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Histoiremerveilleuse et effroyable arrivée en Normandie en 1470 dontla copie fidèle a été découverte par Léon Le Rémois dans les archivesde la mairie de Quettehou (Manche).- A dives : Chez LéonLe Rémois, enson Hostellerie de Messire Guillaume Le Conquérant, MDCCCXCIII[1893].- In-8° , 15 p.
Saisie du texte etrelecture : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (04.VI.2009)
Relecture : Raymond Raveaux (29.09.09)
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
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Histoiremerveilleuse et effroyable arrivée en Normandie en 1470
dontla copie fidèle a été découverte par Léon Le Rémois
dans les archivesde la mairie de Quettehou (Manche)

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HISTOIRE EFFROYABLE ET PRODIGIEUSE
ARRIVEE EN 1470
AU PAYS DE NORMANDIE
Au très grand estonnement du peuple

Ce jour d'huy vingt-quatriesme de juin mil quatre cent septante six deJ. C. † my Bonne Aurellie Victoire de Questil, dame de Montfarville,Gatteville, le Vicel, veuve de haut et puissant seigneur de Réville,Carquebut et Tourlaville ; envieuse de faire à savoir ès générationsfutures l'évenement miraculeux duquel fut témoin oculaire, et parcrainte de trahision fausse par ouxtrance ou diminution, ai écrit copiefidèle de ce, et ai fixé icelle en terre au pied du troisièmemarronnier de notre venelle de l'est, et surtrait bin tiré de lasusdite scène par Jehan Louis le Crestey abbé de St Martin de Réville,homme érudit et moult expert ès sciences et ès arts.

Au trentième jour de décembre de mil quatre cent septante entour ladeuxième heure de relevée étions entour l'âtre my not époux not fils etlou frère de not époux qui était moine et encore l'abbé le Crestey etmoult varlets et chambrières quy vaquaient à leu besoing, froidureétait grande et fort feu brûlait en l'âtre en not grande office deRéville. Not époux avait 60 ans d'âge, roux haut et fort avait servijadis le roi Karle septième conte l'anglais et était au dire de chacunhomme juste considérable et puissamment riche quant ès varlets chevauxmules et aussi vaques laiteuses, mais point érudit, ne savait pointlure et avait oui accoutumé dire en son langage : Rapière degentilhomme moult preferable à plume de bailly. Mariée à ly à 24 ans merendit mal contente quoique d'humeur guerroyeuse, avais de ly seul filsgrandement mal sain qui fut Louis Giron d'humeur tendre, etcaraissante, non plus érudit que son père. Quant à my, aimai moultcanchons et lectures et gardai en mémoire moult romans de cavalerie etmoult oraisons de lithurgie sainte ayant couru fort lou monde et visitéavec fréquence Barofleur et Valoigne. Pour lou moine, avait quatreannées moins de not époux, mais, plus grossier et lourd était moultcraint et détesté fort car ly violent et brutal surtout ly ayant bu. Mydétestais ly et oncques damoiseau. Pour mé, ly cassait la laine oumuchait my quenouille et ciseaux ou minchait coiffe et ambulos ou lyplaçait en my scabeauret moult épingle et égul à seule fin de piqué méor my larmoyais fort et invectivait mé disant larmoyeuse et bestiale.Or donc syre Jehan et son fils Louizot fabriquaient lou beurre à mousgout, beurre que ly estimait fort, my filais my quenouille et lou moinefessait lou petit varlet Sauf-Grain par dilectation et maligneté.L'abbé le Crestey lûsait en haut histoires du petit Jehan de Sainct-Ré,roman moult rigolot, et tous gaudissions à la manière des bossus saufle moine qui oncques ne gaudissait. Soudainement frappa et entra ensalle Pierre Tesson, lequel