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![]() Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (10.VII.2014). Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographeetgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx :41060-nor598). NORMANDIE REVUE RÉGIONALE ILLUSTRÉE MENSUELLE DE TOUTES LES QUESTIONS INTÉRESSANT LA NORMANDIE Économiques, Commerciales, Industrielles, Agricoles, Artistiques etLittéraires DEUXIÈME ANNÉE. - N°14 MAI 1918 ![]() ~*~Vers une Action Normande VIII. – LES CAUSES. (Suite.) On ne commande aux loisnaturelles qu’en leur obéissant. (BACON.) L’habitation… les voisins ? Pourquoi, dira-t-on, ces longueurs dans undébat qui porte sur le point de savoir si la Politique de la France afait, ou non, fausse route, depuis qu’elle a épousé et appliqué lesidées des Encyclopédistes ? Pourquoi ? Parce que pour juger de lavaleur d’un régime il faut connaître, à fond, l’être à qui on veut lefaire suivre. Certes, le programme que la Révolution se proposait de réaliserprocédait, chez beaucoup de ses auteurs, d’un idéal très élevé ; mais,on ne se nourrit pas que d’idéal, on ne vit pas seul ici-bas, etl’expérience nous apprend tous les jours, que l’oubli des réalitésconstitue un grave danger que le Droit, la Justice, la Liberté, sontdes armes inefficaces contre un ennemi fort et sans scrupules ! Au moment où la généreuse France frémissante encore, de sa grandecolère contre les « abus de l’ancien régime » et contre « la trahisondes Tyrans » anéantissait l’ancien état de choses, voyons quel étaitson domaine, comment ses Intendants l’avaient constitué, aménagé ;voyons enfin quels étaient ses voisins et demandons-nous s’il étaitprudent de changer radicalement l’aménagement, le mode de jouissance etsurtout d’ouvrir toutes grandes les portes, de « déclarer la paix auMonde » et de « ponter » sur la générosité foncière de l’âme humaine. On ne niera point, en effet, j’imagine quelqu’idée qu’on ait sur laRévolution française, que ses principes n’aient eu nettement tendance àfavoriser l’individu au détriment de l’Etat, et même dans une certainemesure, à affaiblir celui-ci au regard des puissances étrangères. Ledomaine français a trouvé dans le génie d’un maître qui vient de mourir: Vidal de la Blache, un avocat si précis, si éloquent à la fois, queje m’en voudrais de faire autre chose que de résumer les pagesmagistrales de cet illustre savant. Il est impossible d’examiner avecune intelligence plus aiguë, plus avertie les origines d’un grandorganisme humain, de le mieux situer dans le temps, dans l’espace etd’en mieux dégager les conditions de prospérité ! Il date de trente ans le Tableau de la Géographie de la France etcependant comme il nous faisait déjà ressortir certaines vérités,certaines réalités dont nous avons le devoir d’être « hantés » et quela guerre a crûment mise en lumière pour les moins clairvoyants. Qui lirait sans émotion, ce passage où l’on nous fait toucher du doigt« la difficulté toute particulière » que le sol éprouva, du côté del’Allemagne, à dégager ses limites ? puis cet autre, qui évoquel’élévation sur les rives de l’Escaut « de postes militaires »,Tournai, Cambrai, « Arras », proches des grandes voies romaines quimènent d’une part vers la Bretagne, de l’autre vers la Germanie ? Puiscet autre encore, qui explique « Paris », emplacement d’élite où leshommes, si loin qu’on remonte dans l’histoire, s’assurent des positionsde défense « justifiées par la convoitise qu’excite le lieu. » L’originalité de cette œuvre forte, réside dans une conception touteparticulière de « l’individualité géographique » d’une contrée. « C’estun produit, dit cet écrivain, de l’activité de l’homme, conférantl’unité à des matériaux qui, par eux-mêmes, ne l’ont point. Il fautpartir de cette idée qu’une contrée est un réservoir où dorment desénergies dont la nature a déposé le germe, mais dont l’emploi dépendde l’homme. C’est lui qui, en le pliant à son image, met en lumière sonindividualité. » Si la France, par exemple, est une personne géographique, ce n’estpoint en raison d’on ne sait quelle unité de climat ou de faune ou deflore ou de constitution géologique ; les « faits » démentent cetteunité et la France en dépit d’un cliché fameux, n’est rien moins qu’un« cadre fourni à l’histoire par la nature ». Si notre pays est devenuune personne, c’est par l’effort de ceux qui l’habitèrent et surent «aux effets incohérents des circonstances substituer un concourssystématique de forces ». Que les lecteurs de Normandie veuillent bien rapprocher ces lignespleines de substance empruntées à une remarquable étude de M. JulesBenda (1), de l’esquisse que nous avons-nous-même tracée en marsdernier de la France, et ils seront amenés comme nous à conclure quenotre Pays est une terre comblée de tous les dons, mais qu’il n’a purester la propriété de la « Société française » que grâce à l’effortopiniâtre, intelligent, cohérent et suivi de nos pères. Comme il avaitraison Maurice Barrès le jour où il synthétisait la patrie française,en cette courte et saisissante formule : La Terre et les Morts ! Telle est l’habitation française ! Quand notre Pays fit la GrandeRévolution, devait-il, pouvait-il oublier les lois qui présidèrent à laformation du domaine et qui inspirèrent son mode d’exploitation ?Pouvait-il négliger le milieu vital ? Cette question intéresse à la fois la prospérité intérieure et laprospérité extérieure de la France et, à la vérité, les deux questionssont liées puisque l’une est fonction de l’autre. Rêver de désarmement, de fraternité universelle, de règlement de toutesles difficultés humaines par la seule puissance du cœur et de laraison, ne présente point de graves inconvénients, tant que l’on necherche pas à réaliser son rêve, tant surtout que l’on vit isolé et quel’on peut se tenir à l’écart des activités voisines et concurrentes.Mais du jour où l’on fait l’essai de ses belles théories en commençantpar soi, où l’on désarme au milieu de voisins qui demeurent armés,menaçants et de mauvaise foi, au-devant de quelles aventures necourt-on pas ? Hélas ! la France, pour son malheur, a toujours été la riche proieconvoitée par d’autres peuples qui se disaient moins favorisés. Faut-ilrappeler son rôle historique, magnifique, mais si périlleux ! Championdes causes généreuses, terre classique des invasions venues du Midi, del’Ouest, mais surtout de l’Est, de l’Est où la menace demeure plusredoutable que jamais. Qui ne se souvient des Champs catalauniques, de Vouillé, de Poitiers,des Northmen, de la Guerre de Cent ans, puis plus récemment de Valmy,de 1814, de 1815 et de 1870 ? Au dix-huitième siècle, maintenant et demain encore, la douce France aété, est et sera un objet de convoitise ardente surtout pour la race deproie que le hasard et la nature ont faite notre voisine ! Malheur ànous si nous l’oublions pour nous abandonner aux fantaisies de rêveriespeut-être généreuses mais si inconsistantes ! Le Germain cauteleux et fort, sera demain, comme hier, le voisin quicherchera toujours l’occasion de nous sauter à la gorge. S’il en étaitencore (doux illuminés !) qui ne croient pas à la persistance dutempérament barbare, hypocrite, conquérant de la race allemande, s’ilen était encore, après les expériences récentes (faillite del’Internationalisme, trahison de la Sociale Démocratie), qui espèrenttoujours je ne sais quelle transformation généreuse, dans le sensdémocratique, de cette race de valets et de goujats, matérialistesdéguisés en dévots, qu’ils lisent, ceux-là, les Ailes Rouges de laGuerre du pacifiste repenti Emile Verhaeren ! Car c’est là ton crime, immense Allemagne, D’avoir tué atrocement L’idée Que se faisaitpendant la paix En notre temps L’homme de l’homme ! Qu’ils rapprochent ces vers vengeurs, tardivement clairvoyants, dus àla plume d’un poète dont naguère encore la pensée étaitanti-chrétienne, voire même toute imprégnée de germanisme, des textes de toujours et peut-être comprendront-ils qu’il y a des erreurs, mêmegénéreuses, qui sont de véritables crimes de lèse-patrie. Les voici ces vieux textes ; ne sont-ils pas, malgré les siècles,malgré le Christianisme, malgré la Civilisation, toujours atrocementvrais ? « Les Germains mettent leur plus grande gloire à avoir devant eux despays dévastés. » (Jules César.) « Les Gaulois combattent pour la liberté, les Bataves pour la gloire, les Germains pour le butin. » (Tacite.) « Les Germains ne viennent commercer dans les provinces que pourespionner, ne prêtant de serments que pour les violer ; ne signant lapaix que pour se préparer à la guerre. » (Mélo Pomponius.) « Le caractère germain offre un terrible mélange de fourberie et deférocité ; il faut l’avoir éprouvé pour le croire. » (V. Paterculus.) « La nation allemande est la plus grossière des nations. » (Montaigne.) « Le prussien est né cruel, la civilisation