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LEPETIT, Alfred (1841-1909) : Le Cochon, souvenirs de Normandie : 60magnifiques gravures et dessinshumoristiques avec textes et musique.- Paris (10, rueSaint-Joseph) : F. Juven, éditeur,[1898].- 93 p. : ill. ; 36 cm. Saisiedu texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (22.VI.2012) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm 1666). Vous trouverez une version image decet album au rayon des Galeries. Le Cochon, souvenirs de Normandie 60 magnifiques gravures et dessinshumoristiques avec textes et musique par Alfred Lepetit ![]() ~*~Excellentissime Lecteur A moins que vous ne soyezMahométan, vous avez certainement plus d'une fois mangé du cochon ;mais en vous délectant de sa chair, vous est-il arrivé de penser parquelle odyssée a passé ce malheureux animal avant d'être transformé enboudins, saucisses, pâtés, jambons, andouilles, andouillettes,cervelas, salé, galantine et chipolata. C'est de quoi je vais vousentretenir, heureux si je puis vous intéresser quelques instants. D'après Buffon, le cochon est un animal brut, grossier,stupide, immonde, hébété ; mais le génie de Buffon, qui embrassait toute la nature, luifaisait écrire sur trop de choses pour pouvoir tout approfondir. Aussia-t-il fait l'histoire des animaux d'après ce qu'il en avait lu ouentendu dire, ne les ayant souvent guère vus qu'empaillés ; il enrésulte que ses descriptions sont pleines d'erreurs. Tel est le caspour le cochon, qui est juste le contraire de ce qu'il en dit. Voici du reste ce qu'on litdans le Dictionnaire de Larousse en réponse à l'opinion de Buffon : « Il ne serait pas difficile deprouver que ce portrait peu flatteur est souverainement injuste, etc... Je lis encore dans leDictionnaire pittoresque d'histoire naturelle : « Selon quelques auteurs, leporc a l'intelligence très bornée ; il est peu susceptible de répondreaux attentions que l'on a pour lui, et de s'attacher aux personnes quilui font du bien. » Que l'on me dise, sous cepremier point, comment il faut entendre et qualifier ce qui suit. Le cochon marron, habitant lespays méridionaux du continent américain, et qui est tout prêt à devenircochon domestique, retourne aux montagnes à l'approche de la saison despluies, et en descend aussitôt le commencement de l'été, pour se rendredans les marécages. Il se met en marche par bandes de quatre à cinqcents, ayant chacune à sa tête un mâle très fort et expérimenté.Chaque chef est obéi par sa troupe, comme le général par ses soldats.C'est lui qui donne le signal des haltes et des départs, qui déterminele moment de la pâture, et les positions à prendre pour passer la nuiten toute sûreté ; c'est encore lui qui avertit du danger. Dès qu'ilcroit en apercevoir la cause, sa vue étant très perçante, quoique l'onait avancé récemment le contraire, il fait claquer ses dents ; toute latroupe lui répond par un claquement semblable et simultané, ellel'assure de la sorte qu'elle est attentive et prête à tout braver. Ilest toujours dangereux de l'attaquer, et principalement en ce moment.Le bruit l'irrite et l'exaspère. Vous la voyez, au nouveau signaldonné, serrer les rangs et cerner l'ennemi ; dès que l'on est certainqu'il est enveloppé, le cercle décrit diminue sensiblement ; les mâles,disposés sur deux, trois ou quatre rangs au plus, occupent la premièreplace ; derrière eux se tiennent les femelles et les petits, puisensuite un dernier rang de mâles qui sont chargés de protéger lesderrières de la troupe, et d’empêcher toute surprise. L'ennemi, unefois découvert, est attaqué sans pitié, mis