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SIMON,AbbéGeorges-Abel(1884-19..):  Notes sur les origines dePont-l’Evêque(1927).
Saisie du texte : O.Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (16.VI.2005)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographe et graphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : nc) coupures depresse extraites probablement du Lexovienet datées sans doute de 1927.
 
Notessur lesorigines de Pont-l’Evêque
par
l'abbéG.-A. Simon

~*~

«Pont-l’Evêque est une ville d’originemoyen-âge »écrivait sagement Labutte dans son Essai historique surHonfleur et l’arrondissement dePont-l’Evêque,paruen 1840. Il faut avouer que depuis l’époque deLouis-Philippe, les érudits locaux ont eu quelque peineàs’en tenir au moyen-âge. Et, faute de documents,ils ontbien dû se résigner àméditer longuement surle nom de la cité. L’étymologie est unescience sicomplaisante !

Croirait-on que certains sont allés chercher souscesmots si peu exotiques de « Pont-l’Evêque» destraces de saxon ! Un érudit bien peu connu, quiécrivitbeaucoup, qui ne publia rien, mais amorça maintesdissertationsqu’il ne termina jamais, l’abbé Ratindit Richard,curé de Rumesnil, décédé en1853,expliquait gravement que Pont-l’Evêqueétait unedéformation de Pont la Vache,lequel venaitlui-même,toujours par déformation de Pont-Val-che.Or, Valche,paraît-il, c’est du pur saxon, car valsignifie«vallée » et chesignifie « bas» ;Pont-l’Evêque, c’est le Pont de laValléebasse. Et le bon abbé ne s’arrêtait pasen si bonchemin. Il était natif de Pont l’Evêque,et dans sonamour pour sa ville natale, il ne s’effrayait de rien quandils’agissait d’en reculer le plus possible lesorigines dansla nuit des temps. Pont Val-che,c’était le nomsaxon,mais il avait remplacé un nom romain, Pons vallis cassoeC’est bien un peu long pour un nom de ville, mais les Romainsn’avaient sans doute pu faire autrement pour traduire leceltique: Brig-Aw-Re.Ici, l’érudits’arrête,et nous ferons de même. L’abbé Richardétaitde son temps, un temps où la science desétymologies,toute frémissante de jeunesse, ne s’effrayaitd’aucune audace.

Labutte, lui, était, nous l’avons dit, un hommesage.Pont-l’Evêque, à son avis, vient de deuxmotsfrançais « pont » et «évêque». « Ce nom, dit-il, est d’une telleévidenceétymologique qu’il ne peut êtrel’objet de laplus petite discussion ».

M. de Caumont n’est pas d’un autre avis.« Son nom,dit-il, semblent indiquer que les évêques deLisieux yavaient fait construire un pont ». C’estégalementà cette étymologie que paraît sereporter M.Quoniam, dans les intéressants articles publiésrécemment dans le Paysd’Auge.Ce nomsupposeraitquelque « inféodation de notre régionconsentie parles rois francs en faveur des évêques deLisieux». Cette explication du nom dePont-l’Evêque noussourirait assez par sa simplicité. Malheureusement, nousn’avons aucun texte établissant que lesévêques de Lisieux aient jamaispossédéPont-l’Evêque, ni en totalité, ni enpartie, nimême qu’ils aient eu quelque droit depéage sur lepont autour duquel s’est créée lacitéactuelle. Et nous nous demandons s’il ne faudrait paschercherautre chose ?

Il se pourrait, en effet, qu’il n’y eut riend’épiscopal dans les origines dePont-l’Evêque. Une enquête faite en 1297parGuillaume de Grippel, vicomte de Caen, nomme la localité« Pont le Vesque». Or, ce nom de Vesque ou le Vesque est unvieux nom de famille du Pays d’Auge, et il estrestéattaché à beaucoup de lieux-dits. On trouve LeVesqueà Hottot-en-Auge et à Norolles, la Cour VesqueàLa Roque-Baignard, le Lieu Vesqueau Fournet, à Glos età Manerbe, les VesqueriesàLéaupartie, la Vesquerieà Manerbe et àSaint-Désir, etc. Que« Vesque» ait été rendupar episcopusou« le Vesque» par « l’Evesque», riend’étonnant à cela. L’anciennecommune deVesqueville, réunie à La Hoguette estdésignée en 1277 sous la forme de Vesquevillaet en1269 sous celle de Episcopivilla,et l’on trouve encore auXIIIe siècle Evesquevilleet Vescheville.