syre Jehan avait mandé à effet de réclamerà ly dette conséquente de trais cents livres que ly estait redevantpour la pastoure de Sussaire entour une Toussaint. Adeste était chantédéjà et oncques soldait maistre Pierre Tesson, ly point accoutumé decela et soldait chaque an au jour, et était pour syre Jehan sujetconsidérable de stupefaction, aussi du premier que reconnut ly, pritvisage grandement séver et cria avec forte colère : Vilain, solde mé outient le certain de mourri, bon chanvre est en grenier à seule fin deserré le co à té à la potanche, respecte-té. Grande terreur fut sur ceen maistre Pierre lequel répondit tremblant tout plein : héla ! héla !messyre, my point culpable ay soldé au temps et leu les susdictes traiscents livres et ne doi plus rien chose nulle ; plus déclara avoirrémises icelles ès mains du moine par cause d'absence du seigneur,affirmant ce du très Sainct Évangile ce que ayant oui lou moine cessala fessade du petit Sauf-Grain et voulu sortir ; mais syre Jehan, halaly et ly dit : Frère presche à mé et dit mé si tout ce est souvenanceen té. Lou moine obstina fort et invectiva syre Jehan disant depuisquel temps avait pour frère un larron et faites cas plus considérableès serment de vilain qu'à paroles de moine ; faites prendre lyincontinent comme imposteur et débiteur car oncques n'ai reçu chosenulle. Jure ce, dit Pierre. Lou moine jura et dit : Satan emporte mé,si toute parole dite par mé n'est point pure vérité. A peine lou moineeut-il presché de la sorte que grand bruit se fit en tout l'office, lafenestre du sud tomba avecque fracas et advint hydeuse créaturedyssemblable de tout chrétien et que oncqnes n'avait vu en Réville.Tout noir de corps, chauf-souris par les ailes et les pieds lesquelsétaient griffus, la tête de icelui était nère avec oeils, nez, aurelleset bouche et encore des cornes au dessus qui fit comprendre à méqu'était lou diable et aussi forte odeur de soufre accompagnait ly etemplissait l'office. Pour lors moult terreur fut en nous tous etlarmoyant sauf maistre Pierre qui gaudissait. Lou moine heurlait plusque autre il était face en terre sur carreau, mais messyre Satan avaitvu ly et saisit ly ès deux aurelles, et tirant des ailes enleva ly parla fenestre au grand ébahissement d'un chacun qui criait fort etfaisait nombreux signes de croix. Lou moine ainsi enlevé prit un visagesouçant car était créature du diable et fut vitement chéri de ly. Toussortimes au dehors pour voir ce et étions moult effrayés pénétrés àfond de l'horreur du parjure. Lou diable tint iceluy durant my-heuredré au-dessus du manoir à effet que tous vyssent ly. Lou moine ricanaitet tenait aux mains deux pouches pleines de sorts que Lucifer avaitdonnés à ly, il devint pour lors moine de Saire et fut fléau du pays,car Satan avait enlevé ly non à tort. Lou moine avait parjuré avaitreçu trais cents livres de maistre Pierre en un certain jour quemessyre Jehan était allé chasser lou sanglier conjointement avecquemessyre de Cabourg ès forest de Hougues et de Melto. Lou moine ne futpoint un regret pour ly car ly malin et invectif était méchant chrétienet oncques n'assistait à messe ni à vespres et aussi faisait grassechère durant vendredi et samedi affirmant ne point croire à Dieu. Pourlors étant fils de Satan, on voit ly toutes nuits au bord de la rivièrede Saire niant tout chrétien qui passe ès gué ou à la pointe de Saire,envieux de démolir la croix du Christ : ay oui dire à d'aucuns que lyétait permutable en boeuf, âne, cheval et porc et se vête ainsi à samanière à effet de goubliné lou pauvre mond.

