Vers uneAction Normande
(Suite.)
LES REMÈDES
2° - Nos « Objectifs ».
Tous les peuples sont aujourd'hui sur les sommets.
Allons-nousredescendre ?
LLOYD GEORGE.
J'emprunte, à dessein, au langage militaire de la guerre, cetteexpression « nos objectifs » connue maintenant du dernier de nos poilus.
Tous ceux qui ont vécu en secteur, pris part aux opérations offensivesselon la méthode mise au point par le général Pétain, savent que, sanspréparation poussée jusqu'à la minutie, sans « plan d'engagement »patiemment réalisé, sans objectifs connus de tous ceux qui devaientsortir des tranchées à l'heure H du jour J, on risquait le « bec de gaz», le fatal et sanglant bec de gaz ! N'en va-t-il pas de même, ausurplus, de toute entreprise humaine ? Plus la tâche est difficile,plus les objectifs sont lointains, plus il faut pousser à fond l'étudeet la mise au point du plan directeur.
Que voulons-nous réaliser ? Jusqu'où voulons-nous aller dans la voiedes réformes, au moyen de l'action envisagée ? Quels seront nos «objectifs » et comment les atteindre ? Loin de nous la penséetéméraire, immodeste, de présenter dans les lignes qui vont suivre unplan d'action auquel rien ne manquerait et qui serait dressé
nevarietur ! Une enquête doit clore ces aperçus, qui sollicitera lescritiques, les conseils de chacun, en vue de faire l'union nécessairesur le programme minimum.
Les résultats de cette enquête seront d’un puissant intérêt pourarrêter les directives devant servir de guide aux groupements régionauxde Normandie.
Mais quelque grand que soit notre désir de faire des sacrifices à cetteunion sacrée, dont l'esprit nous anime — et nous en avons donné, cheminfaisant, des preuves multiples — il en est que nous ne pouvonsconsentir sans compromettre l'assise même de l'œuvre à entreprendre. Lemoment est venu pour nous de dire ce que de longues réflexions mûriesdans les abris de la terre de France, au bruit douloureux du canon deVerdun, de la Somme et de l'Aisne, nous ont amené à considérer commeessentiel à la renaissance nationale ; ne pas donner ces sévèresconclusions franchement, sans ambages, serait plus qu'une faiblesse,une lâcheté de caractère, à laquelle nous nous refusons.
Eh bien, si nous voulons sincèrement, énergiquement, que le paysrenaisse, il faut réaliser sans retard tout ce qui suit :
I. — LA RACE
ne reprendra force et vigueur que si :
Rompant avec une tradition qui ne connaît que l'individu, nous faisonsenfin dans nos mœurs et dans nos lois à la seule vraie cellule sociale,LA FAMILLE, la situation nettement privilégiée à laquelle lui donnentdroit les devoirs qu'elle a à remplir et les lourdes charges qu'elle aà supporter. (Emplois aux fonctions publiques, appointements etsalaires plus élevés, dégrèvement d'impôts, de loyers, logements aéréset spacieux, jardins y attenant, semaine anglaise, gouttes de lait,garderies, crèches, etc.),
le privilège s'accroissant avec le nombred'enfants.
Elargissant le DROIT DE TESTER, on permet au père de famille, sanstoutefois rompre l'égalité dans les partages, d'assurer entre les mainsde celui de ses enfants qu'il jugera le plus apte, la survivance et ledéveloppement du domaine petit ou grand, agricole, industriel oucommercial qu'il aura créé.
Rayant d'une main ferme LES BOISSONS ALCOOLIQUES de la carte dudébitant qui devra se contenter du « pinard » et des bons crus deFrance, nous réglons pour toujours, en tranchant dans le vif, une desquestions les plus irritantes, j'en conviens, mais les plus graves del’après-guerre.
Organisant la CULTURE PHYSIQUE, on en rend l'enseignement obligatoiredans tous les établissements scolaires.
Réalisant enfin la lutte contre la misère et les maladies, on se décideà faire dans nos lois une plus large place aux règles D'HYGIÈNEPUBLIQUE (suppression progressive des quartiers malsains, des maisonsinsalubres, mesures de prophylaxie, colonies de vacances en montagne età la mer, sanatoria, etc).
Resserrant les liens du mariage (au rebours de ce qu'on a fait depuistrente ans), on ose renforcer l'institution et notamment modifier laloi sur le divorce et rendre ce dernier exceptionnel (1).
Dédaignant les inévitables clameurs des mercantis ou des dilettantimaladifs de L'ART ET DE LA LITTÉRATURE (ces pires ennemis du Vrai, duBeau, du Bien), on assainit la scène, le cinéma, les publications, enfaisant notamment la guerre aux « cochoncetés », pour parler commeSainte-Beuve.
Se décidant enfin, et surtout à ne pas plus longtemps vouloir ignorerquels auxiliaires précieux sont, en démocratie, les éléments de forcemorale et spirituelle, on met un terme aux luttes religieuses eninscrivant courageusement dans les lois, dans les programmesd'instruction, les mots de : BIENVEILLANCE ACTIVE A L'ÉGARD DES CULTESpratiqués en France... Bienveillance au lieu de neutralité, toutes lesneutralités (surtout les malveillantes) sortant à jamais flétries duconflit mondial !
II. — LE RÉGIME
ne nous donnera le gouvernement qui gouverne réclamépar tous, mais que bien peu parmi nos élus cherchent sincèrement,qu'autant que nous aurons fait le nécessaire pour : «
Boucher le troupar en haut » en donnant à un Président de la République désigné parles grandes assemblées régionales, professionnelles et corporatives,des pouvoirs qu'on ne refuserait pas à un directeur d'usine, en faisantde lui un chef, une tête, gouvernant par des ministres choisislibrement, responsables devant lui et pouvant avec compétence,tranquillité et continuité, accomplir de grands travaux ou réaliser delongs desseins ;
Rendre incompatibles les fonctions de ministre et deparlementaire, la section devant être nette entre l'exécutif et lelégislatif ;
Créer une
Cour suprême composée de magistrats parvenus au terme deleur carrière, n'ayant plus rien à espérer, avec mission de veiller aurespect scrupuleux, par tous sans exception, des loisconstitutionnelles ;
Donner mission à un
Conseil législatif (2) de préparer, d'accord avecles assemblées professionnelles intéressées, les projets de loi àprésenter aux Chambres ;
Réaliser le Programme de la Fédération Régionaliste de France, publiédans le numéro d'août 1917 de cette Revue..., et non pas le timideprojet qui vient d'être rapporté par M. Henessy ;
Perfectionner « cet instrument grossier qu'est notre suffrageuniversel (3) », et ce, en fonction de la valeur morale, sociale dechacun... A chacun selon ses œuvres ! (Scrutin élargi, vote familial,vote professionnel) ;
Permettre par une
réforme prudente de l'enseignement, aux élites detous les milieux de se manifester et de donner tout ce dont elles sontcapables sans être arrêtées par des questions pécuniaires.
III. — LE MONDE AGRICOLE
ne verra s'arrêter l'inquiétant exode descampagnes, le retour à la terre ne deviendra une réalité de demain quesi le Pouvoir central, satisfaisant aux vœux formulés par les voixautorisées des régions, protège, développe intelligemmentl'agriculture, l'aide à accroître et à exploiter selon les procédésmodernes, des richesses que chacun sait incomparables. Le sage et docteM. Henri Blin, dont je sollicite les conseils, les rectifications,permet-il à mon incompétence de se risquer à dire qu'il faut, enmatière agricole :
Assurer, par l'école primaire transformée d'abord, par desconférences et surtout des expériences et travaux pratiques ensuite, unenseignement très complet, approprié à la Région, répandu jusque dansles petits villages ?
Mettre, en conséquence,
le cultivateur sans cesse au courant desdécouvertes nouvelles, des méthodes de culture
les plus avantageuseset les plus propres à obtenir une meilleure utilisation de tel ou telsol, une culture plus intensive ?
Faire connaître les mérites de l'association : Syndicats,Coopératives, Sociétés de crédit d'assurances, Mutualités, Groupementsde défense et d'achats en commun ; puis susciter la création de cesassociations en répandant des modèles de statuts ?
Créer des centres d'analyses avec terrains pour travaux pratiques ;peupler ces centres d'hommes... également pratiques et sachant se fairecomprendre et aimer du paysan ?
Combler les lacunes de l'Enseignement régional actuel (Écoles ouCours d'industrie laitière, fruitière, fromagère, etc. (4) ?
Voter une
loi accordant une indemnité au fermier sortant pourplus-value donnée à la ferme. ?
Remédier, par des mesures sociales variant avec la Région, à la crisede la main-œuvre (placement direct par syndicats mixtes d'ouvriers etde patrons, logements améliorés, jardins ouvriers, crèches et garderiesd'enfants, etc.) ?
IV. — LE DOMAINE INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
appelle un labeur immense,de nature à faire reculer les plus rudes à l'ouvrage. Nous avons ditnotre alarmante situation d'avant-guerre ; or, la lutte que nous imposal'Allemagne fut toute industrielle. Elle exigea, en France, du commerceet de l'industrie, un effort auquel ces derniers auraient succombé sansles secours venus de nos alliés.
Notre situation sur la carte, les événements, les impitoyablesconcurrences de ce siècle de fer, sont tels que nous devons demain,sous peine de renoncement, de suicide, soutenir la lutte économique. LaRépublique « athénienne », dont nous jouissons, nous y a mal préparés.
Ne condamnons pas la culture générale et les études classiques, maisrenonçons à l'irréalisable et folle entreprise d'en vouloir, à touteforce, faire bénéficier le nombre ! Ce qu'on gagne en étendue, on leperd en profondeur ; et Dieu sait si le niveau des études classiques abaissé depuis quelque vingt ans ! Réservons ces études à l'élite (etj'entends par là les intelligences supérieures de tous les milieux) ;cultivons jalousement cette élite, « il jardinetto », comme disent lesItaliens, mais veillons à ce qu'elle reste bien une élite morale etintellectuelle.
Tel fera de mauvaises humanités, qui deviendra un commerçant actif etentreprenant.
Suscitons les vocations industrielles et commerciales,créons l'enseignement capable de nous façonner l'ingénieur, lechimiste, le négociant, le chef d'industrie ou d'usine, le voyageur decommerce, voire même le chef d'atelier ou de chantier qui seront lescadres indispensables de cette autre armée de demain.
Que notre méthode d'enseignement se préoccupe davantage de découvrirles aptitudes, qu'elle spécialise les compétences. Oh ! je sais quellesfurieuses batailles on a livrées autour de ces mots : Spécialisation del'enseignement ! Mais en cette matière, comme en beaucoup d'autres, lavoix des extrémistes a couvert celle des sages. Il n'est pas questionde remplacer, chez nous, par une spécialisation à l'allemande, cetteculture générale qui est l'un des plus beaux titres de l'enseignementfrançais : Rehaussons seulement le prestige de cette culture endiminuant le nombre de ceux qui s'y adonnent ;
restituons àl'industrie et au commerce nationaux les sujets idoines, etspécialisons-les selon leurs aptitudes ; c'est à ce prix que nouspourrons affronter la lutte économique qui suivra fatalement la crisemondiale. N'allons pas jusqu'à faire comme le kaiser qui dut intervenirpersonnellement auprès des facultés allemandes pour imposer la paritéentre les titres universitaires et les diplômes industriels etcommerciaux, mais honorons et favorisons ces derniers.
Au cours mêmede la guerre, l'université d'Edimbourg a créé un diplôme de bachelierdu commerce. Inspirons-nous de cet exemple.Dans la Région reconstituée, développons l'enseignement professionnel,faisons revivre l’apprentissage et que cet enseignement soit vivant,pratique, en relations suivies avec les centres concurrents del'étranger.
Là encore, adoptons les méthodes nouvelles de travail, despécialisation. Je me rappelle avec quel émerveillement un de messergents, retour d'une permission passée à La Rochelle, je crois, meparla de l'art consommé que les Américains mettaient à monter leurslocomotives. Les Machines arrivaient en pièces détachées, soigneusementemballées et numérotées ; des ouvriers familiarisés avec ce nouveau «puzzle » parvenaient en quelques heures à mettre sur rails le monstrevenu de l'autre côté de l'Atlantique. Aucune manœuvre n'était faiteinutilement, aucune minute n'était perdue, tant les mouvements dechacun étaient bien réglés. Et cet autre qui « n'en revenait pas » dechaudières, de réservoirs immenses, rivés à l'électricité, par deséquipes travaillant jour et nuit, achevant en soixante-dix ouquatre-vingts heures ce que nous, Français, nous mettions quinze joursà exécuter avec les bons vieux procédés que l'on devine !
Il faut, en outre,
rendre confiance au capitalisme français, ens'inspirant des idées développées par Lysis dans deux livres écritspendant la guerre :
La Démocratie Nouvelle, et
Pour Renaître,c'est-à-dire en substituant à l'idée néfaste de partage celle deproduction.
Il faut en même temps
permettre au travail, qui renferme plusd'éléments sérieux qu'on ne le croit généralement,
de coopérer en uneatmosphère de confiance réciproque avec le capital. Dans la mesure oùil sera possible d'associer le travail au succès de l'entreprise sansqu'il puisse toutefois prétendre la diriger, favorisons cettecollaboration. L'élite du monde du travail, assagie par les risques deperte pécuniaire qui en découleront, fera ainsi une éducationprofitable dont ne pourront que bénéficier patrons et ouvriers.
Au point de vue social, la France est à la croisée des chemins. Troisroutes, a dit Georges Valois, s'offrent à elle : Individualisme,Socialisme, Syndicalisme. N'hésitons pas ; rejetons les deux premiers :l'un comme stérile et anarchique, l'autre comme antifrançais,d'ailleurs faux, et manifestement contraire aux véritables intérêts denotre prolétariat (5).
Engageons-nous dans la voie syndicaliste ; transformons en largeavenue le sentier timidement tracé dans notre législation par la loi de1884 et donnons d'abord au Syndicat, avec la responsabilité effective,la faculté d'acquérir et de posséder. C'est le bon chemin, et pour lepatron et pour l'ouvrier. Celui-là y gagnera en dévouement, enrendement ; celui-ci réalisera, par ce moyen, dans l'ordre et dans ladignité, ses aspirations légitimes, tant au point de vue matériel(hygiène, logement, salaires, etc.), qu'au point de vue moral(éducation, culture intellectuelle).
L'Angleterre, l'Amérique, l'Australie, pays réalistes et pratiques,ont, par le syndicalisme, assuré la prospérité et le confort d'usineset de logements ouvriers qu'on cite toujours en exemple à notre vieuxmonde. Comme certains industriels hardis, doués d'initiative, l'ontfait spontanément an cours de la guerre (les Citroën pour ne citerqu'un nom), aiguillons les esprits dans cette voie. Renonçons surtoutaux discussions nettes et irritantes sur de prétendus principes «intangibles et sacro-saints » qui n'ont jamais servi qu'à enrichir lesmeneurs et les parasites : voyez politique alimentaire !
Pour résoudre les inévitables conflits entre le Capital et le Travail,de tout notre cœur, avec le sincère désir d'aboutir, étudions lacréation de
Conseils de Patrons et d'Ouvriers, ou de tous autresorganismes propres à prévenir les grèves avec leur cortège de haines etde misères. Ceux des lecteurs de
Normandie qui ont feuilleté quelquesrevues anglaises et américaines durant ces derniers mois, auront pu serendre compte de l'effort accompli chez nos alliés pour tenter deprévenir dans l'avenir ces conflits et de leur donner une solutionéquitable et pacifique.
Enfin, il faudra recourir aux
groupements d'industriels et decommerçants. L'idée sera difficilement accueillie par certainscerveaux qui en sont encore à l'individualisme intransigeant de lagrande révolution. Elles seront pourtant nécessaires, ces ententes,pour lutter contre l'industrie étrangère, assurer la stabilité descours et régler la production. Trusts et cartels, à condition d'en useravec à-propos, sont susceptibles de rendre de grands services pourdéfendre une industrie, un produit sur les marchés mondiaux ; on a été,jusqu'ici, trop rebelle à ces idées en France.
Faut-il rappeler ici les premières impressions des ingénieursaméricains venus pour jeter les bases de la belle organisation que toussont contraints d'admirer sans réserves ?... « Les Français ont desvues courtes, égoïstes,
ils ont l'effroi des ententes, ils voient «en épicier »
Mais pour que tout cela puisse se réaliser, il faut que notreBureaucratie de « fossile » cède la place à des
Ministères d'Hommesd'affaires ayant dirigé de grandes entreprises, des usines, desmanufactures ; il importe que ces hommes restent, en outre, constamment
en relations avec les organismes corporatifs régionaux peuplés desmêmes hommes d'initiative et de compétence éprouvée (6). Il faut enfinque tous ne connaissent d'autre politique que celle qui consiste àaccroître sans cesse les richesses industrielles et commerciales dupays.
Il est à peine besoin de rappeler après tant d'autres que commecorollaire à tout ce qui précède, il faudra
doter nos ports d'unoutillage un peu moins 1830, mettre nos voies de transport par terreet par eau en mesure de répondre aux nouveaux besoins des régions,
refaire notre marine marchande (la Hamburg Amerika Line, malgré lespertes de la guerre, reste la première Compagnie de navigation du monde!) Puis nous assurer aux lointains pays, où se négocient lesfructueuses affaires, une
représentation consulaire jeune,entreprenante, largement dotée de moyens d'action et s'occupant un peumoins de littérature, mais un peu plus de commerce et d'industrie !
Voilà très en gros, certes, mais il me semble sans équivoque dans lesdirectives, ce qu'à mon sens nous devons réaliser, si nous voulonssincèrement renaître.
Que la France n'ait pas le courage de faire tout de suite cet effort etelle aura laissé passer une de ces heures qui ne se représentent pasdans la vie des peuples ! Qu'on médite bien ces problèmes :Reculons-nous devant la tâche, formidable, j'en conviens ? Le payscesse,
ipso facto, d'occuper, dans le monde, la place de Nationpacifique, mais forte, que nous imposent notre nature, nossensibilités, aussi bien que les réalités ethniques et géographiques.
Très en gros, ai-je dit ?... En effet, chacune des questions effleuréesdans les pages qui précèdent donnerait à elle seule matière à de longsdéveloppements. Ce sera la tâche que s'imposeront, je veux le croire,les lecteurs de
Normandie ; il faut que les hommes qualifiés del'agriculture, du commerce, de l'industrie, apportent le concours deleur expérience et leurs sages conseils. Ce sera l'œuvre, enfin, desCentres d'Action Normande à la création desquels tendent ces études.
(A suivre.)
G. VINCENT-DESBOIS.
NOTES :
(1) Les statistiques démontrent que les divorces, sans cesse plusnombreux, deviennent un véritable péril pour la société. Cependant desesprits qui passent pour avoir un certain crédit auprès de l'opinionparlent encore d'en fendre l'obtention plus facile !
(2) Ou au Conseil d'Etat.
(3). Planiol, professeur à la Faculté de Droit de Paris :
Précis deDroit civil, tome I.
(4) Consulter les études spéciales et documentées publiées ici même parM. Anoyaut.
(5)
Antifrançais, puisque se réclamant du juif allemand Karl Marx,dont les sentiments « germains » et hostiles à notre nationalité ontété révélés au cours de cette guerre ;
faux, puisque reposant sur uneconception tout à fait erronée de la valeur et faisant dépendrel'amélioration du sort du travailleur d'une idée de partage, alors quec'est avant tout une question de production ;
funeste enfin,puisqu'elle mène à la lutte de classes, à l'Internationalisme àl'allemande, à Berne, à Kienthal, à Zimmerwald
(6) Chambres Syndicales, Chambres de Commerce, constituent desarmatures qu'avec un peu de volonté on peut faire sortir de leurrelative léthargie et transformer en organismes vivants, actifs,influents.
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Régionalisme et Enseignement
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Aux jours de l'armistice, paraissait un livre riche d'ardentes résolutions :
L'Université nouvelle,par les Compagnons (1). Il convient d'admirer, et d'en tirer leçon,l'exemple de ces jeunes universitaires qui, au milieu des combats commedans la boue des tranchées, ont eu, au cours de cette longue guerre, lesouci de méditer sur l'œuvre à accomplir, dès que les armes tomberaientdes mains des soldats. Ils avaient cette nette compréhension qu'ilfallait, sans attendre, songer à organiser les méthodes et lesenseignements par lesquels serait assurée la sauvegarde de l'âmefrançaise. Avec enthousiasme, ils ont dressé le cahier desrevendications par lesquelles ils entendaient préparer les esprits dela jeunesse pour les tâches nouvelles : La France ayant, aprèsl'hécatombe, besoin d'une élite, il allait falloir la lui discerner ;nos industries devant s'accroître, il allait falloir leur préparer desouvriers, des contremaîtres et aussi des directeurs hardis ; l'œuvre del'Université ne devait plus être séparée du labeur quotidien de lanation, mais y collaborer intimement pour le diriger dans le sens leplus utile. Car le besoin de l'heure, c'est produire : produire pourque meilleures soient les conditions de la vie.
