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[Factum, ca1862].- Courimpériale de Caen. Mémoire à consulter: l'action en pension alimentaire, formée tant àson profit qu'au profit de ses enfants naturels, par une femme contreun homme marié qu'elle prétend l'avoir rendueplusieurs fois mère, est-elle recevable sous l'empire ducode Napoléon ? [par Alfred Bertauld, avocat& Mainier, avoué].- Caen : Goussiaume de Laporte,[ca1862].- 36 p ; 25 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (29.VI.2005)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Orthographe et graphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm br 249).
 
COURIMPÉRIALE DE CAEN.
1reCHAMBRE
_____


M. MEGARD
1er Président.
__


M. LEMENUET DE LA JUGANNIERE
Président.
__


M. Edmond OLIVIER
1erAvocat général.
_______________


Etude de Me MAINIER, Avoué.

~*~

MEMOIRE A CONSULTER.



« Il estcertains cas dont les Tribunaux ne doiventjamais connaître. »
VOLTAIREPolitique etLégislation.


L’action en pensionalimentaire, formée tant à son profitqu’au profit de ses enfants naturels, par une femme contre unhomme marié qu’elle prétendl’avoir rendue plusieurs fois mère, est-ellerecevable sous l’empire du Code Napoléon ?

Ne doit-elle pas êtrerepoussée sans examen des faits et documents diffamatoiresdont on essaie de l’appuyer ?


Dans l’état de notre législation, nousdirons bientôt dans l’état de nosmœurs, lorsque la loi proscrit la recherche de lapaternité naturelle, lorsqu’elle interdit lareconnaissance même volontaire de la paternitéadultérine (art. 340 et 342 C. N.), une femme est-ellerecevable à choisir un père à sesenfants et à réclamer de lui une pension pour lesnourrir ?

Nous affirmons et nous nous croyons vraiment obligéd’affirmer que la question est soumise aux juridictions denotre pays, et que la discussion n’a pas pourprétexte une fable, mais un procès bienréel et auquel de singulièrespréoccupations ont donné un caractèresérieux.

Une femme de 35 ans (elle est née en 1827), qui est toujoursrestée fille, accuse un homme de 51 ans, un hommemarié, père de trois enfants,grand-père, un homme que la confiance etl’affection de ses concitoyens ont investi de mandatsmunicipaux et départementaux qu’il exerce encore,de l’avoir rendue six fois mère, et elle luidemande pour indemnité ou rémunérationde cette maternité une rente de 3,000 fr.constituée sur sa tête et sur la tête deson enfant aîné, et, de plus, pour chacun des cinqautres enfants, des moyens d’établissement ; elleprétend que ses relations avec le complice que sespréférences adoptent, ont commencéquand elle n’avait encore que 14 ans ; qu’elleétait pure alors, et qu’elle a subi unentraînement qui a duré 21 ans, sans que laprésence de l’épouse et de la famille,dont elle était la voisine, l’aitémue, troublée, et ait appris à saraison, mûrie par une majorité qui adéjà de la date, la nature illicite de la passionà laquelle elle soutient avoir cédé.

Comme nous nous proposons d’étudier et surtout defaire étudier ce que des tendances dont il ne nousappartient pas de nous constituer le juge,élèvent à l’étatde problème, nous n’écrivons pas toutd’abord que la femme qui demande des titres alimentairesà des désordres, suivant elle, continus, etconstituant un permanent et public adultère, entretenu parelle avec l’un des hommes les plus importants de la communequi en aurait été lethéâtre, est loin, non-seulement de justifier,mais de rendre vraisemblable qu’elle soit restée,dans l’inconduite si prolongée dont elles’accuse, l’exemple de la rare et bienexceptionnelle fidélité qu’elle invoquecomme une circonstance atténuante, et surtout quel’homme déjà âgéauquel elle s’adresse, parce qu’on le dit riche,ait été le premier de ses amants.

C’est en la dégageant de ses détailspar lesquels on essaiera vainement, nousl’espérons, de la rapetisser pour la fausser, quenous entendons aborder une contestation qui inspireraitpeut-être du septicisme sinon sur le progrès, aumoins sur la portée et l’efficacité denotre législation.

Nous avouons que nous n’avions passoupçonné que la recherche de lapaternité, interdite aux enfants irresponsables de la fautedont ils sont nés, fût permise auxfilles-mères, dont la responsabilité nousparaît plus difficile à nier.

Nous n’avions pas supposé que le CodeNapoléon, qui, dans un intérêt social,écarte, avec tant de soin, lesrévélationsd’adultérinité, qui n’acceptemême qu’avec tant de précaution et deréserve les confessions de paternité simplementnaturelle, eût ouvert la porte à deux battantsà des pécheresses dont le repentir ne commence,suivant elles, qu’après 21 ans de possessionpaisible, dénuée de troubles comme de remords, etqui ne viennent ainsi parler de leurs fautes, nous ne disons pas encorele mot des juristes, de leurs turpitudes, que pour en demander lesalaire ; car, enfin, à moins de faire mentir la langue etla conscience, on ne saurait parler de réparation pour undommage que la passion, le tempérament ou lacupidité de la plaignante auraient acceptélongtemps comme une bonne fortune.

Entre la fille qui se sera livrée pendant 21 ans et lepère qu’elle choisit à ses enfants, lemeilleur des pères, bien entendu,d’après la position sociale, la justicefrançaise interviendra-t-elle, au XIXe siècle,avec ses balances, pour vérifier, comme par un pesage, sil’un a plus reçu qu’il n’apayé, et si, dans une communauté dedésordres, sous le prétexte que lesconséquences seraient plus onéreuses àl’un qu’à l’autre des deuxviolateurs de la loi sociale et de la loi domestique, il y aura, envertu d’un tarif dont nous ne devinons pas parfaitement lesbases, un solde d’indemnité àrégler et à apurer.

Il y a pourtant une difficulté, il faut bien le croire,puisque le débat dont nous rendons compte avec une grandeexactitude, a été soumis à unTribunal, et que ce Tribunal l’a tranché au profitde la fille-mère, au profit même des enfants decette fille, dont il s’est bien gardé, dit-il, derechercher le père, se contentant, suivant lui, de punirl’éditeur responsable.

Un jugement dont nous allons donner le texte, en effaçantseulement le nom des parties, a condamné leprétendu séducteur de la fille six foismère, à payer à chacun des six enfantsjusqu’à ce qu’il ait atteint sa 18eannée, une pension de 500 fr., et à partir de sa18e année, une pension de 250 fr., amortissable par 3,000fr. ; il l’a de plus condamné à payer,comme indemnité réparatrice de laséduction qu’il lui a imputée, uncapital de 2,000 fr. et une rente viagère de 500 fr.à la fille-mère, dont il a constaté,par leur date, les six accouchements successifs.

Ce jugement est fondé sur cette considération,que, si l’art. 335 interdit de rechercher lapaternité, et surtout la paternitéadultérine, il n’interdit pas de rechercher lesconséquences plus ou moins préjudiciables decette paternité.

Il déclare, en thèse, qu’il peut fairepeser la responsabilité de cette paternité sur unhomme auquel il pense qu’elle appartient, le tout sans ladécouvrir, sans la constater et uniquement en sepréoccupant des effets d’une cause qu’illaisse sous le voile.

Il proclame comme une théorie légale, et il irajusqu’à dire une théoriecommandée par la moralité sociale,qu’il a le droit d’imposer la charged’enfants à un homme auquel il ne les relie paspar le lien de la filiation, mais auquel il les relie comme auteurd’une préjudice auquel ils doivent leur origine etleur naissance.

