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LEFORT,Victor : LeChansonnier patoisant Lemaître (1911). Saisiedu texte : S.Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (09.III.2007) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm 31 bis GF) du numéro de juin 1911 de LaRevue illustrée du Calvados, publiée à Lisieuxpar l'Imprimerie Morière. LeChansonnier patoisant Lemaître par VictorLe Fort ~*~Il y a patois et patois comme il y a fagotet fagot. Tel se hausse au rang d'une langue comme le Breton, qui estl'ancien celte, déformé, mélangé, divisé à l'extrême, ce qui n'empêchepas les paysans du Finistère d'être compris par ceux du pays deCornouaille - comme la glorieuse langue d'oc, le souple et chantantidiome des troubadours, ressuscité par le génie de Mistral. Toutesles provinces ont le leur, plus ou moins complexe, plus ou moinsabondant en expressions savoureuses, en mots pittoresques et parfoissans équivalent dans le français correct. Paris aaussi son patois, l'argot. Au point de vue linguistique celui desprovinces vaut mieux. Le patois normand a son accentcomplet dans le Cotentin et la Hague. Les oeuvres de Rossel et de LouisBeuve retentissent de ses rudes sonorités. C'est lalangue de Wace et des chevaliers de la Table Ronde, à peine émousséepar les siècles, c'est la voix d'Alain Chartier et de Basselin. Lesconsonnances danoises s'y heurtent aux homonymies anglaises, le latindes camps s'y retrouve parmi les vocables espagnols ou germains. Chaquerace qui a passé sur notre sol ou qui l'a seulement approché a enrichinotre parler primitif de quelques unes de ses plus usuelles locutions. Pourqui aime à regarder un peu dans le passé le patois a le charme deschoses qui vont disparaître. Bientôt en effet il ne sera plus qu'unsujet à dissertation de même que les coiffes de dentelle serontdevenues des objets de vitrine. Malgré cela, ou à cause de cela plutôt,il séduit encore par sa couleur et sa verve truculente quelquesobstinés normands. Parmi ceux-là le chansonnierLemaître. Plus que Normand, Bocain de Saint-Georgesd'Aunay, Lemaître près de la soixantaine a des enthousiasmes et desfougues de jeune homme. Malicieusement il excelle à conter lesinnombrables petits côtés de la vie paysanne, et dans ses chansonscomme dans ses récits, il répand à pleines mains le sel normand, lefameux assaisonnement des pantagruéliques repas de baptême et de noces,je n'ose pas dire d'enterrement. C'est précisément àces remarques piquantes, à ce sens observateur aiguisé, qu'on peutinduire l'expérience acquise du chansonnier. Aureste, n'ayant pas gaspillé, comme tant de jeunes, ses facultésd'impression, il en garde, ou pour mieux dire, il en trouve à l'âge mûrtoute la fraîcheur et toute la plénitude. Il aemmagasiné dans les années parcourues, les idées, qui sont la charpentede ses chansons. Aujourd'hui ces embryons prennentcorps pour sa joie et la nôtre. Sa maigre retraite d'employé d'octroiétant insuffisante à le faire vivre, il a dû prendre un emploi decomptable. C'est dans les loisirs que lui laisse ce poste, en soignantles légumes et les fleurs de son jardin, ou le soir dans la quiétude deson modeste logis, qu'il se laisse doucement assaillir par ce qu'ilappelle ses réminiscences et qui serait aussi bien son inspiration. Ily a sept ou huit ans au plus, vers les Fêtes du Souvenir Normand, qu'ila commencé à faire connaître ses premières chansons. Sans honte et sansfausse modestie, Lemaître confesse que la prosodie y recevait de rudesà-coups. Depuis il s'est débarrassé de cesfaiblesses et aussi de l'influence qu'exerçaient sur lui les oeuvres deses frères, les poètes patoisants. Un monologuerécent Eiou qu'est l'ma donne la mesure du réel talent de Lemaître etpeut être considéré comme le prototype de son genre. Ecoutezce passage au hasard : Dans la vie no fait comme no peut