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MARTIN, Alphonse (1854-1930) : La Santé publique et les moyens légaux de l'améliorer(1892).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (24.III.2015)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: n.c) du Recueil des publicationsde la Société Havraise d’Etudes diverses de la 59e année – 1892– Quatrième trimestre publié au Havre par l'imprimerie Micaux.


La Santé publique et les moyens légaux de l'améliorer
par
Alphonse Martin
Membre résidant.
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Dans une précédente étude, sur la Santé publique et l'Alcoolisme,parue au lendemain de la terrible épidémie cholérique qui a sévi surnotre département, nous avions fait appel à la Société Havraised'Etudes diverses et à la Municipalité du Havre pour faire remettre àl'Ordre du jour la réforme de notre législation sanitaire, restée àl'état de projet depuis quelques années.

A l'appui de notre réclamation, nous avions remis en mémoire lesenseignements du passé ; nous avions indiqué comment nos ancienslégislateurs et nos magistrats d'autrefois étaient armés dans leursluttes contre les épidémies, aussi graves que celles de nos jours.

Nous avions rappelé le projet de loi, élaboré en 1885, par la SociétéHavraise d'Etudes diverses sur ces questions si importantes de la santépublique et des logements insalubres, et tout en formulant noscritiques contre ces refuges des ennemis de la salubrité, nous avionsfait le procès de ceux qui livrent leur existence aux dangers despoisons alcooliques, qui donnent ainsi, une prise, aussi grande, auxfléaux épidémiques, de quelques noms qu'ils s'appellent : choléra,fièvre typhoïde ou variole.

Nous revenons sur ces questions pour examiner les projets de loi, dus àl'initiative d'un grand nombre de députés, parmi lesquels il faut citerMM. Jules Siegfried, Edouard Lockroy, Trelat, Langlet, Labrousse.

Il est peut-être téméraire, pour nous, de présenter des observationssur des propositions qui ont déjà été vérifiées par tant d'hommeséminents, nous risquerons néanmoins quelques remarques, persuadé quel'on aura égard à notre bonne volonté d'apporter notre tribut à l'étudede ce problème de l'amélioration de la, santé publique, qui comportetant de divisions et de complications.

Il est reconnu aujourd'hui que le budget, c'est-à-dire le chiffre desmorts prématurées, prélevé sur la société, est facilement réductible etqu'il est possible, avec de sages précautions hygiéniques, d'abaisserla moyenne du nombre des individus enlevés à l'affection de leursproches.

On sait que la mortalité générale de la France est actuellement de 22pour 1,000 habitants d'après la statistique des 10 dernières années(1881-1890). Ce chiffre n'est pas élevé, car en Espagne il est de 32 eten Italie de 27 pour 1,000. Mais il ne faut pas oublier que d'autresEtats limitrophes de la France, sont plus favorisés sous ce rapport ;la Belgique et la Suisse ne comptent que 20 décès pour 1,000 habitants.Enfin la Suède et la Norvège sont encore plus heureux sous ce rapportcar la mortalité n'y atteint pas 16 décès pour 1,000 individus. Nous neparlons pas de l'Angleterre où la moyenne de 19 pour 1,000 ne comprendpas les enfants décédés au-dessous d'un an.

Si nous rétrécissons le cercle de nos investigations jusqu'à la régionde l'arrondissement du Havre, nous reconnaîtrons que la santé publiqueest susceptible d'y être améliorée, car la moyenne obituaire dépasse debeaucoup la mortalité générale, quoique notre climat ne présente aucuncaractère défavorable, si l'on excepte son âpreté sur le littoral.

En effet, au Havre, la moyenne des décès depuis 10 ans, d'après lescalculs du bureau .d'hygiène, est de 30, 9 pour 1,000 habitants pourl'ensemble de la ville. Mais si on divise la population par cantons, ontrouve l'un d'entre eux, le canton nord , mieux favorisé avec unchiffre de 28 pour 1,000, tandis que les deux autres cantons, sud etest, accusent des moyennes de 32 et 33 pour le même nombre d'habitants.

Toutefois, il n'y a pas lieu de s'alarmer, outre mesure, de cetteproportion qui s'est améliorée depuis 25 ans. En effet, pour les années1856, 1861, 1872 et 1876, correspondant aux recensements de lapopulation, la moyenne des décès était de 34 pour 1,000. Celle des 5années, 1880.188i, était encore de 33 pour mille.

