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Épisodesde la Saint-Barthélemy : Les protestants de Lisieux,L'Évêque Hennuyer in Le Magasinpittoresque, 1876 (44e année), p. 287-288. Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (02.VIII.2005) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe et graphieconservées. Texteétabli sur l'exemplairede la BnF,disponible en ligne et enmode image sur le site Gallica. ÉPISODESDE LA SAINT-BARTHÉLEMY. Voy. t. XLI,1873 , p. 3 et 130 , et la Table de quarante années. LES PROTESTANTS DE LISIEUX. - L'ÉVÊQUE HENNUYER. ~*~Des beaux traitsque nous avons pris à tâche de retracer, celui del'évêque Jean Hennuyer, défendant lesprotestants de Lisieux contre les fureurs d'une populace barbare etfanatique, les prenant sous sa protection et leur ouvrant un asile dansson palais épiscopal, est assurément le pluspopulaire. Il honorait à la fois l'humanitéet la religion. Il contrastait avec le langage ou les actesauxquels d'autres membres du clergé s'étaientlaissé entraîner à cetteépoque funeste. La ville de Lisieux en tirait un juste orgueil, et c'étaitle plus glorieux et le plus cher fleuron de sa couronne historique.Aussi la peinture et la gravure avaient travailléà l'envi à reproduire et à populariserce trait. Le théâtre même s'enétait emparé, et le dramaturge Mercier, quidevint plus tard membre de la Convention nationale, composa sur cesujet, en 1772, une pièce en prose, intitulée : Jean Hennuyer,évêque de Lisieux. Elle ne fut pasreprésentée, mais elle eut plusieurséditions ; elle eut même l'honneur,malgré sa médiocrité, d'êtreattribuée pendant quelque temps à Voltaire. La plupart des anciens historiens avaient admis, sur la foi les uns desautres, l'authenticité de l'anecdote ; la plupart deshistoriens modernes s'accordent pour la rejeter. Voici, réduits à leur plus simple expression, lesprincipaux éléments du débat : Les protestants de Lisieux, contre lesquels le souvenir encorerécent du pillage odieux auquel ils avaient livréla cathédrale, en 1562, avait amassé de terriblescolères, échappèrent aux massacres quisuivirent la Saint-Barthélemy; le fait est incontestable. Il est également certain que le gouverneur de la ville, Guydu Lonchamp de Fumichon, docile aux instructions pleines de sagesse etde prudence que lui avait envoyées de Rouen Tanneguy leVeneur de Carrouges, lieutenant général augouvernement de Normandie, et les officiers municipaux de la ville,prirent, d'un commun accord, les mesures nécessaires pourassurer le bon ordre et la paix. Mais les protestants de cette ville furent-ils sérieusementmenacés ? L'évêque eut-il besoind'intervenir en leur faveur ? Dans quelle mesure le fit-il ? C'est cequ'il est plus difficile de déterminer. Aucun témoignage contemporain, imprimé oumanuscrit, n'attribue à Jean Hennuyer l'honneur d'avoirsauvé les protestants de sa ville épiscopale. Ce n'est guère que soixante-dix ans après laSaint-Barthélemy, en 1643, qu'un écrivain obscur,Claude Héméré, dans une Histoire latine de la ville de Saint-Quentin,où il supposait qu'Hennuyer était né,publia tout à fait épisodiquement lerécit de la belle conduite qu'aurait tenue ceprélat. Deux ans après, le P. Antoine Mallet,dominicain, qui, avant d'être régent dethéologie au couvent de la rue Saint-Jacques, àParis, avait habité dans une maison de son ordreà Argentan, reproduisit ce récit dans son Histoire des saints... et autreshommes illustres du convent de Saint-Jacques de Paris. Suivant eux, l'évêque Hennuyer auraitrépondu à Livarot, lieutenant du roi àLisieux, qui lui demandait de s'entendre avec lui pourexécuter les ordres de proscription contre les protestants :« Ne croyez pas que je souffre jamais que mon troupeau, toutégaré qu'il peut être du bercail deJésus, que ce troupeau qui est toujours le mien et du salutduquel je suis loin de désespérer,périsse, de mon aveu, sous le tranchant du glaive.» Le lieutenant insistant sur la nécessitéd'obéir et sur les dangers que l'on courait endifférant l'exécution, le prélataurait ajouté : « Je vous promets de prendre surmoi toute la responsabilité del'événement, et cet écrit que je signesera votre garantie. » Cet actegénéreux du chef de ceux que les protestantsregardaient comme leurs ennemis implacables, les toucha à cepoint qu'ils finirent par rentrer dans le giron de l'Église.Pour ajouter encore à la gloire del'évêque, on prétendait mêmequ'il avait reçu un soufflet de la part de l'un desprotestants qu'il sauva. Nous faisons bon marché de l'histoire du soufflet et desdiscours que l'on prête à Hennuyer; mais il nousparaît bien difficile de contester absolument la charitévraiment évangélique du rôle qu'ilaurait joué dans cette circonstance. A quel propos, dans quel intérêt, l'aurait-ongratifié rétrospectivement d'un honneur qu'iln'aurait rien fait pour mériter ?Hémeré et Mallet ne sont pas des biographes, despanégyristes particuliers. Ils écrivaient, l'unl'Histoire de