à mort et déchiré parlambeaux. Malgré son extrême agilité, ses bonds prodigieux et les accèsde sa rage si terrible, le tigre lui-même ne peut résister à l'adresse,à la constance de l'assaillant le cochon a soin, par prudence, del'éloigner des arbres sur lesquels il pourrait se sauver. Il en est demême pour les chasseurs qui l'attaquent avec des fusils et avec deschiens : ceux-ci sont les premières victimes, et les chasseurs viennentaprès, à moins qu'ils n'aient eu la précaution de se tenir sur de grosarbres, et, de là, comme d'un rempart inexpugnable, de tirer sur latroupe. Elle ne cède pas à la vue des blessés, si nombreux qu'ilssoient, mais elle prend la fuite dès que le chef est tué. Quant à la seconde assertion,je répondrai par d'autres faits non moins remarquables et non moinsconvaincants. Le 20janvier 1822, un loup pénètre dans le village deSouiry, département de l’Aveyron, et se met à la poursuite d'un enfant.Un porc voit le danger, accourt pour défendre le fils de celui qui lenourrit, attaque le loup, met en défaut toutes ses ruses, et finit parl'acculer contre un mur. Le père appelé par les cris de l'enfant,arrive et tue le loup que le porc ne quitte qu'en le voyant baigné dansle sang, etc... » Parmi les gens qui discréditent le cochon, combien en est-il qui enauraient fait autant ? ![]() LA TRUIE PRÊTE A METTRE BAS La gestation de la truie est de quatre mois moins quelques jours.Aristote nous apprend dans un langage un peu cru, et que je m'efforced'adoucir ici, qu’en tous temps la truie recherche les caresses de soncompagnon, qui de son côté se montre, aussi affectueux qu'elle ; ilajoute, en ayant l'air de lui en faire un crime, que la truie se montreencore en cette disposition, même dans le temps où elle doit donner lejour à ses petits, et cela, contrairement aux animaux de toutes lesautres espèces ; il me semble qu’Aristote aurait pu en excepterl'espèce humaine. J'ajouterai encore qu'en cela l'espèce dont il s'agitest plus excusable que la nôtre en se hâtant de jouir de la vie,puisqu'elle ne vit guère que vingt ans, et encore en admettant une mortnaturelle, tandis que notre espèce peut vivre cent ans. ![]() NAISSANCE DES PETITS COCHONS Lorsque les cochons sont petits, ils sont joufflus, ils sont dodus, ilssont frais, ils sont roses, ils sont vifs, ils ont de petits crispleins d'une harmonie champêtre, il ne leur manque véritablement quedes ailes dans le dos pour ressembler à de petits amours. ![]() ENFANCE DES PETITS COCHONS Semblable à Ugolin qui dévorait ses enfants pour leur conserver unpère, le verrat, parait-il, mange aussi ses enfants à leur naissance,et pareil crime est imputé à sa conjointe ; à cela on pourrait donnerpour raison que leurs enfants, destinés au charcutier, peuvent bienêtre mangés tout de suite. Si cette excuse ne vous satisfait pas, envoici une autre : vous connaissez sans doute cette vieille histoire. Uncuré de campagne va chez son évêque qu'il trouve à table en nombreusecompagnie ; après qu'il fut resté debout quelque temps, le prélat luidit : - Quoi de nouveau, monsieur le curé ? - Il y a que ma truie vientde mettre bas treize petits et qu'elle n'a que douze mamelles.