Cette amélioration serait plus rapide, à cause des travaux de salubritéexécutés depuis un certain nombre d'années, si l'alcoolisme n'était làpour compromettre de plus en plus la santé publique décimant sesadeptes souvent emportés par la phtisie. On ne saurait trop le répéter,parmi les moyens légaux d'améliorer la santé publique, il fautpréconiser ceux qui auraient pour résultat d'enrayer la marcheascendante de ce fléau aussi bien dans les villes que dans lescampagnes.

Ces progrès de l'alcoolisme sont indéniables si l'on remarque laconsommation toujours croissante de l'alcool au Havre. En 1866 ellen'était que de 11 litres 80 par tête; en 1873, 12 litres 14; en 1877,12 litres 89; en 1887, 14 litres 88; en 1891, 16 litres 18.

La mortalité générale est ordinairement plus grande dans lespopulations urbaines que dans celles des campagnes où cependant lesprécautions hygiéniques sont ordinairement négligées. La différence estgénéralement de 5 pour 1,000. Mais en ce qui concerne l'arrondissementdu Havre, cette donnée est loin d'être invariable; il y a de nombreusesexceptions que nous énumérerons plus loin d'après les statistiques del'Etat-Civil pour les 5 dernières années.

Graville-Sainte-Honorine: Cette grande commune industrielle et rurale tout à la fois, possédait6,000 habitants il y a 6 ans et elle compte aujourd'hui plus de 7,500individus. La moyenne annuelle des décès est de 30 pour 1,000 comme auHavre (1).

Sanvic : La populationouvrière, rurale et bourgeoise, comptait 5,783 habitants en 1886;actuellement la population fixe est de plus de 6,405 individus. Lamoyenne annuelle des décès est de 28 pour 1,000, c'est-à-direinférieure à celle du Havre.

Sainte-Adresse : Villagesemi-aristocratique, n'a qu'une population de 2,490 habitants resserréeentre deux coteaux, et cependant la proportion des décès est inférieureà celle de Sanvic puisqu'elle est de 24 pour 1,000.

Bléville : Avec sa population ouvrière et rurale, est moins favorisé car la moyenne des décès atteint 32 pour 1,000.

Octeville : L'une descommunes les plus étendues de l'arrondissement, compte 2,100 habitants,la moyenne des décès y est de 31 pour 1,000.

Rouelles : Petit villagede 609 habitants. C'est le plus sacrifié avec sa proportion de 38 décèspour 1,000. Cette proportion était encore plus grande dans les 5 annéesprécédentes.

Montivilliers : Villeancienne autour de laquelle les havrais vont chercher, avec raison, unair pur et salubre, est cependant susceptible d'amélioration, car laproportion obituaire est de 33 pour 1,000.

Saint-Romain-de-Colbosc
: Chef-lieu de canton sur un vaste plateau, à 20 kilomètres du Havre, compte 32 décès pour 1,000.

Bolbec : Petite villeindustrielle de 12,000 individus,. On ne compte que 28 décès pour1,000, ce qui n'est pas excessif à cause de l'agglomération de sapopulation.

Criquetot-l'Esneval : Avec 1,407 individus, le chiffre des décès donne une moyenne de 31 pour 1,000.

Goderville : Autrechef-lieu de canton de 1,344 habitants. C'est le plus heureux de tous,car sa mortalité ne dépasse pas 20 pour 1,000; elle était encore plusfaible dans les années 1882-1886, car elle était moindre de 18 pour1,000.

La disproportion entre les chiffres de Goderville et de Rouelles laisseun champ bien vaste aux suppositions des hygiénistes. 11 est vrai quela commune de Goderville est bâtie sur un plateau à l'altitude de 133mètres, tandis que celle de Rouelles se trouve dans un vallon trèshumide. Mais on peut objecter que celle-ci est abondamment pourvue.d'eau de source tandis que celle-là n'est alimentée que par des eauxde citernes ou de réservoirs à ciel ouvert.

Rappelons encore que le village de Sainte-Adresse, dans un vallonétroit, est plus favorable à la propagation et au séjour des épidémiesque les autres communes situées sur le plateau Bléville, Saint-Romain,Criquetot, etc. Faut-il expliquer cette situation privilégiée sous lerapport de la santé publique par son alimentation d'eau de source?C'est peut-être une raison, mais elle ne doit pas être unique.

