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SIMON, Georges-Abel (1884-1958.) : Lettre à un Archéologue Normand sur le théâtre romain de Noviomagus.-Lisieux : Imprimerie E. Morière, 1925.- 7 p. ;  22,5 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (6.IX.2016)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
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Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx: Ms 163).


Lettre à un Archéologue Normand

sur le
THEATRE ROMAIN DE NOVIOMAGUS (1)
par
G.-A. SIMON
_____


CHER MONSIEUR,

Vous avez jadis visité l'emplacement du Lisieux gallo-romain, et cequi, me dites-vous, avait le plus frappé votre esprit, c'étaient lesruines du théâtre, antique. Et voici qu'aujourd'hui vous voyez, nonsans quelque surprise, mettre en question l'existence même d'un édificedont vous avez parcouru l'arène et contemplé les murailles ruinées.Vous avez, en effet, lu comme moi la singulière mise en demeureimprimée dans L'Avenir de Lisieux (5 Septembre 1925) : « Que M.Lahaye commence par prouver l'existence de ce cirque problématique » !Et vous êtes même resté fort rêveur devant certaine petite phrase qu'ilfaudrait, disiez-vous, « monter en épingle » : « Je n'ai jamais vuécrivait-on, ce singulier archéologue (il s'agit de M. Lahaye) sur leterrain de ce cirque dont l'existence d'ailleurs problématique, n'ajamais été prouvée ». Et vous me demandiez comment M. Etienne Deville(puisqu'il faut l'appeler par son nom) aurait bien pu rencontrer M.Lahaye sur le terrain d'un cirque qui est peut-être inexistant ? Jesais, pour ma part, que M. Lahaye a visité bien des fois, avec sapassion d'archéologue invétéré, le théâtre en question. Il faut dansque M. Deville, qui lui aussi affirme y être allé bien souvent, ait eula malchance de se tromper d'endroit, pour ne l'y avoir jamaisrencontré, et qu'il ait vu tout autre chose qu'un théâtre, puisqu'il enconteste l'existence.

Mais pourquoi tant chercher ? La petite polémique que vous savez n'arien à soir, comme vous en jugerez, avec l'archéologie. Elle relève dela psychologie. N'en doutez point, M. Etienne Deville contestel'existence du théâtre romain de Noviomagus, tout simplement parce queM. Lahaye l'affirme. Il eut bataillé avec la même ardeur, pour endéfendre l'existence, si M. Lahaye avait eu l'esprit assez mal faitpour la nier. Décidé, coûte que coûte, « pour des raisons personnelles» (2e lettre au Journal de Rouen, cf Lexovien, 23 sept.) àpourfendre son adversaire, il ne pouvait tout de même pas prétendre yparvenir, comme eut dit M. de la Palice, en étant du même avis. C'estsans doute ce qui l'excuse. Mais la preuve, me direz-vous ? La preuve,M. Deville a pris la peine de nous l'administrer lui-même.

Oyez plutôt : « Après ce qui s'est passé lors de la dernière séance dela Société Historique, ou j'ai été mis en cause lâchement par celuimême qui prétend aujourd'hui me donner une leçon de courtoisie, j'avaisle droit de tremper ma plume dans du vinaigre pour lui répondre ».(Avenir de Lisieux). Or, ce qui s'est passé à ladite séance, je vaisvous le dire. Nous discutions de l'adhésion de notre Société à lanouvelle Fédération Régionale dont M. Deville est parvenu récemment àse faire nommer vice-président. Quelques membres, dont M. Lahaye,crurent, comme c'était leur droit, devoir faire des réserves sur cetteadhésion, la présence de M. Deville au bureau ne leur paraissant pasune garantie suffisante d'impartialité. Et, parole d'honneur, il ne futdit aucune injure. Je ne vois donc pas ce que vient faire icil'épithète de « lâche ». Et, vous l'avouerez, à moins qu'un arrêtépréfectoral ou municipal ne nous impose une admiration gratuite etobligatoire pour le distingué bibliothécaire de notre bonne ville, nousne nous croirons pas coupables en lui mesurant notre encens, ou même enne lui en donnant pas du tout. Quoiqu'il en soit, M. Deville a eu labonté dé nous dire qu'il se venge. C'est pour cela qu'il a trempé saplume dans du vinaigre. Une plume dans du vinaigre ! L'image est certespoétique et vraiment neuve ! Sachons gré à son inventeur de nous avoiravertis d'une façon si élégante de ne pas trop faire attention à cequ'il dit. Sachons-lui gré d’avoir insisté ailleurs, en termes plusprosaïques, sur cet avertissement : « Je n'écris pas à la légère,affirme-t-il, et si ma plume, pour des raisons personnelles, dépassequelquefois ma pensée, la réalité des faits allégués est immuable ».Vous entendez sa plume, « pour des raisons personnelles », dépassequelquefois sa pensée, quand il n'écrit pas à la légère ! Queserait-ce, grand Dieu, s'il écrivait à la légère ? Et commentpourrions-nous croire à « l'immutabilité » de ses affirmations ?

Il me fallait bien, cher Monsieur, vous citer ces textes, non pas pourpeiner M. Deville qui ne me lira peut-être pas, et auquel je ne veuxpoint de mal, mais pour vous montrer la valeur des armes employées,d'un côté du moins, dans cette polémique. Cela ne suffit-il pas pourvous prouver qu'en tout ceci, le théâtre de Noviomagus n'est qu'unprétexte, et qu'en réalité, l'homme à la plume trempée dans le vinaigres'en soucie « comme d'une guigne ».

Pour rassurer toutefois vos esprits quelque peu troublés par la logiquetortueuse et le style plein d'inattendus de M. Deville, laissez-moivous rappeler les principales études consacrées à ce théâtre antique.Et vous verrez ce que valent les pauvres allégations de cetarchéologue… au vinaigre !

