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NOËL, P.(18..-19..) : Des bouilleurs de cru.-Caen : J. Haulard La Brière, [ca 1895].- 24 p. ; 21,5 cm. Saisie dutexte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndré Malraux de Lisieux (20.I.2016) Relecture : A. Guézou. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 1257). Tiré à part du Bulletin de la Société historique de Lisieux,année 1874, n°5. DES BOUILLEURS DE CRU Par P. NOEL de La « Croix du Calvados » ~ * ~ Je n’écris pas sur cette question pour exprimer des idées nouvelles.Dès longtemps étudié à fond, le sujet paraît avoir été entièrementexploré. Depuis nombre d’années, dans la presse et au Parlement, il estexaminé sous tous ses aspects. A ne parler que de notre département, ladéputation du Calvados s’est toujours attachée à faire en ce débat lalumière complète, et son succès n’a pas été médiocre. Mais si tous nosdéputés ont joint leurs efforts, il est permis, sans injustice enversaucun autre, de donner un rang à part à M. le comte de Colbert-Laplace,dont les nombreux travaux relatifs aux Bouilleurs de crû ont à bondroit conquis une véritable autorité, et qui, toujours fidèle àlui-même et à ses « Bouilleurs », vient encore de publier, à l’adressede ses collègues de la Chambre, une brochure irréfutable. Je crois donc que tout a été dit sur la question, mais je ne crois pasque tout ait été rendu accessible à tous les intéressésindistinctement. Les écrits si complets de M. de Colbert-Laplace sontsurtout composés pour les membres du Parlement, ils sont étendus, ilsne sont pas aussi répandus qu’il le faudrait : il est bon de lesrésumer pour les cultivateurs et le peuple. Alors qu’une campagne, trop souvent déloyale, est menée contre nosagriculteurs normands, il est opportun de servir la résistance enopposant à de pseudo-conférences un écrit sommaire qui fasse justice deprétentions exagérées et d’allégations mensongères et qui affirme ledroit incontestable de nos agriculteurs. Celui qui écrit ces lignes vit dans un pays de « Bouilleurs », il aétudié point par point, et dans la pratique quotidienne, tous lesdétails de la question ; il a été à même de se créer par ses propresobservations aussi bien que par ses lectures, une certaine connaissance« professionnelle » du sujet: c’est son titre à présenteraujourd’hui au public ce petit travail qui tiendra tout entier sous lessix chefs suivants : I. Deux principes qui doivent dominer lasolution. II. Les intérêts de l’agriculturenormande dans la question. III. Les Bouilleurs de crû devant lecommerce et l’industrie. IV. Les Bouilleurs de crû devant lesmédecins et les moralistes. V. Les Bouilleurs de crû devant laRégie. VI. Quelques indications sur lavraie solution. I DEUX PRINCIPES QUI DOIVENT DOMINER LA SOLUTION Je dis : deux principes ; enréalité il n’y en a qu’un, le secondétant, comme on va le voir, sous la dépendance du premier. L’impôt indirect sur l’alcool est nécessaire : j’irai même, sans qu’onm’y pousse, jusqu’à dire que, sous réserve de certaines modifications,il n’est pas mal choisi. Mais sa perception ne doit pas être une causede violation de la liberté la plus indispensable à un peuple qui a faittant de révolutions pour se soustraire aux actes d’arbitraire : laliberté du domicile privé. Or cette liberté du domicile privé peut, dans la question présente,s’énoncer en deux propositions qui sont mes deux principes : 1° L’autorité judiciaire seule a ledroit de pénétration dans ledomicile privé, sauf à s’y faire accompagner ou remplacer par desagents spéciaux. J’écris là une chose très grave et que les esprits vraiment larges etvraiment amis de la liberté seront seuls à comprendre. Les autres neseront pas sans l’entrevoir : que dis-je ? LA RÉGIE ELLE-MÊMEl’a vu :elle reconnaît dans ses écrits officiels qu’en votant la loi du 14décembre 1875 « l’assemblée nationale a voulu assurer de nouveaul’inviolabilité du domicile des Bouilleurs de crû. » Donc en principe, commis de toute nature, gabelous de tout costume,vous ne devez pasfranchir sans l’assistancede l’autorité judiciaire la porte de mondomicile privé. Autrement vous seriez des Agents de l’arbitraire etil ne faut plus d’arbitraire.J’irai même plus loin : je trouveexcessif le droit de la régie à requérir cette assistance sansjugement préalable : une procédure sommaire devrait au moins êtreexigée. On va crier que les industriels qui fabriquent de l’alcool, que lesdébitants qui le revendent sont loin d’être parvenus à cet idéal deliberté. C’est vrai. Mais les chers industriels sont assez puissantspour se le conquérir à eux-mêmes : qu’ils plaident leur propre cause.Et quant aux débitants, le projet Poincaré leur fait la part belle endisant article Ier : « L’exercice des débits de boissons est supprimé. » L’inviolabilité du domicile privé une fois admise en dehors del’intervention judiciaire, une conséquence nécessaire s’en dégage parrapport à l’impôt indirect. Maître de mon travail et de ses fruits, je récolte sur mes terres unproduit qui n’est pas