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MORIN,Louis-André : MonTestament philosophique.- Paris : Imp. F. Locquin,[1837].- 4 p. ; 21 cm. Saisie du texte : S.Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (20.X.2006) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1964). Mon Testamentphilosophique par Louis-André Morin ~*~Je soussigné Louis André Morin,propriétaire, né et domicilié à Hermival-les-Vaux. Déclare,par mon présent testament philosophique, qu’en tous temps j’ai euhorreur de l’hypocrisie : on trompe, quand on affecte decroire ce qu’on ne croit pas. L’hypocrisie est le manteau des vices, lemasque des mauvaises actions : se cacher est une sorted’hypocrisie à l’usage des criminels et de tous les méchants. J’aieu la foi ; les prêtres me l’ont ôtée par leur conduite enopposition avec la religion qu’ils professent ; mes yeux sontdessillés ; il ne dépend plus de moi de croire, c’estimpossible. Les prêtres ne sont pas ce que le peuple pense... Prêtres,qui abusez de la crédulité des hommes, bannissez pour toujours de voscoeurs l’hypocrisie ; soyez de simples instituteurs de morale.Que vos bouches ne s’ouvrent que pour enseigner des vérités utiles. Prêchezcontre l’orgueil qui vous porte à de si longues et si funestesrancunes. Soyez pacifiques. Prêchez contre l’avariceet contre l’égoïsme aussi, fléau des nations. Cessez donc de prendrel’argent à pleines mains pour de vaines paroles et de trompeusespromesses. Prêchez contre la gourmandise. Soyezsobres surtout, car votre embonpoint vous trahit et scandalise… Vousparlez d’abstinence…, vous qui aimez tant la bonne chère et le vin.Voyez les malheureux qui manquent de pain, et périssent !... Prêchezcontre la luxure, honte de tant de malheureuses victimes ; nevous faites pas condamner à n’avoir pour servantes que des femmesstériles… O scandale !... Mariez-vous, et ne dites pas que cesacrement soit incompatible avec celui de l’Ordre ; c’est vousqui les avez faits ; mariez-vous, et cessez d’être en révoltecontre la nature. Prêchez contre l’envie ;car l’envie entraîne à tous les désordres : préservez-vous en… Prêchezcontre la colère, ce premier mouvement des sens qui conduit à lavengeance ; donnez l’exemple de la modération ;pardonnez, si vous croyez en votre Dieu, aux fins qu’il vous pardonne. Prêchez,enfin, contre la paresse ; elle conduit à l’oisiveté, mère detous les vices, et vous-mêmes ne remettez jamais à demain ce que vousdevez, ce que vous pouvez faire aujourd’hui. Si vousêtes purs de ces iniquités, ah ! venez nous conseiller defaire le bien ; mais, si vous en êtes souillés, taisez-vous,et que vos bouches profanes ne prononcent jamais de paroles sacrées. Vousqui parlez de votre Dieu avec tant d’aisance, dites-nous ce qu’ilest ?... Je vous entends, c’est un pur esprit, qui estpartout… Or, qui peut le connaître ?... Sa nature est immense,et l’esprit s’y confond. L’univers a-t-il deslimites ?... Oui, sans doute, direz-vous ; ses bornessont le néant ou le vide… Mais de l’autre côté de ce vide qu’ysupposerez-vous ? L’immensité de Dieu, qui est partout, quiremplit tout, peut-elle exister dans le vide, dans le néant ?Il serait absurde de le penser, de même elle ne peut exister dans unespace limité ; car pour que Dieu soit partout, il faut quel’univers soit partout. C’est donc notre espritqui a ses limites, et ne peut concevoir l’infini. Quant vous dites queDieu n’a jamais commencé, il vous est aussi impossible de comprendreson éternité, que l’éternité de l’étendue. Peut-il y avoir une éternitéde durée sans éternité de l’infini ou du grand tout ?Oh ! cessez de nous parler de ce que vous ne connaissez pas. Onne peut donc pas supposer de limites à l’univers qui est unique commeDieu, infini comme Dieu, éternel comme Dieu. Pour sefaire une idée de l’infinie étendue, il faut supposer qu’un globe,traçant de toute éternité et d’une vitesse extrême une ligne droite, lasuivra toujours, sans jamais arriver au terme… Voilàl’univers, voilà l’espace infini, qui peut contenir le pur esprit, ceDieu éternel. Voilà cette étendue infinie, sans laquelle on ne pourraitdire que Dieu est partout, qu’il est immuable ; car lacréation aurait changé sa position… Ainsi, dans cetunivers éternel, existe, de toute éternité, une vie universelle, unesprit qui donne