Ainsi,ces éducateurs, au spectacle tragique et sous la leçon de lasouffrance, se proposaient comme but, non de recommencer à suivreégoïstement le sentier d'avant-guerre, humble et borné, mais d'élargirles routes et de planter les arbres de sciences au long de vastesavenues, remplies de clarté. En transformant, en modifiant lesinstitutions vieillies, ils entendent lier l'enseignement à la vieéconomique du pays, pour que dans la démocratie qui s'organise chaqueindividu soit mis à même de fournir à la société toute sa capacité.
***
L'individuy fut jusqu'ici impuissant, car une centralisation outrée détournaitses efforts. Le vice de l'ancien système est là, dans cette «alternance tragique entre une centralisation excessive : qui appauvritles régions comme les individus et cette anarchie égalitaire, qui estau fond une révolte illusoire contre cette centralisation même etn'aboutit qu'à l'émiettement des forces ». D'un côté, Paris où sedécrètent budgets, programmes uniformes ; où les mêmes écoles attirent,pour les surchauffer, les candidats aux concours ; où règnent lesBureaux, les Conseils, les Inspecteurs qui considèrent la France commeune abstraction. De l'autre, l'anarchie universitaire : des catégoriesd'enseignement compartimentées ; aucun groupement à visées larges versune foi, une religion nationale ; pas de lien entre les élèves d'unmême enseignement ; entre les élèves et les maîtres ; entre les maîtreset les parents. La nécessité apparaît donc de constituer entre l'Etatomnipotent et centralisateur, et les citoyens isolés et impuissants, unmoyen terme qui associe ces éléments épars : Ce sera l'association desintérêts professionnels. Voilà ce que vont réaliser « les Compagnons »,l'organisation corporative dans chaque région. Comme ils le déclarent,c'est le fruit et l'enseignement de la guerre. Ce que celle-ci a eneffet appris à ceux qui l'ont vécue, c'est la nécessité et la féconditéde la coopération et de la concentration des énergies ; assez donc dece passé d'
a priori et decentralisations administratifs ; que naisse un organisme vivant ! « Ily a là sous nos yeux un peuple qui tressaille, qui sent enfin craquer,dans la bourrasque de la guerre, les vieilles cloisons, qui ne demandequ'à vivre, à vivre partout où il est, partout où il trouvera un champ,une mine, une forêt, un fleuve. Nous sommes les amis de la vie, nousvoulons vivre, préparer la vie, organiser la vie. Notre ordre nouveaune se construira pas sur des compartiments universitaires, sur descatégories d'enseignements primaire, secondaire ou supérieur. Nousl'édifierons-sur la région, sur chaque morceau du sol français.Décentralisation et groupements provinciaux. Abattons les anciennesbarrières et cherchons des liens nouveaux. Les forces montent de laterre. »
***
Le moyen de réaliser cette réforme est d'assurer au Français dans l'
école unique l'éducation de
toutes ses facultés.Dans un régime démocratique, l'enseignement doit tendre à tirer de toutindividu le meilleur rendement. Il est indispensable, en effet, quesoient révélées les intelligences et les énergies pour que tousproduisent et pour que les meilleurs gouvernent dans l'intérêt de tous.La conséquence logique est donc l'instauration de l'enseignementunique, remplaçant les cloisonnements de primaire, secondaire etsupérieur. A la base, l'école unique qui « acheminera d'une partl'élève aux humanités, d'autre part à l'enseignement professionnel quitous deux se rejoindront dans l'enseignement supérieur ».
Cetenseignement unique sera adapté à la région. « On est de sa province,comme on est de son siècle. S'il est folie de ne pas préparer lesenfants à la vie actuelle, il l'est tout autant de ne pas les préparerà la vie régionale. Puisqu'on vit, puisqu'on travaille autrement dansle Nord que dans le Midi, sur la côte que dans la montagne, il faut quel'enseignement, à tous les degrés, soit de la couleur du ciel et dusol, qu'on y sente la présence de la vigne ou celle du charbon, qu'on yrespire ici l'odeur de la mer, là celle de la forêt ou du pâturage. Etceci va très loin. Il s'agit non seulement de faire connaître la régionà l'écolier, d'ouvrir toutes grandes les fenêtres de l'école sur lepaysage ; il s'agit encore d'établir, entre l'enseignement et lesforces de la région, ce double courant de vie qui permettra à l'écolede fleurir sur son terroir, à la région de recueillir les fruitsqu'elle aura fait mûrir. Vrai surtout pour l'école technique et laFaculté, ce principe l'est aussi pour l'école unique, dont le stade,étendu jusqu'à quatorze ans, comprend déjà un enseignementprofessionnel. » Il y aura collaboration de la sorte entre l'école etles activités régionales de l'industrie, du commerce ou del'agriculture.
Cet enseignement unique se proposeral'éducation de toutes les facultés ; il faut faire des hommespleinement productifs, c'est-à-dire équilibrés. Il cultivera donc lecorps par des exercices appropriés, par les sports ; la volonté parl'entraînement à l'initiative ; l'esprit, en acheminant chaque élève,suivant ses aptitudes diverses, vers son avenir propre. Jusqu'à treizeou quatorze ans, l'école unique assurera ainsi la formation physique,intellectuelle et morale de tous les enfants. A partir de treize ouquatorze ans, suivant la valeur de ses facultés, l'enfant ou bien seradirigé vers l'apprentissage d'une profession manuelle, ou bien recevraune culture générale. Quant à l'enseignement supérieur, il aura àremplir son rôle de formation pédagogigue tout en collaborantétroitement au travail scientifique pour le progrès et le développementdes richesses nationales ; les chaires de cet enseignement seronttenues par de jeunes agrégés utiles à la région ; les laboratoiresseront outillés pour les recherches nécessaires aux industries de larégion.
***
Ainsise résument les principes de la doctrine des Compagnons : commentceux-ci conçoivent-ils l'institution chargées de les appliquer ?Celle-ci devra associer les membres de l'enseignement à la tâched'organisation de l'Etat. Cette collaboration garantira l'élaborationdes programmes d'études en conformité des besoins. L'Etat aura àutiliser, d'ailleurs, toutes les activités officielles comme celles quiseraient indépendantes. L'Etat n'a à se réserver qu'un droit général dedirection et de contrôle. A lui d'indiquer l'orientation à donner àl'enseignement, suivant les besoins du pays : agricoles ou industriels,expansion aux colonies ou à l'étranger... A lui de déléguer sesreprésentants pour vérifier si cette orientation est bien suivie, et siles établissements obtiennent des résultats.
Quant àl'exécution et à ses moyens, c'est au corps enseignant à déterminer lesmeilleurs procédés pédagogiques à employer, à chaque groupe régional àprendre ses initiatives propres, pour remplir le but proposé. Il n'y adonc plus place pour cette concurrence que se font dans certaineslocalités des établissements qui se disputent sans utilité une mêmeclientèle. Et il faut surtout bannir cette politique de carrière quin'a rien de commun avec celle qu'enseignait Aristote. Ici une réformes'impose urgente : L'indépendance politique des instituteurs. Quedésormais l'instituteur, rentré au sein de l'Université, soit nommé etplacé par elle. Enfin, la liberté largement comprise de l'enseignementdoit encore aider au développement national ; les établissements libresdevront être subventionnés par l'Etat en tant qu'ils accomplissent unefonction de l'Etat. Car pour être démocratique, il est indispensableque l'école unique, y compris celle de l'enseignement libre, soitgratuite. Et cette subvention de l'Etat n'exclut pas celles quepourront faire les éléments régionaux ; car « la corporation et lesrégions entendront leur devoir, les syndicats aussi. Le jour où lesouvriers, les commerçants, les agriculteurs sauront deux fois plusqu'ils ne savent, le rendement de leur travail sera décuplé. Nousretrouverons en prospérité générale largement ce que nous auronsdépensé en laboratoires et en écoles professionnelles ».
Le rôle de l'Etat sera de veiller à la réalité de l'
obligationde cet enseignement démocratique : gratuité de renseignement, saconformité aux directives, choix des maîtres, et surtout la
fréquentationscolaire, jusqu'à l'âge fixé. Il approuvera les programmes élaborés parles corporations. Car les « Compagnons » veulent rapidement organiserces corporations, en groupant dans « chaque région les éléments quiexistent déjà pour former comme le « Conseil régional de l'enseignement». C'est ainsi qu'ils envisagent que, dans chaque établissement, lebureau de l'Amicale des membres de l'Enseignement ferait partie duconseil d'administration de l'établissement ; que dans la région, unconseil académique fonctionnerait, auprès du recteur, formé par lesbureaux des Fédérations des Amicales ; qu'à la tête se trouverait leconseil supérieur comprenant les représentants des Syndicatscommerciaux, industriels, etc., et les bureaux des Fédérationsnationales.
De la sorte, l'Etat, se bornant à son rôledirecteur, laisse à ses recteurs, assistés de leurs conseils, lesinitiatives d'exécution, initiatives concordantes quand même, puisqu'àchaque échelon de la hiérarchie, la « liaison » est assurée ; c'est ladivision du travail qui est appliquée ici, comme elle l'a été hier dansla préparation des offensives destinées à délivrer le pays.
Toute la base du système repose donc sur la «
Corporation régionale » qui groupe les Amicales du lycée ou du collège, des écoles techniques, des instituteurs, de l'enseignement libre.
Ainsi,au centre de l'institution, comme au centre de la doctrine, c'est unrégionalisme fécond, en même temps que l'union des divers ordresd'enseignement. La corporation, rattachée au sol, aura à se relier àtout ce qui fait la vie qui l'environne : Syndicats et groupements ducommerce et de l'industrie patronaux et ouvriers, pouvoirs publics,représentants des diverses confessions religieuses, parents des élèves,etc... Et au sommet de l'institution, pour couronner le système et luiassurer sa qualité d'organisme vivant, un professionnel, rappelantl'ancien grand-maître de l'Université.
Toute cette organisationse résume dans la gestion de l'Université par la corporation del'enseignement. Et celle-ci, par les racines qu'elle pousse dans lemilieu régional, trouve un accroissement de ses forces intellectuellescomme de ses moyens matériels. Car, plus encore peut-être que lecontrôle de l'Etat, les nécessités, les besoins immédiats de la régionaiguillonneront les éducateurs dans la recherche d'y toujours mieuxsatisfaire.
Ce plan, conçu avec une foi enthousiaste quiéclate à chaque page du livre, est un hommage de plus rendu àl'organisation régionale, qui, dans les différents domaines de la vienationale, apparaît donc comme le principe de toute reconstitution.L'appel sera-t-il entendu ? Ou « les Compagnons » seront-ils obligés departir, comme naguère, à l'assaut pour triompher des inerties quimaintiennent les vieilles institutions? « Chaque fois qu'un combattant,écrit un nouveau civil, démobilisé d'hier, rentrait de l'intérieur, ilrevenait avec l'impression que le soldat seul connaissait, avec quelqueexactitude, le coût de la guerre en vies et en ruines. Cinq ans ontpassé. La « Propagande » a fonctionné. Les « films » ont tourné. Lesjournalistes ont écrit. L'ignorance reste aussi complète. Il seraitcependant temps de mesurer l'œuvre à accomplir, afin de préciserl'effort à donner. »
La démocratie française, queflattent en ces jours tant d'orateurs, est, en cette matièred'enseignement, bien dépassée encore par l'Angleterre. Ce pays, enpleine guerre, contre l'opposition d'intérêts privés puissants, acependant réalisé une importante réforme. Le bill Fischer du 8 août1918 impose l'obligation scolaire jusqu'à quinze ans, et, pour lesjeunes gens de quinze à dix-huit ans, celle de suivre des cours deperfectionnement huit heures par semaine pendant quarante semainesannuellement. Sans doute, ce résultat n'a pas été obtenu sansrésistance, et il fallut, pour assurer sa réalisation, une vastecampagne d'opinion. Les « Compagnons » ont, eux aussi, pour le succèsde leur entreprise, grand besoin que l'opinion française s'intéresse àleur effort, si étroitement lié au développement économique du pays.Ils ont la jeunesse et l'audace : ce sont deux bons garants pour leurfortune.
M. ANOYAUT.
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LES INDUSTRIES A EXPLOITER EN NORMANDIE
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Les Lineries Agricoles et Industrielles
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L'étude sur la rénovation de la production et de l'industrie du linen Normandie, à laquelle nous avons consacré l'article paru dans leprécédent numéro (1), doit être considérée comme d'autant plusjustifiée par les préoccupations actuelles que, dans le département dela Seine-Inférieure, la superficie cultivée en lin accuse,présentement, une diminution de 2.436 hectares. Si nous en croyons ladernière statistique, cette superficie, qui était de 3.601 hectares, en1902, ne serait plus que de 1.165 hectares. Si on ajoute à cetteconstatation que les centres liniers de nos départements du Nord,anéantis par l'invasion, ne peuvent alimenter notre industrie linière ;que la Russie, notre grand fournisseur avant la guerre, ne peut, dansla situation si agitée qui la ruine chaque jour, rendre à ses ports dela Baltique le florissant commerce auquel donnait lieu sa productionlinière (semence et filasse) ; si, enfin, on considère que, pour laculture du lin, et bien avant la guerre, nous étions déjà devancés parl'Autriche-Hongrie, l'Italie, l'Angleterre, la Belgique, on ne peut quemesurer plus exactement encore l'insuffisance de nos ressources, lafaiblesse de notre production et de notre industrie.
Etpourtant, les besoins de celle-ci sont immenses, car tous les stocks defils et de tissus ont été épuisés au cours de ces cinquante-deux mois,où toute fabrication a été interrompue, où les rares centresmanufacturiers liniers indemnes de l'invasion : Cholet, enMaine-et-Loire et Voiron, dans l'Isère, n'ont pu s'alimenter enmatières premières.
Il faut donc revenir à la culture dulin, augmenter les surfaces à consacrer à cette plante industrielle. Lecomplément nécessaire de cette renaissance de la culture, c'est letravail sur place de la matière première, en substituant à la méthodeancienne, employée pour le rouissage et le teillage du lin, lesméthodes nouvelles, qui en suppriment les inconvénients, procurent unmeilleur rendement et permettent de créer, sur les lieux de production,des lineries agricoles ou industrielles, des usines ayant la matièrepremière à pied-d’œuvre et constituant pour les cultivateurs et pourles industriels une source de réels et importants bénéfices. C'estqu'en effet, on peut prévoir avec certitude, pour la culture du lin,une rénovation complète et un nouvel essor comme conséquence del'application des procédés perfectionnés de rouissage et de teillagedont la vulgarisation avait été commencée à la veille de la guerre, enNormandie, par un spécialiste distingué, M. Feuillette, qui installaune première linerie, en 1913, à Goderville (Seine-Inférieure), pour,précisément, y pratiquer le travail du lin, d'après ses procédésscientifiques et en démontrer les grands avantages économiques.
Aujourd'hui,on sait que le rouissage est une fermentation ; c'est l'œuvre debactéries agissant sur la matière gommo-résineuse, décomposant lapectose ou enveloppe des fibres de cellulose (dans le lin à l'étatvert) en acide pectique, qui donne au lin roui son brillant, sa «graisse ». Les tiges du lin portent des ferments rouisseurs, et c'esten fournissant à ces ferments, à ces bactéries, les conditions detempérature et d'aération favorables à leur développement rapide et àleur travail que M. Feuillette a démontré la réelle valeur pratique duprocédé naturel de rouissage bactériologique ou microbien, qui estd'une extrême simplicité et ne demande que six jours environ. C'est uneinnovation d'autant plus remarquable qu'elle est caractérisée surtoutpar le minimum de main-d’œuvre, avantage considérable, et qui, dans lescirconstances actuelles, acquiert une importance encore plus grande, enraison de la gravité du problème de la main-d’œuvre. Le procédéFeuillette réalise la synthèse scientifique de toutes les opérations detransformation du lin, jusqu'ici disséminées et confiées à des méthodestrop primitives et aléatoires. Ces opérations sont naturelles, réunieset effectuées dans l'usine où l'on peut travailler d'une façon continueet méthodique, toutes les conditions du travail se trouvant soumises àla volonté de l'homme, au lieu d'être abandonnées au gré de la nature,comme dans le rouissage à l'eau stagnante ou à la rosée (rouissage àterre ou rorage). En toute saison, et partout, on peut effectuer lerouissage, le séchage et le teillage du lin, d'où possibilitéd'installer des lineries, soit industrielles, soit agricoles, dans lescentres mêmes de production du lin. Ces usines pourront procurer auxouvriers agricoles un travail rémunérateur pendant les mois de chômage,par conséquent sans gêner en rien les travaux aux champs et à la ferme.C'est là un moyen d'enrayer, dans une certaine mesure, l'exode desouvriers ruraux vers les villes, et tout le travail du lin se faisantdans le pays au lieu de s'effectuer à l'étranger, c'est encore unbénéfice pour le producteur et pour l'ouvrier rural.
Bref,les procédés perfectionnés, dont l'application avait déjà été réaliséeavec un succès complet dans notre département de Seine-Inférieure, àl'usine installée par M. Feuillette, à Goderville — laquelle avaitcommencé à fonctionner en avril 1914 — ces procédés, disons-nous, ontaujourd'hui la consécration industrielle. En 1914, toute la filassefabriquée à Goderville, plutôt à titre démonstratif, était achetée parla « York Street Flax Spinning Cy », de Belfast, la plus ancienne etpeut-être la plus considérable des filatures du monde entier.
Pendantdeux siècles, on chercha la solution rationnelle du problème. On peutdire qu'aujourd'hui ce problème est industriellement résolu : on peuttraiter le lin à n'importe quelle époque de l'année et le transformeren filasse de toute première qualité en une dizaine de jours, sansaucun transport, ainsi que la démonstration en a été faite à la lineriede Goderville. On se trouve en présence d'une seule industrie crééedans la même usine où toutes les opérations se succèdent sansinterruption et où chaque machine effectue un travail continucorrespondant à la production journalière totale. L'installation delineries dans les centres linicoles doit permettre aux cultivateurs delivrer leurs produits directement à ces usines sans plus de frais detransport que lorsque les lins à livrer aux acheteurs doivent êtreconduits, par les producteurs, aux gares expéditrices. Bien plus : cesderniers peuvent se grouper pour constituer des coopératives possédantdes lineries et réaliser les bénéfices qui, jusqu'ici, ont étérecueillis par les intermédiaires. Cette orientation nouvellecontribuerait pour beaucoup au relèvement de la culture du lin et audéveloppement d'une industrie rurale procurant aux ouvriers descampagnes un travail bien rémunéré.
Alors que le lin rouipar le cultivateur et teillé par la méthode rurale donne, pour 100kilogrammes brut, de 9 à 13 kilogrammes de filasse qui, en se basantseulement sur les chiffres d'avant-guerre, était vendue 1 fr. 15 à 1fr. 35 le kilogramme, en filature, ce même lin, traité par la méthodeFeuillette, donne pour 100 kilogrammes brut de 13 à 15 kilogrammes defilasse qui, en 1914, se vendait 2 fr. 10 à 2 fr. 30 le kilogramme,soit une plus-value de 0 fr. 95 par kilogramme, et cette filasse permetde fabriquer des fils plus fins et plus solides.
Tous lesaléas des anciens procédés disparaissent, tout le rendement possibleest obtenu et le traitement des récoltes, même mauvaises, peut êtreeffectué dans de bonnes conditions. Ainsi, d'une part, rémunérationplus avantageuse pour le cultivateur, et de l'autre, assurance pour lefilateur d'avoir une filasse de meilleure qualité, plus homogène,pouvant fournir des produits supérieurs et à des prix défiant laconcurrence étrangère, parce que les frais d'extraction de cettefilasse sont bien moins élevés, par suite des avantages suivants :rendement supérieur en quantité et en qualité, suppression des frais detransport, économie résultant de ce fait qu'on n'a plus à immobiliserdes capitaux considérables pendant dix-huit mois et plus sur une seulerécolte ; substitution des machines à une main-d’œuvre coûteuse ;enfin, suppression des fluctuations considérables résultant de l'écartde dix-huit mois à deux ans entre l'achat du lin et la vente de lafilasse. Les lineries traitant annuellement 1 million et demi dekilogrammes de lin brut, soit la quantité du lin produite par 300hectares environ, permettront, par la suppression de fâcheux errements,d'assurer de larges bénéfices aux cultivateurs et aux filateurs, entrelesquels se placera leur activité et cela tout - en faisant fructifierles capitaux confiés à ces entreprises industrielles.
