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DESSABLONS, Jean : Maires et curésbas-normands, récits véridiques.-Caen : Chez l'auteur, sd.- 70 p : fig. ; 19 cm. Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (10.II.2006) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe et graphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1532) . MAIRES ET CURES BAS NORMANDS par Jean Des Sablons Ancien Procureur ~*~ Au Lecteur Les histoires sérieuses que vous allez lire sont de la plusgrande authenticité et de tout point véridiques.Je les tiens de mon grand-père qui me les aracontées quand j’étais tout petit enme tenant le soir à la veillée sur ses genoux :or, tout le monde sait qu’on ne trompe point les enfants.D’ailleurs mon grand-père, dont je suis le vivantportrait, était la franchise même. « Petit gas Jean, qu’il me disait, dis toujours lavérité car il te tomberait une dent chaque foisque tu mentirais. » J’ai pensé bien des fois depuis que le bonhommeavait dû être bien content le jour où ilavait perdu sa dernière molaire car après ilavait pu jastoiser (1) tout à son aise et sans crainte. Devenu grand, j’ai tenu à me documenter sur lesrécits de mon grand-père. A cet effet je suisallé à Viessoix où j’aitrouvé une bonne douzaine de gars du crû qui pourquatre pots de gros bère (2) et trois galettes de fleur desarrazin m’ont témoigné,certifié et juré comme s’ils avaientété à l’audience devant lejuge, que ce que je leur racontais était la purevérité. Après cela il faut bien quevous croyiez ce que je vous ai écrit, car vous voyez bienque tout cela est sincère. Depuis mon grand-père, les temps sont bienchangés. Les Curés ne sermonnent plus leursparoissiens ; les femmes ne portent plus de bonnets ronds ni de bayeusaines et les petits gars, depuis qu’ils vontà l’école laïque etobligatoire pour apprendre à parler comme àParis, font fi du patois bocain qui était pourtant bienamusant et qui nous servait bien quand il y avait des horsainsà nous reluquer. J’ai prié Maître AndréDupuis, un bon lorrain celui-là, de vous dessiner leshéros de mes histoires et leurs aventures ; il l’afait avec tant d’humour que je crois bien que vous regarderezplus les images que vous ne lirez les contes. Maintenant aller faire connaissance avec mes maires et mescurés et tâchez de bien vous amuser en leurcompagnie, c’est la grâce que je leur souhaite. JEAN DES SABLONS. _____ LES ALIÉNÉS _____ En l’an de grâce 18… lepréfet de l’Orne adressa une circulaire aux mairesde son département les invitant à lui faireconnaître d’urgence le nombred’aliénés que pouvait avoir chaquecommune. Quand le maire de Coupetaillis reçut cetteépître préfectorale, il pensa tomber deson haut. Des aliénés, se dit-il,qu’est-ce que cela peut bien être ?Après avoir bien réfléchi et neparvenant pas à se faire une idée de cequ’était un aliéné,après avoir consulté sa femme qui ne put lerenseigner et voulant en avoir le coeur net, ilrésolut d’aller trouver son adjoint pourtâcher de connaître le mot de ce quiétait pour lui une énigme. Donc, après déjeuner, chaussé de sessabots neufs et vêtu de sa blaude des dimanches, notre bonmaître se rendit chez l’adjoint qu’iltrouva occupé à faire bouillir un tonneau decidre. Il fallut, comme de juste examiner le nouveau produit, discutersur le rendement du cidre et la qualité qu’auraitla nouvelle eau-de-vie. L’adjoint ne manqua pas ensuited’offrir une goutte de la toute vieille à M. lemaire qui n’était pas venu pour boire un coup maisqui, en bon bocain ne se fit pas tirer l’oreille et acceptaavec plaisir. Les coudes appuyés sur la table, nos deux amis se mirentà deviser sur un tas de choses plus ou moins insignifiantestout en lampant à petites gorgées le vieux Calvados dont l’adjoint avait rempli les verres. L’adjoint se demandait ce que pouvait bien lui vouloir lemaire pour lui avoir fait visite à l’improviste,et le maire ne savait comment poser sa question sans trop attirerl’attention de son lieutenant sur son peu de savoir. Enfin il se décida. « A propos, dit-il,j’ai reçu ce matin une lettre de not’préfet qui me demande le nombred’aliénés de la Commeune.Sav’ous comben y en a, Me François, vous quiêtes plus ancien que mé ? - Ma foi, répond l’adjoint aprèsquelques secondes de réflexion, pour vous le dire, ilfaudrait, d’abord savé ce que c’estqu’un aliéné ! - A parler franchement, répliqua le maire, je ne sais pasnon plus ce que c’est et j’étais venuvous le demander créyant que vous en sauriez pu longqu’mé. » Les deux compères passèrent en revue tout ce queleur imagination excitée par les petits verres de vieilleput leur offrir pour tâcher d’arriver àsavoir ce qu’était un aliénémais ils ne purent s’en faire une idée bien juste. De guerre lasse l’adjoint dit au maire : «j’vas demain à Flers chez Me Thirion, payer lepré que j’ai achetél’aut’jour ; j’l’y demanderaice que c’est que l’aliéné dupréfet et j’irai vous le dire après.» Le lendemain en effet Me François se rendit chez sonnotaire, mais il ne trouva que le principal clerc, le patronétant à Domfront àprésenter un testament au Président du Tribunal. Il régla son prix de vente paya les frais et quandil eut ses papiers en main il pensa à s’acquitterde la commission dont il s’était chargé. « Dites-donc, M. Durand, dit-il au maître-clerc, ya not’maire qu’est ben embarrassé. LePréfet lui a écrit pour lui demander combien il yavait d’aliénés dans la commeune, ilne peut pas li répondre, y ne sait pas cequ’c’est ; vous qu’êtes savant,vous devez bien savé ça. dites-le médonc. » En entendant cette confidence notre basochien eut bien du malà ne pas éclater de rire au nez de sonquestionneur, mais pourtant il se contint et flairant une bonne farceil répondit gravement à Me François : « Les aliénés, mais ce sont ceux quivont à la messe. - Vraiment ? - Certainement, affirma le clerc. - Je me doutais bien que ça devait être queuquechose comme cela, dit l’adjoint ; je vous remercie bien durenseignement, j’vas aller le dire ànot’ maire qui va être ben content. Au revoir M.Durand. » Après avoir déposé ses papiers chezlui, notre brave adjoint s’empressa de se rendre chez lemaire auquel il cria en l’apercevant : « J’étions ben en peined’savé ce que c’est que desaliénés, mais j’étions ben innocents de nous creuser la tête car il y avait pas besoinde chercher. Les aliénés, c’est vous,c’est mé ! - Comment cela ! dit le maire. - Ben sûr, répliqua l’adjoint puisqueles aliénés c’est ceusse qui vontà la messe. C’est M. Durand qui me l’adit. - Alors toute la commune est aliénée,s’écria avec emphase le maire, puisque tout lemonde va à la messe. Ah ! pourtant, il y en a un quin’y va pas, c’est Malhère tailleur depierre. Eh bien ! le préfet va être content de luiquand il va savé cela. Ma foi tant pis pour luiaprès tout ! Ça lui apprendra à fairele huguenot. » Et M. le maire, tout à la joie de savoir sa communealiénée, s’empressa d’envoyerau préfet la lettre ci-après : Monsieur le Préfet, J’ai ben l’honneur de vous savoir quej’sommes tous aliénés dans la commeunede Coupetaillis, à l’exception deMalhère, tailleur de pierres, maisj’espère ben que l’an qui vient, i seracomme nous tous. Votredévoué serviteur et maire, Jean Legros. Qui devint bleu en lisant cette lettre ? Ce fut le Préfetd’Alençon qui se demanda s’il devaitrire ou se fâcher et si son maire était vraimentaliéné ou bien s’il avait voulu semoquer de lui. Pour tirer l’affaire au clair, il chargea lesgendarmes de faire une enquête et de lui adresser leurrapport. Bien entendu ce ne fut pas long. Le pauvre maire futobligé d’avouer qu’il s’enétait rapporté à son adjoint etcelui-ci interrogé à son tour rejeta la faute surle clerc de notaire qui, apprenant le résultat de sa blague,s’en tenait les côtes de rire. Un toutefois qui ne dut pas rire, ce fut Me Thirion qui pour prix de lafacétie de son clerc perdit la clientèle du maireet de l’adjoint de Coupetaillis. _____ TREIZE A TABLE _____ Le Curé de Gathemo se résolut un jour,malgré son grand âge, d’allerà Avranches consulter son évêque sur uncas de conscience qui l’intriguait fort. Il arriva sur lesmidi à l’Evêché, bienfatigué et couvert de poussière, car sa bourse nelui avait pas permis de se payer le luxe de la diligence. C’était l’heure dudéjeûner de Monseigneur etprécisément ce jour là, Sa Grandeuravait plusieurs invités de marque à sa table. Lorsque le valet vint avertir le prélat del’arrivée du Curé, il fronçale sourcil et dit de faire attendre l’intrus qui venait ledéranger à pareille heure. Comme si on pouvaitlaisser refroidir les poulardes truffées pendant quel’abbé débiterait ses antiennes ! Oh !que nenni ! Le Curé de Gathemo pouvait bien attendre dansl’anti-chambre. Mais bientôt se ravisant,l’évêque donna l’ordre auvalet d’introduire le visiteur. « Messieurs, dit-il à ses convives, je vous pried’excuser si je reçois en ce moment un de mesvieux curés, mais c’est un bonhommetrès original, qui sait de latin tout juste cequ’il en faut pour chanter vêpres et qui, jel’espère, va nous divertir par quelquedrôlerie de son crû. » Deux minutes après le Curé introduit par le valetvient humblement se prosterner devant son évêque,fait une profonde révérence à laCompagnie, puis, sur un signe de Monseigneur, va s’asseoirdans un coin de la salle. « Hé bien, M. le Curé, lui dit SaGrandeur, au bout de quelques instants, entre deux services, avez-vousquelque difficulté à me soumettre ? Y a-t-il dunouveau dans votre paroisse ? « - Ah ! Monseigneur, vous savez bien que dans ma pauvrepetite paroisse il n’y a jamais rien de nouveau ; mesparoissiens sont toujours occupés à leurs travauxdes champs, ils ne quittent guère leur chaumièreet moi