frappé d’impôts, je l’emmagasine chez moi : j’aile droit de l’y garder, de l’y consommer tel qu’il est, de l’ytransformer, de l’y consommer transformé, sans que personne ait rien ày voir. Je récolte des pommes (qui ne sont pas encore soumises à l’impôtindirect), je les mange crues, je les fais cuire pour les consommercuites, je les pressure, je bois le cidre que j’en ai tiré, je passe cecidre dans un alambic de la contenanceet du type qui me plaît, jebois parcimonieusement ou avec une complaisance un peu empresséel’eau-de-vie qui m’en vient, cela ne regarde personne : je suis chezmoi. Et toute loi qui me briderait sur un quelconque de ces points et quipermettrait à des agents administratifs de me surveiller sur unquelconque de ces points serait une loi attentatoire à l’inviolabilitéde mon domicile. Par conséquent – c’est le second principe. Tout produit de mon travaildéclaré imposable par la loi ne peut êtresurveillé par le fisc ou la régie qu’au moment où ce produit franchitles limites de mon domicile. Or que dit le projet de loi ? Article 27, § II « Sera toutefois considéré comme distillateur industriel tout bouilleurexerçant la profession de débitant ou de marchand en gros, ainsi quetout bouilleur possédant soit unalambic d’une capacité supérieure à500 litres, soit un appareil de distillation à marche continuepouvantdistiller en vingt-quatre heures plus de 200 litres de liquidefermenté. » Dès lors le marchand en grosou le possesseur d’un alambic d’unecapacité supérieure à 500 litres sont soumis à la surveillancequotidienne de la régie, autrement dit à l’exercice. Or dans l’idée du projet de loi, que faut-il pour être réputé marchanden gros ? Distiller en vue de la vente. – Mais encore ? – Je nesaistrop que vous répondre : C’est si peu clair ! Je vois seulement quel’on vous accorde pour votre consommation familiale, sur les produitsde votre distillation, la franchise annuelle de 10 litres d’alcool pur,c’est-à-dire d’environ 16 litres d’eau-de-vie à 24 ou 25 degrésCartier. Pour le reste vous serez exercés et sujets à l’impôt et auxprocès. Voyons dans le détail. Vous êtes à la tête d’une exploitation. Vous tenez au bien-être de vosouvriers : vous en avez cinq ou six : votre famille compte cinqmembres, et – maîtres comme ouvriers, vous prenez du café tous lesjours, même, quand l’ouvrage ou le temps est trop dur, plusieurs foispar jour. Eh ! bien, pour dix,vous récoltant, distillant lesproduits de votre récolte, ayant dans votre cave l’eau-de-vie fourniepar votre exploitation, vous ne pourrez sans payer d’impôt dépenserchaque jour plus de QUATRE CENTILITRES de cetteeau-de-vie. Pas une DEMOISELLE pour dix! Et encore ne faudra-t-il pas qu’il y ait dejours de régalade ni dejours de fête de famille oùla rationserait doublée soit à cause d’une réjouissance particulière, soit parle fait même du nombre des convives ! Chaque litre en plus vous coûtera, à vous récoltant et distillateur, unpeu plus de un franc dedroit !!!. Vous vous sévrerez peut-être, maisle premier sevré, ce sera votre ouvrier, et le résultat de la loi sousun gouvernement qui s’affirme démocratique sera, comme souvent, hélas !de sacrifier d’abord l’ouvrier (1). Est-ce tout ? Non, voici autre chose. On vous accorde seize litrespar an. Mais vous permettra-t-ond’accumuler une année de l’eau-de-vie en prévision d’une récoltedéfectueuse les années suivantes ? Avec la largeur d’idées quicaractérise la régie, cela ne me semble pas probable. Ce sera doncseize litres année pour année et, passé seize litres, l’exercice. Examinez encore. Vos seize litres une fois dépensés, si vous voulez encore faire un bon gloria vous tirerez au fût pris en charge par la régie. Vous mesurerez ce que vous en aurez pris très exactement et trèsloyalement. La régie aussi mesurera. Mais si nous devons la supposertoujours très loyale, nous pouvons affirmer que ses procédés demensuration, – c’est prouvé, – ne sont pas toujours très exacts. Vouspourrez bien ne pas être d’accord, et alors, comme suite à l’exercice, contravention sur la quantité, et procès. Et puis la Régie, sous la figure de ses agents, est parfois grincheuse.Que vous soyez d’accord avec eux sur la quantité, vous serez encoreexposé à ce qu’ils vous accusent d’avoir vendu votre eau-de-vie au lieude l’avoir dépensée, et alors procèsrelatif à la mise encirculation, et vous n’en sortirez plus !!! Voilà les avantages d’être considéré comme marchand en gros. Même train pour la contenance de l’alambic ! Un alambic de 500 litres !Vous me dites : mais ma chaudière ne tient que 130 ou 150 pots ! Oui,répond la régie, mais au-dessus de votre chaudière qui est exposée aufeu et qui tient 260 ou 300 litres, vous avez un chauffe-vin relié à lachaudière et qui a même contenance. Cela fait plus de 500 litres,n’est-ce pas ? Exercé ! Ou bien revenez au procédé le plus primitif ; dépensez du temps et ducombustible, et tandis que le prix de la main d’œuvre et du combustibleaugmente, que l’impôt vous demande toujours davantage, que la vente devos produits