La famille Vesque ou le Vesque n’aurait-elle tout simplementdonné son nom à la terre du Pontqu’ellepossédait ou près duquel elle habitait ?Pont-l’Evêque serait alors composéd’un nom defamille, comme Pont-Audemer, Pont-Bellanger, Pont-Chardon,Pont-Escolant, Pont-Hébert, Pont-Erembourg, Pont-Oursin,Pont-Briant, Pont-Farcy, Pont-Ecrepin, etc…J’offre cettehypothèse qui, je crois, n’a jamaisétéprésentée, à la sagacitédesétymologistes. Elle me paraît basée sur desdonnées locales, et par conséquent vraisemblable.Quoiqu’il en soit, nous ne nous y attarderons pas, etlaissantlà le domaine mouvant des hypothèses, nousavanceronsplus sûrement sur le terrain des textes.

(DEUXIÈMEARTICLE)

Notre dernier article nous a valu d’aimables remarques quinoussemblent nécessiter quelques précisions. Si nousavonsdit qu’il n’y eut probablement riend’épiscopaldans les origines de Pont-l’Evêque, cen’est pasparce que le terme « le Vesque » ne signifie pas«l’Evêque » (nous ne nousétions paspréoccupés de sa signification), mais bien parceque,comme nous l’écrivions, « nousn’avons aucuntexte établissant que les évêques deLisieux aientjamais possédé Pont-l’Evêqueni entotalité ni en partie ». Il nous fallait doncrechercherune autre explication. Nous avons alors rappeléqu’ilexistait au Pays d’Auge une vieille famille du nom de« leVesque », et nous appuyant sur des analogies, nous avonspensé qu’elle pourrait bien être pourquelque chosedans le nom de notre ville. Quant àl’étymologie dece patronyme, il ne nous semblait pas avoir beaucoupd’importancedans la question.

Mais puisqu’on nous en a parlé, nous dirons que«vesque » est en effet une forme populaire du mot «évesque». On la trouve dans des documents des XIIe et XIIIesiècles. Nous lisons, par exemple, dans la Vie de SaintThomasle Martyr écriteà la fin du  XIIesièclepar Garnier, de Pont-Sainte-Maxence :

« Le vesque de Londre lur ad dit
« Que la parole seit en respit… »

J’ajouterai même que le vieil historien ThomasWalsinghamdans son « Historia Anglica» nomme Neuilly, quiétait unebaronnie appartenant aux évêques de Bayeux :« Nullyle Vesque ». La famille Vesque, du Pays d’Auge,portaitdonc un nom équivalent à celui des famillesLevêquedes autres régions, et l’un commel’autres’est traduit par le mot « episcopus ».Nousrencontrons dans les chartes des RadulfusEpiscopus,RicardusEpiscopus, Petrus Episcopusqui représentent de bonspères de famille, appartenantgénéralementà la noblesse, et n’ayant pas le moindrecaractèreépiscopal.

Poursuivons maintenant nos recherches.