le rendra féroce. » (Gœthe.) La vérification de ces textes par la violation de la neutralité belge,par les crimes monstrueux accomplis depuis quatre ans, par tant deruines morales et matérielles accumulées, tant d’atrocités froidementaccomplies : Louvain, Reims, le Lusitania, Miss Cavelle, doiventavoir guéri à tout jamais de l’erreur pacifiste les plus illusionnés denos compatriotes ou alors c’est Balzac qui a raison : « L’immensité du Ciel peut seule donner une idée de la bêtise humaine !» Tel est le voisin et force nous est bien d’en faire grand cas lorsquenous voulons établir les conditions de vie qu’exige le libredéveloppement de notre propre pays. Je puis donc conclure que la construction, la situation géographiquesde la France et son voisinage ont toujours commandé, commandent etcommanderont encore demain plus que jamais son régime moral etpolitique. Nous ferons voir dans un prochain article, quelles règles, quelles loisdoivent inspirer ce régime, puis pourquoi, en quoi celles-ci ont été etsont encore méconnues aujourd’hui et enfin quelles conséquences gravescette erreur de diagnostic a entraînées. (A suivre.) G. VINCENT-DESBOIS. ____________________ (1) Figaro du 17 avril 1918. ═════════════════ Organisez-vous,car à l’heure de la paix, il ne faudrapas être pris au dépourvu. C’estd’ailleurs votre intérêt et celui dupays. ═════════════════ Notre Bétail et les Réquisitions Le Lait et les Produits Laitiers ______ LE BÉTAIL D’EMBOUCHE, LES RÉQUISITIONS ET LES DOLÉANCES DES ÉLEVEURSNORMANDS. – LES ACHATS DE L’INTENDANCE. – LE POIDS ET LA QUALITÉ.– L’ÉLEVAGE BOVIN DANS LE DÉPARTEMENT DE L’ORNE, SON IMPORTANCE ET SONCOMMERCE. – LA PRODUCTION LAITIÈRE ET LES INDUSTRIES DU LAIT. – LESBEURRES ET LES FROMAGES. – UN PROLOGUE A LA QUESTION DU CAMEMBERT. –L’ÉLEVAGE DU MOUTON ET DU PORC. – TRAVAILLONS A ACCROITRE LESRESSOURCES DE L’ÉLEVAGE. ____ Le rôle de Normandie étant de défendre en toutes circonstances, lesintérêts des producteurs normands, à quelque catégorie qu’ilsappartiennent, lorsque ces intérêts sont menacés, sacrifiés ouméconnus, nous avons le devoir – auquel nous ne saurions faillir- de signaler et de combattre les abus qui peuvent porteratteinte à la vitalité des éléments de prospérité de cette région. Dans les circonstances actuelles, il faut envisager les gravesquestions économiques que soulève l’état de guerre, la situation faiteà nos éleveurs normands, et défendre les intérêts de l’élevage,lorsqu’ils risquent d’être gravement compromis par une règlementationabusive, résultant d’une indifférence systématique ou de l’incuried’une administration inexperte ou malhabile. Cette protection s’impose avant tout si l’on veut que la reconstitutiondu cheptel national soit rapide et complète, et on doit insister sur lacontribution importante que la Normandie peut et doit apporter à cettereconstitution. Toutes les mesures boiteuses ou maladroites de nature àentraver la progression de l’élevage chez nous devraient donc êtreradicalement proscrites comme contraires aux intérêts régionaux et parconséquent nationaux. Déjà, l’an dernier, les éleveurs de Normandie, comme du reste ceux desautres régions d’élevage bovin où l’on produit le bétail d’embouche,élevèrent de légitimes protestations contre les réquisitions abusives,au printemps, d’animaux destinés à être engraissés dans les herbages.Le Ministre de l’Agriculture, à qui ces protestations furenttransmises, promit d’intervenir pour mettre fin aux abus. Or,voici que cette année, les mêmes errements, les mêmes abus se donnentlibre cours, comme si l’avenir de notre élevage bovin étaitpréoccupation tout à fait secondaire, voire considération de si minimeimportance qu’elle puisse être négligée sans inconvénient. Cependant,le simple bon sens et le plus élémentaire souci de ne pas découragerles éleveurs, en Normandie comme ailleurs, devraient dicter au Servicede l’Intendance une règle de conduite vraiment rationnelle, et l’amenerà étudier plus sérieusement les conditions d’achat du bétail, afind’arriver à concilier les intérêts de l’élevage avec les suprêmesbesoins de la Défense Nationale. Certes, il ne semble pas qu’il y aitincompatibilité ou antagonisme entre les uns et les autres, bien aucontraire. Les éleveurs désirent vivement que les réquisitions et achats amiablesde bétail par l’Administration militaire soient suspendus jusqu’à lafin du mois de juin, repris à cette époque et augmentés en fin desaison (octobre et novembre). Pour bien établir la légitimité de leurrequête et la déduction logique qu’elle comporte, les éleveurs fontremarquer que le Service de l’Intendance persiste à réquisitionner enfoire des animaux qui ne sont pas prêts pour l’abattoir, mais bienseulement pour l’embouche ou pour le trait ; les premiers donneraient,au bout de peu de temps, un rendement supérieur de 10 % au moins, etl’abatage des autres est une faute grave et irréparable au moment où lebesoin d’attelages est si grand. Procéder de cette façon, c’est aller àl’encontre du but désiré et c’est provoquer la surenchère, mécontenterles emboucheurs, en augmentant leurs frais généraux, et les éleveurs,en leur faisant supporter une lourde perte sur leurs animaux (25 % aumoins). Ceux-ci, fuyant alors les marchés publics, prennent maintenantl’habitude de vendre dans les étables, les foires sont moins garnies etpar cela même, les cours du bétail sont souvent faussés. C’est ainsiqu’on a vu des engraisseurs subir, du fait de ces réquisitionsabusives, des pertes de 50 à 60 francs par 100 kilogr., et l’Etatacquérir des bœufs donnant un rendement de 50 % en viande de qualitébien moyenne, au lieu de 60 à 63 % si ces bœufs avaient été laissés auxengraisseurs jusqu’à ce qu’ils fussent bien en état pour être dirigéssur l’abattoir. De ces observations, il résulte clairement que le mode d’achat suivipar le Service de l’Intendance est absolument défectueux etmanifestement préjudiciable à l’élevage parce qu’il élimine de façonsystématique, toute considération de poids et de qualité du bétail,pour ne se préoccuper uniquement que du nombre de têtes à acquérir,dans l’exercice de ses opérations de réquisition. Or, il est bienévident que persister dans l’application d’un pareil système d’achat,c’est imposer à l’élevage des sacrifices aussi lourds qu’inutiles et,en annihilant les efforts des éleveurs, c’est compromettre l’avenird’une des plus précieuses sources de richesse de notre agriculture.Souhaitons que les légitimes doléances de nos éleveurs soient entendueset prises en considération. * * * Dans le département de l’Orne, l’élevage du bétail bovin de racenormande présente une réelle importance. A l’heure actuelle, étant données les dures épreuves par lesquellespasse le cheptel français, depuis le début de la guerre, il est biendifficile de fixer un chiffre rigoureusement exact relativement à lastatistique du dénombrement de la population bovine de l’Orne. Maislorsqu’on considère l’importance des surfaces exploitées en prairies etherbages, on peut se rendre compte que le pays normand est assurémentfavorisé au point de vue des éléments de reconstitution du cheptelbovin et de l’accroissement de valeur de celui-ci. Avant la guerre, on comptait, dans l’Orne, 80.00 à 100.000 vachesutilisées à la reproduction et donnant environ 60.000 veaux. Entotalité, on comptait 90.000 vaches donnant, en moyenne, 1.800 litresde lait par tête et par an. En temps ordinaire, les veaux sont vendus àl’âge de six semaines à deux mois, aux bouchers de la contrée, qui lesachètent assez souvent dans les fermes ou dans les marchés du pays.Laigle, Gacé, Vimoutiers, sont des marchés importants où sont amenésles veaux engraissés spécialement pour la boucherie de Paris. Bonnombre de veaux blancs, du canton de Laigle – c’est-à-dire de veauxnourris au lait – sont vendus également sur les marchés de l’Eure,notamment sur celui de Verneuil. Les veaux conservés pour lareproduction, les génisses amouillantes, les vaches pleines, les «bouvards » se vendent sur les nombreuses foires du département :Alençon, Sées, Le Mesle, Carrouges, Argentan, Briouze, Ecouché,Vimoutiers, Trun, Domfront, Flers, La Ferté-Macé, Tinchebray, Bellême,Laigle, Mortagne, Longny. En août et septembre se tiennent, principalement dans l’arrondissementde Domfront, des foires très importantes pour les génisses amouillanteset les vaches laitières. Aux foires d’automne et de printemps, ontrouve des animaux d’élève, génisses et bouvillons, des bœufs maigres,pour les herbagers et des animaux gras achetés par les bouchers dupays. Les engraisseurs envoient au marché de La Villette la majeurepartie des bœufs, vaches et taureaux engraissés sur les herbages. Cesexpéditions ont lieu de juillet à fin novembre, surtout par les garesde Nonant-le-Pin, Le Merlerault, Le Mesle-sur-Sarthe, Sées et par denombreuses gares des contrées