devient plus difficile, élevez encore les dépensesd’exploitation. Autrement vous devrez ouvrir votre domicile aux visitesquotidiennes de la régie. Ainsi respecte les droits des agriculteurs un projet de loi qui prétendsoutenir leur cause. Ils seront tracassés chez eux, imposés chez euxpour avoir chez eux transformé un produit à eux, fruit de leur travailet de leur activité, employé après sa transformation à leur propreusage ou à l’usage des leurs. II LES INTÉRÊTS DE L’AGRICULTURE NORMANDE DANS LA QUESTION Si encore ils pouvaient, au prix même du renoncement à des habitudesqui leur sont chères, se dispenser d’opérer cette transformation desproduits de leurs exploitations, nos agriculteurs seraient sans douteatteints dans leurs petites faiblesses envers la dive bouteille ; – ilsseraient aussi, ce qui est plus grave, atteints dans leur liberté, –mais, comme leurs affaires iraient tout de même, ils se consoleraientpar quelque autre moyen et la chose passerait. Dans l’état présent deschoses, il n’est pas en leur pouvoir de tirer un bon parti de leursexploitations sans avoir recours à l’alambic. En certaines années, les pommes abondent.La quantité est trop grandepour qu’on puisse vendre la récolte entière sous forme de fruits. Ou sila vente est possible, elle n’est pas rémunératrice. Elles sont donc brassées, et voilà du cidre. Tous les fûts sont pleins.L’année suivante, bonne récolte, vente peu avantageuse et peu activedes pommes ; que faire de ce qui reste ? – Les brasser. – Mais oùmettre le jus, puisque les fûts sont pleins de la récolte précédente,et que, vu la bonne récolte nouvelle, le vieux cidre ne se vend pas ?Le seul moyen de tourner la difficulté, c’est de réduire par ladistillation la place occupée par cette récolte précédente, dont levolume diminue ainsi dans la proportion de 1 hectolitre à 7 litres. Autrement, il faudrait laisser perdre les fruits de la présente récolte. Cependant le cidre, quelque abondante que soit la récolte, a encorechance d’être vendu : en tout cas, il en est dépensé quotidiennementdans la ferme, puisque c’est la boisson courante. Le poiré n’a pascette chance : le poiré ne peutêtre utilisé que par la distillation.Or, certaines fermes sont assez plantées de poiriers pour que (je citeun fait) sur une exploitation d’une valeur locative d’un millier defrancs, il ait été récolté, en 1894, 112 hectolitres de poiré. Il estindispensable que le fermier, dont le propriétaire a calculé le loyersur l’éventualité d’une telle récolte, puisse tirer librement parti dece poiré. Il faut donc qu’il ait la liberté de son alambic. S’il n’a point cette liberté, s’il ne peut bouillir que sous contraintede l’exercice, il renoncera à distiller, il perdra ses poires, mais aurenouvellement du bail, il ne tiendra plus compte à son propriétaire durevenu possible des poiriers ; Il tiendra aussi moins de compte du revenu possible des pommiers ; Il réclamera des diminutions croissantes de fermages. Qui sera la victime ? Le fermier lui-même, qui, travaillant moins, sera moins rémunéré de sontravail (2). Mais aussi le propriétaire, qui, peut-être, n’aura pas appris sans ungrain de satisfaction « l’abolition du privilège des « Bouilleurs decrû ». III LES BOUILLEURS DE CRU DEVANT LE COMMERCE ET L’INDUSTRIE Comment peut-il arriver que des droits si bien démontrés, des intérêtssi clairement établis, soient méconnus par le projet de loi ? C’est que les Bouilleurs de crû ont des ennemis, et que ces ennemis ontréussi à influer sur la rédaction du projet de loi. Au premier rang de ces ennemis se placent ceux qui exercent lafabrication industrielle et le commerce des alcools. Il n’y a pas d’alcool que dans l’eau-de-vie de vin ou des fruits àpépins et à noyau : la chimie moderne apprend à en tirer des pommes deterre, des betteraves, et de beaucoup d’autres choses. Il faut pourcette extraction des appareils compliqués et perfectionnés, qui nepeuvent trouver leur place que dans des usines : de là, l’industrie dela fabrication de l’alcool. Pour cette industrie, le Bouilleur de crû est un concurrent àsupprimer. C’est pourquoi les distillateurs de profession cherchent àempêcher l’agriculteur de distiller et à rester ainsi seuls producteursd’alcool. Le commerçant, entrepositaire de spiritueux, voit aussi dansl’agriculteur qui distille un concurrent redoutable, et cela pourplusieurs raisons. D’abord, l’agriculteur vend directement à des particuliers le produitsurabondant de sa distillation, ce qui diminue d’autant le chiffred’affaires de l’entrepositaire ; Ensuite les consommateurs s’imaginent à tort ou à raison qu’ilstrouveront plus de sincérité dans le produit livré par le Bouilleur decrû que dans le produit livré par l’entrepositaire, ce qui n’est paspour n’inspirer point de jalousie à l’entrepositaire ; Enfin quand l’entrepositaire est obligé de s’adresser pour ses achatsau Bouilleur de crû, il doit traiter avec lui de puissance à puissance. Conclusion : Si l’entrepositaire ne veut pas tout à fait la disparitiondu Bouilleur de crû, il