Le principe, la foi qui anime cette décision,c’est que le juge a le droit de scruter la vieprivée, de s’introduire au foyer domestique, desonder et d’éclairer par le grand jour les plaiesles plus secrètes de la famille, et que, tout fier durésultat de ses perquisitions, il peut dire àl’épouse, aux enfants légitimes, auxpetits-enfants : Votre mari, votre père, votreaïeul, dont vous aimiez les qualités, dont vousrespectiez le caractère, s’est longtemps,à votre insu, oublié dans des affectionsillégitimes, des affections dont il a comprimé,vis-à-vis de vous, l’expression, mais dont il y ades témoignages vivants, des témoignages que jevous exhibe, et, par suite, sa fortune, la vôtre, car il vousla réservait cette fortune, je vais en faire deux parts,l’une que je vous laisserai comme consolation de larévélation que je vous apporte, l’autrepour servir de récompense à celle qui sera plusheureuse de partager votre héritage que de vous avoirdisputé un attachement dont elle n’est pasparvenue à vous dépouiller.

Cette décision suppose que l’autoritéjudiciaire est compétente pour vérifier si unefemme a des droits légitimes au titre demaîtresse, et elle édifierait presque une doctrinesur les conditions de cette singulière possessiond’état.

On compte les grossesses, et on explique comment une jeune fille, soitde 14 ans, soit de 18 ans (le Tribunal n’en est pas biensûr, et là-dessus il esttrès-circonspect), parce qu’elle serait la filled’un boulanger et aurait été porter dupain dans une maison que ses parents devaient croire honnête,aurait perdu son innocence par une surprise dans laquelle elle seserait longtemps complue, puisqu’elle seraitrestée sous son charme, soit depuis 1841, soit au moinsdepuis 1845, et cela sous les yeux de ses parents, ses complices parl’hospitalité de leur maison, par les bienfaitsqu’ils auraient reçus comme prix desdésordres qu’ils auraient, nonréprimés, mais encouragés, et aveclesquels ils auraient vécu.

En analysant le roman auquel le Tribunal a trouvé tantd’intérêt, nous sommes bien loin devouloir donner au mensonge le crédit que mériteseule la vérité. Nous faisons toutesréserves à cet égard, et nousconstatons même que la correspondance qu’onattribue à l’amant d’adoption etqu’il ne reconnaît pas, ne remontequ’à 1847.

Nous n’ajoutons plus qu’une observation,c’est que, sous l’empire d’une illusiondont nous ne pouvons honorer que la sincérité, leTribunal considère qu’il obéità l’intérêt social.

Pour lui et par lui, la société doit tout voir ;elle n’a jamais intérêt àfermer les yeux. Qu’importe qu’en son nom on remuedes scandales, si les scandales sont suivis d’unerépression, ne fût-elle que pécuniaire? Les maternités illégitimes ne sont pluscondamnées au secret, à l’humiliationde l’ombre et du mystère ; elles peuvents’étaler au grand jour ; àdéfaut du nom, elles auront de l’argent. Il nes’agit pas de savoir aux dépens de qui il serapayé ; il s’agit encore moins de savoirs’il enrichira la bâtardise et appauvrira lalégitimité. Il ne s’agit pas non plusde savoir si les mémoires secrets desfilles-mères auront le mérite del’exactitude, si le prix qu’elles recueilleront deleurs publications ne sera pas un appât toujours pour ladiffamation, souvent pour la calomnie.

Pour le plus grand avantage des mœurs, comme un hommageà la sainteté du mariage, il n’est pasdangereux d’apprendre, de constater publiquement etofficiellement comment et à quelles conditions, dans lesystème dont cette jurisprudence, nouvelle ourétrograde, donne un exemple , ou allie laconsidération à la violation des devoirsdomestiques.

Voici, au reste, le texte du jugement :

CONCLUSIONS.

« La demoiselle Z a conclu par Me Tirard, sonavoué,

Qu’il plaise au Tribunal, M. le Procureur impérialentendu,

Condamner X à payer à la concluante la somme de100,000 fr. avec les intérêts et lesdépens ;

Subsidiairement, et pour le cas où, contre toute attente, leTribunal le croirait utile, admettre la concluante à prouverpar experts que les pièces communiquées sont bienécrites et signées par le sieur X, notamment :1° l’écrit sous forme de testament,portant date à C, le 24 novembre 1847, et la signature X,enregistré à Vire le 10 juillet 1861n, f°181, case 8 ; 2° les neuf lettres communiquées etenregistrées toutes à Vire, le 10 juillet 1861,f° 181, cases 1 à 9, signées X ; et partémoins que c’est le sieur X qui a toujourspayé les frais de pension et de nourrice des enfants, etnotamment des trois enfants qui sont chez la dame Désert, dela commune de Moncy ;

En cas d’expertise et d’enquête,réserver les dépens. Signé A. Tirard.

Le sieur X a conclu par Me Lemoine, son avoué,

Qu’il plaise au Tribunal, M. le Procureur impérialentendu,
Sans avoir égard aux divers documentscommuniqués, qu’il ne reconnaît pascomme émanant de lui, et qui sont d’ailleursabsolument inconcluants, comme tendant à constituer unepreuve expressément prohibée par la loi,déclarer l’action purement et simplement nonrecevable, avec dépens ;

Additionnellement, sans avoir égard aux conclusionsadditionnelles de Z, qui seront rejetées commeinconcluantes, illégales et inadmissibles pourl’errement sollicité, adjuger au concluant lebénéfice de ses conclusions principales, avecdépens.

Signé Lemoine.

QUESTIONS.

1° La demande de la fille Z est-elle recevable ?

2° Doit-on, avant faire droit au fond, ordonner lavérification par experts de l’écritureet des signatures des pièces produites ?

3° Doit-on appointer la fille Z à la preuve desfaits par elle cotés ?

4° La demande de 100,000 fr. dedommages-intérêts, formée par la filleZ, est-elle fondée en totalité ou pour partie ?

5° Que doit-il être statué quant auxdépens ?

MOTIFS.

Considérant, sur la première question, quel’action de la fille Z a pour objet la réparationd’un dommage qu’elle prétend lui avoirété causé par X ; qu’unedemande dans ces termes seuls et basée uniquement surl’article 1382 du Code Napoléon, estévidemment recevable en la forme, sauf l’examen dufond, et l’application de l’article 335 dumême Code ;

Considérant, sur la deuxième question, que, dansses conclusions, X ne reconnaît ni neméconnaît l’écriture et lessignatures des pièces produites, mais que, de soninterrogatoire, de l’ensemble des piècesproduites, des signatures qui passent tous les jours sous les yeux duTribunal (X est maire de la ville de Y), il résulte pour leTribunal une si profonde conviction que toute vérificationserait chose superflue ;

Considérant, sur la troisième question, que lapreuve offerte est aussi superflue, le Tribunal étant, surtous les faits, aussi complètement renseignéqu’il puisse le désirer ;

Considérant, au fond, que X, s’emparant desdispositions de l’article 335, dit : La reconnaissance desenfants nés d’un commerce incestueux ouadultérin est interdite ; la fille Z demande desdommages-intérêts, non-seulement pour elle, maisen prenant en considération ses six enfants ; lui accorderune pareille demande, c’est faire indirectement ce quel’article 335 défend d’unemanière formelle ;

Considérant que, sans porter la moindre atteinteà l’art. 335, le Tribunal peut rechercher si, parle fait X, la fille Z a éprouvé unpréjudice, et si X, ce qui d’ailleurs estsuperflu, s’est engagé à leréparer ;

Considérant que X est âgé de dix-huità vingt ans de plus que la fille Z ; que le pèrede cette fille, lorsqu’elle était mineure ettrès-jeune, était le boulanger de la maison X ;qu’à Y, comme dans toutes les petites villes dupays, il est d’usage que les boulangers fassent porter lepain à domicile et qu’ils le fassent porter soitpar leurs ouvriers, soit par leurs enfants ; que la fille Z, en allantchez X, ne faisait donc qu’obéir aux ordres de sonpère, pour un service obligé, dans une maison quela famille Z devait croire honnête ; que X a abuséde cette position pour séduire une jeune fille de 15à 18 ans ;

