Aller au contenu principal
Corps
LERÉVÉREND, Gaston(1885-1962) : Un Normandde la terre : Pierre Campion (1926).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la Médiathèqueintercommunale AndréMalraux de Lisieux (30.IV.2015)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Orthographe etgraphieconservées.
Texteétabli sur un exemplaire du n° 198 des Nouvelles Littéraires, du samedi 31 juillet 1926, repris quelques semaines plus tarddans un quotidien caennais.


~*~

UN NORMAND DE LA TERRE
[A Propos des « Clos de Jadis »]
Robert CAMPION
Par
Gaston Le RÉVÉREND

~*~

Ses confrères normands disaient, les uns souriants, les autresregrettant : « Voici tantôt vingt-cinq ans qu'il n'a rien publié. Ses Rimes paysannes, son Jardin défleurisont introuvables. Comme tantd'autres, il a fait mentir Féret : « Petite Jeanne, un jour, portera unglorieux nom ». Et il n'aura pas tenu les promesses de sa jeunesse.Ses Clos de jadis, qu'il annonce depuis tant d'années, quandparaîtront-ils ? Paraîtront-ils ? Ena-t-il poussé l'écriture plus loin que les quelques chapitres publiésnaguère dans les Marges ? S’ils sont écrits, aura-t-il le courage dese chercher un éditeur ? Et Campion vivait sur sa légende,qu'entretenaient de bons amis, et qu'il justifiait, lui-même, (grandbuveur, grand voyageur, joyeux compagnon, grand mélancolique à partsoi, et grand paresseux dans l'intimité). Pendant deux ans, on l'avaitcru mort, et il n'en manquait que la certitude pour que les bulletinsrégionaux publiassent sa biographie, et brûlassent de l'encens à saMémoire. On ne le rencontrait ni à son pied-à-terre parisien, ni auxsoirées de la Pomme. Bien qu'il habitât, quand il était à Paris, à lapointe ouest de l'île Saint-Louis, une chambre qui dormait sur le plusbeau paysage au monde, et que la maison du prince n'eût que des gens delettres pour locataires, il fréquentait d'autres milieux et neconnaissait rien des cénacles. Pourtant, tout arrive. L'autre jour, jel'ai retrouvé chez lui ; et il m’a montré son livre en épreuves. «Enfin ai-je dit, ça y est. Grâces en soient rendues aux dieux, àFernand Fleuret, et aux Editions Montaigne. Un peu à vous aussi,Campion, bien que vous n'y soyez que pour pas grand-chose ».

Croyant bien que ce livre ne paraîtrait jamais, certains s'étaientpressés de le dire un chef-d’œuvre, au lu des quelques pages publiées.A la vérité, ce n'est pas un chef-d'œuvre que Les Clos de jadis. Quidit chef-d’œuvre, aujourd'hui dit fabrication habile, savoir-faireparfait, réussite. Les Clos de Jadis seraient tout, sauf cela. Ce nesont pas même une œuvre. Pas d'intrigue, pas de belles phrases ; pas dechiqué, pas d'apprêt, pas de littérature. Ce n'est pas mieux qu'unchef-d’œuvre, ce n'est pas mieux qu'une œuvre, non. C'est ce que c'est: quelque chose qui est charmant, très frais, très agréable et trèssain.

Ce n'est pas du transposé, de l'arrangé, du demi-vrai : Campion estbien trop paresseux pour jamais se donner la peine d'arranger la vie,ni les choses. Parfois, c'est décousu, avec la saveur de notes prisessur le vif, et point retouchées. Des phrases de dix mots, ou de trois.Rien de dressé pour l'effet, tout livré au naturel, au naïf. C'en estplat, par endroits, mais oui ! Mais pas une fausse note, pas une nuanceinexacte, pas un détail imprécis ou douteux, pas une bavure. Comme!taches, il n'y a que des fautes d'orthographe et une mauvaiseponctuation, par-ci par-là. Campion se croyant au grand siècle, adédaigné de corriger lui-même le typographe et d'aider le prote. Enquoi il a manqué gravement a la tradition de son pays : toujours lamaîtresse de maison déplie la nappe avec ses servantes et les aide àmettre le couvert, à fleurir la table.