La mortalité de Sanvic est moins élevée qu'au Havre et cependant lamoitié de sa population est aussi agglomérée que dans la ville; l'eau yest moins abondante, les chemins moins bien entretenus, les maisonsdépourvues de fosses étanches.

Remarquons encore la différence de mortalité dans les villes deMontivilliers et de Bolbec, quoiqu'elles soient construites toutes deuxdans une vallée, pourvues d'eau de source en quan-tité suffisante.

Toutes ces anomalies et toutes ces contradictions démontrent ladiversité des causes de la mortalité excessive de telle ou tellerégion, et par suite l'utilité de la décentralisation et de l'autonomiedes comités sanitaires chargés d'expliquer ces causes, de proposer oude prescrire, selon les régions, les travaux de salubrité, de stimulerla construction des habitations hygiéniques à bon marché.

Nous n'avons pas la compétence nécessaire pour discuter la nature destravaux à exécuter pour l'amélioration de la santé publique, mais qu'onnous permette de dire en passant que le tout à l'égout spécialement ne peut être appliqué indistinctement dans toutes les villes.

Sans doute, à Marseille, cette installation est facile et elle pourradonner des résultats appréciables, mais il ne faut pas oublier que toutle système repose sur un collecteur émissaire dont le débouchéau-dessus des marées permet de déverser les eaux impures, à la mer, à12 kilomètres de la ville, dans un endroit isolé et le long d'uncourant qui empêchera ces eaux de séjourner dans le golfe au-devant dela ville.

Mais au Havre, est-on certain que ce système donnerait les mêmesrésultats ? Pourrait-on trouver le moyen d'établir le collecteurindispensable avec une pente, même légère, et un débouché loin de laville? Nous laissons aux ingénieurs havrais le soin de répondre à cesgraves questions.

La nécessité d'approprier les règlements sanitaires à chaque région etd'éviter des, prescriptions trop générales apparaît encore plus dans laconstruction d'habitations saines et à bon marché dont l'importance etle prix de revient sont excessivement variables. Nous demandons encoreici l'autonomie la plus large pour les comités chargés de résoudre leproblème, si ardu, de construire à bon marché, des maisons hygiéniques.

Nous nous occuperons d'abord du projet de loi sur la Protection de la Santé publique.

On ne peut qu'applaudir, sans réserves, aux mesures proposées pourprotéger les sources d'eau destinées à alimenter les communes; pour lapermission à laquelle on entend subordonner l'occupation des maisonsnouvellement construites.

On ne peut qu'approuver également les mesures sanitaires à prendre àl'égard des personnes, spécialement la déclaration immédiate auxautorités, des cas de maladie infectieuses, la vaccinationantivariolique, les attributions à donner aux conseils d'hygiène, ]arédaction d'un règlement sanitaire pour chaque commune, l'associationdes villes et villages pour l'exécution des travaux de salubrité, enfindes pénalités édictées contre ceux qui compromettent la santé publique.

Mais on nous permettra de formuler quelques critiques sur d'autres propositions qui nous semblent susceptibles de modifications.

L'article 1er a pour objet d'obliger les communes à établir unedistribution d'eau potable et à exécuter les travaux d'assainissementreconnus urgents par l'administration sanitaire, et, dans le cas derefus par les administrateurs locaux intéressés, l'autorité supérieureaurait le droit d'imposer d'office ces sortes de travaux.

Il est désirable en effet que chaque commune fasse exécuter des travauxde salubrité et de distribution d'eau, utiles pour l'amélioration de lasanté publique, parce que les plus grands sacrifices seront bien vitecompensés dans ce cas. Mais il faut distinguer entre les travauxd'assainissement et ceux d'adduction d'eau.

Pour les premiers, qui peuvent être exécutés graduellement au fur et àmesure des ressources, on pourrait user de ce droit de faire exécuterd'office les travaux. Mais à l'égard des seconds, c'est-à-dire de ladistribution d'eau potable, la difficulté serait plus grande parcequ'il s'agirait d'une dépense immédiate et considérable, de fraisd'entretien fort onéreux. Il est fort à craindre que l'administration,tout en reconnaissant l'utilité de cette installation, n'hésite àimposer de si grandes charges à des communes ou chefs-lieux de cantonde 2 à 3,000 habitants. Il est fort probable que cette disposition del'article ter resterait lettre morte, comme la loi du 16 Septembre 1807qui accordait presque les mêmes droits à l'administration.