Considérant que l’on a soutenu, non sans raison,que la fille Z, mère à 26 ans (son dernier enfanta plus de 7 ans) de six enfants se recommandait peu parelle-même ;

Que, cependant, cette fille mineure séduite, a, sur le pointde devenir mère, été, bien moins pourménager sa réputation que celle d’uneautre personne, arrachée à sa famille,enlevée du pays et placée à Paris,qu’elle y a été entourée detous les soins et, comme à Y, de toutes lesséductions que peut fournir l’abus d’unegrande fortune ; qu’il était difficileà une jeune fille perdue dans une mauvaise voie des’en tirer ; qu’il résulte cependant despièces produites qu’elle l’a voulu ; quele repentir s’est fait jour en elle, mais que ce retourà des sentiments honnêtes aété combattu et empêché parles mêmes moyens qui avaient fait succomber la jeune filleinnocente ;

Que si la fille Z est peu favorable, son adversaire l’estbien moins, lui, homme marié, père de famille,dans une position qui aurait dû lui commander le respect delui-même, s’oubliant dans une passion coupablejusqu’à braver tous les scandales, non-seulementjusqu’à blesser par ces scandales une femmehonnête et sans reproche dans tout ce qu’elle avaitde plus cher, mais encore jusqu’àl’outrager par d’indignes paroles ;

Considérant que par le fait de X, depuisl’âge de 15 à 18 ansjusqu’à 34, la fille Z a étéempêchée de se livrer à aucun travail ;qu’elle n’a pu prendre aucune profession qui puissela faire vivre ; qu’elle est aujourd’hui dans uneposition telle qu’elle ne peut êtrereçue ni employée dans une maisonhonnête ; qu’il est constant dès lorsque X a causé à la fille Z unpréjudice qui demande une réparation ; que Xl’a, d’ailleurs, reconnu lui-même, letestament du 24 novembre 1857 et le projet de transaction en font foi ;

Considérant que, si lesdommages-intérêts doivent se calculerd’après le préjudice causéet se proportionner à ce préjudice, iln’est pas vrai cependant que la position des parties doiveêtre tellement voilée au regard de la justice, quece regard ne s’y appesantisse pas un instant ; que la fille Zn’a rien, que X est fort riche ; qu’en 1847,lorsque X était infiniment moins richequ’aujourd’hui et le dommage infiniment moinsgrand, il donnait par testament 10,000 fr. à la fille Z,bien faible dédommagement, disait-il, dupréjudice qu’il lui avait causé ; et,il y a quelques mois, dans un projet de transaction, projetécrit, ce qui fait supposer que les bases en avaientété discutées, 40,000 fr. ;

Considérant qu’àcôté de X, il y a une femme et des enfantslégitimes, dont la position intéressante estmalheureusement atteinte par la conduite du mari et du père; que cette position ne doit pas être amoindrie par unecondamnation exagérée, mais que le chiffre que leTribunal va fixer, en capitalisant les rentes, n’atteindrapas une année du revenu de la fortune personnelle de X ;

Considérant qu’après avoir reconnuqu’il est dû desdommages-intérêts à la fille Z, leTribunal doit examiner s’il est possible de faire peser sessix enfants dans la balance de cesdommages-intérêts ; or, le Tribunalreconnaît que X, par son fait, a mis la fille Z dansl’impossibilité de subvenir à sesbesoins ; quels sont ses besoins ? suffirait-il à cettefille de gagner du pain pour elle, ou devrait-elle encore en gagnerpour ses six enfants ? s’il lui incombe, ce qui ne peutêtre douteux, l’obligation de les nourrir, leTribunal doit proportionner les secours aux besoins ; mais, en mettantà la disposition de la fille Z, qui n’a jamais euà s’occuper des soins d’une famille,puisqu’il y était pourvu d’ailleurs, cequi est nécessaire pour nourrir et élever sesenfants, il pourra en être fait un mauvais usage ; leTribunal pense donc qu’il estpréférable de réduire les besoins dela fille Z, en la déchargeant du soin de nourrir ses enfantset de diminuer en proportion les dommages-intérêtsqui lui auraient été alloués ;

Considérant que ce que fait à cetégard le Tribunal, il le fait d’abord dansl’intérêt de lasociété ; il ne lui est pasindifférent, en effet, que six jeunes enfants soient bien oumal élevés ; il le fait ensuite dansl’intérêt de toutes les parties, X atémoigné assezd’intérêt aux enfants de la fille Z etce témoignage s’est produit, il faut lereconnaître, d’une manière convenable etintelligente, pour qu’il soit évidentqu’il désire que ces enfants ne soient paslivrés aux hasards et aux périls d’unemauvaise éducation ;

Considérant, quant à la fille Z, que depuislongtemps elle a eu à s’occuper des soins de sonprocès ; qu’elle n’a rien pu gagner ;qu’elle ne peut avoir que des dettes ; qu’une sommed’argent modérée lui est doncprésentement indispensable ; que pour l’avenir sile Tribunal lui fait payer en une seule fois le montant de sesdommages-intérêts, cela pourra êtredissipé promptement, et elle sera exposéeà mourir de faim ; une pension paraît doncêtre préférable ;

Considérant, quant aux enfants, que le plus jeune va avoirhuit ans ; que les deux aînés, ungarçon et une fille, sont déjà depuislongtemps dans deux pensions où il est payé 500fr. pour chacun ; que l’éducation etl’instruction qu’ils y reçoivent estconvenable ; on les prépare à une professionmécanique ou industrielle qui puisse leur faire gagnerhonorablement leur vie ; que cet exemple donné pour les deuxaînés est bon à suivre pour les autres,que la même sollicitude avait déjà misen nourrice et en pension ;

Mais considérant que la fille Z étant seulemaîtresse de ses enfants, il  n’y a pasd’autre moyen de la contraindre de faire ce qui est dans leurintérêt le mieux entendu que de lui refuser toutsecours dans le cas où elle s’y refuserait ;

Considérant que chacun des enfants, quand il aura accomplisa dix-huitième année et achevé sonéducation professionnelle, sera àportée de subvenir  par lui-même au moinsen partie à ses besoins ; qu’il ne devra pascependant être abandonné alors sans aucuneespèce de secours, parce que la misère pour lesjeunes filles surtout est souvent une mauvaise conseillère,mais que ces secours devront être réduits auminimum, c’est-à-dire à subvenir auxfrais de maladie et au manque de travail ;

Considérant, quant aux dépens, que le Tribunalaccueillant au moins en partie les demandes de la fille Z, lesdépens doivent être à la charge de X,qui n’a fait d’offre d’aucuneespèce ;

Par ces motifs,

Parties ouïes par leurs avoués et avocats,ouï également les conclusions de M. Houyvet,Procureur impérial ;

Le Tribunal déclare recevable en la forme la demande de lafille Z ;

Déclare superflues, soit une vérification parexperts des écritures et des signatures despièces produites, soit des enquêtes et, faisantdroit au fond, déclare exagérée lademande de la fille Z, mais déclare en même tempsqu’il lui est dû par X desdommages-intérêts, et que l’existencedes six enfants de cette fille doit être prise enconsidération pour la fixation des chiffres ;

Condamne X à payer de suite à la fille Z unesomme de 2,000 fr., et à lui servir, en outre, une renteannuelle et viagère de 500 fr. ; ordonne que cette rentesera payée en deux termes égaux, de six mois ensix mois, et d’avance, le premier terme à la datedu 1er de ce mois ;

Ordonne que les six enfants de la fille Z, nés en 1847,1848, 1849, 1851, 1852, 1854, seront placés, savoir : lesgarçons, soit chez un instituteur communal, soit dans unepension ou collège où ils recevrontl’éducation religieuse et où on leurapprendra, jusqu’à leur quatorzièmeannée révolue, ce qu’ils devront savoirpour les préparer à une professionmécanique ou industrielle ; que, depuis leurquatorzième année jusqu’à ladix-huitième révolue, ils serontplacés soit dans des établissements, soit chezdes maîtres où ils apprendront àexercer l’une de ces professions ;