Saint-Quentin, où il n'est pas certainqu'Hennuyer fût né, l'autre celle du couvent deSaint-Jacques, où il ne l'est pas davantage qu'ileût vécu. Ils le faisaient à uneépoque où la tolérance religieusen'enthousiasmait point les âmes au degréoù elle devait le faire un siècle plus tard. L'impudence du mensonge qu'ils auraient commis eûtété facilement confondue par lesécrivains protestants ou catholiques. Il existait encore, en1643 et 1645, des témoins oculaires de ce quis'était passé à Lisieux en 1572. C'estd'ailleurs en 1633 qu'avait étécomposé l'ouvrage de Hémeré,publié dix ans plus tard ; la tradition étaitalors dans toute sa force. C'est à cette tradition qu'ils ont dû emprunter lefond de leur récit, tout en embellissant peut-êtrecertains détails. L'un d'eux avait habité Argentan, qui n'est qu'àquelques lieues de Lisieux, et il l'y avait sans doute recueillie. Dansle siècle suivant, on la trouvetrès-accréditée à Lisieuxmême ; l'abjuration des protestants, gagnés par lareconnaissance, y est pour ainsi dire denotoriété publique. On comprendrait difficilementqu'une pareille croyance fût due à l'influence delivres écrits à distance et pour untrès-petit nombre de lecteurs. Engénéral, les légendes, mêmeapocryphes, ont une origine plus populaire. M. Louis du Bois, qui a combattu sous toutes les formes et avec unegrande vivacité la supposition que Jean Hennuyereût pris une part quelconque au salut des protestants, a faitremarquer qu'il avait montré une certaine oppositionà l'édit de tolérance de janvier 1562,et qu'il avait toujours fait une rude guerre àl'hérésie. Cette raison n'est passérieuse. La guerre aux doctrines n'implique pas la hainecontre les personnes. Le plus austère théologiena pu, disons mieux, a dû sentir son coeur sedétendre devant de malheureux prisonniers, ses compatriotes,ses ouailles, menacés de mort. On adéjà noté que les gouverneursmilitaires qui sauvèrent les protestants dansdifférentes villes, étaient pour la plupart deshommes rudes, violents, cruels même vis à vis deleurs ennemis, mais dont l'âme énergique serévolta contre une mission aussi lâche quesanguinaire. Une autre raison plus grave avait été produitepar M. Louis du Bois, et beaucoup d'écrivains l'ontrépétée : Hennuyer auraitété absent de Lisieux à la find'août et au commencement de septembre 1572,c'est-à-dire à l'époque mêmeoù l'on suppose qu'il y aurait sigénéreusement payé de sa personne. Cetalibi serait décisif s'il étaitétabli, mais il ne l'est nullement, et ladécouverte récente d'un acte signé parlui à Orbec, aux portes de Lisieux, le 14septembre, huit jours après la délivrance desprotestants, donne au contraire une certaine vraisemblance ausystème opposé. On ne saurait non plus attacher d'importance à cettecirconstance que la signature de Jean Hennuyer ne figurerait pas aupied des délibérations du conseil de ville quiconcernent les protestants de Lisieux; il ne faisait pas partie de ceconseil. En résumé, une tradition ancienne, respectable,lui attribue l'honneurd'avoir sauvé les protestants de sa villeépiscopale, et si elle n'estpas justifiée par des documents historiquesirréfragables, aucun desraisonnements qu'on y oppose n'est de nature à la renverser.Sur cettequestion, comme sur beaucoup d'autres, l'hésitation estpermise ; maissi l'esprit doute, le coeur croit, et qui voudrait bannir le sentimentde l'histoire ? En 1810, le conseil municipal de Lisieux donna le nom de Place Hennuyerà l'ancien Fricheaux Chanoines. Un tableau de Gosse, représentant le prélatharanguant la foule devant la porte del'évêché, et arrêtant lessoldats sur le point de massacrer des huguenots, fut exposéavec succès en 1835. Il a étédonné par le gouvernement au Musée de Lisieux. Un portrait de Jean Hennuyer, le représentant en habit dedominicain, sa mitre devant lui sur une table, avec cette inscription : F. IEAN HENNIER, CONFESSEVR D'HENRI SECOND, EVESQVEDE LISIEVX,1560, estconservé chez M. de la Sicotière,député de l'Orne, àAlençon. La figure, de grandeur naturelle et passablementpeinte, offre un certain mélange de finesse etd'idéalité. M. de la Sicotière croitque ce portrait, qui semble détaché d'un ensemblede cadres analogues, est celui qui se trouvait au palaisépiscopal de Lisieux, et que lasociété populaire de cette ville installa, en1792, dans la salle de ses séances. Deux autres portraits de Jean Hennuyer existaient avant la révolution, l'un aucollège de Navarre, l'autre chez les Dominicains de la rueSaint-Jacques. On ne sait ce qu'ils sont devenus. Le premier aété gravé au lavis par Sergent;l'autre avait beaucoup de rapports avec celui du palaisépiscopal, il en était probablement l'original oula copie. (Louis du Bois, publications diverses ; - Biographie universelle deMichaud ; - Moréri, édit, de 1759 ; - deFormeville, lesHuguenots et la Saint-Barthélemy à Lisieux,1562-1572 ; - Vasseur-Bordeaux, Rechercheshistoriques et critiques sur Jean le Hennuyer ; -etc.) |