Une tradition sur laquelle malheureusement nous ne sommes passuffisamment fixés, veut quePont-l’Evêque se soitappelé primitivement « Pont-à-la-Vache».Nous n’irons pas chercher à ce mot «vache »,comme certains l’ont fait, une étymologie antique.Ils’agittout bonnement, de cette brave bête dont le lait a fait detouttemps la prospérité dePont-l’Evêque et de sarégion. Ne lui enlevons pas la gloire d’avoirservià désigner primitivement une localitéqui lui doittant. D’ailleurs, ce nom de Pont-à-la-Vachen’a riend’étonnant. M. Quoniam faisait remarquer quePontorson aremplacé un ancien gué nommé« lePas-au-Boeuf » et l’un des historiens dePontorson,l’abbé Desroches raconte que ce guén’étant plus praticable « un habitant deceslocalités nommé Orson… construisit surlarivière un pont de bois qui fut appelé de sonnom, PonsUrsonis, Pont d’Orson et ensuite Pont Orson ».Huet,évêque d’Avranches, dans ses Originesde Caen,rapporte qu’il y avait aussi, àl’entrée deCaen, deux « Ponts-aux-Vaches » quiétaient «de toute ancienneté », et qui étaientconstruits enpierre. L’un de ces ponts était « unpassage sur lesNoes qui traversent les Prairies », l’autreétait« sur le vieux Odon, donnant passage duBourg-l’Abbéaux grandes prairies ». Un sieur Carrel ayant faitrebâtirce dernier, il prit le nom de « Pont Carrel ». Cesexemplesnous montrent l’antiquité desdénominations :Pas-au-Boeuf, Pont-aux-Vaches, Pont-à-la-Vache etautressemblables, et aussi la tendance à remplacer ces noms quel’on jugeait peu nobles par un nom d’homme ou defamille.Le vieux Pont-à-la-Vache, bâti sur la Touques,avait sansdoute des raisons toutes locales d’être ainsinommé.Il ne faut pas oublier qu’à la sortie dePont-l’Evêque se trouvaient les antiques vacheriesdeCanapville. Un compte de 1180 nous apprend que Guillaume le Vacher(Vacarius) rendit compte de 30 sols pour 300 fromages et 15 burrez(mottes de beurre ?) de la vacherie de Kenapville.L’existence decette vacherie qui certainement remontait bien avant 1180, devaitamener un trafic assez considérable, et un va et vientcontinuelde bestiaux sur la Touques. Il était normal que, selon lacoutume, le passage le plus fréquenté senommât lePont-à-la-Vache.

Qu’une agglomération de maisons se soitformée auxenvirons du Pont-à-la-Vache, riend’étonnant. Lesponts ont été l’origine d’uncertain nombrede localités. Le nom de Pont-l’Evêque,sous la formelatine, est attesté pour la première fois, commenous leverrons, par un texte rédigé au débutdu XIIe siècle,mais se rapportant à un fait qui eut lieu en 1077,c’est-à-dire à la fin du XIesiècle. Or,c’est au cours du XIe siècle que se sontformés lesnoms patronymiques. Auparavant on trouve bien des surnoms, mais ils nepassaient pas nécessairement du père au fils. Sil’on admet notre hypothèse sur l’originedu nom dePont-l’Evêque, ce serait à cetteépoque quePierre ou Jean ou Robert dit le Vesque, ayant peut-êtrecontribué aux réparations duPont-à-la-Vache,comme le sieur Carrel à celles du Pont-aux-Vaches de Caen,lenom de Pont-l’Evêque sera devenudéfinitif.

Et pour terminer par une comparaison, nous dirons que probablementPont-l’Evêque n’a pas plusétéfondé par un évêquequ’Ouilly-le-Vicomte nel’a été par un vicomte. Mais la familleLe Vicomte,qui subsiste aujourd’hui dans la branche de Blangy, adonné des seigneurs à Ouilly, comme la famille leVesque,encore représentée au Pays d’Auge, adonnédes notables à Pont-l’Evêque.

(TROISIÈMEARTICLE)

Du nom de Pont-l’Evêque, on ne peut, comme onl’a vu,rien de certain quant à l’antiquité denotre ville.Dans une note publiée en 1887 dans l’Annuaire descinqDépartements,l’érudit honfleurais Ch.Bréard indiquait les traces d’une voie romaineallant deHonfleur à Alençon et qui aurait passésur lesterritoires actuels de  Saint-Gatien et dePont-l’Evêque. En doit-on conclure quePont-l’Evêque existait dès lors ? Non,mais tout auplus qu’il y avait très anciennement ungué,là où se formera plus tard la ville. Nous disonsun« gué » plutôt qu’unpont, car, comme leremarquait tout récemment M. Jean Mathière dansuneétude sur Les CommunicationsentreEvreux et Rouenàl’époque gallo-romaine(Rev. Cathol. de Norm, Nov.1926),« les Romains n’aimaient guèreconstruire de ponts». Le pont sera venu plus tard.