Les filles également, jusqu’à leurquatorzième année révolue, dans despensions où elles recevront l’éducationreligieuse et où on leur donnera l’instructionconvenable à des ouvrières ou à desmarchandes, et depuis leur quatorzième annéejusqu’à la dix-huitièmerévolue, dans des établissements où onleur apprendra à exercer une profession ;

Condamne X à payer pour chacun de ces enfants annuellement,par semestre et d’avance, à partir du jouroù ce qui précède seraexécuté, pour chacun desdits enfants, une pensionde 500 fr. ; ordonne que cette pension sera verséedirectement aux mains des maîtres ou maîtresses,directeurs ou directrices, qui devront pourvoir, non-seulementà l’éducation et àl’enseignement, à toutes les fournituresqu’il exige, mais à l’entretien età tous les soins et médicaments en cas de maladie;

Dit qu’en cas de refus de la fille Zd’obtempérer à ce quiprécède, il ne sera payé aucunepension pour celui ou ceux des enfants qui n’auront pasété placés comme dit est ;

Condamne X à payer à chacun des six enfants de lafille Z, quand il aura accompli sa dix-huitièmeannée, que sa mère se soit ou ne se soit passoumise à ce qui précède, une renteannuelle et viagère de 250 fr. seulement payableégalement d’avance et par semestre, et directementaux mains de l’enfant ; autorise X às’affranchir à sa volonté de cetterente, en plaçant pour celui des enfants dont il ne voudraitpas servir la rente, et au nom dudit enfant, une somme de 3,000 fr. enrente sur l’Etat ; ordonne que lesintérêts de cette somme seront,jusqu’à sa majorité, payésà l’enfant, qui, après samajorité, disposera à sa volonté ducapital de la rente sur l’Etat ;

Condamne X aux dépens. »

Ce jugement a étéprécédé d’unerequête en interrogatoire sur faits et articles,interrogatoire que nous n’imprimons pas sans doute, parcequ’il mettrait trop les personnes en jeu et qu’il ya dans cette cause, pour tous les hommes de sang-froid, des questionsde principe qui dominent les articulations et les explications de fait.

Une autre raison, une raison de déférence et derespect, suffirait pour nous empêcher de livrer àl’impression une pièce qui, si nous ne noustrompons grossièrement, est la preuve la plusdécisive et la plus éclatante des dangers duprincipe qui a obtenu la considération du premier juge. Ledéveloppement de notre troisième propositionprouvera, d’ailleurs, que l’impression del’interrogatoire serait singulièrement contraireau vœu de nos lois.

Il y a deux thèses en présence :

1° Une thèse que nous croyons aussiillégale que foncièrement immorale, unethèse que nous croyions bien morte et dont larésurrection nous étonne ;

2° Une thèse que nous nous accoutumions àcroire profondément enracinée sur notre sol, etque nous acceptions comme une des bases de notresociété nouvelle, la thèse del’art. 340 et de l’art. 342 du CodeNapoléon.

Nous voulons en toute liberté discuter ces deuxthèses, nous ne voulons, par aucun mot, par aucuneconsidération irritante, provoquer lasusceptibilité de juges qui ont obéi àune inspiration consciencieuse et dont nous ne voulons et nous nedevons peut-être attaquer la solution qu’avec cettemesure et à ces convenances de langage qui ne sauraientnuire à notre thèse si nous défendonsla vérité.

Nous aurons peut-être, il est impossible que nousn’ayons pas, des sévéritéspour une théorie qui, dans notre esprit, est encontradiction flagrante avec la théorie de la loi.

Dans l’intérêt de la loi,c’est notre droit, c’est notre devoir, nousattaquerons le jugement avec fermeté, avec unevivacité convaincue, mais nous laisserons le juge absolumentà l’écart.

Il a cru par son interrogatoire rendre un service au droit,à la morale, à l’ordre public ; il aouvert, pour y entrer avec ardeur, une voie dont il n’a pasconnu ou apprécié tous les écueils ;nous considérons qu’il a étédupe d’un bon sentiment, qu’il a compromis lesintérêts qu’il se proposait desauvegarder ; mais, si libre, si indépendante que soit notrecritique sur son œuvre, elle doit lui rester à luipersonnellement étrangère, et finalement nouscroyons qu’il y a des motifs de décence de plusd’un genre à ne pas montrer le justiciable et lejuge aux prises dans un conflit de questions et de réponsesque la loi, suivant nous, proscrivait sur le point de savoir comment seseraient nouées et dénouées desrelations illicites et adultérines, quelles en auraientété les conditions, les phases, les accidents,les péripéties.

Nous ne voyons aucun intérêt pour notre cause, nipour la justice, à appeler la lumière sur unelutte où l’interrogateur etl’interrogé ont dû éprouverde grandes hésitations et de prodigieux embarras de langage.

§1er.

Nous soutenons que le jugement dont nous avons reproduit lesdispositions viole d’une manière flagrante lesart. 1131 et 1133 du Code Nap.

1131. - L’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ousur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.

1133. - La cause est illicite, quand elle est prohibée parla loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ouà l’ordre public.

Une femme prétend avoir contracté une associationdans laquelle elle aurait apporté comme mise son honneur etsa jeunesse, association qui aurait duré 20 ans, qui auraitété entretenue dans la ville mêmeoù son complice, son associé si elle veut, quirachetait ses années par son argent, étaità la tête d’une maison où ilavait sa femme, où il élevait ses enfants,où elle le savait chargé de laresponsabilité d’une famille. Cette associationaurait eu pour siége et pour centre la maison mêmedes père et mère de cette femme, qui nel’aurait jamais quittée que pour faire ses coucheset très-temporairement. Cette femme aurait, d’unemanière permanente, reçu, àl’abri de la protection paternelle et maternelle, un hommequi l’aurait rendue six fois mère ; ellen’aurait pas caché ses grossesses ets’en serait parée avec une sorted’orgueil comme d’un titre, et, chez elle, aumilieu des siens, dans le public, elle se serait exposée,pendant longues années, aux explosions del’indignation de la femme légitime et des enfantsqu’une indiscrétion aurait pu éclairersur l’outrage ; elle aurait vécu d’unevie de loisirs, c’est le jugement qui l’indique,avec le produit de ses désordres et de sa honte ; ellen’aurait capitalisé aucune portion des revenus quilui auraient été faits par une passion coupable ;elle aurait joui sans prévoir l’avenir, existantau jour le jour, ne s’enrichissant pas au seind’une aisance à laquelle son éducationne l’avait pas préparée ! Etaujourd’hui avec l’escorte de six enfants, elleserait recevable à demander une portion du patrimoine que lamorale, comme la loi, affecte aux droits nés du mariage,qu’elle s’accuse d’avoiraffronté avec tant d’impudeur ! femme quis’est vendue ou femme qui s’est livréeavec une si âpre ténacité derésolution, elle réclame un complémentde prix, un prix pour elle, le moyen de ne pas déchoir, unprix pour ses enfants, qui sont bien ses enfants à elle,mais qui ne sont pas nécessairement à celuiauquel elle les attribue par cela seul qu’elle affirmequ’elle n’a jamais appartenuqu’à lui, ce qui se concilierait difficilementavec son attitude et sa conduite actuelle, car la femme qui dit cequ’elle dit est capable d’avoir tout fait !

Nos anciens auteurs disaient : Nul ne peut demander larémunération de ses turpitudes. Le mot de *turpitudes* avieilli sans doute, et on ne le prodigue plus. Nous voulons bien ne pasl’appliquer à des désordres quin’impliquent pas toujours l’indignité ducœur et la bassesse des sentiments ; nous ne voulons pasl’infliger même à la femme qui se chargedu rôle de concubine pendant une périodevicennale, et cela dans le voisinage de celui qu’elle auraitenlevé à l’épouselégitime. Nous le réservons, ce mot de *turpitudes*, pourflétrir une impudente révélation quiserait la pire des souillures pour la femme, quand même ellene serait pas une odieuse calomnie !