herbagères. * * * L’exploitation de la vache laitière présente, dans le département del’Orne, un très grand intérêt, en raison du développement qu’elle apermis de donner aux industries beurrière et fromagère, dont lesproduits jouissent d’une légitime et universelle renommée. Sur uneproduction de 1.620.000 hectolitres de lait fournis par 90.000 vaches,en temps normal, on utilise 250.000 à 300.000 hectolitres à lafabrication des fromages de Camembert et façon Camembert, dans lescantons de Vimoutiers, Gacé, Exmes, Argentan et à l’extrémité opposéedu département, dans ceux de Domfront et de Messei. Le Livarot, fromage affiné, fabriqué principalement durant les moischauds, pendant lesquels on ne peut fabriquer du Camembert, estl’apanage de producteurs fromagers des cantons de Vimoutiers, Gacé etArgentan. On fait le gros et le petit Livarot ; l’un et l’autre passentdans plusieurs mains avant d’être bons pour la consommation. La mise enprésure est faite chez le cultivateur qui, après égouttage, livre à desindustriels faisant l’affinage en cave. A Gacé et aux environs, on fait encore un fromage maigre spécial, quiporte le nom du canton où on le fabrique. Ordinairement, la plus grande partie du lait produit dans l’Orne estutilisée dans le pays, pour la fabrication du beurre, dont laproduction en année normale, se chiffrait par 4 millions à 4.5000.000kilogr. Les beurres de l’Orne ont beaucoup gagné en qualité, par suitede l’usage des écrémeuses centrifuges, aussi sont-ils très appréciéssur le marché de Paris et sur les marchés britanniques. Ces beurres, degoût fin et de bonne garde, bénéficient d’une plus-value qui n’estcependant pas en rapport avec leur qualité supérieure. Les marchés beurriers, les plus importants, sont ceux d’Alençon, Sées,Le Mesle-sur-Sarthe, Argentan, Gacé, Vimoutiers, Briouze, Putanges,Ecouché, Flers, La Ferté-Macé, Domfront, Tinchebray, Mortagne, Bellême,Laigle et Rémalard. Les beurres les plus réputés sont ceux quiproviennent des pays d’herbages ; mais la méthode de fabrication parécrémage centrifuge permet d’obtenir un peu partout des beurres dont laqualité supporte très bien la comparaison avec celle des beurresprovenant des centres herbagers, lesquels, sous ce rapport, sontprivilégiés. Le commerce des beurres est dans sa plus grande activité au printemps,en mai-juin, à la fin de l’été et en automne, en septembre-octobre.Nous aurons à étudier un jour, dans ses détails, l’industrie laitièredans l’Orne, et notamment la question du Camembert qui, avant laguerre, au Congrès National d’Industrie laitière, tenu à Paris en 1914,fit l’objet d’une discussion très animée et en vérité fort édifiante,relativement aux revendications légitimes de nos producteurs du paysd’Auge, quant à l’authenticité du produit, à l’appellation d’origine età la concurrence commerciale que font au vrai Camembert, depuis tantd’années, des produits qui n’en ont point la qualité, mais seulement lenom et sont, plus ou moins, des fromages « façon Camembert ». * * * En attendant que cette étude une fois mise au point, puisse trouver saplace ici, au même titre que toutes les questions d’intérêt primordialpour nos producteurs normands – et certes, le problème du Camembert,qui a même revêtu le caractère d’un problème juridique, mérite bien, àtous égards, qu’on l’étudie avec toute l’attention nécessaire – nousréservant, disons-nous, de revenir sur cette question en une étudespéciale, nous terminerons cette vue d’ensemble sur l’élevage dans ledépartement de l’Orne en consignant quelques observations relatives àl’élevage ovin et aux autres branches de la production animale. A vrai dire, l’Orne n’est pas un département riche en ce qui concernela production ovine. On ne peut pas tout avoir, évidemment, et la crisede l’élevage du mouton, déjà si intense avant la guerre, dans les pays« moutonniers », se fait sentir également en Normandie. L’Orne possédait, il y a quelques années, moins de 50.000 bêtes à laine; sur ce nombre, l’arrondissement de Mortagne comptait à lui seul, pourmoitié, avec des mérinos et des sujets de croisements Dishley-Mérinos.C’est dans le canton de Laigle que l’élevage a quelque importance,viennent ensuite les cantons de Tourouvre, Rémalard et Longny. C’est àLaigle que se tient le principal marché aux moutons. L’élevage du porc, bien que facilité par l’utilisation avantageuse desrésidus de laiterie, n’a pas l’importance qu’il devrait avoir. Dans laplupart des fermes, on entretient un ou plusieurs porcs. Les porceletssont vendus à l’âge de 2 à 3 mois, ceux que l’on engraisse se vendent àun an. En résumé, l’élevage du département de l’Orne a sa principale source derichesse dans l’importance de sa production bovine et les industries dulait qui en dérivent. A elle seule, cette constatation suffirait àmettre en relief, une fois de plus, les éléments de prospérité del’agriculture au pays normand. Henri BLIN, Lauréat de l’Académie d’Agriculture deFrance. ~~~~~~~~~ Tout en causant… _____ Nous avons la réputation, nous autres Français, d’être le peuple leplus spirituel de la terre. A vrai dire, cette réputation-là, c’est unpeu nous qui l’avons lancée de par le monde, mais elle n’en est pasmoins méritée. On sait que chez nous, depuis M. de Voltaire, l’espritcourt les rues ; il court même si fort qu’il lui arrive parfois detrébucher et de s’aplatir le nez, si j’ose cette métaphore. N’importe ! pour l’esprit, nous ne le cédons à personne. C’est un faitavéré, reconnu, indiscutable et indiscuté. Mais il est peut-êtred’autres éléments de comparaison entre les nations et les races quis’agitent à la surface de notre pauvre globe terraqué et détraqué, où,n’en déplaise à notre amour-propre national, notre suprématie s’affirmeavec moins de certitude et d’autorité. Je ne parle pas de la géographie que les Français ont, de tous temps,délicieusement ignorée. C’était d’ailleurs un genre, une mode, un chic,c’était bien porté de ne pas savoir la géographie, et on auraitvolontiers montré du doigt, comme un phénomène ridicule et grotesque,comme un sot et déplaisant pédant, le monsieur capable de citer demémoire les sous-préfectures d’un département ou les affluents d’unfleuve. Il a fallu la guerre, hélas ! pour que la lecture journalièredes communiqués nous donnât, à notre insu, quelques vagues notions surdes régions de l’Europe dont le nom même nous était parfaitementinconnu. Mais laissons la géographie. Voyons autre chose ; arrivons, sans plusde détours, au fait qui nous suggère ces réflexions préambulatoires. Jesuis un incorrigible flâneur qui aime à s’égarer en chemin, et às’attarder le long de la route, avant de gagner le but vers lequel ilse dirige, sans être jamais pressé de l’atteindre. Si les Français ont, par nature, le don de l’esprit tout court,sont-ils doués, par surcroît, de l’esprit…. de prévoyance ? leurtempérament primesautier possède-t-il ces qualités de réflexion, dejugement, de raisonnement qui permettent de voir les choses de loin, deprévenir les événements, de parer d’avance aux mesures et auxnécessités qui découleront de ces événements, envisagés dans leursconséquences futures et lointaines, sans se laisser prendre au dépourvuni devancer par le temps ? Eh bien ! j’ose affirmer que ces qualités, les Français, ou tout aumoins les Normands les possèdent, si – (car il y a un si) – tousressemblent à un honorable édile de la ville de Rouen, M. Robert, qui,au cours d’une des dernières réunions du Conseil Municipal, a déposéune proposition dénotant un don exceptionnel et admirable non de doublevue, mais de longue vue. Ah ! oui, le petit père Robert, comme l’appellent familièrement sesconcitoyens qui l’entourent, à juste titre, d’une affectueuse sympathie(il est le Doyen et le premier élu de l’Assemblée municipale), le petitpère Robert voit les choses de loin ; le présent ne l’absorbe pas,c’est sur l’avenir que se concentrent ses préoccupations et ses soucisédilitaires ! Pareil au vieillard de La Fontaine, il n’admettrait pas que ses jeunescollègues lui disent : Quittez le long espoir et les vastes pensées ! Sa proposition, fort louable, au demeurant, vise la participation dela ville de Rouen à la célébration du cinquième centenaire de la mortde Jeanne d’Arc. Or, sait-on – (Je parie que vous ne le savez pas !) –quelle est la date exacte de ce cinquième centenaire ? 