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Normandiana ou Anecdotes,traits caractéristiques, bons mots, Réparties ingénieuses et naïves,des habitans de la Normandie ; [suivi du] Catéchisme des Normands.- Paris :Vauquelin, 1817.- 127 p : front. en coul. ; 11 cm. 
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (17 Juin 2017)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
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Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque[Bm Lx : Norm br 1123].


Normandiana (1817) - frontispice dépliant et page de titre

NORMANDIANA,
ou
ANECDOTES,
TRAITS CARACTÉRISTIQUES,
BONS MOTS
Réparties ingénieuses et naïves,
DES HABITANS DE LA NORMANDIE ;
Suivi
DU CATÉCHISME DES NORMANDS

Il ya de bonnes gens partout,
dit le Normand.



A PARIS
Chez VAUQUELIN, Libraire, quai des
Augustins, n°11
_____
1817

~*~

L'ÉDITEUR
AU PUBLIC


En offrant ce petit recueil,notre intention n'a été que de rassembler en un seul cadre les diversesplaisanteries dirigées contre les Normands, à la probité desquels nousrendons un juste hommage. Si on les accuse d'être d'un caractèreprocessif et chicanier, n'avons-nous pas dans les autres départemensune multitude de plaideurs qui leur ressemblent et dont on ne parle pas?

Tousceux qui ont eu des affaires d'intérêt avec les Normands, les onttoujours reconnus pour des hommes exacts en leurs paiemens et en laparole desquels (malgré le proverbe) on peut se fier.

Si par un destin qu'ils partagent avec les Gascons, ils sont en butteaux sarcasmes, ils le doivent sans doute à la finesse de leur esprit,qui les empêche d'être trompés et leur fait deviner aisément les piègesque l'on pourrait leur tendre.

Les Normands, ainsi que les Gascons, sont braves, courageux,entreprenans et remplis de talens. Ils ont, de plus, un mérite bienrare dans notre siècle, celui de plaisanter les premiers à leur dépens.

~*~

NORMANDIANA,
ou
ANECDOTES,
TRAITS CARACTÉRISTIQUES,
BONS MOTS
Réparties ingénieuses et naïves,
DES HABITANS DE LA NORMANDIE ;

__________


Un Normand dont le père avaitété pendu, lui fit faire un service fort honorable. Pendant que le curéfaisait la procession autour d'une représentation couverte d'un drapmortuaire, et jetait de l'eau bénite pardessus, le Normand lui prit lamain et la lui leva, en disant : « Monsieur, jetez l'eau bénite enl'air, et cela pour cause. »

*
* *

UnNormand étant assigné en conciliation : « Evitez un procès, lui dit lejuge-de-paix, conciliez-vous. — Pas si bête, Monsieur, reprit leNormand, on se moquerait de moi dans le pays. »

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* *

Un homme fut accusé d'un larcin : le juge, en l'interrogeant, ayantappris qu'il était sergent Rousseau et Normand, lui dit : « Voilà biendes titres qui déposent contre vous ; vous êtes convaincu sans l'être,et j'ai droit de vous condamner avant de vous faire votre procès. »

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* *

Deux individus, l'un Gascon et l'autre Normand, allaient être pendus :pendant la lecture de la sentence du Gascon, qui avait volé des clous,le Normand haussait les épaules et témoignait son mépris ; lorsqu'on envint à lire la sienne, qui le condamnait pour avoir volé un sacd'argent, il se retourna froidement du côté du Gascon et lui dit: «Sont-ce là des clous ? »

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Un Normand à qui les sermens ne coûtaient rien, levait la mainganche en justice. Le juge lui dit de lever la main droite. « Je le veuxbien, répondit le Normand, je les lève toutes deux indifféremment. »

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Un homme qui avait été trompé plusieurs fois par des Normands qui luiavaient souvent manqué de parole, disait à Dieu, en le priant : « Vousnous avez promis de nous assister dans nos tribulations, vous nevous dédirez point, vous n'êtes pas Normand. »

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Un Normand disait pour prière, tous les soirs, en se couchant : « O monDieu, ne me donnez pas de bien, mais dites-moi où il y en a, je sautaibien en prendre. »

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Un normand, laquais d'un gentilhomme du même pays, était la naïvetémême. Etant à Rome avec son maitre, il lui demanda si la Seine de Rome parcourait autant de pays que laSeine de Paris. Il s'informait où était le Louvre, la place Maubert,la place Royale. Il demanda en français à un petit garçon qui venait deservir une messe, si l'on en dirait bientôt une autre ? Le petit garçonrépondit en italien qu'il n'entenda[it] pas le langage qu'on luitenait. On expliqua cette réponse au laquais normand, qui dit : « Ilagit par malice, il entend bien ce qu'on lui dit, car j'ai bienremarqué que lorsque le prêtre lui a dit Dominas vobiscum, il a bien su répondre : Et cum Spiritu tuo. »

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Le clerc d'un procureur normand, à qui l'on demandait des nouvellesde son maître, répondit qu'il était mort sans vouloir rien prendre. «Sans rien prendre ! lui dit-on, il n'était pas du pays.

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Le même laquais dont j'ai parlé, avait été chargé par son maîtred'entrer dans sa chambre et de l'éveiller à cinq heures dumatin. Cependant il ne s'éveilla qu'à sept. Le maître ayant ouvert sonrideau et aperçu son domestique, lui demanda l'heure qu'il était : sursa réponse, il lui reprocha de n'avoir pas exécuté ses ordres. Je suisici dès quatre heures, répondit le laquais , je n'ai pas osé faire dubruit parce que vous dormiez et j'attendais patiemment que vous vouséveillassiez de vous-même. Son maître s'emporta et le battit. Il luidonna ensuite le même ordre de l'éveiller le lendemain ; le laquaisvint à deux heures après minuit, il vit son maître qui dormaitprofondément, il le tira tant qu'il l'éveilla : Monsieur, lui dit-il,vous avez encore trois heures à dormir, car il n'est que deux heures.Ce gentilhomme l'envoya chez un de ses amis pour lui porter un présent:le laquais, de retour, lui rapporta que cet ami se faisait peindre. Lemaître lui dit : Le peintre mit, l'autre jour, devant moi , la main auvisage, il faut qu'on donne à présent un habillement à ce portrait. —Pardonnez-moi, Monsieur, dit le laquais, je ne le crois pas, car jen'ai point vu de tailleur, je n'ai vu que le peintre.

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Un Normand traitait un de ses compatriotes de voleur, de coquin, defilou. Celui-ci lui dit : Monsieur, je n'aime pas les mots à doubleentente.

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Le seigneur de Canbec étant un jour à table avec le seigneur deNorcarmes et quelques autres seigneurs, celui-ci, parlant des femmes,soutint qu'il n'y en avait pas une qui fût honnête. Il faut doncnécessairement, lui répliqua le seigneur de Caubec, de deux chosesl'une, ou que vous soyez ou cocu ou fils de p... , ou que vous en ayezmenti.

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Un président normand faisant une harangue au Roi Henri IV, et étantdemeuré court, ce prince dit à ses courtisans : Il ne faut pas en êtresurpris, les Normands sont sujets à manquer de parole.

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Un paysan des environs de Caen, qui était en procès, alla voir sonavocat, qui lui dit : Mon ami, tu perdras, la loi décide contre toi.— Bah ! bah ! dit le villageois, allez toujours, Monsieur, les jugesse tromperont peut-être.

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Un jeune homme de Rouen fut accuse d'être le père d'un enfant qu'unefille de famille avait mis au monde. Cité devant le juge, il sedéfendait de cette paternite. Le juge le pressait vivement etprétendait le convaincre par les assiduités qu'il avait eues pour cettejeune fille. « Je ne crois pas , dit le jeune homme, être le père decet enfant ; mais, entre nous, je n'y ai pas nui. »

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Un Normand donnait à dîner à un homme qui n'avait étudié que pour êtreplus ignorant, pour ne pas dire plus sot. Celui-ci voyant un bonmorceau de l'autre côté du plat, qu'il ne pouvait atteindre parcivilité, entreprit un discours sur l'astrologie et tourna le plat, endisant: Le ciel tourne ainsi, Monsieur, et c'est une démonstration.Mais le Normand le remettant comme il était, « Il est vrai , dit-il; mais il retourne après ainsi ; et si votre démonstration est àpriori, celle-ci est à posteriori ; mais elle est la meilleure. »  Sur quoi il prit et mangea le morceau.

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Un paysan des environs d'Avranches étant a confesse, s'accusait d'avoirvolé du foin : le confesseur lui demanda combien il en avait pris debottes. Devinez, répondit le pénitent. — Trente bottes ? reprit leconfesseur. — Oh ! oh ! —Combien donc ! Soixante ? — Oh ! vraimentnenni, reprit le paysan ; mais boutez-y la charretée entière ; caraussi bien ma femme et moi devons aller tantôt chercher le reste.

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Un Normand nia en justice un dépôt qui lui avait été confié, etl'assura par serment. Sa partie l'attendit à la porte du Palais pourl'accabler de reproche. « Entre vous et moi, lui dit le parjure, je nenie pas le dépôt ; mais quelle nécessité que les juges soient instruitsde nos affaires? »

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Un riche marchand normand établissait son fils dans le commerce ; illui dit : Garde-toi bien de faire banqueroute ; mais si tu la fais,fais-la grosse ou ne t'en mêles pas.

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Un juge de Basse-Normandie n'avait qu'une formule en matière de procèscriminel. Si l'accusé était vieux, « Pendez, pendez, disait-il, il en afait bien d'autres ! » S'il était jeune, « pendez, pendez, il en feraitbien d'autres ! »

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Un prédicateur bas-normand fut un jour prié de faire le panégyrique desaint Thomas dans l'église des Dominicains de D** , le jour de la fête: étant monté en chaire, et parlant de la profonde sagesse de saintThomas, il s'écria à haute voix : « Aussi, Messieurs, était-il du paysde Sapience, le grand Saint, Normand, et Bas-Normand du côté de samère. » Ce qui amusa beaucoup l'auditoire.

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Le grand Corneille, qui était natif de Rouen, ayant publié les Horaces, on lui rapporta que le cardinal de Richelieu et une autre personne degrande qualité, qui s'étaient déclarés contre le Cid, feraient aussiécrire contre cette nouvelle pièce. Corneille répondit : « Horace futcondamné par les décemvirs ; mais il fut absous par le peuple. »

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Unprocureur bas-normand qui venait d'acheter une charge de sénéchal à sonfils, lui conseilla de travailler toujours utilement et de fairecontribuer ceux qui auraient besoin de lui. Quoi ! mon père, dit lefilssurpris d'un tel conseil, vous voudriez que je vendisse la justice ? —Sans doute, repondit le père, une chose si rare ne doit pas se donnerpour rien.

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On demandait à un riche propriétaire de Normandie deux mille écus pourles frais de l'enterrement de sa femme, qu'il avait été ravi deperdre. Deux mille écus ! s'écria-t-il, j'aimerais autant qu'elle nefût pas morte !

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Un gentilhomme de Rouen rencontra dans la campagne trois prêtres, etleur dit fort honnêtement : Dieu vous garde, messieurs les clercs. Surquoi ils répondirent : Nous ne sommes pas clercs, Monsieur, nous sommes prêtres. Legentilhomme alors reprit aussitôt : Dieu vous garde donc, messieurs;les prêtres, qui n'êtes pas clercs.

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Un paysan de la Normandie sollicicitait son procureur pour qu'ilpoursuivlt vivement sa cause ; mais celui-ci, qui ne voyait point venird'argent, disait toujours à son client : Mon ami, ton affaire est siembrouillée que je n'y vois goutte. Le paysan comprit à la fin ce quecela voulait dire, et tirant de sa poche deux écus, il les présenta àson procureur. Tenez, Monsieur, lui dit-il, voici une paire de besicles.

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Un bel-esprit de Normandie ayant appris par un de ses amis que soncuré était mort. Ne le croyez pas, lui répondit-il, il m'écrit tout ;et s'il était mort il ne manquerait pas de m'en donner des nouvelles.

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On avait condamné à mort un paysan convaincu de crime. L'exécuteur nese trouvant point ce jour-là, le juge, assisté de ses officiers, alla àla paroisse et fit sonner les cloches pour faire assembler leshabilans, lesquels étant accourus, il leur dit tout haut qu'il y avaiten la prison nu homme condamné à mort, mais que le bourreau ne setrouvant point, s'il y avait quelqu'un en la compagnie qui voulût enservir, on lui donnerait un écu avec la dépouille du patient. Ilarriva, qu'un bas-normand, qui passait par-là, accepta l'offre et fitl'exécution. Six mois après, repassant par le même endroit, il s'avisade sonner les cloches, et assembla la populace, à laquelle il dit : «Messieurs, il y a quelque temps que je passai ici, on me donna un écupour pendre un homme, et toutes ses hardes. S'il y a quelqu'un en lacompagnie qui désire se faire pendre, je le pendrai pour trente sols etje lui ferai grâce de la dépouille. »

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Un habitant de Normandie, condamné à être pendu, étant à l'échelle, onlui présenta une femme de mauvaises mœurs qu'on lui proposa d'épouser,s'il voulait sauver sa vie. Il la regarda quelque temps, et ayantremarqué qu'elle boitait. Elle boite, dit-il à l'exécuteur, attache,attache.

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Un de ses compatriotes ayant volé un cheval à Rouen, alla le vendre àFalaise. L'acquéreur, étant convenu du prix, soupçonna que le chevalavait été dérobé ; il dit au vendeur : Monsieur, le garantissez-vouspartout ? — Oui, répondit notre homme, pourvu que vous ne passiez pas àRouen, mais que vous cotoyez cette ville.

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Un paysan normand, malin comme ils le sont tous, avait confié enpartie, à un de ses voisins, un terrine de lait : il vint la redemander; mais le lait était disparu. Grande querelle, grand tapage, il y eutprocès. La cause ayant été plaidée devant le juge du lieu, le voisinfut condamné à payer le lait, quoiqu'il soutînt que c'étaient lesmouches qui l'avaient mangé. Il fallait les tuer, lui dit le juge. —Quoi ! répond le paysan, il est donc permis de tuer des mouches ? —Oui, répond le juge partout où vous les trouverez, je vous le permets.Au même instant, le paysan voyant une mouche sur la joue du juge,s'approcha de lui et lui donna un bon soufflet, en disant : Je gage quecette coquine de mouche est une de celles qui ont mangé le lait.

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Un Normand s'entretenant un jour avec un Gascon, dit qu'il s'étonnait,si l'on meurt de peur, comment il était encore en vie, vu que s'il yavait un homme plus poltron que lui, il s'irait pendre. Vas donc tependre, lui répondit le gascon, car tu es plus hardi que moi, qui nevoudrais ni me pendre ni être pendu.