Le mensonge n’est qu’une aggravation, une sorte deluxe pour l’opprobre de la confidence.

Mais, nous ne saurions trop le faire remarquer, ce n’est pasla question du fond que nous examinons ; nous ne nous occupons en cemoment que de la recevabilité de l’action.C’est la vérité sociale,c’est la pudeur publique que nous opposons comme un obstacleinvincible à une réclamation grosse depérils, de scandales, à uneréclamation dont le succès constituerait un deces précédents devant lesquels les hommes lesplus purs, les plus réservés dans leur vieprivée, n’auraient qu’àtrembler : car ce serait à eux que lesfilles-mères seraient en mesure de faire le plus de mal, etce seraient eux qui achèteraient le plus cher leur repos, lerepos de leur famille, leur considérationpeut-être comme hommes publics.

Nous nous prévalons des principes, parce que les rancunes,les envies et les haines ont déjà une suffisantearène, sans qu’on leur en ouvre encore une danslaquelle on appellerait de prétendues victimes de laséduction pour leur livrer en pâture desréputations et un patrimoine contre lesquelsd’autres moyens auraient jusqu’alorséchoué.

Eh bien ! un fait contraire aux bonne mœurs, aux lois de lafamille et de la société, peut-il devenir, auprofit de la personne qui l’a commis, un titre constitutifd’un droit, une source d’obligation contre lapersonne qui s’en est rendue complice ?

Nous disons non, avec le bon sens.

La loi romain disait : « *Siflagitii faciendi, vel facti, causa concepta sit, stipulatio ab initionon valet. »

Un de nos modernes jurisconsultes traduit avec autantd’exactitude que d’élégance :«Les bonnes mœurs ne sont pas moinsoffensées, qu’il s’agisse de provoquerou de rémunérer leur violation.»

Dans le fait, l’action repose sur une articulation derelations illicites, aggravées par la circonstanced’un adultère de vingt ans,perpétué en pleine connaissance de cause.

Si l’accusé de complicité eûtécrit une pareille cause dans une obligation par luisouscrite, son héritier lui-mêmen’aurait qu’à lirel’énonciation de la cause honteuse devant laquelleil n’aurait pas reculé, pour frapperd’impuissance cette obligation.

Il aurait vainement promis ; sa promesse serait souillée, etla loi la bifferait.

Sans doute, s’il avait eu la pudeur de ne pas indiquer lacause, le concubinage adultérin, on nel’admettrait peut-être pas à la montreraprès coup, et si l’obligation par lui consentien’était qu’un secours mesurésur les besoins d’une femme qui ne laisseraitqu’entrevoir son secret, le juge fermerait les yeux ; ils’efforcerait de croire àl’honnêteté d’une cause nonécrite, il n’userait de sa clairvoyancequ’autant que l’exécution del’engagement aurait des conséquences ruineusespour les droits de la famille.

Mais il  ne s’agit pas d’une promesse plusou moins suspecte, plus ou moins réservée dansson expression. On demande à la justice desuppléer une promesse qui n’est pas faite ; on nelui déguise pas la cause à laquelle on veutl’intéresser. On lui demande, avecsincérité et peut-êtrecrudité, de créer le titre que la passion neserait abstenue de créer elle-même, etd’imposer, sous prétexte de réparation,un véritable attentat aux bonnes mœurs, unedonation rémunératoire de l’inconduite.

Autrefois, les donations entre concubins étaient interdites,et cette interdiction n’avait pas étéabrogée par les lois du 17 nivôse an II et du 4germinal an VIII.

Le Code Napoléon, dit M. Troplong, n’a pasrépété ces dispositions prohibitives.Pourquoi ? Le grand magistrat répond : « Le CodeNapoléon a voulu prévenir des perquisitions quipourraient être injustes, odieuses ou tout au moinsscandaleuses ; il a voulu tarir une source d’accusationsempoisonnées…. il y a d’ailleurs descas où la réparation du mal est plus dangereuseque le mal lui-même. »

Eh bien ! nous voilà en face d’uneinterprétation du Code Napoléon quirépond bien à sa pensée ! Il nereproduit plus la maxime de l’ancien droitfrançais : *Donde concubin à concubine ne vaut*, et cela parcequ’il ne veut pas offenser la pudeur sociale ; et la justice,dans l’intérêt de la pudeur sociale, irachercher, au milieu de toutes les souillures, non pas des preuves, maisdes présomptions de faits de concubinage, pour que laconcubine reçoive, de par elle, une récompensequi ne lui serait restée, d’après leCode qui nous régit, que parce que, pour la lui enlever, ilaurait fallu la montrer nue en quelque sorte et mettre lasociété dans la confidence de ses attractions.

Pour notre compte, nous ne saurions nous accoutumer àl’idée d’une inquisition judiciaire, dont le but serait, *nonla réparation du mal, mais sarémunération !*

S’il n’est pas permis de fouiller dans lessecrètes intimités de la vie pour annuler unelibéralité œuvre d’uneséduction facile à présumer, sera-t-ilpermis d’afficher au grand jour des désordres,pour leur octroyer des encouragements et les richement doter au nom dela société ?

« Dans le droit romain, nous dit M. Troplong, lesadultères ne pouvaient se faire entre eux ni don ni legs.Les lois ne voulaient même pas que les enfants quiprovenaient de ces unions coupables pussent recevoir des aliments deleur père. Dans l’ancienne jurisprudence, cetterigueur était admise ; on croyait fortifier lapureté des mœurs chrétiennes parl’honnêteté civile. Mais le Code acraint d’entrer dans cette voie par les raisons que nousavons dites ; il a redouté les scandales, les discordesintestines, les hontes de famille, et il jette un voileimpénétrable sur ces faiblesses ou sur cesturpitudes. »

Le premier juge, sous l’inspiration de M. Troplong,redouterait incontestablement ces scandales, ces discordes intestines,ces hontes de famille ; il jetterait un voileimpénétrable sur ces faiblesses ou sur cesturpitudes, s’il s’agissait d’unedonation qui fût spontanément faite comme prix derelations adultérines ou seulement de concubinage. Mais ilne semble pas redouter tous ces scandales, quand il s’agit defaire la donation lui-même à la concubine qui aenlevé le mari à l’épouse etexposé le père à la perte du respectde ses enfants.

Nos aïeux disaient : *Donde concubin à concubine ne vaut*. On nouspropose de dire aujourd’hui : La magistrature interviendrapour forcer le concubin à doter la concubine.

Nous ne saurions trop insister sur cette contradiction entre lapensée de la loi et la pensée que veulent ysubstituer des interprètes qui, par excès descrupule, faussent les textes qu’ils ont àappliquer.

Nous nous expliquerons bientôt sur la moralitésociale d’une indemnité qui serait prise auxdépens de la famille pour favoriser les fruitsd’une union illégitime fondée aumépris des droits qu’elle spolierait justementparce qu’elle les a outragés.

§2.

Nous soutenons, en second lieu, que l’action àlaquelle nous résistons est une véritablerecherche de paternité ; nous soutenons qu’iln’est pas possible d’admettre, avec le premierjuge, que, sous prétexte de séduction et derelations coupables, un homme, fût-il célibataire,aura, à titre de réparation, la charged’enfants qui lui sont étrangers sous le rapportde la filiation légale, mais qui se relieront àlui par la constatation d’une faute à laquelle onattribuera leur naissance.

La filiation naturelle ne peut résulter vis-à-visdu père que d’une reconnaissance authentique. Unereconnaissance sous-seing privé, non-seulement ne donne pasaux enfants droit au nom et à une part de la fortune del’auteur de cette reconnaissance, mais elle ne leurconfère même pas un titre à une pensionalimentaire.