- Alorsque fait le treizième petit ? - Il fait comme moi, monseigneur, ilregarde manger les autres. La truie a souvent moins de douze mamelles, jamais plus ; en revanche,elle peut avoir jusqu'à vingt-quatre petits. Je suppose que dans ce casla mère les mange pour leur éviter le chagrin de regarder les autres. ![]() LES COCHONS A L'ÉTABLE Voici les cochons à l'étable : leurs fraîches couleurs vont bientôt seternir, car au lieu des affectueuses mamelles de leur mère, ou ne vaplus leur offrir que des mattes,c'est-à-dire un résidu de lait,quelques trognons de choux avariés, des pommes de terre pourries, letout arrosé de dégoûtante eau de vaisselle, et d'autres choses plusrépugnantes encore. Les pauvres cochons doivent penser que notre espèceest une bien sale espèce. ![]() CE QUE MANGENT LES COCHONS Une vieille épluche des betteraves détériorées auxquelles elle ajouterade l'orge moulue, des navets, de la farine de troisième qualité, despommes de, terre moisies, le tout mêlé d'un peu de son arrosé d'eau ;comme l'instituteur du village lui a dit que la nourriture fermentéevalait mieux pour les cochons, elle mettra le tout dans un baquet, et,au lieu de le laisser quelques jours seulement, l'abandonnera pendantdes semaines jusqu'à putréfaction, quitte à affirmer que les cochonsont des goûts immondes ! Les malheureux ne demanderaient qu'à senourrir de tartes à la crème, mais on ne leur en donne pas. ![]() CE QUE MANGENT LES COCHONS Un matin, en entrant à l'écurie, le fermier a trouvé son plus vieuxcheval de labour mort sur sa litière ; il l'a fait traîner au loin dansun coin écarté de l'herbage, puis a écrit à l'équarisseur de venirl'enlever ; mais celui-ci ayant tardé de quelques jours n'a plus trouvéque les os : le pauvre cheval avait été dévoré par les cochons. SQUELETTE D'UNE TÊTE DE COCHON Il suffit d'inspecter la dentition du cochon, pour comprendre qu'unebande de ces animaux peut parfaitement dévorer un cheval ; et au lieude faire un crime de cette voracité, on devrait féliciter le cochon,malgré ses terribles mâchoires, de ne jamais attaquer l'homme. ![]() CE QUE MANGEAIENT LES COCHONS Dans les temps primitifs, les cochons vivaient, plus heureux que despropriétaires ; aucune des maladies qui leur sont survenues depuis, parsuite de la mauvaise nourriture, ne leur était connue ; ils vivaient deglands, de racines, de fruits sauvages, de faînes, de châtaignes, desouches, de fougères ; mais leur mets de prédilection était la truffe,ce qui, on en conviendra, ne prouve pas une grande perversion de goût ;cela dura jusqu'au jour ou un homme (peut-être quelque Gauloispréhistorique) s'étant aperçu de l'excellence du précieux tubercule, levola, et par un comble d'ingratitude le traita par dessus le marché, de« cochon ». ![]() LE COCHON DANS LE PURIN Depuis Buffon qui a dit que la malpropreté était naturelle au cochon,bien des naturalistes ont reconnu le contraire. Dans le Dictionnairedes Connaissances utiles, l'un d'eux s'exprime ainsi : « Libre,lecochon est propre ; il recherche l'eau pure et aime à s'y baigner. Enesclavage, il devient malpropre, et à défaut d'eau claire, se vautredans les boues les plus impures. » Dans le Dictionnaire d’Histoirenaturelle, un autre dit encore : « De tous les animaux de laferme, leporc est celui que l'on néglige le plus ; on le laisse généralementvivre dans la malpropreté la plus dégoûtante, par suite d'une habitudefâcheuse née de la paresse et d’un préjugé sans fondement. » Il résultede ce que l'on vient de lire, que l'homme aime mieux accuser lâchementle cochon qui ne peut lui répondre, que d'avouer que c'est dans sasociété que le cochon est devenu aussi sale. ![]() LE COCHON ET LE MENDIANT Un mendiant, un jour, deboutcontre une porte Attendait résigné que la maîtresse sorte ; Il était si chétif, si sec, si décharné, Qu'un cochon qui survint en fut très étonné. Et monsieur le cochon, regardant l'homme en face Débita ce discours plein d'une rare audace : « Quel animal es-tu ? Je ne puis concevoir Une espèce