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Dans un petit village de Normandie il y avait un juge en très-mauvaiseodeur et qui passait pour le plus grand voleur du pays. Un jour qu'ildonnait à manger il fit venir un trateur et il lui commanda, entreautres mets, du canard de rivière. Le traiteur s'excusa sur ce que lasaison n'était pas encore assez avancée. Quoi ! lui dit le juge, il y adeux jours que j'en ai vue une compagnie de deux douzaines quivolaient. Cela se peut, Monsieur, lui observa le traiteur, mais voussavez que tous ceux qui volent ne sont pas pris.

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Un savetier présentait au juge de Lisieux une requête pour êtredémarié, parce qu'il avait éte trompé et que sa femme était accouchéedans le premier mois de leur mariage. Le juge, pour se débarrasser, luidit : Mon ami, par les réglemens de votre profession ne vous est-il pasdéfendu de travailler sur du cuir neuf ? — Oui , Monsieur, répondit lepauvre diable. — Eh bien, reprit le juge, qu'avez-vous à vous plaindre? Le savetier convaincu se retira satisfait.

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Deux servantes du pays de Caux s'étant rencontrées, après s'êtreentretenues de leur pays, s'informèrent réciproquement des avantages deleurs conditions. Combien gagnes-tu, lui dit la première ? — Quaranteécus. — Je n'en ai que trente, moi. — Trente ? cela n'est  paspossible. — Il est vrai que je vais au marché. — Ah ! tu vas au marché,je ne m'étonne plus : si j'y allais, je me contenterais de vingt écus.

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Un patient étant à la potence, à Caen, somma le lieutenant criminel, enprotestant de son innocence, de comparaître dans un an devant Dieu àpareil jour. — Je ferai défaut, lui répondit ce magistrat.

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Un seigneur de la Normandie, qui était très-mal avec son curé, tombadangereusement malade. Il chargea un huissier de faire au curé unesommation de lui apporter le viatique. Crainte de refus, l'huissier mitdans son exploit, qu'à défaut par le curé d'apporter ce sacrement lasommation tiendrait lieu de viatique.

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Un tailleur normand avait coutume de voler de l'étoffe sur tous leshabits qu'il faisait pour le public. Un jour qu'il en coupait un pourlui, safemme s'aperçut qu'il coupait comme de coutume. — Tu n'y penses pas,dit-elle à son mari. — Tais-toi, lui répondit-il, si je m'écartais dema règle pour moi-même je pourrais y manquer pour les autres.

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Un curé des environs de Falaise, en faisant son prône, reprochait à sesparoissiens leurs vices et leurs débauches, et leur disait qu'ilsseraient tous damnés s'ils ne se corrigeaient Une vieille femme touteffrayée de ses menaces, va aussitôt après le prône trouver la mère ducuré, qui demeurait avec lui, et dont elle était l'amie ; elle luidemanda s'il est vrai qu'ils seront tous damnés, comme son fils venaitde le dire. Bah ! répondit la mère, est-ce que vous le croyez ? C'estle plus grand menteur du monde ; quand il était petit je ne lefouettais que pour cela.

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Les Normands sont les pères de la chicane, on leur reproche de n'êtrepas scrupuleux lorsque leur intérêt exige qu'ils se rétractent. Il vautmieux, disent-ils, se dédire que de se détruire. Un Normand raffinédans les procès pourrait donner la science de plaider, en plusieursvolumes in-folio.

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Un plaideur de cette nation ne parlait que procès, ruses et stratagêmesdu Palais. Un homme de bonne foi, qui l'écoutait, lui dit : Quelquesavant que vous soyez dans la procédure, je voue défie de m'intenterjamais un procès. Le normand relève le défi ; il fit assigner son hommeaux fins de se voir condamner à lui payer deux boisseaux de pois qu'illui avait vendus et livrés Le défendeur comparut devant le juge ; ilnia. Ou lui déféra le serment. Il dit, en se moquant : « Il m'a venduautant de pois que de fèves. Acte de sa déclaration et de saconfession, reprit le Normand, j'avais oublié les fèves. » Le défendeurfut condamné à lui payer deux boisseaux de pois et deux boisseaux defèves.

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Un tailleur des environs de Caen, à-la-fois dévot et fripon (qualitésqui ne sont pas toujours incompatibles), eut en dormant un songeeffrayant : il s'imagina voir le jour du jugement dernier et la justiceéternelle dévoilant et condamnant, à la face de l'univers, lesiniquités de tous les hommes. Il attendait en tremblant son arrêt,lorsqu'une main céleste déroula tout-à-coup à ses yeux un étendartimmense de diverses couleurs et composé de tous les morceaux d'étoffequ'il avait volés dans sa vie. Au même instant il se crut précipitédans les enfers et se réveilla en sursaut, baigné d'une sueur froide ;il regarda ce songe comme un avis du ciel et fît le serment de ne plusvoler. Pour mieux se prémunir contre son mauvais penchant, il pria sesgarçons, toutes les fois qu'il serait près de céder à la tentation, delui crier : Maître, l'étendart.Quelques jours s'écoulèrent ainsi.Enfin, un matin, oubliant son rêve etson serment, il allait couper et soustraire un morceau d'une très-belleétoffe qui venait de lui être confiée ; ses garçons lui crièrent : Maître, l'étendart... Rassurez-vous, répliqua le tailleur, il n'y en avait pas de cette couleur dans l'étendart.

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Un Normand venait de plaider au conseil du Roi. Il s'embarqua sur laSeine, comme ce fleuve était un peu agité : pendant qu'il allait pareau, il faisait aller par terre les pièces de son procès dont il étaitplus soigneux que de lui-même. Si je viens à périr, dit-il, ce n'estqu'un homme mort mais si les pièces de mon procès se perdaient, ceserait le plus grand des malheurs. Les Normands ont le cerveau organisépour la chicane même ; aussi un poète a dit d'eux : Le procès est l'objet de leur idolâtrie.

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Un évêque du Mans demeura court une fois en prêchant. Quelque tempsaprès, une dame voyant son portrait , s'écria : Mon Dieu ! qu'il luiressemble ! on dirait qu'il prêche !

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Dans une ville de Normandie, un coupeur de bourses, condamné à avoir lefouet, dit à l'exécuteur : Frère, mon ami, traite-moi doucement ; à lapareille. Le bourreau indigné de ce terme de pareillene l'épargna pas ; et l'autre, délivré de cette écorcherie, lu promitque tôt ou tard il lui en tiendrait compte, et ne manqua pas à saparole. Deux ou trois ans s'étant écoulés, notre coupeur de bourses quiavait changé d'habit et barbouillé son visage, revint dans la ville oùil avait éte si bien étrillé, et n'étant reconnu de personne, un jourde marché il vola adroitement une bourgeoise et mit son vol dans lepanier du bourreau, qui faisait sa quête, puis avertit la bourgeoise duvol qu'on venait de lui faire, et montrant le bourreau, lui dit toutbas : Voilà votre homme, regardez bien dans son panier. Elle se jetaaussitôt sur lui, et ayant trouvé dans son panier sa bourse, elle lefit mettre entre les mains des officiers justice. ll fut convaincu ducrime et condamné à être pendu. Comme il n'y avait point de bourreau onchoisit celui qui se presenta le premier, et celui même qui avait coupéla bourse accepta avec plaisir cette commission. Ayant conduit sonpatient au lieu de l'exécution, et étant près de le jeter, il lui dittout bas : Te souviens-tu de m'avoir donné le fouet rudement après queje t'avais prié de me traiter doucement, à la pareille ? C'est moi quicoupai la bourse et la mis dans ton panier. Le patient s'écria :Monsieur le greffier un mot. Mais l'autre aussitôt lui fit danser lebranle des pendus, et le grefiler lui ayant demandé ce qu'il voulait.Bon, dit-il, ce serait perdre du temps que de l'écouter, c'est uncauseur.

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Guillaume-le-Conquérant faisait à Rouen des remèdes pour se soulager deson embonpoint. Philippe Ier, Roi de France, le voyant garder le litlong-temps, dit : Quand le roi d'Angleterre relevera-t-il de sescouches ? Guillaume, vif et bouillant qui n'entendait pas raillerie,lui fit dire que sitôt qu'il serait relevé de ses couches il iraitfaire ses relevailles à Sainte-Geneviève, à Paris, avec dix millelances en guise de chandelles. Il fit en effet la guerre au Roi, etl'aurait poussée plus loin, après avoir brûlé la ville de Mantes, si lamort qui l'attaqua n'eût arrêté ses progrès.

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Un Normand interrogé s'il avait commis tous les crimes dont onl'accusait, répondit : J'ai bien fait pis.— Comment ? luidemanda-t-on.— Je me suis laissé prendre, répondit-il.

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Un Gascon nommé médiateur d'un différend entre un parisien et unnormand, obligea le normand de convenir qu'il devait au parisien unesornme qu'il promit par écrit de lui payer dans un terme qu'il prit :le délai expiré, le normand eut  recours à la loi du dédit reçueen Normandie. Le parisien alla se plaindre au gascon ; il le trouvamalade, se disposant à la mort. Donnez-moi un écritoire, dit le gasconmoribond ; il écrivit de sa main, comme il put, ce billet au normand :

« J'interromps mon agonie pour vous dire que je suis surpris de votrepeu de bonne foi ; tenez-moi votre parole ou je ne vous réponds pas queje ne revienne de l'antre monde pour vous reprocher que vous êtes devotre pays. »

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Un baron avait la manie de ne vouloir avoir que des valets normands. Ilen avait. un qui lui était bon à tout, et qui faisait, la cuisine. Iln'avait mené que celui-là à paris, où il était venu pour suivre unprocès. Un samedi qu'il revint fort tard du Palais, il trouva ce valetqui dînait. Que fais-tu là ? lui dit le baron. —Ah ! répond le valet,il est tard , je dînais en vous attendant. — A la bonne heure, répliquale maître ; mais puisqu'il est tard, il est donc temps que je dîne aussi ; sers-mot. Monsieur, reprit le valet, cela est bientôt dit, vous ne savez pas que le chat a mangé votre dîner. — Comment !répliqua le baron, le chat a mangé mon dîner ? — Oui, repartit levalet, j'avais acheté deux soles, une grande pour vous et une petitepour moi ; ce maudit animal ne s'est point trompé, il a pris la vôtre,et de peur qu'il ne prît aussi la mienne, je la mets à couvert. — Il mesemble, reprit le baron, que puisque le chat avait pris l'une, tupouvais bien me garder l'autre ? —Oh ! monsieur, reparti le valet, jesais mieux vivre qne cela ; en fait de dîner, chacun le sien n'est pastrop ; il n'est pas juste qu'un maître soit réduit à manger la portiond'un valet bas-normand, je ne saurais vous le conseiller ni m'yrésoudre. Vous qui savez plaider et qui n'en perdez pas l'occasion,continua le valet, pourvoyez-vous à la Cour des Aides.

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D'où vient, demandait un Normand à un gascon, que votre pays, qui estle pays de la gloire et de la domination, fournit tant de bons valetsau reste du royaume? C'est, répondit le gascon, que ce n'est pas lepays du tien et du mien. Comme en Normandie cette discussion n'y occupepas, on n'y est maître de rien, on va être ailleurs serviteur dequelque chose.

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Henri V, roi d'Angleterre, ayant déclaré la guerre à la France, assiègela ville de Rouen. Les habitans, fidèles à leur patrie, se défendentcomme des lions. Trompés par les promesses du faible Charles VI et duduc de Bourgogne, ils résistent avec leurs seules forces aux nombreuxbataillons du monarque assaillant. Durant près de six mois ils fontéchouer ses efforts multipliés : enfin, épuisés et en proie à toutesles horreurs de la famine, ils sont obligés de se rendre à compositionle 13 de janvier 1419. Les articles de la capitulation contenaient ensubstance que la garnison sortirait sans armes ; que la villeconserverait tous ses privilèges et immunités ; qu'elle paierait troiscents quarante-cinq mille écus d'or au vainqueur ; que tous leshabitans lui prêteraient serment de fidélité, et qu'il pourrait enchoisir trois dont il disposerait à son bon plaisir. Ces trois victimesfurent Robert de Layet, Jean Jourdain et Alain Blanchard, qui s'étaientsignalés par leur fermeté dans les conseils et par leur valeur dans lescombats. Les deux premiers fléchirent à force d'argent le monarqueaussi avare que cruel ; mais Blanchard, qui était pauvre et redouté, letrouva inexorable. Le bourreau lui trancha la tête. « Je n'ai pas debiens, disait ce héros en allant gaîment à la mort ; mais quand j'enaurais, je ne l'emploierais pas pour empêcher un Anglais de sedéshonorer. N'est-il y pas plus beau de mourir pour la patrie que deramper lâchement devant un prince qui n'est pas mon roi ? »

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Un normand voulant prendre un perdreau dans un plat, en prit deux pourun, parce qu'ils étaient attachés ensemble : une personue qui étaitauprès de lui ayant essayé d'en faire tomber un dans le plat. Non pas,s'il vous plait, dit le normand, quand ils devraient s'égorger, je neles séparerai pas.

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Un gentilhomme normand ayant essuyé le coup de pistolet d'un autregentilhomme, tira le sien en l'air, et puis dit à son adversaire :Monsieur, voyons maintenant si vous réussirez mieux à l'épée. — C'esttrop, Monsieur, répondit l'autre, je vous rends volontiers la mienneque je ne puis plus tirer contre vous sans être aussi ingrat que vousêtes généreux. Aussitôt ils s'embrassèrent et devinrent amis.

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Un jeune homme à qui Corneille (qui, comme on sait, était normand,)avait accordé sa fille en mariage, étant, par le triste état de sesaffaires, obligé d'y renoncer, vient le matin chez le père pour retirersa parole, perce jusque dans son cabinet , et lui expose les motifs desa conduite. « Eh ! Monsieur, réplique Corneille, ne pouvez-vous sansm'interrompre parler de tout cela à ma femme ? Montez chez elle , jen'entends rien à toutes ces affaires. »

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Un valet bas-normand, fort simple, fut chargé par son maître de porterà son ami deux belles figues avec une lettre : il mangea une des figuesen chemin, en sorte que l'ami instruit par la lettre qu'il y en avaitdeux, lui demanda l'autre. Le valet lui dit qu'il l'avait mangée.Comment donc as-tu fait, lui demanda cet ami ? Le valet prit la figuequi restait et l'avalant : « j'ai fait comme cela, » répondit-il.

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Un habitant de la Normandie se trouvant dans une compagnie ou une damequi parlait bien contait une histoire très-divertissante, vittranquillement que sa robe brûlait sans l'avertir qu'après qu'elle eutfini son agréable narration. Je voyais bien que votre robe brûlait,dit-il alors ; mais j'ai aussi remarqué que l'on prenait tant deplaisir à vous entendre, que j'ai appréhendé de vous interrompre envous avertissant.