je fais comme eux, je reste à monpresbytère. Cependant si cela vous intéressait,je pourrais vous raconter un fait assez curieux qui s’estproduit dernièrement chez Me Thomas, le fermier de la fosseau loup. « - Ah ! voyons cela, fit l’Evêque enclignant de l’oeil avec intelligence vers sesconvives. - Pour lors donc, reprit le Curé, maître Thomas a,sauf votre respect et celui de la compagnie qui m’entend, unetruie qui lui a fait treize petits cochons et vous savezqu’elle n’a que douze trions dont chaque petitcochon aussitôt né s’estemparé et lorsque le treizième a paruà son tour, aucun de ses frères n’avoulu lui céder la place. - Vraiment ! M. le Curé, mais alors que fait-il, le 13e,demande l’Evêque. - Dam ! Monseigneur, il est comme moi, il regarde ses frèresmanger. » Les convives partirent d’un grand éclat de rire,mais je crois bien que ce ne fut pas aux dépens duCuré de Gathemo. _____ LES TRIPES _____ Depuis six semaines le Curé de Maisoncellesn’allait plus au château ; la place qu’ily occupait régulièrement à tablechaque vendredi restait vide. C’était bienà contre coeur qu’il avaitrenoncé à prendre chaque semaine un bondîner, mais il avait été sitroublé la dernière fois qu’il avaitcru devoir sacrifier à son salut la jouissance de sonestomac. Dam ! Il y avait bien de quoi ! Les châtelains nes’étaient-ils pas avisésd’inviter de belles dames de Paris à venir passerla saison et celles-ci s’étaient rendues au salondans un décolleté qui avait fait rougir le pauvreCuré jusqu’aux oreilles et l’avaitremué dans toute sa chair. Le souvenir de ces bellesépaules nues l’avait empêchéde dormir toute une nuit. L’embarras du pasteur n’avait pointéchappé à nos bellespêcheresses et elles se faisaient un malin plaisir de luifaire éprouver à nouveau l’effet deleurs charmes. Mais le Curé boudait, comment faire ? La petite comtesse Dufeu émit une idée originale.Puisque le recteur ne veut plus nous voir, dit-elle un soir de bal auxautres dames, il faut aller à la messe demain dimanche dansle costume où nous sommes. La proposition futacceptée d’emblée et malgréla châtelaine qui ne voulait pas se brouiller avec sonCuré, nos petites folles se rendirent àl’église dans la toilette la plus tapageuse et lamoins réservée qu’il leur fut possibled’imaginer. En faisant l’eau bénite, le Curé lesaperçut et faillit de surprise en laisser tomber legoupillon. Transporté d’une saintecolère, il monta en chaire et, sans autrepréambule, s’écria de toutes ses forces: « Femmes impudiques, ramassez vos tripes » puis il débita une homélie virulente contre sesparoissiennes d’occasion. Or, ce dimanche là, Nicolas Taupin, du village deBélhaut, était venu à la messe etavant d’entrer au saint lieu avait fait ses emplettes commeil est d’usage dans nos campagnes normandes. Il avaitdéposé son panier contenant une portion de tripesdans le bas de l’Eglise. Entendant le Curé parlerde tripes il songea à sa provision et fixantl’orateur se dit en lui : les vet-y ? les sent-y ? Il devint inquiet en entendant le Curé àplusieurs reprises parler de tripes : s’il en cause encore,pensa-t-il, je vas m’en aller et les lui laisser. Aussi,à une nouvelle apostrophe du Curé, n’ytenant plus, il s’écria à son tour : «Venez les ramasser les tripes, vous Monsieur leCuré, je vous les abandonne » et il sortitlaissant le prédicateur et l’auditoire ahuris. Cene fut qu’en sortant de la messe que les fidèles,découvrant le panier de Nicolas Taupin,s’expliquèrent son interpellation. _____ LE FEU DU CIEL _____ Le bon Curé de Maisoncelles qui moriginait si bien lesbelles dames du château avait fort à faire avecses paroissiens ordinaires. Les gars du Pont è retours etd’ailleurs aimaient mieux aller, suivant la saison, braconnerle dimanche ou plier les noisetiers en compagnie des filles de lacontrée que de venir écouter ses sermons. Ilavait beau prier, supplier, menacer et tonner du haut de la chaire, ilne parvenait point à ramener le troupeau au bercail.Désespéré et ne sachant plusà quel saint se vouer, le Curé imaginad’effrayer ses ouailles un jour de fêtequ’il y avait un peu plus de monde àl’église que d’habitude. Il fit monterson sacristain dans la charpente et lui enjoignit, quand il allaitprêcher de jeter des étoupes enflamméespar les trous de la voûte. Le voilà monté en chaire, il agite son bonnetcarré plus fiévreusement encore qued’habitude, fait un sombre tableau de l’avenir quiest réservé à ses paroissienss’ils ne veulent pas se convertir. « Vous serez tous brûlés au fin fond del’enfer. Malheureux endurcis ! Oui, vous rôtireztous ! Pour vous donner un avant-goût de ce qui vous attend,je vais demander à Dieu de vous montrer unéchantillon de sa colère. « Feu du Ciel, consume ce peuple infidèle,» s’écria-t-il de toutes ses forces.» Au même moment on vit tomber du haut de l’Eglise unglobe de feu qui