Peintures de mœurs normandes que ce livre, dit-on. Oui ! mais pas à lafaçon de Flaubert, ni de Maupassant, ni de Mme Lucie-Delarue Mardrus.Peinture des mœurs normandes, oui et d'un bout à l'autre, et il y amême cinquante pages qui ne sont que cela, mais ce n'est pasl’important : peintures de mœurs normandes, oui, mais surtout une belleenfance paysanne dans un savoureux décor. En vérité, je ne sais paspourquoi j'ai pris tant de détours pour avouer que c'était toutsimplement un livre de poète, qu'il en avait toutes les qualités ;qu'il était senti et point construit, et que son mérite là encore depoint tenter à paraître ce qu’il n’était pas, mais d’être avecingénuité, naturel et nu.

Prêtreville, pays de Campion, au sud de Lisieux, est à quatre lieues, àvol d’oiseau, de Courtonne, mon pays, qui est à l’est. Lisieux n’estpas le chemin pour aller de l’un à l’autre. On y va par la traverse,chevauchant coteaux et vallées. Aujourd’hui un quart d’heure d’auto, ence temps-là, deux heures de carriole, à cause des montées. Le châteaude Mailloc, aux Colbert est à mi-chemin de chez lui chez moi. C’estdire si les gens, les choses et le paysage sont les mêmes. J’aurais pu,vers mes douze ans, rencontrer les domestiques de Mme Neuville (lagrand’mère de Campion et l’héroïne de son récit), aux pèlerinages deFervacques, qui sont à la vénération de Saint-Just, si les chrétiens deCourtonne n’eussent préféré, de toute mémoire d’homme porter leurdoléances à saint Sébastien de Préaux. Là, j'ai rencontré leurscousins, et c'est tout comme.

Campion recrée le paysage de son enfance. Le Clos des Neuville, le bienet le voisinage, la maîtresse, les servantes et les domestiques (destypes de partout chez nous, cet Hélie, ce Harel, ce Duhamel, cetteCatherine), l'ordinaire des dimanches et celui du tous-les-jours, lescoutumes, les traditions, les foires, les dîners, les pèlerinages,l'école, les jeux, l'église, la mort et les funérailles... UneNormandie paysanne, herbagère, cossue, cœurue, toute en traditions eten coutumes, montrée en beau à travers la buée du regret, d'une mémoirejamais défaillante. Dix lieues carrées de sol (pas plus), avec sesparticularités de vie et de mœurs. Tel sol, tel ciel, tel climat, ettel peuple donc ! Peuple sympathique, réaliste, généreux, et, à sesheures, plein de sentiment.

Il se peut qu'un jour ou l'autre, de grincheux confrères découvrent queLe Révérend a plagié Campion, ou que Campion à plagié Le Révérend.Pensez donc ! J'ai l’intention de raconter quelque jour, mon enfancevillageoise. Et Campion, mon aîné de vingt ans, s'est permis de prendreles devants, et de dire avant moi tout ce que je pensais dire. J'envoulais déjà à Pergaud d'avoir écrit la Guerre des Boutons. Il l'afait de telle façon qu'on eût cru qu’il était venu se documenter dans mon village et voircomment les garnements de deux communes voisines et rivales se font laguerre à l'école et se défient le long des chemins, au bord de l’eau oudans les bais. Campion a fait davantage. Il m’a volé mes propressouvenirs. Pour un auteur ambitieux qu'ellerancune. Il le fait avec tant d’innocenceque c'est moi maintenant qui, chaque fois que je parlerai paysannerie,n'apporterai que du défraîchi. Tenez, il a raconté (je l'ai dit) lespèlerinages de Fervacques, processions, bannières, campanelles etcharités, beuveries et retours scandaleux pour là, religion. Il y aquatre ou cinq ans (les érudits chercheront la date exacte), j'ai fait,en quinze lignes, allusion à mes pèlerinages à Préaux. Mes quinzelignes sont dans le livre de Campion. Et le texte diffère à peine. Apeine ! Ah ! voilà, une question bien autrement importante, je vousl'assure, que la querelle qui surgit naguère entre Charles-ThéophileFéret et Henri Pourrat, propos de je ne sais quelle histoire racontée àvingt ans d'intervalle par l'un et par l'autre ! Des histoires, il y ena tant quelle doivent se ressembler toutes, comme, de loin, un visageen copie un autre. Notre enfance, elle, est unique. Mon enfance est àmoi, et à personne autre. Pourquoi nos yeux ont-ils été éblouis du mêmesoleil, pourquoi nos pas ont-ils vagabondé par des chemins pareils,pourquoi nos sensibilités se sont-elles nourries aux mêmes sources,Campion et moi ? Pourquoi les mêmes chansons dans notre souvenir, lesmêmes sentences dans notre mémoire ? Pourquoi sommes-nous jumeaux à cepoint ? Pourtant, je n'en veux pas à Campion s'il boit le premier auverre qui nous est commun. Je sais la différence qui lui laisse sonbien, et me rend le mien. Campion est le petit-fils de Mme Neuville,une riche herbagère de cette « vallée adorable dont la tête repose surles monts de l'Orne et dont les pieds se baignent au flot séquanique ».Je suis, moi le petit-fils de Hélie, son domestique, d'un Hélie qui nepossédait rien, et ne fut même pas assuré, comme l'autre, de pouvoirprendre ses invalides au foyer de ses maîtres. Et cela — rien que cela— nous sépare, et marque entre nous les distances. Nous pouvons nousrencontrer dans la même cave, la sienne, la mienne, ou une cave amie,nous assoir en face des mêmes futailles pleines sûr des escabeauxpareils, au guichet du même tonneau : c'est lui qui tirera la pignoche,qui me tendra mon eau-de-vie, en m'invitant à lui en donner monsentiment. Et je trouverai cela tout naturel. On a beau être des hommessemblables par le cœur, par le savoir, par l’expérience, on ne guéritpoint de son enfance. Le riche garde ses hardiesses et ses privautés,le pauvre ses intimités, ses gaucheries. Et je ne crains rien de ce queCampion ait traité le premier un sujet que je porte en moi.
 