30 mai 1931 !Dans treize ans ! Et M. Robert de faire remarquer à ses collègues queces treize ans constituaient un bien court délai ! Le vénéré doyen a la pratique des affaires municipales, depuis silongtemps qu’il siège à l’hôtel de ville, et il doit parler en hommed’expérience « Experto crede Roberto ». C’est Lhomond lui-même, danssa vieille grammaire latine, qui nous invite à lui faire confiance. Treize ans ! J’imagine pourtant que pour la préparation d’une fêtecommémorative, si grandiose que l’envisage déjà l’honorable édilerouennais, c’est là un splendide record. La performance de M. Robertfait de ce fervent de la Pucelle le recordman de l’initiative. Si le programme des fêtes qui seront célébrées à Rouen, le 30 mai 1931n’est pas magnifique, si ces fêtes ne se déroulent pas avec unincomparable éclat, alors nous pourrons dire : « Prévoyance, tu n’esqu’un vain mot ! » Et ceci me rappelle une petite et amusante histoire qui m’était contéeces jours-ci par un officier anglais, avec cet humour tout britanniquequi donne une saveur particulière aux propos de nos alliés. Cetteanecdote n’a d’ailleurs, avec la proposition du petit père Robert,qu’un rapport assez lointain, si lointain même que peut-être quelqueslecteurs ne le saisiront pas très bien. Mais dussè-je faire frémird’indignation et d’horreur les mânes de feu mon professeur derhétorique, je déclare cyniquement que les transitions, je sautepar-dessus, et à pieds joints encore ! - « Deux braves garçons, me disait donc le captain Percy Fergusson,causaient ensemble, dans un bar de la Cité, en dégustant un verred’ale. L’un avait à la bouche une courte pipe dont il tirait, avec uneévidente satisfaction, d’épaisses bouffées de fumée. L’autre ne fumaitpas. - « Depuis combien de temps fumes-tu, demanda ce dernier à son ami ? - « J’ai cinquante ans, depuis trente ans au moins. - « Mais malheureux, songe donc qu’avec tout l’argent que tu as misdans le fourneau de ta pipe, tu pourrais aujourd’hui avoir, à toi, uneconfortable petite maison ! Le fumeur sourit. - Et toi, interrogea-t-il, à son tour, tu n’as jamais fumé ? - « Jamais ! - « Eh bien ! où est ta maison ? » Henry BRIDOUX. ═════════════════ Les Journées Régionalistes organisées par la F. R. F. ______ La plus ancienne et la plus puissante organisation régionaliste denotre pays, la Fédération régionaliste française, fondée, en 1900,par le grand orateur Charles-Brun et diverses personnalités (venues detous les pôles de l’opinion mais d’accord sur un programme minimum)parmi lesquelles on peut citer : l’immortel Frédéric Mistral, lemarquis de Villeneuve, l’écrivain M. C. Poinsot, le sculpteurberrichon, Jean Baffier, feu Jules Charles-Roux, le romancier GeorgesNormandy, le député marquis de l’Estourbeillon et tant de grands morts,tels que M. de Mun, Xavier de Ricard, de Beaurepaire-Froment, EugèneNolent tué à l’ennemi comme Frédéric Charpin, etc. ; la F. R. F.,dis-je, a tenu ses assises annuelles à Paris (au Musée Social) lejour de la Pentecôte et les jours suivants. La question qui fut étudiée avec le plus d’intérêt, voire de passion,fut la nécessaire division de la France en régions. Parmi les orateurs les plus remarqués, n’oublions ni M. Daniel-Vincent,ancien ministre, ni M. Louis Marin, député de Nancy, président de la F.R. F., ni M. Pierre du Maroussem, président de la Société d’EconomieSociale, ni Jean Hennessy, député de la Charente, dont l’activitédésintéressée en matière régionaliste et économique, mérite tantd’éloges, ni Georges Blondel, l’éminent et sage professeur au Collègede France… ni, bien entendu, Charles-Brun, synthèse et incarnationparfaites de la F. R. F. tout entière. Reconnu dans la salle : Mme Moll-Weiss, J. Ernest-Charles, marquis deVilleneuve, Jobert, conseiller général, Salles, délégué des Normandsde Paris, Jean Desthieux, secrétaire de la Fédération, JacquesHébertot, Chancerel fils (de Fécamp), Jean Baffier, René Le Cholleux,etc. A l’issue de ces assises, la F. R. F. a voté la reprise de lapublication de sa revue mensuelle : l’Action régionaliste (qui a faittant de besogne utile depuis quinze ans) et les vœux suivants : I. – La F. R. F. sans entrer dans l’exposé des différents projetssoumis au Parlement, demande à celui-ci d’entamer, dans le délai leplus rapproché, la discussion relative aux travaux tendant àl’organisation de la France par régions. II. – La F. R. F. émet le vœu que les différents ministères qui onttenté d’organiser leurs services sur des bases régionales concentrentet coordonnent leurs efforts notamment auprès des ministères quiconcourent le plus directement à la production économique du pays. III. – La F. R. F. déclare, au nom de son principe même, que sansperdre parti entre les différentes écoles régionalistes actuelles, elleles accueille toutes et n’en répudie aucune, persuadée qu’elles serontamenées par les circonstances à se mettre d’accord. IV. – Enfin, sur la proposition de MM. Jacques Hebertot, GeorgesNormandy et Salles, délégué des Normands de Paris, la F. R. F. adopteune motion dans le but d’obtenir que le Musée Jeanne d’Arc, proposérécemment dans la presse, par J. J. Brousson, avec l’approbationd’Anatole France, ne soit pas créé à Paris mais installé à Rouen où unmusée Jeanne d’Arc existe depuis de longues années. Normandie s’associe particulièrement à ce dernier vœu. Créer deuxmusées Jeanne d’Arc éparpillerait l’intérêt qui s’attache à unepareille initiative, et Rouen est le cadre rêvé pour réaliser l’idée dumaître Anatole France et de M. Brousson. Répétons enfin que les adhésions à la F. R. F. sont reçues par M.Charles-Brun, délégué général, 22, rue Delambre àParis. G. C. ~~~ L’ÉCOLE DE FÉCAMP _________ Joseph Lefebvre ____ Dans l’Ecole de Fécamp, Joseph Lefebvre occupe une place bien à part. Né le 10 septembre 1861, dans la patrie de Jean Lorrain, où son pèreétait maître de bateau, il chercha quelque temps sa voie. Clerc denotaire à Fécamp, chez Me Bricard, puis marchand de moutarde à Rouen,il se mit ensuite « dans la couleur » et se fixa àSaint-Pierre-en-Port, jolie station cauchoise dont le « musée JosephLefebvre » est une des curiosités. Pendant vingt-sept années notre peintre mena de front l’art et lecommerce avec une égale âpreté, puis, en 1908, il se consacra toutentier à sa magnifique passion. Quand j’aurai dit que, fort lié, avec le journaliste et romancierfécampois Carolus d’Harrans, – sitôt enlevé à notre affection – il fitentre temps de la poésie, j’aurai terminé la biographie essentielle du« Peintre de Saint-Pierre-en-Port ». Au rebours de celle qu’emploie son jeune confrère Henry-E. Burel, dequi j’ai loué le talent ici même (1), la « forme » littéraire de JosephLefebvre est assez rigoureusement classique. Voici l’un de ses poèmes ;il n’est peut-être pas sans charme : A LA NEIGE Je te revois enfin, o neige que j’adore ! Et je salue en toi la reine de mon cœur. Par tes charmes conquis, mon esprit est rêveur : En mon âme je sens de nouveaux feux éclore ! Ta parure aux reflets si tendres, si suaves, A mes regards ravis, donne l’enchantement Qui fait renaître en moi des désirs palpitants : L’ivresse d’un amour exempt de toute entrave ! Quand le soleil te dore, en la plaine irisée, J’aime voir ton manteau se parer de rubis, J’aime l’azur si doux qui s’éveille en ses plis : Ta splendeur me séduit, mon âme en est grisée… Et je t’aime encor plus quand, des hautes collines Qui s’empourprent des feux langoureux du couchant, Ton ombre se profile en des reflets d’argent, Sur le vallon où brille un point d’or aux chaumines. Malgré ses essais de sculpture, qui lui valurent l’encouragement deGustave Michel, médaille d’honneur du Salon ; malgré la valeur parfoisréelle de ses fusains ; malgré l’intérêt souvent puissant de certainesde ses toiles qui enthousiasmèrent, me dit-on, mon confrère PierreVilletard, lequel les étudia une à une ; malgré l’intérêt offert parses dessins à la plume où mes préférences vont aux effets de neige,singulièrement émouvants presque toujours, – Joseph Lefebvre m’attiremoins comme « valeur d’art » que comme cas d’autodidactisme absolu. Hormis deux envois aux expositions de Toulouse et d’Angers, cet artisten’a jamais montré ses œuvres qu’au Salon des Indépendants (où l’uned’elles fut acquise par Masson-Forestier et figure actuellement aumusée de Colmar). Et, pour une fois, le titre de cette exposition n’apas menti – car nul peintre ne fut jamais plus libre que l’auteur du Christ mort de l’église de Saint-Pierre-en-Port. Joseph Lefebvre n’a pas eu un seul maître. Il n’a jamais reçu lesconseils d’aucun peintre. Depuis sa vingtième année il a travaillé sansrepos, avec passion, souvent depuis huit heures du matin jusqu’aucrépuscule, orientant ses recherches vers toutes les directions, sefaisant un métier très personnel, se confinant dans une ardenteadmiration de la nature, hors de tout contact, avançant au hasard parmiles splendeurs et les dangers d’une solitude intégrale. A peineentendit-il les discrets avis de Carolus d’Harrans – et si, parfois, ilaccrocha quelques toiles aux cimaises fécampoises, il ne se souciajamais outre-mesure de l’opinion de ses concitoyens. J’avoue que les erreurs sont nombreuses dans son œuvre – qui resteconsidérable –, mais comme je l’ai dit ailleurs (2), il est impossiblede ne pas constater qu’il fut souvent bien inspiré et bien servi parson métier – et qu’une sincérité