Elle n’engendre ni la puissance paternelle, ni les droits desuccessibilité, ni même l’obligationnaturelle de nourrir, d’élever les enfantsauxquels on confesse avoir donné le jour.

Ecoutons sur ce point M. Demolombe : « Il y a, dites-vous,une obligation naturelle, de la part du père ou de lamère, de nourrir leur enfant. - Sans aucun doute, etc’est bien pour cela que la puissance publique aimprimé à ce devoir la sanction des loispositives. Mais il faut apparemment, pour que la loi civile garantissel’accomplissement de cette *obligation naturelle*,que cette obligation existe à ses yeux et soit suffisammentprouvée. Or, précisément,l’existence de cette obligation naturelle n’est pasprouvée, aux yeux de la loi civile, par un acte sous-seingprivé. Donc, c’est une pétition deprincipe et un cercle vicieux que d’invoquer ici uneprétendue obligation naturelle.

Savez-vous, au contraire, ce que la loi présume en pareilcas ? C’est que l’acte sous-seing privé,loin de prouver contre son auteur l’existence d’uneobligation naturelle, n’est que le résultat del’obsession et de la surprise qui l’ont circonvenuet entouré.

De deux choses l’une, d’ailleurs : ou cet acteprouve la filiation naturelle, ou il ne la prouve pas. Dans le premiercas, il doit produire tous les effets d’une reconnaissancevalable ; dans le second cas, il n’en doit produire aucun.Or, vous convenez que la reconnaissance par acte sous-seingprivé ne donnerait pas à l’enfant ledroit de porter le nom de l’auteur de cet acte ;qu’elle ne le placerait pas sous sa puissance ;qu’elle ne lui attribuerait aucun droit desuccessibilité. Donc, vous convenez que la filiationn’est pas prouvée ; et si la filiationn’est pas prouvée, comment se peut-il que la dettealimentaire existe, puisqu’elle n’a paselle-même d’autre cause que la filiationlégalement prouvée ?

Et si la filiation n’est pas prouvée,n’est-il pas clair que l’action intentéeen vertu de cet acte même, seulement àl’effet d’obtenir des aliments, que cette actionconstitue une recherche de maternité ou depaternité ? Or, la recherche de la maternité esttoujours soumise à certaines conditions (art. 341), et larecherche de la paternité est toujours, sauf une exception,défendue (art. 340) ; toujours, dis-je, lors mêmequ’on ne voudrait l’intenter que pour obtenir desaliments, et cela est parfaitement logique et raisonnable. »(t. V, p. 402, n° 424.)

Nous sommes bien loin de la doctrine du premier juge, qui se croit ledroit de constater les effets sans avoir préalablementconstaté la cause, qui déduit lesconséquences d’une paternitéqu’il ne recherche pas, qui n’exige ni unereconnaissance authentique, ni une reconnaissance privée,mais se charge de la faire lui-même, ou tout simplementdéclare, en vertu de l’art. 1382, qu’unhomme est responsable de la naissance et de la vie d’enfantsnés d’une femme qu’il a renduemère ; le tout, bien entendu, en s’abstenantd’examiner, par respect pour la loi,  s’ila affaire au vrai père.

L’art. 340 dit : « La recherche de lapaternité est interdite. » Le premier juge dit :«Je ne recherche pas la paternité, je me contentede constater la filiation ; je ne m’enquiers pas de la cause,je ne m’occupe que de l’effet.» Laviolation de la loi n’est-elle pas bien flagrante ?

Dans l’espèce, le jugement soumis à laCour de Caen a foulé aux pieds un principe encore plusimportant.

L’art. 335 déclare qu’aucunereconnaissance ne peut avoir lieu au profit des enfants nésd’un commerce incestueux ou adultérin. Eh bien !les six enfants que le premier juge dote de 3,000 fr. de rentejusqu’à dix-huit ans, de 1,500 fr.lorsqu’ils auront atteint cet âge, ces enfants,qu’il met à la charge d’unpère qu’il ne recherche pas, seraient, dans sonsystème, le fruit de l’adultère.

Invoquerait-on l’art. 762 du Code Nap., qui parle du droitdes enfants adultérins ou incestueux à desaliments ? Nous répondrions, avec une doctrineaujourd’hui incontestée, que l’art. 762ne contredit pas l’art. 335, parce qu’il supposeune preuve légale de la filiation adultérine ouincestueuse, qui peut résulter : 1° de laréussite d’un désaveu par le mari ouses héritiers d’un enfant conçu par lafemme mariée pendant son mariage (art. 312, 313) ,2° du rejet de l’action en réclamationd’état formée par un enfant contre unefemme mariée, lorsque la maternité ayantété prouvée le mari ou seshéritiers prouvent que l’enfant n’estpas celui du mari ; 3° du jugement qui déclare nulpour cause de bigamie un second mariage contracté aupréjudice d’un premier, en constatant la mauvaisefoi des deux époux (Voir M. Demolombe, t. V, n° 581et suiv.). Aussi le premier juge n’accorde-t-il pas desaliments aux enfants contre le prétendu père, ilaccorde des aliments à la concubine mère pourelle et pour ses rejetons contre le prétendu concubin ;c’est, dit la décision que nous attaquons, uneindemnité réparatrice du préjudicecausé par des relations auxquelles les enfants doivent lejour ; mais il ne s’agit pas plus d’actionalimentaire que de paternité ; rapports depaternité et de filiation sont absolument en dehors dujugement, puisque la loi défend de s’enpréoccuper ; l’unique question est une question dedommages-intérêts.

La fortune de l’homme marié, du père defamille, sera, au préjudice des droits del’épouse et des enfants légitimes,affectée à des bâtards ; 3,500 fr.d’abord, 2,000 fr. ensuite leur seront consacrés,c’est peut-être plus que n’auront ou nepourront avoir les fruits du mariage ; quand les uns n’aurontque des droits de successibilité toujours plus ou moinséventuels, ceux-là, plus favorisés,auront des droits comme créanciers ; qu’on nousdise donc quelle sera la nature de ces droits, s’ils ne sontpas des droits alimentaires ! quelle en sera d’ailleurs labase, si on n’ose avouer, par scrupule juridique,qu’elle est fondée sur la transmission du sang !

On ne dira pas, sans doute, que c’est une prime offerte auvice, un appel à la cupidité, comme encouragementà l’inconduite ; des filles-mèresrentées, entretenues par la justice, sousprétexte  de morale, seraient d’un tristeet contagieux exemple !

Personne, nous le supposons, ne considère que le nombre desfemmes déclassées soit dansl’état de notre société,trop restreint ; si la loi leur garantit une retraite, si elle lesabrite contre les inconstances et les périls del’avenir, leur importance s’accroîtra detout ce que gagnera leur sécurité.

Comment le premier juge n’a-t-il pas compris qu’ily a des conditions pour lesquelles on ne doit pas montrer tant desollicitude ?

N’y aurait-il donc pas assez de tentations pour de jeunesfemmes auxquelles pèsent la pauvreté etl’humilité de leur situation, de se procurer, aumoins pour un temps, les jouissances et les joies d’undemi-luxe, si la société n’intervenaitpour les assurer contre les chances, ou au moins contre lesconséquences d’un futur délaissement ?

Nous avions cru jusqu’ici qu’il importaità la loi, à la morale, que la femme, qui veutvivre comme épouse sans en avoir le titre, eûtdevant elle, avec la menace d’un abandon, la perspective dudénûment et de la misère.