l’existence à tout, le mouvement à tout, qui faitcirculer le sang dans les vaisseaux de tous les êtres animés ;qui fait monter et descendre la sève dans toutes les plantes ;forme et rompt les glaces du nord, déchaîne les vents, agite lesvolcans, fait trembler la terre, produit le calme et les tempêtes, lafoudre qui détruit ses plus beaux ouvrages, qui n’épargne ni lestemples, ni les autels de ce Dieu, de cet esprit pur et suprême, quifait tourner la terre, et tient tous les astres en action. C’estcet esprit, cette vie universelle, qui donne la vie et la mort àtout ; elle reprend dans l’être qui meurt le souffle qu’ellelui avait donné : elle fait le mal, elle fait le bien. Carun pur esprit, n’ayant point de corps, ne peut avoir ni pensée, nivolonté ; il suit les égarements des événements. Quoiqu’ilsoit partout, dans tous les êtres, les animaux se mangent ;les rois font égorger les peuples sous de vains prétextes. Un puresprit ne peut distinguer ce qui est bon, ce qui est mauvais ;tout se fait au hasard. Ce pur esprit, puisqu’il estpartout, est dans le monstre, comme dans l’être le plus parfait. Cettevie universelle ne voit pas, car elle n’a pas d’yeux ; elleest errante et vagabonde ; ses désordres épouvantent, sasagesse nous confond… C’est le bon et le mauvais génie de nos pères,dont on a fait un dieu et le diable. Oui, l’universest le corps de ce pur esprit ; ils existent tous deux detoute éternité. Espère-t-on augmenter la puissance de l’Être Suprême,en lui attribuant la création universelle ?... Chétivepensée ! Quoi ! l’ame de l’univers aurait de touteéternité existé dans le néant, et, se ravisant enfin, aurait créé derien cet incompréhensible univers !.... Pitié. L’espaceinfini est éternel ; il n’y a dans l’univers ni milieu, nihaut, ni bas, ni bouts, ni côtés, or, rien ne pèse… Quand le mouvementdes astres cesserait, pourraient-ils tomber plutôt d’un côté que d’unautre ? Mais toutes les parties d’un globepèsent vers son centre ; les mers qui couvrent une partie dela terre sont contenues par la force centripète, tellement qu’ensupposant la terre percée à son centre, par deux côtés opposés, ladernière pierre qui se trouverait au milieu y resterait fixe, et lestravailleurs des deux côtés y resteraient pieds à pieds, quand même laterre se trouverait pulvérisée et réduite en atômes. Dansce dédale infini, inextricable, qui a pu le premier oser inventer unereligion ; l’annoncer comme chose agréable à Dieu, soumettreles peuples à des cérémonies, des abstinences, des pénitences et autrespratiques ?... Qui a pu oser inventer un Dieu, fils de Dieu,avec un corps semblable au nôtre, et le faire adorer ?...Certes, ce n’a pu être que des ambitieux, des trompeurs, descharlatans, dont le but était d’excroquer, au nom de leur divinité, del’argent et de la puissance… Ils ont réussi à faire massacrer par despeuples crédules des peuples insoumis, et à faire assassiner les roisqui leur résistaient. Je suis loin de désapprouverla morale de Jésus-christ, mais elle a été défigurée, deshonorée parnos prêtres. Jésus était un enfant du peuple, filsd’un charpentier, comme sont fils des époux de leurs mères les enfantsd’aujourd’hui. Jésus était né avec une pénétrationbien extraordinaire, car n’ayant reçu qu’une éducation presque nulle,il se mit en tête de réformer la religion de Moïse, dont les basesétaient tellement solides qu’il fallait un Messie pour la modifier. Ehbien ! il se dit le Messie, il se dit le fils de Dieu, eneffet, comme nous il tenait la vie de l’ame universelle qui est Dieu. Ilprêcha la fraternité, l’égalité des hommes, et de pauvres gens lesuivirent. Jésus fut regardé comme séditieux, et ilfut victime de sa grande et téméraire entreprise. La belle ame quil’animait rentra dans l’ame universelle dont elle était sortie. Jésusavait dit à ses admirateurs d’aller prêcher ses principes par toute laterre et de se retirer du lieu où l’on ne voudrait pas les entendre. Ilen périt beaucoup ; ils furent martyrs, comme furent martyrsde notre temps beaucoup des amis de la liberté : il en péritbeaucoup, dis-je, pour propager les principes démocratiques que Jésusavait posés. Ils furent martyrs de la liberté et non pas, comme on ledit, de la religion, qui n’existait pas, et qui ne fut établiequ’environ trois cents ans après la