aussi maigre, aussi pénible à voir. Il suffit de jeter un coup d'œil sur ta mine, Pour voir que tu n'es pas à bien riche cuisine. Quel contraste entre nous ! Je ne puis faire un pas Tant je suis bien nourri, bien portant, gros et gras. Lorsque de ton diner l'heure est problématique, Le mien exactement vient par mon domestique. Je mange tant et plus, si tel est mon plaisir ; Quand je suis bien repu, je digère à loisir. Je dors la nuit, le jour, ou ne fais rien qui vaille, Pendant qu'autour de moi, chacun sue et travaille. Dans ce monde à l'envers, veux-tu savoir pourquoi Je me trouve très bien, je fais figure, et toi Tu ne vaux même pas une bête de somme ? C'est que je suis un porc, et toi tu n'es qu'un homme. ![]() LE MÛR-GRAS Lorsque le cochon est arrivé à ce respectable degré d'embonpoint, lepaysan normand dit qu'il est mûr-gras; il peut vivre alors sans sefaire de bile ; pas d'impôts, pas de propriétaire à payer ; lapréoccupation de sa nourriture ne l'inquiète que fort peu, ne vivantplus, en grande partie, que de sa graisse ; le fil de fer qu'un lui amis dans le grouin pour l'empêcher de fouiller la terre, et le trianglepassé autour de son cou pour l'empêcher de passer à travers les haies,ne le préoccupent plus. L'épaisse couche de lard qui l'environne detoutes parts le rend insensible aux coups, et lorsque, la nuit, uneaudacieuse souris vient entamer sa peau pour grignoter ce lard, sonsommeil en est moins interrompu que ne serait le nôtre si nous sentionsune puce. ![]() UN TROIS CENTS KILOS L'art d'élever et d'engraisser les cochons n'est point ce qu'un vainpeuple pense ; semblable au porc-épic, il est hérissé... dedifficultés. Dans les concours de cochons, il y a beaucoup d'appelés etpeu d'élus : ce spécimen, devant lequel paraitrait bien maigre unmembre de la Société des Cent Kilos, me fut présenté par sonpropriétaire qui me pria d'en faire un croquis ; mais l'animal était siénorme que le papier se trouva trop petit pour le dessiner en entier,et je n'en pus faire que la tête. Elle suffira, je pense, à montrer quel'éleveur de ce pachyderme a bien gagné le premier prix, car il estarrivé au plus haut degré de lard. ![]() DEVANT L'ÉTAL DU CHARCUTIER Je ne puis résister au plaisir de vous citer ces vers d'un poète degrand talent, et qui trouvent naturellement leur place ici : Celui que notre langue adépoétisé, L'immortel compagnon, l'ami de saint Antoine, Le cochon, puisque ainsi nous l'avons baptisé, Vivait dans son réduit, gros et gras comme un moine ; Il ne manquait de rien, grâce aux soins du fermier ; L'orge pleuvait chez lui par boisseaux et par sommes ; Il était, en un mot, plus heureux qu'un rentier. Mais le sort qui se rit des cochons et des hommes Voulut qu’il vît un jour l'étal du charcutier. Là, sur des plats nombreux, se trouvaient mis en vente Des saucisses, du lard, du boudin, du jambon. « Hélas ! murmura-t-il. Tout est bien du cochon ! » A ces mots, tête basse, il gagna son étable, Gémissant sur lui-même et déplorant son sort. Il n'est, plus ici-bas de bonheur véritable Lorsque nous prévoyons une fatale mort. A. ROUSSEL (Les Miettes d’Ésope.) ![]() LE RÊVE DU COCHON Depuis que le malheureux cochon a vu l'étal du charcutier, son sommeilest furieusement agité, entrecoupé de cris et de plaintes au milieudesquels il semble l'entendre vaguement chanter : Mes jours sont condamnés, Je vais quitter la terre, etc. (Air connu.) ![]() LE MARCHAND DE COCHONS A DOMICILE Des marchands de cochons vont dans les campagnes pour acheter ou vendredu bétail ; la scène que nous voyons représentée ci-dessus est prise aumoment