Une sagesse nouvelle, et qui se prétend plus profonde, dità la fille de l’ouvrier : Vendez-vous, dissipez leprix de votre honte ; quand viendra l’heure de la lassitudede l’homme qui vous a achetée, vous ledénoncerez ; s’il a une femme, s’il ades enfants, vous empoisonnerez leur vie, et, pour prix de votredélation, d’une indignité bien plusgrande encore que celle qui s’attache à votrechute, la société interviendra et mutilera lesdroits du sang au profit de droits qui, le plus souvent, ne reposerontque sur vos calomnies. Si vous êtes habile, si vous savezmanier les instruments d’intimidation, vous vousépargnerez les frais, les anxiétés etles flétrissures des débats judiciaires ; carl’homme sur lequel se fixera votre choix se sentiracondamné par l’opinion, par cela seul que vousl’aurez accusé, et, malgré soninnocence, peut-être il vous demandera grâce, ilpactisera, et alors même qu’il ne vous aura pasachetée, il achètera votre silence.

Mon Dieu, que cette sagesse me paraît peu sage ! Oui, lasagesse dont j’attaque les conclusions est une sagessenouvelle. A une époque où la maxime : «*Creditur virgini seprægnantem asserenti* »n’avait pas encore perdu son autorité,à une époque où les art. 340 et 342n’avaient pas encore proclamé deuxvérités d’utilité sociale,un avocat-général, dont le souvenir vivra dansl’histoire du droit public et dans l’histoire deslettres, disait, avec un élégant langage auquelle procès actuel rend de l’à-propos :« Que ne m’est-il permis, Messieurs, de vousrévéler les abus énormes quel’adoption de cette maxime renouvelle tous les jours ? Si jene craignais de mêler le ridicule à lagravité de notre ministère, je vous diraisqu’on a vu plus d’une fois de jeunesdébauchées se faire un jeu de rejeter le fruit deleur vice sur des hommes irréprochables, sur desecclésiastiques pieux et respectés ; laprélature même n’a pasété exempte des ces attentats.

A la vue de ce spectacle inouï où, par les plusbizarres contrastes, on voyait un homme grave et sageaccablé, confus de tenir dans ses bras l’enfantd’une prostituée qui l’en proclamait lepère aux yeux de la justice ; à ces scandaleusesscènes, vous dirai-je que tous les honnêtes gensgémissaient et tremblaient pour eux-mêmes, tandisque le libertinage seul osait rire ?

Et quelle est la vertu si pure, qui pourrait se croire àl’abri des accès de folie d’un libertinet de la vénalité d’une fille ? Quelest le magistrat, l’homme public, qui ne pourraitêtre la victime de sa propre maxime ? »

L’avocat-général Servan,derrière la fille publique, entrevoyait l’ennemihaineux ; il devinait la calomniatrice salariée,l’odieux instrument de ressentiments et de rancunes :« Fermons désormais cette large voie àla *vengeance*,aux saillies indécentes du libertinage….. Nesouffrons plus que les lois restent muettes devant une fille qui seuledevrait se taire. Enfin, que l’ancienneté del’abus ne nous en impose pas, et ramenons tout àl’ordre. »

L’éloquent magistrat s’estpréoccupé comme nous, avant nous, du danger deces pensions de retraites promises par la justice, sousl’inspiration d’une équitépeu saine, à ces femmes qui n’ont pas de classe,mais qui ont un nom dans le monde.

Sous le nom de femmes entretenues, nous avons vu se formerscandaleusement un nouvel ordre d’unions sanspostérité, sans estime et sans vertu. Le nombrede ces femmes, dans nos principales villes, rivaliserait presque aveccelui des épouses légitimes…..»

Servan croit qu’il n’est pas de la prudence socialed’accorder trop de sympathies aux femmes entretenues. Iln’admet pas que la loi reconnaisse un ordred’unions que l’opinion tolère sans lesabsoudre ; il n’admet pas qu’on les dote de titres,et il admettrait encore moins qu’on en dotât lapostérité.

Il est surtout inexorable *pourles filles qui prétendent s’êtreabandonnées à un homme marié, dontelles n’ont jamais pu attendre qu’un affront sansremède. Quand elles indiquent comme leur concubin un hommedans le mariage, il dit qu’il faut considérerqu’elles le calomnient en se calomniant elles-mêmes*.

« Les intérêts d’uncélibataire ne sont rien auprès desintérêts d’un père defamille. Un célibataire n’est que *lui* ; unpère est lui seul *plusieurs*à la fois. Ce qui le frappe, ce qui le blesse…..frappe, blesse toute une famille. Qui pourrait contempler sansfrémir les effets d’un trait empoisonnélancé au hasard par une main suspecte contre unpère de famille ? A l’instant où cettefatale déclaration paraît, où lajustice l’accueille et la consacre par un jugement,à l’instant même, la paix domestiques’enfuit, et la discorde, avec ce papier incendiaire, embraseune maison entière….. Nous ne parlons que descuisants chagrins d’une épouse. Et que dirons-nousde l’impression reçue par des enfants ! Quoi ! unpère de famille se verra tout-à-coupdépouiller des droits les plus honorables qu’uncitoyen puisse prétendre, le respect, l’amour etl’autorité dans sa famille……! Il sera forcé de baisser les yeux devant sa femme et sesenfants ! Chaque plainte de sa femme sera un outrage, et chaque fautede ses enfants une accusation. »

Servan ne pensait pas qu’une concubine, seprésentant à ce titre, fût digned’une telle sollicitude qu’on dût luisacrifier, avec une partie de la fortune de la famille, son repos, saconsidération, toutes les garanties del’accomplissement des devoirs domestiques.

Servan n’ajoutait pas, il n’avait pas besoind’ajouter que, sans doute, la complicité dans lesdésordres pouvait entraîner, entraînaitsouvent l’existence de certains devoirs, mais de devoirs *imparfaits* suivantla langue de l’ancien droit,c’est-à-dire de devoirs sans sanction sociale.

C’est à la conscience, aux inspirations decœur de l’homme, que la passion a puégarer, que les violences de tempérament ou lesmalheurs de certaines conditions ont pu jeter hors des voiesrégulières, qu’il appartient de faire,dans l’ombre et le silence, ce que lasociété et les lois ne pourront jamaisréclamer. Au point de vue de la dignitéindividuelle, de l’honneur privé, de laquiétude de l’âme, lacommunauté de faute ne sera jamais une fin de non-recevoircontre la pensée du secours. Des secours d’argent,des secours de conseil, des secours de réhabilitation, sansbruit, sans trouble et surtout sans spoliation pour les familles,voilà ce que les convenances et les bon sentiments quipeuvent survivre aux passions illicites permettent, approuvent,commandent ; mais point d’intervention sociale, point decontrainte, point d’instruction scandaleuse, point dediffamation sous forme de procès, point d’appelaux inimitiés et aux bassesses qui peuvent vivre sans cetaliment-là !

La décision dont nous demandons la réformation,entre autres dangers, aurait celui de comprimer même cessentiments d’expiation qui, dans une juste mesure, nesauraient alarmer la société. A ces secours, eneffet, elle demanderait leur origine et leur cause ; elle leurenlèverait la protection du secret pour leur infliger lapublicité, puisqu’elle considéreraitles faits du passé, desgénérosités que mille explicationsinnocentes pourraient motiver, comme des titres pourl’avenir, comme des confessions de rapports illicites etmême de rapports de filiation ; elle tendrait àdonner des prétextes, nous ne disons pas lalégitimité, àl’égoïsme, à lasécheresse d’hommes sans entrailles ; enébranlant tous les dogmes sociaux, cette théorien’atteindrait pas même le genre de bien auquel ellevise, c’est-à-dire qu’elle feraitbeaucoup de mal, et ne réaliserait quetrès-imparfaitement, à travers beaucoupd’accidents et de vicissitudes, un résultatqu’on ne saurait mettre à la charge de la loi etde la société.

Mais c’est trop s’arrêter àdes intérêts que la sociéténe peut pas placer sous son patronage. Revenons bien vite àdes idées dignes de l’appui de la magistrature, etopposons au premier juge M. Merlin (v° *Fornication*) :

« Que devrait-on décider si l’hommeactionné en dommages-intérêts et enpaiement des frais de couches, reconnaissait ou avaitprécédemment reconnu par écritqu’il est effectivement l’auteur de la grossesse dela fille ou veuve  qui se pourvoit contre lui ?