Evidemment,on ne peut, dans les circonstances actuelles, étant donnés lerenchérissement de toutes choses et la raréfaction de la main-d’œuvre,fixer les conditions d'exploitation de lineries agricoles ouindustrielles, et les bénéfices réalisables. Toutefois, il nous paraitutile de donner un aperçu des estimations et évaluations se rapportantau fonctionnement de la linerie de Goderville, en 1914, où le procédéFeuillette était mis en application pour le rouissage, le séchage et leteillage de 5.000 kilogrammes de lin par jour, soit 1.500.000kilogrammes par an. On payait 16 francs les 100 kilogrammes de paillesde lin en graines, rendus à l'usine. Le rendement industriel était enmoyenne, pour 100 kilogrammes de lin brut, de 12 kilogrammes depaillettes pures, 9 k. 700 de graines, 3 k. 800 de déchets et 74 k. 500de lin battu fournissant 59 kilogrammes de lin roui, rendant 13kilogrammes de filasse, 2 k. 400 de bonnes étoupes, 5 k. 200 d'étoupesgrossières et 38 k. 400 de chènevotte. Aux cours pratiqués en 1914, lavaleur des sous produits (pailles, graines, étoupes) ressortait à 5 fr.99 aux 100 kilogrammes, soit, pour 1.500.000 kilogrammes de linalimentant l'usine, 5 fr. 99 x 1.500.000 = 89.850 francs. Production defilasse : 195.000 kilogrammes.
On comptait pour le matériel (réservefaite de la question d'eau, de transport et de montage) 136.070 francs; pour les bâtiments en maçonnerie, 105.380 francs, et pour le terrain,1 hectare à 10.000 francs ; soit, au total : 251.450 francs. Les fraisannuels d'exploitation, pour trente-neuf personnes nécessaires aufonctionnement de l'usine : 31.100 francs ; frais généraux, entretien :17.850 francs ; intérêts et amortissement : 48.900 francs. Total :97.850 francs.
L'entreprise se présente donc dans les conditions suivantes :
Installationet aménagement de l'usine 251.450 fr.
Fonds deroulement 200.000 »
Fraisgénéraux 97.850 »
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Total 549.300 fr.
Avec240.000 francs pour achat de la matière première, et 97.850 francs defrais généraux, on a un total de 337.850 francs de dépenses annuelles ;déduction faite de la valeur des sous-produits, il reste 337.850 —89.850 = 248.000 francs à récupérer pour la filasse. Le kilogramme delin revient à 1 fr. 287. Pour arriver à gagner 10 % de la dépenseannuelle (337.850 francs), il suffirait de vendre la filasse au prixmoyen de 1. fr. 445 le kilogramme. Or, les lins produits à la lineriede Goderville se sont vendus à raison de 2 fr. 10 le kilogramme, alorsque le prix de revient n'était que de 1 fr. 287. Pour une production de195.000 kilogrammes, le bénéfice annuel se chiffrait donc par 2,10 —1,28 = 0 fr. 82 x 195.000 = 159.900 fr. La Normandie doit à la légitimerenommée de ses lins du pays de Caux des avantages économiques quiseront plus importants encore lorsque de nombreuses lineries agricoleset industrielles s'y multiplieront parallèlement à la culture du lin etaux meilleures conditions de transformation de ce précieux textile.
Henri BLIN,
Lauréat del’Académie d’Agriculture
de France.
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(1) Voir n° 21-22 de janvier-février 1919.==================================================================================
Syndicats d'Initiative ? ? ?
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A la suite de l'articleparu sous ce titre dans notre dernier numéro, nous avons reçu de M.Schmidt, président du Syndicat d'Initiative du Havre et trésorier de laFédération normande des Syndicats d'initiative, la lettre suivante :
Non,Monsieur A. M., non ; les Syndicats d'Initiative de Normandie, ycompris leurs Présidents, ne s'endorment pas dans les délices del'indolence ; non, croyez-le bien, leur unique souci ne consiste pas àchercher des places honorifiques et à répondre à ceux qui s'adressent àeux que le temps leur manque pour les renseigner.
Seulement, caril y a un seulement, vous semblez oublier que nous venons de passer parquatre ans et demi de guerre et durant ce laps de temps, devriezconvenir qu'une légère désorganisation a pu se glisser dans nosSyndicats et expliquer même les difficultés qui ont empêchél'accomplissement d'un travail intensif.
Le rôle de certainsSyndicats d'Initiative n'a cependant pas été complètement effacé,puisque, pour ne citer que celui que je préside, je me permets de vousapprendre qu'annexé depuis septembre 1914 au Bureau municipal desRéfugiés, notre Syndicat a reçu et secouru de toutes façons plus de50.000 de nos malheureux compatriotes chassés de leurs foyers.
L'èrede reconstruction qui s'ouvre à présent nous permet, Monsieur, depronostiquer un labeur, qui, je l'espère, vous donnera complètesatisfaction. La Fédération Normande des Syndicats d'Initiative, àlaquelle j'ai l'honneur de collaborer étroitement avec mon ami, M.Monticone, a déjà entrepris l'étude de certains projets d'une grandeimportance pour notre région, projets auxquels il vaut mieux s'attelerrésolument et' chercher à les faire réussir que de les prônerlonguement dans les journaux et les abandonner ensuite. Cette Œuvred'avenir devra aboutir, soyez-en persuadé, mais à la conditioncependant que certaines énergies que vous connaissez sans doute necontinuent pas à se dérober et préférer nous opposer la force d'inertieà l'aide qu'elles devraient nous apporter.
Pour finir, jesouhaite qu'honoré de votre confiance, nous puissions réaliser la tâcheque nous nous sommes assignée, convaincus en outre que vous saurezreconnaître en son temps le mal fondé de vos critiques actuelles.
Le Président du Syndicat d’Initiative
du Havre et de la Région,
Trésorier de la Fédération Normande
des Syndicats d'Initiative,
SCHMIDT.
Toutd'abord, nous devons déclarer que noire article ne visait en rien leSyndicat d' Initiative du Havre, mais nous sommes d'autant plus heureuxde cette réponse que, si elle défend les Syndicats d' Initiative etleurs présidents du reproche d'indolence que nous leur avons adressé,elle-nous permet de faire connaître le rôle éminemment charitable et desolidarité rempli par le Syndicat d'Initiative du Havre, dont il y alieu de le grandement féliciter, et qu'elle confirme notre constatationdu manque d'énergie en Normandie. M. Schmidt va même beaucoup plus loinque nous, puisqu'il accuse certains individus ou certainesadministrations non seulement de manquer d'énergie, mais même de mettredes bâtons dans les roues.En effet, il nous dit : « Cette oeuvre d'avenir devra aboutir, soyez-en persuadé, mais à la condition que certaines énergies
, que vous connaissez sans doute, ne continuent pas à se dérober, et préférer nous opposer la force d'inertie à l'aide qu'elles DEVRAIENT nous apporter. »
Est-ceclair ? De l'aveu même du Président du Syndicat d'Initiative duHavre, il y a, en Normandie, des personnages qui s'opposent à l'œuvreentreprise dans l'intérêt commun.
Quels sont ces mauvais compatriotes qui DEVRAIENT
apporter leur aide et qui se dérobent à leur devoir ? Il ne suffit pas de déplorer leur inertie ; il faut les forcer à agir. Etc'est là, précisément, Monsieur le Président, où l'action des journauxdont vous semblez faire fi peut vous être utile, car en dévoilant lesagissements de ces hommes néfastes, elle les contraindra à agir ou toutau moins à faire connaître les raisons de leur mauvais vouloir. Puis,en faisant connaître vos projets, la presse pourra encore vous susciterdes concours que vous ignorez et qui ne peuvent s'offrir puisqu'ils neconnaissent rien des grands projets que vous préparez, dans le silencedu cabinet. Ace propos, on me permettra une digression : La peur des journauxserait-elle un mal havrais ? Nous serions tentés de le croire, car laChambre de Commerce du Havre, elle aussi, repousse le concours de lapresse. Il y a quelques mois, lorsque nous avons commencé l'étude del'organisation économique de la région normande, nous avions demandéleur avis aux Chambres de Commerce. Celle du Havre nous répondit «qu'elle avait décidé de ne faire aucune polémique dans la presse surcette question ». On a pu voir d'ailleurs, par le rapport de M. Bouctotque nous avons publié, qu'elle n'a pas davantage voulu faire connaîtreson opinion au Conseil général. N'est-ce pus encore là un manqued'énergie, à moins que ce ne fût la peur des responsabilités ? Pouren revenir aux Syndicats d'Initiative, M. le Président du Syndicat duHavre peut être persuadé que nous sommes tout disposés à reconnaîtreque nous nous sommes trompés sur leur compté ; pour cela; nous lesattendons à l'œuvre et une fois encore, nous les assurons du dévouéconcours qu'ils trouveront dans cette Revue aussi bien d'ailleurs, j'ensuis certain, que dans toute la presse normande.
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Cet article était écrit lorsque j'ai reçu de M. Monticone, secrétaire général de la Fédération Normande des Syndicats d'Initiative
, la lettre qui suit : Jen'aime pas beaucoup les polémiques de presse, j'y suis d'ailleurs peuhabile, mais il me paraît difficile de laisser sans réponse la questionque vous avez posée dans le numéro de janvier-février de votre trèsintéressante revue à propos des Syndicats d'Initiative :
«
Le Normand est-il un égoïste qui ne songe à l'intérêt général que lorsque celui-ci sert son intérêt particulier ? »
A la réflexion, je ne le crois pas.
Toutefois,j'avoue bien volontiers avec vous que nos compatriotes ne vibrent pasfacilement, et l'ami dont vous avez rapporté l'interview n'estmalheureusement pas un isolé.
Lorsqu'il y a un anexactement les délégués des Syndicats d'Initiative de Normandie,répondant à l'appel éloquent du T. C. F. et de l'Office National duTourisme ; eurent décidé de fédérer leurs efforts, je crus nécessaire,avant d'accepter l'honneur qu'ils me faisaient de diriger leurstravaux, de souligner que toute notre agitation serait vaine tant quenos associations n'auraient par élargi leurs cadres et que l'activitéde leurs dirigeants serait paralysée par un budget de famine. Leprogramme d'action que je fus assez heureux pour faire approuverinsistait donc particulièrement sur la nécessité :
1° De créer de nouveaux Syndicats d'Initiative ;
2° De vitaliser les Syndicats déjà existants
3°De faire aboutir au plus tôt le projet de loi sur la cure taxe, quiseule doit, peut nous assurer des ressources régulières etsubstantielles, alors que nous en sommes réduits actuellement à unequasi-mendicité.
Il serait trop long de développerici ces trois points : pour ne pas sortir du sujet qui nous occupe, jeme contenterai de vous indiquer quelques-unes des difficultésauxquelles je me suis heurté à propos de la création de nouveauxsyndicats.
Vous connaissez, pour l'avoir publié et trèsaimablement commenté, l'appel qu'en avril dernier j'ai lancé en faveurde la Renaissance du Tourisme. Je développais alors cette idée qu'enplus de ses richesses agricoles et industrielles, la Normandiepossédait un admirable capital de beauté touristique, dont la mise envaleur doit accroître considérablement la fortune régionale (letourisme n'offre-t-il pas un moyen élégant de faire rentrer en Franceune partie des milliards exportés pendant la guerre ?), que lesSyndicats d'Initiative sont le trait d'union naturel et indispensableentre les touristes et les industries de luxe, et je demandais à mescompatriotes de m'aider à planter notre drapeau dans tous les centresd'excursion dépourvus d'un office de tourisme.
Dois-je vous dire qu'une réponse unique me parvint !!!
Aquelque temps de là, je tentai une nouvelle expérience, demandant cettefois à mes collègues leur bienveillant concours pour arriver aux mêmesfins ; par la même occasion, je les priais de m'adresser le cahier desrevendications de leur syndicat respectif, les assurant que je seraisheureux d'aider à la réalisation de leurs vœux.
Hélas !cette fois encore la collaboration ne fut pas très féconde ce fut toutau plus un essai timide ; il me faut encore avouer, pour être jusqu'aubout sincère, qu'à l'heure actuelle et malgré cinq ou six rappels, lesdossiers de quelques Syndicats sont encore vierges de toute réponse, aupoint qu'il m'arrive parfois de me demander si ces organismes sontréellement existants.
Je sais bien que la guerre atroublé bien des habitudes, que beaucoup d'entre nous, moi tout lepremier, ont été jusqu'à ces temps derniers sous l'uniforme, que parsuite de ces défections temporaires presque tous les Syndicats mènentdepuis quatre ans une vie ralentie ; mais toutes ces raisonsn'auraient-elles pas dû exalter la bonne volonté de ceux de l'arrière,dont le devoir était de préparer le retour des mobilisés ?
Fortheureusement, toute médaille a deux faces et je me hâte d'ajouter quela collaboration avisée, active et intelligente que j'ai trouvée chezcertains collègues efface les mauvais souvenirs que j'évoqueaujourd'hui.
Dans l'un des cinq départements où s'exercel'influence de la Fédération Normande, j'ai eu la bonne fortune derencontrer un trio d'organisateurs remarquablement dévoués, si bien quel'idée me vint avec leur appui de faire de ce département un champd'expérience, quitte à généraliser la formule si elle réussissait.
Jene veux plus me souvenir des déceptions de la première heure, del'indifférence de certaines personnalités enrichies dans des industriesconfinant au tourisme, et que je m'étais cru autorisé par cela même àconsulter plus particulièrement, de la réserve inquiète de certainesmunicipalités que j'espérais associer à notre tâche en faisant brillerà leurs yeux l'heureuse répercussion du tourisme sur le commerce local,et qui ne virent en nous que des concurrents éventuels : tout celac'est le passé ; aujourd'hui tout ce coin de Normandie s'organiseméthodiquement et dix nouveaux Syndicats d'Initiative marchent enparfaite harmonie avec la Fédération Normande.
Pour enarriver à ce résultat, il a suffi de l'union de quatre personnes debonne volonté ; avec des éléments identiques, je suis tout prêt àtenter la même expérience dans les départements voisins, et je suisconvaincu qu'elle réussira.
Quels résultats ne peut-onpas espérer quand l'indifférence générale sera vaincue !!! Car c'estbien de l'indifférence, mêlée à un peu de cette prudente réserve quicaractérise notre race, que l'on nous oppose. L'égoïsme n'est pas encause ; l'idée aura peut-être du mal à germer, mais le jour où ellegermera, elle poussera dru : chez nous le sol est bon et il n'y a pasque les pommiers qui fleurissent : le tourisme aura son tour.
J'auraisbien des choses intéressantes à dire sur le rôle de certains Syndicatsd'Initiative pendant la guerre, comme avant 1914 : isolément de trèslouables efforts ont été tentés et puisque vous voulez bien m'yconvier, je traiterai cette question dans une prochaine chronique.
Celam'amène tout naturellement à vous remercier, Monsieur le Secrétairegénéral, de mettre très aimablement Normandie au service de la cause dutourisme.
Car il est bien entendu, n'est-ce pas, que lesSyndicats d'Initiative sont des associations touristiques et non pasdes académies destinées à couronner des chansons. Au fait, pourquois'obstine-t-on à les appeler « Syndicats d'Initiative », ce qui n'aaucune signification précise ?? Pourquoi pas « Syndicats de Tourisme »? Leur programme ainsi limité est assez vaste pour absorber toutel'activité de leurs dirigeants.
A chacun sa tâche et merci à ceux qui s'offriront à faciliter la nôtre.
C. MONTICONE.
Jene veux pas affaiblir par de longs commentaires ce lumineux exposé del'activité des Syndicats d'Initiative en Normandie. Je me bornerai àconstater que mon cri d'alarme n'était pas inutile.Ce que j'appelais égoïsme
est qualifié indifférence
par le secrétaire général de la Fédération Normande. Marchons pour indifférence
,mais le résultat est le même, cette indifférence est bien coupable, etil faut déplorer, avec mon honorable correspondant qu'un seul parmi noscinq départements ait répondu à l'appel qu'il adressait aux hommesd'action il y a près d'un an. Noslecteurs suivront avec intérêt l'étude que veut bien nous promettre M.Monticone, et il est à souhaiter que ses efforts soient couronnés desuccès, pour le plus grand bien de la Normandie dont la prospéritédevrait être chère à tous.***
Lesdélégués des Syndicats d'Initiative de Normandie se sont réunis le 27février en assemblée générale, au siège du T. C. F., sous la présidencede M. Celos, député, maire, et président d'honneur du Syndicatd'Initiative de Bernay. M.Monticone, secrétaire général de la Fédération, donne la liste desmonuments et sites classés jusqu'à ce jour dans les cinq départementsnormands et il demande à ses collègues de vouloir bien lui signalertous ceux qui méritent de l'être, car il importe de défendre lesbeautés naturelles et architecturales contre les atteintes de ceux etils sont nombreux — qui n'ont aucun souci de l'art et du beau.M.Schmidt, trésorier de la Fédération, donne lecture du bilan del'exercice 1918. Ses comptes sont approuvés et des remerciements luisont votés pour le dévouement qu'il apporte dans son ingrate fonction.PuisM. Monticone donne lecture d'un long et remarquable rapport dans lequelil passe en revue toutes les questions qui doivent retenir l'attentiondes Syndicats d'Initiative : taxe de séjour ; relations à entreteniravec les Chambres de commerce ; moyens de faire connaître le rôle desSyndicats d'initiative ; question hôtelière ; architecture hôtelière ;question des transports ; réfection des routes ; transports en communpar automobiles ; publicité à faire pour permettre aux touristes dediriger leur choix sur la région à visiter ; établissementd'itinéraires ; conférences avec l'adjonction du cinéma, etc., etc. Enterminant son remarquable rapport, M. Monticone fait appel aux concoursdes membres des Syndicats d'Initiative normands en leur assurant qu'ilspeuvent compter qu'il leur consacrera tout son temps et toute sonénergie.***
Nousregrettons vivement que le défaut de place nous empêche de rendrecompte aussi longuement qu'il serait nécessaire de la Conférence qui aété faite le 20 mars, au Havre, sous la présidence de M. l'amiralDidelot, gouverneur du Havre et sous le patronage du Syndicatd'Initiative, par MM. Famechon, délégué du ministère des Travauxpublics, et Auscher, membre du Conseil d'administration du Touring-Cluben vue d'examiner ce qui devait être fait au Havre pour contribuer àl'organisation du Tourisme en France. M. Famechon, expliquant lesconditions dans lesquelles l'Office national du Tourisme entendcontribuer à discipliner les efforts à faire pour attirer les étrangersen France, préconise l'installation au Havre d'un bureau derenseignements afin de relier les arrivants avec le pays. Le TouringClub verse 2.000 francs pour cette organisation, mais il est nécessaired'obtenir le concours matériel et financier de l'Administrationmunicipale, de la Chambre de Commerce, des Chemins de fer et desCompagnies de navigation.M.Auscher rappelle que par l'ensemble des beautés naturelles, desmonuments, par son climat, la France possède un véritable fonds decommerce à exploiter ; il estime qu'il viendra cette année 500.000touristes ; l'année prochaine un million et dans deux ans, un millionet demi, et qu'à raison d'un séjour de vingt jours, c'est neufmilliards qui, en trois ans, rentreront en France. Toutes lesindustries, dit-il, sont appelées à en bénéficier, mais pour retenirces visiteurs en France, il faudra leur donner des hôtels confortables. M.Prince, avocat au Conseil suprême des Etats-Unis, grand ami de laFrance, dit quels efforts on doit faire pour que ces étrangersséjournent au Havre. Puis M. Monticone fait appel à l'union dans la Fédération normande du Tourisme.A. MACHÉ.
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Normandie n'est pas seulement une Revue d'études, c'est aussi un journal d'action.
Ecrivez-nous donc, faites-nous part de vos idées, de vos difficultés et de vos besoins,
Nous nous efforcerons toujours de vous aider.
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Vers une Fédération Normande
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De nombreux correspondants nous écrivent pour nous témoigner de leurdésir de voir s'unir toutes les bonnes volontés. C'est le but de
Normandiede donner asile à ces initiatives et de tenter de grouper en une unionagissante ces efforts dispersés. Notre collaborateur Vincent-Desbois aconçu tout un plan d'action qu'il expose ici-même. Il nous paraîttoutefois intéressant de faire connaître quelques idées que nous soumetle distingué président du « Cercle agricole du Sap (Orne) », M. G.Choisne.