manqua de roussir la coeffe de dame Catherine ets’éteignit aussitôt après sachute. Les paroissiens furent pris de peur d’autant mieuxqu’à l’invocation du Curé, lefeu tomba à trois reprises au milieu de la nef. Unedernière fois le zélé pasteur appelale feu du Ciel sur son troupeau égaré mais lavoix bien connue de Thomas le sacristain, lui répondit : « Monsieur le Curé ! n’y a plusd’étoupes, faut-y jeter le terrinet ? » _____ LE LIÈVRE ____ Le Curé du Paillon était un bon vivant, gai etréjoui, amateur de bonne chère et de grosbère, au demeurant bon et charitable, aimant àrendre service et pas trop dur pour les jolies pécheressesde sa paroisse. Il était très aimé deses paroissiens qui lui témoignaient fréquemmentleur reconnaissance en lui envoyant les prémices de leurbasse-cour, le produit de leur chasse ou de leur pêche etmême de belles mottes de beurre quand leur vache avait faitveau. Notre Curé ne fut donc pas surpris quand un matin du mois dedécembre le petit gars à la Jeanneton vint letrouver dans la sacristie et lui dire qu’il lui avaitenvoyé un beau lièvre. « Vraiment, mon ami, dit le Curé toutréjoui à l’idéed’avoir un bon civet à son dîner. - Oui ! un bien beau lièvre, M. le Curé - Tiens, voilà mes clefs, va au presbytère et disà ma servante de te donner une bonne bouteille de vin pourta récompense. En deux sauts l’envoyeur de lièvre fut aupresbytère et décampa promptement une fois lacommission faite. A quelques jours de là, notre pasteur le rencontra et duplus loin qu’il l’aperçoit : « Ah ! te voilà petit polisson, c’esttoi qui oses te moquer de ton pasteur ! - Moi ! fit effrontément le gamin, comment ça ?Ah ! Comment ça. N’es-tu pas venul’autre jour à la sacristie me dire que tum’avais envoyé un beau lièvre et tu nem’avais rien envoyé du tout, méchantgringalet ? - Vrai ! vous ne l’avez pas vu, M. le Curé. - Bien sûr que je ne l’ai pas vu. - Dam ! Je vas vous dire : ce jour-là je suispassé à travers l’herbage de M. Batiste; j’ai aperçu un beau lièvre quidétalait devant mé, j’l’y aicrié : Hé là-bas ! tu sais bienoù demeure M. le Curé, va le trouver de ma part.S’il n’y est pas allé ce n’estvraiment pas de ma faute. Au revoir M. le Curé. » _____ ORATE FRATRES _____ Un matin en allant dire sa messe, le Curé de Mesnil-Touraperçut dans la prairie qui s’étend aupied de l’église, un veau qui gambadait au milieude l’herbe et s’en donnait àcoeur joie. Ce veau ferait bien mon affaire, pensa le Curé, ilremplacerait avantageusement la chèvre qui est dans monétable. Arrivé à l’église il appelason sacristain et lui montrant l’objet de sa convoitise, illui dit : « tu vas prendre ma jument et aller me chercher ceveau pendant que je vais commencer la messe. » Le Custos exécute les ordres de son pasteur etdéjà, le veau placé en travers sur lebidet, il se disposait à regagner le presbytèreavec le produit de son larcin lorsque le propriétaire de laprairie arriva et, voyant ce qui se passait, courut sus au larron, luidonna une maîtresse râclée,détacha son veau et emmena chez lui la jument duCuré. Le Custos retourna tout penaud àl’église et arriva au moment où leCuré debout à l’autel se retournaitpour dire : Orate fratres. En apercevant son messager il changea laformule et s’écria sur un tout autre ton : « L’as-tu ? L’as-tu ? Ce beau veau poilu? » Le Custos lui répondit sur le même air : « Battu ! Battu ! Contrebattu ! Et le hi han han perdu !» _____ LE LICOU _____ Le Curé de Viessoix fit venir au carême un capucinde Caen pour prêcher la pénitence à sesparoissiens. Le bon père fit merveille et presque tous lesendurcis furent le trouver à son confessionnal. Il y vint unmatin un haricotier (3) qui s’accusa d’avoirvolé un licou. - Il faut le rendre, dit le capucin. - Celui à qui je l’ai pris est mort. - Rendez-le à ses héritiers. - Je ne les connais point. - Combien valait-il ? - Il pouvait vale quinze sous, mais faut que j’vos disequ’y avait un queva (4) au bout, - Ah ! dit le moine un peu interloqué, qu’enavez-vous fait ! - Pardine, je l’ai vendu. - Combien ? - Treize pistoles (5). - Puisque vous ne connaissez pas les héritiers de celui quevous avez dépouillé, il faut me remettre cetargent pour mon couvent. - Ah ! satané farceur, s’écria notremadré paysan, vô êtes encore plusrenaré (6) qu’mé, vous ! Portous ben ! Et ce disant il prit la route de Vire pour aller témoigneren justice. _____ LA SAINTE TRINITÉ. _____ Ce jour-là on célébrait en grandepompe l’adoration perpétuelle à LaBijude. Le Curé, suivant l’usage, avaitinvité bon nombre de ses confrères des paroissesvoisines à venir dîner à midi aupresbytère ; il avait aussi invité àsa table les chantres de son église, maisbrouillé depuis huit jours avec son sacristain ill’avait laissé de côté.Celui-ci en était vexé et il résolutde se venger. Un Curé voisin avait étéprié de donner le