veut au moins le tenir à sa merci, et il tombed’accord avec le distillateur industriel afin d’exercer contre leBouilleur de crû une action commune. D’un commun accord ils réclament contre ce qu’ils appellent en stylequi veut épouvanter « le privilège des Bouilleurs de crû. » J’ai montré qu’il n’y a pas de « privilège », mais qu’il y a un « droit» du Bouilleur de crû. Et si ce droit était méconnu il y aurait alors « privilège » sous formede « monopole » en faveur dudistillateur industriel, il y auraitalors une « tyrannie » exercée sur l’agriculteur par l’entrepositaire. Voici comment. L’exercice est une sujétionqui au point de vue du trouble apporté autravail n’est rien dans une distillerie industrielle : la visite descommis n’arrête pas un instant la marche des appareils. Cet exerciceserait une servitude affreuse pour nos cultivateurs. Au moment desrécoltes alors que la besogne presse, que le temps menace, que tout lemonde donne à plein collier, que le patronest monté sur la faneuseou le râteau mécanique dont l’action est indispensable au salut d’unegrande portion de la récolte, que la maîtresseen a plus qu’elle nepeut faire de soigner la laiterie et la cuisine, les commis arrivent :Il faut que le maîtrequitte sa machine ou que la maîtresse laisse làsa soupe ou ses crêmières pour conduire ces messieurs aux caves, subirleurs interrogations, discuter leurs allégations, etc., etc. Unagriculteur ne voudra pas s’astreindre à une servitude si onéreuse. Ou bien il ne distillera pas, et alors il ne produira plus d’eau-de-vieconcurremment aux alcools de l’industriel, et celui-ci sera content ;(3) Ou bien, s’il est forcé de distiller, il cherchera à vendre le plusvite possible. Le but de l’entrepositaire sera atteint. Il profitera dela nécessité où l’agriculteur sera de vendre : il sera le maître dumarché, donnera des prix très bas, se constituera un stock considérableet quand même une législation meilleure renaîtrait pour le Bouilleur decrû, l’existence de ce stock donnera encore à l’entrepositaire unepuissance énorme contre l’agriculteur. Tel est le calcul. Et c’est sous l’influence de ces industriels et de ces entrepositairesqu’agissent à peu près tous les députés qui veulent restreindre laliberté des bouilleurs de crû. Si leurs efforts triomphent quelle sera la conséquence immédiate del’omnipotence attribuée aux distillateurs industriels et auxentrepositaires ? Les hommes les plus compétents (parmi eux M. Martell, le grandnégociant des Charentes) l’ont expressément déclaré, et l’expérience ledémontre chaque jour, ce sera la disparition à bref délai de toutebonne et fine eau-de-vie. Plus la fabrication de l’eau-de-vies’industrialise, plus la qualité du produit devient médiocre. Jepourrais citer des preuves à l’appui en ce qui concerne nos eaux-de-viede cidre. Et encore, à l’heure qu’il est, les audaces du commerce et del’industrie sont un peu entravées par la loyauté des produits quelivrent les « Bouilleurs de crû. » Mais quand les « Bouilleurs de crû »auront été amenés par la loi à briser leurs alambics, oh ! les beauxjours pour les mélanges les plus étranges, pour les arrangements lesplus extraordinaires, pour les compositions les plus bizarres ! Qui en pâtira ? Le Bouilleur qui ne gagnera pas, mais aussi tous lesconsommateurs qui ne boiront plus rien de bon. IV LES BOUILLEURS DE CRU DEVANT LES MÉDECINS ET LES MORALISTES Il est vrai que l’on accuse les Bouilleurs de crû d’être desempoisonneurs et des corrupteurs. Empoisonneurs : leur eau-de-vie serait, – qui s’en doutait – un produitd’une nocivité extrême et engendrerai tous les maux de l’alcoolisme leplus effrayant ! Corrupteurs : leur existence développe le fléau de l’ivrognerie, quisera facilement refréné par leur suppression. On trouve toujours des gens pour tout dire dans l’ordre théorique ; ona trouvé, dit-on, des médecins pour affirmer le caractère très nocif del’eau-de-vie de cidre livrée par le Bouilleur de crû. Le regretté docteur Denis-Dumont, – à qui le département ne s’est pasmontré assez reconnaissant de ses travaux sur le cidre (les attaquesdont les Bouilleurs de crû sont l’objet punissent maintenant notreingratitude) – a établi théoriquement et pratiquement les avantageshygiéniques et même thérapeutiques de l’eau-de-vie de cidre. Tous les bons praticiens de nos pays savent quels services elle leurrend dans la cure de certaines maladies. Ce n’était pas à Denis-Dumont qu’il fallait dire, ce n’est pas devantnos médecins actuels qu’il faut soutenir que l’eau-de-vie de cidre estanti-hygiénique. L’observation sans parti pris des faits permet du reste de se prononcermême en dehors de toute donnée médicale. Je vis depuis neuf ans dans un pays de Bouilleurs de crû. J’y ai trouvéles restes d’une génération qui n’avait pas connu dans sa jeunesse lesdélices du tord-boyaux. Ellene trouvait alors ni chez elle ni dansles cafés des bourgs voisins le très-salutaire alcool de l’industrie. En revanche, elle ne se privait pas de boire de l’eau-de-vie de cidre,qui alors