profonde, jusqu’à atteindre lanaïveté, donne à quelques-uns de ses ouvrages une belle qualitéd’émotion. Il est à désirer qu’un choix sévère soit fait dans l’œuvre de JulesLefebvre et que, mise en valeur avec un peu de science et beaucoup depiété sur la petite plage qui l’inspira presque toujours, cette œuvreperpétue durablement l’existence laborieuse et très noble, en dernièreanalyse, du curieux homme qui restera le Peintre deSaint-Pierre-en-Port. Georges NORMANDY. _____________________________________________________________________(1) Voir Normandie N° 4 de juillet 1917. (2) La Maison Française (revue mensuelle, 16, rue de l’Odéon, Paris),N° de février 1918. ═════════════════ Le Fou ____ « Or, de mon piédestal d’empereur et de roi, « J’atteins au rang des dieux, grâce au Ciel qui m’honore. « L’Eternel, dégoûté de ce globe sonore, « Abdique et me confie et son sceptre et sa loi. « Peuples mortels et vifs, silence ! Ecoutez-moi ! « Je condamne les fleurs, la jeunesse, l’aurore, « Et retranche du sol tout ce qui fait éclore « La vie et ses douceurs, l’amour et son émoi. « Brûle, nature infecte ! Au néant, terre immonde ! « Toi qui me haïssais, je t’abolis, vieux monde, « Et je n’ouvre les cieux qu’à mes tendres Germains ! » Comme l’orgueilleux fou délirait de la sorte, Il voit soudain la Mort s’encadrer dans sa porte : « Camarade ! » fit-il, en levant haut les mains. Jean MIRVAL. ~~~~~~ NON ! ___ Confiance les gars ! Luttez, encore ! _________Du repos glorieux l’instant n’est pas venu. Courage ! hardi toujours ! que le front soit tenu Jusqu’au jour triomphal, jusqu’à la grande aurore. Eh quoi ! quand l’ennemi s’épuise follement, Se heurtant sans répit au front inviolable, Quand sa gloire en déclin se bâtit sur le sable, Quand l’Univers entier harcèle l’Allemand ; Quoi ! tandis que des mois et des mois de courage Ont brisé pour toujours ces efforts monstrueux, Quand tout va se tourner superbement contre eux, Vous voudriez cesser – quand la lutte fait rage ! Ah ! non ! non ! trop de sang déjà s’est répandu, Trop de morts maintenant sommeillent dans la tombe, C’est trop de deuils déjà, trop pour que l’on succombe Et pour que notre espoir soit à jamais perdu ! Le sang – mais le sang pur – c’est la grande semence Qui doit faire germer les rêves les plus beaux Et, ne l’oublions pas, c’est au seuil des tombeaux Que la gloire fleurit, que le bonheur commence… Ah ! jamais des guerriers n’eurent votre idéal Et jamais on ne vit ennemi plus immonde. Votre labeur sacré doit libérer le Monde. C’est le Beau, c’est le Bien luttant contre le Mal ! Puis songez, ô soldats à cette douce chose : Des milliers d’innocents à l’abri des périls Ce sont ces chers petits, vos descendants, vos fils, Songez dans la tranchée à leur phalange rose ! Du moins leur faible chair n’est plus pour le canon : Ils ne connaîtront pas comme vous la souffrance, Puis, en les protégeant, vous défendez la France… Si l’on vous dit : « Assez ! » vous répondrez tous « Non ! » Joseph BAYER (1) (1) L’auteur de ce poème, M. Joseph Bayer, fut un soldat de premierordre, comme il reste un patriote convaincu. Il a perdu le bras gaucheau cours de la campagne actuelle. On peut voir que cette glorieusemutilation ne lui a rien enlevé ni de son courage, ni de son vigoureuxtalent. N. D. L. R. ~~~~~~ Le Petit Barriquot Conte inédit _______ La mère Pasquet, célèbre dans le pays sous le sobriquet de laPasquette, ou comme mieux encore par son prénom : Julie, tenait uneauberge à l’entrée du bourg. La maison, située au croisement de quatreroutes, faisait de bonnes affaires, car tous les paysans d’alentourétaient obligés de passer par là pour se rendre aux marchés de laville. Et face d’un calvaire de granit, elle entr’ouvrait sa porteétroite et basse surmontée d’une brassée de gui, seule enseigneindiquant qu’on y vendait du cidre. A l’automne, quand on venait deremplir les tonneaux de boisson nouvelle, on remplaçait le bouquet del’année précédente par une gerbe toute fraîche de « vi de pommis (1) »sous laquelle pendaient quelques pommes enfilées en nombrecorrespondant au prix du « pot » de cidre ; et le gui se desséchait àla porte, à mesure que le pur jus « parait (2) » dans les fûts. Quand on entrait dans la salle de l’auberge, on respirait l’odeur ducidre renversé qui avait imprégné depuis des années le sol de terrebattue ; il s’y mêlait la forte senteur des oignons pendus aux poutres,le fumet de deux jambons voisinant dans la cheminée, l’arome du caféadditionné de chicorée qui bouillottait toujours au coin du feu. Sur l’un des murs, une tapisserie dans un cadre reproduisait le Viergede Lourdes, entourée d’un chapelet rapporté de la grotte miraculeusepar un client. De chaque côté pendaient deux grandes images égalementencadrées, représentant, l’une un superbe coq vernissé – surmonté deces mots : « Quand ce coq chantera, ici crédit l’on fera ! » ̶ l’autre une pompe au-dessus de laquelle on lisait : « Quandl’eau de cette pompe coulera, ici crédit l’on fera ! » En face deuxautres chromos figuraient, le premier un riche parvenu montrant soncoffre-fort plein de lingots ; le second un pauvre diable dans lamisère ; sur celui-ci était imprimée, cette phrase : « J’achetais toutà crédit ! » sur celui-là : « J’achetais au comptant ! » Au milieus’étalait le portrait du député de l’arrondissement ; et partout, deci, de là, il y avait des calendriers illustrés portant le nom d’unmarchand de vins en gros ou de quelque marchand de nouveautés de laville voisine. La cheminée était ornée de bouteilles d’eau-de-vie enverre dépoli ; l’une d’elles formait le buste du président de laRépublique ceint de son écharpe. Julie exploitait cette auberge depuis de longues années. Son mari, quibuvait trop volontiers avec les clients, l’avait laissée veuve de bonneheure. Elle était habile dans son métier et faisait fort bien lacuisine ; quand elle mettait un canard à rôtir dans la coquille, unepoule à mijoter dans le pot-au-feu, les moins gourmands en tiraient lalangue. Mais on mangeait peu chez Julie ; on y buvait davantage. Lescultivateurs qui passaient là dînaient chez eux en rentrant, ouprenaient leurs repas à la ville, s’ils s’y trouvaient attardés. Parcontre, le matin, lorsqu’ils s’en allaient pour vendre leurs bestiauxet que le froid piquait dur ils entraient à l’auberge, se réchauffer aumoyen d’un bon petit verre ; le marché terminé, ils s’y arrêtaient denouveau pour parler entre eux de leurs ventes. C’est que l’eau-de-vie de l’aubergiste était réputée dans la région.Tous les ans « elle faisait bouillir (3) » et d’énormes quantités deCalvados vieillissaient dans ses fûts. Elle avait même un fameuxtonneau de « blanche (4) » qui avait été distillé par défunt son mari.Cette eau-de-vie là, seuls, les vieux habitués de la maison laconnaissaient ; on ne la sortait que pour eux, et encore, dans lesgrands circonstances. Ils en demandaient un flacon lorsqu’ils étaientde belle humeur, après avoir vendu leurs bêtes un prix exhorbitant.Assis autour de la longue table de bois, ils sirotaient dans de petitsverres la « blanche » dorée par un long séjour en fût, ou bien ils labuvaient mêlée au café qui avait goût de fer-blanc et de chicorée. Julie devait bientôt se retirer. Un vieux parent, mort sans enfants,lui avait légué une masure située à cinq cents mètres de son auberge etc’est là qu’elle comptait habiter après avoir vendu son fonds. Mais,habituée au va-et-vient des clients, elle savait qu’elle aurait du malà vivre seule et retardait le plus possible la cession de son commerce,disant : - Je peux pourtant pas m’en aller, tant que le tonneau à défunt monmari ne sera point vide ! Car, elle n’aurait jamais voulu abandonner à d’autres la propriété decette eau-de-vie dont elle était si fière. Aussi l’économisait-elle.Les clients étaient obligés de se fâcher pour s’en faire servir. Elleessayait parfois de leur en donner d’autre à la place, mais ils ne s’ytrompaient pas. Julie, de jour en jour plus cassée, avait été obligée de prendre unepetite servante qui la grugeait et se moquait d’elle. Cela devenaitintenable ! Une bonne occasion de céder son fonds lui était offerte ;tout le monde l’engageait à en profiter. Mise à la raison, elle venditson auberge pour Noël. On était à la Saint-Michel. Jamais le tonneau ne serait vide ! Ellerésolut donc de garder « un peu de l’eau-de-vie à défunt son mari »pour offrir plus tard, chez elle, à ses amis. Elle possédait un petit barriquot d’environ quatre-vingt-dix litresqu’elle jugea propre à contenir sa réserve. Mais, comment letransporter sans payer de droits ? Car, elle ne voulait rien verser àla régie. Elle avait trop souffert de cette administration durant toutesa vie. Elle se souvenait des visites fréquentes des « rats-de-cave »pour lesquels il fallait entamer à contre-cœur, les meilleurs jambons,après qu’ils étaient allés fureter