M. Choisne place au premier rang la question dela protection de l'enfance. Si notre natalité n'est pas plusvigoureuse, du moins que tout le meilleur parti en soit tiré. Aussi,apparaît-il nécessaire de surveiller les soins physiques et moraux dontl'enfant doit être entouré. En assurant la cause et l'instruction deces petits êtres, c'est sauvegarder pour la nation un capital productifdont elle doit être au plus haut point économe. Dans ce but, M. Choisnen'hésite pas à demander que soient soustraits à leur milieu, après avisd'une Commission communale, les enfants plus ou moins abandonnés, ouqui ne fréquenteraient pas régulièrement les écoles. Ils seraient ainsiélevés aux frais de la nation qui récupérerait bien au-delà de sesdébours en évitant un gaspillage d'énergies.
C'est en vuedes mêmes fins qu'il propose, à côté des Chambres de commerce, lacréation de Chambres d'agriculture et de métiers, dont la capacitédevrait être suffisante pour leur permettre la création et l'entretiend'écoles professionnelles, d'orphelinats..., l'entreprise en commun degrands travaux : canaux, voies ferrées, ports et l'organisation demagasins, docks, laboratoires, etc. Pour atteindre ce but, il envisage,à la base, des sociétés locales dont feraient obligatoirement partieles agriculteurs, les industriels et commerçants, les ouvriers etartisans. Le rôle de ces sociétés serait en outre de fournir à leursmembres un appui moral et financier, de mettre à leur disposition lesjournaux et les livres dans lesquels chacun d'eux pourrait trouver lesenseignements utiles à leur profession. Ces organisations, en outre,auraient une action immédiate sur la formation des élèves dans lesécoles professionnelles qui fonctionneraient non loin d'elles.
M.Choisne ne se contente pas de rechercher ce qui peut contribuer à lameilleure utilisation de nos ressources en hommes et en capitaux, maisil veut assurer la paix sociale. Aussi préconise-t-il l'assuranceobligatoire contre l'invalidité et la vieillesse, et, pour ceux qui ontdes terres, l'institution d'un réservat viager, rendant incessible etinsaisissable toute propriété immobilière jusqu'à concurrence d'unrevenu de 370 francs. Il demande également la réforme des droits demutation sur la propriété foncière, qui est d'autant plus grevée pareux qu'elle est plus petite.
Telles sont les quelquesidées dont nous fait part, dans une longue causerie, M. Choisne. Sansles faire nôtres absolument, du moins y voyons-nous la preuve de cetteaspiration très répandue à la réorganisation économique de notre pays.Nous nous associons, en tout cas, pleinement à son appel à lacoopération. Et comme M. Choisne a déjà réussi à mener à bien legroupement agricole qu'il préside, nous ne doutons pas qu'il neparvienne, dans le riche coin de Normandie où il se trouve, à réaliserbientôt quelques-unes de ces unions qu'il recommande.
Autour de cefoyer viendront se réunir d'autres associations voisines : ainsicommencerait à se former cette Fédération normande, qui centraliserait,pour leur donner pleine force, toutes les capacités, et coordonnerait,pour les réaliser au mieux, tous les projets ayant en vue l'aménagementet le développement des ressources de notre région.
M. ANOYAUT.
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Tout en causant...
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C'étaitdans les premiers jours de février. Nous étions de nouveau réunis tousles trois, le capitaine Percy Fergusson, le sergent canadien PaulDumoustier et moi, dans la salle à manger de la villa des Chimères,aujourd'hui toute encombrée de malles et de valises, car, le capitaineva quitter Rouen, et c'est à un déjeuner d'adieux qu'il m'avait convié.
Ungrand feu de bois, aux flammes claires et vacillantes, pétillait dansla haute cheminée devant laquelle, jadis, à une époque déjà lointaine,j'avais vu tant de fois le vieux père Houzeau, le précédentpropriétaire de la villa des Chimères, ratatiné dans sa robe dechambre, étendre ses longues jambes maigres et tisonner les bûches àdemi consumées.
Dans la pièce, où nous achevions unsucculent déjeuner, dont un plum-pudding authentique, venu directementde Londres, avait formé le couronnement, une douce chaleur régnait,dont nous goûtions d'autant plus vivement le pénétrant bien-être qu'àtravers les fenêtres aux rideaux écartés, nous apercevions la penteboisée du mont Thuringe couverte d'une épaisse couche de neige, paysaged'hiver, vision frileuse évoquant à nos yeux le froid rigoureux dudehors.
« Eh bien, me dit tout à coup le capitaineFergusson, vous voilà contents, vous autres Rouennais, vous allez êtredébarrassés de notre présence. Avouez-le, qu'à la longue vous noustrouviez un peu encombrants !
— Oui, oui, ajouta PaulDumoustier, sans me donner le temps de répondre, vous ne le dites pas,parce que vous êtes gens courtois, mais vous soupirez tout bas après lemoment où vous pourrez dire : Enfin, seuls !
— Voyons, soyez franc, reprit le capitaine, en souriant et en me fixant de ses grands yeux bleus. »
J'étais, je dois l'avouer, un peu interloqué. Ce fut le jeune Canadien qui vint à mon aide.
«Ce sentiment de la population rouennaise, fit-il, d'être rendue àelle-même, ce désir intime que vous avez au fond du cœur, sans lemanifester ouvertement, de reprendre votre vie propre et autonome, devoir votre cité retrouver son aspect et sa physionomie d'avant-guerre,ce sentiment et ce désir sont trop naturels pour que nous, vos hôtes sicordialement accueillis, si sympathiquement traités par vous durantplus de quatre ans, nous puissions nous en étonner ni surtout enprendre ombrage » .
— Very well, continua le capitainePercy Fergusson. Tenez, cela me rappelle un souvenir de famille. Jevenais de terminer mes études à Oxford, et, jeune « bachelor », jecoulais — (c'est bien ainsi que vous dites en France ?) — je coulaisdes jours heureux auprès de mon père et de ma mère, dans notre joliepetite maison de Cardigan. C'étaient mes dernières vacances, avant lebusiness, et pour rendre ces vacances plus gaies, mon père eut l'idéed'inviter des cousins que nous avions dans le comté de Leicester, àvenir passer un mois chez nous.
Quand les cousinsarrivèrent, ce fut une fête, une joie délirante ; on les embrassa, onles choya, on était pour eux aux petits soins. Tous, mon père, ma mère,moi-même, nous nous ingéniions à leur procurer des distractionsquotidiennes et sans cesse renouvelées ; excursions dans les environsde Cardigan, promenades en mer sur le canal Saint-George, etc. Cetteexistence d'effusions réciproques se prolongea pendant une quinzaine ;puis quand vint la troisième semaine, nous commençâmes à nousapercevoir, mes chers parents et moi, que la présence de nos bonscousins mettait beaucoup de bruit, et même un peu de désordre dansnotre maison, si paisible, si tranquille, si bien ordonnée et que nousfinissions par ne plus nous appartenir. Insensiblement, nos hôtess'étaient habitués à se considérer, chez nous, comme étant chez eux.Nous en prîmes, sans le laisser paraître, quelque impatience, et la findu mois, qui devait marquer le départ de nos cousins, parut bien longueà notre lassitude et à notre besoin de calme et de repos.
«Pour en finir, acheva le capitaine, la satisfaction que nous éprouvâmesà les rembarquer en chemin de fer lui égale, je n'ose dire, supérieureà la joie que nous avions ressentie à les voir arriver. Et pourtantnous les aimions bien, nos bons cousins du Leicester, et nous lesaimons toujours bien. Mais que voulez-vous, ces hôtes attendus etchoyés, à la longue, étaient devenus, pour nous, de véritables intrus...
—Et, insista Paul Dumoustier, en clignant de l'œil vers le capitaine,c'est précisément ce qu'à l'heure actuelle les Rouennais pensent desBritanniques installés dans leur ville.
J'esquissai un geste vague, de ces gestes à la normande qui ne veulent dire ni oui, ni non..
C'est qu'en vérité, j'étais fort embarrassé.
Endépit de la bonne grâce avec laquelle mes deux amis m'avaient parlé, jecraignais de les froisser en leur confessant que les sentiments qu'ilsprêtaient à la population rouennaise étaient réels, tout au moins dansune certaine mesure.
Non, pas certes, que les habitantsde la vieille capitale normande considèrent comme des « intrus » lesvaillants Alliés qui sont venus en France combattre, aux côtés de nosadmirables poilus, pour la cause du Droit et de la Liberté.
Unetelle pensée serait choquante et je puis affirmer -qu'elle n'est nidans l'esprit ni dans le cœur d'aucun de mes braves concitoyens.
Lavérité — et on peut l'avouer — c'est que si les Rouennais n'éprouventpas trop de regret à l'idée du départ prochain des troupesbritanniques, Anglais, Ecossais, Canadiens, Australiens, Néo-Zélandaisdont les uniformes khaki ont, quatre années durant, « moutardisé »l'atmosphère de nos rues, ce n'est pas que nous soyons excédés de leurprésence parmi nous, c'est parce que cet exode sera indice irréfragabled'une paix définitive et victorieuse.
Et puis, tout demême, soyons francs, nous serons contents aussi, comme le disait lejeune sergent canadien Paul Dumoustier (dont je conserverai, pour mapart, ainsi que du capitaine Percy Fergusson, un aimable et durablesouvenir) — nous serons contents de nous retrouver entre nous, etd'être rendus à nous-mêmes.
Aussi, est-ce, en toutesincérité, et sans ironie que, lorsque nous quitterons nos alliés, noshôtes de guerre, nous leur dirons, en les saluant d'un geste cordial :Au revoir, braves amis, au revoir... et merci !
Henry BRIDOUX.
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FIGURES NORMANDES
____M. Henri VermontPrésident de l'Emulation chrétienne de Rouen,Membre du Conseil supérieur de la Mutualité,Vice-Président de la Fédération nationale de laMutualité française.___

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Henri Vermont est une personnalité française, on pourraitdire universelle dans le monde de la mutualité ; mais c'est aussi unepersonnalité normande, fidèle à la petite patrie qu'il honore, etgardant de cette origine normande certains traits particulièrementcaractéristiques.
Sa vie.— La vie de M. Vermont, déjà longue, est aussi singulièrement bienremplie. Né à Rouen, le 20 janvier 1836, il se fit inscrire au barreaude cette ville en 1860. Il fit au Palais des débuts brillants en courd'assises, et un avenir d'orateur judiciaire s'ouvrait devant lui.
Cependant,en 1871, il n'hésita pas à compromettre cet avenir, pour présider et,on peut le dire, ressusciter, orienter vers de vastes destinées laSociété de Secours mutuels, l'Emulation Chrétienne, grâce à lui,universellement connue.
Le souci de son intérêt et mêmede sa sécurité n'a jamais troublé cet apôtre de la prévoyance. Cettemême année 1871, au moment où les Prussiens organisaient une revuesensationnelle et, avec leur tact habituel, y conviaient les Rouennais,M. Vermont, au passage du prince royal de Prusse et de son état-major,n'hésita pas à escalader le socle de la statue de Boïeldieu, sur lesquais, pour la voiler d'un crêpe de protestation.
La vie de M. Vermont se confond dès lors avec la vie de son ouvre et de la mutualité française elle-même.
Vice-présidentdes Congrès mutualistes de Rouen (1882), de Marseille (1886), du Havre(1887), de Philippeville (1890), de Bordeaux (1892), de Paris (1890),de Saint-Etienne (1895), de Saintes (1897), de Reims (1899), il a étérapporteur de commission dans ces mêmes Congrès.
Par laparole, dans d'innombrables conférences, par des mémoires au Parlement,par des articles de journaux, des brochures et des livres, M. Vermontn'a jamais cessé de plaider la cause de la mutualité, de la faireestimer et aider par l'Etat, tout en la défendant avec énergie contreune protection qui deviendrait une tutelle fâcheuse.
Il faudrait des pages pour énumérer toutes ses œuvres. Citons seulement un peu au hasard :
La question sociale (1880) ;
Les retraites des travailleurs et les Sociétés de Secours mutuels (1882) ; La liberté d'enseignement (1882) ;
De l'admission des femmes dans les Sociétés de Secours mutuels (1884) ;
De l'obligation en matière de prévoyance (1899) ;
La Mutualité française (1890) ;
Des pensions de retraites, du fonds commun et du livret individuel (1890) ;
Des retraites ouvrières(1891) ;
La loi des accidents du travail (1888) ;
Le projet de loi contre les Sociétés de Secours mutuels (1895).
Cettedernière brochure résumait treize années d'une lutte ardente,convaincue et qui n'est pas finie, pour la liberté de la mutualité etcontre la conception étatique et païenne de la prévoyance obligatoire.
M.Vermont est membre de l'Académie de Rouen et du Conseil supérieur de lamutualité où il joue un rôle extrêmement actif, ne laissant échapperaucune occasion d'exposer et de défendre ses théories très nettes, trèsprécises et qu'il sait ramasser d'une phrase alerte en une heureuseformule. Toute la vie de M. Vermont, à part une action toujours utileet avisée dans les luttes pour la liberté religieuse et pour lesgrandes idées de tolérance, est la vie d'un mutualiste. Celle-ci estlongue, elle vient d'entrer dans sa 84e année, et il n'y paraît pas.
L'homme.— En effet, M. Vermont, à 84 ans, n'a rien d'un vieillard ; sauf la vuequi a baissé, on dirait, à l'apercevoir, un homme en pleine maturité.La parole est aisée, alerte, savoureuse, le geste vif, suivant l'envolde la pensée et se déclenchant comme d'un bond pour fondre surl'objection. La démarche est d'un jeune homme, le pas large, assuré,sans une hésitation ; les mouvements d'une souplesse incroyable. M.Vermont, à 80 ans, escalade d'un saut une chaise ou même une table, enréunion publique, pour s'en faire une tribune improvisée. Svelte,élancé, c'est une dextérité dont on ne revient pas, quelque chose defélin, sans aucune raideur des muscles, sans le moindre tremblement dela main ; tous les mouvements s'adaptent, avec seulement quelquessaccades d'impatience, mais qui ne dénotent aucun déséquilibre del'ensemble. Le sourcil se fronce, le bras se lève, la lèvre frémit, lepied avance, au service exact d'une pensée toujours active.
L'orateur.— Car c'est bien d'un homme comme M. Vermont qu'on peut dire qu'une âmeguerrière reste toujours maîtresse du corps qu'elle anime. Il y a, eneffet, toujours quelque chose d'un peu belliqueux dans l'alluregénérale. M. Vermont n'est pas un violent ni un sectaire, toute sa vieet toute son oeuvre prouvent le contraire ; mais c'est volontiers uncombatif, c'est à coup sûr un militant.
De conviction profondeet d'une absolue sincérité, incapable de la moindre dissimulation, M.Vermont a une âme mue par un idéal puissant et précis.
Un auteur qui le connaît bien, M. Marin-Thibault, l'a défini : «
Athénien pour la forme, au fond gaulois, c'est un Normand au verbe méridional. »
C'estvrai, l'expression est impeccable, le débit est quelquefois un peuprécipité sous l'afflux des pensées, mais le mot qui enlève lesapplaudissements et qui met les rieurs du bon côté ne lui manquejamais. La bataille excite sa verve ; aussi, il excelle dans lariposte. Ceux qui l'attaquent se sentent cloués d'un mot preste, vif etils y restent. Pas la moindre gaucherie dans le discours, pas plus quedans la démarche, pas de timidité dans les mots ni dans le geste. Quede fois des salles mal disposées ont été soulevées par cette vervequ'on dit méridionale, mais qui, chez M. Vermont, est surtout l'apanaged'une persistante et extraordinaire jeunesse.
Et quellesincérité ! Pas la moindre attitude, pas la moindre pose, rien dudémagogue ; mais rien non plus du prêcheur. Ce catholique fervent,d'une foi admirable et sereine, est le contraire d'un clérical ; nul nerevendique plus crânement que lui les indépendances nécessaires, nul nefait moins le jeu des réactionnaires. L'Evangile appliqué est la sourcede ses vastes audaces.
M. Vermont déconcerte ainsi certains deses amis personnels, mais il ne s'en, émeut pas ; il n'atténue rien, ilcontinue le bon combat pour la liberté et la tolérance.
Untel homme occupe-t-il la place qu'il mériterait ? On peut dire : non.Nul n'est prophète dans son pays, mais la postérité, comme dit l'autre,commence aux frontières, aux frontières de la cité comme aux frontièresde l'Etat.
Si M. Vermont ne siège pas au Parlement commedéputé d'un pays de prévoyance, s'il n'a pas vu sa boutonnière rougirdu ruban de la Légion d'honneur, il est au moins récompensé par sanotoriété universelle et d'un aloi incontesté dans l'univers mutualiste.
Le Mutualiste. —
L'Emulation Chrétienne.C'est cette œuvre mutualiste qu'il convient de faire maintenantapprécier en présentant la Société l'Emulation Chrétienne, qui estcomme le champ d'expérience de cette admirable sociologue normand.
L'EmulationChrétienne a été fondée le 2 décembre 1849, dans la Sacristie del'église Saint-Vivien ; par sept ouvriers, sur l'initiative d'unsellier, M. Carpentier, et au capital de sept sous.
Trois ansaprès, elle comptait 3.000 adhérents et on vendait à Rouen des faïencesà ses emblèmes ; mais ce succès ne se maintint pas. M. Carpentier, enbutte à la calomnie, démissionna en 1855 et, après deux ans d'intérim,fut remplacé à la présidence par M. Allard, notaire, puis par M.Edouard Leroy, instituteur. Ces honorables présidents ne purentempêcher la décadence qui s'accéléra.
A la fin de 1871,la Société n'avait plus que 2.160 membres. C'est à ce moment de crisepresque mortelle que M. Vermont, jeune avocat, fut appelé à laprésidence.
Ce qu'il y fit est merveilleux de hardiesse et de cohésion. Entrons dans quelques détails intéressants.
Lefonctionnement de la Société est assuré par un conseil d'administrationde cinquante participants avec un président et deux vice-présidents.
L'âged'admission des membres est fixé de neuf à trente-cinq ans pour lesfemmes et de neuf à quarante ans pour les hommes. Le droit d'entrée,progressif suivant l'âge, est de 50 centimes pour les enfants, de 1franc pour les adolescents et peut s'élever jusqu'à 20 francs. Lescotisations sont de 9 francs à neuf ans ; elles augmentent de troisfrancs par périodes triennales, jusqu'à dix-huit ans, époque à partirde laquelle elles sont de 18, 24, 30 francs pour les femmes et de 18fr. 60, 21 fr. 80, et 30 francs pour les hommes. ,
Lesfemmes en couches reçoivent un secours en argent de 25 à 50 francs, lesmédicaments leur sont dus ; elles reçoivent de plus une allocation de28 francs si elles gardent un repos de vingt-huit jours après leurscouches.
Les hommes ont, pendant une année, droit à uneindemnité quotidienne de 2 francs, 1 fr. 50 et 1 franc, suivant leurcotisation. L'indemnité continue ensuite jusqu'au bout de la maladie aumoyen d'une réassurance.
L'Emulation Chrétienne a aussi organisé la mise en subsistance pour le cas où le sociétaire est appelé à laisser Rouen.
Unedes initiatives les plus originales et les plus éducatives del'Emulation Chrétienne, a été la création des prêts d'honneur, créationqui remonte à 1896 et qui n'a donné que d'excellents résultats puisquela Société, à peu près sans rien perdre, a pu prêter jusqu'à 90.000 fr.à d'honnêtes travailleurs momentanément dans le besoin.
Pour les retraites, la Société a dû tâtonner quelque temps avant de les asseoir avec sécurité jusqu'à concurrence de 300 francs.
L'EmulationChrétienne, grâce à sa bonne organisation technique, grâce à l'activitéde son président et à la confiante sympathie qu'il inspire, a reçuquantité de dons volontaires et, en 1903, elle pouvait fêter sonpremier million d'économies.
Une telle œuvre fait honneur à celui qui, depuis bientôt cinquante ans, la préside et lui imprime une orientation si heureuse.
L'EmulationChrétienne, malgré son titre, n'est point une société confessionnelle ;elle s'adresse à tous et tous y viennent. Son président n'en fait pasun moyen de prosélytisme indiscret.
