Je viens de lire,dans les
Actes de l'Université suédoise de Lund (1), un examencritique, par M. le Dr Collin, des étymologies islandaises proposéesdans le
Dictionnaire du Patois normand de MM. du Méril (2) ; et cettelecture, en rappelant mon attention sur un sujet étudié autrefois, m'aengagé à écrire les lignes qui vont suivre.
Lors de la publication du Dictionnaire de MM. du Méril, en 1849, je fussurpris de voir, dans cet ouvrage, une aussi large part faite àl'influence de l'élément Scandinave sur le patois actuel de laNormandie. Je me disais que les compagnons de Rou n'étaient pas venusen masses bien considérables, qu'ils n'avaient pas amené leurs femmes —ces mères du langage, — et que, par suite, leur idiome n'avait pu seconserver pendant d'assez longues générations, pour qu'il en subsistâtde nos jours des traces certaines, si ce n'est dans quelques nomsd'hommes ou de lieu.
Familier dès mon enfance avec le patois de la Hague, — contrée qu'on anommée « la Normandie Scandinave » par excellence, « le vrai sanctuairedu Scandinave, » « le véritable asile du pur normand, » « sa dernièreretraite, son sanctuaire, » (3) — j'avais toujours cru retrouver dansce patois l'empreinte fortement accusée de l'anglo-saxon plutôt que dunordique ; et, bien que je ne fusse pas alors en mesure de repousser,de science certaine, toutes les étymologies islandaises proposées parMM. du Méril, cependant un si grand nombre d'entre elles m'offraient untel caractère d'invraisemblance, que les autres pouvaient à bon droitme paraître pour le moins suspectes. Comme exemples, je citeraiseulement trois mots de ce dictionnaire, et je les choisis parmi ceuxqui nous laissent voir comment, en fait d'étymologies, trop de sciencenous éloigne quelquefois de la vérité.
1° « CACHARD,s.m. (arr.de Cherbourg), Paresseux. Kaka signifie, enislandais, toucher du bout des doigts. »
Dictionn., p. 55.
Pour nous, qui avons entendu maintes fois cette locution de notre pays,et qui savons que
chasser se prononce en bas-normand
cacher, noussavons également qu'un cheval cachard est un cheval qu'il faut
cacher,
chasser à coups de fouet pour le faire avancer ; et, paranalogie, un domestique
cachard est un paresseux qu'il faut chasser àl'ouvrage. L'intervention de l'islandais
Kaka était donc ici bieninutile ; elle ne me paraissait guère plus motivée pour expliquer lemot : « CAQUEUX, s. m. (arr. de Bayeux), mauvais couteau qui sert àouvrir les huîtres ;
Kaka signifie, en islandais, toucher sansprécaution » (
Dictionn., p. 58), — mot qui, pour moi, ne représentepas autre chose que le couteau à caquer, apporté sur le littoral deBayeux par les pêcheurs de hareng.
2° « TEURQUETTE, s. f. Lien en paille ou en foin ;
Dorca en vieuxprovençal, peut-être de l'islandais
Dorga, saisir, entourer. »{
Dictionn., p. 204.)
Le normand teurquer (qui figure quelques lignes plus haut dans lemême dictionnaire) a certes mieux conservé que le français
tordre laphysionomie du latin
torquere ; une
teurque ou
teurquette est unepoignée de foin ou de paille
teurquée, tordue pour servir de lien.Nos paysans, qui avaient sous la main leur verbe
teurquer, n'avaientpeut-être pas besoin, pour faire une
teurquette, d'invoquer lesecours de l'islandais
Dorga.
3° « NARER, V. a. Attendre longtemps, comme un homme mort ; enislandais,
Nar signifie cadavre. » (
Dict., p. 168.)
Ici la comparaison, quoique un peu forcée, était assurément nécessairepour justifier l'étymologie. J'avoue n'avoir jamais entendu ce mot
narer ; mais je connais le verbe
naser, que je soupçonne être lamême chose, c'est-à-dire : attendre le nez en l'air, badauder, et qu'onpourrait, sans trop d'efforts, faire dériver du latin
nasus, d'autantmieux qu'il a encore une autre acception, celle de fureter, mettre lenez où l'on n'a point affaire. — Quant à l'adjectif Naré du mêmedictionnaire, je ne puis y voir qu'une abréviation ou contraction d'unmot très usité chez nous,
Knaré ou
Renaré, c'est-à-dire : rusécomme un renard. Les profanes en philologie se contenteraient peut-êtrede cette explication trop simple ; mais, pour les érudits, laprovenance est tout autre ; consultons le
Dictionnaire: NARÉ, adj.(arr. de Vire), rusé ; probablement de l'islandais
Hnar, hardi,intrépide : ce changement de signification a été naturellea ment amenépar la différence des moeurs : la finesse est pour les paysans normandsce que le courage était pour les pirates Scandinaves. » (
Dict., p.161.)