sermon entre vêpres et complieset comme c’était un prédicateur enrenom, il allait y avoir foule pour l’entendre. L’heure des vêpres arrive et nos bons gaillards quele cidre bouché et le Calvados ont mis en train se rendentà l’église. Le prédicateurattend dans la sacristie le moment de monter en chaire. Il y est enfinconduit par le sacristain qui le regarde en dessous d’un airmoqueur. Après s’être recueilli un instant, notrenouveau Bossuet promène ses regards surl’assistance et d’un ton assuré, la mainappuyée sur le bord de la chaire débute ainsi : « La Sainte Trinité, mesfrères… » mais sentant quelque chosed’humide et de gluant il retire sa main pour la poser un peuplus loin. « La Sainte Trinité, mesfrères… » recommence leprédicateur ; mais cette fois encore ils’arrête, ne comprenant pas que sa main se colle sifacilement sur les bords de la tribune sacrée. Il la retirepour la placer à un autre endroit sans plus desuccès car la chaire a étéfrottée par le sacristain sur tous les bords. Portant alors vivement la main à son nez et renouvelant pourla troisième fois son exorde tout en respirantl’odeur : « La Sainte Trinité, mes frères,dit-il… mais c’est de la m… de chien?!!? » _____ MORT….. ET REMORT ______ Thomas Legrin venait de passer de vie à trépasdans sa chaumière des Monts-en-Vaudry. Ses deux vésins, Jacquot Gaucher et Tiennot Leroux partirentaussitôt pour le déclarer au maire de la commune. Le Magistrat rédigea de suite l’acte dedécès que nos deux commissionnairessignèrent puis ils revinrent tranquillement chez eux. Quelle ne fut pas leur surprise quand on leur dit à leurarrivée que le défunt qu’ils venaientde faire enregistrer était encore vivant et que cequ’on avait pris pour la mort n’étaitque l’effet d’une syncope. Vite ils retournent trouver le Maire pour lui conter leurméprise. Celui-ci se trouva bien embarrassé à cettenouvelle. Qu’allait devenir son acte ? Fallait-ildéchirer la feuille ? Cela ne se pouvait car outre que leregistre était coté et paraphé, unautre acte était écrit au recto. Très perplexe et après mûreréflexion notre brave Maire écrivit en marge del’acte de décès Mort par erreur Huit jours après le faux mort trépasse pour toutde bon et voilà nos deux témoins qui accourent denouveau à la mairie. Ah ! pour le coup, il est bien mort, allez ! le Médecin estvenu faire un constat, y a pas d’erreur. Le Maire prend le registre et sous la première mentionécrit en gros caractères Remort _____ LE VIN DES AMES DU PURGATOIRE _____ Le Curé d’un de nos Saint-Germain recommandaitsouvent à ses paroissiens de faire prier et dire des messespour délivrer les âmes du purgatoire. Maître Jacques Brunot qui venait de perdre sa femme, sesouvenant des pieuses recommandations du Curé etétant d’ailleurs fort dévot de sanature s’en alla un après-midi aupresbytère pour demander des messes pour sa pauvredéfunte. Le Curé le reçut à bras ouverts, lefélicita sincèrement sur sapiété et finalement lui offrit de serafraîchir. Comme bien vous pensez, Maître Brunot n’eut gardede refuser : on ne trinque pas tous les jours avec son Curéet surtout quand c’est aux dépens de celui-ci. Voilà donc nos deux amis en train de déguster labouteille que le Curé est allé lui-mêmechercher au meilleur de son caveau. Le nectar leur déliantla langue ils en dirent de belles ; le Curés’oublia même à demander àson paroissien comment il trouvait son vin. « - Ma foi, M. le Curé, je le trouve bien bon etje voudrais bien en avoir un tonneau du pareil dans ma cave. - Hé bien ! dit le Curé en se rengorgeant, ce vinlà, mon père Brunot c’est du vin desâmes du purgatoire. - Vraiment ! M. le Curé. - Ah bien, ajouta-t-il, après une pause deréflexion, si les âmes du purgatoire ont de si bonvin, ce n’est pas la peine de leur faire dire des messes ; jeremporte mon argent. » Et, joignant le geste à la parole, Maître Brunotremit dans sa poche la pile de pièces de cent sousqu’il avait comptées sur la table duCuré. Pauvre Curé ! il avait eu la langue trop longue ; cela luicoûta une bouteille de vin et une commande de messes. _____ LE BON DIEU D’ÉCOUCHÉ _______ Le grand crucifix en plâtre de l’églised’Ecouché tomba un jour sur les dalles duchoeur et fut réduit en mille morceaux. Le Curé convoqua les notables paroissiens et pour leremplacer on décida d’acheter un christ en bronze.Deux des plus malins du bourg furent chargésd’aller à Alençon pour se procurer unbon Dieu solide et à l’abri de toute casse. Arrivés chez l’orfèvre nos deuxcompères n’eurent que l’embarras duchoix ; il y en avait de toutes les dimensions et de tous les prix. « Voulez-vous, leur dit le marchand, un christ vivant,expirant ou mort ? » Comme le Curé ne leur avait point donnéd’instruction à ce sujet, ils setrouvèrent bien embarrassés. « Nous reviendrons, dirent-ils, car on ne nous a point ditcomment il