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LE RÉVÉREND, Gaston (1885-1962) : Le Mouvement littéraire en Normandie(1920). Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque intercommunaleAndré Malraux à Lisieux (06.I.2017) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr Web : www.bmlisieux.com Ce texte ne relève pas du domainepublic. Il ne peut-êtrereproduit sans l'autorisation des ayants droit. Orthographe etgraphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx: Deville br 1004) de l'article paru dans la revue Belles Lettres de septembre 1920,pp. 122-131. Le Mouvement littéraire en Normandie par Gaston Le Révérend I. — LA VIE LITTÉRAIRE. Si M. Georges Normandy, ce bourguignon natif de notre bonne ville deFécamp, ce parisien « commis-voyageur en régionalisme », affirmaitqu'il existe une vie littéraire normande, je ne lui ferais point lechagrin de le contredire, cependant que je ne blâmerai point M. RaymondPostal qui, en Normand peu soucieux des infimes réalités, affirme netque cette vie littéraire n'existe pas (1). Voici une méthode : grouper tous les écrivains d'une province, ceux quiy sont nés, ceux qui y sont venus, ceux qui l'ont quittée ; et, quelsque soient leur tempérament et leur œuvre, les considérer, sinon commedes frères amis et unis, du moins comme les membres d'une même famille,même s'ils ne cousinent ni par l'esprit ni par le cœur. Légitime si elle ne prétend qu'à honorer une région, à dénombrer sesgloires et à mesurer ses forces vivantes, cette méthode ne sauraitsatisfaire un régionaliste intégral. En voici donc une autre : élever un mur imaginaire autour de saprovince ; ne point faire état de tous ceux qui ont sauté par-dessuspour s'évader et ne plus revenir, dénombrer au contraire, ceux qui sontdemeurés ou qui sont venus, et dont l'œuvre s'adresse, (non pointspécialement, mais d'abord) au public de cette province. Et comme lavie littéraire n'est point faite uniquement de l'activité desécrivains, mais aussi de celle des institutions et de l'attitude dupublic, étudier l'œuvre des Universités, des libraires, des sociétéssavantes, des municipalités, des initiatives individuelles même, dansce qu'elles offrent de particularisme provincial (2). Pour un spectateur sans parti-pris, qui ne cherche point à fairel'apologie de sa terre natale, ni à la placer au-dessus des autres,cette méthode a bien de l'agrément ; elle a le mérite de s'en tenir auxréalités, et de dédaigner des théories qui ne sont souvent que fuméeset songes ; mais encore faut-il qu'elle trouve matière à s'exercer, etqu'elle ne constate pas devant elle un demi-néant. Et voilà bien. Le provincialisme normand n'a encore à son actif qu'unedoctrine littéraire dont M. Ch. -Th. Féret fut et demeure le plusbrillant théoricien et le meilleur ouvrier. Mais M. Féret a quitté sonQuillebeuf natal pour aller vivre à Paris. Sa Normandie, il l'adécouverte aux bibliothèques parisiennes, aux bibliothèques anglaises,autant et plus qu'aux chemins et aux horizons de son pays. Pour avoirquelque culture normande, il convient encore aujourd'hui de s'exiler.Car le jeune homme qui ira étudier la littérature à la faculté deslettres de Caen, y trouvera peut-être une chaire d'Histoire de laNormandie occupée par un savant érudit, mais je doute qu'il tire unparti utile de cet enseignement. La Normandie est surtout une tournured'esprit, et nul professeur n'enseigne encore l'évolution de cet esprità travers les âges. M. Féret risque bien de rester un exemple unique dece que peut une éducation individuelle et volontaire ; prouvant ausurplus que, pourvu qu'on ait de la race, des souvenirs, de l'éruditionet