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Deux bas-normands étant dans un cabaret, parlaient de cette grandeannée platonique, où toutes choses doivent retourner en leur premierétat. Ils voulurent faire accroire à l'hôte qui les écoutaitattentivement, qu'il n'y avait rien de plus vrai que cette révolution,de sorte, dirent-ils, que dans seize mille ans d'ici, nous seronsencore à boire chez vous à pareil jour ; et là-dessus ils le prièrentde leur faire crédit jusque-là. Je le veux bien, dit le cabaretier ;mais parce qu'il y a seize mille ans jour pour jour que vous étiez icià boire comme vous faites et que vous vous en allâtes sans paver,acquittez le passé et je vous ferai crédit pour l'avenir.

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Un paysan des environs de Falaise, qui avait un procès au parlement deBordeaux, était venu chez le premier président de ce parlement pour luiprésenter un placet. Ce paysan était dans une antichambre où ilattendait depuis trois heures. Enfin le magistrat vint à passer ettrouva le villageois fort attentif à considéier un portrait où il yavait au bas quatre P, qui signifiaient : Pierre Pontac, PremierPrésident. Eh bien ! mon ami, lui dit ce magistrat, que penses-tu quedésignent ces quatre lettres ? — Ah ! monseigneur, lui répondit-il, iln'est pas difficile au bout de trois heures d'en deviner l'explication; elles signifient : Pauvre plaideur, prends patience.

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Rollon , duc de Normandie, parvint en très-peu de temps à policer sessujets ; et comme ils avaient été longtemps accoutumés au pillage, ilfit des lois si sévères contre le vol, qu'on n'osait pas même ramasserce qu'on trouvait, dans la crainte de passer pour l'avoir volé. Un jourque Rollon était à la chasse, il suspendit un de ses bracelets auxbranches d'un chêne sous lequel il s'était reposé, et l'ayant oublié,ce bracelet y demeura trois ans, personne n'ayant osé y toucher.

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Un régent de troisième, près de quitter ses écoliers, leur fit, àLisieux, un discours où s'adressant à Dieu, il lui dit en parlant deses écoliers : Bêtes vous me les avez donnés, bêtes je vous les rends,

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Un artisan de Normandie battait sa femme, on vint mettre les hola ; onapaisa la querelle, et on demanda ensuite au mari pourquoi il en étaitvenu à cet excès. C'est parce que, dit-il, ma femme ne veut pas êtrela maîtresse. Ce sujet-là parut nouveau. Oui, monsieur, continua lemari, elle veut être le maître et ne veut pas être la maîtresse, elleveut représenter mon personnage, au lieu de jouer le sien.

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Unbas-normand était à Paris dans une boutique où plusieurs personnesétaient assemblées ; le marchand venait de fermer parce qu'il faisaitnuit ; et comme il allait congédier tout le monde, on entama uneconversation qui suspendit son dessein ; on parlait des tours subtilsetadroits des voleurs. Le bas-normand prit alors la parole, et dit :Messieurs, je vais vous raconter une gentillesse d'un voleur, assezplaisante. Il était dans une boutique comme celle où nous sommes ;voicicomme il s'y prit pour voler deux flambeaux d'argent. Le filou feignantde représenter ce qu'il racontai, mit son chapeau sur un bureau, pritles deux flambeaux d'argent qui y étaient, éteignit les lumières, endisant que le voleur en avait usé ainsi, et puis, dit-il, il lesemporta. Notre historien les emporta aussi gagnant l'allée quiconduisait dans la rue. Il se déroba bien vite à ses auditeurs, quiattendant qu'il revlnt, furent quelque temps sans s'imaginer que levoleur eût voulu faire un larcin. Quand ils ouvrirent les yeux, il nefut plus temps de courir après lui.

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Un normand parasite, qui était au service, avait soin de se trouver toujours à la table du général. Ilétait si diligent, et prenait si bien ses mesures, que malgré la fouledes aspirans il savait toujours occuper une place. Le général, fatiguéde ses assiduités, voulut adroitement le chasser. Monsieur, lui dit-ildès qu'il fut à table, savez-vous faire l'exercice ? — Sans doute, ditle parasite. Hé bien, dit le général, faites donc demi-tour à droite.Le normand toujours assis, sans quitter sa chaise, fit le demi-tour. —Faites un demi-tour à gauche, continua le général. Notre hommeexécuta l'ordre. — Allez-vous-en, poursuivit le général. — Ah !monsieur, lui dit le rusé gourmand, vous avez oublié l'ordre del'exercice. Il fallait me dire : Remettezvous. En disant cela , il seremit à table avec une extrême promptitude.

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Un paysan alla consulter un avocat de Lisieux sur un procès qu'ilvoulait entreprendre. Il tenait son écu à la main, et témoignait qu'ilsouhaitait avec ardeur que le conseil fût conforme à son envie.L'honneur d'un avocat ne lui permet pas d'avoir cette lâchecomplaisance pour le client qui le consulte, dût-il être privé de sonhonoraire. Le paysan s'adresse à un avocat qui sourd à tous les signesmuets qu'il lui faisait, le condamna. Il rengaina son écu, tira sarévérence et s'en alla. L'avocat, piqué de l'injustice du manant, vitbien qu'il fallait agir de ruse pour n'être pas dupe. Il appela lepaysan qui était dans sa cour et le fit remonter. Mon ami, dit-il, dèsqu'il le vit, toutes les affaires ont deux faces. Je viens de réfléchirsur la vôtre, et en la regardant d'un certain côté je juge que vous lapourrez gagner. Il lui apporta une raison frivole qui parut excellenteau paysan, qui, charmé du conseil, doubla la dose. Au lieu d'un écu ilen donna deux à l'avocat. Celui ci lui dit alors : je vous ai donnédeux conseils, vous n'avez pas payé le premier, vous avez payé lesecond ; gardez-vous bien de le suivre, car il est mauvais mais suivezle premier, c'est le bon. Si le paysan eût osé , il aurait demandéqu'on lui tendit ses deux écus ; mais il fut si étonné, qu'il se retirasans rien dire.

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On ne se fait point de scrupule de mentir sur l'état de sa fortune,quand on veut se marier. Un normand qu'on croyait riche affectait l'aird'un malade le jour de ses fiançailles. La belle-mère lui demanda cequ'il avait. Il répondit : madame, je n'ai rien. Elle insista à faireplusieurs fois la même demande, il fit toujours la même réponse. Aprèsle mariage, ses créanciers découvrirent sa mauvaise fortune : sa femmeet sa belle-mère lui firent de grands reproches. Je ne vous ai pointtrompées, disait-il, ne vous ai-je pas averti que je n'avais rien ?

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Un paysan des environs de Caen tenait sur son estomac, sous son habit,un gros monceau, et montrait cette élévation à son procureur toute lesfois qu'il l'allait voir. Voilà, disait-il, ce que je vous garde à lafin de mon procès. Le procureur animé, parce qu'il croyait que c'étaitun monceau d'argent, se tourmenta si fort qu'il gagna le procès dupaysan, et lui annonça cet heureux succès. Alors le paysan développantle monceau , lui montra un gros caillou. Vous avez bien fait, luidit-il, voilà avec quoi je vous aurais assommé, si vous aviez perdu monprocès.

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Un gentilhomme normand était fort exact à payer l'argent qu'on luiprêtait sur sa parole, mais il ne payait qu'à la dernière extrémitécelui qu'on lui prêtait sur son obligation. ll disait que l'argentprêté sur sa parole était prêté à sa personne, mais que l'argent prêtésur une obligation était prête à la justice, ainsi que c'était à elle àfaire payer ces sortes de créanciers.

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Un prédicateur normand qui avait fait un sermon sur le paradis, futcurieux de savoir l'effet qu'il avait produit sur l'esprit d'un paysan.Hé hien, mon ami, lui demanda-t-il, ne voudrais-tu pas aller maintenanten paradis ? — Ma foi, non, lui répondit le paysan, car il m'encoûterait la vie.

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Un fermier normand voulant apprendre à son prieur absent du village queson église était tombée, lui écrivit : le clocher est allé rendrevisite aux fondemens.

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Un paysan de la Normandie fut chargé un jour par un gentilhomme deporter à un autre homme de même condition un rossignol dans une cage.En chemin la porte de la cage s'ouvrit, et l'oiseau s'échappa. Les yeuxdu paysan suivirent ce petit animal le plus loin qu'ils purent et luipoursuivit son chemin. Cet accident ne l'empêcha pas d'aller porter lalettre à celui à qui elle était adressée, qui lut tout haut ces parolesqu'elle renfermait : Je vous envoie un rossignol.  Quoi ! dit le paysan, le rossignol est sur la lettre ! Ah ! que je suisaise ! Ma foi, je croyais qu'il s'était envolé.

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Un huissier bas-normand qui voulait allonger un procès-verba1, disait :Nous étant mis en chemin pour aller faire une telle exécution, nousavons passé devant la porte d'une église, où la dévotion nous a faitentrer, et après avoir salué le Saint Sacrement nous avons dit un De profundi , dont la teneur s'ensuit. Il inséra dans son procès-verbal ce pseaume tout au long.

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Deux jumeaux voulurent un jour se divertir à Rouen, d'un barbier qui neles connaissait point. L'un d'eux l'envoya chercher pour le raser :l'autre se cacha dans une chambre à côté. Celui à qui on fitl'opération étant rasé à demi, se leva sous prétexte qu'il avait unepetite affaire ; il alla dans la chambre de son frère, qu'il savona età qui il mit son même linge à barbe, et il l'envoya à sa place. Lebarbier voyant quecelui qu'il croyait avoir barbifié à demi avait encore toute sa barbe àfaire fut étrangement surpris. Comment ! dit-il, voila une barbe quiestcrûe dans un moment, voilà qui me passe. Le jumeau affectant un grandsérieux, lui dit : Quel conte me faites-vous là ? Le barbier prenant laparole, lui expliqua naturellement ce qu'il a fait ; qu'il l'a rasé àdemi, et qu'il ne comprend pas comment cette barbe rasée est revenuesi promptcment. Le jumeau lui dit brusquement : Vous rêvez, faitesvotre besogne. Monsieur, dit le barbier, je m'y ferais hacher. Il fautque je sois fou ou ivre, ou qu'il y ait ici de la magie. Il fit sonopération, en faisant de temps en temps de grandes exclamations sur cetévénement. La barbe etant faite, celui qui était barbifiéentièrement va prendre le barbifié à demi, et pendant qu' il se tientcaché, il le substitue à sa place. Celui-ci avec son linge autour ducou, allons, dit-il au barbier, achevez votre besogne. Pour le coup, lebarbier tomba de son haut, il ne douta plus qu'il n'y eût de lamagie, et n'avait pas la force de parler. Cependant le sorcier prétendului en imposa tellement qu'il fallut qu'il achevât l'ouvrage ; mais ilalla publier partout qu'il venait de raser un sorcier, qui faisaitcroître sa barbe un moment après qu'on la lui avait faite. Ainsi cesdeux jumeaux se divertirent parfaitement du barbier à qui ilsescroquèrent de la sorte une barbe.
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On accuse avec raison les Normands d'aimer trop les procès.Nous allons rapporter une petite anecdote qui en fournit une preuvetrès-plaisante :

Un homme passant dans une des rues de Lisieux, éternua avec un sigrand bruit qu'il épouvanta un chien, qui dans son effroi aboya contreun âne qu'une bonne femme conduisait. Cet âne emporté par la frayeur,et dressant les oreilles, courut de toute sa force et passa tout autravers de plusieurs pots et vases de terre étalés daus un marché,qu'il fracassa entièremeut. La marchande de cette vaisselle attaqua enjustice le maître de l'âne ; celui-ci mit en cause le maître du chien,et celui-ci attaqua l'éternueur. Belle cause, propre à recevoir toutela broderie du Palais, mais plus belle encore sur le théâtre Italien !

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La plupart des paysans n'ont aucune idée de l'immortalité de l'ame, onen a rencontré d'assez ignorans pour croire que le Père éternel pouvaitmourir. Témoin celui des environs de Caen, à qui on demanda si le Filsétait Dieu : il répondit que non ; mais, ajouta-t-il , dès queMonsieur son père sera mort, cela ne peut lui manquer. Cette ignorancedes gens de la campagne ne fait pas l'éloge de certains curés.

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Dupontet Bernard, deux gentilshommes normands, également riches,se haïssaient souverainement ; c'était une haine héréditaire dans leursfamilles depuis plus de deux siècles. Dupont n'avait qu'une fille, etBernard qu'un fils. Quels ressorts n'avait-on pas fait mouvoir pouraccorder ces deux ennemis ! L'éloquence des hommes les pluspathétiques, l'autorité des médiateurs les plus puissans, qui s'étaientservis des conjonctures les plus favorables, avaient échoué. Tout d'uncoup Dupont, sans consulter personne, alla voir Bernard. Après lespremières honnêtetés, il lui demanda son fils en mariage pour safille. Bernard surpris, lui dit : Est-ce bien Dupont, mon ennemiimplacable, qui me parle ? Ne serait-ce point un songe ? Quoi ! votrehaine que vous avez nourrie avec tant de soin serait expirée ? N'ya-t-il point quelque piège caché sous l'appât de ces belles paroles ?Dupont protesta que la demande qu'il lui faisait était sincère. Ah ! jene veux pas, dit Bernard, que vous me surpassiez en générosité.Voilà qui est fait, je sens dans mon cœur toute ma haine s'éteindre.Le mariage fut arrêté et fut bieutôtl conclu : l'époux étaittrès-aimable par son caractère et sa figure ; l'épouse avait une beautééblouissante. La réconciliation de ces deux familles fut le sujet del'étonnement de toute la province ; tout le monde criait : Miracle! Un des intimes amis de Dupont étant venu le féliciter, lui demandapar quelprodige il avait été infidèle à une haine qu'il avait juré de conserverjusqu'au dernier son soupir. Ah ! tu me connais mal, répondit Dupont,si tu me crois capabled'une telle lâcheté. La surprise de son ami redoubla : puisque voushaïssez toujours Bernard, dit-il, expliquez-moi cette énigme ?Pourquoi avez-vous fait ce mariage ? Hé ! s'écria Dupont dans untransport violent de haine, c'est parce que je hais Bernard, que jedonne ma fille à son fils. Ma fille est un démon incarné, sa beauté,son esprit sont des instrumens de sa malice, d'autant plus dangereuxqu'ils portent des coups que personne ne peut parer ; je l'ai élevéedans la solitude, j'ai caché avec soin son mauvais naturel, jedéchaîne contre mes ennemis une furie animée de toute sa haine ; elleleur percera le cœur mille fois le jour, et les ruinera par degrés.Pouvais-je mieux me venger? Sa prédiction fut accomplie : le cruelDupontgoûta le plaisir barbare de voir les Bernard mourir de douleur et demisère ; et sa fille, qui ne leur survécut pas long-temps, et quisemblait, après avoir causé leur ruine, n'avoir plus rien à faire en cemonde, les suivit dans le tombeau.