Aucun document écrit, aucun débrisarchéologiquene nous permettent de constater l’existence dePont-l’Evêque avant le XIe siècle. Sansdoute laville n’a pas commencé d’exister du jouroùelle est mentionnée pour la première fois, maisil estimpossible de donner la date même approximative àlaquelledes habitations groupées autour du Pontconstituèrent unelocalité notable. Ce ne fut sans doute pas longtemps avantleXIe siècle, puisque aucun auteur ne la connaîtplusanciennement, et qu’il n’existe aucune traced’uneexistence antérieure. Caen se trouve d’ailleursdans lemême cas. Le savant professeur d’Histoire Normandede notreUniversité, M. Henri Prentout, suivi par M. Huard,dans samagistrale étude sur la paroisse Saint-Pierre de Caenn’a-t-il pas démontrérécemment la faillitedes efforts tentés par certains historiens pour faireremonterjusqu’aux Romains la capitale de la Basse-Normandie, alorsque lapremière mention authentique qui en soit faite se lit dansunecharte du duc Richard entre 1020 et 1025.

Pont-l’Evêque est cité pour lapremière foispar Ordéric Vital. Ce vieil annaliste normandentré toutenfant dans la vie monastique à Saint-Evroult, le 21 octobre1085, est, comme on le sait, l’auteur d’unecélèbre HistoireEcclésiastiqueremplie deprécieux renseignements. Le passage qui nousintéresse serapporte à l’année 1077.

Au cours de l'été de ladite année,rapporte Ordéric, levénérable évêque de Lisieux,Huguesd’Eu, se trouvait « dans un vicusqui estappeléPont-l’Evêque » lorsqu’iléprouva unelangueur telle qu’il comprit que la mort étaitproche.Alors il demanda les suprêmes sacrements, puisaprès avoiradressé à son entourage de touchants adieux :« Mevoici, leur dit-il, sur le point d’entrer dans la voie detoutechair, et j’éprouve une grande tristesse de mourirsi loinde l’église que Dieu m’adonnée pourépouse ». Et le vieillard supplia qu’endépitde ses souffrances, on l’emportât bien viteàLisieux. Alors on plaça le moribond sur unecivière etl’on partit en toute hâte, mais le lamentablecortège avait à peine accompli lamoitié du trajet,que le vieillard rendait le dernier soupir.

Ordéric Vital donne, comme on voit, àPont-l’Evêque le nom de vicus.Un vicus,cen’estpas à proprement parler une ville ; c’est un bourgou ungros village. Le mot même (mais ce n’est pas lecas) aservi parfois à désigner un quartier ou unerue. Entout cas ce n’est pas une enceinte fortifiée.

Le nom de Pont-l’Evêque se retrouve dans une chartede 1145ou 1147, mais sans aucun détail nous permettant de fixer laphysionomie de la localité. Cette charte, relative auprieuré de Saint-Hymer, nous apprend qu’alorsGodefroyEspihart habitait au Pont-l’Evêque une maisonqu’iltenait à fief de Heline, femme de Hughes IV de Montfort.Notonsen passant que ces Montfort possédaient de nombreuses terresdans la vicomté d’Auge, et en particulier, deschartespostérieures nous l’apprennent, une partie dePont-l’Evêque.

Deux contemporains de Godefroy Espihart paraissent avoir prisnaissance, vers ce temps, àPont-l’Evêque.C’est d’abord Roger dePont-l’Evêque, clerc deCantorbéry, qui, en 1147, devint archi-diacre de cediocèse, et fut sacré archevêqued’York enoctobre 1154. C’est aussi un certain Thomas dePont-l’Evêque qui, vers 1160, avait eu desdémêlés avec les Bertrand deRoncheville,les comtes deMontfort et les évêques de Lisieux.

Par contre, une bulle du pape Lucius II, de 1182, approuvantl’établissement des religieux du Bec àSaint-Hymer,contient quelques détails intéressants. Lesreligieux,dit le pape, possèdent, en vertu d’une charte deHugues deMontfort, « la chapelle de Saint-Michel àPont-l’Evêque ». Que signifie le mot de«chapelle, capella» ? A la rigueur, et de l’avisdesmeilleurs érudits tels que Du Cange et Dom Mabillon, le mot capella,au XIIe siècle, pourrait désigner uneéglise paroissiale, mais comme en fait la paroisse dePont-l’Evêque n’a jamais appartenuàl’abbaye du Bec, il semble plus naturel de songerà unechapelle consacrée à l’archangeSaint-Michel,distincte de l’église que d’ailleursnous trouveronsbientôt mentionnée. Cette chapelle, quipeut-êtreétait un lieu de pèlerinage pour larégion,pouvait être desservie par un chapelain. Au mois de janvier1312,nous voyons figurer dans un acte « Monsieur Pierre Dufour,chapelain du Pont-l’Evêque, garde du scelétabli parle bailli, pour les obligations de la vicomtéd’Auge». Ce Pierre Dufour était peut-êtreattachéà la chapelle Saint-Michel, et  cebénéficelui laissait sans doute assez de loisirs pour se consacrer auxfonctions de « garde du scel ». Quant àl’exercice de ces dernières par unprêtre, iln’y a pas lieu de nous en étonner. Nous trouvonsen 1348,Maître Garin du Hamel « prestre, tabellion en lavicomté d’Auge ». Mais, revenons au XIIesiècle.