où l'on discute sur le prix de l'animal que le marchand vientpour acheter, et qu'il est allé préalablement visiter dans son étableavec soit propriétaire ; ce dernier ne veut pas céder son élève, unebête de quatre mois, à moins de 15 écus ; le marchand ne veut donnerque 3 pistoles ; enfin, le propriétaire le cède à 40 francs, mais lemarchand donnera 20 sous en plus pour laservante... des cochons. En signe de marché conclu, le fermier frappedans la main du marchand, et le marchand dans celle du fermier, enprononçant les mots sacramentels : « Jean Fesse qui s'en dédit ». ![]() UN GROS MARCHAND DE COCHONS Gros peut-être pris dans les deux acceptions du mot, c'est-à-dire dansle sens de massif et d'important ce type curieux a fait sa fortune envendant des cochons. On dit de lui qu'il a du foin dans ses bottes ; àvingt lieues à la ronde, il est cité pour les succès nombreux que sesélèves ont remportés dans les concours ; il a, du reste, faitphotographier tous ses lauréats, et il est heureux de faire visiter sagalerie aux amateurs, auxquels il dit : « A force d'engraisser descochons, j'ai fini par m'engraisser moi-même ; je suis resté garçon ;je n'ai point d'enfants, ajoute-t il en riant, que ceux dont vous voyezles portraits accrochés au mur. » Beaucoup pensent qu'en effet, il y aentre eux et lui une ressemblance très prononcée. ![]() LE CHEMIN OU MARCHÉ Dès le matin par un temps brouillardeux,un bon paysan monté dans savoiture à laquelle est fixé un cageoirà roulettes est en route, pourle franc-marché, afin d'y vendre son goret ; sur son chemin il arencontré un compatriote qui lui a demandé une place dans sa voiture etils s'en vont devisant sur lecours probable des cochons. ![]() LE CHEMIN DU MARCHÉ Paysan normand faisant une prière pour obtenir la grâce de vendre soncochon le plus cher possible. ![]() LE MARCHÉ AUX COCHONS Nous voici arrivés au marché aux cochons : ce qu'on voit d'abord c'estbeaucoup de... paysans et pas de cochons, mais si on ne les voit pas onles entend. Les petits crient plus fort que les gros, et les femellesplus haut que les mâles. Ouvrons l'œil et observons, c'est ici que lesupplice des pauvres cochons commence. ![]() LE MARCHÉ AUX COCHONS Voici venir deux figures de connaissance, la mère Gaspard et son fils ;ils tiennent un petit cochon, l'un par l'oreille, l'autre par... lasuite ; tout à coup le cochon s'arrête et ne veut plus avancer : soninstinct vient de le prévenir qu'un danger le menace. ![]() LE MARCHÉ AUX COCHONS Plus loin se voient des cochons dans un cageoir : on les tripatouille, on les pince, on lessoupèse, l'acheteur prétend qu'ilsne sont que tout en graisse, et le vendeur affirme qu'ils sont tout enviande ; alors on les re-soupèse, on les re-pince, on lesre-tripatouille, et les cochons de crier à tue-tête. ![]() LE MARCHÉ AUX COCHONS Que vouliez-vous qu'il fit contre trois ! Deux employés de l'administration du marché s'avancent portant uncochon : celui-ci essoufflé d'avoir crié semble abruti pour le moment;mais patience, il se repose, tout à l'heure nous allons l'entendrecrier de plus belle. ![]() LE MARCHÉ AUX COCHONS Lorsqu'il s'agit de cochons ordinaires comme ceux que nous avons vusprécédemment, on les porte aux gens qui les ont achetés ; mais si l'ona affaire à un personnage d’importance, c’est-à-dire d'un poidsconsidérable, on agit avec la déférence qui lui est due, en faisantavancer une voiture. ![]() LE MARCHÉ AUX COCHONS Aussitôt qu'un cochon est vendu, il est marqué à la pierre rouge ;c'est ce que faite en ce moment l’homme que nous voyons penché sur l'unde ces animaux. Pour