était à bon compte (un sou par degré Cartier pour undouble-litre : – que ce temps est loin !) Or, cette génération avaitfourni dans la population totale du pays plus de 10 % de septuagénaireset plus de 5 % d’octogénaires. Comme ils devaient être durs au poison ! Au contraire, la génération qui atteint actuellement cinquante ans, adû, par suite des mauvaises récoltes, s’adonner à l’usage de l’alcoolindustriel, qu’elle trouve à peu près seul, d’ailleurs, dans lescabarets des bourgs et des villes où se tiennent les marchés. Un simplecoup d’œil fait apercevoir combien ils sont inférieurs aux anciens sousle rapport de la santé. Des vieillards de quatre-vingts ans, grandsbuveurs d’eau-de-vie de cidre, sont mieux conservés que des jeunes gensqui consomment en moindre quantité de l’alcool industriel. Telle est lavérité. Du reste une comparaison s’impose : celle des effets toxiques del’alcool chez l’ouvrier qui n’est pas sobre dans les pays dépourvus deBouilleurs, et celle de ces mêmes effets chez l’ouvrier des pays deBouilleurs de crû qui boit avec excès. Même avec les occasions qu’il ade boire de l’alcool industriel, l’ouvrier des pays de Bouilleurs decrû soutient mieux la lutte. Et par là nous sommes amenés à mettre en face des dires théoriques decertains les attestations expérimentales des médecins les mieuxinformés, ceux qui ont à étudier dans les asiles d’aliénés les casd’alcoolisme extrême, et qui affirment que dans la généralité, des castrès nombreux aujourd’hui doiventêtre attribués à la substitution deseaux-de-vie de commerce à l’eau-de-vie des Bouilleurs de crû(4). A aucun point de vue donc nos Bouilleurs de crû ne sont desempoisonneurs, et même l’abus de leurs eaux-de-vie est loin d’engendrerles terribles conséquences imputables à l’usage immodéré des alcoolsd’industrie. L’on peut dire avec M. de Colbert-Laplace que pour lasanté publique « ce serait un bien que les eaux-de-vie de noscultivateurs refoulassent les eaux-de-vie de l’industrie. » Mais si nous pouvons nous défendre avec avantage sur le terrainhygiénique et médical, quelle réponse opposerons-nous aux moralistes ? L’existence des Bouilleurs de crû développe l’ivrognerie, crient-ilssur tous les tons. Nous n’avons à faire qu’une simple, très simple observation : lamoyenne des ivrognes est-elle plus élevée là où travaillent lesBouilleurs de crû que là où n’existe aucun Bouilleur de crû ? Il n’y a pas de Bouilleurs de crû dans les villes : les ivrognes yfont-ils défaut ? Non le développement de l’ivrognerie ne tient ni à l’existence ni à lanon-existence des Bouilleurs de crû. Que demain tous les alambics denos cultivateurs soient brisés, et l’ivrognerie sera toujours là : ellen’aura fait que prendre un caractère plus dégoûtant, car l’ivresseproduite par l’alcool industriel est plus répugnante, et parfois pluseffrayante que l’ivresse engendrée par l’eau-de-vie de nos cultivateurs. La vraie cause du développement de l’ivrognerie est dans l’abaissementde la moralité, et nous retrouvons parmi les adversaires des Bouilleursde crû un grand nombre de ceux qui en sont responsables. Car il est àremarquer que la plupart de ceux qui sont hostiles à la liberté desBouilleurs de crû sont aussi hostiles à la liberté sociale de l’Egliseet de la religion. Rendez à la religion l’action sociale que vous luiavez disputée et ravie, et elle relèvera la moralité des peuples, etpar ce relèvement, l’ivrognerie sera atténuée comme les autres misèresmorales (5). V LES BOUILLEURS DE CRU ET LA RÉGIE Nous voici maintenant en présence du grand ennemi des Bouilleurs de crû: La Régie !!! Quelles sont les sources de cette inimitié ? Je vais essayer de lesanalyser. 1° La Régie a la charge de rapporter au Trésor de l’argent, le plusd’argent possible : quand ça nerend pas, le Trésor n’est pas content; et alors la Régie répond : C’est la faute aux Bouilleurs de crû quifont la fraude ! 2° La Régie est un corps qui représente essentiellement l’arbitraire :or, dans le libre exercice de ses droits, le Bouilleur de crû garde sonindépendance, ce qui est de nature à exciter le ressentiment de laRégie. 3° La Régie est composée d’agents soumis à un régime spécial, puisqu’illeur est attribué 50 % dans les amendes qu’ils font prononcer.L’indépendance des Bouilleurs de crû supprime bien un certain nombred’occasions de dresser des contraventions et de réaliser de bons petitsbénéfices. 