J’ai d’autres raisons d’aimer Campion. Enfant, j’ai connu la Normandiespirituelle à travers les Harel (Rose, la servante-poète de Lisieux,Paul, l’aubergiste-poète d’Echauffour). Mes souvenirs les pluslointains ne me rappellent que ces deux gloires-là. Plus tard, j’aiconnu la Normandie des Frémine, des Féret, des Le Vavasseur,c'est-à-dire beaucoup de mots, de savoir, de convention, delittérature. La vraie Normandie, c'est Campion qui me l'a dite. Quandje veux, encore aujourd'hui, me rafraichir dans une eau qui soit dupays, quand je veux respirer les odeurs sentimentales de mon enfance,j'ouvre les Rimes paysannes et le Jardin défleuri. Je me récite cespoèmes si simples, si courts, « si bien ça », si bien « doux airs dechez nous ». Il n'y a que Francis Yard, en Normandie, Yard, le poètesauvage du plateau de Caux, qui sache presque aussi bien m'émouvoir,et, avec de simples chansons. C'est que lui aussi est de la terre, etd'un cœur qui dédaigne de s'en ajouter.

Le mérite de Campion, et sa saveur, c'est de n'avoir écrit qu'à heuresdérobées, c'est de n'avoir pas pris l'habitude d'écrire, et de ne direque ce qui est et que ce qu'il sent. C'est d'écrire un français trèspur en ayant l'air (ce cultivé qui ne le montre pas), de ne pas savoirécrire. Il n'a commis qu'une faute, un crime d'illusion dont le bonsens est victime. Il a voulu que le dessinateur montrât, sur lacouverture du livre, la Mort fauchant nos épis normands. Non, laNormandie ne se meurt pas ! C'est notre jeunesse qui est morte ; lesdiligences qui ont disparus. Mais le chemin de fer et l'auto n'ont pastout emporté ; les dehors, les apparences, en disparaissant, n'ont passupprimé le fonds. Parce que vous avez laissé aller votre patrimoine, ô« déraciné qui n'avez pas repris racine », ne croyez pas que la Terrede votre enfance ait perdu toutes ses vertus. Les maîtres actuels duClos Neuville se plient, comme votre grand-mère, aux nécessités du solet des eaux, leurs préoccupations, leurs manières, et leurs comptessont toujours les mêmes. Il y avait des roses dans le jardin de MmeNeuville. M. Herriot, en parcourant la Normandie, l'été dernier, en avu à toutes les portes et sur tous les murs. Et on joue encore auxboules, et on va encore à la messe, et on boit encore au cul destonnes, en plus d'un village de chez nous.

Gaston LE RÉVÉREND.
(Les Nouvelles littéraires)