dans tous les coins, sonder tous lestonneaux pour voir si on ne leur cachait rien. Bien sûr, elle leur enavait caché le plus possible ! Mais elle n’osait pas filouterouvertement dans la crainte d’un procès qui aurait ruiné son commerce.Aussi s’était-elle promis de prendre sa revanche un jour et de faire àla règle une de ces farces dont on parlerait longtemps dans le pays. Les agents du fisc n’ignoraient pas l’existence de la célèbreeau-de-vie ; ils ne manquaient point d’en réclamer un verre àl’aubergiste chaque fois qu’ils passaient chez elle. La bonne femmeleur servait un fil-en-quatre quelconque qu’ils buvaient enconnaisseurs, tandis qu’elle haussait les épaules derrière eux. Leurtournée finie, le soir, en ville, ils racontaient à leurs amis qu’ilsavaient bu, dans un petit caboulot de campagne, un Calvados exquis.Pendant ce temps-là, Julie se gaussait d’eux avec ses habitués quidisaient d’un ton méprisant : - Faut-i qu’i n’y connaissent rin ! Justement, alors que l’aubergiste cherchait de quelle façon elle feraitdisparaître son barriquot, les employés du fisc entrèrent. Julie leurconfia ses projets de départ et la conversation vint sur la fameuse «blanche ». - Vous en reste-t-il beaucoup ? lui demandèrent-ils. - Pas mal « core ! » - Vous allez donc la céder à votre successeur ? - Pour « seur » que non ! - Pourtant, dirent-ils en tapant sur le tonneau, votre fût ne sera pasvide avant votre départ, même si les clients boivent ferme ! - Pour « seur » que non ! - Alors ? - Alors, c’est « mé qui la bérai ! Et vous n’aurez rin à y ver ! » Mais les hommes se regardèrent entre eux, flairant une ruse etentrevoyant déjà la prime qui leur serait octroyée s’ilsprenaient la Pasquette en fraude. Julie ne songeait pas à transporter son barriquot plein. Elle auraitété sûrement dénoncée. Tel qui se réjouit de voler le fisc s’empressed’envoyer une lettre anonyme sur son voisin qui le vole également. Elleraconterait plus tard, quand on ne pourrait plus la pincer, le tourjoué à l’administration. Jusque-là, il ne fallait se fier qu’à soi ! Elle fit d’abord emporter dans son futur logis le petit barriquot. Toutle monde put s’assurer qu’il était bien vide, car elle l’avait àdessein placé sur un camion à bras, le long duquel il roulait avecgrand bruit. Chaque soir, après avoir soigneusement fermé les rideaux de sesfenêtres, la bonne femme tirait un litre d’eau-de-vie, glissait labouteille sous ses cotillons retroussés et s’en allait, trébuchant dansla nuit, vers sa chaumière. Là, sans chandelle, pour ne pas attirerl’attention, elle versait le litre de « blanche » dans son barriquot.Elle savait si bien où il se trouvait qu’il n’y avait pas de dangerqu’elle se trompât. Quelquefois, des voisins s’étonnaient de la rencontrer si tard sur laroute. Elle leur expliquait : - Je vas m’assurer qu’il n’y a point de « goubelins (5) » autour de mamaison ! Souvent, elle trouvait à son retour des clients qui cognaient à laporte. Alors, en allant mettre sa bouteille dans un placard de peurqu’ils n’aient l’idée de la renifler, elle leur racontait qu’ellevenait de porter du cidre à un mendiant logé cette nuit-là dans sonécurie. Pendant trois mois, elle continua son manège. Elle y prenait un plaisird’autant plus vif, que l’appréhension constante d’être découverte luifaisait mieux apprécier la joie de l’impunité. Secrètement, elle sefélicitait de sa rouerie et la satisfaction qu’elle en éprouvait larendait si gaie, si alerte que tout le monde la trouvait rajeunie. Noël arrivait… Quelques jours avant, les employés de la régiesurvinrent. Ils avaient fait surveiller la Pasquette sans riendécouvrir. Elle les reçut avec un sourire malin et, après les avoirbien soignés, elle leur dit : - Je vous offre point de ma fameuse « blanche », car y en ai pus eunelarme. Ces messieurs eurent un mouvement de surprise. - Qu’en avez-vous donc fait ? demandèrent-ils. - J’lons pas donnée aux cochons ! J’lons bue, pardine ! Et sans vousinviter, core ! J’ons bi le drait de me saoûler tous les jours, saufvot’ respect ! » Le soir même, les deux hommes signalèrent le fait à l’un de leurs amis,employé des Postes, qui écrivait un ouvrage sur l’alcoolisme enNormandie. Marguerite GENDRIN. Reproduction permise à toute publication ayant un traité avec laSociété des Gens de Lettres. _________________ (1) Gui des pommiers. (2) Fermentait. (3) Distiller du cidre. (4) Calvados. (5) Esprits malfaisants. ~~~~~~ Un Honnête Homme UN ACTE EN PROSE (Suite.) ___________ GERMAIN. (Crescendo, parallèlement à Druard mais toujours trop calme.) J’en connais une, moi ! DRUARD. (Emballé.) Et je déteste toutes ces filles de cabaret qui empoisonnent la jeunessed’aujourd’hui. J’en ai toujours eu la haine et je m’en suis bientrouvé. Je ne connais qu’une doctrine, moi : le devoir, la femmehonnête réservée aux hommes honnêtes, la famille bien constituée, lapatrie puissante enfin… Et ce sont des femmes comme la tienne quiperdent l’honneur de la France !! GERMAIN. Taisez-vous ! J’en ai assez. DRUARD. Hein ? Tu veux imposer silence à ton père ? GERMAIN. (Trop étudié, sans l’impétuosité irrésistible qu’ilfaudrait.) … Je vais plus loin encore, (répétant assez textuellement ce qu’il apromis de dire durant la Scène I) ; « Mon père…., je vous défends demanquer de respect à ma femme. J’ai épousé Marguerite, et, de ce fait,elle s’est élevée à notre niveau social. Madame Druard fils a droit àtoutes les politesses et son mari est là pour le rappeler à quiconqueserait tenté de l’oublier. » DRUARD. (Reprenant sa serviette et étouffant d’indignation.) C’est bien… Je ne puis rester ici un instant de plus. (A Germain.)Monsieur, entre nous, il ne peut plus y avoir que des relationsstrictement commerciales. Je vous laisse à vos idées et à vos hontes,dans votre atmosphère de vice…. (Il sort violemment.) SCÈNE III LES MÊMES, MOINS DRUARD PÈRE. GERMAIN. (Très ennuyé.) C’est insensé, n’est-ce pas ?... Vous voyez… (Amer.) Ah ! elle estbelle la réconciliation ! RAYMOND. Il est d’une brutalité… et d’une grossièreté…. MARGUERITE. (Larmes silencieuses, voix basse.) Ne parlons plus de cela, voulez-vous ? GERMAIN. (Sans entendre.) Enfin, après tout… Il est honnête… Il est fidèle à ses principes… à saligne de conduite. Il est logique au fond… Mais…. RAYMOND. Comment ! tu vas l’excuser ? GERMAIN. Oh ! non, certainement. Pourtant… pourtant… Enfin, on est honnête ou onne l’est pas… Chacun a son point de vue… RAYMOND. Hein ? GERMAIN. Allons, comprends-moi bien, n’est-ce pas ?... Je ne vais pas te direqu’il a raison…, mais étant donnés ses préjugés, l’enseignement qu’il areçu, il a peut-être une excuse… RAYMOND. Laquelle tudieu ? GERMAIN. Mais ses préjugés eux-mêmes parbleu !... Certes, il a été incorrect…tout à fait incorrect… RAYMOND. Dis qu’il s’est conduit d’une façon sale : tu seras plus près de lavérité. J’ai rarement assisté à une scène aussi odieuse que… GERMAIN. (Interrompant.) C’est de mon père que tu parles, Raymond !... RAYMOND. Non… c’est de l’homme qui vient de sortir d’ici… Et je dis que, quelqu’il soit, l’homme qui s’est conduit comme M. Druard l’a fait tout àl’heure, l’homme qui s’est oublié jusqu’à insulter aussi lâchement etaussi bassement ta femme – je vais plus loin ̶ unefemme, ̶ je dis que cet homme-là n’est qu’un…. GERMAIN. (Bondissant et véhément.) Favier, je te défends d’outrager mon père ! RAYMOND. (Cinglant.) A la bonne heure !... Eh bien ! voilà comment tu aurais dû bondir quandton père… GERMAIN. (Déjà plus calme, interrompant.) Mais n’ai-je pas fait mon devoir ? N’ai-je pas dit ce que ma situationde fils me permettait de dire et ce que ma situation de marim’obligeait à dire ? RAYMOND. (A part.) « M’obligeait !... » (Haut). Si, mais… GERMAIN. Ne t’ai-je pas défendue comme je le devais, Marguerite ? MARGUERITE. Mais si, mon ami… Tu as fait ton devoir. (Voix blanche.) Tu as bienrépété à ton père ce que tu avais dit à M. Favier et ce que tu merépétais chaque jour… (Sanglots contenus) et je… t’en… remercie… GERMAIN. N’est-ce pas la vérité ce que je lui ai répondu ? RAYMOND. C’est la vérité jusqu’à la rengaîne ! GERMAIN. Eh ! bien ! alors, que me reproches-tu, toi ?... Marguerite ne mereproche rien, elle… Alors, je me demande ce que… RAYMOND. Pardon, pardon… Si tu veux rappeler un peu tes souvenirs, tut’apercevras que je ne t’ai jamais reproché quoi que ce soit. (A suivre.) Georges NORMANDY. ~~~~~~ ÉCHOS ET NOUVELLES _______ POUR LES BLESSÉS NORMANDS. Nous recommandons à nos lecteurs, l’Œuvre des blessés militairesnormands, en faveur de qui M. Roger Le Paumier, délégué des Normandsde Paris, fonde une bibliothèque. Que tous ceux qui disposent de livres et de journaux les offrent à noscompatriotes, victimes de la guerre. Il suffit de les faire parvenir àM. Roger Le Paumier, 19, rue, Falguière, Paris (XVe). ASSOCIATION NORMANDE EN INDO-CHINE. Les originaires des