le droit de vente, ou paye deux sous pour lespetits cochons, et quatre pour les gros comme droit de commune. Lespetits papiers collés sur les bois des cageoirs indiquent que lesdroits ont été perçus ; maintenant que vous êtes renseignés, passons àd'autres tableaux. ![]() LE RETOUR DU MARCHÉ Le monsieur que nous voyons dans sa voiture est un horloger trèsartiste dans son art ; il habite une petite ville de province, et, lesjours de franc-marché, va dans les pays des environs guérir plussûrement qu'un médecin les montres asthmatiques, les horlogesanémiques, ou les pendules phtisiques. Son voisin, qui doit marier safille ces jours-ci, lui a donné la commission d'acheter un petit cochonde lait qui, le jour de la noce, sera mangé rôti ou cuit au four. Il est arrêté en route par un brave homme qui s'informe si sa montreest bientôt prête. ![]() LE DERNIER JOUR D'UN CONDAMNÉ Nous voici dans la cour du charcutier d'un gros bourg de Normandie,nous assistons à l'égorgement d'un cochon. Il faut pour obtenir unemort rapide que la pointe du couteau pénètre jusqu'au cœur. La poêleque le jeune aspirant charcutier tient à la main, sert à recueillir lesang qui est versé au fur et à mesure dans le seau et remué pour qu'ilne se caille pas. Il y a quelques lustres, les cochons étaient tuésdans la rue ; la ville était alors remplie de leurs cris effrayants ;c'était une excellente réclame pour le charcutier, tout le monde étaitprévenu qu’on allait pouvoir venir chercher du boudin. ![]() LE COCHON NAGEUR Un jour, je fus témoin d’une scène très drolatique. Un paysan ayantvendu son cochon à un charcutier, vint chez celui-ci pour le lui livrer; mais l’animal, pris d’une peur subite autant que justifiée, rompit lacorde qui l’attachait et s’enfuit à toutes pattes poursuivi par sonpropriétaire. Celui-ci allait le rattraper sur le pont d’une rivière,lorsque le cochon sauta dedans et se mis à la nage. Alors commença unecourse épique ; on jeta des cailloux pour l’arrêter... Peines perdues,le cochon nageait toujours ; un garde champêtre armé d’une gaule voulutl’empêcher d'aller plus loin, le cochon nageait toujours. Forcé deprendre le train qui devait me mener à Paris, je ne pus suivre plusloin l'aventure, et je ne sais ce qu’il advint du cochon ; peut-êtrenage-t-il encore. ![]() LE DOEIBLER DES COCHONS AVEC SON BOIS DE JUSTICE Dans les villages où il n'y a pas de charcutiers, on fait tuer soncochon chez soi par un homme qui en fait son métier. Le tueur decochons est donc bien un type spécial à la campagne ; d'est sur le boisqu'il tient à la main, et que l'on nomme gambier, que sera suspendule cochon pour être dépecé. Pour tuer un cochon, en faire des boudins, des saucisses, descervelas, du pâté, le préparer dans le saloir, etc., cet artiste,pourtant bien plus utile que certains autres qui accaparent ce titre,ne reçoit que la modique somme de deux francs, avec quelques morceauxde la bête. Généralement, toutes ces opérations demandent la journée ;cependant il y a des tueurs très habiles qui font deux cochons parjour, mais ils sont rares. ![]() VÉGÉTARIEN, complainte dédiée à M. Sarcey. 1 Si vous avez l'âme tendre Et le cœur sensible aussi, Vous frémirez de m'entendre Vous narrer l'histoire-ci. En m'écoutant davantage ; Vous verrez d'un air navré, Dans un tout petit village, Un grand crime perpétré. 2 L’assassiné du village Etait bien le plus heureux. Pourtant à la fleur de l'âge, Il n'était point amoureux. « L'amour, pensait-il, sans doute Peut avoir d'heureux moments ; Mai il sème notre route De chagrins et de tourments. » 3 Rétif à toute culture De son naïf intellect, Hormis la simple nature, Tout lui paraissait suspect. Moi son historiographe, Je dois avouer ici, Que même de l'orthographe Il n'avait aucun souci. 