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Un cavalier entrant dans le faubourg d'une ville normande, pensaêtre démonté, parce que son cheval broncha fort rudement. Une joliepaysanne qui passait se mit à rire à gorge déployée ; le cavalier enfut piqué, et lui dit : Ma mie, mon cheval fait des faux pas touteles fois qu'il passe devant une fille de joie. La paysanne ne s'étonnapoint du compliment, et lui répondit : Monsieur, n'entrez donc pointdans la ville à cheval, car sûrement vous vous casserez le cou.

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Un gentilhomme Normand ayant appris que ses créanciers avaient obtenuune sentence contre lui, et qu'ils avaient dessein de faire exécuter sesmeubles, les fit enlever dans une nuit sans que personne s'enaperçût. Un huissier vint un jour après, qui ne trouvant personne fitouvrir la porte par un serrurier, en présence du commissaire ; mais ilsfurent très-étonnés de ne voir que les quatre murailles, sur lesquellesétaient écrits ces quatre vers :

Créanciers, maudites canailles,
Commissaire, huissiers, recors,
Vous avez bien le diable au corps,
Si vous emportez les murailles.

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Un savant jurisconsulte disait plaisamment des Normands, qui à l'âgede vingt et un ans étaient censés majeurs, au lieu qu'il fautvingt-cinq ans pour les autres Français : C'est que la malice supplée àl'âge.

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On parlait un jour, dans une sociéte, d'un homme qui avait vécu plus decent ans, comme d'un phénomène. Belle merveille, répondit un Normandqui se trouvait présent ! si mon grand-père n'était pas mort, ilaurait plus de cent dix ans.

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Comme on conduisait un Bas-Normand au supplice, étant au pied de lapotence il demanda à hoire : on lui apporta un verre de bierre, duquelil souffla la mousse. Interrogé pourquoi il faisait cela, il répartit: Parce que l'écumo de la bierre, à la longue, engendre la gravelle.

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Deux marchands qui avaient été volés par des soldats qui étaientNormands, s'en plaignirent à leur capitaine, qui était du même pays.Cet officier voyant ces deux marchands bien couverts : Par corbleu,leur dit-il, ce ne sont point mes gens, car ils ne vous eussent laisséni culottes ni chausses.

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Un avocat de Lisieux , qui avait un procès de famille qui durait depuis plus de quatre-vingts ans, dit unjour, plaidant en son nom devant le premier président : Messieurs, ily a près d'un siècle que nous avons intenté action contre nos partieset vous en serez persuadés quand je vous dirai que mon aïeul, mon pèreet moi, sommes morts à la poursuite de ce procès. Avocat, lui dit lepremier président , Dieu veuille avoir votre âme ! et il fit appeler uneautre cause.

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Un président de Rouen avait marié sa fille à un grave magistrat, quivenait souvent lui faire de longues plaintes de l'humeur frivole etdépensière de son épouse : excédé de la répétition de pareils discours,ce président dit un jour à son gendre : Assurez bien ma fille que sielle vous donne encore sujet de vous plaindre, elle sera déshéritée.Depuis ce moment le mari ne se plaignit plus.

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Un jeune tomme très-pressé de terminer avec un usurier Normand, futobligé de le suivre au sermon avant que son affaire eût été terminée.Le prédicateur, par un pur hasard, s'éleva fortement contre l'usure :Dieu soit béni, dit le jeune homme, mon vilain sera touché et neprendra que des intérêts modiques ; mais il fui bien étonné quand, lesermon achevé, le vieil Arpagon se tournant froidement de son côté, luidit : Ce bon prêtre vient de faire son métier, allons faire le nôtre.

Un prédicateur du même pays, embarqué au milieu d'un sermon, ne seressouvint plus de ce qu'il devait dire : après s'être bieu frotté lefront, voyant que son esprit et sa mémoire ne lui fournissaientplus rien, il s'adressa à ses auditeurs de cette manière : « On nedira pas que je suis resté-là, car je m'en vais » il descendit aussitôtde la chaire et s'en fut.

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Ungentilhomme Normand désirant venir à Paris, entendit dans unesociété une personne qu'il ne connaissait pas, dire qu'elle comptaitfaire ce voyage dans le même jour. Il l'aborda gaiement et lui dit :Vous allez aujourd'hui à Paris, sans doute dans votre voiture ? Oui,Monsieur ; pourrais-je vous être bon à quelque chose ? Vous me feriezbien plaisir, répondit le questionneur, si vous voulez y mettre maredingotte. — Très-volontiers ; où voulez-vous que je la dépose enarrivant ?— Oh ! ne vous inquiétez pas de cela, je serai dedans.

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Un gentilhomme était la terreur des huissiers, parce qu'il en avait déjà mis plusieurs in pace.Des sergens fort déterminés n'osaient aborder son château ; un huissierNormand gagea une somme considérable, qu'il lui donnerait uneassignation, parlant à sa personne dans son château. Il se déguisa envielleur, et sous la forme d'un gueux, vêtu de haillons, il allademander l'aumône au gentilhomme ; et après en avoir reçu la charité ille régala sur sa vielle d'un air auquel il accommoda ces paroles :

Monsieur , je vous assigne
Pour comparaître au Châtclet ,
Et par une sentence insigne
L'on rabattra votre caquet
A la requête de Douillet,
l'ail le vingt du mois de juillet
De l'an mil sept cent et quatre,
Par moi, Jean-Christoplie Duplâtre,
Huissier à verge au Parlement ;
Diable m'emporte si je ments !

Le gentilhomme n'entra dans aucun soupçon et le vielleur eu se retirantdonna, à l'exemple des chanteurs, la copie de sa chanson.

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L'on sait que parmi les Normands le parjure ne coûte rien. Un paysanfut accusé par son voisin de lui avoir dérobé son cochon : les preuvesdu larcin n'étaient pas suffisantes, on jugea que le serment del'accusé le purgerait de l'accusation. Quand il fut sur le point de leprêter, l'accusateur n'oublia rien pour l'intimider : Malheureux, luidisait-il d'une voix effrayante, tu vas perdre ton âme. Le voleur luirépondit froidement: Et toi ton cochon.

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Un conseiller de Rouen, très-mauvais écuyer, gourmandoit extrêmement uncheval fin sur lequel il était monté : l'animal, qui sentait lafaiblesse du cavalier, ne fut pas plutôt en pleine campagne, qu'aprèsune première saccade il le mit hors des étriers, et après une secondele jeta dans un grand fossé plein d'eau et boueux dans le fond. Lemagistrat, qui ne s'était poiut attendu à prendre ce bain, s'efforça envain de s'en tirer ; il aperçut de loin un paysan qu'il appela à sonsecours, et pour l'obliger à doubler le pas il lui cria d'un tonimportant : Je suis conseiller. Le paysan s'avança de son pasordinaire, et dès qu'il vit le magistrat tout mouillé et tout couvertde boue : Ma foi, Monsieur le conseiller, lui dit-il, en le regardantles bras croisés, celui qui vous a conseillé de vous baigner là, vous abien mal conseillé. Après cetle petite mercuriale il le tira du fossé.

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Un gentilhomme qui avait un procès, se souvint qu'il devait de l'argentà son procureur, il lui envoya une pistole par son valet, qui était deFalaise. Celui-ci garda la pislole et en donna une fausse au procureur,qui la rapporta au gentilhomme. Le valet fut appelé : Je t'ai donné,lui dit le maître, une bonne pistole pour la porter à Monsieur,pourquoi lui en as-tu donné une fausse? Je l'ai gardée six mois, dit levalet ; à la fin, voyant qu'elle ne valait rien, je crus qu'il lafallait mettre entre les mains de la justice.

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Un curé qui avait pris un Bas-Normand pour valet, avait fait pendant lecarnaval sa provision de harengs et de sardines pour son carême.Quelques semaines après il demanda ce poisson salé : Il n'y en a plus,dit le valet. — Comment ! il n'y en a plus ! s'écria le maître. Hé !qu'est-il donc devenu ? — Monsieur, répliqua le valet, vous en avezmangé votre part, et moi la mienne. — Que veut dire cela , malheureux ?dit le curé ; il devait y en avoir jusqu'à Pâques pour tous les deux,et nous sommes à la mi-Carême ; tu en as donc mangé deux fois autantque moi ? Je crois qu'oui, répondit le valet. — Tu crois que oui,reprit le maître : que mériterais-tu pour avoir mangé mon poisson salé? — Je mériterais de boire, répoudit froidement le valet.

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Un plaisant qui voulait se divertir, assembla chez lui quatre avocatsde Rouen, les plus renommés pour les consultations, et leur dit :Messieurs, je vous prie de décider une difficulté qu'a fait naître dansmon esprit un vaudeville des plus communs, je paierai généreusement laconsultation. Voici ce dont il s'agit : La chanson veut d'abord que Jean danse mieux que Pierre , et puis elle dit que Pierre danse mieux ; elle continue par dire qu'ils dansent bien tous deux ; enfin, elle semble pencher du côté de Pierre, en disant qu'il danse mieux.Comment concilier tant de contrariétés ? Quelle peut-être la pensée del'auteur du vaudeville ? Que je sache à quoi m'en tenir ; car plus lapensée est commune, plus souvent la difficulté s'offre à mon esprit. Ily eut d'abord trois avocats qui n'entendirent point raillerie et quicrurent que l'on voulait jeter un ridicule sur leur gravité, etvoulurent témoigner leur mécontentement. Le quatrième avocat lesretint, il prit son parti en habile homme ; mais il prit la précautionauparavant, de faire payer la consultation en insinuant que larésolution d'une question si singulière, et épineuse, demandait que leshonoraires excédassent ceux qu'on donnait ordinairement ; ce quiobligea le particulier à réaliser d'avance sa promesse. Alors l'avocatlui dit : Monsieur, voici comment vous devez fixer votre opinion etsortir de l'incertitude où la chanson vous a jeté : Jean danse mieux que Pierre, c'est le Menuet ; Pierre danse mieux que Jean, c'est la Sarabande ; mais Pierre danse mieux,c'est le rigaudon. Les autres consultant furent de cet avis. Ainsi leplaisant, qui voulait se jouer des avocats, fut joué lui-même et restafort confus.

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Un abbé Normand avait été trahi souvent dans ses sermons par unemémoire ingrate : un de ses amis lui demanda quand il prêcherait ?parce que, continua-t-il, je veux vous entendre. Venez demain à unetelle église où je dois prêcher, lui répondit l'abbé ; mais afin de nepas vous tromper, je vous dirai que ceux qui viennent pour m'entendre,par je ne sais quelle fatalité ne m'entendent pas.

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Un paysan d'auprès de Caen séduisit une paysanne, elle mit au jour unportrait vivant et parfaitement ressemblant à ce séducteur. Le curézélé s'efforçait à lui prouver qu'il payerait bien cher dans l'autremonde la façon de cet ouvrage de contrebande, s'il ne faisaitpénitence. Le paysan lui répondit : Cet enfant a un corps et une ame.direz-vous que j'ai fait tout cela ? Le curé repartit que c'était Dieuqui avait créé l'ame de l'enfant. Quel mal ai-je donc fait de faire uncorps où Dieu a bouté l'ame ?

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Un paysan des environs de Rouen apportait à son procureur deux perdrixdans une besace ; comme il ne le trouva point, il la confia à uncordonnier son compère. Les ouvriers de la boutique escamotèrent lesperdrix, et mirent à la place deux formes de souliers. Le paysanreprenant sa besace et la sentant pesante, ne se douta point du tourqu'on lui avait joué ; il va chez son procureur, et s'avisa de lui direen plaisantant : Mon«ieur mon procureur, celui qui vous donnerait deuxperdrix par la face ne vous ferait-il pas plaisir ? Le procureur luiayant répondu oui, notre paysan continuant sa plaisanterie, donne desa besace, où il croyait qu'étaient les perdrix, à travers la figuredu procureur ; ce qui lui écrasa le visage et lui cassa les dents.

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Un avocat de Lisieux, fils d'un cordonnier, plaidait contre un avocatson compatriote, et qui était fils d'un chapelier ; il lui reprochaitde ne pouvoir entendre la forme. Je l'entends mieux que vous, lui répondit son adversaire.— distinguons, lui dit lepremier avocat. Si c'est la forme d'un chapeau je vous le passe. — Etmoi je vous le cède, dit l'autre, si c'est la forme d'un soulier.

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Deux paysans d'un village devaient tirer au sort devant un intendantde la Normandie, pour savoir lequel des deux serait choisi pour lamilice. La maîtresse de l'intendant lui recommanda le plus jeune, etle pria instamment de faire tomber le sort sur l'autre. Comment faire,dit ce magistrat, à moins que d'user de supercherie ? Il ordonna queles deux billets que l'on mettrait dans la boîte seraient noirs ; ildit à nos deux paysans : Celui qui tirera le billet noir partira.Tirele premier, dit-il au paysan qu'il voulait proscrire, je tel'ordonne. Mais le paysan qu'il avait réprouvé et qui ne pouvait paséviter son malheur, fut plus fin que l'intendant : se doutant du tourqu'on lui jouait, il tira le billet et l'avala sur-le-champ. Quefais-tu, malheureux, lui dit l'intendant ? Monseigneur, lui répondit lepaysan, si le billet que j'ai avalé est noir, celui qui est dans laboite doit être blanc, il faut le voir ; dans ce cas je partirai ; et sij'ai avalé le billet blanc, mon camarade partira : vous pouvezfacilement savoir la vérité. L'intendant embarrassé, fut obligé de luifaire grâce ; et pour ne pas déplaire à sa maîtresse, il fit grâce aussià l'autre. Cette présence d'esprit les sauva tous deux.

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Un Prince donnait un jour un grand repas, où il n'invita que despersonnes choisies : on avait dressé plusieurs tables ; un Normand, quiétait un de ces aventuriers qui se glissent partout, et dontl'effronterie désarme ceux qui les voudraient chasser, se plaça à unetable. Le Prince lui envoya dire de se retirer ; mais il chargea celuiqui devait exécuter l'ordre de lui parler tout bas afin de lui épargnerde la confusion. Le Normand ne fut point étonné du compliment ; et afinde donner le change à l'assemblée en faisant croire que le Prince usaitavec lui d'une distinction, il dit tout haut : « Qu'on me donne du vinblanc ou du clairet, n'importe ; je suis obligé à Son Altesse de sonattention. » On rapporta cela au Prince, qui, admirant la présence d'esprit du parasite, ordonna qu'on le laissât.

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Deux plaideurs normands, pour déterminer en leur faveur un juge qu'ilssavaient très-intéressé, lui firent présent, l'un d'un barril d'huile,l'autre d'un cochon. Le juge prononça pour celui qui avait donnél'animal. Le second plaideur ne manqua pas de venir faire ses plaintes.Que voulez-vous ? lui répondit le juge, pendant que votre barril étaitlà, il est entré chez moi un cochon qui a fait la plus grand tort àvotre affaire. J'ai beaucoup songé au cochon, et j'ai presque oubliél'huile et le barril. Voilà comme une chose nous ôte souvent la mémoired'une autre.