4° La Régie, qui ne distingue pas l’alcool industriel de l’eau-de-viedes cultivateurs, dans la manière d’appliquer la taxe, sait bien qu’ily a entre l’un et l’autre une grande différence de saveur et peut-êtreque des occasions multipliées de confiscations lui paraîtraientfavorables pour se procurer, sans grands frais, de bonne et fineeau-de-vie. Pour être gabelou,on n’en est pas moins homme. Examinons ces différents points. Les Bouilleurs de crû, dit la Régie, sont d’exécrables fraudeurs. Supposons l’accusation vraie, je dis à la Régie : C’est votre métier dedécouvrir la fraude et de la réprimer, vous êtes une véritable arméeque nous payons assez cher pour cela ; la loi vous arme de moyensparfois exorbitants : gagnez votre argent en empêchant la fraude et ensachant découvrir les actes et les ruses des fraudeurs, mais ne venezpas montrer cette prétention énorme que les abus de quelques-unsdoivent faire supprimer le droit de tous. Mais l’accusation n’est pas vraie dans sa généralité. Si la fraude était la règle des pays de Bouilleurs de crû le chiffredes recettes opérées par la Régie des alcools dans les départements deBouilleurs de crû le dirait, et il le dirait de deux manières, a) par comparaisonavec le chiffre de recettes dans les autresdépartements ; b) par comparaisonentre le chiffre des recettes d’un mêmedépartement de Bouilleurs de crû pris dans les années où les Bouilleursde crû ont été soumis à l’exercice et le chiffre pris dans les annéesoù les Bouilleurs de crû ont été libres. Or a) il se trouve que lesdépartements de Bouilleurs de crû sontprécisément ceux dans lesquels la Régie des alcools fait les plusbelles recettes. Le Calvados qui a beaucoup de Bouilleurs de crû, quin’a pas de très grandes villes, qui est morcelé en communes presqueinfinitésimales, qui par conséquent est dans toutes les conditionsvoulues pour que le nombre des cabarets et des débits versant leurstaxes à la Régie des alcools y soit proportionnellement moindre quedans les départements à grandes agglomérations, – le Calvados vient le troisième dans leclassement général des départements au point de vuedu rendement de l’impôt indirect sur les alcools. Que la Régie nousexplique si elle le peut comment ce rang est obtenu concurremment avecl’existence des fraudes universelles dont elle se plaint ! b) il se trouve aussipour la ruine des allégations de la Régie quedurant les années où les Bouilleurs de crû ont été soumis à l’exercice,l’impôt sur l’alcool a moins rendudans les départements deBouilleurs que pendant les années où les Bouilleurs ont joui de laliberté. Cela ressort avec la dernière évidence de l’interprétationloyale des documents. De 1873 à 1875, période où les Bouilleurs de crûsont assujettis à l’exercice, la moyenne annuelle d’impôt sur l’alcoolpayée par chaque habitant du Calvados se chiffre à 10 fr. 82. De 1876 àfin 1893, cette moyenne atteint 13 fr. 86. Les chiffres ont leuréloquence (6). Et comme on ne peut pas dire que les années de moindre rendement àl’impôt aient été des années de moindre consommation, est-il interditde se servir pour l’interprétation du moindre rendement des faitsrévélés par certains gros procès de régie ? Car dans les années demoindre rendement, les Bouilleurs de crû travaillent peu, et ce sontles distilleries industrielles qui alimentent la consommation. Or les distilleries industrielles sont-elles, sur le terrain de lafraude, d’une ingénuité entière ? Non, incontestablement. Dansl’Hérault, une seule fraude découverte se montait à 15,000 (QUINZEMILLE) hectolitres d’alcool : PLUS DE DEUX MILLIONS DEDROITS quin’eussent pas été payés. A Paris, une fraude de 700,000 (SEPT CENT MILLE) francspour le compted’un seul négociant à l’octroi de Bercy ! O les vertueux distillateurs industriels ! O les consciencieuxentrepositaires ! O l’intelligente régie, qui prétend que l’exerciceest le remède à toutes les fraudes ! Est-ce que les distilleriesindustrielles ne sont pas exercées? Est-ce que les entrepôts ne sontpas exercés ? On me dit,mais on a découvert les fraudes ! Oui, maiscombien d’autres fraudes ces fraudes découvertes laissent-elles ledroit de supposer dans des établissements exercés ? Donc les distillateurs exercés(sans jeu de mots) ne se privent pasdu plaisir et des avantages de la fraude, et, au total, nos Bouilleursde crû donnent plus au Trésor à proportion qu’ils sont moins exercés. Mais on relève contre nos Bouilleurs de crû nombre de contraventions !!! Arrêtons-nous à ce dernier argument. Il n’est pas entièrement au profitde la Régie. Et en premier lieu, il faut se demander si les agents de la Régien’apportent pas à verbaliser un zèle plus exagéré que désintéressé. La part de prise permet cettequestion. En second lieu, il est nécessaire d’examiner la nature descontraventions relevées. « La fraude, disait en juin 1881 M. PascalDuprat (7), en fournit bien une partie, mais elle parvient à en éviterle plus grand nombre. Au contraire, beaucoup de contraventions ont pourcause unique la négligence de formalités dont le public ne sait pastoujours apprécier la nécessité. Ce sont : la fausse énonciation du nomde l’expéditeur ou du destinataire ; l’erreur dans la quantité déclarée; la désignation inexacte du lieu de départ ou d’arrivée ; l’indicationfautive de la capacité du fût ; la non-identité de ce récipient, parsuite de transvasement, même en cas d’accident ; l’expiration du délai; le défaut de représentation de l’expédition à première réquisition. » De plus, il convient d’apprécier un élément d’information qui a, dansla question, un rôle considérable. Beaucoup de contraventions passent en force de chose constatée par lemoyen de la