4 Il vivait dans l'abondance, Sans souci du lendemain, Enchanté de l'existence, Lorsqu’une coupable main Lui donne une mort cruelle. O souvenir attristant, En y pensant ma prunelle, De pleurs se mouille à l’instant. 5 En entendant la victime Qui poussait des cris affreux, J'accours sur le lieu du crime, Pour sauver ce malheureux ; L’assassin loin de m'entendre, Me dit d’un air folichon : « Peut-on faire un tel esclandre, Pour le trépas d'un cochon. » 6 « Au diner ne vous déplaise, Reprend-il d’un air badin. Vous serez, je crois, fort aise De manger de mon boudin - Je n'en veux, Dieu me bénisse, Je n'en veux même pour rien. Arrière boudin, saucisse ! Je me fais végétarien. ![]() LE DERNIER JOUR D'UN CONDAMNÉ Il est aussi à la campagne des gens qui tuent leur cochon eux-mêmes,ainsi que vous pouvez le voir par ce brave maréchal-ferrant aiguisantun couteau cochonicide tandisque la pauvre victime milite ces versdu poète Gilbert : Au banquet de la vie, infortunéconvive, J’apparus un jour et je meurs ; Je meurs, et sur la tombe où lentement j’arrive Nul ne viendra verser des pleurs. ![]() LA TOILETTE FUNÈBRE. Lorsque le cochon a été mis à mort, il faut enlever les innombrablespoils qui lui restent sur le corps. On pourrait les extirper un à unavec des tenailles ; mais comme cela pourrait demander beaucoup detemps, il vaut mieux procéder de cette autre faon. On l'étend sur unecouche de paille à laquelle on met le feu, et l'on en promène égalementune poignée sur les parties où les poils subsistent. ![]() LA TOILETTE FUNÈBRE Lorsque le cochon est bien flambé, on le racle avec un couteau, enl'arrosant de temps à autre ; pour cela, de l'eau suffit ; l'arroseravec du champagne serait un luxe inutile. ![]() LA TOILETTE FUNÈBRE Pour terminer, on lave à grande eau en frottant le cochon avec unpinceau bien doux, tel qu'on vieux balai de cuisine. ![]() LE DÉPEÇAGE La première opération consiste à inciser le ventre de l'animal. - Tu vois, dit l'homme au petit garçon, toi qui pleures toujourslorsqu'on te débarbouille ; eh bien, c'est pour le punir de n'avoirjamais voulu être propre, que j'ouvre le ventre de ce gros cochon-là. ![]() LE DÉPEÇAGE Ensuite, on retire les boyaux qui serviront à confectionner andouilles,boudins et cervelas ; car dans cet utile quadrupède, il n'estabsolument rien de perdu. ![]() LE DÉPEÇAGE J’ai l’honneur de vous présenter le plus méthodique et le plus experttueur de cochons que je connaisse. A peine sa victime a-t-elle le tempsde jeter un cri, qu'elle tombe foudroyée ; en ce moment, il découpel'animal et en extrait les meilleurs morceaux qui vont être servis dansle festin auquel on a donné le nom de « Boudinée. » ![]() LA CHAIR A SAUCISSES Voici maintenant la chair à saucisse, hachée menu, menu, et telle queles convives croiront, en l'avalant, sentir passer un duvet de cygnedans leur estomac. ![]() LE BOUDIN Les saucisses ont été alignées avec une symétrie parfaite, et lesboudins, faits avec le sang de l'animal, viennent se ranger dans uniordre aussi mathématique que des soldats à l'alignement, car cetartiste a le pur sentiment de la ligne, c'est le Ingres des tueurs decochons. ![]() LES ANDOUILLES Les artistes, si grands qu'ils soient, ne sont généralement point d'uneforce égale sur toutes les parties de leur art ; il en est de même destueurs de cochons : tel, qui est un virtuose du boudin, se montreramoins inspiré pour la saucisse ; celui que j'ai