Conclusion.— M. Vermont, partisan de la liberté envers l'Etat, est égalementpartisan de la liberté de conscience. Catholique pour lui-même, il neprêche que par l'exemple, par la netteté de son caractère, la franchisede ses allures et sa perpétuelle bonne humeur. Cet entrain juvénile luia permis de supporter et de surmonter des difficultés douloureuses,mais inévitables pour quiconque s'occupe d'œuvres sociales.
M.Vermont est certainement un des types les plus vivants, les plussympathiques, les plus caractéristiques de la Normandie ; pratique ethardi tout ensemble, il a rendu à la France entière, dans l'ordre de lamutualité, des services éminents. La Normandie le revendique, non pourrestreindre son action, mais pour s'en glorifier.
Edward MONTIER,
De l'Académie de Rouen.
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Dits et Devis
sur « L'Arc d'Ulysse »
de Charles-Théophile FÉRET

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« Qu'il y a de choses bonnes à côté de celles que nous aimons !
Il faut faire place en nous pour un certain contraire. »
(Cahiers de SAINTE-BEUVE.)
Quelle colère, Philémon, tempête en vous contre moi ?
— Rien. Sur votre conseil, et malgré de justes préventions, j'ai acheté
L'Arc d'Ulysse. Je l'ai lu en courant, sans y trouver le plaisir promis. C'est un mauvais, un triste, un méchant livre.
—Diable, Philémon ! La couverture plume de paon, si originale dans sesondulations ocellées, les trois images qui sont de Chapront, Aider etCalbet, ne vous ont donc point amusé ? Les caractères seraient-ils tropfins pour votre myopie ? Ne sauriez-vous trouver bons des vers impriméssur papier de guerre ? Peut-être vous a-t-il manqué une préface qui,vous racontant le livre, vous eût dispensé de le découvrir ?
—Vous vous moquez, Philéas ! C'est l'œuvre qui me chagrine. Ni poésie,ni attrait, ni charme. De l'obscurité, de l'obscénité, de l'étrange...
—Oui, je sais, vous demandez à tous les poètes de vous rappeler le bonLamartine. Ou, comme dit Anatole France, si vous aimez la poésie, il nevous en faut pas trop, et vous la dispensez d'être poétique. Surtout,pour faire comme tout le monde aujourd'hui, vous n'y souffrez pointl'intelligence. Vous ne savez pas lire les poètes...
— Apprenez-moi...
—Il faut aller à eux avec une grande sympathie, un grand désir d'êtreconquis. Il faut ne leur demander que ce qu'ils veulent vous offrir,les laisser vous prendre par la main, vous mener où il leur plaît,fût-ce au diable, et admirer avec eux
— Aveuglément !...
—Si vous pouvez admirer... Si vous les suivez avec le secret désir deles trouver en défaut, de vous affronter à eux, d'opposer aux leurs vosgoûts, vos opinions et vos sentiments, laissez-les plutôt tranquilles.Vous souffrirez ; eux aussi. Tous les poètes ont droit à cet abandon denous-mêmes, et M. Rostand n'aurait su toujours s'en passer. Laissez ancritique le souci d'être clairvoyant. Mais il se prive de bien desplaisirs.
— Mais, d'abord, qui est-ce, Féret ? Barbey disait : «Les oeuvres et les' hommes » ; Sainte-Beuve était curieux dephysionomies, et M. Taine, je crois...
— Que vous faut-ildonc, Philémon ? Un portrait ? En voici un que je fis naguère...Imaginez un homme court, solidement et fermement charpenté, auxmuscles d'acier, puissants de chair nerveuse et drue, qu'une sobriétésans défaillance fera vivre jusqu'à cent ans et sur ce tronc d'athlète,un visage sculptural, aux traits nets et accentués ; un mentonproéminent, le rude menton de galoche de nos paysans, laissant devinerune mâchoire féroce faite pour déchirer la chair et broyer les os ; unnez qui....
— Oui. Mon large nez... hume les Livarots. J'ai lu ça, ou à peu près, dans
L'Arc...
—Et, derrière le clair lorgnon, des yeux perçants, incisifs, fouilleurs,scruteurs et lucides ; un regard qui entre en aiguillon au fond duvôtre et fait craindre à la jolie femme — en dépit d'un poil maintenantpoivre et sel — un assaut terrible et victorieux à sa vertu ; un regardde Maître Inquisiteur et de Centaure..., brillant d'une tendresseheureuse quand l'amitié sourit au cœur...
— Continuez, je vous en prie...
—Quoi encore ? — Nous sortîmes ensemble un soir dans Paris, mais Féretétait vêtu comme vous et moi ; il n'avait ni chapeau à la mousquetaire,ni gilet rouge à la Gautier ; et personne ne criait. : « Vive Féret ! »sur notre passage. Seules, nous souriaient quelques belles filles enquête d'aventure. Féret n'aime pas qu'on regarde à travers ses vitres.
— Dommage....
—Ah ! n'admirer l'homme qu'autant qu'il se singularise, qu'il vous ouvresa porte et vous laisse fouiller jusqu'en l'alcôve ! La toque d'AnatoleFrance, les guêtres rouges de Richepin, le portrait japonais de JulesLemaître ! Féret se cache ; et je sais bien qu'il a tort ! —Pourtant....
— Ah ! vous y venez !
— Non : c'est dans
L'Arc! Ce bibliophile a des recettes merveilleuses, des secrets miraculeuxpour... remettre à neuf les livres graisseux, flétris, piqués, mangésdes vers....
— L'aiguille, le pinceau, le grattoir et l'éponge...
La reliure a pris un beau ton ivoirin...
Tout ça, c'est donc vrai ?
— Vous voulez connaître Féret ? Lisez
L'Arc! Tout poème y est fruit de circonstances, de moments vécus. C'est pourça que c'est si bien, si attirant, malgré les défauts. Féret a perdudes vers ? Un sonnet ! Un poète lui a fait des confidences ? Il en tireun
Premier livre. Fleuret est en exil, et tarde ? Voici les
Vers à Favone. Féret se repose à la campagne ? Et c'est
Dimanche d'août. Comme Lamartine pour ses
Méditations, il pourrait conter l'histoire de ses vers, en note. Mais on ne s'étale plus ainsi.
— Moi qui croyais qu'un poète...
— Peut s'asseoir à sa table et dire : Je chantai Diane hier, chantons Bacchus aujourd'hui !
— Mais, son caractère ? on en dit tant de mal, dans les parlotes littéraires de..., et d'ailleurs...
— Au dire d'un jeune poète de nos amis, il ne saurait être pire que le mien (1). Mais voyez mon Epître à Tircis :
Féret, coeur frémissant, partial et sincère,
De l'un fait son ami, de l'autre un adversaire
Et lit avec des yeux prévenus ou ravis.
Sa dent dure a brisé mainte flûte légère...
Dixans de correspondance suivie ; une amitié littéraire fervente qui,malgré la diversité, l'opposition sans cesse croissante de nostempéraments (il n'a pas changé, lui, mais j'ai pris conscience demoi-même), s'est montrée, dans le privé, solide et sûre....
— Ne le criez pas trop haut, Philéas....
— Que voulez-vous dire ? J'étais hier un enfant. Je me sens maintenant un homme. Féret peut dire avant tous : J'y ai aidé !
— Soit. Mais cette « conscience de vous ! » Deux ténors dans le chœur normand (1). Vous le gênez ! Il vous gênera !
—Méchant Philémon. Ténor ne suis, ni ne peux être. Et la Normandie, quia la piété de Féret, me semble bien la mère — ou l'aïeule — de cetteNormandie qui aura tantôt mes amours. Mais j'ai aimé l'autre avec lui,par lui, et je lui garde ma tendresse, comme le fils qui se mariecontinue d'aimer sa mère... Et malgré nos âmes différentes, toujoursnous unira, Féret, et moi, et tant d'autres,, le culte fervent del'art, le seul dieu
Qui réponde par des miracles aux humains.
(unvers de Féret que vous ne savez pas encore !) Notre Dieu, à nous,poètes, c'est la Beauté. Nous la comprenons mal, peut-être, etdifféremment, et nous allons-vers elle en trébuchant. Mais que nous yparvenions ou non, nous sommes « des volontés tendues, des cœursardents, des flèches lancées »... Et nous gravissons la double colline,les genoux meurtris et les mains en sang.
— Flamboie donc, orgueil du Poète !
—Comme c'est joli, pense un autre, cette présomption immortelle ! Allez,ne nous raillez point. Nous sommes plus malheureux que vous, parce queplus passionnés. Vous pouvez servir deux maîtres. Nous pas.
L'art est un dieu jaloux qui ne partage point.
— Mais Féret n'y croit pas, à votre amitié !
Par le poison de l'or et l'ongle du désir
L'amour ne fait jamais que tuer ce qu'il aimé...
—Las ! Ces vers sont fruits d'expérience, dure et amère 1 Mais n'y aentre nous or ni envie. Le Parnasse est à ceux qui savent en gravir lespentes. Et, le verger des Muses normandes, après tant d'ombresaccueillies, est ouvert à des hôtes nouveaux... — Venons-en à
L'Arc.A la page où, d'ordinaire, un auteur nous remémore son passé et nousconfie ses projets, Féret nous promet un roman, Présences secrètes ;Les
Contes de Quillebeuf et du Roumois, et une
Normandie exaltée, en partie nouvelle. Pour parler de l'homme, du caractère, des doctrines, de l'œuvre, attendons. Mais les pièces de
L'Arc datent de 1884 à 1915 ; je peux, sans avoir trop à me corriger plus tard, en étudier l'art avec vous.
— Il ne vaut rien, Philéas. Souvenez-vous donc :
Moi, barbare danois des îles Far-oer…
« Il parle une langue de Scanie, votre poète, faite pour lutter contre le fracas des avalanches et le hurlement de la mer. »
— Vous récitez bien, Philémon. A me faire grincer des dents. Mais ces vers ne sont point dans
L'Arc, et vous trichez. Et que nous sommes injustes, quand nous n'y prenons point garde ! Hier, parce que j'ai noté dans
L'Arc deux vers sans harmonie :
Demain, te confrontant à tes traits d'autrefois
De douze gens, j'habite en même temps la peau...
(tantatestraits ; je-jan-ja...), je me suis hâté d'écrire : Féret, un très médiocre musicien...
— Les premiers sentiments sont les plus...
—Et les jugements hâtifs les plus sujets à erreur. Pour deuxdéfaillances, condamner tant de beautés ! Mais si Féret chanterauquement,
aux endroits choisis, parce qu'il le faut et qu'il leveut, plus souvent aussi, il
Chante comme le vent sur l'orgue des roseaux.
Par lui,
... la Cambrie
Se lamente au frisson de ses bouleaux légers ;
le jardin de Vard est plein d'abeilles
Dont le peuple guerrier bruit comme des dards ;
et le calme s'épand
Sur la colline douce et le toit endormi.
Féretest maître de ses airs ; criant ici, soupirant là, il accorde et ilharmonise, mais le timbre de sa voix, inattendu, n'est pas plus que lenôtre à tous, soumis à sa volonté. Sa poésie est un beau chant sur uninstrument sonore, mais étrange. Mais il est si maître doses airs, vousle savez, qu'il a des dons d'
ubiquiste...
— Toute la Compagnie en un seul...
—Oui, et si grands que naguère, m'étant permis d'affirmer que des versoù il évoquait Verlaine n'étaient pas aussi mélodieux que ceux dupauvre Lélian, je m'attirai du bon critique Jean d'Armor,... unaimable, mais très ferme démenti... Féret peut chanter comme Marie deFrance, Mlle de La Vigne ou Sonnet de Courval ; et avec leurvocabulaire, car il est, nul ne le conteste, un savant, un érudit, un «Apollonnien fou de mots »...
— Mais leur timbre...
— Est si usé que Féret leur substitue le sien sans désavantage... Mais voyez le
Sonnet sur mon prénom, de Théophile. Féret s'y réclame, en art, du Gautier d'
Emaux et Camées :
Sous lui, j'ai peint, serti, cuit l'émail, et sculpté.
Untort de Féret — si c'en est un — est d' avoir poussé à l'extrême,de s'être appliqué de force les théories de Gautier, qui ne voyait dansl'artiste qu'un ouvrier très habile, d'un genre supérieur, certes, maisun ouvrier comme les autres. Dans ses vers, Féret semble ne rienlaisser au hasard. Il n'a pas la Muse heureuse à qui tout réussit sanseffort ; sa poésie n'est point la rivière qui coule, fluide, entre desrives verdoyantes, sous un ciel largement fenêtré d'azur, c'est-à-direla seule que vous supportiez, Philémon, parce que...
— Parce que la plus naturelle...
—Et la plus facile. J'écrivais hier : « L'art de Féret sent le roc et legranit, qui, jamais ne sont lustrés, vernis ou cirés, mais quiconservent à travers les temps et jusqu'en leurs sables une inaltérabledureté. » Disons mieux. Féret est, dans l'ensemble, un musicien quis'applique, un peintre qui étale des couleurs, un imagier qui traced'un crayon ferme un trait exact, un sculpteur qui modèle dans laglaise des formes au dur relief. Il tire de l'harmonie imitative deseffets étranges. C'est que pour lui, l'Art, le Beau, « c'est la nuance,l'exceptionnel, le geste arrêté dans sa plus belle pose... » ; ce n'estpas le général, qui n'est que votre banalité. Il en arrive à êtrecompliqué, torturé, obscur. Certes, le trop de clarté a sesinconvénients
— Jamais de l'homme un dieu n'a montré son visage...
— Mais il ne faut rien exagérer... Il fait violence à son libre et capricieux génie, pour se voir plus beau. Il s'habille.
— D'autres vont nus...
—Les amoureux de la ligne pure ! D'autres se parent de bijoux, ous'enguirlandent de fleurs... Il lui faut, à lui, des teintes vives, desnuances...
— « Il faut savoir risquer des couleurs sur son aile ! »
—Merle ! Et tous les chemins qui montent vont à la beauté ! SuivonsFéret sur le sien. Mots heurtés et rimes barbares ? Il les a voulus.
— Pour étonner.
— Non, mais vous vous en êtes étonnés ! Hier, il nous faisait de Vard un
Anachréon sculpté comme un dieu des jardins.
Voici aujourd'hui son rire :
Un rire rauque, aigu comme un hennissement.
Evoque-t-il une beauté d'antan ?
Et tout l'harmonieux second Empire est là
Dans cette chute des épaules.
Admirez, dans .cette servante bien en chair,
Les beaux flancs faits pour la luxure et les yeux chastes
Et ce balancement sensuel des vaisseaux
Que leur château-d'arrière assied bien sur les eaux !
Des nuages courent-ils en un ciel nocturne :
Voici le doux hameau qui revient de la guerre
Dans la Flandre assoupie ;
Et la lune rassemble à sa lanterne claire
Ses moutons de charpie.
La brise murmure-t-elle dans la feuillée,
Le vent sur les feuilles du tremble,
Ce matin,
A pile -ou face, joue il semble,
Nos destins.
Si l'homme préhistorique
Tend les bras vers le ciel aux fentes des brouillards
Où cuit la venaison saignante de l'aurore,
nos jeunes filles perdent leur temps
A regarder couler leur fraîche destinée....
Et bien qu'il sache autant qu'un autre
Que l'art avec ses choix très tendres purifie
La nature,
jevous accorde que parfois ce qui semble harmonieux à Féret, faune éprisde tous les bruits, le rire rauque, le hennissement des étalons, lefracas des vagues, peut ne pas l'être pour nous,
prudes et prudents.Nous supportons les sons durs, les bruits heurtés ; mais nous enévitons le supplice à nos oreilles ; et nous ne les souffrons pas dansles vers, pas plus que des images de
squale ou de vampire... L'excessif...
— Oui, l'ombre des plis sur la robe étincelante de la vie nous fait peur. « Les délicats sont malheureux... s
—Mais ce manque à nous plaire, ces outrances (rares, mais sensibles) nesont chez lui qu'un aveu, une révélation de soi-même, parmi tantd'autres...
— Curieux, curieux ! Dommage que de l'hommevous ne montriez qu'un bout d'oreille ! Mais ces vers de onze pieds,ces alexandrins coupés à la septième syllabe ? Préciosité, mandarinadesou grand art ?
— Pour deux pièces ! Paresseux Philémon !Vous ne souffrez rien qui ne flatte en vous l'habitude. La nouveautévous fait peur. Ainsi l'enfant timide aux lisières de la forêt. Il y asans doute de verts gazons, des ombres douces, de tendres fleurs, desbrises charmantes et des clairières merveilleuses. Mais il y apeut-être le loup. Et il reste, sage, au soleil aride du grand chemin.Et pendant ce, un autre va, naïf ou hardi, et fait sa moisson, dût-ilrencontrer l'abîme et y choir...
— Quittez les cimes, Philéas !
— C'est devant l'inconnu qu'est grande la secousse !
— Philéas, revenez au sol !
— Je vous l'ai conté naguère :
Le vers est muscle, et nerf, et corps bien charpenté.
Desrythmes disciplinés comme ceux de Féret sont plus qu'acceptables ; ilssont classiques, quoique neufs, et plaisants, parce que subtils....
Plaise aux amants, | l'arc argenté de Di-ane... ;
L'hiver, | qui durcit le cœur, | qui durcit les mares...
Versde onze pieds ? Je ne l'ai su qu'en y regardant. — Et que ces rythmessautillants ont de charme en la circonstance ! Ces coupes me sontfamilières, mais nouvelles, et c'est ma raison, et votre excuse. J'aiété plus loin que Féret :
Vers de quatorze pieds, je vous raillais sans vous connaître,
Et n'osais pas vous lire, ayant peur de vous trouver beaux...
— Des alexandrins à rallonge...
—N'y voyez que cela si vous voulez. Mais ces efforts vers des formesneuves, aux disciplines fermes, claires, logiques et simples, auronttoujours ma sympathie. Elles seules sauveront l'art de la pauvreté oùle maintiennent les ultra-classiques, et nous garderont de l'anarchiedont le verlibrisme, dans sa forme moderne, peut vous sembler un timideessai. Et je vous dirai que si Féret use de l'hiatus, c'est que lapoésie est chant ; et que si on y tolère :
Ils sont infatués d'eux-mêmes, il n'y a pas de raison logique pour ne pas dire à une femme :
Tu es belle ! Féret a évolué quant à ses rimes ? Mais la rime est pour l'oreille ; et les finales
s ou
nt qui ne dérangent pas la musique, ne sont pas à considérer...
— Vous vous gardez de ces hardiesses !
—Je m'en expliquerai demain (2), Vous, vous regardez, pour juger d'uneœuvre, si les rimes sont riches, et si la césure est au milieu del'alexandrin. Le collège vous a appris Boileau ; il est votre pierre detouche. L'eau a coulé sous les ponts, depuis. Mais écoutez donc :
Ma Rime — Ondine dans le vent qui vire et valse —
Fluteau parmi les joncs, clairon sur la mer vaste,
Chuchote en la feuillée et pleure dans la vasque...
A notre néant d'orgueil
Siérait tant la mort des fleurs ;
Abdiquer, tout bas, sans leurre,
Au gré du vent qui nous cueille...
— Quelles musiques suaves, Philémon !
— Suaves, suaves Ah ! les Marseillaises de Victor Hugo ! Ça, ça vous faisait marcher au pas !
—Fracas, stridences, sonorités, flûtes, ruisseaux, abeilles ou brises,soupirs ou plaintes, ce chant est tous les sons et tous les bruits.Mais ; ça ne suffit pas pour qu'on
l'aime. L'amour se donne, endehors des qualités qu'on a. Et la gloire aussi !
— Riquet à la Houppe !(3) Mais les
Flèches de L'Arc, Philéas ? Ces satires rageuses, ces coups de massue....
—Féret n'assomme qu'en effigie, Philémon. De ses satires, je me délectesans mauvaises pensées. Impartiales comme des critiques, ces pièces meseraient insipides... Le taureau fonce au rouge ; l'autre, au noir.Pour produire l'émotion d'art, il ose exagérer et être injuste. Mais ilsuffit que je le sache, pour ne rire des victimes, ni les plaindre.Demain, sans leur faire de condoléances, je choquerai mon verre auleur. Mais que leurs Mannequins reçoivent des coups bien portés, etj'applaudis l'adresse et la force de qui les donne. Vous êtes tropcommère de village ; vous ne voyez que le potin et la méchanceté. Lesmeilleures de ces satires sont celles dont je n'ai point la clef.
— Gare aux ennemis, Philéas ! Mais ces poèmes licencieux...