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Raoul,chef des Normands, devant jurer fidélité au roi de France,Charles-le-Simple, ne voulut point s'abaisser jusqu'à lui baiser lespieds, comme les evêques d'alors le lui conseillaient et le désiraient.Tout ce que l'on put obtenir de ce barbare, à forece deprières, fut qu'un gendarme, par son ordre, l'acquitterait de cedevoir. Le gendarme chargé de cette espèce d'hommage, leva si haut lepied du roi, sous prétexte de le baiser tout à son aise, que tous lesassistans se mirent à rire aux éclats et le roi lui-même tomha à larenverse. Enfin, cette plaisanterie amusa tellement les spectateurs,qui en furent les témoins, que le roi, que ce ridicule rendait assezremarquable dans l'histoire, crut devoir en rire comme les autres.De-là, l'opinion, les haines publiques et particulières, des événemensplus ou moins fâcheux, des ridicules ineffaçables, et tout ce quis'ensuit de pareilles sottises.

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Un filou de Lisieux, qui se fit par la suite une réputation redoutableet malheureuse, s'abandonna, presque dans l'enfance, aux plus grandsvices. A l'ombre d'une naïveté qu'il savait si bien contrefaire, queles plus habiles l'eussent pris pour une espèce d'imbécille, ce lâchecoquin jouait ses meilleurs tours. Le premier qu'il exécuta, est celuique nous allons rapporter.

Il demeurait alors chez un curé, qui était son oncle. Ce bonecclésiastique, qui était riche, ne négligeait rien pour donner à sonneveu une bonne éducation ; mais le mauvais naturel de celui-ciprévalut sur les meilleurs préceptes.

Ce drôle, tout jeune qu'il était, déjà gangrené de vices, et que sespetites et grandes débauches avaient extrêmement pâli, se donna pourmalade. Sa triste figure, son état de faiblesse, firent croire aisémentqu'il n'en imposait pas. .L'oncle, homme imbu des maximes les pluschrétiennes, plaça lui-même, sur une table, dans la chambre où couchaitson neveu, un crucifix d'argent, que celui-ci convoitait en tapinois.Eh ! je le vois ! disait-il, que je suis heureux ! je partirai le bonDieu à la main. Tout le monde était édifié de ses sentimens. Il prendson tems ; pendant qu'on le laissait reposer, se lève,s'habille, emporte le crucifix, et tout ce qu'il trouve de vaisselled'argent sous sa main. Muni de toutes ces pièces, ou pour mieux dire del'argent qu'il en obtint, le drôle se mit à courir le monde. ll eutbientôt dissipé le crucifix, la vaisselle d'argent, et tout ce qu'ilavait emporté de chez son oncle. Les aventures, les vols, et une grandefécondité d'astuces, soutinrent sa vie pendant quelque tems.

Un soir il s'habilla en gueux, et alla dans une ferme prier que l'onvoulût bien lui donner le couvert. ll faisait extrêmement froid : sonétat fit pitié ; on le logea, dans une écurie où il y avait six bonschevaux. En lui montrant un tas de paille, on lui dit qu'il pouvait ypasser la nuit. Ce fin matois, jouant le rôle d'un imbécile, feignaitd'avoir peur des chevaux, qu'il paraissait même appréhender deregarder. Ah ! disait-il tout effrayé, ces chevaux m'emporteront cettenuit ! « Où veux-tu qu ils t'emportent, lui demandait-on, pour lerassurer ? ne crains rien, ils ne te feront aucun mal. » Quand tout lemonde fut endormi, notre normand se lève sans faire de bruit. Il garnitde liens de paille les pieds des chevaux, qu'il fait sortir au petitpas. Il monte sur le meilleur, à la queue duquel il en attache unautre, et ainsi des suivans. Voilà le drôle parti. On disait ensuite aufermier : « Ne deviez-vous pas être sur vos gardes ? Le coquin ne vousavait-il pas averti du tour  qu'il vouloit vous jouer ? »

Un particulier des environs de Caen présenta un jour un de ses parensau cardinal Mazarin, lui promettant qu'il n'avait que trois mots à luidire : « Pour trois mots, dit le cardinal, je le veux bien ; mais troismots, et pas davantage. » Lenormand fit entrer son parent, après l'avoir averti de ne dire quetrois mots. « Je n'en articulerai pas un de plus, lui répond celui-ci.» En approchant du cardinal (on était alors en hiver), il lui dit :Monseigneur, froid et faim ; le cardinal lui répondit : feu et pain, et lui accorda une pension.

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Un avocat normand, qui avait à plaider pour l'état d'un enfant en bas-âge, le fit venir à l'audience. Lorsqu'il fut à lafin de son plaidoyer, qu'il avait rendu fort pathétique, il s'aperçutque l'auditoire était fort ému. Il saisit cette occasion pour prendrel'enfant dans ses bras, et continua de plaider. Les assistant touchésde cette scène, ne peuvent retenir leurs larmes. Tout-à-coup l'enfantjeta les hauts cris. L'avocat de la partie adverse le questionna poursavoir ce qui le faisait crier si fort ; le petit innocent répondit : c'est qu'il me pince.Tous les spectateurs qui pleuraient, se mirent aussitôt à éclater derire, et huèrent l'orateur qui, pour séduire ses juges, avait imaginécette singulière supercherie.

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Un autre avocat de la ville de Rouen, voyant ses juges peu disposés àaccorder à sa partie adverse une pension alimentaire : « Comment ! leurdit-il, vous refuseriez à ma partie cette substance nourrissière, cetaliment indispensable, et cette provision de toute nécessité, quelesGrecs appelaient ton arton, du pain ? »

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On raconte le trait suivant d'un picard et d'un normand, que l'oncondusait tous deux à la potence. Le premier pleurait à chaudes larmes; le second faisait, au contraire, bonne contenance, et reprochait, entermes violens, à son camarade, sa lâcheté, ne cessant de l'accuser demanque de cœur. Le picard lui répondit : « Nous ne sommes mie commevous, normands, qui êtes accoutumés à être pendus. »

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Ah ! que c'est dur ! disait une paysanne normande, qui allait àl'enterrement de son mari ;  elle tenait dans sa main un petitcaillou.

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Un archevêque de Rouen ayant appris que son jardinier n'avait jamais,depuis l'âge de raison, bu une goutte d'eau, et qu'il avait fait unserment solennel de n'en jamais boire, le manda sur-le-champ, et luidit : je te délie du serment que l'on assure que tu as fait, tu saisque j'en ai le pouvoir comme archevêque, et je veux qu'à l'instant mêmetu boives un verre d'eau. En voilà un devant toi. Je te regarde et jet'attends. Le jardinier, à cette vue, fit toutes les grimaces d'unmalade qui répugne à boire une médecine fort désagréable. D'abord ilchicana sur la grandeur du verre, puis sur la quantité d'eau. En vainl'archevêqne voulait l'encourager, notre homme se refusait toujours àce qu'on lui demandait. Voyant à la fin qu'il ne pouvait plus reculer,Monseigneur, dit-il au prélat, ordonnez, au moins, que l'on m'apporteaussi un verre de vin, afin que je puisse, après cela, m'ôter le goûtde ce poison. Le vin apporté, le jardinier prit un verre de chaquemain. Excusez, mais je ne trouve pas que cela soit encore assez ;obligez-moi de donner votre bénédiction sur ce maudit verre d'eau. Lacérémonie qu'il désirait, ne fut pas plutôt faite, que le jardinierlança l'eau par la fenêtre, et qu'il but le vin d'un seul trait, enajoutant: Monseigneur, l'eau bénite est pour les morts, et le vin estpour les vivans.

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Au tems où Henri IV s'efforçait de s'assurer des principalesforteresses de la Normandie, un gentilhomme, nommé Goustiminil ouGoustninil, sieur de Bois-Rosé, qui servait sous l'amiral Villars,contre Henri IV, eut le déplaisir de voir prendre, par le maréchal deBiron, le fort de Fécamp, que lui, Bois-Rosé, avait cru pouvoirdéfendre avec les braves qui l'accompagnaient. Cet officier et toute lagarnison furent obligés d'évacuer le fort après une capitulationhonorable. Avant que d'en sortir, Bois-Rosé, qui était un homme de cœuret de tête, remarqua exactement la place d'où on le chassait ; etprenant ses précautions de loin, il fit en sorte que deux soldats qu'ilavait gagnés, fussent reçus dans la nouvelle garnison que lesroyalistes établirent dans Fécamp. Le côté du fort qui donne sur lamer, est un rocher de six cents pieds de haut, coupé en précipices, etdont la mer lave continuellement le bas, à la hauteur d'environ douzepieds, excepté quatre ou cinq jours de l'année, où, à la basse marée,la mer laisse à sec, l'espace de trois ou quatre heures, le pied decette haute falaise, avec quinze ou vingt toises de sable. Bois-Rosé, àqui toute autre voie était fermée pour surprendre une garnisonattentive à la garde d'une place nouvellement prise, ne douta pointque, s'il pouvait aborder par cet endroit, regardé comme inaccessible,il ne vînt à bout de son dessein. Il ne s'agissait plus que de rendrela chose possible, et voici comme il s'y prit :
 
Il était convenu d'un signal avec les deux soldats gagnés. L'un d'euxl'attendait continuellement sur le haut du roclier, où il se tenaitpendant tout le temps de la marée basse. Bois-Rosé profitant d'une nuitfort noire, vint avec cinquante soldats déterminés, pris par préférenceparmi les matelots. Accompagné de cette troupe, que portait une grandechaloupe, il se rendit au pied d'un rocher. Il s'était muni d'un groscable, égal en longueur à la hauteur de la falaise, et on y avait fait,de distance en distance, des nœuds et passé de courts bâtons, pourpouvoir s'appuyer des mains et des pieds. Le soldat qui se tenait enfaction, attendant le signal depuis six mois, ne l'eut pas plutôt reçu,qu'il jeta, du haut d'un précipice, un cordeau auquel ceux d'en baslièrent leur cable, qui fut guidé en haut par ce moyen, et attaché àl'entre-deux d'une embrasure avec un fort levier passé par une agraffede fer faite à ce dessein. Bois-Rosé fit prendre les devans à deuxsergens dont il connaissait la résolution, et ordonna aux cinquantesoldats de s'élever de même à la suite les uns des autres, à cetteespèce d'échelle, leurs armes liées autour de leur corps, et de suivreà la file, se mettant lui-même le dernier de tous, afin d'ôter auxlâches l'espoir de la retraite. La chose devint d'ailleurs bientôtimpossible ; car, avant qu'ils fussent seulement à moitié chemin, lamarée qui était montée de plus de six pieds, avait emporté la chaloupeet faisait flotter le cable. La nécessité de se tirer d'un pas sidifficile, n'est pas toujours un garant contre la peur, lorsqu'il y aun si grand sujet de s'y livrer. Que l'on se représente ces cinquantesoldats suspendus entre le ciel et la terre, au milieu des ténèbres, netenant qu'à une machine si peu sûre, et qu'un léger manque deprécaution, la trahison d'un mercenaire, ou la moindre peur pouvaientprécipiter dans les abymes de la mer ou briser sur les rochers. Quel'on y joigne le bruit des vagues, la hauteur du fort, son escarpementaffreux, la lassitude, pour ne pas dire l'épuisement presque total detous ces braves ; il y avait sans doute de quoi faire tourner la têteau plus assuré de la troupe, comme il arriva en effet à celui-là mêmequi conduisait tous les autres. Ce sergent dit à ceux qui le suivaient,qu'il ne pouvait plus monter, et que le cœur lui manquait. Bois-Rosé, àqui ce discours était passé de bouche en bouche, et qui s'enapercevait, parce que ses gens n'avançaient plus, prend à l'instant sonparti. Il passe par-dessus le corps de tous ceux qui le précèdent, enles avertissant de se tenir fermes ; enfin il arrive jusqu'au sergentqu'il essaie d'abord de ranimer. Voyant qu'il ne peut en venir à boutpar la douceur, il l'oblige, le poignard dans les reins, de monter ; etsans doute que si cet homme n'eût obéi, aussitôt il l'eût tué etprécipité dans la mer. Avec tout le travail et toute la peine qu'il estaisé de s'imaginer, la troupe mit pied à terre au haut de la falaise,un peu avant la pointe du jour, et fut introduite, par les deuxsoldats, dans le château, où elle commença par massacrer, sansmiséricorde, le corps de garde et les sentinelles. Le sommeil livrapresque toute cette garnison à la merci de l'ennemi, qui fit main bassesur tout ce qui résista. Ce fut ainsi que Bois-Rosé se rendit maître dufort de Fécamp

Ce brave officier fit savoir incontinent à l'amiral Villars ce succèspresque incroyable, comptant bien que la moindre récompense à laquelleil devait s'attendre, était le gouvernement de cette citadelle, qu'ilavait si bien acheté. Cependant il lui revint que l'amiral ou plulôt legouverneur de Honfleur, Thomas Berton, commandeur de Grillon,projettait de l'en retirer. Dans le premirr transport de colère que luicausa celle injustice, il remit le château à Henri IV, qui, par lemoyen d'une violation de droit, prétextée sur les mauvaises intrusionsdu duc de Mayenne, s'avança, malgré la trêve convenue, vers Fécamp, oùil obligea les troupes de Villars de se retirer. Il pourvut ensuiteabondamment cette forteresse de tout ce qui était nécessaire pour sasûreté.

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On montrait a un paysan des environs de Caen tout ce qu'un maréchal deFrance avait pris pendant la guerre ; les forteresses, les villes, lespays étaient figurés sur une grande carte : « Morgué, tout ce qu'il apris n'est pas là, dit le paysan, car je n'y vois pas mon pré. »

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Un peintre normand qui voyageait, ayant gagné la galle en couchant chezun aubergiste qui avait à sa porte un tableau sur lequel on lisait : Ici on donne à manger, peignit sécrètement avant le dernier mot, .

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Un paysan normand ayant été en confesse, reçut pour pénitence de jeûnerpendant un mois. « C'est trop, répondit le villageois à son confesseur, je ne puis vous promettre de jeûner plus de huit jours. » Il se levadu confessional et s'en alla. Ayant fait quelques pas, il revint luidire : « Monsieur, voulez-vous encore huit jours ? » — « Mon enfant,reprit le confesseur, on ne marchande pas comme au marché, et lui fitdes remontrances. Oh bien, monsieur, puisque vous le voulez, dit lerustique, je hausserai encore d'un jour. » Et enfin, ayant étésévèrement repris de son obstination, il s'engagea de jeûner un mois,mais à condition que ce serait pendant février, parce qu'il n'a quevingt-huit jours.