L'article 3 prévoit le cas où un immeuble est dangereux pour la santédes occupants et des voisins. La procédure rapide indiquée par les 2 4,2 et 3, nous paraît nécessaire en remplacement de celle indiquée par laloi du 13 Avril 1850, et nous voudrions encore la simplifier.

Le § 4 porte qu' « en cas de contestations, la délibération » et lesobservations seront transmises au Préfet et au Conseil départementald'hygiène. » C'est fort bien pour les immeubles situés dansl'arrondissement du chef-lieu de département, mais pour les autres, làoù il y aura un Conseil d'hygiène particulier, ne pourrait-on pas luisoumettre les observations des intéressés ; il vérifierait par lui-mêmeet plus facilement si l'insalubrité est réelle et en cas d'affirmativesi elle ne provient pas de la malpropreté et de la négligence deshabitants.

L'article 4 fixe un délai d'un mois pour le commencement des travauxd'assainissement imposés aux propriétaires, mais on ne parle pas depréciser une date pour leur achèvement ; cela nous paraît utile, pourne pas laisser se prolonger des causes d'insalubrité, par lanonchalance de ceux qui doivent les faire disparaître.

L'article 5 suppose le cas où l'assainissement d'un immeuble seradéclaré impossible par la Commission sanitaire ou le Conseil d'hygièneet que par suite le Maire en aura interdit l'habitation sous peine depoursuites correctionnelles. On ne dit pas si, dans une circonstanceaussi grave, le propriétaire aura un recours contre la décisionmunicipale. Tout en maintenant provisoirement l'application de l'arrêtéil semble que le recours prévu par le 2 4 de l'article 3 devrait êtreégalement réservé pour ce cas.

Enfin, l'article 7 autoriserait les communes à acquérir des immeublesdont les causes d'insalubrité ne pourraient être détruites que par destravaux d'ensemble. Nous souhaitons, que l'application de ces grandesaméliorations puisse être exécutée, mais nous n'en sommes pasconvaincu, car la situation financière des villes et des communes, déjàsi obérées, sera un obstacle presque insurmontable pour des dépensesaussi fortes. Pour ne citer que la ville du Havre, quelle Municipalitévoudrait assumer la responsabilité d'exproprier les maisons insalubresdes quartiers de Notre-Dame et de Saint-François, où il faudraitengloutir des capitaux énormes.

 Ces habitations disparaîtraient au fur et à mesure qu'ellesseraient abandonnées par la classe ouvrière et on pourrait y arriverlorsque l'on aurait construit pour celle-ci des habitations saines,sans exagération de précautions dites hygiéniques, lorsque ceshabitations seraient louées à des prix inférieurs aux loyers deschambres infectes pour lesquelles de pauvres familles paient jusqu'à 15fr. par mois.

Tel est le but du projet de loi sur les habitations économiques, dont voici quelques extraits, avec les modifications proposées.

L'article 1er prévoit la création, dans chaque département, d'un ou deplusieurs comités des habitations à bon marché pour encourager cesconstructions.

Il nous semble que l'on pourrait créer un de ces comités par chaquearrondissement si l'on ne pouvait utiliser nos Conseilsd'arrondissement actuels, déjà chargés d'émettre des vœux sur lesquestions d'intérêt local, sur les établissements insalubres, surl'assainissement des constructions publiques ou privées, sur lesprojets de distribution d'eau, etc.

Les membres de ces comités d'arrondissement seraient mieux placés pourdonner leur opinion au sujet du mode de construction des habitationséconomiques selon les endroits où elles seraient projetées.
Bien que ce système existe en Belgique, les auteurs du projet de loin'ont pas cru devoir l'adopter pour la France parce qu'ils ont craintque l'utilité d'un comité par arrondissement ne soit pas la même dansles régions agricoles et dans les centres industriels. Au lieu de créerdes comités trop nombreux (6 à 18 membres), il nous semble préférablede diviser le travail de manière à stimuler l'activité de chacun.