du génie, on peut faire œuvre normande à Paris ou à Marseille, toutaussi bien qu'aux bords de l'Orne ou de laBasse-Seine. Certes, le jeune écrivain peut toujours faire seul son éducationlittéraire. Mais toute littérature suppose un public capable de lagoûter et d'en vivre. Et à une littérature spéciale correspond unpublic fort limité. Les grands libraires caennais n'ont que deuxclientèles : le gros public qu'ils alimentent presque uniquement avecles nouveautés parisiennes, journaux, revues et livres, et le petitmonde des sociétés savantes, curieux de livres anciens, amateurs desbelles rééditions sur vélin indéchirable, des études historiques,archéologiques ou littéraires sur le plus lointain passé, Caste ferméeoù l'on travaille entre soi ; où l'on publie à petit nombre demagnifiques ouvrages, monuments d'érudition et de science, quin'enrichissent de leur masse pesante et superbe que les bibliothèquesdes Lettrés et quelques municipales ; Normandie cachotière etsilencieuse, qui se partage de très obscurs prix académiques, maisqu'on ne connaît que par ouï-dire, et qu'on ne saurait guère étudieravec succès sans en être. Des Académies, des Sociétés littérairesorganisent bien, de temps à autre, quelque concours et récompensentquelques œuvres. Mais là encore, aucun souci de normannisme, et lelauréat est le plus souvent un étranger au pays. La presse régionale, de son côté, ayant à satisfaire un public de plusen plus inattentif à tout ce qui n'est pas le fait du jour et lapréoccupation immédiate, seconde mal les initiatives des écrivainsrégionaux. Les contes que publient — en bouche-trou — quelquespériodiques sont fournis par la « Société des gens de lettres » ; lesdirecteurs de ces feuilles n'acceptent qu'à regret la collaboration,même bénévole, des écrivains du pays. Le roman passe encore, enfeuilleton ; le reste, non ; Il faut dire aussi que les écrivains,isolés, et jaloux les uns des autres bien souvent, ne secondent en riendes journalistes accablés de besogne. Quant au théâtre et auxspectacles, il n'y a plus guère que des troupes de passage quiapportent à la province les grands succès parisiens facilement jouables: le public emplit régulièrement les salles, et ne siffle que rarement.Les matinées littéraires à programme local sont délaissées pour lapromenade ou le cinéma. Le grand courant français attire tout à lui, etsatisfait tous les appétits. Quand les officiels eux-mêmes se mettenten devoir de célébrer quelque gloire locale, ils s'adressentdirectement aux normands de Paris ou aux horzains, et ne veulentrien connaître des autres, pas assez représentatifs. On l'a bien vu, àRouen, au Millénaire de 1911 (3). Sans doute, il y a une « âme normande » mille fois analysée par nosécrivains ; poèmes, romans, livres d'histoire, nous en offrent uneimage fidèle, quoique violente et excessive bien souvent, et qui ne serencontre ainsi que chez certains types ou dans certains milieux deplus en plus particuliers. La grande industrie n'ayant guère sévi cheznous avant les premières années du XXe siècle, et notre pays s'étantvidé d'hommes sans trop attirer l'étranger, l'âme normande s'estconservée à peu près pareille à elle-même dans le peuple des campagneset de la mer. Mais le Normand de la ville accueille le « horzain » avecun sourire et une poignée de main ; s'il en médit quelquefois, il luilaisse volontiers prendre une large place à son soleil, et celle quelui-même occupait la veille encore. Il serait futile de distinguerentre le Normand de vieille souche et le Normand de plant nouveau ; ilne paraît pas assez à la différence. D'autant que l'esprit normands'impose assez vite