départements desservis par l’Ouest-Etat (Bretagneet Normandie), vivant en Indo-Chine, viennent de fonder une Associationamicale et de Secours Mutuels, qui désire se mettre en rapport avec lesgroupements Normands et Bretons de la Métropole. Ces groupementspeuvent s’adresser à M. Lelorieux, garde principal des Forêts, 53, rueNeyret, à Hanoï (Tonkin). CANAL PARIS-DIEPPE. Dans les derniers jours de mai a eu lieu à Paris, au siège de la Liguenavale, l’assemblée générale du Comité du Canal. M. Boischmann, l’ingénieur en chef chargé de la direction technique destravaux du canal, a fait l’historique des seize projets qui ont étéétudiés depuis Vauban jusqu’en 1869. En terminant, il a préconisé laréalisation de deux tracés, l’un par Gournay, Beauvais, Creil,Pontoise et Saint-Denis ; l’autre, par Gournay, Gisors, Pontoise ouConflans. Dès la fin de cette année, les études seront à point pourpermettre de soumettre un avant-projet au Parlement et de demander ladéclaration d’utilité publique. POUR LES PÊCHEURS. MM. Riotteau, sénateur et Dior, député de la Manche, avaient signalé àdiverses reprises au Ministre de la Marine, l’intérêt qu’il y aurait aupoint de vue du ravitaillement général du pays, à favoriser l’industriede la pêche par l’élargissement des règles concernant la concession dessursis aux pêcheurs. Le Ministre leur a répondu, qu’après étude de la question, il avaitadressé aux autorités maritimes locales, une circulaire qui prévoyaitles dispositions suivantes, destinées à donner satisfaction à leursdesiderata et à améliorer sensiblement le rendement de l’industrie dela pêche : 1° ̶ Les mesures prévues par la circulaire du 26 mai 1917,en faveur des marins pêcheurs des classes 1888 et 1889 sont étendues àceux de la classe 1890. 2° – Les inscrits maritimes de la catégorie H (âgés de 45 à 50 ans)pourront obtenir, désormais, des sursis pour la pêche quel que soit letonnage du bateau sur lequel ils doivent embarquer. Jusqu’à présent,les sursitaires de cette catégorie devaient pratiquer la pêche sur desbateaux jaugeant au moins 5 tonneaux. 3° – La concession des sursis de cette nature est étendue aux inscritsmaritimes âgés de 42 ans au moins et pères de 5 enfants ou veufs avec 4enfants. LA PÊCHE. Dans notre numéro de janvier dernier, nous signalions l’excellenteinitiative de deux Havrais, MM. Lefèvre et Pelfresne, qui, en pleineguerre sous-marine, n’avaient pas craint d’armer cinq chalutiers,contribuant ainsi de la façon la plus efficace au ravitaillement dupays. Nous apprenons aujourd’hui que l’un d’eux, M. Gaston Lefèvre, vientd’être élu président du Syndicat des Armateurs à la pêche ; ceux-ci nepouvaient faire un meilleur choix ; ils peuvent être assurés que leursintérêts sont en bonnes mains, leur nouveau président a fait sespreuves en maintes occasions, notamment au Syndicat des Imprimeurs duHavre, dont il est le président depuis de nombreuses années. PORT DE ROUEN. La Chambre de Commerce a fait une demande à la commissioninterministérielle de contrôle des chantiers maritimes pour que lestravaux de construction du ponton-grue de 60 tonnes soient classésd’urgence. L’ŒUVRE DU TOURING-CLUB DE FRANCE. Nous annoncions, dans notre dernier numéro, la constitution de la Fédération Normande des Syndicats d’Initiative, sous le patronagedu TOURING-CLUB DE FRANCE. Cette importante association qui a déjà rendu de si grands servicess’occupe activement, on le sait, de la conservation des Paysages deFrance. Au moment où il est question, dans un but économique, deremplacer le charbon par la houille blanche, une Commission mixte du TOURING-CLUB DE FRANCE et de la CHAMBRE SYNDICALE DES FORCESHYDRAULIQUES s’est réunie à cet effet. Cette dernière sera désormaispriée d’intervenir auprès de ses adhérents pour avoir connaissance pareux, de tout projet nouveau d’utilisation d’un cours d’eau, d’un lac oud’une chute. De son côté, le T. C. F. demande aux Fédérationstouristiques de lui signaler tous les cas analogues dont elles aurontvent. De cette documentation et de cette bonne volonté commune peuventrésulter les plus heureux effets pour la conservation du patrimoine debeauté de la France et sa conciliation avec les intérêts économiques duPays. D’autre part, il y a quelque temps, une intéressante réunion a eu lieu,à l’Ecole de Médecine, sous les auspices de l’OFFICE NATIONAL DUTOURISME, représenté par M. Fernand David, son président, et du TOURING-CLUB DE FRANCE, représenté par son vice-président, M. Defert, àl’effet d’allonger les saisons des stations balnéaires, thermales etclimatiques. Une conférence du professeur Albert Robin a prouvé scientifiquement quel’allongement de ces saisons à partir du mois de Mai et jusqu’à finOctobre offrait autant d’intérêt thérapeutique pour les maladeseux-mêmes que d’intérêt économique pour l’hôtellerie française, quipourra ainsi répartir ses efforts et ses ressources sur un plus grandnombre de mois. Comme suite à cette réunion et pour aider à cet accord entre le corpsmédical et le tourisme, le Touring-Club prépare une brochure qui seraenvoyée à tous les médecins de France pour les renseignerminutieusement sur les caractéristiques de ces stations et leurpermettre de ne les conseiller qu’à bon escient. Le T. C. F. a déjàenvoyé aux Fédérations du tourisme une lettre leur demandant de faireconnaître la liste de leurs stations climatiques, afin de constituer leplus tôt possible cet utile répertoire. NOTRE AGRICULTURE. M. Emmanuel Boulet, président du Syndicat agricole du Roumois, nouscommunique la note suivante : Les Sacs à superphosphate. – « Par suite de l’insuffisance desarrivages de matières premières et des difficultés de transports, lesmarchés avec les fabricants de sacs ne reçoivent qu’imparfaitement leurexécution, et d’après les derniers renseignements, il faut encores’attendre à une aggravation de la situation. « Il importe donc de récupérer dans sa clientèle, les sacs qui serontnécessaires à l’exécution des commandes d’engrais pour la prochainecampagne. Il est rappelé, à cette occasion, que les sacs ayant contenudes engrais peuvent généralement servir une deuxième fois si, lors deleur réception à l’état plein, ils sont vidés et battus à sec avec leplus grand soin ; il faut éviter de laver les sacs, car cette opérationaltère très rapidement la qualité de l’emballage. « Nous vous informons, dès maintenant, que nous accorderons à lacampagne d’automne une bonification de 2 fr. 50 par 100 kilogs pour leslivraisons de superphosphates faites dans les sacs fournis par lesacheteurs et rendus franco à nos usines. Il est bien entendu que lessacs devront être dans un état tel qu’ils puissent supporter lamarchandise. » Le Président du Syndicat engage les adhérents à employer judicieusementdes engrais en complément du fumier de ferme, afin de faire produireplus à la terre, en tirer plus de profit et répondre aux besoinsactuels dans la mesure du possible. En raison de la difficulté destransports, il les prie de lui remettre dès le mois de mai, ou au plustard le 10 juin, leurs commandes d’engrais pour l’automne, adressées àM. Emmanuel Boulet, à Bosc-Roger-en-Roumois (Eure), où il se tiendra àson bureau à la disposition des membres du Syndicat, les dimanches etlundis, de 10 à 11 heures et de 14 à 15 heures. Les engrais seront livrés aux plus bas prix possibles payables contreremboursement. Il serait avantageux que les adhérents desservis par unemême gare s’entendissent d’avance pour remettre au président leurscommandes groupées par au moins 5.000 kilos et les faire expédier aunom de l’un d’eux. Nouveaux Engrais – L’Académie d’Agriculture a entendu le mois dernierune communication de M. Miège, se rapportant à ses recherches sur unnouvel engrais phosphaté, aujourd’hui très employé en Italie. Cetengrais est mis en vente dans le commerce sous le nom detétraphosphate. Il se prépare en traitant du phosphate naturel, réduiten poudre fine, par des carbonates alcalino-terreux à la dose de 6 % eten chauffant en masse dans des fours spéciaux à 600°. Le produit estensuite humecté, puis mélangé à des matières inertes, jusqu’à obtentiondu titre de 20 % d’acide phosphorique. Plus de 500.000 kilos de ce nouvel engrais ont été utilisés l’annéedernière par l’agriculture italienne. D’autre part, les journaux agricoles italiens annoncent qu’un chimistede Legnano, le docteur Carlo Rossi, vient de découvrir un nouvelengrais dont l’emploi se fait d’une façon originale. Au lieu del’épandre ou de l’enfouir, on se sert de lui pour traiter les graines,avant les semailles. Le rendement de la production serait, paraît-il,accru de 25 %. SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE DE ROUEN. Dans une de ses dernières séances, la Société a décidé de reprendre ladistribution des prix qu’elle accordait chaque année, avant la guerre,en récompense de travaux et inventions intéressant