Dans la même bulle de 1182, le pape Lucius confirme auxreligieuxde Saint-Hymer la possession « des dîmes sur lessalines etles marchés de Pont-l’Evêque». Ils tenaientces droits de Hugues de Montfort, fils de Gillebert de Gant, qui lesleur avait donnés aux environs de 1140-1150. Au dire de Ch.Bréard, qui malheureusement ne donne pas deréférences, les salines dePont-l’Evêqueétaient connues au XIe siècle : «Dès 1095,écrit-il, il est question des salinesd’Asnières,de Pont-l’Evêque et de Touques ». En toutcas, lesvoilà mentionnées en 1183. Mais que faut-ilentendre parces salines ? D’après M. R.-N. Sauvage(L’AbbayedeSaint-Martin-de-Troarn, p.251), « il se peutqu’ici Salinase doive entendre : lieu où seperçoivent lescoutûmes sur le sel ». C’est en effet ceque sembleindiquer le contexte.

Ainsi donc, à la fin du XIIe siècle, notre villeseprésente avec une physionomie distincte. Elle a sa chapelleconsacrée au glorieux Saint-Michel, son pont sur lequelpassentsans cesse des troupeaux de bestiaux, ses salines et sesmarchés. Quelques documents de la mêmepériode nouspermettront bientôt d’ajouter quelques touchesàcette première esquisse.

(QUATRIÈMEARTICLE)

Nous avons vu que les Montfort possédaient une partie duPaysd’Auge. C’était une puissante famillequiétait collatérale des Bertrand de Roncheville, etquitirait son nom du château de Montfort-sur-Risle. Les terresetseigneuries des Montfort s’étendaientjusqu’enAngleterre. Ils possédaient autour de notre ville desforêts, des moulins, des pêcheries. Ils ypossédaient même, semble-t-il,d’après unecharte de 1066, un vignoble, car dans la valléed’Auge, ence temps-là, on cultivait la vigne (moins cependant que danslarégion d’Argences), et l’onrécoltait du vinde médiocre qualité.C’étaient lesMonfort quiavaient fondé, sur une de leurs terres, leprieuré deSaint-Ymer. Les chartes nous ont appris qu’ils avaientpossédé àPont-l’Evêque une chapelledédiée à Saint-Michel et des maisons.Les salineset les marchés leur appartenaient, ce qui leur permettait dedisposer d’une partie des recettes en faveur desmonastères qu’ils protégeaient. Cesrecettesétaient effectuées par des fonctionnaires quedans unecharte de 1197, Hugues de Montfort nomme « Mesprévots dePont-l’Evesque »

Le marché de Pont-l’Evêque devaitêtreétabli près du Pont et sur le Pontmême. La charteen question accorde en effet aux religieux de Saint-Ymer, lafaculté pour leurs hommes de pouvoir, « toute lasemaines’établir gratuitement et vendre sur le pont leursmarchandises librement et tranquillement ». Le Pontétaitdonc le centre commercial de la localité. Des vendeurs ytenaient en permanence leurs étaux et étalages,offrantaux passants des denrées de toute sorte. Parmi cesdenrées, il ne faut certainement pas oublier les fromages.Lesvacheries de Canapville n’avaient certainement pas lemonopole deleur fabrication, et les chartes des Montfort parlent trop souvent deperception sur la vente des fromages pour qu’ilsn’aientpas été dès lors l’une desgrossesindustries de la région.