fallait le prendre. » Ils entrèrent alors à l’auberge duGrand-Mage pour se rafraîchir et tout en seréconfortant, il vint une idée àl’un d’eux : « Je ne sais pas pourquoi, dit-il à son compagnon,nous sommes si embarrassés, j’n’avonsqu’à prendre un bon Dieu vivant, s’il neconvient pas à not’ Curé, il pourra letuer ! » Depuis ce temps là, Ecouché a pris le nom de Petite Judée. _____ LE BROCHET _____ A l’époque de la Révolution, la joliecommune de La Graverie avait pour Curé un gascon qui, je nesais par suite de quelle aventure avait quitté les bords dela Garonne pour venir s’installer sur les rives de la Vire. Ce Curé était la facétiepersonnifiée et son souvenir déjàlégendaire est resté vivace dans le pays. Un jour de conférence, il avait réunià sa table plusieurs de ses confrères duvoisinage. N’ayant à leur offrir qu’unmorceau de lard aux choux il leur servit un plat de sa façon. « Messieurs, leur dit-il en s’asseyant, aimez-vousle brochet froid ? Certainement, M. le Curé, répondent enchoeur tous les convives qui écarquillent les yeuxpour voir apparaître le morceau friand dont ils seréjouissent à l’avance. - Hé bien, Messieurs, quand vous voudrez en manger, vous leferez cuire de veille !! » _____ UNE DOT DE CURÉ ______ Le Curé gascon de la Graverie avait une nièce quivivait avec lui au presbytère et soignait sonintérieur. Demoiselle Prudence, c’étaitson nom, était une grande brune bien campée, lafigure légèrement colorée, les traitsréguliers, les hanches arrondies, la poitrinedéveloppée et le regard un tant soit peuéveillé. C’était en un motun beau brin de fille. Elle frisait la trentaine et le bonCuré eût été bien aise de lamarier à un de ses paroissiens. Les gars normands aiment bien les jolies femmes mais ils aiment encoremieux les sacs d’écus et comme l’onclene passait pas pour être argenté, aucunprétendant ne venait pour la nièce. Un lundi que Demoiselle Prudence serrait ses habits dans son coffre, leCuré lui ordonna de s’asseoir dedans. Necomprenant rien à cette bizarrerie de son oncle elleobéit néanmoins. Deux jours après notre gascon allant voir un maladerencontra la mère Nannon qui bien entendul’arrêta pour s’informe de sasanté et de celle de la Demoiselle du presbytère. « Pourquoi donc ne se marie-t-elle pas, cette charmantedemoiselle, dit la bonne femme, elle qui est si douce, si aimable, quia tant d’ordre, et qui ferait une si bonneménagère ? - Sans compter, répartit le Curé, en gasconnantun peu, qu’elle a mis le cul dans le coffre, jel’ai vu. - Mille écus ! M. le Curé, reprit MèreNannon au comble de la surprise, mais savez-vous que c’estune belle dot cela ? - Je crois bien ! répondit le Curé, se retenantpour ne pas rire et heureux que sa gasconnade eûtréussi. » Mère Nannon était la plus grande potinière de la paroisse, aussi après avoirquitté son pasteur n’eut-elle rien de pluspressé que d’aller conter partout que MamzellePrudence était un bon parti et qu’elle auraitmille écus de dot. Puisque l’onclel’avait dit, ce devait être vrai. Qui pourraitd’ailleurs douter de la parole de son curé ? Le fils Mathurin qui cherchait femme depuis longtemps mais quin’en trouvait pas d’assez riche à songré n’eut pas plutôt entendu parler dela fameuse dot qu’il mit tout en oeuvre pour sel’approprier. Comme de juste ce fut mère Nannon qui avaitannoncé la bonne nouvelle qui fut chargée defaire la demande. Le Curé fit le surpris ; il feignit de ne pas croire que sanièce pouvait devenir fermière au Hamel, la plusimportante terre de la paroisse, mais petit à petit et enhomme qui connaît son monde, il se laissa convaincre. Inutilede dire que Demoiselle Prudence était dans la jubilation. Le lendemain des noces le gars Mathurin vint au presbytère,pour chercher les habits de sa femme et réclama les millesécus de dot. « Mille écus ! s’exclama leCuré en levant les bras au ciel, mille écus !mais malheureux où les prendrais-je ? - Vous les avez annoncés à mèreNannon, objecta le nouveau marié. - Ah ! Nigaud ! riposta le Curé, voilà ce que jelui ai dit qu’elle avait, ma nièce » etce disant il s’assit en se tordant de rire dans le fameuxcoffre. Le tour était joué : le Curé de laGraverie avait marié sa nièce sans boursedélier. _____ LA VIERGE ET LES ANGES _________ Le bon Curé du Mesnil était grand amateur detableaux. Son salon renfermait une collection de toilesintéressantes et dont quelques-unes étaientsignées de peintres connus. Il était fier de sespeintures, notre digne pasteur et était heureux lorsquequelque visiteur demandait à les voir. Ilénumérait avec un plaisir infini lesqualités de ses chefs-d’oeuvre, vantaitle coloris de tel tableau, la finesse des traits de tel personnage etne faisait grâce d’aucune détail. Inutile de dire que c’était à lapeinture religieuse que notre amateur avait demandé lapresque totalité de ses richesses. Il