au nouveau-venu, et en fait une recrue active.Aussi, si certains Bretons, rêvant de ressusciter la Bretagne ducale,s'appliquent à créer chez eux un mouvement nationaliste, voireséparatiste, je m'imagine que les « nationalistes normands », s'il y ena, le sont bien plus par haine du socialisme et mépris de laRépublique, que par conscience de leur normannisme. Ils seraientdésolés de ne pas se savoir Français, et si la Normandie — ordre,mesure, prudence, réalisme, est, dans ses masses, de sentimentmonarchique, ses fils ne feront jamais rien pour implanter chez eux legouvernement qui a les préférences de leur cœur et le consentement deleur raison. Leur opportunisme prudent garde au régime actuel cettehostilité souriante et réservée que cache l'accueil et dément la phrase; mais il faut les connaître pour le savoir ; et M. Adigard desGautries espère en vain (4) ; les groupements régionaux quis'imposeront peut-être un jour ne provoqueront pas chez nous un retourà une indépendance de mœurs, de sentiments et de caractère ; ils neseront que des associations d'intérêts matériels et d'activitéssociales (5). Le jeune Normand qui rêve d'écrire, et qui a le sens des réalités, sedit tout de suite qu'il n'a rien à faire en Normandie, et que, Françaisde langue et de culture, il ne se montrera intéressant que par ce queson œuvre, à travers un tempérament nordique de nuances normandes,exprimera d'éternelle et profonde humanité. Et en effet, être dePont-l'Evêque ou d'Avranches ; y vivre ; situer ses œuvres dans ledécor et le milieu familiers, cela peut donner du pittoresque et del'attrait à l'homme et à l'œuvre, il faut davantage pour leur imposerdu caractère et de la grandeur. Voilà un destin bien peu digne des filsdes Vikings, ces conquérants. D'Alain Chartier à Corneille, à Flaubertet à Barbey, il n'y eut de gloires normandes qu'à Paris. Paris fut,pour tous, la capitale intellectuelle de la province. Là, se tintl'esprit, si le cœur erra par les sentiers du pays, et si la vie sedéroula casanière ou vagabonde. La demi-gloire posthume des Vauquelin,des Jean Le Houx, des Louis Bouilhet enlève plutôt qu'elle ne donne ledésir de se cantonner. Il y a mieux ; la Normandie n'est pas une mèreagréable à tous ses fils ; certains se proclament libérés d'elle, commesi l'ancestralité normande leur était un fardeau honteux ; et M. AndréGide, naguère, faisant le parallèle entre ses aïeux normands et sesaïeux provençaux se montrait aussi cruel pour les premiers que filialet enthousiaste pour les seconds. Aussi, il faut l'avouer. Il ne resteen Normandie que les pauvres, les sans-génie et les résignés ; ceux quiy ont leur gagne-pain ou leur industrie ; les débiles que Paristuerait, ou ceux qui, se riant de la renommée et de la gloire, écriventleurs vers magnifiques ou leurs paradoxes brillants entre deuxsacrifices à Mercure ou à Dionysos, estimant qu'on peut être un hommeet un humaniste, aussi bien aux bords de la Touque que dans les cafésdes grands boulevards. Ainsi la Normandie littéraire est un peu à l'image de notre Francepolitique : tous les premiers rôles sont à Paris ; il n'y a au pays —si l'on en juge par la renommée des hommes et la diffusion des œuvresque les rôles secondaires et les figurants. Ceux-ci m'appartiennent ; et comme on peut occuper un poste subalterneet posséder l'âme d'un chef, je ne les traiterai point nécessairementen parents pauvres. Ceux des premiers qui sont restés fidèles à leurterre et à leur lignée, et qui ont enrichi notre patrimoine littérairem'appartiennent aussi ; mais les autres, dont la Normandie ne peutrevendiquer que la gloire, relèvent ici d'une autre