L'article 6 promet certains avantages aux habitations industriellesdestinées à être vendues et dont la valeur ne dépasserait pas (terrainnon compris) la somme de 7,000 francs, ou aux maisons destinées à êtrelouées 500 francs par an ou au-dessous. Si l'on ajoute le prix duterrain, que l'on peut évaluer à 2 ou 3,000 francs, il s'agit enréalité d'immeubles d'une valeur d'environ 10,000 francs.

Nous ferons remarquer tout d'abord qu'il est difficile de préciser,dans une loi d'application générale, un chiffre dont le pouvoir seradifférent selon les endroits et les époques. L'exposé du projet de loireconnaît en effet cette variation en mentionnant que ces constructionspourront occasionner une dépense tantôt de 7,000 francs, tantôt dessommes de 2 à 3,000 francs.

D'un autre côté, le loyer de l'argent a subi et subira encore desdiminutions lentes mais importantes. Il y a quelques années, la Sociétécivile des Cités ouvrières du Havre calculait ses loyers sur le taux de5 0/o. Plus tard, la Société des Cités ouvrières de Lyon s'est contentéde stipuler dans un but philanthropique un revenu net de 4 0/0. Maisaujourd'hui, avec le taux de la rente française et des bonnes valeursréduit à moins de 3 0/0, un revenu de 4 °/„ serait trop rému-nérateur.

Si les terrains, notamment ceux des communes suburbaines, sont vendus àdes prix modiques, si les matériaux sont exempts de droits d'octroi, sila main-d’œuvre est peu coûteuse,  si les transports sont peuéloignés, on obtiendra avec un capital de 10,000 francs ou un loyer de4 à 500 francs des habitations presque luxueuses qui ne seront pointoccupées par de modestes ouvriers ou employés mais au contraire par desemployés de commerce ou de fabrique, des contre-maîtres, desmécaniciens suffisamment rémunérés qui profiteront des avantagesaccordés à ces habitations dites à bon marché, exemptes du paiement desimpôts, etc.

Cette limite, trop élevée, pourrait être abaissée pour éviter les abusqui ne manqueraient pas de se glisser au préjudice des autrescontribuables.

Au Havre, les premières maisons de la Société des Cités ouvrièresétaient estimées de 3,150 à 4,200 francs en capital. Le loyer n'étaitque de 170 francs et l'amortissement de pareille somme, mais ledeuxième groupe des mêmes habitations comprend des maisons de 5 à 6,000francs avec un loyer calculé sur le taux de 5 0/0 du capital.

A Bolbec, on peut acquérir des maisons ouvrières au prix de 2,400 francs ou les prendre en location moyennant 200 francs par an.

A Mulhouse, on peut devenir propriétaire d'une maison ouvrière pour le prix de 3,000 francs, terrain compris.

A Lyon, on loue des habitations ouvrières de trois pièces moyennant des loyers variant de 180 à 250 francs.

A Londres, beaucoup de maisons valent de 6 à 8,000 francs, mais cesdernières sont occupées par des contremaîtres ou des mécaniciens aisés.

En présence de ces différences sensibles dans le prix de revient deshabitations économiques, il serait plus prudent de laisser à chaquecomité local le soin de proposer un chiffre maximum susceptible de révision tous les dix ans, comme en matière d'impôts directs.

L'article 7 autoriserait différentes caisses publiques à employer ledixième de leurs fonds disponibles en prêts hypothécaires ou enconstructions de maisons à bon marché.

Les fonds de ces caisses ne trouveraient pas en effet un meilleuremploi et il nous semble que l'on pourrait même augmenter la proportionindiquée. Il est à peu près certain que ces établissements n'aurontjamais à rembourser la totalité ni même les 9/1000 des capitaux dontils sont détenteurs, non seulement à titre de dépôts momentanés, maisencore comme placements définitifs. En supposant même que dans unmoment de crise il faudrait pourvoir à de nombreux remboursements, lesétablissements prêteurs trouveraient facilement de l'argent en donnanten nantissement leurs titres de créances.

D'après l'article 8, les bureaux de bienfaisance, les hospices ethôpitaux seraient autorisés à consacrer jusqu'à concurrence ducinquième leurs fonds disponibles, pour favoriser les habitations à bonmarché dans leur circonscription charitable.