J'n'aijamais zu qu'deux vergies d'terre Et man p'tit camp touche parileu Au sien d'un gros propriétaire Mais quandj'laboure preux d'man vésin Malgré mé ma quérue s'dévire Etsi cha y en happe un p'tit coin, Eiou qu'est l’ma ? Voulousm'el dire ? Et celui-ci : Si queque fouais d'avec un ami Audomino, j'joue eune touernée J'fais comme ej' peux por paspouayé Cha n'm'empêche pas d'prendre ma saolée Et siquand no r'fait un p'tit pot, Ch'est de d'dans ma manche qu'ejr'tire L’pion qui faut por fair' domino Eiou qu'estl’ma ? Voulous m'el dire ? Présentéscomme cela les pires défauts peuvent se confesser ! N'empêche qu'avecsa bonne humeur et mieux que les porteurs de diable-en-terre, lechansonnier dit ce qu'il veut dire. Ce ne sont pas des coupsd'étrivières, à peine une légère friction aux orties. Il y a tout de même bien un peu de rosserie dans la prièrequ'il adresse au Bon Dieu. ................................................................. Hélas,j'en sieus qu'un paur' Bocain Portant, j'en vos d'mande pasd'richesse Mais si c'est pas vos faire d'affront J'crébi qu' j'arriverais à m' suffire Rin qu'en m' mettant preuxd'ceux qu'en ont ................................................................. La Pouë du Diable c'est le vieux bonhomme qui aurait fait lui aussicette prière et qui aurait été, par erreur, entendu. Mais sa dernièreheure est venue. La « pouë du diable » le prend, il mande le curé à sonchevet : Etl'vieux curé n'osait rin dire Mais veyant s'nair tout attristé -Ah ! qu'dit l'bouen homme, man mal empire, Et j'vais bi qu'vafaller la suer ; Pies qu' ch'est comme cha faut qu'ej vo conte Quèquesp'tites affaires qui m' gènent bi. Ma fait, tant pis si cham'fait honte J'aime co mus cha qu' d'me vais roti. Etfinalement il aime mieux courir ce risque que rendre le bienmalhonnêtement acquis. Les Normands sont de solides« humeurs de pots » Lemaître chante donc gaillardement les blanchesfloraisons des pommiers, les pommes vermeilles, la Bonne Béchon : En Normandie les femmes savent bi Qu'elbère donn' ed la forche ez hommes, Et qu'leux époux sont pushardis Quand y profitent d’eune année d' pommes. J'aico ouï dire a not' curé, Qu' l'Amour qu'est un éfant d'Cythère, Quandy veut no viser bi drait Y tremp' sa flèche dans du gro bère. Dans le Baptême au pays bocain et dans La brague endroguet d'fachon, ce sont les mangeailles et les beuveries des joursde liesse qui sont analysées et racontées sans aucune... préciosité. J'mangis bieau faire d'la soupegrasse Car ej' sieux goulu d'pot au feu, Et par lad'sus viv'ment, j'm'entasse Chinq à six bons morcias d'grasd'boeu ; A preux l'gigot et la volaille, J'étais rondcomme un saucisson. J’en avais-t-y d'la bouenne mangeaille Dansma brague en droguet d'fachon - Dame ! onsait bien que ce n'est pas de la littérature décadente et que ça n'aqu'un lointain rapport avec La Mort d'un Lys. Pourtantquand Lemaître abandonne sa narquoise férule, il sait mettre dans sesvers autre chose que le fumet du gros cidre et que l'odeur pimentée dessauces. C'est un délicat parfum de lavande et de lin blanchi qui sedégage de sa Vieulle Ormouère : L'z'archives d'ma famille Sontrenfermés dans ses tirouers, Décès des vieux, contrats desfilles, Tout’s nos douleurs, tous nos z’espouers… Cettedernière chanson et ses Chabots buots exceptés, les chansons deLemaître peuvent être considérées comme des charges très vivantes, maistrès poussées. Elles sont à l'aspect véritable de la vie normande ceque la caricature est au portrait. Comme humoriste,il a su prendre en l'exagérant, le côté faible du caractère paysan,haut buveur, paillard et quelque peu grippe-sou. Ilen a noté pour en avoir ri lui-même, les extraordinaires répliques,mais il a laissé volontairement dans l'ombre, l'autre face du caractère- la bonne - Il nous la montrera quelquejour. V[ictor] L[e] F[ort] |