacilement, pendant que le mouvement d’oscillation, ou le systole de laMembrane oposée, qui touche le gros bout de l’Epingle, la poussepeu à peu jusques à ce qu’elle soit sortie de l’Artere,après quoy les Fibres se renferment partie à l’aide deces Agens exterieurs, partie par leur ressort interieur, sans qu’il seperde une seule goutte de sang.

Il est après cela tres-facile de concevoir comment ces petitsAgens facilitent le passage des Epingles dans toutes les parties lesplus embarassées, en écartant les Fibres nerveusesqu’elles pourroient blesser, les Vaisseaux capillaires qu’ellespourroient percer, en ouvrant les Membranes des Vesicules glandulairescomme celles des Arteres, tout cecy étant à laportée de leurs petits Organes imperceptibles.

Vous me direz qu’il est bien difficile de concevoir, qu’un tissu aussipetit & aussi serré que celuy des Membranes, puisse sansrompre les Fibrilles souffrir, à l’aide de quelque Agent que cesoit, une ouverture assez grande pour passer une Epingle ; mais sivous aviez vû ces Hydatides ou Vessies pleines d’eau, qui setrouvent souvent dans les hydropiques, & qui ne sont que lesVaisseaux lymphaliques presque imperceptibles dans leur étatnaturel, qui cependant se dilatent quelques fois au point de contenirplusieurs pintes d’eau, vous demeureriez d’accord que les Fibrilles quiforment un Rézeau par où doit passer l’Epingle, & quisont autant de petits Vaisseaux remplis de liqueurs, peuvent s’alongerassez chacun de son côté pour faire une ouverturesuffisante.

On peut donc dire que tout ce qu’il y a de merveilleux dans cétévenement comme dans plusieurs autres qui paroissentincroyables, ne vient que de l’invisibilité de la cause qui lesproduit, mais il ne faut pas que nos sens mettent des bornes ànôtre raison. Imaginez-vous, Monsieur, que vôtre Ame pourquelques heures quitte vôtre Corps pour animer un de ces Insectesinvisibles, que les bons Microscopes ont découverts mille foisplus petits qu’un Ciron, comme ces petits animaux ne manquent non plusque nôtre corps ny d’Organes ny d’Esprits, vous vous trouveriezdans un monde nouveau, vous entreriez dans mon Corps comme dans unvaste Edifice, vous vous promeneriez dans mes Veines & mes Arterescomme dans des Canaux voutez, vous contempleriez avec facilitéles Fibres de mon Cerveau & leurs mouvemens, les Glandules quiphiltrent les esprits, & le cours impétueux qu’ils prennentdans les Muscles pour les remuer aux moindres ordres de mavolonté, vous visiteriez les magasins où sont renfermezles levains bilieux, melancoliques, & seminaires, vous en verriezla figure & les effets qu’ils produisent dans differentes passions,vous pourriez les rémuer & les transporter suivant vosdesseins : Si avec tout cela vous êtiez devenu mon ennemi,& si un peu de malice se joignoit à tout l’esprit que vousavez, je vous craindrois plus tout seul qu’une legion entiere deBéelzebub.

Il n’y a donc rien qui nous empêche de supposer pourl’explication des faits dont nous sommes convaincus par nos sens &par ceux d’un grand nombre de personnes judicieuses, & qui sonthors de la portée de l’artifice humain, l’union d’un Estreintelligent, de l’existence du quel la Foy & la raison ne nouspermettent pas de douter, avec un corps organisé, bien muni detous les membres necessaires pour toutes les fonctions, remplid’esprits animaux qui les remuëent machinalement pour saconservation, & à qui il ne manque qu’une intelligence pourles diriger selon tous les desseins qu’elle peut avoir de bontéou de malice.

On a si bien crû jusques à present, qu’un Estre pensantn’a aucun raport fondé sur la nature avec le mouvement de lamatiere, & qu’il ne peut remuer les Corps, que parce que sesvolontez sont établies causes occasionnelles desdéterminations du mouvement des esprits animaux renfermez dansquelque Corps organique, que tous ceux qui n’ont point cru lesDémons corporels dans leur origine, disent que les Espritslorsqu’ils veulent exercer leur malignité sur les hommes seforment des Corps d’air : mais cette opinion est insoutenable enbonne Philosophie, car outre que l’Air est un liquide incoagulable,& par consequent impropre à former des Organes solides, lavertu plastique que les Anciens avoient inventée, pour expliquerde quelle maniere une Ame se formoit son domicile dans la generation,est depuis long temps releguée avec les facultez & lesqualitez occultes, particulierement depuis qu’on a découvert parle Microscope que les Corps organiques sont tous formez dans leurssemences que la generation ne fait que développer : Il estdonc bien plus raisonnable de croire que l’Air se trouvant rempli depetites machines vivantes invisibles toutes formées & toutesanimées, ces Estres pensans s’en servent plûtôt quede s’en former, quand même il leur seroit possible de le faire.

Si vous examinez bien ce Systéme, vous trouverez peud’évenemens au dessus de l’industrie humaine, & qui nesoient pas des Miracles, qu’on ne puisse par son moyen expliquer avecfacilité, je ne prétends pas pour cela qu’on ajoûtefoy à toutes les histoires surprenantes de Sortiléges& d’Enchantemens qu’on nous fait tous les jours, il y a àrabattre sur tout cela, mais il ne faut pas pousserl’incredulité trop loin, il faut suspendre raisonnablement sonjugement, jusqu’à ce qu’on ne trouve aucun lieu de douter, commeon a fait icy, & ne pas prétendre contre tous lestémoignages des sens, qu’une chose soit fausse, parce qu’on nela peut comprendre.