Dans ce cas encore, la quotité pourrait être augmentée. Il serait tempsen effet pour ces établissements de reconstituer une dotationimmobilière qui serait à l'abri des fluctuations des valeurs de Bourse; de plus, on stimulerait mieux la générosité des bienfaiteurs enaffectant leurs dons et legs à l'amélioration du sort des travailleurs.

L'article 10 a pour but de parer aux éventualités créées par la mort dupropriétaire occupant une maison économique. Deux moyens sont proposéspour conserver cette propriété dans le patrimoine de la famille :

1° Dans le cas où l'occupantlaisserait, en mourant, un conjoint et des enfants mineurs,l'indivision pourrait être maintenue par le conseil de famille jusqu'àla majorité du dernier des enfants.
2° Chacun des co-héritiers majeurs, dans l'ordre indiqué par le défuntou par voie de tirage au sort, ou le conjoint, aurait le droit dereprendre la maison sur son estimation faite, soit à l'amiable, soitpar le comité des habitations à bon marché avec homologation par leJuge de Paix.

Notre principale critique portera sur cette proposition du projet deloi, parce que le but poursuivi ici peut être obtenu pour le conjoint,d'après notre Code civil. En dehors de ce cas, cette propositioncréerait une situation privilégiée qui n'est conforme, ni à nos mœurs,ni à notre législation.

Actuellement, le conjoint peut conserver la maison acquise en commun,occupée par la famille, lorsque les époux ont stipulé, par contrat demariage, l'attribution, au profit du survivant, du produit entier de lacommunauté, ou lorsqu'il a été convenu que le survivant aurait droitoutre, à sa moitié en pleine propriété, à l'usufruit de l'autre moitié.

En dehors de ces conventions de mariage, assez communes, le survivant adroit presque toujours à la moitié en toute propriété, à titre decommun en biens, et, de plus, même en cas d'existence d'enfants, à lamoitié du surplus, ce qui lui donne soixante-quinze pour cent de lavaleur de la maison acquise en commun. Les vingt-cinq pour cent desurplus reviennent souvent à des enfants mineurs, et le père ou la mèreen a la jouissance légale ainsi que l'administration jusqu'à lamajorité de ces derniers.

Il est vrai qu'à cette dernière époque la maison paternelle peut passeren d'autres mains par suite de vente publique, mais cette crainte ne seréalise pas toujours, car si le conjoint le veut, il peut acquérir, àtitre de licitation et sans de grands sacrifices, la propriété commune.Etant propriétaire des trois quarts de la valeur de l'acquisition, iln'aura à payer les droits de mutation que sur le surplus, sansaccomplir les formalités de transcription et de purge des hypothèquesobligatoires pour un étranger. La même faculté appartient à l'un desenfants ou aux autres co-héritiers.

Telle est la situation créée par notre Code, et nous ne voyons guère lanécessité de la modifier pour établir le principe de l'indivision, quin'a jamais été en faveur, parce qu'il est une source de difficultés etde procès entre proches parents.

Mais admettons pour un instant que l'indivision soit maintenue pendantcinq, dix ou quinze années; les aînés quitteront la maison paternellepour aller s'installer ailleurs et créer de nouvelles familles. Ilsseront privés, sans compensation, de la jouissance de leurs droitshéréditaires, dont profiteront les enfants restés à la maison.

Autre alternative : un des enfants voudra user du droit de préemptionsur l'immeuble commun. Il lui faudra d'abord rembourser la part duconjoint survivant, c'est-à-dire les trois quarts de la valeur de lamaison, ainsi que les parts des autres enfants. Il n'y parviendra ques'il possède des ressources spéciales acquises par son travail, à moinsqu'il n'ait profité de quelques faveurs du père de famille, avantagesproscrits par notre Code.

Mais cet enfant privilégié, presque fortuné, ne sera pas le modesteemployé ou artisan qui n'a que ses bras pour travailler, ce sera unpetit capitaliste, pour lequel il ne sera pas nécessaire de rétablirl'ancien droit d'aînesse, incompatible avec nos principes d'égalité etde fraternité ; rien ne justifiera en sa faveur les concessions qui nepeuvent être réservées qu'aux classes véritablement nécessiteuses.
Si quelqu'un méritait un droit de préférence, ce serait uni-quement leconjoint, dont les droits seraient toujours plus importants etpréférables à ceux des enfants ; une simple stipulation d'usufruit ensa faveur, comme cela a lieu en Belgique, nous paraîtrait suffisante àdéfaut de contrat de mariage.