ne manquait jamais de garder pour la fin de sa description une toiledûe au pinceau d’un peintre espagnol,représentant la Vierge assise sur un trône,entourée d’une foule d’anges quel’artiste avait figurés au moyen detêtes de chérubin reposant sur deux ailes. « Voyez, disait le Curé du Mesnil, notre bonnemère comme elle est gracieuse assise sur sontrône. Comme elle paraît bonne etmiséricordieuse, mais aussi comme elle est triste etaffligée. Et savez-vous pourquoi, s’exclamait-il,elle semble désolée ? C’est,reprenait-il, de voir les anges toujours debout devant elle ; elle leura bien dit un jour : asseyez-vous donc, mes enfants, vous devezêtre fatigués ; le chef des anges, le groschérubin que vous voyez là à droitelui a répondu : Merci, bonne Sainte Vierge, mais nousn’avons pas de quoi ! » Et le bon Curé de rire aux larmes de safacétieuse explication. _____ QUEUE EN TROMPETTE ________ L’abbé Ledoux, curé de Saint-Martin,avait une jolie petite chienne à laquelle il tenait beaucoupet qui l’accompagnait dans toutes ses visites àtravers la paroisse. Luce était connue de tous les habitants de lacontrée et c’était à qui luidonnerait une friandise ou lui ferait une caresse. Un beau jour le bruit se répandit que le Curéavait fait tuer sa chienne. Hélas ! Ce n’était que trop vrai. NotreCuré s’était aviséd’emmener sa chienne à Vire et ayantrencontré près de la porte-horloge une de sesanciennes pénitentes, la vertueuse Pétronille, ils’était arrêté àfaire un brin de causette. Les chiens du quartierprofitèrent de la circonstance pour faire deux doigts decour à Luce qui fut assez naïve pourécouter Turk, l’espiègle barbet dumarchand voisin. Quand son maître s’enaperçut, il était trop tard pour lapréserver des dangers du flirtage ; c’est alorsqu’aimant mieux la voir morte quedéshonorée, il se résolut àla faire abattre. « - Pour sûr, dit un loustic, que Luceétait devenue enragée et que le Curé aeu peur d’être mordu ! - Probable que le chien égaré qui apassé l’autre jour à Tallevende estvenu chez nous et s’est jeté sur elle, ajouta unebonne dévote. Je plains bien M. le Curé, lui quiaimait tant sa petite chienne. » Toute la semaine, la mort de Luce fut le sujet des conversations deshabitants de Saint-Martin. « Pourvu que notre Curén’enrage pas à son tour, » disaient lesplus effrayés. Tous ces potins vinrent à l’oreille del’abbé Ledoux qui, voulant rassurer sesparoissiens, monta en chaire le dimanche et leur dit : « Mes bien chers frères, on arépandu le bruit dans la paroisse et ailleurs quej’avais fait tuer ma chienne parce qu’elleétait enragée. Rassurez-vous, Lucen’était point enragée le moins du mondeet la preuve c’est qu’elle avait la queue entrompette. » A cette déclaration du Curé, la fille du grosMagloire, le chantre, se pâma de rire dans son banc, onn’a jamais bien su pourquoi. _____ LES DIEUX _____ Un beau jeudi du mois de mai, le petit Roussin de la paroisse duCoudray partit de bonne heure pour se rendre au catéchisme.Pour aller au plus court, il prit à travers champs, nesongeant pas qu’il allait rencontrer des buissons et deshaies et qu’il allait être tenté dechercher les nids qui pouvaient s’y trouver. Il en chercha tant que l’heure se passa et qu’ilarriva à l’église, lecatéchisme déjà bien avancé. En le voyant haletant et rouge de mine, les vêtementsfripés, le Curé devina tout de suited’où il venait. « - Tu es encore allé aux nids, petit vaurien, vaà genoux sous la lampe. » Puis au boutd’un moment : « Combien y a-t-il de dieux ?» lui demanda-t-il. Notre dénicheur de nids crut que le Curé voulaitsavoir combien il y avait d’oeufs dans le nidqu’il avait trouvé et réponditcrânement : « il y en a sept, M. leCuré. » Comme bien l’on pense, il fut tancé vertement poursa réponse. A son retour du catéchisme samère lui demanda s’il avaitété interrogé. « Oui ! le Curé m’a demandécombien il y avait de dieux. - Et tu lui as répondu qu’il n’y enavait qu’un, dit la mère. - Allez-y donc, avec votre un, répliqua le gamin, je luiai dit qu’il y en avait sept et la mère quicouvait et il n’était pas encore content !» _____ LE CURÉ DE DOMFRONT ______ Au temps jadis, il se faisait à Domfront une grandeconsommation de cravates de chanvre dont, par ordre du bailli, leshabitants étaient tenus de se laisser entourer leur col dechemise. Le Curé ne pouvant enterrer àl’église des paroissiens qui, de peurd’être étouffés par la foule,quittaient la vie six pieds au-dessus du sol, perdait tout son casuelce qui, comme vous pensez bien, ne faisait nullement son affaire. Pour remédier à cet inconvénient, ilimagina de faire payer à chaque baptême unenterrement de première classe. Les paroissiens se récrièrent etportèrent plainte à l’Evêquede Sées qui manda le Curé àl’évêché. « Que voulez-vous, Monseigneur, répondit celui-ci,mes ouailles ont l’habitude de se