chronique. Ainsiles oublieux ne se plaindront pas d'être oubliés. II. — HOMMES ET ŒUVRES. PATOIS. — La Normandie n'a que des patois locaux, débris d'un dialecteunique, et divers seulement d'apparence. Parlés des seuls paysans,compris par le petit peuple des villes, écrits par quelques poètes, pardes journalistes en veine de bon sens, de satire politique ou degauloiserie, de petits employés, des fonctionnaires fils de paysanséduqués à la française. Domaine aussi grand que l'âme paysanne, maisqui ne le dépasse point. Chansons, monologues, contes, menu théâtre,gaudrioles, toutes choses à entendre plus qu'à lire. Force, violence,truculence, du gros sel plutôt que de fines épices. Parfois unenoblesse rude, une émotion crue, une sauvage grandeur. Les Maîtres dela Confrérie : Louis Beuve, épique, lyrique, ample, ému ; Le Sieultre,joailler subtil, imagier précieux, musicien. Les Meneurs, qui vont parvilles et villages, appelés par les notables ou le curé, pour rehausserl'éclat d'une fête populaire ou de bienfaisance, donner un numéroapplaudi au concert ou à la kermesse : le Coutançais Ch. Leboulangerdont la roulotte à l'écusson de Normandie déambula naguère par routeset pays ; le Bocain Charles Lemaître, pittoresque, grivois, haut encouleur ; le Fécampois Gaston Demongé dont la langue n'est qu'unfrançais-parlé-aux-champs, et où trop de mots normands sont abandonnéspour leurs équivalents français... (6). Littérature essentiellement populaire qui risque de se transformer,avec le temps, en bas-français, pour divertissement d'illettrés. CHANSON ET THÉATRE. — On ne chante en Normandie, que sur la scène, etnul endroit n'est moins favorable à la formation de vrais chansonniers.Hormis les patoisants, les poètes normands réussissent mal ce genredifficile, et leurs chansons ne sont bien souvent que des poèmes mis enmusique. Robert Campion, dans Rimes Paysannes, en a cependant donnéd'exquises, dont la musique comme par un fait-exprès, ne se trouvepoint dans le commerce. Quant au théâtre, « il n'y a pas de scène dramatique en Normandie ». Le Théâtre d'Art normand, (Jean Renouard et Camy Renoult), ambulant,n'a de moyens que pour les petites choses ; encore faut-il souhaiterqu'il ne mente pas à son enseigne, et que dans sa sphère modeste, maisutile, il s'attache davantage à normanniser. CRITIQUE. — Le souci de ne faire de peine à personne, le goût duni-oui-ni-non, la veulerie ambiante hantent et obsèdent trop decerveaux pour permettre la diffusion, dans ce genre, de quelque talentvigoureux. Féret y a échoué, qui exaltait ou exécutait, sansménagement. Du passé seul, on peut tout dire, et encore. Les Normandsdoivent beaucoup cependant à M. Georges Dubosq, qui au Journal deRouen, commente régulièrement et avec finesse leurs œuvres nouvelles.MM. Grélé et Souriau, à Caen, s'en tinrent au livre ; MM. Jean d'Armoret Gossez étudièrent les poètes normands dans diverses revues ; GeorgesPrévost et Raymond Postal y débutent aussi et de la façon la plusheureuse. ROMAN. — Nos romanciers sont nombreux ; nos conteurs, plus nombreuxencore. MM. Jean Revel et Joseph L'Hôpital ont derrière eux toute uneœuvre. Le premier, philosophe scientifique, s'est plu à évoquer la viede l'Estuaire au cours des Ages, et les Actes des Ancêtres. Son style,d'un lyrisme épais et emmitouflé de brumes, tels les vases et lesbrouillards du Marais-Vernier, rebute souvent. Le second, observateurcurieux, exact et désenchanté de la vie sociale et paysanne sous latroisième république, est un des meilleurs représentants de laNormandie traditionnelle, de sentiments catholiques et de principesconservateurs. Parmi les jeunes, plus ou moins disciples