Les lois nouvelles sont muettes sur cette question ; mais elleparaît devoir être résolue par leprincipe, qu’il ne peut être exigé dedommages-intérêts qu’à raisonou de l’inexécution d’un contrat, oud’un délit, ou d’unquasi-délit.

Ainsi, un homme, pour triompher de la vertu d’une femmehonnête, a-t-il fait briller à ses yeux unepromesse de mariage, et celle-ci en rapporte-t-elle la preuve parécrit ? Alors nul doute que lesdommages-intérêts ne soient dus à lafemme, non pas précisément parce que cet hommel’a rendue mère, mais parce qu’il aviolé sa foi.

Un homme a-t-il employé la violence pour satisfaire sapassion sur une fille ou veuve ? Dans ce cas, il doit sansdifficulté, en subissant la peine du viol, êtrecondamné à indemniser la victime de sabrutalité.

Mais n’y a-t-il eu ni promesse de mariage ni violence, et lafemme n’allègue-t-elle qu’une vaineséduction ? Dans cette hypothèse, qui est le plusordinaire, point de dédommagement. Il n’y a pointalors de délit caractérisé par leslois ; et, si l’on peut dire qu’il y a unquasi-délit, on peut dire aussi que la faute qui leconstitue existe de la part de la femme tout aussi bien que de la partde l’homme ; qu’il est contrel’équité naturelle, contre la saineraison, que, pour une faute commise par deux personnes, on indemnisel’un des coupables aux dépens del’autre, et qu’après tout *volonti non fit injuria.

§3.

Nous soutenons, en troisième lieu, commeconséquence des propositions quiprécèdent, que la Cour doit se saisir de laquestion de fin de non-recevoir opposée àl’action, en l’isolant de la question du fond.

Elle ne saurait ouvrir comme un théâtre danslequel viendraient s’étaler à ses yeuxtous les scandales d’articulations, derécriminations, et toutes les souillures, toutes lesimpuretés, que seraient obligées de remuerl’accusation et la défense.

Si les faits réciproquement produits, si les documents quiseraient respectivement invoqués ne constituent que desdiffamations sans portée et sans objet, parcequ’ils sont sans conséquence juridique, comment laCour pourrait-elle permettre de les éleverjusqu’à elle, de les développerà son audience, de lui faire subir une discussion dont ellen’aurait que le dégoût, sans pouvoir entirer aucune conclusion utile ? Comment, par exemple, autoriserait-ellela femme qui prétend avoir, pendant longuesannées, dépouillél’épouse légitime del’affection de son mari, à établir que,lorsque son amant aurait été pleind’une passion coupable, il n’aurait euqu’aversion et haine contre celle à laquelle ilétait légitimement uni ? Comment autoriserait-onla concubine à s’appliquer et àappliquer à son prétendu complice unecorrespondance dans laquelle elle chercherait des preuves despréférences qu’elle obtenait surl’épouse, qui semblerait bien au moins avoir ledroit de ne pas se voir traînée dans un pareildébat ? Comment ! l’adultère du mari,que la femme ne pourrait dénoncer qu’autantqu’il aurait lieu dans la maison conjugale (art. 339, Codepénal), la Cour permettrait à unefille-mère d’essayer del’établir et de s’en envelopper commed’un vêtement protecteur !

La prétendue complice, sans la femme, malgré lafemme, comme dernière insulte à la femme, seraitadmise à tenter une démonstration par voied’induction pour convaincre la justice ou au moins le publicque ses longues complaisances auraient eu un prix ; qu’ellene se serait pas donnée, mais se serait livréeà des conditions non déterminéesencore, mais dont la détermination concernera lamagistrature !

Comment la Cour autoriserait-elle le prétendu complice, sousprétexte de défense, à raconter lesantécédents de son accusatrice, àremplacer la fable par la réalité, en donnantpeut-être la liste de ses malheureuses victimes, pour sedécharger, lui, de la responsabilitéd’avoir été l’objet de sesonéreuses faveurs et de ses vénales complaisances?

L’autoriserait-elle à soutenir et àessayer de justifier que celle qui prétend êtreentrée dans la maison de la famille, dans le sanctuairedomestique, s’y est introduite, non pour se livrer, mais poury commettre un vol et qu’elle est arrivéeà se saisir d’une somme considérable ?

La Cour ouvrira-t-elle la porte aux détails, auxcommérages sur les sages-femmes, les nourrices, sur lesprétendus sacrifices faits lors des accouchements, sur ladestinée des enfants, sur les asiles dans lesquels ils ontété successivement placés ?

Pourquoi ne pas permettre tout de suite une lutte de conjectures surles circonstances contemporaines des conceptions ? Ce n’estpas seulement les deux parties qui auraient à souffrird’un pareil débat, les tiers y seraientnécessairement amenés et compromis. La femmelégitime y a déjàété mêlée, et il semble que,s’il y avait un nom et une position qui dussent commander laréserve et le respect, c’était le nom,c’était la position de celle que la concubines’accuse d’avoir si longtemps outragée.

Si la fin de non-recevoir est accueillie, et elle le sera, toutes lesespérances de diffamation, tous les vœux descandale sont déçus ; en forçantà plaider tout à la fois sur la fin denon-recevoir et sur le fond, l’accusatrice atteint son but,même en perdant son procès, puisqu’ellefait du mal, puisqu’elle caused’irréparables ravages à lasociété comme au foyer domestique : instrument devengeance, elle gagnerait son salaire ; calomniatricesoldée, elle recevrait d’autres mains cequ’elle n’aurait pu arracher aux mains del’homme sur l’honneur duquel elle s’estruée.

Que lui importerait le dénouement, si elle occupaitl’audience de ses accusations ?

La source de ces procès serait inépuisable, elledéborderait, si la Cour ne concentrait pas la discussion surla question préjudicielle ; avant d’accorder sonattention à d’odieuses diffamations, elle sedemandera si ces diffamations ont le droit de se faire entendre.

La vérité des faits diffamatoires nedéchargeant pas le prévenu de laresponsabilité du délit de diffamation, aucunTribunal n’autoriserait la production de documents, ledéveloppement d’éléments quijetteraient soit des vraisemblances, soit des doutes, sur le point desavoir si les imputations sont calomnieuses.

La preuve de la vérité diffamatoireétait, sous l’empire du gouvernementparlementaire, admissible, quand il s’agissait defonctionnaires publics ; aujourd’hui, même contreles fonctionnaires, cette preuve est expressément interditepar l’article 28 du décret des 17-23février 1852.

Y a-t-il une juridiction qui permît de mettre ànu, non pas seulement la personne d’un fonctionnaire, maisune personne privée, à laquelle on attribueraitune conduite de nature à porter atteinte à saconsidération ?

Tolérerait-on, favoriserait-onl’épanouissement de lâches envies,jetant leur venin sur une situation qui ferait leur tourment ?

Non, car si un pareil système de dénigrementpouvait, en de mauvaises heures, avoir un seul moment de triomphe,toute la hiérarchie sociale serait exposée aumoins à tous les traits du ridicule et du sarcasme, et, touten faisant condamner ses agresseurs aux dépens, ellepourrait mourir de ses succès ; ses trophéesjudiciaires lui serviraient bientôt de linceul.

Lorsqu’un procès est proscrit par la loi,lorsqu’il est un acte de rébellion contre elle, ilne s’agit pas de vérifier sur quelle base plus oumoins fragile il repose ; qu’il ait ou qu’iln’ait pas de chance de rencontrer des sympathies complicesdans la malignité publique, dans des passions politiques ounon politiques, il doit être écartés’il n’a pas de raison d’êtrejuridique, et on doit d’autant plussévèrement lui fermer la voie du scandale que lescandale a été son espérance et sonbut.

                         Me A.BERTAULD, avocat.
                         Me MAINIER, avoué.


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1071-Caen, imp. Goussiaume de Laporte.