faire pendre et me priventainsi de mes droits, il faut bien que je me rattrape àl’avance ! » Je ne sais ce que répondit le prélat, mais il y adéjà beau temps qu’àDomfront l’enterrement ne se paie plus le jour dubaptême. _____ ??? _____ Dans la commune de St-Celerin habitait Gustine Dumont, la plus laidefille qu’il fut possible d’imaginer. Haute dequatre pieds, le dos orné d’une bosse depremière classe, la figure en lame de rasoir, les jouescriblées de trous de petite vérole,l’oeil gauche moitié plus petit que ledroit, un nez qui aurait pu servir de pioche pour extraire les pierresd’une carrière, la démarche gauche etempruntée, telle était cette digne soeurde Quasimodo. Un vrai remède contre l’amour, quoi ! Et cependant le petit Dieu malin fut cause qu’elle fut unjour trouver le Maire de son endroit pour lui demander de lui faireobtenir un secours pour élever l’enfantqu’elle allait mettre au monde. Ahuri de cette déclaration et ne pouvant en croire ni sesyeux ni ses oreilles, le Maire lui dit à brûlepourpoint : « Que diable, a bienpu…………… ? - Dam, M. le Maire, répondit notre Vénus enricanant, quand vous fourrez votre doigt dans unefourmillière et que vous le retirez piqué,devinez quelle est la fourmi qui a bien pu vous mordre ? » La pauvre Maire fut tellement suffoqué de cetteréplique qu’il en attrapa la jaunisse. _____ LE DERNIER SERMON _____ Le Curé de La Lande, homme aussi simple quedévoué à son ministère,avait passé toute sa vie à essayer de fairecomprendre à ses paroissiens lesvérités de notre sainte religion. N’ayant pu y parvenir et sentant ses forcesdécliner il convoqua le jour de Pâques tous leshabitants aux vêpres et leur recommanda de se munir chacund’un brin d’herbe. Avant de chanter les Complies, le Curé monta en chaire etdit : « Mes frères, je sens que la vie s’useen moi, je vais bientôt paraître devant leSouverain Juge. Lorsqu’il m’apercevra il medemandera : Curé de La Lande qu’as-tu fait de tesparoissiens ? Que lui répondrai-je ? Comme tous les assistants se taisaient, le Curé poursuivit : « Ce que je lui répondrai ? Je lui dirai : MonDieu vous m’aviez confié votre peuplebête, je vous le rends de même et pour preuvec’est qu’il a encore un brin de l’herbequ’il vient de brouter ! Amen !!! » _____ LA TRINITÉ DES SOURDINS (7) ______ Depuis dix ans qu’il était Curé deVilledieu-les-Poëles l’abbé de la Clocheavait fait tous ses efforts et employé tout son savoir pourinstruire ses ouailles des vérités de lareligion, mais tout avait été inutile. LesSourdins n’avaient jamais pu comprendre les instructions deleur pasteur qui avait pourtant fait tout le possible pour se mettre auniveau de leur intelligence. Jamais il n’avait pu leur cognerdans la tête ce qu’était la SainteTrinité. Espérant les éclairer par unedémonstration physique et matérielle notreCuré, un dimanche, monta en chaire pour faire leprône une fourche dans une main et un petit paquet dansl’autre. Surpris et se croyant menacés de coupsles Sourdins, qui étaient presque aussi braves que la lunequand elle se cache derrière un nuage, faisaient leurspréparatifs pour décamper del’église quand le pasteur voyant leur effroi lesrassura en souriant. « Mes frères, leur dit-il, voilà bienlongtemps que je sue sang et eau pour vous instruire sans pouvoir yparvenir. Votre intelligence plus dure que le cuivre que vous battezsur l’enclume s’est refuséejusqu’à présent à comprendrele sens et la portée de mes sermons. Jusqu’icivous n’avez jamais pu vous rendre compte de cequ’est la Sainte Trinité,j’espère être plus heureuxaujourd’hui. Voici une fourche qui a trois branches, supposez que chaque branchereprésente une des personnes de la Sainte Trinitécela ne fera jamais qu’une personne puisque les troisbranches ne font qu’une fourche. Avez-vous compris maintenant? - Pas trop, M. le Curé, repartit Grosclaude, lePrésident de la fabrique, vos branches ne tiennent que parun bout ! - Ah ! il faut que ça tienne partout, dit leCuré, hé bien regardez ! Développant alors le paquet qu’il avaitapporté il leur montra un magnifique morceau de lard. Voici, mes frères, du lard qui se compose de couenne, degras et de maigre. Supposez pour un moment que la couennereprésente le Père, que le gras soit le Fils etque le maigre figure le Saint Esprit, cela n’est-il pas vrai,n’en fait pas moins qu’un seul morceau de cochon.Il en est ainsi de la Sainte Trinité. Avez-vous bien compris cette fois ? » Tous les Sourdins firent signe que oui, mais le Curé netarda pas à s’apercevoir que ses paroissiensavaient encore compris de travers, car depuis ce jour là,ils ne voulurent plus manger de lard de peur de manger la SainteTrinité. NOTES : (1) Conter des blagues. (2) Cidre. (3) Marchand de chevaux en foire. (4) Cheval (5) La pistole vaut dix francs. (6) Rusé. (7) Sobriquetdonné aux habitants de Villedieu. |