de Flaubert etde Maupassant, MM. Jean Gaument et Camille Cé nous décrivent par lemenu la vie étroite des bourgeois de nos petites villes ; M. EdouardBourgine situe Au Pays de Maupassant les héros de ses ouvrages ; M.G. Normandy joua, un temps, au disciple de Jean Lorrain... Maintspoètes aussi, ont écrit des histoires charmantes, mais qui n'ontsouvent de roman que le nom. M. Paul Harel est de ceux-là. Chacunconnaît, enfin, les romans de Mme Lucie Delarue-Mardrus... POÈMES. — En Normandie, tous les lettrés font des vers, tous lesamoureux aussi. Je m'en tiendrai aux poètes. Chez la plupart, peu delyrisme, peu de sentiment ; des images, de l'éloquence, de l'émotionintellectuelle, du réalisme et de la clarté. De beaux talents depenseurs et d'artistes. Individualistes, insociables et isolés, on lesgroupe, parfois, dans une Revue qui vit à leur gré et dure ce qu'ellepeut. Aux environs de 1900, les riches Revue Normande et Revuenormande et percheronne, réunirent, avec les érudits de l' « écoleornaise », les amis de Gustave Levavasseur, chef incontesté, en sonvivant, de la renaissance normande. Ce fut le beau temps de Paul Harel,le poète à la bonne auberge, bucolique, gourmet, chrétien et bon vivanttout à la fois, du délicat Paul Labbé, du puissant Ch.-Th. Féret, dudébonnaire Achille Paysant, de l'aimable Charles Pitou ; et de cesmorts inoubliés : Ernest Millet, Florentin Loriot, Wilfrid Challemel,Jules Gentil, Adolphe Vard, Germain Lacour, Robert de la Villehervé...Puis vinrent le Bouais-Jan, l'Ame normande, de Jacques Hébertot,le Donjon, d'Alexandre Etienne, Normandy-Revue, de Henri Le Bret,où s'éparpillèrent Camille Cé, Edouard Montier, Albert Desvoyes,Georges Laisney, Francis Yard, Jeanne Longfier, Jean d'Armor, CharlesBoulen, Campion, Spalikowski… La guerre a vu naître et mourir Normandie, avec des poètes surtout cauchois (Normandy, Lebas) ; etles Pionniers de Normandie, où A.-M. Gossez et Philéas Lebesgueguidaient par les sentiers glissants de la poésie dynamique, MarcelLebarbier et Remi Bourgerie. La Revue normande, fondée en 1916 parRaymond Postal, avec Auguste Bunoust, poète des intimitésorgueilleuses, au vers solide et pictural, Paul Fabre, Pierre Varenne,Amédée Bocheux, Pierre Nebout, Victor Boutrolle, G.-U. Langé,Camy-Renoult, aux talents vivants et divers, est devenue, avec M.Préteux, académisante, traditionnaliste, et d'une inertie que nerachète pas sa distinction. Une activité désordonnée se manifeste à laMouette, du Havre, où domine le philosophe-poète Julien Guillemard.Une activité plus policée anime le Carillon de Caen où OlivierAdeline laisse A. Lhotte, J.-P. Vincent et Louis Auger publierd'heureux essais ; et dans l'Almanach des Saisons que font paraître,quatre fois l'an, les Coutançais du «Pou qui Grimpe », avec FélixRoussel, Léon Chancerel, Henri Dutheil et Georges Laisney…. Lespoètes normands n'ont été groupés utilement, et pour ainsi dire malgréeux, que dans deux Anthologies, l'une parue en 1903, l'autre, cesjours-ci, toutes deux l'œuvre désintéressée du Maîtrenormannisant Ch.-Th. Féret. Dans la première, ces morts d'hier :Henri Beauclair, les deux Frémine, Remy de Gourmont et ces vivantsd'aujourd'hui : Lucie Delarue-Mardrus, Roinard, Fleuret…. Dans laseconde, nouveaux venus, MM. A. Bunoust, Yard, Boulen, A. - P.Garnier,... apparaîtront sans doute parmi les meilleurs... On y verrasans doute aussi Léon Hiélard, Eléonor Daubrée, W. Lucas, et biend'autres... La Normandie a des jardins pleins de roses .Mais elle ne s'inquiète quede ses navires, de ses usines, de ses prairies et de ses pommes. Gaignage est encore et toujours sa devise; repue, elle ne