—L'Art, qui me justifie les satires, me justifie aussi ces poèmes, etles interdit aux simples. Certes, chez Féret, qui se reconnaît
Un grand rire de bouc, sacrilège et salace,
il y avait naguère du Centaure :
Le viol, sous les torches brandies,
Sema ma race……………………………………
Levoici faune concupiscent et sensuel ; et sous le masque du satireapparaît parfois un Silène. Cet Alceste, me dit-on, est quelquefois unRabelais. Alors, je regrette une ou deux pièces, pour la robe... Quen'a-t-il fait des
Vers pour les Servantes et de quelques
Compliments un recueil à part ! Vous l'auriez lu en cachette, et pu dire de celui-ci : C'est un
bon livre ! Mais Féret en fera-t-il un, un
bon livre, sans taches ?
— Bravo, bravo, Philéas ?
—Oui, votre superstition de la Moralité se rencontre ici avec mon goûtde l'ordre et de l'harmonie en toutes choses. Ces vers licencieux ne mesemblent pas ici à leur place. Vous, vous ne les trouverez à leur placenulle part... Nos Muses, pour vous, ne doivent être femmes que commeles sirènes, jusqu'au nombril.
— Trop de franchise,Philéas, gâte en vous le parfait Normand. Et cet amour maladif pour lesPoètes maudits, les Ratés et les Impuissants ?
— Lacrudité verbale de Féret n'est rien auprès de la sécheresse de votrecœur. Ces Villon, Théophile, Saint-Amant, Glatigny, Vard, qu'ensavez-vous ? La vie, racontée par le menu, pour vous amuser, bassement,par des critiques qui n'avaient pas toujours sous la main de grandshommes à leur convenance. Mais quel cœur battait sous leurs oripeaux,peu vous importe. C'est ce cœur, à défaut d'une œuvre imparfaite, queFéret a chanté, sublimifié, inventé peut-être,
pareil au sien ! Tâche ingrate,
garder les ombres de mourir !Ne regarde donc point son œuvre, mais son âme,
dit-il en parlant de Vard ; et de
Ceux qui marchent sans voir par la rue importune
Ou collent aux carreaux leurs yeux comme deux lunes,
il guette,
Quand jaillit leur pauvre secret,
Par quels sanglots
Ils reprochent à Dieu leur génie et leurs fautes.
— Féret est une grande tendresse calomniée, Philémon !
— Le tendre Féret ! Si je m'attendais....
— Pas tendre, Féret ! Quelle injure ! Vous confondez
douceur de style et
tendresse de cœur ! Vous ne pensez qu'à Racine :
Le doux, le tendre...,et vous n'imaginez pas que la tendresse puisse se faire violente. Vousvous en tenez aux mois ; et qui n'a pas de cœur en aura pour vous, s'ilmodule
doucement et harmonieusement ses airs. Il y a des cris déchirants dans Féret :
J'aurais été plus grand si l'on m'avait aimé !
Et reconnaissez qu'il y a au moins une magnifique tendresse filiale ! Depuis
La Maison maternelle :
Mon âme en un balbutiement
A ses pauvres pieds exhalée
Je gémirais : Maman ! maman !
jusqu'à
Ma mère adoptive :
Viens me voir cette nuit, maman, que dans un songe
Tout le bonheur brisé par la mort se prolonge
en passant par
Maître Villon :
Maman ! maman ! seul vrai cri de l'humaine détresse. Sanglot et reflux vers sa source du sang qu'on précipite. Maman ! »
— Le cri de nos pauvres soldats....
— Comme vous vous étonnerez un jour ! Il n'a semblé parfois haïr que parce qu'il n'a pas rencontré...
— Le bout de l'oreille, Philéas ! Quel rang...
— Attendez l'œuvre complète.
— Mais encore...
—Le plus fin s'y trompe. Si, dans 200 ans, Rostand est quelque chosedans la mémoire des hommes, comme… aujourd'hui..., le bon....Regnard....
— Mais non. Pourtant, soyez sûr que Féret se débattra farouchement contre l'oubli. Que de pièces de
L'Arc méritent mieux que le sonnet d'Arvers !
— La gloire injuste
Paya quatorze vers médiocres d'un buste...
— Quelles pièces, Philéas ?
—Ecoutez Philémon, terrible ! Du livre nul de vos quarante-ans, jetirerai la pire pièce, pour faire besogne de bourreau. Du livre inégald'un adolescent, je dirai les plus belles pages, pour le faire aimer.
— De l'enfant attends l'homme, et du bloc lourd le vase.
— Oui. Et dans un beau livre, je chercherai celles qui sont, non les plus belles absolument, mais les plus chères à mon cœur.
— Le cœur a ses raisons...
— ...ses faiblesses et ses partis pris. Ici, quelques strophes de
La Muse de Villon, les deux premiers poèmes de
Aux miens, l'
Ode pour reprendre une dédicace, le
Rossignol... Et voici un
Regret de Normandie que je mets au-dessus de tout.
Savez-vous,qu'au temps de sa jeunesse, Théophile Gautier consacra presque tout unlivre à ressusciter Théophile de Viau ; ce dont le blâma d'ailleursassez fort le bon Sainte-Beuve ? Coupant-ci, rajustant-là, il en citades pièces fort présentables. Combien des longues pièces de Féretmériteront le même heureux sort ? Beaucoup ! Et jusqu'à ces satires queles érudits... Soyez sans crainte ; on fera plus de livres sur Féretqu'il n'en a fait sur les autres....
— Vous le premier, Philéas, dès qu'il...
— Ou avant, Philémon, car j'attendrais trop ! Je vous dirai demain un sonnet à la... louange de mon aîné, et une épître...
— Le bon défenseur que vous faites !
—Point, Philéas. L'Art se défend seul, par sa divinité même. Dédaigné,il est immortel. Mais les hommes ont besoin qu'on les aide à s'éleverjusqu'à lui, car il descend rarement jusqu'à eux. Qui l'infirme, celuiqui plane, ou celui qui ne peut s'élever ?
— Oui,
L'Albatros de Baudelaire, et
Les Oiseaux de Passage de Richepin. Pauvres oisons que nous sommes....
—Vous avez des lectures, Philémon, que vous prenez pour des lettres, etde l'ironie Par en bas. Mais si vous n'admirez même plus quand on vouscrie d'admirer ! Que n'êtes-vous apprenti poète ! Je vous dirais :Gardez
L'Arc à votre chevet.... Allons ! Achetez mon
Chemin Délaissé. Il vous délassera de
L'Arc d'Ulysse.
— L'églantine après l'orchidée ? Merci ! Critique épineux qui n'offrez point rançon de roses !
—L'ami Campion — un délicieux pince-sans-rire — dit parfois « En fait debons poètes, il n'y a plus guère que Le Révérend et moi ! Et
encore, Le Révérend ! » Ce
encore,mon cher Mécène, vous autorise à ne point m'ouvrir votre bourse. Mais,tenez, j'ai ce qu'il vous faut. Achetez un livre de M. Fauchois. Iljoue très bien du clairon !
— Rendez-moi mon
Arc, Philéas !
— Pourquoi ? Lu en courant, su par cœur...
—Pour le revendre, Philéas ! Votre Féret est décidément trop fort pourmoi... Mais qui donc, à propos d'un livre où l'ironie elle-même a dupoids, vous a permis un ton si léger ?...
— C'est que vous m'égayez, Philémon.
—Adieu, ô « rêve errant » paradoxal, ô trop peu révérend ami. Une mouchesemble vous avoir piqué. Mais prenez bien garde aux javelots ! Ilsuffit d'un, bien lancé, pour vous abattre à jamais….
Janvier 1919.
Gaston LE RÉVÉREND.
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NOTES :
(1)Certaines répliques de Philémon sont « vécues » Leurs auteurs mepardonneront, j'en suis sûr, de les leur emprunter sans les leurrendre...
(2) Et de bien d'autres choses, en étudiant
Belphégor, de M. Julien Benda.
(3)Que manque-t-il, de capital, à Féret, qu'il plaît à si peu ! Il a dusentiment, de l'humanité, de l'expérience, de la vie. Mais presquetoujours, il fait appel au savoir, à l'érudition, à l'analyse ; ilinvite à la méditation et au souvenir ; il exige un effort de mémoire,d'évocation, de réflexion presque constant ; il nous voudrait aussisavants que lui... Il ne désaltère point le cœur à notre gré ; ilnourrit l'esprit ; et les aliments qu'il lui propose ont des parties...indigestes. Mais,
pour qui s'obstine,il a de hautes et délicates récompenses. — Il révolte et violente nosféminités sans s'en faire accepter ni subir ; et son romantismeintellectuel s'oppose au sensitivisme exaspéré des disciples de HenriBataille, de Bergson, et de tous nos primitifs, intuitifs, émotifs,subjectivistes, panlyriques, et tangotistes à la mode. Refus de semêler au flot, de s'abandonner au courant, de satisfaire nos vœux lesplus chers : impardonnable défaut. Mais
un vrai grand défaut,en notre âge où les vertus sont si faciles qu'on les prendraitvolontiers pour des tares, a bien, lui aussi, une valeur positive...
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AU FOND DES CAMPAGNES NORMANDES
L'Artiste Archéologue G. Poulain
Lecharmant village de Saint-Pierre-d'Autils, accroupi au pied d'unecolline boisée, semblerait perdu le long de la rive gauche siverdoyante de la Seine, dans ce coin coquet du département de l'Eurequi avoisine Vernon, s'il ne se signalait à l'attention du touriste parson clocher orné d'arcs brisés et de colonnettes du style ogivalprimaire le plus pur, pesamment recouvert d'une pyramide que l'onaperçoit du goulet à Vernon.
En quittant cette ville, aucinquième kilomètre environ, le promeneur est agréablement surpris derencontrer cette agglomération bien normande aux maisons basses, encailloux et colombages, entourées de jardins fruitiers, de clos et devergers, qui semblent dire au visiteur : « Il fait bon vivre ici. »
Est-ceséduit par cette ambiance, par le charme du paysage, que l'excellentartiste archéologue Georges Poulain y a fixé définitivement sa demeure? Je ne saurais le dire. Il pouvait en tout cas plus mal choisir. Larégion est romantique à souhait. De l'autre côté de l'eau, en effet,apparaît un peu cachée dans la verdure qui l'entoure la façade duchâteau de la Madeleine, qui évoque le souvenir de Casimir Delavigne,et dans le chemin même que nous foulons, dans les sillons oùs'enfoncent chevaux et charretiers, des outils préhistoriques, desobjets romains et gallo-romains, francs, mérovingiens et du moyen-âge,dorment encore enfouis, attendant le jour où un heureux coup de piocheles exhumera, comme ceux déjà retrouvés précédemment dans la commune.
C'estgrâce à cette richesse archéologique du sous-sol que G. Poulain a puconstituer cette intéressante collection qu'il abrite avec amour dansson pittoresque « Ermitage » situé au haut du village, ceint de murs etde haies vives, où son hôte mène une vie d'indépendance et de labeur.Car ce n'est que lorsqu'octobre ramène sous son manteau roux les pluieset les jours sombres que Poulain, les dernières récoltes terminées,rentre dans sa maisonnette au toit de vieilles tuiles drapées de lierreet de roses paresseusement étalées le long des murs de ce petit logisqui semble un décor d'opéra.
L'intérieur en est simple, commeles gens qui l'habitent, mais on pourrait inscrire au fronton de cettedemeure ce distique que jadis l'Arioste composa pour la sienne :
Parva sed apta mihi, sed nulli obnoxia, sed non
Sordida : parta meo, sed tamen œre domus.
Al'une des extrémités du bâtiment se trouve le petit musée bien ordonné,bien soigné, enrichi chaque année de nouvelles découvertes, orné d'uneénorme cheminée à coquilles sculptées.
Celle-ci porte fièrementla date 1779, inscrite au-dessus de l'âtre noirci par des centainesd'hivers qui ont déposé sur le blason décorant le fond la suie de centbeaux chênes arrachés aux taillis et futaies de Bigy.
Ilserait mieux de dresser ici le catalogue des objets exposés. Ilsembrassent les deux périodes paléos et néolithiques, rappellent lesouvenir des stations locales occupées jadis par nos lointains ancêtrescomme celle de Mestreville, par exemple, où des fragments importants desquelettes ont été retrouvés. Les épreuves postérieures y sontégalement représentées, notamment par des mosaïques, poteries, petitsbronzes, tuiles et vestiges romains.
Ai-je dit que la plupartdes pièces ont été exhumées par G. Poulain dans des fouilles aussinombreuses que fructueuses, méthodiquement conduites ? Les résultats enont été consignés par lui dans
Le Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques et dans
Le Bulletin archéologique, publié par le ministère de l'Instruction publique.
C'estau sein de cette retraite vraiment poétique et reposante, entouré deces reliques du passé, dans l'atelier bas, mais clair et très gai, oùvoisinent livres, ébauches, outils et moulages, que Poulain cisèle sesdélicats coffrets gothiques, appréciés des connaisseurs et des amateursrouennais, voire même anglais, car des gens de goût recherchent cesmanifestations d'un art qui restera certainement le plus gracieux et leplus mystérieux de, tous ceux qui ont contribué à embellir la vie denos pères.
Poulain a la patience du huchier. Il fouille et
fignole.Ses lignes, courbes, arcs brisés, roses, flammes, soufflets etmanchettes sont impeccables, et c'est au quinzième siècle qu'ilemprunte ses modèles.
Mais ne se bornant pas au rôle de copiste, il improvise des scènes avec des personnages qui conservent la naïveté du
fairedes artisans médiévaux. Ses bonshommes restent figés dans des poseshiératiques, qui contribuent à donner un cachet vaguement archaïque àses charmantes compositions sur bois. Sur les côtés, flancs etcouvercles, se déploie la riche dentelle d'ornements caractéristiquesdu gothique flamboyant.
Quelquefois, l'artiste abandonnele coffret pour la représentation du Crucifié du Golgotha, sur lequelil se penche attentif à lui donner l'accent de la douleur. Il s'estégalement essayé au véritable ogival, mais c'est encore à ses coffretsqu'il faut revenir pour apprécier l'habileté du sculpteur.
Poulain aurait pu percer à Paris, tirer parti de son talent. Il a préféré son
Ermitageet sa Normandie. Belle leçon de philosophie et de sagesse donnée à deplus turbulents et à de moins sincères. Et c'est pourquoi j'ai plaisirà faire sortir de l'ombre cette curieuse figure, un peu énigmatiqued'artiste campagnard, qui s'obstine à demeurer sur la terre natale,dont il retourne l'humus, et fouille les entrailles, ressuscitant enfinses traditions artistiques, d'une main experte à manier à la fois labêche, la pioche et le ciseau.
Ed. SPALIKOWSKI.
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La condamnation de Maître Lepileur
MaîtreLepileur était un honnête homme au même titre que ses concitoyens quil'avaient élu maire. Il administrait nominalement sa commune de sixcents habitants dont toutes les charges retombaient sur l'instituteursecrétaire de mairie, car M. le Maire écrivait péniblement et lagrammaire ne lui avait jamais révélé ses secrets. Plus fort en calcul,il additionnait volontiers les grosses pièces dans son bas de laine. Lesoir, à la chandelle, quand les domestiques étaient couchés, quand safemme elle-même ronflait sous les rideaux de reps rouge à ramagesnoirs, il tirait avec précaution les verrous de la cuisine et ouvraitles portes enfumées de la grande armoire de chêne. Une odeur de lessivese répandait dans l'air épais. Maître Lepileur prenait le magot cachésous une pile de draps jaunes et rugueux, comptait les louis, lesfaisait sonner, en ajoutait d'autres. Après avoir remis tout en place,il soufflait la chandelle et, s'aidant d'une chaise placée au chevet dulit, montait s'étendre auprès de sa femme sur le matelas haut perché.
Dansce lit, quelques années auparavant, son père était mort, la consciencetroublée. Sa confession faite au curé, le bonhomme avait appelé sonhéritier pour lui confier un secret qui, celui-là, ne devait pas sortirde la famille, même pour tomber dans l'oreille d'un prêtre ; carsait-on jamais quelle réparation pourrait vous imposer le ministre deDieu ? Le père Lepileur avait nié une dette dont il était parfaitementredevable envers un voisin ; il exprimait le désir de la payer dans lacrainte de l'enfer. Le nouveau fermier, solide et jeune, sentant unelongue vie devant lui, ne s'émut point, car son âme n'était pas encause. Son hésitation fut courte. Il se gratta un coup l'oreille etconseilla sagement :
« Tant pis, mon « pé » ! Risquons le paquet !
Quelavait été le résultat du risque ? Le vieux fermier ne revint jamais ledire. Son fils ne s'en tracassa point et occupa tranquillement avec sonépouse le lit paternel, dans la cuisine où couchent les maîtres.
Saferme était enfouie dans les terres, loin des routes et des grandschemins. On y accédait par des sentiers boueux dans lesquels, l'hiver,les sabots s'embourbaient. La cour était pleine de fumier. L'eaudégouttait sans cesse du toit de chaume sur le seuil défoncé. Al'intérieur, il faisait sombre, car on avait été avare d'ouvertures ;les poutres et les murs étaient noircis par la fumée ; les marches dularge escalier s'affaissaient. A quoi bon faire des réparations ?Depuis des années, les Lepileur avaient respiré là ; l'atmosphère dulieu leur était familière, ils ne s'apercevaient pas du délabrement.D'ailleurs, cela ne gênait en rien la vie de la ferme : les bestiauxs'engraissaient et se vendaient bien, le grain était au sec et l'onbuvait aussi bien dans une cuisine fumeuse que dans une salle à mangerfraîchement peinte.
Maître Lepileur faisait de bonnesaffaires. Bien sûr, il n'aurait jamais pris un sou à personne ; mais,tricher n'est pas voler ! Il s'entendait fort bien à garnir le fondd'un wagon de pommes pourries, tandis que des pommes fraîches s'étalentdessus, à glisser quelques bottes de foin avarié dans une charretée defourrage appétissant ; il savait aussi se débarrasser à des prixavantageux d'une vache malade. Tout cela prouvait qu'il connaissait sonmétier, puisqu'il y gagnait beaucoup d'argent et n'avait jamais eu dedémêlés avec la justice. Il dévoilait parfois ses ruses à ses amis quilui confiaient les leurs et personne ne lui retirait un pouce deconsidération.
Pendant la guerre, les produits agricolesatteignirent des prix exorbitants. Les paysans, qui n'achetaient à peuprès rien, puisque leur exploitation suffisait à les nourrir, firent degros bénéfices. Le bas de maître Lepileur se gonfla. Hélas ! le son desclairs écus d'autrefois, conservés malgré les appels de l'or,s'amortissait dans des liasses de papier ! Maître Lepileur n'aimait pasbien tous ces billets de banque ; mais il avait fallu s'habituer à lesrecevoir, puisque la monnaie de métal disparaissait.
Lefermier revenait du marché, tout ébaubi lui-même des gains réalisés.Après trois ans de guerre, les prix de vente avaient quadruplé. Ilfaisait bon cultiver du grain, élever des bestiaux, nourrir desvolailles, baratter du beurre ! Et les cochons ! On emmenait à la foireune « cagée » de petits porcs ; on rapportait un billet de mille francs! Et l'on évoquait les temps d'avant-guerre où l'on abandonnait lespetits gorets sur la place publique, faute d'acheteurs... A présent, lemétier n'était pas mauvais ; on allait jusqu'à l'avouer entre soi.
Maison devenait exigeant. Si le prix du beurre s'abaissait une semaine dequelques sous, cela semblait une catastrophe. Maître Lepileur déclaraitqu'il n'y avait plus moyen de vivre.
Il lui fallait gagner encore ; toujours, de plus en plus. Ses qualités de fraudeur s'accrurent.
L'hiver,les œufs se vendaient fort cher, par malheur les poules pondaient peu.Maître Lepileur, en homme sagace, avait prévu la chose et fait desconserves. Aussi, tandis que pendant la mauvaise saison, ses amisramassaient à peine une douzaine d'œufs par semaine, notre fermierportait au marché des paniers bien garnis. Le système lui réussit ; ilse frottait les mains, content de gagner, content surtout de duper cesmaudits « villois », ces feignants qui se promènent la canne à la main,tandis que le paysan peine pour les nourrir.
Mais desvoisins, méfiants et jaloux, surent bien vite à quoi s'en tenir. Unelettre anonyme dénonça au Parquet l'astucieux compère.
Unsamedi, sur la place, maître Lepileur avait pris l'alignée des vendeursderrière la corde. Il tendait son grand panier rempli d'œufs verslequel s'attroupaient les acheteurs, car la marchandise était rare.
Un agent de police s'approcha :
— Combien vos œufs ?
— Sept francs !
— La pièce ? gouailla le représentant de l'autorité.