portraicturé avait legénie de l'andouille, il me fit savourer un jour l'un de seschefs-d’œuvre, et en souvenir de cette date mémorable, je lui envoyaile croquis ci-dessus accompagné, de ce quatrain : L'artiste éminent que l'on voitici, Me fit savourer une exquise andouille, A ce souvenir nom gosier se mouille, Et reconnaissant je lui dit merci. ![]() LE SALÉ Nous sommes dans une grande ferme, on a fait tuer deux cochons, ce quiest une occasion de bombance pour les animaux qui accourent de toutesparts. C'est maintenant que va avoir lieu la dernière opération, celledu salé, qui se fait dans de grands pots de grès comme celui que vousvoyez au premier plan. Par la fenêtre, nous apercevons un cochon errant d'un air triste, à larecherche de ses deux compagnons. Hélas ! la Parque, sous la figured'un tueur de cochons, a tranché le fil de leurs jours. ![]() A L'ABATTOIR Dans les grandes villes, il est interdit de tuer les animaux àdomicile, tous doivent aller à l'abattoir, il y a là aussi des typescurieux, témoin ce personnage debout qui ressemblerait plutôt à quelquelicteur romain qu'a un garçon boucher. ![]() UN CHARCUTIER Après avoir vu la charcuterie de la campagne, voici celle de la ville ;les artistes précédents n'étaient que des rudimentaires ; celui-ci,représenté à son étal du marché, pousse l'art de la cochonnaille jusquedans ses extrêmes raffinements ; car le cochon offre tant demerveilleuses ressources, qu'à lui seul il a donné naissance à l'art dela charcuterie, qui nous fait savourer le cochon sous des formesdiverses. En parlant de lui, Monselet n'a-t-il pas dit : On t'aime galantine, on t'adoreboudin. ![]() LE SALÉ Parmi tous les animaux, c'est la chair du cochon qui prend le mieux lesel et le salpêtre et se conserve le plus longtemps, aussi le saléest-il souvent employé dans les armées de terre et de mer. Les deux personnes que vous voyez manger de bon appétit, vont deNormandie à Paris ; elles se sont munies d'un respectable morceau desalé, flanqué de quelques boudins, ce qui évitera d'aller aux buffetsqui, semblables à une machine pneumatique, font le vide, dans lespetites bourses. ![]() LE SALÉ C'est surtout dans les campagnes que le salé est d'une grande ressource; les bouchers sont loin des villages et des fermes isolées ! Sans lui,les paysans ne mangeraient presque jamais de viande, tandis que lesplus pauvres peuvent graisserun cochon, qui les alimentera la plusgrande partie de l'année. Les types que nous voyons boustifailler sont des aoûteux, c’est-à-dire loués pour lasaisonde la moisson, qui se fait au mois d'août. - Arrosé d'un boén coupd'cidre, le salé vous remet un homme d'aplomb, beaucoup mieuxque nele ferait un coup de trique, me dit l'un d'eux. ![]() SAINT ANTOINE ET SON COCHON Un roi de Catalogne, très affecté de voir que sa femme avait le diableau corps, pria Saint Antoine de vouloir bien faire pour elle unmiracle, en lui extirpant ce diable. Le saint aussitôt mit le démon enfuite. A ce moment, une truie qui venait de mettre au monde un petitcochon qui n'avait ni pattes, ni tête, ni dos, ni reins, ni ventre, niqueue, ayant appris qu'un faiseur de miracles venait d'arriver à lacour, accourut porter son petit au saint qui rendit au goret ce qui luimanquait. Le petit cochon, pénétré de reconnaissance, ne voulut pasquitter le saint et fut jusqu'à sa mort son plus fidèle compagnon. Decette histoire ressortent trois choses a la gloire de l’animal : 1°L’intelligence de la truie. 2° L’attachement du cochon. 3° L’amitié quele saint montra toujours pour son compagnon, et dont celui-ci su semontrer digne. |