C'est là, sans doute, ce qu'on appelle de la
Philologiephilosophique. N'ayant malheureusement pu m'élever à une aussi grandehauteur de vues, j'avais conservé, je le répète, des doutes sérieux surla valeur des étymologies islandaises indiquées par MM. du Méril ; or,plus tard, j'ai retrouvé la majeure partie de ces étymologiesreproduites, en compagnie de beaucoup d'autres, dans l'ouvrage ayantpour titre :
Histoire et Glossaire du Normand, de l'Anglais et de laLangue française, par M. Le Héricher.
Pourquoi nos savants philologues ont-ils ainsi pris à tâche d'éplucher,dans les glossaires islandais, tout mot qui, de près ou de loin, leuroffrait une analogie quelconque de forme avec un mot normand, — quelleque fût d'ailleurs sa signification, et souvent même en dépit de sasignification ? — Deux motifs, je le présume, ont pu les y engager :d'une part, le désir de constater dans notre patois le plus de tracespossibles laissées par les conquérants Scandinaves ; d'autre part,cette opinion, longtemps accréditée, que l'Islande, grâce à sa positiongéographique, aurait conservé à peu près intacte l'ancienne langue despeuples du Nord. Or, ces motifs ne paraissent pas mieux fondés l'un quel'autre.
Et d'abord, la conquête de la Neustrie s'est-elle opérée dans desconditions telles, que la langue Scandinave pût s'établir et serépandre largement dans le nouveau duché de Normandie ? Evidemment non.Les envahisseurs étaient en petit nombre, tous n'étaient pas de raceScandinave, et beaucoup d'entre eux étaient des Anglo-Saxons à la suitedu Conquérant. Avant de passer en Neustrie, Rou avait séjournélongtemps en Angleterre ; il parlait facilement la langue de ce dernierpays, et l'exclamation
Bigod, proférée par lui dans une circonstancerecueillie par l'histoire, est de l'anglo-saxon et non pas du nordique,
— quoi qu'en pense l'auteur de l'
Histoire et glossaire du Normand (4).— Dans quel état Rou trouva-t-il la Neustrie ? Ravagée, inculte etdépeuplée, nous disent les chroniqueurs (5) ; aussi s'empressa-t-il d'yattirer de toutes parts des étrangers, en leur donnant toute sécuritépour s'y établir : c'étaient, il est présumable, des contréeslimitrophes, des Bretons, des Français, des Picards, des Wallons ouBelges, et aussi des Anglo-Saxons venus de l'autre côté du Canal.L'élément Scandinave était donc en infime minorité dès l'origine. M. duMéril, qui admet l'influence exercée par la mère sur le langage desenfants, reconnaît que les épouses des Normands parlaient pour laplupart le Roman (DICT., Introd., p. XLIX); et M. Le Héricher,rappelant que les Normands, « très peu nombreux, n'avaient pas amené defemmes, » déclare « qu'il n'avait fallu que quelques générations pourque le Scandinave fût oublié. » (HIST. et GLOSS., t. I, p. 13 et 137.)— Après avoir constaté des faits aussi positifs, comment se fait-il queles mêmes auteurs se soient acharnés à la recherche de toutes lesétymologies Scandinaves, possibles et impossibles ? De prime abord, nedevait-il pas paraître plus logique d'accorder la préférence àl'anglo-saxon, qui, à mon avis, a dû certes avoir une influenceautrement décisive et continue que le nordique ? Remarquons, en effet,que non-seulement après la conquête un commerce et des rapportsfréquents se suivirent entre la Normandie et l'Angleterre, mais quebien longtemps auparavant des colonies de race germanique, des Saxons,s'étaient à diverses reprises établis dans notre contrée , notammentdès le IIIe siècle, à Bayeux, le pays des
Saxones bajocassini,l'
Otlingua saxonica.