Les « prévots » de Hugues de Montfort,disons-le enpassant, n’étaient pas les seuls fonctionnairesquifussent occupés à solliciterl’escarcelle de nosaïeux. De temps à autre, les percepteurs du Roid’Angleterre, duc de Normandie, faisaient leur apparition,lorsque ledit roi avait besoin d’argent pourl’entretien deson armée. Ces apparitions n’étaientpointfixées, non plus que le chiffre des impositions. En 1190,Richard Servain fut chargé par le Roi, du «Taillage» dans le baillage d’Auge.Pont-l’Evêque setrouva imposé pour 50 livres. Richard Servain enperçut45, et demeura envers le Trésor redevable de 100 sols«restant à percevoir sur les hommes de cette ville».

Unemissive du roi Jean, postérieure de quelquesannées, etadressée à Richard de Villequier, nous parleencore detaillage. « Nous vous mandons, écrit le roi, defaireremettre à Hugues de Montfort les 200 livresd’Anjou quevous avez perçues du taillage de ses hommes dePont-l’Evêque pour l’acquittement de sonfief, carnous lui donnons annuellement 200 livres ». Les recettes dutaillage de Pont-l’Evêque servaient ainsiàrécompenser Hugues de Montfort, qui n’avait paspris partipour Philippe-Auguste, de ses bons et loyaux services.

En dehors du centre d’affaires actifqu’était legrand pont, les bords des rivières qui baignent la ville,s’animaient du bruit des moulins, moulins à tan oumoulinsà fouler le drap. Mais ce sont les chartes du XIIIesiècle qui nous en parleront.

Nous n’avons encore rien dit de l’égliseparoissiale. Inutile de rappeler qu’au XIIesiècle, lajolie église actuelle ne dominait pas encore lacité desa masse élégante. Nous savons peu de chose del’église primitive. La première mentionque nous enayons trouvée est de 1227.

En cette même année, Guillaume de Siretot fit donauxreligieux de Saint-Ymer de sa maison dePont-l’Evêque« située devant la porte de l’Eglise deSaint-Michel, comme elle (la maison) s’étend enlong et enlarge, depuis le bourg qui est en face, jusqu’à sapartiepostérieure près de la Touque ». Nouspouvonsconclure de ce texte que l’arrière de la maison deGuillaume de Siretot donnant sur la Touque, et sa façaderegardant le bourg et se trouvant en même tempsvis-à-visde la porte de l’église, celle-cis’ouvrait ducôté de la rivière. Ledétail est de bienminime importance, car il ne peut même pas nous renseignersurl’orientation de l’église, le portailayant pus’ouvrir àl’extrémité ou surl’un des côtés de la nef.

Par contre, nous savons que la ville n’eut jamais nichâteau ni rempart. Confortablement assise, au milieud’uneriche contrée, elle s’animait plus souvent du vaet vientdes marchands que de celui des hommes d’armes. Elle eutcependant, au milieu de sa prospéritégrandissante,quelques mauvais jours. « En 1159, lisons-nous, dans lesnotesd’un érudit lexovien, M. Anthime Pannier,Pont-l’Evêque fut prise par Geoffroy Plantagenet».C’est un fait sur lequel nous reviendrons. Disons seulement,pourparachever notre tableau du Pont-l’Evêque primitif,quedans cette lutte effroyable entre les deux prétendants auduché de Normandie que furent Etienne de Blois et Geoffroyd’Anjou, les troupes de ce dernier se montrèrentd’une barbarie sans nom. Elles ravageaient et pillaient tout,et,dit Ordéric Vital, se livraient à des crimesdétestables que des païens n’auraient pasfaits. Levieil historien Du Moulin nous décrit, en son stylenaïvement énergique, cette armée deGeoffroyd’Anjou qui « comme un furieux torrent parcourt lepaysd’Auge, despouille les Augerons de leurs biens, etbrûsleleurs maisons ». Pont-l’Evêque dutconnaîtrealors des heures tragiques, mais il se remit bien vite. Et plus quejamais, la tourmente une fois passée, àl’aurore dece XIIIe siècle qui connut des heures deprospérité inouïe, les affairesreprirent sur le« Pont », dans l’encombrement desdenrées etdes marchandises de toute espèce.


AbbéG.-A. SIMON
Présidentde laSociété Historique de Lisieux,
Membredel’Académie de Caen
et de laSociété des Antiquaires de Normandie.