transaction.Est-ce une preuve que la contravention était légalement relevée ? Pastoujours. Trop souvent la transaction prouveque la Régie s’attaquait à des gens sans défense. La Régie ne gagne pas toujours tous les procès qu’elle fait. Elle amême contre tel avocat de mes amis des rancunes proportionnées auxéchecs qu’il lui a fait subir. Mais celui qui est obligé de se défendrecontre la Régie, même quand la solution de l’affaire doit êtrefavorable au prétendu contrevenant, a toujours à redouter les ennuisd’un procès où l’on épuise toutes les juridictions. (1re instance,appel et cassation) ; il doit toujours subir certaines dépenses(déplacements, honoraires d’avocat) ; par amour de la tranquillitéaussi bien que par économie, des préférences sont pour une transactionau mépris de son droit, et non pour une pénible et coûteusereconnaissance de son droit. Telle est l’explication de beaucoup de transactions conclues avec la Régie. Faut-il dire que la Régienecherche jamais à profiter de ces dispositions et de ceux contre quielle verbalise ? Quand on pense que nos cultivateurs ont devant leursyeux cet épouvantail que lesprocès-verbaux des agents de la Régiefont foi jusqu’à inscription de faux, qu’on agite cetépouvantaildevant eux, qu’ils n’ont pas une connaissance très précise de la loi,et que la Régie sait leur crainte d’échouer dans la résistance, il estpermis, sinon de le dire, du moins d’en avoir l’intime soupçon. Défions-nous, par conséquent, des allégations de la Régie contre lesBouilleurs de crû. Elles ne sont pas dictées par le plus purpatriotisme ni par le souci le plus dévoué des intérêts publics. VI NOS DEMANDES Au lieu de s’attarder à des projets qui nous reporteraient aux procédésles plus détestables de l’ancien régime, la Régie ferait mieux dechercher à réaliser un vrai progrès. Elle pourrait le faire aisément : peut-on espérer qu’elle le fassejamais ? Si nous demandons le respect de nos droits, nous ne demandons pas ledésordre et nous ne prétendons ni priver le Trésor d’un impôt reconnunécessaire, ni désarmer la Régie, quand il y aura de réellescontraventions à relever. Je ne crois pas que la solution pratique de la question soit dans lasurélévation de la taxe des alcools. Tous les économistes reconnaissentque l’augmentation des impôts indirects rend plus vive la tentation defraude. Je crois au contraire qu’un abaissement des droits deconsommation diminuerait cette tentation, si surtout il coïncidait avecun remaniement complet de la législation pénale en cette matière. Moinsde droits à payer et pénalités plus graves à encourir, et, dans cespénalités plus graves, je n’hésite pas à comprendre la prison pour uncertain nombre de cas, et alors n’ayant plus de proportion entre lerisque à courir et le profit à faire, l’impôt rentrera facilement. Un autre élément de solution serait de relever aux yeux des populationsla considération morale du service de la Régie. Il est indispensabled’arriver à supprimer toute participation des employés aux amendes etaux confiscations, si l’on veut que la fraude ne soit pas regardéecomme une lutte d’homme à homme, – l’homme qui ne veut pas payer unimpôt, et l’homme qui chercher la grosse part dans la somme que cerefus de paiement obligera le contrevenant à verser. C’est par le même motif qu’il conviendrait de supprimer les transactions, au moinscelles qui se font avant toute procédurejudiciaire. Si en effet cette suppression rendait la Régie pluscirconspecte, elle lui donnerait en revanche une plus grande autorité,et elle diminuerait notablement l’audace du fraudeur. Enfin un des soucis de la Régie devrait être de travailler à maintenirla qualité des produits et de solliciter dans ce sens des améliorationsà la législation ou à ses applications. Je n’aurais pas vu d’un mauvaisœil dans le projet l’article 29 si le premier paragraphe eût été plusprécis, et si le second eût été plus complet. Le premier paragraphe eneffet, comme le remarque M. de Colbert, est très vague sur un pointd’une importance pratique capitale : « Tout récoltant qui aura reçu dudehors, en quantité manifestement supérieure aux besoins de laconsommation de son ménage, des raisins ou fruits à cidre, des vins,cidres, poirés, lies, marcs, cerises ou prunes ne provenant pas de sarécolte, conservera les immunités réservées aux récoltants, s’il faitla preuve que les matières distillées proviennent exclusivementde sarécolte. » Que l’on détermine un procédé acceptable pour faire cettepreuve, sans ouvrir ainsi la porte aux vexations, et nous nedemanderons pas mieux que d’accepter le texte : nous réclamons lerespect du droit des récoltants, nous ne prétendons nullement demanderun privilège pour les Bouilleurs de crû devenant dans une mesurequelconque des industriels :alors, outre qu’ils n’ont plus le droitpour eux, ils perdent trop souvent leurs titres à la sympathie desconsommateurs, parce que s’industrialisant, ils industrialisent aussileurs produits. C’est pourquoi, avec M. le comte de Colbert-Laplace, je voudrais que lesecond