mort de Jésus-Christ. Jésusvoulait la liberté. Dévoué pour ses semblables, il voulait qu’ons’aimât, que la terre nourrît tous les hommes et que le riche sedépouillât de son superflu en faveur des indigents. Ilétait tellement entreprenant, qu’il osa chasser des temples juifs tousles profanateurs. Nos prêtres prêchent encore lemépris des richesses, mais pour en mieux disposer. Ah ! s’ilvenait aujourd’hui un second Messie, pur comme Jésus, on l’appelleraitAntechrist. Que d’hypocrites, que d’égoïstes, que de voleurs, que demauvais prêtres il aurait à chasser des temples !... Depuislongtemps je suis convaincu que les prêtres ne prêchent que dans leurintérêt personnel pour perpétuer la puissance du clergé et augmenterses richesses (car les dieux, c’est l’argent ; tout se vend àl’église). Ils gouvernent les peuples, ils les pressurent, ilscommandent aux rois, et toujours au nom de leur religion, au nom deleur Dieu. En conséquence, je déclare qu’ayant perdula foi, j’ai cessé, dès il y a longtemps, de fréquenter leséglises ; je n’ai pas voulu, par un coupable exemple et parhypocrisie, aider à tromper le peuple trop crédule ; jedéclare, dis-je, que je mourrais peu satisfait, si je n’étais assuréque je ne serai, avant comme après mon trépas, assisté d’aucunprêtre ? Quiconque n’a pas cru pendant sa vie, les cérémoniesreligieuses nécessaires, ne doit pas désirer qu’il lui en soit faitaprès sa mort. J’appelle mes amis et l’autoritémunicipale à me faire donner la sépulture commune, sans aucunecérémonie religieuse… Il me suffit qu’on puisse dire sur matombe : En ce lieu repose un bon coeur, qui fut l’ami de sessemblables, l’ami de la liberté et de l’ordre. Auxconditions ci-dessus, je donne et lègue à la communed’Hermival-les-Vaux, une somme de deux cents francs, une fois payés,pour aider à l’établissement d’une femme instruite, dévouée àl’éducation des jeunes filles. Des frais funéraires ne servent qu’àperpétuer les abus du clergé ; ce legs, au contraire, serautile au pays, si l’institutrice n’enseigne que ce qu’elle doitenseigner. Cette somme sera prise sur les fermageséchus ou à échoir des biens immobiliers que je laisserai à mon décès. Jecharge Monsieur le maire de la commune, de l’exécution du présenttestament. Ainsi mes derniers voeux sont, que, pourne pas détruire la liberté des opinions religieuses, les instituteurset institutrices, ne puissent à l’avenir être chargés d’apprendre auxenfants aucune religion ; c’est aux pères et aux mères àdonner à leurs enfants les premières connaissances de leurreligion ; c’est aux prêtres à faire le reste, c’est leurmétier, ils sont payés pour cela, et bien payés. Lesinstituteurs et institutrices sont payés pour donner aux enfantsl’éducation civile ; leur catéchisme doit être, la lecture,l’écriture, le calcul, la grammaire, etc. ; leurs prièresdoivent être des préceptes de morale, des maximes, sentences,proverbes, comme : « Ne faisons jamais, à qui que cesoit, ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît. » Les mursdes classes étant tapissés de ces sortes de maximes, il en serait luune seulement chaque jour, à haute voix, en sortant de la classe, parl’enfant qui aurait triomphé dans la composition. Cette satisfactionserait la récompense de l’enfant. Cette éducation morale, ne fatiguantpas la mémoire y resterait pour la vie. Et attenduque mes intentions ont pour but le bien être général, but qui ne peutêtre atteint que par la publicité de mes pensées, je lègue la somme decinquante francs à M. Guesnon, ancien professeur à Lisieux et rédacteurdu Patriote, à prendre comme il est dit ci-dessus, laquelle somme seraentièrement employée aux frais et coûts relatifs à l’impression, dontledit M. Guesnon a bien voulu se charger. Je prie M.le maire, M. Guesnon et mes amis, en ce qui les concerne, de surveillerl’exécution du présent et d’y tenir la main. Fait àHermival-les-Vaux, ce premier janvier mil huit cent trente-sept, écritde ma main et signé après lecture. Huit mots rayés comme nuls, quatremots en interligne, approuvés. MORIN. _____________________________________________ Imprimeriede FÉLIX LOCQUIN, 16, rue N.-D.-des-Victoires. [Mentionmanuscrite sur l'exemplaire] : " Morin ancien procureur du Roi àLisieux destitué par Napoléon pour [?] concussion mauvaise canaille "[?] |