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Un de ces hommes a qui le vrai mérite porte obstacle, s'avisa de diredes choses fort dures à un homme d'esprit qui était dans une compagnieà Rouen. Ce dernier parut y faire assez peu d'attention ; ce quitransporta tellement le déclamateur, qu'il en vimt jusqu'à l'injurieret le menacer. Comme ce braillard était un fort petit homme, le savantfeignit d'en être effrayé, et se tournant vers la compagnie : Eh !messieurs, dit-il avec agitation, voyez.... voyez donc, cela parle ; cequi déconcerta tellement l'insolent personnage, qu'il partitbrusquement.


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Un particulier fort riche ayant invité à dîner un Normand, lui demandacomment il aimait les asperges, à la sauce on à l'huile ? A la sauce,répondit le convive, c'est mon goût. Dans l'entrefaite, entre unlaquais tout effrayé qui, s'adressant au maître de la maison, lui dit :Monsieur, votre cuisinier vient de tomber en apoplexie, et je croisqu'il se meurt. En ce cas, répond le Normand, qu'on mette les aspergesà l'huile, cela sera plutôt fait.


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Un habitant de Lisieux ayant reçu de vifs reproches de la part d'unpersonnage dont le ton de voix étourdissait les assistans, quelqu'unlui observa qu'il convenait de repousser de pareilles invectives. Hélas! répondit l'homme injurié, que voulez-vous que je dise, et que peut uufilet de voix connue le mien vis-à-vis une gueule comme celle-là ? Toutle monde s'étant pris à rire, l'antagoniste se retira furieux.
 
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Un paysan normand ayant surpris son seigneur en faute, eut la faiblessede le publier dans la paroisse. Celui-ci le fit assigner en réparationd'honneur. Comme il n'y avait pas de témoins du fait, le malheureux futcondamné à faire publiquement ses excuses, à se dédire et à payerl'amende. Néanmoins, en sortant de l'audience, il se tourna vers sesjuges et dit : Vous voulez, messieurs, que monsieur soit innocent, ilfaut bien le vouloir moi-même ; pourtant j'ai cru que cela était vraiparce que je l'avais vu.

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Un marchand de Caen fort à son aise ayant acquis un très-beau jardin, fit graver ces mots sur la porte : Ce jardin sera pour celui qui pourra prouver qu'il est véritablement content.S'y promenant un jour, il vit entrer un inconnu qui, l'ayant salué, luidemanda où était le maître. C'est moi-même, dit le marchand, quedésirez-vous de moi ? Prendre possession de ce jardin, réponditl'inconnu, car personne n'est plus content et plus heureux que moi.Monsieur, répliqua le marchand, vous êtes dans l'erreur ; si vousétiez, pleinement satisfait, vous ne désireriez pas encore lapossession de mon jardin.


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Un voleur ayant été surpris dans la grande salle du Palais au moment oùil exerçait son métier, comme on voulait le juger de suite, on luidonna pour son conseil un avocat qui était de la Normandie. Est-ilvrai, lui dit l'avocat, que tu as véritablement volé ? Hélas ! oui,répondit-il ; mais...... Tais-toi, lui répondit l'avocat ; le meilleurconseil que je puisse te donner, c'est de prendre la fuite. Le voleurgagna l'escalier et disparut. Alors, l'avocat portant la parole auxjuges leur dit : Messieurs, ce malheureux m'a avoué son crime : commeil n'était gardé par personne, et que j'étais nommé pour son conseil,j'ai cru devoir lui conseiller de prendre la fuite, et il a profité demon avis. Ce discours déconcerta la gravité des juges, qui reconnurentque l'avocat avait raison.

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Le gardien d'un couvent de Normandie ayant trouvé dans la chambre d'unde ses religieux un panier de vin : Mon révérend père, lui dit-il,quelle folie avez-vous faite, de rompre ainsi votre règle ? Eh bien,lui répondit le religieux, si j'ai fait une folie, je la boirai.

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Un mendiant normand, demandant l'aumône à un procureur d'un monastère,s'exprima en ces termes : Digne successeur du trésorier deJésus-Cbrist, ne vous resterait-il pas encore quelques pièces de lavente de notre divin maître, pour soulager ma misère

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Un curé d'un village de Normandie avait caché son argent derrière letabernacle de son autel, et pour ôter tout soupçon, avait placé endevant cette inscription latine : Hic jacet Christus.Un filou de la même province découvrit le dépôt, et près avoir pristout ce qui se trouva dans la bourse, il retourna la planche et écrivitsur le revers ces autres mots latins : Surrexit, non est hic : eccs locus ubi posuerunt eum.

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Un seigneur de Normandie se trouvant dans une église, donna quatrepistoles à un religieux qui quêtait pour les ames du purgatoire. Ah !seigneur, dit le bon père, vous venez d'ouvrir le ciel à une amesouffrante. Le seigneur tira encore une pièce de quatre pistoles et lamit dans la bourse du moine, qui s'écria de nouveau : Encore une amedélivrée ! Le seigneur continua jusqu'à six, et toujours de nouvellesdélivrances. Mais, dit-il à la fin, êtes-vous sûr que le ciel s'ouvrechaque fois que je vous fais une nouvelle offrande ? Oui, monseigneur,dit le religieux, il n'y a pas de doute que votre pieuse générositén'ait fait six prédestinés en un demi-quart d'heure. Cela étant luirépartit le seigneur, je reprends mes six pièces, qui pourront servirpour d'autres délivrances. Le moine se trouva ainsi frustré de sa quêteabondante.

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Un évêque ayant demandé à un séminariste normand si l'on pouvaitbaptiser avec du bouillon : Je distingue, répondit le jeune homme ; sic'est avec du bouillon de la marmite du séminaire, le baptême estvalide ; mais si c'est avec du bouillon fait pour votre grandeur il estabsolument nul.

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Un soldat normand ayant perdu son camarade, fut trouver lé curé de laparoisse, et lui dit : Combien demanderiez-vous monsieur, pour faire àmon camarade un enterrement honnête ? Quatre francs, lui répondit lecuré. Quatre francs ! dit le soldat surpris ; eh ! monsieur, dans monpays, l'on vous chante une messe, une contre-messe et un diable chargéde libera, pour trente sols.
 
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Un sot très-riche et d'un caractère fort goguenard, voyant passer unpoète de Rouen, lui dit d'un ton moqueur : Où allez-vous, monsieur lefabricant de vers ? Je vais de ce pas, lui répliqua le poète, composerune épigramme sur voire bêtise.

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Un président d'Evreux voyant un jour un particulier qui dormait àl'audience, le fit éveiller, et lui dit qu'il pouvait aller dormir chezlui s'il en avait l'envie. Excusez-moi, monsieur, lui répartit ledormeur, c'est que j'ai cru que ce devait être bientôt votre tour àparler, et j'ai voulu prendre d'avance mes précautions pour ne paséprouver l'ennui de vous entendre.

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On proposait on jour à un Normand de lui faire épouser une demoisellequi avait beaucoup voyagé. Je vous remercie de vos bonnes intentionspour moi, répondit-il, mais je me méfie des femmes qui ont vu tant depays, car je sais que c'est une espèce de marchandise fort sujette à sedétériorer en route.

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Guillaume-le-Bâtard, duc de Normandie, fut appelé à la couronned'Angleterre par le testament d'Edouard III. Etant débarqué sur lescotes de la province de Sussex avec une armée très-nombreuse, il fitmettre le feu à ses vaisseaux de passage, et s'étant tourné vers sessoldats, il leur dit : Voilà votre patrie. Il était, en entrant àLondres, précédé de la bannière que le pape Alexandre II lui avaitenvoyée. Ces signes, à qui les souverains donnèrent quelquefois uncaractère de piété, comme le labarumsous Constantin, l'oriflamme sous Louis-le-Cros, et l'étendart deMahomet sous les Ottomans, produisaient toujours pour les conquéransdes effets heureux. L'évêque de Rome avait joint à cet étendart uncheveu de saint Pierre, ainsi qu'une bulle d'excommunication contrequiconque s'opposerait à Guillaume. La couronne lui fut déférée, ettout se soumit à ses lois. L'histoire cessa alors de l'appeler bâtard,et le nomma conquérant, titre qu'elle lui a conservé.

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Un petit-maître étant un jour dans une société à Rouen, se vantait à lacompagnie qu'une très-jolie femme qu'il n'avait vue qu'une seule foislui avait accordé ses faveurs. Cela est très-possible, lui répliqua unepersonne de la compagme ; mais si elle vous eût vu deux fois, je necrois pas qu'elle vous eût si bien traité.

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Jean Hennuyer, évêque de Lisienx, après les fureurs de laSaint-Barthelemi, donna l'exemple de la plus héroïque fermeté en faveurdes calvinistes de son diocèse. Le lieutenant de la ville lui ayantcommuniqué les ordres sanguinaires de la cour : Vous ne les exécuterezpas, dit le prélat ; ceux que vous voulez égorger sont mes brebis ; cesont des brebis égarées, il est vrai, mais je dois travailler à lesfaire rentrer dans le bercail. Je n'ai vu dans aucun chapitre del'Evangile, que le pasteur doive laisser répandre le sang de sontroupeau ; mais j'y ai.lu, au contraire, qu'il est obligé de verer lesien pour lui. Tant que Dieu me conservera la vie, je m'opposerai detoutes mes forces à cette barbarie. L'on a surpris la religion de monroi ; je suis assez sûr de son coeur, pour présumer qu'il approuveramon refus.

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Il vous faudrait des cordiaux et des pectoraux, disait un médecin à unparticulier de Caen, que le chagrin de se voir ruiné avait rendumalade. Helas ! lui répondit tristement le valétudinaire, je vous faisvolontiers grâce, monsieur le docteur, de vos cordiaux, ainsi que devos pectoraux ; mais s'il vous était égal de me procurer une quantitésuffisante de capitaux, cela me conviendrait beaucoup mieux que tout lereste.

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Un soldat normand, mécontent de son capitaine, qui lui avait fait uneassez forte retenue sur sa solde, traduisit ainsi ce passage latin, tot capita tot sensus : Autant de capitaines, autant de sangsues.

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Huet, évêque d'Avranches, commença fort tard à se livrer à l'étude ;mais il s'y livra le reste de ses jours avec la plus opiniâtreapplication. Lorsque quelque ecclésiastique se présentait pour luiparler, les domestiques le renvoyaient en disant : Il n'y a pas moyend'entrer, monsieur étudie. Lorsque les citoyens d'Avranches parlaientde lui, ils avaient coutume de dire : Nous supplierons le roi de nousdonner dans la suite un pasteur qui ait fait toutes ses études ; car lanôtre ne peut quitter ses livres.

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Un jeune villageois normand avait caressé de fort près la fille d'un deses voisins. Le père de la coupable en fut instruit ; il ne manqua pasd'en faire des reproches au jeune villageois ; mais celui-ci, pours'excuser, lui répondit : Vous ne savez pas comme les choses se sontpassées, ainsi vous avez tort de m'en vouloir. Si votre fille venaitbatifoler avec vous, comme elle a fait avec moi, je voudrais biensavoir si vous seriez assez nigaud pour ne pas pousser votre pointejusqu'au bout ? A cette réponse, le père demeura interdit, et trouvales raisons du jeune homme si prépondérantes, qu'il lui pardonna sansrestriction, et continua de le voir comme auparavant.

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Lettre d'un Normand à sa Maîtresse.

Dites-vous vrai, mademoiselle, quand vous assurez que mon absence nevous plaît point; car, entre nous, a beau mentir qui vient de loin ?Pour moi, je vous assure qu'après votre départ je demeurai plus pénautqu'un fondeur de cloches, et je disais sans cesse : hélas ! les joursse suivent et ne se ressemblent pas. Je crains bien d'avoir mangé monpain blanc avant le noir. J'étais avec mes amis comme le poisson quinage ; mais, maintenant, je ne sais de quel bois faire flèche. Ce quime console, c'est qu'on m'a promis de revenir ; mais promettre et tenirc'est beaucoup, et je ne connais que trop que qui s'éloigne de l'œils'éloigne du cœur. Cependant, si vous y manquiez, je vous réponds queje crierais contre vous plus haut qu'un aveugle qui a perdu  sonbâton ; et je ne sais même si je ne jetterais pas le manche après lacoignée. Il vaut donc mieux faire contre fortune bon cœur, que d'êtretriste comme un bonnet de nuit sans coiffe. Cent ans de mélancolie nepaieraient pas un sol de mes dettes. Cependant il ne faut pas sedésespérer pour une mauvaise année ; après la pluie vient le beautemps. Enfin, me voici au bout de mes rôles ; je ne bats plus que d'uneaîle. I1 faut finir, comme disait le roi Dagobert à ses chiens ; il n'ya si bonne compagme qui ne se quitte. Bon jour et adieu. En voilà assezpour le prix de votre argent ; pavez-moi en même monnaie ; rendez moila pareille : il vaut mieux, un tien que deux tu l'auras.

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Un homme d'un esprit fort borné se plaignait devant un Normand de cequ'une personne l'avait jugé bête la première fois qu'elle l'avait vu.C'est, lui répondit l'autre, que cette même personne se connaît enphysionomie.

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Unauteur fort infatué de son mince et très-mince mérite, disait à unhomme de Falaise, qu'il espérait bien qu'un livre qu'il venait depublier passerait à la posterité. Dites à la postérieurité, luirépartit le Falaisien ; car je compte bien me servir de ses feuilletschaque fois qu'il me prendra envie d'aller en certain, lieu.

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Un Normand entendant plusieurs maris se plaindre de l'entêtement deleurs femmes, leur dit que la sienne ne lui avait obéi qu'une seulefois dans toute sa vie. Comment cela ? lui demanda-t-on. Ce fut,répondit-il, un jour, en passant avec elle sur un pont fort élevé, jela poussai du coude, en lui disant : Vas où tu pourras. Jamais, ajouta-t-il, la gaillarde n'a songé à me contrarier depuis. On le croit aisément, car elle s'était noyée.

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Un cadet de Normandie se trouvant sans argent, emprunta à un vieil,usurier, et à des Intérêts exorbitans, une somme assez considérable.Lorsqu'ils furent d'accord, il dit aupréteur: Dans quelle langue monsieur veut-il que je lui fasse monbillet ? — Mais, dans la langue française, je n'en connais pas d'autre.Excusez-moi, en ce cas, reprit le cadet ; mais c'est que, d'après votremanière de calculer, j'aurais cru que la langue hébraïque pouvait vousconvenir mieux que toute autre, et, si cela vous eût fait plaisir,j'étais à même de vous satisfaire.

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Un avocat, plaidant devant le tribunal de la ville de Caen,s'appesantissait beaucoup sur la noblesse de ses parties. L'avocatadverse l'interrompit aussitôt, en disant aux juges : Messieurs, jevous prie de croire que si les parties de mon adversaire sont nobles,les miennes ne sont pas des parties honteuses.