paragraphe fût rédigé de manière à garantir la sincérité duproduit, aussi bien que les intérêts du Trésor : il devrait êtremodifié comme il suit (par l’addition des mots soulignés) : « Toutrécoltant convaincu d’avoir enlevé ou fait enlever des spiritueux, sansexpédition, – ou d’avoir faitentrer chez lui des alcools neutres –perdra pour toute la durée de la campagne en cours et de la campagnesuivante, le bénéfice des avantages attachés à sa situation derécoltant, et devra, pour ses opérations ultérieures se soumettre auxobligations imposées aux Bouilleurs de profession. » Une loi qui s’inspirerait loyalement de ces idées serait une loid’équité, de liberté et de progrès. L’obtiendrons-nous ? Partagés entre la crainte et l’espérance, nous nous le demandons chaquejour anxieusement. Le Parlement continuera-t-il des traditions depuis trop longtempsexistantes, de sacrifier toujours l’agriculteur à l’industrie (8) ? Que l’on y prenne garde, la crise agricole pourrait bien devenir unecrise générale. Déjà la propriété est dépréciée. Elle est loin d’avoiren principal la valeur qu’elle atteignait il y a quelques années ; ellediminue de jour en jour comme valeur de revenu. Les terres se louent àdes prix très bas, quand encore on les loue. En beaucoup d’endroits,elles ne sont plus exploitées. Ce ne seront pas les lois restrictivesde la liberté des agriculteurs qui amélioreront cette situation, bienau contraire. Il faut que les pouvoirs publics le comprennent ; il faut nous efforcerde le leur faire comprendre. Remuons-nous, affirmons-nous. On réunit aumilieu de nous de pseudo-conférences pour attaquer le droit desBouilleurs de crû : avons-nous organisé une seule conférence pour nousdéfendre ? Il faut en organiser. Nous pétitionnons : il faut pétitionner encore et si la Chambre desDéputés n’est pas pour nous, il faudra reprendre le pétitionnement àl’adresse du Sénat. Et, si le succès ne répond pas à nos efforts, il ne faudra pas regarderla bataille comme définitivement perdue, mais la recommencer aprèsl’avoir préparée. Le droit finit toujours par triompher, dit-on. Oui, mais il faut qu’ilsoit défendu avec énergie, ténacité et persévérance. NOTES : (1) Cet argument a déjà été présenté par M. de Witt dans un discours àla Chambre des députés. Il me paraît prendre une importance croissanteau moment où nous devons lutter de toute notre énergie contrel’envahissement de nos campagnes par le socialisme. (2) La question des Bouilleurs de crû, qui paraît tout d’abordn’intéresser que ceux qui récoltent les fruits, a une portée beaucoupplus générale. Ainsi, l’assujettissement des Bouilleurs de crû àl’exercice dépréciant les plants de pommiers, – reconstitués au prixdes plus persévérants efforts depuis vingt ans – atteindraitprofondément la culture des pépinières. Déjà un hiver prolongé, enrendant impossible les plantations considérables pour la campagne encours a causé une baisse énorme des cours. La méconnaissance du droitdes Bouilleurs arrêterait tout à fait les plantations, et alors quedeviendraient ces pépiniéristes qui ont à vendre un nombre d’arbres siconsidérable ? (3) Il est à remarquer en passant que la question de distillerieproprement dite n’est pas la seule sur laquelle les distillateursindustriels créent à l’agriculture normande des difficultés sérieuses.Les résidus de la fabrication des alcools servent à engraisser à fortpeu de frais des bestiaux qui font concurrence à notre productionherbagère. La nourriture étant à vil prix, l’achat est fait de manièreà désespérer nos cultivateurs. A la revente les bestiaux engraissés parles usiniers sont moins recherchés par la boucherie. Mais ils formentun stock de viande qui, réuni aux américains, fait baisser notablementles cours. (4) Rapports des Médecins à l’enquête de 1887. Spécialement, rapport duMédecin en chef de l’asile de la Roche-sur- Gandon (Mayenne), et duMédecin en chef de l’asile d’Alençon (Orne). (5) Dans le développement de l’alcoolisme, les pouvoirs publics ont, enplus de la responsabilité d’ordre supérieur qui tient à leur attitudeenvers la religion, une responsabilité d’ordre inférieur, mais trèsgrave, qui a sa source dans la liberté à peu près illimitée laissée àl’ouverture des débits de boissons. (6) Les résultats de la statistique dans les départements voisins, sontconformes à ceux concernant le Calvados. (7) Cité par M. de Colbert-Laplace. (8) Au moment de leur lutte avec Marseille sur la question des sucres,les industriels du Nord (qui forment un groupe important parmi lesennemis des « Bouilleurs de crû ») s’en allaient répétant « qu’il nefallait pas sacrifier l’agriculture à l’industrie ». Mais pour eux la« betterave » résume toute l’agriculture, parce que la « betterave» est le grand élément de leur industrie. Nous avons la prétention desoutenir qu’en agriculture la betterave n’est pas tout. Nos pommiers etnos herbages ont bien le droit de compter pour quelque chose etd’accord avec nos adversaires, nous répétons « qu’il ne faut passacrifier l’agriculture à l’industrie ». |