— J'aime pas qu'on se foute de moi, grogna le paysan. Vous savez bi que c'est la douzaine !
— Bon ! Je les prends tous.
— Dans qui que vous allez les mettre ? Vous avez pas de « pani »....
— Suivez-moi avec le vôtre !
MaîtreLepileur se sentit pincé. Mais la foule le regardait, hostile déjà. Ilcomprit que mieux valait ne pas faire de résistance.
Les œufs furent saisis, examinés. L'affaire passa devant le tribunal.
MaîtreLepileur était dans l'état d'âme du renard pris au piège ; saconscience demeurait sereine, mais son amour-propre souffrait. Leprésident du tribunal fit appel à son patriotisme et lui démontra quela gravité des circonstances rendait encore plus grave sa faute.
— Comment ? s'écria le magistrat dans une belle envolée, vous vous faites voleur, vous qui avez donné vos fils à la Patrie !
—D'abord, je les ai pas donnés; on me les a pris, répondit le paysanbourru. Et puis, raison de pus ! Faut bin que je leur en gagne pendantqu'i ne peuvent point le faire.
— Songez à leur honte lorsque, dans les tranchées, ces héros apprendront votre condamnation !
— Pour seur que ça leur fera point piaisi d'savoir qu'on tourmente leur pé pendant qu'i se font tuer.
Leprésident vit qu'il perdait son temps à sermonner le coupable. Letribunal rendit son jugement qui condamnait maître Lepileur à troiscents francs d'amende.
Alors, le fermier s'émut et, bien poliment, humblement, la voix tremblante, il supplia :
— M'sieu le Président, donnez-moi plutôt de la prison !
La justice est impitoyable. M. le Maire dut payer.
Auvillage, les malins ont calculé que ses œufs lui sont revenus àsoixante francs la douzaine. Et, plus d'une fois la semaine, il entendautour de 'lui des propos narquois :
— Soixante francs les oeufs ! J'allons faire fortune ! Les villois nous lapideront si ça continue...
Marguerite GENDRIN.
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CONFÉRENCE
Le dimanche 25 mai, dans la salle des fêtes de la mairie du 10e arrondissement, à Paris, matinée organisée par la
Société des Normands de Paris et «
Normandie » Conférence :
La Terre et le Paysan,par notre collaborateur Gaston Demongé (Maît' Arsène), et une partieartistique dont nous publierons le programme dans notre prochain numéro.
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A S. A. R. le Prince de Serbie
Poème dit par Mlle MADELEINE ROCH,
Sociétaire de la Comédie-Française,
sur la scène du théâtre de la Porte-Saint-Martin,
le 7 Février 1919.
«Et tous mirent leur confiance en Alexandre. »
(1er Livre des Macchabées, chp. X, 47.)
Regarde, Marko ; tous les Serbes,
Tous les fils de Serbie sont heureux.
La bataille sanglante s'est déroulée
Et nous avons été victorieux :
C'est la revanche de Kossovo.
« Pesmé » de Kossovo.
La France libre admire en Vous un prince libre
Et le digne héritier de grands libérateurs.
O Karageorgevitch, votre nom sacré vibre
Et fait, dans l'univers entier, vibrer les cœurs
Comme celui d'Albert Premier, roi de Belgique
Votre destin fut, comme son destin, tragique
D'abord, puis radieux et rayonnant d'espoir.
Serbes ! même en exil, vous n'avez voulu voir
Jamais, quelle que fût l'épouvante de l'heure,
« Braves gens » qui n'aviez même plus de demeure,
A travers feux, charniers, pillages, ruines noires,
Que le visage éblouissant de vos victoires !
C'est que, depuis toujours, votre invincible race
Sait secouer le joug sanglant de l'oppresseur,
Que votre bisaïeul brava les Turcs en face
Et préféra mourir, restant son défenseur,
A vivre sans vouloir sauver l'Indépendance ;
C'est que tous vos martyrs ont souffert en silence
Pour ne point se soumettre aux lois des Ottomans
Et des Scythes !... Comment les Austro-Allemands,
Connaissant le passé de leurs fières victimes,
Purent-ils concevoir leurs plans illégitimes
Et lancer contre Toi leurs bourreaux pleins de zèle,
Belgique des Balkans, ô Serbie éternelle ?
Quand, comme un océan dont les vagues déferlent,
Leur masse submergea vos rangs à Kossovo
Ils purent espérer revoir, au Champ-des-Merles,
Un roi serbe mourir (1) ...Or, parmi les chevaux,
Les canons, les caissons de l'armée en retraite,
Côtoyant ce ravin, franchissant cette crête,
Votre Père voulait soustraire, avec l'honneur
Du Pays, votre gloire à l'étranger vainqueur.
Il put dompter sa chair, bien que de souffrance ivre,
Il eût, malgré les ans l'héroïsme de vivre !
Ce Roi, Prince, fut Plus que Lazare sublime
Et son chemin d'exil passa de cime en cime
Dans les nuits où la Mort fauchait à pleine lame
Aucun de nous ne peut évoquer sans pâlir
Ce vieillard aussi faible qu'une jeune femme,
Ce roi plus pathétique encor que le roi Lear.
Traînant sur les rochers, dans les forêts glacées
De la Schunadia, sa démarche harassée,
Il eut soif, il eut faim, il eut mal, il eut froid.
Il allait sans parler, l'œil large ouvert...Ce roi
Ne voyait, au-dessus des monts et des vallées,
Planer que la Justice et la Victoire ailées !
Et nous discernons tous, sur Sa figure franche
Vos traits, Prince, qui porterez Sa toque blanche.
Vous avez de ses mains reçu la noble épée.
Hier à Villersexel, tout à l'heure à Pirot
Partout, Il fut vraiment un soldat d'épopée...
Fils de ce héros, frère de tous « vos héros »
Qu'ils fussent réguliers ou bien batteurs d'estrade,
Vous avez délivré la Serbie — et Belgrade
Reconquise devient, par vous, le cœur ardent
Des pays opprimés. — Slovène indépendant,
Croate et Bosnien, vos frères yougo-slaves
Que l'ennemi voulait faire à jamais esclaves,
Vous veulent pour leur chef. - Ah !leur vivat immense,
Prince, retrouvez-le dans celui de la France !
Georges NORMANDY.
(1)L'empereur serbe Lazare se fit tuer à KossovoPolje (Champ des Merles),plutôt que de se soumettre au féroce turc Mourad (1474).*
* *
L'AURÉOLE
Petit conte pour les petiots.
Le pauvre petit séraphin,
Un peu bobo, pas très malade,
(Son auréole a la pelade),
Dans son lit, nuage d'or fin,
Mangeote un tantet d'arbolade,
Tristement, sans plaisir, sans faim.
Il s'ennuie, il s'ennuie Il songe.
Quelques joujoux et quelques fleurs
Etancheraient vite ses pleurs ;
Mais il n'a rien, donc il se plonge
Et patauge dans ses malheurs,
Comme une mouche dans l'axonge.
« O mon Dieu », dit-il tout à coup,
« Encor que glabre, je me rase
Tellement que le spleen m'écrase.
Que ne suis-je merle ou coucou ?
Tout-Puissant, excusez ma phrase :
Vrai, je prends le ciel en dégoût !
Tandis que le printemps me huche
Et me sourit par le carreau,
Je reste ici dans mon fourreau.
Ah ! si j'avais la coqueluche,
Au moins boirais-je du sirop.
C'est bête ce mal qui m'épluche.
Soyez bon prince, ô roi des rois !
Le soleil brille, ouvrez la trappe
Et permettez que je m'échappe.
C'est bien peu demander, je crois.
Au besoin je mettrai la chape
Que je revêts par les grands froids. »
Le bon Dieu, pour clore une agape,
Buvait, dans un pot précieux,
Du Lacryma-Christi très vieux,
En somnolant clavant la nappe.
A ces mots, il ouvre les yeux,
Et le voilà qui rit sous cape.
Et puis, faisant la grosse voix,
Bien qu'au fond, il se désopile,
Il répond : « Quoi ? gamin débile,
Tu veux sortir ? Si je te vois
Vaguer nu-tête, quelle pile
Reste couché, sabre de bois !
T'ai-je doué d'une auréole
Pour qu'elle devienne un cerceau
Que tu roules dans le ruisseau ?
C'est ta faute, cervelle folle,
Si tu languis dans ton berceau.
Il est étonnant, ma parole,
Avec son air ébouriffé !
Ça court, ça se tient mal à table,
Ça prend le ciel pour une étable....
Tu ne bougeras que coiffé
D'une auréolé présentable,
Entends-tu ? galopin fieffé !
Pourtant, comme il est, je l'accorde,
Très dur, pour un fougueux crapaud
D'être enfermé lorsqu'il fait beau,
Bien que tu mérites la corde,
Et même des coups de sabot,
Je te ferai miséricorde.
Oui, je gaspillerai pour toi
Un peu de poudre de comète ;
Mais il faut que l'on me promette,
Au lieu de se sucer le doigt
Et de se gratter la pommette,
D'être sage comme on le doit.
Hein ? C'est sûr ? Attrape la boîte !
Ote le cercle de ton front,
Verse la poudre sur ce rond,
Fourbis avec un tampon d'ouate,
Et les rayons repousseront
Pour orner ta tête benoîte. »
Alors, calé sur son séant,
L'angelot astique sa gloire :
Frotte, râcle ; vilaine histoire !
En sueur, vexé, maugréant,
Craignant encor quelque déboire,
Il fait des efforts de géant.
« Et tout cela pour un caprice, »
Grogne le bambin grassouillet,
« C'est bien dur ! je suis si douillet.
Où donc est la bonne nourrice
Qui naguère me nettoyait
D'une main sûre et protectrice ?
Il peine, il souffle comme un bœuf :
Mais l'auréole qu'il récure
S'enjolive, se transfigure,
Devient couleur de jaune d'œuf,
Et puis, à la fin de la cure,
Se pare d'un éclat tout neuf.
La voilà propre, nette, belle,
Avec un aspect distingué.
Pourtant le pauvret n'est pas gai
Devant cette clarté nouvelle :
Sa tâche l'a trop fatigué,
Il en laisse pendre son aile.
Ouf ! quel travail ! Et long ! Si long
Que maintenant il est nuit close.
Comment jouer à quelque chose ?...
Vaincu par un sommeil de plomb,
En attendant le matin rose,
Il s'endort, le séraphin blond.
G. DE COLVÉ DES JARDINS.
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A NOS LECTEURS
Normandieserait heureuse de pouvoir insérer rapidement tous les intéressantsarticles qui lui sont adressés, mais pour cela il faudrait qu'ellepuisse paraître mensuellement à trente-deux pages, comme le présentnuméro, ce qui lui est actuellement interdit par suite du coût élevé del'impression. Pour cette réalisation, elle demande l'appui de tous sesamis et de tous ceux qui s'intéressent à son effort dans l'intérêtnormand. Que ceux-ci et ceux-là veuillent bien faire autour d'eux unelarge propagande pour lui amener les abonnements et les ressources quilui permettront cet effort. De notre côté, nous ferons de notre mieuxpour leur donner satisfaction et augmenter sans cesse l'intérêt de larevue.
Normandie publiera dans ses prochains numéros :
FIGURES NORMANDES :Guillaume Desgranges, par Eléonore
DAUBRÉE.
Ernest Hulin, par Manuel
MARQUEZ.François Enault, par Manuel
MARQUEZ.Gaston Lefèvre, président du syndicat des armateurs à la pêche, au Havre, par
A. MACHE.
Saint-Ouen-sur-Seine et le Souvenir de Saint-Ouen, par
G.-U. LANGÉ, avec illustrations d'Emile
ALDER.
Impressions Vernonnaises, par Louis
GAMILLY.Des contes : d'Edward
MONTIER, Manuel
MARQUEZ, Lucien
DANGEL.Des poésies de :
LouisBARBAY, Marguerite GENDRIN, André GUILLON, Lucien HESS, G.-U. LANGÉ,Eugène LEROUX, Jean MIRVAL, Ed. MONTIER, Georges NORMANDY, Gaston LERÉVÉREND, Gabriel RINGARD, Ed. SPALIKOWSKY, Paul VAUTIER. Le prochain numéro contiendra, en hors texte, la reproduction de
La bonne Pipe de Guillaume
DESGRANGES. Le numéro de juin de Normandie sera spécialement consacré à Jean
LORRAIN, avec la collaboration de P
aul ADAM, Jean DE BONNEFON, Paul BRULAT, Jean REVEL, DUGLÉ, Georges NORMANDY, Charles BRUN, G.-U. LANGÉ, et contiendra des lettres inédites de Jean Lorrain et de nombreuses illustrations.
Il ne sera fait de ce numéro spécial aucun service de presse et il sera seulement adressé aux abonnés.
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ÉCHOS ET NOUVELLES
UN HOMMAGE A LA MÉMOIRE D'UN JOURNALISTE NORMAND : Uncomité vient de se créer à Rouen en vue de recueillir les fondsnécessaires à l'érection d'un monument sur la tombe d'un écrivainrouennais décédé au cours de l'année dernière, M. Ernest Morel, ancienrédacteur en chef de
La Dépêche de Rouen et critique d'art.
Normandies'associe de tout cœur à 'hommage qui va être rendu à la mémoire d'unjournaliste de talent qui honora sa profession, et cela d'autant plussincèrement que nous nous rappelons qu'Ernest Morel fut l'auteur de ces«
Lettres du Berger Magloire », que
La Dépêche de Rouenpubliait chaque dimanche, et qui, rédigées en parler du pays de Caux,avaient une si piquante saveur de terroir et qui étaient goûtées mêmede ceux dont le journal où elles paraissaient n'était pas l'organe deprédilection. Ces lettres, où le berger Magloire commentait à sa façonun fait du jour ou racontait une plaisante anecdote du cru, étaientpleines d'une verve malicieuse et narquoise, en même temps que definesse et de bon sens et par là, le vieux « berquier » d'Ernest Morels'apparentait avec l'inoubliable et légendaire « pé Malandrin » denotre cher et regretté ami Paul Delesques. Paul Delesques a déjà sonmonument au cimetière monumental de Rouen où Ernest Morel va avoir lesien, et ces deux bons Normands, ces deux « braves gas de chez nous »qu'unissait dans la vie une étroite et confraternelle amitié,reposeront ainsi l'un près de l'autre dans l'éternelsommeil. H. B.
—Ceux des lecteurs de Normandie qui voudraient participerpersonnellement à l'hommage rendu à la mémoire d'Ernest Morel, peuventadresser leur souscription à M. Gaston Nibelle, secrétaire-trésorier duComité, hôtel des Sociétés Savantes, rue Saint-Lô, 40 bis, à Rouen.DANS LA PRESSE NORMANDE : Sous ce titre :
Les Nouvelles Normandes,vient de paraître à Rouen un nouveau journal hebdomadaire dont ledirecteur et rédacteur en chef est M. Paul Bocq-Lequillon, un Normanddu pays de Caux, revenu au sol natal après quinze années de presseparisienne et cinquante-quatre mois de guerre, au cours desquels il availlamment gagné la croix de guerre. Vient également de faire sonapparition, sous la même direction de M. Bocq-Lequillon, un organe qui,sous le titre :
Le Port de Rouen,s'occupera spécialement de toutes les questions d'ordre maritime,industriel, commercial et économique intéressant notre grand port surla Seine, et contribuera ainsi à favoriser son développement et saprospérité. A Caen, vient aussi de paraître, sous la direction de notrecollaborateur, Olivier Adeline,
Le Carillon,qui se présente ainsi lui-même : « Le Carillon ? Qu'est-ce à dire ?C'est-à-dire tous les sons de cloches, toutes les opinions sur tous lessujets, toutes les idées dans tous les domaines — sauf celui,inviolable et sacré, de la conscience et de la Religion. »
Normandieadresse cordialement son salut de bienvenue à ces trois nouveauxconfrères qui prennent rang dans la presse normande et leur souhaitetrès sincèrement une pleine réussite.
— Puisque nous ensommes à parler de la presse normande, notons qu'un de nos lecteurs —un vieux liseur rouennais, ainsi s'intitule-t-il — nous signalequelques omissions dans l’article du numéro de
Normandie paruen décembre dernier, consacré par notre distingué collaborateur, M.G.-U. Langé, à « l'effort des Revues à Rouen ». Il nous cite,entre autres publications dont il n'a point été parlé dans cet article,par ailleurs des plus intéressants au double point de vue rétrospectifet documentaire,
Le Cri de Rouen,une revue d'allure très vivante et combative, fondée vers 1898 parFernand de Bergevin, l'écrivain de talent si prématurément enlevé auxlettres, et sa sœur Mme Colette Yver, la romancière des
Dames du Palais et des
Princesses de Science,qui appartient aujourd'hui à l'Académie de Rouen. En 1904, parut aussià Rouen, mais pour ne vivre que d'une existence éphémère,
La Revue Normande Illustrée, avec Paul Delesques comme rédacteur en chef.
* * *
Sous le titre «
Un Hôpital normand de la Croix-Rouge» (Librairie Lestringant, 11, rue Jeanne-d'Arc, Rouen)», notrecollaborateur Ed. Spalikowski vient de publier une petite plaquettedans laquelle il fait l'historique de l'hôpital auxiliaire n° 204,installé au Château des Pénitents, à Vernon, sur les instances despropriétaires, M. et Mme Choque, de nationalité belge, mais Français decœur et d'origine. M. Spalikowski y rend un émouvant hommage au corpsmédical, dont il nous permettra de dire qu'il faisait partie, et audévouement des dames infirmières qui, pendant cinquante-trois mois, sesont multipliées près des 961 blessés qui y ont été reçus.
***
Notre excellent confrère, M. Julien Guillemard, directeur de
La Mouette, va faire paraître, chez Figuière, éditeur, 7, rue Corneille, à Paris,
Les Réflexions de Maître Aliboron.Tous les lettrés devront posséder ces réflexions si profondémentvécues, si humaines, dont la philosophie atteint les plus hautssommets, et dont les lecteurs de
La Mouetteconnaissent la noblesse et la beauté morale. Elles formeront uneélégante brochure ornée d'une couverture artistique. Ensouscription au prix de 2 fr. 50 l'exemplaire, chez M. JulienGuillemard, 20, rue du Perrey, Le Havre.
***
La librairie Georges Crès, 116, boulevard Saint-Germain, à Paris, vient de publier un album de dix images, sur la
Cathédrale de Coutances,dessinées et coloriées par Joseph Quesnel, taillées dans le bois parJean Thézaloup. Le tirage a été limité à 200 exemplaires signés etnumérotés : De 1 à 25 (dont 10 hors commerce), ces albumscontiennent : de 11 à 15 un dessin original non reproduit ; de 15 à 25les dessins ayant servi à établir les bois: 50 francs l'exemplaire. De26 à 50 sur Bouffant vergé avec suite en noir de quelques gravures surPelure Japon : 20 francs l'exemplaire. De 51 à 200 sur papierBouffant. On peut souscrire chez M. Joseph Quesnel, venelle du «Pou qui Grimpe », à Coutances.
***
M. Auguste Nicolas, adjoint au maire de Caen, a publié un ouvrage :
Le Calvados agricole et industriel, Caen et la Basse-Normandie, dont le caractère d'intérêt général a incité la Chambre de Commerce de Caen à souscrire cinquante exemplaires.
***
MORT D'ALEXIS MÉRODACK-JEANEAU: J'apprends la mort, à Angers, — où il s'était retiré pour luttercontre un mal implacable, — du peintre et sculpteur AlexisMérodack-Jeaneau, promoteur du Synthétisme, fondateur de
L'Union Internationale des Beaux-Arts et des Lettres et directeur des
Tendances Nouvelles.Cet artiste laisse une œuvre curieuse qui ne périra pas tout entière.Je m'incline respectueusement sur la tombe de Mérodack-Joaneau, qui «débuta » presque en même temps que moi, à une époque où l'on entrait «dans la carrière » un peu comme on entre encore en religion. G. N
ORMANDY.QUAND ILS REVIENDRONT... : Le vigoureux poème de notre collaborateur Georges Normandy poursuit sa carrière. Sous les auspices de la Revue hebdomadaire
Galliade Buenos-Agres, qui l'a reproduit le 28 décembre dernier, ce poème,mis en musique par l'excellent compositeur Alf. Amadeï, sera créé, pourla République Argentine, en mai prochain, au théâtre Colon, par lecélèbre baryton Krabbé, et présenté par le fameux impresario da Rosa,en collaboration avec M. A.-M. Resurgo, directeur des
Ediciones Modernas.