A ce propos, me sera-t-il permis, timidement et avec toute la réservepossible, de soulever un doute ? C'est cette même ville, Bayeux, queplus tard, sur la foi des chroniqueurs, on nous représente comme étantle dernier asile du langage Scandinave. Or, ne pourrait-il se faire queles chroniqueurs, à une époque où la philologie n'était pas encoreinventée, eussent donné à du saxon le nom de
Danesche parleure ou
Daneiz, alors que d'autre part ils appelaient l'hébreu du
grec ? Etcette méprise ne serait-elle pas admissible chez des écrivains dumoyen-âge, lorsqu'on la voit reproduite dans nos glossaires normandsactuels, où règne une si grande confusion entre les originesgermaniques et les origines Scandinaves ?
Admettons néanmoins que ce fût le véritable danois qu'on parlait àBayeux : « Ce parler danois, dit M. Le Héricher, était cette languequ'on appelle aujourd'hui l'islandais, mais qui était au moyen-âgeconnue sous le nom de danois,
doensk tunga, lingua danica » (1. c.,T. 1, p. 135.) — C'est une assertion qui mérite examen, et me voiciamené à parler de l'islandais ; pour ce faire , j'aurai recours autravail du savant suédois que j'ai cité en entrant en matière.
A l'époque de la venue de Rou et de ses compagnons, norwégiens oudanois, on ne parlait dans tout le Nord qu'une même langue, et c'estseulement à l'aide de cette langue que l'on pourrait établir aveccertitude les origines Scandinaves du patois normand. Malheureusementcette langue est pour ainsi dire complètement perdue ; les seulestraces qu'elle ait laissées sont fournies par les inscriptions d'unpetit nombre de pierres runiques, dont la plupart même sontpostérieures de plus d'un siècle à la conquête de la Normandie et àl'établissement du christianisme dans le Nord. On avait supposé quel'islandais, protégé par son isolement, eût dû échapper auxtransformations subies par le nordique chez les autres peuplesScandinaves, qu'il avait conservé sa physionomie primitive, et quec'est la langue même que parlaient les conquérants de notre pays.
« De nouvelles recherches, écrit M. le Dr Collin, ont cependant modifiécette idée, et l'on est aujourd'hui obligé de reconnaître quel'ancienne langue du Nord n'existe plus... Les écrits islandais, il estvrai, nous ont remis le vocabulaire d'un idiome que, de nos jours, onse plaît à honorer du nom d'
Old nordisk ; mais il faut avouer quel'idiome islandais est bien loin d'être identique avec la langue qui separlait dans le Nord vers l'an 1000, et qu'il l'est encore moins aveccelle qui y avait cours un siècle plus tôt. Avant d'être employé parécrit, cet idiome avait subi l'influence d'un commerce très vif avecles pays de l'Ouest, et celle de l'introduction du christianisme ;l'une et l'autre ont laissé des traces visibles. On trouve dansl'islandais un petit nombre de mots celtiques, et un beaucoup plusgrand nombre de mots qui paraissent provenir de l'anglo-saxon. Il sepeut donc, qu'en cherchant dans l'islandais l'étymologie d'un motnormand, on s'arrête sur un mot qui n'est pas islandais du tout. »Cette dernière phrase du savant suédois, certes compétent en pareillematière, doit mettre sur leurs gardes les futurs chercheursd'étymologies Scandinaves ; du reste, la veine est probablementépuisée, car on a déjà signalé tout ce que les glossaires pouvaientcontenir de mots exploitables au profit de la thèse des originesScandinaves. Dans le Mémoire cité, le docteur Collin discute un certainnombre de ces mots islandais, et il démontre, ou bien qu'ilsn'appartenaient pas à l'ancienne langue danoise, ou bien qu'ils n'ontjamais pu passer directement du nordique dans notre patois ; et saconclusion est celle-ci : « Nous pensons avoir assez fait pour qu'oncroie notre assertion, quand nous disons que le reste des étymologiesislandaises de MM. du Méril ne sont pas plus sûres que celles que nousvenons de signaler. Le peu de traces de la langue danoise qui peut-êtrese trouvent en Normandie, ce n'est pas le
Dictionnaire du Patoisnormand de MM. du Méril qui les a ramassées. » — Sans aucun doute, lephilologue suédois en dirait-il tout autant de nos autres glossaires ;et ce qu'il est permis de croire, c'est que, à part quelques noms delocalités ou accidents de terrain, quelques noms d'hommes devenus nomsde famille, il est resté dans notre pays bien peu de chose du langagedes conquérants du Nord, et encore ce peu de chose est-il de nos joursà peu près méconnaissable.