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Un Normand, étant en voyage, s'était arrêté dans une auberge, où, aprèsavoir fait maigre chère, on lui présenta un mémoire assez considérable; après quelques débats, il fut obligé de le solder. Comme il allaitmonter à cheval, l'aubergiste lui dit : Monsieur, afin de ne conserver,de part et d'autre, aucune rancune, nous allons boire ensemble le vinde l'étrier. Volontiers, reprit le Normand ; j'ai seulement à vousobserver que, sans doute, vous vous trompez , et que vous voulez direle vin de l'étrillé.

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Un petit-maître se promenant aux environs de Rouen, en fredonnantl'ariette à la mode, rencontra dans son chemin un paysan qui conduisaitune troupe de dindons. Il lui demanda d'un ton moqueur de quel paysétaient de si beaux oiseaux. — Ma foi , monsieur, lui répondit levillageois, maintenant que je viens de vous entendre chanter, et que jevois comme vous vous rengorgez avec fierté, vous me permettrez de vousdire que je les crois du même pays que vous, ou je suis par ma finebien trompé.

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Un particulier se plaignait à un de ses amis, qui était de laBasse-Normandie, de ce qu'il venait de perdre un procès, quoique toutesles lois fussent en sa faveur. En fait de procès, tu dois t'y connaître; ainsi, réponds-moi, lui dit-il. L'ami à qui il faisait ses doléanceslui montra son baromètre, en lui disant : Tu vois qu'il est précisémentau beau-fixe, et cependant il ne laisse pas de pleuvoir. Ainsi, monami, voilà l'explication de ton procès.

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Un confesseur assistant un malfaiteur normand que l'on menait pendre,lui disait : Repentez-vous, mon cher frère, repentez-vous, et Dieu vouspardonnera. Ah ! je me repens bien aussi, répondit le vaurien ; mais jecrains bien que Dieu ne me pardonne pas pour cela. — Et pourquoi ? —C'est que tout mon regret est de ne vous avoir pas fait perdre le goûtdu pain à vous et à tous ceux qui nous entourent. Cela ferait,ajoutat-il, qu'il n'y aurait personne ni pour me confesser, ni pour inependre, ni pour me voir faire la grimace patibuaire.

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Lorsque la France gémissait sous le règne de la plus affreuse anarchie,un particulier de la Normandie, qui avait besoin dans un des bureauxdes ministres alors en fonction, n'ayant pas lieu d'être content descommis auxquels il s'était adressé, leur parlait d'un ton un peuénergique. Vous faites bien claquer votre fouet, citoyen ? lui dit undes insolens bureaucrates. Eh ! devez vous en être surpris, luirépartit aussi tôt le Normand courroucé, puisqu'il n'y a que ce moyende faire entendre raison aux ânes.

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Un Normand que l'on menait à la potence, arrivant sur la place publiqueoù devait se faire l'exécution, et y voyant une foule considérable despectateurs de tout sexe et de tout âge, s'écria : Que le monde est sotde venir avec tant d'empressement pour voir une misérable pendaison !Quant à moi, poursuivit-il, la curiosité n'est pas mon défaut, et jejure bien que si l'on ne m'avait pas amené de force ici, je n'auraispas voulu me déranger d'un seul pas.

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Un particulier ayant emprunté à un Normand une légère somme, celui cilui demanda un gros intérêt. Il faut avouer, lui dit l'emprunteur, quevous êtes bien juif. Apprenez, mon ami, répartit le Normand, que,lorsqu'il s'agit d'argent, juifs ou chrétiens nous sommes tous frères.

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Un Normand, qui, malgré qu'il fût dans la dernière misère, ne laissaitpas d'avoir l'esprit extrêmement jovial, rencontrant un de ses amis quipleurait, lui en demanda la cause. Parbleu ! lui dit celui-ci, si jepleure tu dois bien penser que c'est que j'ai de quoi. Si tu as dequoi, répartit à son tour le farceur, tu es un grand sot de tedesespérer. Ce serait plutôt à moi à me lamenter, car jt n'ai pas lesou.

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Un procureur normand venait de s'engager à payer dans l'année une sommeconsiderable : comme on lui observait qu'il était loin d'avoir cetargent en sa possession, il repondit : J'en serai quitte pour veiller àce que mes clercs allongent leur écriture en faisant des rôles.

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Une justice de campagne, en Normandie, ayant condamné un anticipateuraux dommages-intérêts et aux dépens, celui-ci se mit à crier : J'enappelle. Comment ? dit le juge étonné, tu en appelles ? Hé bien, nousordonnons que nous n'ordonnons rien, et que nous remettons la cause aucul de la semaine. Va te promener, maintenant, avec ton appel.

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Un cordonnier de Falaise, la veille des Rois, avait invité plusieurs deses confrères à souper ; mais, par malheur, sa femme s'était enivrée aupoint qu'elle en avait perdu toute connaissance. Pour se délivrer d'unspectacle si désagrésable il lui prit fantaisie d'aller la mettre dansun coffre à l'avoine, et de l'y enfermer. Sur la fin du souper, cettefemme s'éveille, et en portant ses mains de toute part, elle ne sentque des planches et de l'avoine, alors, s'imaginant être dans uncercueil, et entendant les compagnons qui, dans une chambre voisine,trinquaient et chantaient, elle se prit à crier de toutes ses forces :Dites donc , les gens de l'autre monde, donnez-moi du vin, vous aurezde l'avoine.

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Une dame normande, passionnée pour le jeu, et retirée à la campagnependant la belle saison, proposa au curé de la paroisse de jouer avecelle. Il accepta et elle gagna tout son argent. Peu de temps après,étant tombée malade et n'espérant pas en revenir, elle lui proposaencore de jouer les frais de son enterrement, en cas qu'elle mourût ;et le curé les perdit de rechef. Alors, elle l'obligea de lui faire unepromesse, pour argent prêté, équivalente à la somme à laquelle ilstaxèrent les honoraires de sa sépulture. Dans ses derniers momens, ellemit ce billet entre les mains de son fils, et mourut deux heures après.Le curé l'enterra gratuitement et retira sa promesse.

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Un Normand, ayant été mis à Saint-Lazare pour quelques mauvais traitsde jeunesse, et que l'on voulait faire prêtre, écrivit la lettresuivante à un de ses amis :

Je ne vous ferai point ici la description de la maison de Saint-Lazare.Je me contenterai de dire que l'on me donne tout ce qui m'est inutile,et rien de ce qui m'est nécessaire. J'ai un bénitier auprès de mon lit,et je n'ai point de pot-de-chambre ; j'ai un prie-dieu, et je n'aipoint de chaises ni de table ; j'ai un surplis, et je n'ai point dechemise ; j'ai un chapeau pour le jour, et point de bonnet pour la nuit; j'ai une soutane, et je n'ai point de robe-de-chambre : j'ai despantoufles, et n'ai point de souliers. A table, j'ai des serviettes,des assiettes, des couteaux, des cuillers, et je n'ai rien à manger.Enfin, mon cher, dans la conversation, je n'ai que des gens quim'importunent, et je n'en ai point qui me divertissent ; car tous leursentretiens ne sont que des invectives contre les vicieuses coutumes dusiècle, et des importemens contre ceux qui, au lieu de dire : Je merecommande à vos bonnes graces ; disent simplement quand ils sequittent: Je suis votre serviteur.
 
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Le philosophe Fontenelle, qui était de Rouen, avait un frère abbé. Onlui demandait un jour : Que fait monsieur votre frère ? Mon frère ?dit-il, il est prêtre.— A-t-il des bénéfices ? — Non.— A quois'occupe-t-il ? — Il dit la messe le matin... — Et le soir  ?— Lesoir ? il ne sait ce qu'il dit.

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Un jeune écolier de Rouen ayant été admis dans une classe plus élevéeque celle qu'il quittait, se presenta devant le professeur afin d'êtreexaminé. Celui-ci, en se promenant avec le petit bonhomme, lui demandade dire en latin : Je suis un âne. L'enfant lui répondit aussitôt : Sequor asinum.

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Un juge de Basse-Normandie envoya un jour chercher par un huissier untémoin indispensable dans un procès. Le témoin buvait au cabaret, etl'huissier resta avec lui à boire. Le juge dépêcha un second huissierqui resta à boire avec eux. Enfin il prit le parti d'y aller lui-même.Il boit et s'enivre, et le procès ne fut point jugé.

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Un Normand qui ne cessait de faire des juremens, ayant été repris enjustice de jurer le nom de Dieu à chaque parole qu'il disait, futcondamné à trois mois de prison. Le temps expiré, le juge le fit venirdevant lui, et lui demanda s'il était dans le dessein de retomber dansla même faute ? Hélas ! lui répondit tristement le Normand, je vouspromets, monsieur, de ne jamais parler de Dieu, ni en bien ni en mal.

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La ville de Falaise était dans le parti de la ligue. Henri IV l'avaitassiegée ; on allait donner l'assaut. Lachenaye, marchand, étaitamoureux et aimé d'une fille de son état. ll lui proposa nu moyen qu'ilimaginait pour sortir de la ville et la mettre en sûreté. Comme je suispersuadée, lui répondit-elle, que vous ne pensze à abandonner voscompatriotes, lorsqu'ils vont combattre, que parce que vous tremblezpour moi, la proposition que vous me faites ne vous ôte ni mon estimeni mon amour, et pour vous le prouver, je suis prête à unir ma destinéeà la votre. Venez ; je veux vous donner ma foi, mais ce sera sur labrèche. Elle marche en prononçant ces mots. Les représentations, lescraintes, les larmes de son amant sont vaines ; elle arrive au rempart.L'un et l'autre combattirent avec tant de courage, que Henri IV,admirateur des belles actions, commanda qu'on leur sauvât la vie s'ilétait possible ; mais Lachenaye ayant été tué d'un coup de fusil, samaîtresse refusa quartier, et continua de combattre jusqu'à ce que, sesentant blessée à mort, elle s'approcha du corps de son amant pourmêller son sang avec le sien et mourir en le tenant embrassé.

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Une jeune Normande était occupée à veiller dans un champ au soin de sontroupeau. Un seigneur qui chassait dans ce même lieu, crut pouvoirs'amuser de l'ignorance qu'il supposait à cette jeune fille. Combien defois par jour, lui dit-il, défends-tu tes agneaux du loup ? Hélas !monsieur, lui répondit-elle d'un air trés hnmble, je ne l'ai jamais vuqu'aujourd'hui.

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Un avocat normand fit payer très chèrement une consultation à unedemoiselle qu'il voulait épouser. Comme elle lui en fit des reproches :J'ai voulu, lui dit-il , vous faire sentir combien la professiond'avocat est lucrative, afin que vous compreniez que je suis un bonparti.

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Un avocat du même pays, fort intéressé, ayant remis à son client lemémoire de ses frais, il s'y trouva un article ainsi conçu : Plus, trente sols, pour m'être réveillé la nuit et avoir pensé à votre affaire.

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Un jeune homme de Caen soutenait ses thèses en droit. On lui demanda la définition du vol. Soit que son Justinienne lui revint pas à la mémoire, soit qu'il craignît de ne pas donnerune définition exacte, il répondit ingénuement : Tenez, messieurs,voyez si je connais le vol et le voleur, j'ai demeuré dix ans chez unprocureur à Rouen.

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On condamna un jour à la potence un vieux criminel Normand, qui avaitpeut-être échappé plus de vingt fois à la punition de ses crimes.Lorsqu'on lui eut prononcé sa sentence de mort, on lui demanda ce quiavait pu l'engager dans l'affreuse carrière qu'il avait parcourue, etpourquoi il y était resté ? Par la même raison, répondit-il, que l'oncourt les chances du commerce. Il y avait beaucoup de chances pourqueje fisse des gains considérables ; beaucoup de chances pour que je nefusse pas découvert, et beaucoup pour que je ne fusse pas pris ; et sij'étais pris, beaucoup de chances pour que je ne fusse pas convaincu ;et si je l'étais, encore quelques chances pour ne pas être pendu.

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Un jeune homme de Normandie, qui était venu à Paris pour affaires, eutle désagrément, en courant, d'éclabousser un homme qui, parfaitementchaussé eu bas blancs, attendait la fin d'un orage, sous le grandguichet du Louvre. Celui-ci témoigne de l'humeur, le Normand d'en rire.Le jeune homme, en bas blancs, court sur lui la canne levée, lecoupable s'arrête comptant quelques monnoies. Mon petit ami, dit-il àson adversaire, en lui retenant le bras, prenez votre mal en patienceet cet argent ; j'ai bien cinq sous pour payer le blanchissage de vosbas, mais je n'ai pas cent louis pour m'enfuir quand je vous aurai tué; et il partit aussitôt, laissant l'homme éclaboussé tout stupéfait.

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Un riche particulier de Lisieux, dont l'économie était presque passéeen proverbe, conserva toujours tellement son caractère, que, peu avantsa mort, il le manifesta par le trait suivant : Le tems et le lieu deson dîner étaient toujours si incertains, que ses domestiques nesavaient jamais l'heure de son retour. Comme il n'avait jamais laisséapercevoir la moindre profusion dans sa manière de vivre, il était peudisposé à l'excuser dans la leur. Arrivant donc un jour avant dîner,son odorat lui découvrit qu'il se préparait quelque régal dans lacuisine. Un de ses gens qu'il appela, lui dit qu'ils allaient dîneravec un pâté de pigeons, et pour rendre plus excusable ce qu'il savaitque son maître appellerait dissipation, il ajouta que les pigeonsavaient été achetés très-bon marché, à la vérité, parce qu'ilsn'étaient pas des plus frais, ce qui faisait que le pâté entier ne leurrevenait pas à plus de quinze sous. L'effet de cette déclaration futbien différent de celui auquel le domestique s'attendait ; car sonmaître lui mit quinze sous dans la main, en lui disant : j'avaismoi-même envie de manger un pâté de jambon, et comme cela doit vousêtre égal, vous me servirez celui qui est prêt ; en conséquence, voicil'argent qu'il vous a coûté, avec cela il vous sera facile de vous enprocurer un autre. Il fallut obéir ; mais au risque d'être appeléprodigue et dissipateur, le valet jura bien qu'une autre fois iln'estimerait plus à si bas prix les mets dont il lui prendraitfantaisie de se régaler.

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Un paysan de Normandie, après s'être enivré avec sa femme, sequerellèrent en passant dans un bois pour regagner leur habitation, etdes injures passèrent aux coups. La femme fut si maltraitée, que lemari, revenu à lui, la voyant par terre sans connaissance, se pendit dedésespoir, à une branche d'arbre, avec une corde qui lui servait deceinture. Bientôt la femme ayant à son tour repris ses esprits et vuson mari pendu, se traîna, du mieux qu'elle put, jusqu'à ses pieds, etles lui tira de toute sa force, en lui disant tendrement : Oui, mon cher mari, ton attente sera remplie ;mais elle mit tant d'action dans son procédé, que la corde se rompit,et le pendu tomba à terre. Il n'y fut pas un quart d'heure, que lacolère lui revint avec les sens, et que sa femme lui ayant avoué le bonoffice qu'elle avait voulu lui rendre, il se jeta sur elle une secondefois, lui passa au cou la corde qui lui avait servi, la pendit ensuiteau même arbre, et le fit si bien qu'elle y resta.