***
—
En Route, du 1er janvier, contient un bon article de Léo Claretie (conclusion toutefois plus ou moins juste), sur
Tourisme et Jouets de France... Et plus loin, Delair,
Sur les chemins de la Brie, écrit de délicieuses choses qu'il illustre de dessins aux joliesses un peu puériles !
—
Pandora, somptueuse annexe de
La Vie Féminine, dirigée avec un goût parfait par Mme Valentine Thomson, a publié, dans un de ses derniers fascicules,
Les Litanies de la Rose,de Rémy de Gourmont... Ces litanies, belles et voluptueuses, sont detoute beauté et méritent cette admirable mise en page : la typographiea ses délices...
— Dans
La Maison Française,article de M.-C. Poinsot, Banville d'Hostel, Charles-Baudouin, et uneprose de G.-U. Langé, ornée d'un bandeau et d'un cul-de-lampe d'EmileAider.
— Notre article sur
L'Effort des Revues à Rouen(et en Normandie) a été lu, puisque l'on nous fait remarquer quelquesomissions, évidentes, mais involontaires. Il est entendu que cetarticle n'est qu'une sorte d'esquisse d'un sujet que nous aimerionsvoir repris pour ce qui est de chaque pays de notre province. Nousavons cité, très imparfaitement, nous nous en rendons compte, titres derevues et noms d'écrivains... Qu'on sache nous en excuser et n'y voiraucun ostracisme... Dans l'instant où, (plainte un peupersonnelle !) nous apprenons la destruction totale par les Allemandsd'un manuscrit à Bruxelles, nous sommes plus que jamais à même desavoir la valeur d'un effort... Bref, pour compléter notre article,citons encore M. Alfred Ravet, qui collabora au
Donjon, et y donna, si notre mémoire est sûre, des articles documentés et d'impression sur le Maroc et sur l'Espagne. G.-U. L.
***
— Le dimanche 27 avril dernier a eu lieu, à la salle Herz, 27, rue des Petits-Hôtels, à 3 heures après midi, une
Matinée Normande organisée par M. Pierre Preteux, directeur de la
Revue Normande.
****
— Signalons un intéressant travail de M. P. Le Verdier, conseiller général de la Seine-Inférieure, sur
La Réorganisation Administrative, que nous aurons à examiner dans la suite de nos articles concernant l'organisation régionale.
L'ÉCOLE DE FÉCAMPCetintéressant groupement régional, dont le Mécène est l'excellentcompositeur Adrien Constantin, et qui a produit des peintres tels queHenry-E. Bluet, René Crevel, Sim, Joseph Lefebre (celui-ci un peu àpart) et surtout le maître André-Paul Leroux et des poètes telsqu'André Maréchal, Eugène Leroux, Gaston Demongé (Maître Arsène), dontle dernier volume
L'Ame qu'on crucifiereçoit, à Paris et ailleurs, le plus flatteur accueil, Henri Maugis,Julien Jeanne, Deschamps, etc.., va révéler au grand public un talentnouveau que nos lecteurs n'ignorent déjà plus. M. Charles Argentin fils(alias Théophile Defescan), donnera très prochainement son premierrecueil de poèmes. Publié par la Maison Française d'Art et d'Edition(16, rue de l'Odéon, à Paris), cet élégant ouvrage sera orné d'unfrontispice inédit du grand artiste Emile Aider.
HONFLEURCettejolie ville normande, riche en célébrités, a vu naître, le 25 décembre1838, Blanche Guérard, en la curieuse maison qui fut habitée par legrand corsaire Jean Doublet. Sous le pseudonyme de Noël Bazan, elleoccupe une place enviable parmi les poètes et les écrivains de notrepays. Le jour de Noël dernier, ses quatre-vingts ans furent fêtés àParis en présence de hautes personnalités et de compatrioteshonfleurais. La poétesse, profondément émue, a répondu dans les termessuivants aux compliments qui lui étaient adressés (R. P.)
Mes enfants, mes amis, j'ai des rayons au cœur !
De mes quatre-vingts ans, vous célébrez la fête
Et vous dites au Temps impitoyable : Arrête,
Ne sois pas encore son vainqueur.
Les jours de mon enfance et ceux de ma jeunesse
Viennent souvent causer avec mon souvenir,
J'ai bien plus de passé que je n'ai d'avenir,
Impossible que l'on renaisse.
Donc, soyons philosophe et sans changer de ton
Disons-nous qu'aujourd'hui la joie est nécessaire
Entourons-nous d'azur pour cet anniversaire
Où je marche encor sans bâton.
Entourons-nous d'azur, mais laissons quelques larmes
Voiler nos yeux pensifs en évoquant le sort
Tragique, de ceux-là dont l'immortel effort
Fait partout triompher nos armes !
J'ai connu la défaite, hélas ! dans le lointain
Je revois l'ombre épaisse assombrissant la gloire
C'est pourquoi frémissante à ces cris de Victoire
Preuves d'un lumineux destin.
Je dis au ciel : Merci d'avoir laissé ma vie
Entendre les clameurs, monter vers les drapeaux
Qui flottent dans les airs, magnifiques lambeaux
Dominant la foule ravie.
Je dis au ciel : Merci, d'acclamer conquérants
Ces fils des anciens preux indestructible race,
Et de revoir enfin la Lorraine et l'Alsace
Sourire à mes quatre-vingts ans !
Noël BAZAN.Paris, 25 décembre 1918.
SAINT-LOL'
« Union des Pères et des Mères dont les Fils sont morts pour la Patrie » afait célébrer le 18 février dernier, à l'église Notre-Dame, un Servicesolennel en mémoire des soldats tués à l'ennemi. Cette cérémonie, lapremière depuis la victoire pour commémorer le souvenir collectif denos héros défunts, se para d'un caractère grandiose. La ville entièreétait là qui pleurait ses grands morts. Chacun, sans distinction de cequ'on appelle encore « les partis », avait apporté son concours à cettesolennité : La messe en musique, d'une beauté parfaite, fut chantée pardes artistes chez lesquels on sentait une émotion intense. Un superbediscours fut prononcé par M. l'abbé Adde, ce curé de campagne, normandfervent, fervent patriote, érudit et orateur distingué, dont nous avonsdéjà eu l'occasion de parler. Il convient de féliciter le Comitéorganisateur de cette belle cérémonie, marquant dans nos annales et,tout spécialement, son actif président, M. Chazalette, dont le zèle adéjà donné une place marquante à cette Société nouvellement fondée dansnotre ville.
LIGUE FRANÇAISEToujours àSaint-Lô. Conférence très brillante par M. Lorini, Syndic de la villede Pavie, sur « Italie contre les Austro-Boches ». M.Lorini possède admirablement son français ; il le parle avec un légeraccent qui ne manque pas de charme. Il sait tour à tour faire sourireet enthousiasmer son public. Il poursuit avec ardeur sa campagne contrela terrible armée, nombreuse encore, des « embochés », et,chaleureusement, il revendique tous les profits que nous pouvons tirerde la paix, afin d'écraser définitivement la « punaise » boche, touteprête à recommencer son invasion sournoise. M. Follet, Directeurhonoraire de l’Ecole Normale d'Instituteurs, qui représente à Saint-Lôla Ligue Française, avait organisé cette conférence fort applaudie.
PETITS PORTRAITS LOCAUX Quiconqueprétend connaître Saint-Lô ne peut ignorer le Salon de coiffure del'artiste Lebourgeois. Aquarelliste distingué, autant que Figarosoigneux, il maugrée contre sa profession qui l'empêche de se livrer entoute liberté aux délices de l'art. Il se venge, par des invectives,sur les clients dont il est obligé de « gratter la couenne ». Aussi,selon son humeur, on est reçu chez lui, parfois comme au sein de safamille, parfois comme chez Bruant. A part cela, on y entend desimitations parfaites de trombone ou de piston, des tirades lyriques surla nature, des aperçus originaux sur tout un peu. On part amusé ; onrevient toujours, car, nulle part en province, on ne serait mieux quechez lui. A un client commerçant qui lui conseillait de « faire grand »pour réussir dans les affaires, mon Lebourgeois, énervé, répliqua : -Mais, saperlotte ! Quand un imbécile me demande de lui raser le menton,je ne peux pas lui proposer ensuite de lui raser le d...os ! Toutes lesboutades de notre artiste seraient à citer. Le dimanche, il s'évade enpleine campagne. Sur son pliant, devant son chevalet, son enthousiasmedéborde en phrases exubérantes ; puis, silencieux, il regarde, il serecueille et son pinceau traduit l'émotion qui l'étreint. Comme il ledit, « il a quelque chose dans le ventre » ; il est l'un de ces typesqui donnent du caractère à une ville. De passage chez lui, vous aurezcertainement un réel plaisir à voir ses aquarelles du vieux Rouen, sespochades faites sur les bords de la Vire et ses pommiers en fleurs. (M.G.)
LE HAVREDans le courant de janvier dernier, Probus, le premier fondateur de
L'Association Nationale pour l'organisation de la Démocratie,est venu au Havre exposer le programme de cette association. Présentépar M. Arnaudtizon, il a indiqué que ses fondateurs entendaient êtredes constructeurs dans la France d'après-guerre, voulant réaliser sonavenir en se plaçant au-dessus des partis qu'ils ne veulent nisupprimer ni remplacer. Leur programme, aussi bien au point de vue del'intérêt général, qu'au point de vue régional, est trop près de lapolitique essentielle que nous avons toujours défendue pour ne pasapplaudir à leur effort. A la suite de cette conférence, a été décidéel'organisation d'un groupement havrais de l'association. Notre grandport normand comptait d'ailleurs déjà un nombre important de membressouscripteurs, parmi lesquels nous citerons : MM. Henri Mancheron ;Emile Thieullent, négociant ; A. Pimare, droguiste ; Guy Pfister ;Edgard Raoul-Duval, sous-lieutenant ; Désiré Biette, pilote de laBasse-Seine ; de Germann, directeur de la Société Cotonnière ;Arnaudtizon, capitaine au long cours ; Augustin Normand, directeur deschantiers Augustin-Normand ; L. Pedron, négociant en cotons ; SylvainPeillard, ingénieur ; Tessandier ; Henri Thieullent, négociant ; G.-P.Truck, capitaine au long cours ; P. Guillain, avocat. Parmi les autrespersonnalités normandes, faisant partie de l'association nouspouvons citer : MM. Lafosse, président du Tribunal de commerce deRouen, et Frétigny-Borde, armateur à Rouen. Les personnes désireuses derecevoir le programme de cette association, peuvent le demander à M.Probus, 7, rue Pasquier, à Paris (8e).
FESTIVAL D'ART DE « LA MOUETTE »Le15 mars, au Havre, l'excellente Revue havraise avait organisé unfestival d'art à la mémoire de deux de ses collaborateurs, André Dufneret Gabriel-Pierre Martin, morts au champ d'honneur. Une nombreuseassemblée était venue assister à cette belle fête artistique, en mêmetemps que charitable, puisque la moitié de la recette devait êtreversée à l’Œuvre de la Goutte de lait. M. Julien Guillemard, l'aimabledirecteur de
La Mouette,dans une délicieuse allocution, rendit hommage à ses collaborateursdisparus et exposa le but qu'il poursuit dans sa Revue. Puis notreexcellent confrère, M. Pierre -Préteux, directeur de
La Revue Normande, lui succéda dans une conférence sur
Les Trouvères Normands.
Dans la seconde partie, Mlles Chapelle et Germaine Maugendredétaillèrent des poèmes de MM. Louis Maurice, Camy-Renoult et desécrivains morts au champ d'honneur, et Mile George une poésie de sacomposition :
Les Apôtres. Mme Le Maire, très remarquée dans l'interprétation de deux œuvres de Georges Clerget, secrétaire de
La Mouette. Puis tour à tour, MM. Marcel Otto, Pierre Préteux et enfin notre collaborateur et ami Gaston Demongé, l'auteur des
Gars Normands et de
L'Ame qu'on crucifie,présenta « Mait'Arsène » qui, comme toujours, eut le plus franc succès.En résumé, fête très réussie et qui en appelled'autres. (G.-D. Q
UOIST.)
LOUVIERS. — Nécrologie.
Nousapprenons avec un vif regret la mort, des suites de la grippe, de M.René Thorel, sous-lieutenant à la 3e section des convois automobiles,fils de M. Raoul Thorel, conseiller général et maire de Louviers. Parmiles nombreuses marques de sympathie qui ont été prodiguées à M. et MmeRaoul Thorel, il en est une qui a dû les toucher d'une façon toutespéciale: c'est la lettre suivante d'anciens compagnons d'armes de leurfils que publie
Le Journal du Neubourg :
«Plusieurs anciens soldats qui ont servi sous les ordres du lieutenantRené Thorel, dans la section automobile qu'il commandait au front,apprennent avec une peine profonde la mort inopinée de celui qui futpour eux un officier bon, attentionné, aimable et toujours entraînant.Ils vous demandent d'ajouter à votre notice du 26 février l'expressionde leur pensée et de leur souvenir pour lui. Ils se rappellent lesoin qu'il avait de ménager, dans la mesure du possible, leurs forces.Il recherchait pour eux des distractions, un peu de bien-être, et ilsse souviennent qu'ils ne l'ont jamais en vain cherché des yeux quand,sur les routes, il ne faisait pas bon rouler. Aussi la section, animéepar le cœur et l'intelligence de ce chef, lui rendait en hommage toutesa bonne volonté dont les anciens veulent citer ici un exemple : en1916, dans la Somme, durant quatre mois de convois incessants... ettroublés, sur vingt hommes à marcher tous les jours, le lieutenantn'eut pas à enregistrer tr6is journées d'indisponibles pour fatigue oumaladie: avec lui, tout le monde marchait. Nous l'aimions bien.Nous le pleurons. Nous ne l'oublierons pas.
« Un groupe d'anciens de la T. M. 649 ».
Rappelons que M. René Thorel avait pris l'initiative de la publication d'une intéressante revue mensuelle,
L'Humour française, dans laquelle il avait lui-même écrit bon nombre d'articles très intéressants et très appréciés, sous la signature de Camera.
EVREUX. — SOCIÉTÉ LIBRE DE L'EUREFestival d'art organisé par
La Revue Normande,directeur M. pierre Préteux, avec le concours de MM. Ch. Argentin et G.Demongé, de L'Ecole de Fécamp. Le dimanche 9 février, à l'amphithéâtredu jardin botanique, sous les auspices de la
S. L. E.que préside l'éminent écrivain Joseph L'Hopital, lauréat de l'AcadémieFrançaise, M. Pierre. Préteux, dont on connaît le beau talent oratoire,donnait lecture devant un auditoire de choix, de son érudite conférence:
Chez les Trouvères Normands. M. Charles Argentin, que les amis de.
L'Ecole de Fécampont maintes fois apprécié pour son talent de poète et de diseur,faisait applaudir à son tour quelques-uns de ses poèmes.... virgiliens; l'épithète est de M. Joseph L'Hopital lui-même. Puis, M. GastonDemongé, sous les traits de Mait'Arsène, présentait aux Ebroïciens l'incarnation du Paysan cauchois et rappelait à l'auteur d'
Un Clocher dans la Plainele souvenir des illustres patoisants : Louis Beuve et Le Sieutre. Enrésumé, splendide manifestation d'art au succès de laquelle il nousfaut associer le nom de M. Doucerain, avocat, qui s'était chargé del’organisation,
EN TUNISIE Il vient de se créer à Tunis :une Revue d'art et de littérature,
Le Douar,parmi les collaborateurs de laquelle nous remarquons : MM. M.-C.Poinsot, Marcel Lebarbier, Ch.-Th. Féret, G.-U. Langé, PhiléasLebesgue, P.-N. Roinard, etc. Le premier numéro de cette publication aparu au début du mois de mars. Prix du no : 1 fr. 50. Abonnement : 5francs l'an. Adresser toute correspondance au Douar, 5 bis, rue d'Italie, à Tunis.
LE MONT SAINT-MICHEL La Société des Amis du Mont Saint-Michel, réunis sous la présidence deM. Léon Bérard, député, a pris une délibération demandant aux pouvoirspublics « d'autoriser la célébration des cérémonies du culte dansl'église abbatiale, étant entendu que le monument restera confié auxbons soins de l'administration des monuments historiques, laquellefixera, avec l'autorité ecclésiastique, les époques de ces cérémonieset dont l'approbation sera nécessaire dans toutes les questions demobilier, de décorations et d'usage. » Le Conseil municipal d'Avranchesa émis un vœu dans le même sens.
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L'Associationdes Amis du Mont Saint-Michel organise un concours littéraire ayantrapport à l'histoire du Mont Saint-Michel. Sujet proposé : « Un grandabbé du Mont, Robert de Torigni : ses œuvres, ses rapports avec lespouvoirs anglais, son existence publique et privée, évocation du milieudans lequel il a vécu, des choses et des gens du Mont Saint-Michel àson époque. » Les manuscrits (60 pages format in-4°) devront être remisavant le 31 décembre au siège de l'Association, 167, rue Montmartre. Lepremier prix consistera en l'œillet d'or des Amis du Mont Saint-Michelet l'impression du manuscrit aux frais de l'Association ; 2e prix :œillet d'argent ; 3e prix : œillet de bronze.
MOTOCULTURE. — Avis aux Agriculteurs.
Vousavez le plus grand intérêt à acheter sans tarder un tracteur agricole ;d'abord parce que c'est le seul moyen de mettre en culture vos terresen friche et de les approprier en vue d'obtenir de grands rendements,ensuite pour profiter des subventions que l'Etat accorde actuellementaux agriculteurs pour ces achats et qui s'élèvent jusqu'à 50 pour 100de leur valeur, et enfin parce que les stocks existants sont trèsrestreints.
Mais avant de faire votre choix, visitezl'exposition permanente des 400 tracteurs agricoles des nouveauxmodèles les plus perfectionnés, des charrues et autres instrumentsaratoires immédiatement disponibles qui vient d'être organisée à votreintention par les Etablissements «
AGRICULTURAL », 25,route de Flandre, à Aubervilliers (Métro Paris : Porte de la Villette).Le personnel technique de ces établissements vous fournira tous lesrenseignements utiles pour guider votre choix, ainsi que pour laconduite de l'appareil et l'obtention des subventions officielles. Sivous ne pouvez faire dès aujourd'hui cette intéressante visite, écrivezà
L'AGRICULTURAL, Aubervilliers (Seine), pour demander le catalogue gratuit et tous les renseignements utiles en indiquant vos besoins.
UNION DES PAYSANS DE FRANCE Il vient d'être créé à Paris un secrétariat central de
L'Union des Paysans de France, dont le but sera :
1°D'établir entre les populations rurales et les œuvres diversess'intéressant à elles un lien permanent d'un caractère général:Sociétés d'agriculture ; Associations contre l'alcoolisme, ladépopulation, l'abandon des campagnes ; Conférence au village, leCinéma au village, les Foyers des campagnes ; Bibliothèques depropagande, Sociétés de construction, de culture mécanique,Associations économiques, patriotiques ou même politiques plaçant lapatrie au-dessus de tout, n'ayant en vue que sa prospérité et ladéfense des intérêts généraux du pays dans l'ordre et la liberté ; 2°De défendre, sans aucun parti pris politique ou confessionnel, lesintérêts des populations des campagnes et d'en saisir les Pouvoirspublics ; 3° De faire prévaloir par une action constante les idées desolidarité, de fraternité, d'association, d'union entre lesproducteurs, propriétaires, métayers, fermiers, colons et ouvriersagricoles, et l'accord nécessaire entre l'agriculture, le commerce etl'industrie ; 4° De préparer la création d'une Confédération GénéraleAgricole ou d'une Union des Paysans de France, unissant dans une mêmeassociation tous les syndicats, toutes les sociétés agricoles, toutesles forces rurales de la France. L'adresse du secrétariat central deL'Union des Paysans de France est à Paris, 5, boulevard de Clichy,Paris (9e).
PUBLICATIONS NORMANDESLa Revue Normande, organe mensuel du Foyer artistique et littéraire, place de la HauteVieille-Tour, Rouen (abonnement, 10 francs par an).
La Mouette, revue normande de renaissance littéraire, 20, rue du Perrey, Le Havre (abonnement, 6 francs par an).
Les Pionniers de Normandie, revue normande, d'action d'art. Marcel
LEBARBIER, directeur. E.Dupuis, secrétaire, à Aunay-sur-Odon (Calvados).
La Normandie pharmaceutique, 38, rue Armand-Carrel, à Rouen (abonnement, 5 francs par an).
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Le Gérant : MIOLLAIS.
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IMPRIMERIE HERPIN, Alençon. Vve A. LAVERDURE, Successeur.