Un coup, entour la Pentecôte de mil quatre cent septante un, entouronze heures du soir étais en my cabinet et dormais profondément, tout àcoup grand démangement vint en my et my frottant l'oeil vit non sansterreur chouette hydeuse my chatoyant l'ortel et eus appréhensionconsidérable aussi larmoyai for et hurlai. Pour lors la chouetteprescha a mé et dit : Aurellie évele té et écoute toute chose que Satana dit à mé de porter à té étant frère de syre Jehan, lou moine de Saire(et sur ce larmoyais de plus fort) et il ajouta : Tu es vraiment moultpleurieuse et m'embarrasse fort aussi aye souvenance que non seulementpleureras en cette vie mais encor in perpetuum et tant que lou mondsera mond, tant que prêtre chantera pour toi un Libéra forte pluietombera en ce jour sur terre à la manière de giboulée et tout laboureurentour une moisson dira en ly : Honny soye dame Giron. Syre Jehan etson gars Louizot qui sont à té à grand affectionnement crèveront, louclochet de St Eloi tombera à néant et aussi celuy moult plus grandiosede St Martin de Réville. Les closets juste Tatihou qui sont propriétéde té seront mangés par la mer et icelle adviendra en un temps drédevant Cabourg (et ce parut à my forte imposture). La tourelle duchâtet sera brûlée et ne restera que corps de manoires aussi adviendrareligion autre qui divisera lou mond. Voilà de toutes parts bataillesluttes et sang versé (et sur ce me signai trais coups). Réville mêmesera mis en siège par gens d'armes nombreux, puis la propriété deRéville quittera famille de té, ira ès mains étrangères lesquelsaccroitront moult le châtet mais à peine ornement est fait lou seigneurest chassé et tous les seigneurs en tout France gens d'armes occupentlou manoire toute croix est coupée et mise au feu, tout colombier està-vo-lo, et St Martin est fermé (my signant trais coups jadorez Dieuhumblement) lou moine rigolait avecque grand malice et contentementpuis ajouta : Après moult années beaucoup de mal a été fait par my maislou règne de my a passé, lors toute famille nouvelle vint ès manoire etquelque sang de Questil coule en leurs veines (ce fut pour my grandejouissance). Voilà my règne à-vo-lo car serai moult embesté et gesnépar icelle, réparé sera lou manoire, aussi St Martin et St Eloi, entout point nombre de Christets seront posé et lou pont de Saire a desportes, la rivière rentre en sont lit et nombre de vacques laiteusespaîtront en plein grécès (sur quoi fort rire attaqua mé) enfin toutchrétien saura lure et se vêtira de laine, pour lors plus negoublinerai et malheur à my, mais par Lucifer my patron, toutes ceschoses arriveront et sur ce disparut. Depuis ay déjà vu moultaccomplissement de la prophétie de ly. Not époux est défunt de soixantetreize et mon fils Louizot de quatorze et ce fut pour mé vif chagrintoutefois héritoy de ly et mé défunte Réville adviendra à Guylaume deQuestil syre de Montfarville, lequel fera dire dire moult oraisons pourmy pauvre âme. La mer a en effet opéré moult ravages et a mangé nombrede closets juxte Tatihou, qui a su quand on arrêtera icelle. La tour dumanoire a brûlé lou quatorze juin soixante quinze et en une même annéelou clochet de St Eloi est anéanti, lors fut blessé par chute de lacloche Thomas Pilard qui faisait dévotion de ly au côté de son seigneuret maistre syre Hervé de la Sauvagerie. Saint Martin tombera héla !héla ! ouvrage conséquent fait des deniers de not biau-père MartinGiron de qui étais bru et my serai honny in perpetuum, aussi laisseraimoult or et argent à effet de dire moult messes qui feront justebalance ès diablotins, et aujourd'huy place en terre au huitièmetilleul de la grand cour somme conséquente de dix mille livres en unpetit sac de cuir desquelles livres cinq mille livres pour les pauvreset lou restant à effet d'ériger grande léproserie en laquelle seraadmis tout être malsain, homme d'armes comme manant ayant en mé fortsouvenance, que Dieu not père est bon pour tous les hommes.