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Un postillon Normand conduisait un particulier dans une chaise deposte. Ce particulier était descendu de sa chaise à un passagetrès-dangereux. Monsieur, lui dit le postillon, voici un endroit où ils'est fait un grand miracle l'année dernière ; un voyageur a versé danssa voiture jusqu'au fond de ce précipice. Eh ! bien, répondit levoyageur, est-ce que cet homme n'a pas péri ? Pardonnez-moi, il a été absolument fracassé dans sa chute, mais les chevaux ne se sont fait aucun mal.

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Un Normand disait d'un homme de sa connaissance, qui avait le nez fortlong et les narines extrêmement larges : quand il me parle de près,j'ai toujours peur qu'il me renifle.

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Un Normand, qui était sur la roue, et que son confesseur exhortait à lapatience, lui répondit : mon père, il y a long-tems que je ne me suistrouvé dans une situation d'esprit aussi tranquille.

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Un secrétaire du roi du grand collège demanda un jour à un de ses amisqui était de Rouen, et qui venait d'acquérir une pareille charge dansle petit, la raison. pour laquelle il n'avait pas préféré en avoir unedu grand. Mon ami, lui répondit le Rouennais, j'ai toujours entendudire qu'en fait de savonnettes, les petites sont toujours lesmeilleures Tout le monde sait que ces charges qui ennoblissaient,étaient nommées des savonnettes à vilain.

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Un Normand, quoique riche, était chargé de dettes. Un jour qu'il sepromenait avec deux ou trois personnes, il fut acosté par un homme quile prit à part. Cela lui donna beaucoup d'humeur, et il y parut sur sonvisage lorsqu'il rejoignit sa société. Qu'avez-vous donc, lui direntses amis ? vous paraissez tout ému. On le serait à moins, reprit-il, nevoyez-vous pas ce coquin qui me harcèle pour quelque argent que je luidois depuis sept ans, avec autant d'impudence et d'effronterie que sic'était une dette d'hier.

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Un particulier qui avait été mis au carcan, ayant subi sa peine aumoment où il éclatait un violent orage, des personnes charitablesenvoyèrent un commissionnaire pour le garantir de la pluie, en tenant au-dessus de satête un parapluie. L'homme ayant été reconduit en prison, lecommissionnaire qui était bas-Normand, fut l'y trouver, en luidemandant pour boire. Mon ami, lui dit le particulier, sans doute queles personnes charitables qui vous ont envoyé vous ont récompensé devotre peine. —Cela est vrai, Monsieur ; mais la honte ! — Vous avezraison, mon ami ; tenez, voilà six francs. Le commissionnaire enchantélui dit, en le remerciant beaucoup : Je vais, Monsieur, vous laissermon adresse en cas que vous ayez besoin une autre fois de mes servicespour une semblable occasion.

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Une plaideuse de Normandie étant venue chez son rapporteur, encarressait le perroquet chéri, dans l'espoir d'intéresser le maître ensa faveur. Le perroquet, qui était fort sauvage, la mordit fortement aubras, qui fut bientôt ensanglanté. Le rapporteur, ému, lui fit milleexcuses ; mais notre plaideuse qui avait ses vues, loin de paraîtremécontente, dit en riant au magistrat : Je voilais me faire saigner ily a quelques jours, mais voire perroquet a pris ce soin. Cettespirituelle répartie ne contribua pas peu à lui faire gagner sa cause.

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Un jeune écolier Normand bâillait étant en classe. Comment, lui dit sonmaître, vous bâillez, lorsque j'explique ? Je vois là de la malice. Eh! non, Monsieur, repartit le petit espiègle, je bâille si naturellement.

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Un curé Normand fit ainsi ses excuses à son évêque, sur ce qu'iln'avait pas à lui offrir le déjeuner que ce prélat aurait souhaité.Monseigneur, lui dit-il, le meunier m'a manqué de parole, en ne merapportant pas une livre de café que j'ai porté hier à son moulin.

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Un Normand se trouvant dans une maison distinguée, où on jouait grosjeu (car la banque était garnie de louis et d'écus), se mit à jouer sursa parole et sa bonne mine, et hasarda tout d'un coup mille louis qn'ilgagna. Il fit paroli, et perdit. Aussitôt il se retira, en disant :parbleu, voilà un coup impayable.

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L'évêque de Lisieux, parcourant son diocèse, exhorta les marguilliersd'une paroisse de village à faire quelque dépense pour l'ornement dutabernacle. Un des assistans lui dit : Monseigneur, pour faire ce dontvous parlez, nous pourrions trouver un moyen qui ne coûtera rien àpersonne. Nous avons ici un meuble inutile, qu'on pourrait vendre, etl'on en emploierait l'argent à ce que vous désirez. Quel est donc cemeuble inutile, dit le prélat ? C'est, reprit !e paroissien, notrechaire que voilà, car M. le curé n'y monte jamais.

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Un avocat Normand, sollicité par un paysan de plaider sacause, s'enchargea volontiers. Quelque tems après, la partie adverse, qui étaitbeaucoup plus riche, étant venue lui faire la même offre, il l'acceptade même. Quand le jour de la plaidoirie fut arrivé, l'homme deeampagne se rendit chez son patron pour lui recommander ses intérêts.Celui-ci lui dit alors : Mon ami, je ne puis être votre avocat,puisque je vais plaider la cause de votre partie adverse. Je ne vousl'ai pas dit d'abord pour des raisons qui m'en empêchaient, mais jevais vous adresser à un de mes confrères qui est homme de bien,portez-lui cette lettre de ma part. Voici ce qu'il lui écrivait. « Deuxchapons gras me sont tombés entre les mains ; desquels ayant choisi lemeilleur, je vous envoie l'autre. Je plumerai de mon côté, plumez duvôtre. »

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Une paysanne Normande, voyant tirer la loterie, se lamentait à chaquelot qui sortait de la roue de fortune. Où sont vos billets, luidemanda un des actionnaires ? — Je n'en ai point. — Taissez-vous donc, mabonne, ou ne saurait gagner sans billets. Que sait-on,répliqua-t-elle tout éperdue ?

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Un plaideur Normand, qui avait gagné quatre causes dans la même année,se plaignait de la trop grande diligence de ses juges, et prétendaitqu'il ne leur était pas permis d'en juger plus de deux par an à lamême personne. Je n'ai plus que huit procès, disait-il, s'ilscontinuent d'aller ce train-là , dans deux ans je n'en aurai plus, ilfaudra donc que je meure.

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Le café est un poison lent, disait un grave médecin à Fontenelle (Cetauteur est né à Rouen.) Oui, oui, répondit-il, très-lent, docteur, caril y a quatre-vingts ans que j'en fais usage tous les jours.

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Un procureur Normand entrait dans l'hôtel d'un grand seigneur, et étaitdéjà dans la cour, lorsque le Suisse lui dit : on n'entre pas ,Monsieur. Le procureur répliqua avec vivacité, et en continuant sonchemin : J'ai passé la porte ; non recevable.
 
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Un particulier mécontent de son taillenr, en fit venir unautre auquelil commanda un habit. Surpris de ce que celui-ci lui demandait troisquarts de draps de moins qu'il n'en donnait ordmairement au premier, illui demanda comment il ferait. Mathieu, que je viens de quitter, luidit-il, en voulait trois quarts de plus. Ah ! cela ne m'étonne pas,repartit le nouveau tailleur bas-normand ; Mathieu a un enfant beaucoupplus grand que le mien.

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CATECHISME

DES

NORMANDS,

Composé par un Docteur de Paris.

~*~

Demande. Etes-vous Normand ?

Réponse. Oui par la grâcede ma naissance, et par la grâce de mon intrigue.

D.Qui est celui qu’on doitappeller Normand ?

R. C’est celui,lequel étant ne d’un père Normand, naturellement intriguant, faitprofession exacte d'une intrigue dissimulée ?

D. Qu'est-ce que l'intrigue dissimulée ?

R.
C'est celle que le Normand a appris des ses ancêtres, et qui se communique de père en fils.

D. Est-il necessaire à un Normand d'avoir cette intrigue dissimulée ?

R.
Oui, s'il ne veut agir contre l'inclination naturelle de la nation Normande.

Du Signe du Normand.

D. Quel est le signe du Normand ?

R.
C'est d'être toujours prêt â faire de faux sermens en faveur de celui qui lui donne le plus d'argent.

D. Comment fait-il le signe ?

R.
Entenant ses mains dessus sa tête, pour affirmer plus hardiment le fauxserment qu'il fait pour vil prix, et les rabaissant lorsqu'on luifait offre de plus d'argent qu'il n'en a reçu pour les lever, afind'affirmer effrontément le contraire de son premier serment.

D. Pourquoi fait-il le signe de la sorte ?

R.
Pour tromper et décevoir ceux qui ont confiance en ce signe, auquel il prend plaisir.

D. Quand le Normand fait-il ce signe ?

R.
Depuis son berceau jusques au dernier soupir de sa vie.

De la Fin du Normand.

D. Quelle est la fin du Normand.

R.
C'est de trahir ses plus grands amis.

D. En quoi consiste le dessein du Normand ?

R.
Il consiste à établir sa fortune aux dépens du bien d'autrui et de l'honneur du prochain, sans épargner ni sacré ni profane.

Des Moyens de parvenir à cette Fin.

D.  Par quels moyens parvient-il à cette fin ?

R.
Par quatre moyens, savoir : Infidélité, tromperie, haine &et méchantes actions.

D. Qu'entendez-vous par infidélité ?

R.
J'entends que le Normand ne garde jamais la parole qu'il a donnée.

D. Que devons nous croire du Normand ?

R.
Que c'est le plus grand fourbe du monde.

D. Expliquez nous ce mot de fourbe ?

R.
C'est-à-dire qu'il est naturellement trompeur.

D. Comment trompeur ?

R.
C'esten proférant des paroles contraires aux pensées de son coeur, louantpar paroles ceux qu'il blâme en lui-même, flattant et caressant ceuxqu'il aime le moins, baisant ceux qu'il déchire par ses faussesimpostures comme un Judas, applaudissant les discours d'autrui afin d'en tirer une méchante conséquence.

D. Vous dites que le Normand parvient à sa fin par haine ?

R.
Oui ;mais il faut entendre comment, parce que quand le Normand haitquelqu'un, il ne lui découvre pas sa haine ouvertement, au contraire illa dissimule et retient en son coeur, il flatte et loue celuiqu'il hait le plus, et le baiser du Normand est un véritable signede la haine qu'il a dans son âme.

D. Si le Normand retient sa haîne dans son âme, il ne fait aucune méchante action au dehors pour parvenir à sa fin ?

R.
Pardonnezmoi, car les mauvaises actions du Normand ne paraissent au dehors, quelorsqu'il s'apperçoit que facilement elles pourraient servir à sondessein.

D. Le Normand manifeste donc ses mauvaises actions ?

R.
Illes manifeste le moins qu'il peut, car il les commet toujours avecbonneintention, disant qu'il ne cherche que la gloire de Dieu, que le profitet l'utilité spirituelle de son prochain, et que tout ce qu'il faitprovient de son grand zéle seulement.

D. Comment fait-il ses mauvaises actions par ces moyens là ?

R.
C'est que, quand il a proferé des paroles indiscrètes etcalomnieuses, et qu'il fait de méchantes actions, il les impute à despersonnes innocentes ; et pour les faire croire véritables, ilsolicite par promesses et argent.

De l'Espérance du Normand.

D. Quelle est l'espérance du Normand ?

R.
C'est de s'élever au dessus des autres.

D. Comment ?

R.
Enparaissant au dehors homme de bien, dévot, sincère, obligeant, douxcomme un agneau, quoiqu'il soit au dedans un loup ravissant, ingrat,fourbe, indévot, méchant ; en un mot, un très-grand hypocrite, et unsepulcre blanchi.

D. Comment ?

R.
C'esten imposant des faux crimes à ceux qui occupent les charges, étantamis, ausquelles ils aspirent, faisant des fausses attestations,certificats et autres pièces d'écritures qu'ils font signer par desfaux témoins, pour faire entendre que ce qu'il disent est véritable.

D. Comment le connaissez-vous ?

R.
Jele connais en ce qu'il a beaucoup d'amour pour sa personne et à sespropres intérêts, et point du tout pour son prochain.

Les Bonnes Œuvres du Normand.

D. Si le Normand n'a point de charité pour son prochain, il ne fait aucune bonne oeuvre à l'égard de son prochain ?

R.
Aucunes à la vérité ; mais toutes méchantes conformément aux huit Commandemens qu'il a appris de ses ancêtres.

D. Quels sont ces huit commandemens ?

R.
Lesvoici :

Tes intérêts tu garderas
ET attireras parfaitement.

Dieu envain tu jureras,
Pour affirmer un faux serment.

L'argent d'autrui tun'épargneras,
Ni son honneur pareillement.

Le bien d'autrui tu nerendras,
Et garderas à ton escient.

Faux temoignage tu diras,
Etmentiras adroitement.

L'oeuvre des mains tu n'oublieras,
Pour déroberfinement.

Les biens d'autrui tu connaîtras,
Pour les avoir injustement.

L'oeuvre de chair tu désireras
Et accompliras avec le temps.

Des Œuvres de Miséricordes du Normand.

D. Combien le Normand a-t-il d'oeuvres de misericordes ?

R.
Sept, savoir : Trahison, flatterie, gourmandise, larcin, mensonge, envie et imposture.

D. Si le Normand n'observe ces huit commandemens, et ne fait ces oeuvres de misericorde, qu'en sera-t-il ?

R.
Ilcontreviendra aux maximes et aux inclinations de la nationNormanique, aux habitudes naturelles de ces ancêtres, etméritera d'être estimé honnête homme.

D. Si tout ce que nous venons de dire est vrai, on ne peut avoir de confiance du Normand ?

R.
Nullementdu monde ; car enfin confiez-vous en lui, il vous trahit ; louez-le, ilvous méprise, il vous abhore ; et après tout, c'est un lion à ceuxqui le craignent, et une vraie poule aux généreux.

Je prie Dieuqu'il inspire au Lecteur des sentimens contraires aux pensées de ce catéchisme.

N.B. La lecture de cecatéchisme a fait une si forte impression sur les Normands, que depuisplus d'un siècle ils se sont tellement corrigés, qu'ils ne cèdent enrien aux plus vertueux des autres provinces du royaume ; et s'il y en aencore quelques-uns qui suivent les maximes de leurs trisaïeuls, c'estle petit nombre, et, Dieu aidant, le bon exemple de leurs compatriotesles retirera de la voie de perdition.


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De l'Imprimerie de P. GUEFFIER, rue
Guénégaud, n°31.