les industries desrégions de la Seine-Inférieure. Il sera en plus créé un second prixpour l’introduction, dans les cinq départements de la Normandie, d’uneindustrie nouvelle, en activité depuis deux ans au moins. M. Lailler émet le vœu de voir créer, à l’Institut d’enseignementtechnique de Rouen, une école spéciale de filature et de tissage pourle coton et pour la laine. Ce vœu a eu l’approbation générale. NOTRE MÉTALLURGIE. La Société Normande de Métallurgie poursuit dans son usine du plateaude Colombelle, près Cen, la réalisation de son programme. La société qui dispose actuellement de deux hauts fourneaux, d’uneaciérie Martin, d’une aciérie Thomas avec laminoirs, de quatrebatteries de fours à coke, d’usines à sulfatation, à benzols et àgoudron, va entreprendre la construction d’un troisième haut fourneau,d’un train de laminoirs, d’un train pour tôles moyennes et des servicesgénéraux correspondants. Une nouvelle Société de métallurgie vient d’être constituée à Caen, 10,rue de Bernières, sous la dénomination sociale de « Forges et Aciériesde Normandie ». Le fondateur, M. Rebour, est déjà propriétaire de deuxusines : l’une à Puteaux, l’autre à Pont-d’Ouilly (Calvados). FÊTE DE BIENFAISANCE A YVETOT. Sous le patronage de la municipalité, une importante soirée debienfaisance a eu lieu le 26 mai, avec un succès éclatant. Notre collaborateur, Gaston Demongé (Maît’ Arsène), a obtenu unvéritable triomphe avec son émouvante conférence sur La Terre et lePaysan. Les jeunes amateurs du Groupe Théâtral Yvetotais et particulièrementMM. Berry, Carwald, Jean His, Eugène Carrey, Renté Duboc, PierreBastien, André Ambourg, Henri Hill (du Havre), Cécilien Renault (deFécamp), et plus particulièrement le fameux comique fécampois SéverinLair, furent couverts d’applaudissements. A l’issue de cette soirée, régionaliste à souhait, 600 francs ont étéremis, nous dit L’Abeille Cauchoise, au comité des Réfugiés d’Yvetot. LES ASSOCIATIONS NORMANDES. On nous demande fréquemment les adresses d’Associations normandes. Nousindiquons celles contenues dans les annuaires d’avant-guerre ; mais,depuis, des changements ont eu lieu. Pour éviter tout renseignementerroné, nous prions les secrétaires des Sociétés normandes à Paris, ouen Province, de nous faire part de tout changement survenu, ce qui nouspermettra de renseigner utilement nos lecteurs. ~~~~~~ Carnet de Route d’un Architecte (1) ____ Une Excursion à Rouen et au Havre en 1893 (Suite.) ______________ La ligne du chemin de fer passe par Harfleur, autrefois le principalport de la Normandie dont les fortifications commandaient l’embouchurede la Seine et qui resta longtemps sous la domination anglaise. Noustraversons le pays de Caux ; je m’attendais à voir les femmes de cepays la tête couverte de la fameuse coiffe cauchoise ; elles ne laportaient plus depuis longtemps. Du reste pendant notre séjour enNormandie, nous n’avons vu aucun costume paysan. Nous ne pouvons quedéplorer cet abandon des vieilles coutumes, des anciennes traditionsqui se sont encore quelque peu conservées en Bretagne, mais peut-êtretrouve-t-on encore quelques types particuliers chez les anciens de laBasse-Normandie. Après la station de Barentin nous franchissons unviaduc courbe de 500 mètres sur 33 de hauteur de deux longs tunnels deplus de 2 kilomètres. Il est près de neuf heures quand nous arrivons àRouen ; la nuit est descendue sur la ville, les maisons se sont ferméeset les rues sont redevenues silencieuses. Je m’éveillais de bonne heure le lendemain matin ; j’entendais dans larue le sabotage des paysans se rendant au marché et dans la cour lecaquetage des gens de l’hôtel qui commençaient leurs occupations. Pouroccuper mon temps, ne pouvant sortir sitôt, je fais l’inspection denotre maison ; elle est assez ancienne, on y remarque de jolies portesLouis XV, un escalier à barreaux tournés ; malheureusement, comme dansbeaucoup de vieilles maisons remaniées, on a couvert d’un enduit lesanciens plafonds à poutres et poutrelles, ce qui pourtant étaitinfiniment mieux que ces insipides plafonds en plâtre ; c’est ainsi quel’on croit être dans le progrès en dénaturant les œuvres du passé. En modifiant nos vieilles demeures, nous avons détruit le curieuxcaractère de nos anciens quartiers et sous prétexte d’hygiène, jeté parterre beaucoup de constructions intéressantes qui auraient pu êtreaménagées aux besoins du moment sans être dénaturée. Rouen, comme toutes les grandes villes qui s’agrandissent, quiétouffent dans leurs rues étroites, a perdu ainsi bien des merveilles,dont les débris se sont dispersés à tous les vents. En face de mesfenêtres, j’aperçois tout de même une vieille maison Renaissance, dontla façade en pans de bois ornée de carreaux de faïence a été conservéeintacte. Nous commençons notre tournée dans la ville par la Tour Jeanne d’Arc ;ce n’est pas celle où fut enfermée la Pucelle, mais elle y subit uninterrogatoire ; la tour que nous visitons est ce qui reste d’unchâteau-fort construit sous Philippe-Auguste, en 1214, après la reprisede la ville aux Anglais. M. Dufaure, l’architecte départemental, l’a très heureusement restauréeen rétablissant les chemins de ronde et les tours en charpenteau-dessus des machicoulis. La salle, basse ainsi que celle au-dessus,sont voûtées en arc d’ogive ; celle-ci, ornée d’une belle cheminée. Aucentre de chaque étage est pratiquée une ouverture, par laquelle semontaient les munitions. Autour de la salle supérieure règne le cheminde ronde donnant accès aux défenses extérieures. Le Palais de Justice, où nous allons ensuite, est un des monuments lesplus remarquables de la ville. Il fut construit à la fin du XVe sièclepar les architectes Roger Ango et Roland Leroux, pour y recevoir leParlement de Normandie et seulement terminé dans le cours du XVIesiècle ; l’aile droite a été construite de nos jours, mais dans lestyle du monument. Le bâtiment central est la partie la plus belle detout l’ensemble ; sa tour octogone est un modèle d’élégance et seslucarnes d’une grande richesse de décorations ; avec les arcs qui lesréunissent, c’est une véritable dentelle de pierre qui couronne cetédifice. C’est dans l’aile gauche que se trouve la grande salle desProcureurs, longue de plus de 50 mètres sur 16 de large dont l’immensevoûte en bois comme la coque renversée d’un navire, fait l’admirationde tous les visiteurs ; ses murs sont ornés de jolis fûts sculptés, deniches et de balustrades d’un beau style. La salle des assises, dansl’aile droite possède un plafond en bois à caissons, d’un travailextrêmement remarquable. Dans la salle des audiences solennelles, unplafond peint par Augé, le Triomphe de la Justice et deux tapisseriesdes Gobelins d’après des cartons de Raphaël : l’Indulgence et la Justice. Nous repassons sous la voûte de la Grosse Horloge ; la tour qui lui estadossée, est l’ancien beffroi, construit à la fin du XIVe siècle,restauré depuis peu. La voûte du passage est décorée de sculptures oùl’on remarque le Bon Pasteur avec le mouton des armoiries de la ville.Le bas de la tour est orné d’une belle fontaine Louis XV et une grandeniche où se voient Alphée et Aréthuse. De l’autre côté, l’ancien hôtelde ville du XVIe siècle. (A suivre.) Charles CHAUSSEPIED, _____________________Architecte des Monuments historiques, àQuimper. (1) Voir n° 13 de Normandie. ═════════════════ La Race, revue régionaliste, 154, rue Paradis, Marseille, publie, cemois, un numéro exceptionnellement intéressant. Notons au hasard : «Monsieur Augagneur n’a pas compris », signé Un Député. « La Croix RougeAméricaine », de Dudley Ellis. « Le Régionalisme en Provence et dansles autres Provinces et le Régionalisme Economique », formant un touttrès intéressant. En vent partout, 0 fr. 40. Envoi franco domicile. ___________ On nous annonce pour juin un numéro des « Fleurs d’Or »particulièrement important. Louis de Gonzague-Frick, G. A. Masson,Waldemar George, Berthe de Nyse, Fernand Demeure, Maurice Rocher yferont l’éloge de J. A. NAU et ANDRE GODIN. Le tirage devant êtrelimité, retenir dès maintenant un spécimen contre la somme de 1 franc,adressée, 12, boulevard Joseph Garnier, Nice. ___________ L’INTERVENTION AMÉRICAINE, de Henry-Loustan, est une fine comédie qui aobtenu un succès très mérité sur une scène marseillaise, où elle a étéjouée deux fois cet hiver. A la lecture, la pièce est trèsintéressante. On peut se procurer cette brochure au prix d’un franc,dans les kiosques et librairies, par les soins des MessageriesHachette. Cette petite comédie est tout indiquée pour les Salons et lesHôpitaux où elle fait passer 25 minutes de folle gaieté. Envoi francoen s’adressant au bureau de la « Race », 154, rue Paris, à Marseille. ___________________ Le Gérant : MIOLLAIS. _________________________________________________________ IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur. |