range pointles divertissements spirituels parmi ses jouissances nécessaires etpréférées. La littérature normande est à ses yeux, un articled'exportation ; elle semble inviter ses écrivains à l'exil, exilsalutaire peut-être, qui trempe les volontés décuple les énergies,exalte les forts…. Ceux-là, vraiment sont les derniers fils desVikings …. Cependant, à l'exemple de leurs ancêtres barbares, ils ne gardentgénéralement point rancune à leur dédaigneuse patrie. Ils l'aimentainsi, lourde, opulente, avide, goulue, de cerveau froid et de cœursain. Et pour faire à ceux qui ne l'ont point quittée quelque honneur, Belles-Lettres me demande de nouer en gerbe, chaque année, leurs plusbelles fleurs ; et elle en répandra le parfum de par le monde. Ce mesera l'occasion de mettre en lumière des noms aimés, d'en découvrir denouveaux, et de me faire pardonner les inévitables lacunes de cettepremière chronique, si longue déjà, cependant si brève encore. GASTON LE RÉVÉREND. NOTES : (1) M. Postal, dans la « Minerve française » a traitéde la Normandie littéraire en Parisien fraîchement débarqué du Havre oude Rouen ; M. Normandy l'étudierait en voyageur averti, en explorateurcurieux de toutes les manifestations intellectuelles ; tel Normand duCotentin, en provincial distant et hautain : on m'excusera d'en parleren Normand... de Lisieux, ne pouvant faire moins, ni autrement. (2) Province ou région, pour la Normandie, c'est tout comme. Province est le terme ancien ; région le terme moderne ; et si,économiquement, la Normandie est plutôt région, littérairement, elleest demeurée surtout province. Sans trop vouloir distinguer,j'emploie ici l'un ou l'autre mot. (3) La réputation de sottise des bourgeois rouennais est proverbiale.Flaubert, Féret, Brieux même, au temps de sa jeunesse, et biend'autres, les ont criblés de brocards. En vain. Leur dernièreprétention, avant la guerre, fût de vouloir dorer la flèche de leurcathédrale. On eut, dit-on, toutes les peines du monde à leur éviter ceridicule. (4) « La Normandie — nous n'en doutons pas — va bientôt revivreofficiellement ; elle redeviendra une province ; il est bon... qu'onproclame la grandeur de son passé, prometteuse — si les Normands saventrester Normands — de la grandeur de son avenir (A. des Gautries, Revuenormande, mai 1920). (5). Le projet— accepté par les chambres de commerce — de division dela Normandie en 2 régions, haute et basse — et cet autre projet, siutile, de la création à Rouen, d'un centre d'étudesnormanno-franco-anglaises, s'ils étaient un jour réalisés aboutiraientsans doute à ceci : l'esprit normand, aujourd'hui anarchique, sefranciserait tout à fait à l'est, se renormanniserait à l'ouest, quiserait alors seul normand à la manière dont la Bretagne et la Provence,par exemple, sont elles-mêmes. (6) J'en demande pardon aux Normands de l'ouest et du sud, si je sembleignorer ou dédaigner leurs efforts. L'Orne, cette calme rivière,pourrait bien un jour séparer deux mondes ; celui qui regarde versParis, y va, et le reçoit, et celui qui, isolé par ses collines, sescommunications difficiles, sa vie plus obstinément campagnarde, sereplie davantage sur lui-même, et se sent quelquefois vivre. Le premiera l'industrie, les grandes villes, les fortunes opulentes, le luxe, leschâteaux des millionnaires parisiens, les plages mondaines ; l'autre,le monde soigneux et rangé des petites villes mortes et celui, frustreet sensible, de la prairie et du bocage. L'un est coiffé deparisianisme ; l'autre, s'occupe de soi davantage. Un grand provincialnaîtrait plutôt vers Avranches ; s'il y avait un grand homme au Hâvre,il y serait revenu de Paris. |