J'ajouterai quelques remarques qui me sont suggérées par la manièredont les questions étymologiques sont généralement traitées dans nosglossaires normands. J'ai déjà signalé la confusion que l'on a faiteentre les origines nordiques et les origines saxonnes ; on dirapeut-être que cette confusion est excusable et en quelque sortemotivée, les dialectes germaniques et Scandinaves découlant d'unesource teutonique commune. Cependant, quelles que soient leursressemblances originelles, ces deux familles de langues offrent en mêmetemps des différences caractéristiques qui permettent de reconnaître lanationalité des mots appartenant à l'une ou à l'autre. Or, mon humbleopinion est, qu'en fait d'étymologies, on ne doit se préoccuper que dela provenance directe, du passage immédiat d'un mot d'une langue dansune autre langue, sans remonter aux origines premières, au point dedépart primitif des idiomes : ces hautes études de philologie comparée,ces considérations synthétiques me paraissant peu à leur place dans lemodeste glossaire d'un patois. Par exemple, tel mot normand nous vientincontestablement du latin : cela doit nous suffire, à nous Normands ;et encore, dans certains cas, le latin est-il déjà trop éloigné, car,s'il a passé par le français avant d'arriver au normand, l'étymologiede nos glossaires doit s'arrêter au français. De même, s'il estsuffisamment démontré qu'un mot de notre patois nous a été transmisdirectement par les Anglo-Saxons, abstenons-nous de le faire remonterau nordique, quand bien même l'anglo-saxon l'eût emprunté précédemmentà ce dernier idiome ; car autrement ce serait faire l'histoire del'anglo-saxon et non plus du normand. Ce qui nous importe réellement,c'est de constater de qui nous avons reçu le mot. Pour nous guider danscette recherche, nous avons les règles grammaticales qui président au passage des mots d'une langue dans une autre langue,aux transformations ou altérations nécessaires que ces mots subissentpour se plier aux exigences de l'idiome qui les reçoit, et enparticulier aux aptitudes idiosyncrasiques de chaque race pourl'articulation phonétique ; nous avons enfin comme critérium, lesprésomptions tirées des faits historiques. Je terminerai par un exempleemprunté à ce dernier ordre d'idées.
Tout près de Cherbourg existe le plus ancien des monuments chrétiens denotre pays, une antique église, un
Kirk, qui a donné son nom auvillage de Querqueville. Un peu plus loin, dans le Cotentin, se trouve
Carquebut, ou mieux
Kirkeby comme on l'écrivait autrefois, et dontle nom est identique à celui de
Kirkeby, village situé près deCopenhague. Les contrées Scandinaves nous offrent plusieurs
Kyrkobyde même que l'Écosse a ses
Kirktown, et l'Allemagne ses
Kirchheim ;enfin
Kyrkjà, en islandais, signifie église. Une telle concordance nepouvait manquer de frapper nos philologues normands ; aussi, et sans lamoindre hésitation, se sont-ils empressés d'attribuer au pur nordiquele radical des
querque,
carque,
crique, etc., que l'on remarquedans la composition de divers noms de localités normandes, et jusquedans le nom de
Dunkerque (6). Cependant, avant de professer cetteopinion magistrale, n'eût-il pas été prudent de se demander, toutd'abord, si c'est bien véritablement Rou qui a introduit lechristianisme dans la Neusirie et y aurait par suite importé les
Kirkde la Norwége ? Serait-ce à ces pirates Scandinaves, qu'on nousreprésente dévastant et brûlant tout ce qui se rencontrait sur laroute, qu'il convient d'attribuer l'érection des nombreux
Kirk del'Écosse, de la Normandie et du nord de l'Allemagne ? L'histoire nenous apprend-elle pas, tout au contraire, qu'à l'époque de l'invasiondes Normands, le christianisme était inconnu dans le Nord, où il n'apénétré qu'environ un siècle plus tard ? N'est-il pas évident, aux yeuxdu simple bon sens, que ce sont les prêtres catholiques qui, enévangélisant ces contrées et y bâtissant les premières églises, ontintroduit un nom nouveau pour désigner une chose nouvelle ? Où doncavaient-ils eux-mêmes emprunté ce nom ? Un savant philologue, il est vrai, prétend que le mot
Kirk nous vient endroite ligne du sanscrit
Grha ; mais, sans remonter à une sourceaussi lointaine, ne pourrait-on s'en tenir plus simplement au grecχυριαη employé par les ecclésiastes du moyen-âge pour désigner le jourou la maison du Seigneur (
Domus dominica) ; et y aurait-il une tropgrande témérité à croire que ce mot χυριαη, entré dans la langueliturgique, a revêtu la forme
Kyrkia ou
Kirk, pour se répandre chezles peuples germaniques et Scandinaves lors de leur initiation auchristianisme ?