Quant à l'estimation de l'immeuble indivis par le comité deshabitations à bon marché, nous ne voyons pas la nécessité de lasoumettre à l'homologation du Juge de Paix. Ce magistrat, souventastreint à des changements de résidence, est assujetti, spécialementdans les grandes villes telles qu'à Paris, à Rouen et au Havre, à unefoule de services, il n'aurait ni le temps, ni la compétence pourcontrôler, seul, l'œuvre de véritables experts tels que les membres descomités des habitations à bon marché.

D'après l'article H, les maisons dites à bon marché, d'une valeurinférieure à 8 ou 10,000 fr., seraient exonérées pendant douze ans descontributions foncières et des portes et fenêtres.

L'exonération de la contribution foncière pendant deux années existedéjà à l'égard des constructions nouvelles, mais l'impôt sur les porteset fenêtres est dû immédiatement après l'achèvement des bâtiments. Nousne pensons pas que cette faveur déjà importante puisse être étendue, sil'on veut respecter le principe d'après lequel les citoyens sont égauxdevant l'impôt.

On compte au Havre, par exemple, plus de 4,200 logements de 300 à 500francs par an, tandis qu'au-dessus de ce chiffre on ne trouve que troismille logements. En supposant que la moitié seulement des locataires dela première catégorie arrive à bénéficier de la dispense d'impôtpendant un délai aussi long, le surplus des contribuables où setrouvent de petits commerçants et des gens n'ayant que des ressourcesrestreintes, verraient leur contingent s'augmenter dans des proportionsconsidérables.

Il nous semble qu'il y a déjà assez d'inégalités sans en créer denouvelles. N'y a-t-il pas au Havre, 18,000 chefs de ménage ayant unloyer inférieur à 300 francs qui ne paient ni cote personnelle, niprestation, ni taxe mobilière. Au contraire, dans les communeslimitrophes, tout individu non indigent, quel que soit son loyer, doitpayer ces impôts. On va jusqu'à réclamer à des ouvriers pères defamille de six enfants en bas-âge, trois journées de leur travail pourl'entretien des chemins !

Quoique n'étant pas partisan de l'exemption des impôts, nousadmettrions des dispenses pour de très petits immeubles, comme celaexiste en Belgique et en Autriche, mais non pour des maisons de 8 à10,000 francs.

Enfin, l'article 16 prévoit la constitution, auprès du Ministre du Commerce et de l'Industrie, d'un Conseil supérieurauquel devraient être soumis tous les règlements concernant leslogements économiques et salubres. Il nous semble qu'il y a là un essaide centralisation de nature à nuire à la construction, à bon marché, deces habitations. Pourquoi ne pas charger les comités locaux du soin dedresser des règlements qui ne peuvent être uniformes. Ainsi que nous ledisions au commencement de cette étude, les membres de ces comités, setrouvant sur place, seraient plus aptes à préciser les conditionsdifférentes dans lesquelles peuvent être établis ces logements, àchoisir les matériaux qui pourront être employés dans chaque pays, àindiquer l'aération nécessaire selon la situation des villes etcommunes ; autant de détails qui ne peuvent être observés à distance etd'une manière générale.

Telles sont les observations qui nous ont été suggérées par les projetssoumis à nos législateurs. Nous souhaitons, dans l'intérêt de tous, quela discussion publique soit ouverte et que l'accord intervienneprochainement pour éviter des décisions dans le sens de celle renduepar le Conseil d'Etat le 23 Décembre 1892, où l'on proclame que lesmaires peuvent prendre des mesures générales en vue de fairedisparaître une cause d'insalubrité, mais qu'ils ne peuvent déterminerla nature des travaux nécessaires...


NOTES :
(1)Nous avons déduit deux pour mille du chiffre constaté par les actes dedécès, à cause des mort-nés. Exemple : à Octeville le chiffre total deces actes donnerait une moyenne de 33,9 pour 1,000, mais en retranchantles actes des mort-nés (5 annuellement), on ne trouve seulement pourchaque année que 31,4 pour 1,000.