Mais on me dira, comment peut-on concevoir qu’une cause si petite quel’action d’un petit Corps aërien invisible puisse produire deseffets aussi considerables qu’on en voit quelques fois : Cetteobjection ne peut être faite que par des personnes qui ignorentles Loix de la Mecanique & la force du ressort, car ilssçauroient que quelques Atomes d’air comprimez, de nitre desouphre & de charbon enflamez, font soulevez des massesénormes de matiere ; ils verroient qu’il est bien plusaisé à ces petits Agens de remuer, d’amasser, &d’ordonner ces parties élastiques qu’ils peuvent voir, &démêler des autres Atomes, qu’à nous qui ne lesconnoissons que par leurs effets ; & ces Ennemis du Genrehumain tous foibles & impuissans qu’ils sont, ne laisseroient pasde causer souvent de grands maux, si Dieu par sa préscience& sa sagesse  infinies n’ajustoit si bien les causes libresbienfaisantes & malfaisantes, que sans que leur liberté soitjamais blessée, elles accomplissent les desseins impenetrables,mais toûjours pleins de bonté & de misericorde de sadivine Providence.

Je ne prétends pas pour cela qu’on aye d’abord recours auxEnchantemens, sitôt qu’on aperçoit quelque faitextraordinaire & qu’on ne peut pas expliquer tout d’un coup par lesrégles de l’industrie humaine, on en a tant vû qui ontétonné d’abord, & qui après les avoir bienexaminez, se sont trouvez n’être qu’un tour de main, qu’on nesçauroit, être trop sur ses gardes pour ne pas se trouverexposez à la raillerie & aux reproches d’unecredulité trop précipitée. C’est avec cepréjugé si raisonnable que nous avons examiné leFait en question avec toute l’attention possible ; nous ne sommespoint laissé prévenir par tous les témoignagesqu’on nous a donné de la sagesse, de la bonne conduite de cetteFille, de son désinteressement & de celuy de sa famille,nous l’avons fait visiter, & garder à vûë par despersonnes seures & non suspectes pendant quatorze jours &autant de nuicts qu’on l’a toûjours veillé, dans lesoubçon où nous étions qu’elle pourroit se fourrerles Epingles dans differentes parties de son Corps, mais outre qu’onl’a mise dans l’impuissance d’en avoir, on ne luy a pas vû fairele moindre mouvement pour cela, il luy en a même paru dans lesendroits où il est impossible qu’une personne se les metteelle-même, c’est-à-dire sur les Omoplates, le Chirurgienn’a fait que les incisions, les Medecins & plusieurs des Assistansles ont tirées eux-mêmes mais ce qui a achevé denous mettre hors de soubçon, ce sont les vingt-trois Epingles& Aiguilles qu’on a tirées de son sein, qui en ontpenetré & parcouru toutes les differentes parties, dont nousavons exactement observé toutes les situations, & qui n’ontlaissé dans ces parties aucune dureté, ni aucune [marque] de lamoindre liqueur épanchée, ny de Glande comprimée,ny de Fibre nerveuse irritée ; ceux qui sçaventl’Anatomie de cette partie asseureront aussi bien que nous, qu’il estabsolument impossible sans une direction particuliere d’un Estreintelligent, que le moindre corps étranger, parmy ce tissu siserré de Vesicules glandulaires, de Nerfs, Arteres, Veines,Vaisseaux lymphaliques & lactez, puissent parcourir toutes cesparties sans en blesser aucune, soit qu’il soit introduit par dehors,soit qu’il vienne du dedans.

Voilà, Monsieur, tout ce que j’ay médité sur unévenement qui a fait tant de bruit, & qui subsiste encore,je ne vous donne cecy que pour de simples conjectures, que je suisprêt de quitter si tôt quon me dira quelque chose de plusvraisemblable ; songez seulement que les Agens que j’introduis surla scene, & les instrumens dont ils se servent ne sont pointchimeriques, qu’ils existent actuellement dans la nature, que leurunion a sa preuve dans nous-mêmes, & qu’enfin j’expliqueleurs actions par les seules régles de la Mecanique, dont jesoutiens qu’aucun Estre créé ne peut jamais se dispenser.

Au reste, Monsieur, ce n’est qu’à vous & aux personnes devôtre caractere que j’adresse mes Réflexions, je seraycontent si elles peuvent vous plaire, mais si par hazard ma Lettretombe entre les mains [de quelqu'un]de Messieurs les Décisifs, quisçavent tout sans avoir rien examiné, qui nient tout cequ’ils ne comprennent point, & qui ne daignent pas se rabaisser auxidées rampantes de la Mecanique, je luy déclare pourprévenir ses railleries, que tout cecy n’est qu’un jeu d’esprit,& que je n’ay rien écrit de serieux ny pour luy, ny pourceux qui luy ressemblent. Je suis,

    MONSIEUR

       Vôtre tres-humble &tres-obéïssant Serviteur. L. D. M.

    A Lisieux, le 1.May 1717.