Urville-Hague, septembre 1866.
Note. — L'étymologie grecque du mot
kirk ayant soulevé quelquesobjections, j'ai voulu m'assurer de la valeur de cette étymologie, etj'ai consulté à cet égard de savants philologues étrangers. Je croisutile de résumer ici en peu de mots les documents que j'ai obtenusparticulièrement de M. le professeur Collin, de Helsingborg.
Et d'abord, il est impossible d'attribuer à ce mot une originegermanique ; ce n'est en effet qu'après l'introduction du christianismequ'il commence à apparaître dans les dialectes teutoniques, et il n'y ajamais été employé que pour désigner exclusivement le temple chrétien.Chez les Scandinaves, les temples païens portaient le nom de
Hof ; quant aux anciens Germains,Tacite nous apprend qu'ils n'avaient pas de temples, et il est peuprobable que leur langue eût possédé un nom pour désigner une chose quileur était inconnue. Le mot
kirk ayant certainement une origineétrangère aux langues teutoniques, comment s'est-il introduit dans ces langues ?
M. Bopp l'a fait dériver du sanscrit
grha ; de son côté, M. Graaf amis en avant une autre racine sanscrite,
kar. En se reportant auxrègles qui président à la permutation des lettres, on reconnaît que nil'une ni l'autre de ces racines sanscrites n'a pu donner naissance aumot
kirk.
D'autre part, M. Grimm a regardé
kirk comme étant dérivé du latincircus ; ceci est encore impossible. Il suffit d'ailleurs de remarquerque ce même mot
circus (ou
circulus) a produit normalementl'allemand zirkel, et par conséquent ne pouvait en même temps setransformer en
kirk.
Reste donc le grec χυριαη, ou plutôt χυριαου (le premier mot signifiantle jour du Seigneur, le dimanche, tandis que le second désigne letemple ou la maison du Seigneur). Or, cette dernière étymologie, misehors de doute par M. Hildebrand, et maintenant passée à l'état d'axiomechez tous les philologues allemands et Scandinaves, avait déjà cours en Allemagne au moyen-âge;et, dès le IXe siècle, le théologien Walafrid Strabo dit expressémentque
Kirk vient du grec. Un vocabulaire du XVe siècle, cité par M.Diefenbach, s'exprime ainsi : « Kirchia,
grece, est domus dominica, aKyrios
grece, dominus latine, die Kirch,
et sic illud vulgare Kirch
a greco Kirchia habemus. »
Cela posé, il est facile de suivre le passage du grec
Kyriakon parles formes successives
Kyrjako,
Kirjika,
Kiricha ;
Kirche enallemand moderne,
Kyrkja en islandais,
Kyrka en suédois,
Kirke endanois,
Kirk en écossais,
Cyric en anglo-saxon, et enfin
Churchen anglais. Quant à cette dernière transformation du
K germanique ou
C anglo-saxon en
ch anglais (tch), remarquons qu'elle s'estproduite également chez nous ; car le
Kirkvilla, qui est notremoderne
Querqueville, se disait autrefois
Tcher'ville, et encoreaujourd'hui on peut l'entendre prononcer de cette manière par les vieuxhabitants de la Hague.
NOTES :
(1)
Lunds Universitets Aars-skrift 1864 ;
Philosophi,Spraak-vetenskap och Historia, In-4°, Lund, i865.
(2)
Dictionnaire du Patois normand, par MM. Edelestan et Alfred duMéril. In-8, Caen, 1849.
(3)
Histoire et Glossaire du Normand, de l'Anglais et de la Languefrançaise, par M. Ed. Le Héricher. 3 vol. in-8, Avranches, 1852.
(4) Le Héricher, 1. c., t. III,
Origines Scandinaves p. 10.
(5) Cfr. Guillaume de Jumiéges et Dudon de Saint-Quentin.
(6) Du Méril,
Dict., Introd., p. LV. — Le Héricher,
Hist. etGloss., T. III,
Origines Scandinaves, p. 53.