Le théâtre de Noviomagus fut découvert en 1770 par Hubert, maiscelui-ci, bon ingénieur et mauvais antiquaire (ainsi nommait-on alorsles archéologues), ne chercha même pas à l'identifier. Il nous aseulement laissé quelques renseignements précieux dont les érudits quiont suivi ont fait leur profit. C'est l'historien de Lisieux, Louis DuBois, qui reconnut le premier à quel genre de ruines on avait affaire.« La petite ferme des Tourettes, écrivait-il, recelait en 1770, entreautres ruines apparentes, l'entrée d'un souterrain qui touchait auruisseau connu sous le nom de ruisseau des Tourettes ou Douet-Merderet.C'est là que, le 15 Mai 1818, j'ai découvert un théâtre romain bienconservé, presque entièrement recouvert de gazon et d'arbres, maisdont, la partie qui touche au ruisseau du Nord offre des pans assezconsidérables de constructions romaines, composées d'assisesalternatives de cailloux, liées par un bon ciment et de larges briques» (2).

Jusqu'aux déclarations si intéressantes de l'éminent M. Deville,personne ne s'était imaginé que Louis Du Bois se fût trompé. Bien aucontraire, les meilleurs érudits, poursuivant l'examen, confirmèrentles affirmations du savant historien. Citons d'abord le maître del'archéologie française, l'auteur admirable du Cours d'Antiquités etde la Statistique Monumentale, Arcisse de Caumont. Qui n'a lu lespages si précises consacrées par lui à notre théâtre ? (3). Et lorsqueM. Deville nous demande de prouver son existence, ne serions-nous pasautorisés à lui demander, avec autant d'à-propos : pourquoi pas cellede Saint-Pierre de Lisieux ?

Auprès de M. de Caumont, l'aidant dans ses recherches, collaborant àses travaux, nous citerons nos érudits lexoviens, dont l'intelligence,la compétence et la probité scientifique sont indéniables. Ce sont lesVasseur, et les Pannier, travailleurs infatigables, dont nous possédonsles notes dans les Archives de la Société Historique. Sans parler deGuilmeth qui a écrit également sur notre théâtre romain (4), deLéchaudé d'Anisy, qui s'étonne que ce monument ait échappé auxinvestigations de Hubert, « tout apparent qu'il est » (5), del'archéologue anglais Cottman qui estime notre amphithéâtre « in astate of great perfection » (6), etc., nous citerons, plus près denous, M. R. Lantier, dont les études confirment et complètent lesdécouvertes précédentes (7). Nous citerons en particulier le très exact« Relevé en courbes de niveau du théâtre gallo-romain du Vieux-Lisieux», dû à l'habile collaboration de MM. Mauclerc et Lambert (8). C'estarmés de ces données que plusieurs d'entre nous sont allés à leur tourétudier les ruines. Et c'est ainsi qu'on a pu non seulement reconnaîtrele bien-fondé des affirmations d'un Louis Du Bois ou d'un Arcisse deCaumont sur l'existence du théâtre romain de Lisieux, mais encorecataloguer ce monument, avec précision, dans la catégorie d'édificesscéniques à laquelle il appartient (9).

Je n'ai pas à m'étendre ici sur la description de ce théâtre, car vousverrez dans peu, j'espère, la brochure que M. Lahaye et moi consacronsà cet objet.

Je termine simplement par une dernière mise au point M. Lahaye qui alonguement étudié le théâtre de Noviomagus (où M. Deville ne l'a jamaisvu, Dieu sait pourquoi), a pensé reconnaître dans une planche encouleurs de l'Histoire de Larousse une reconstitution de ce que devaitêtre notre théâtre au temps de sa splendeur. Le texte qui accompagnaitcette planche le confirmait dans cette opinion. Il renvoyait en effetaux théâtres « de Valognes, de Lisieux et de Lillebonne ». Il étaitdonc fort légitime en soi d'offrir au public lexovien, quen'intéressent spécialement ni Lillebonne, ni Valognes, cettereconstitution comme étant celle du théâtre de Lisieux, puisque letexte le disait. Et si M. Deville, animé d'un zèle soudain pourl'archéologie romaine, tenait à faire éclater une compétence totalementinconnue jusqu'ici, il lui était loisible de démontrer que tel ou teldétail du croquis ne s'accordait pas avec le monument. C’eut été de ladiscussion scientifique, c'eut été de bonne guerre, mais cela sansdoute eut manqué de vinaigre. Il a couru tout de suite à ces gras motsgénéralement inusités dans nos Sociétés savantes où l'on se traite en «honnêtes gens », il nous a conté, la main sur la conscience, unehistoire de carte postale qui n'a jamais existé que dans sonimagination, puis, pour se donner l'air avantageux d'un critiqueaverti, il nous déclare que le théâtre romain découvert par Louis DuBois, le théâtre romain étudié par l'illustre de Caumont, par lesVasseur, les Guilmeth, les Lantier, le théâtre romain mesuré danstoutes ses dimensions avec une rigueur toute mathématique par lesspécialistes que j'ai cités, ce théâtre romain que nous avons vu de nosyeux et touché de nos mains, ce théâtre est peut-être un mythe ! Oh !la bonne plaisanterie ! Décidément M. Deville est un auteur gai. Maisles meilleures plaisanteries sont les plus courtes et en voilà une quia déjà trop duré.........

Vous le savez, cher Monsieur, nous autres, membres de la SociétéHistorique, n'avons nullement désiré la lutte. Nous demandons qu'onnous laisse travailler en paix. Recherchant la vérité, nous ne nousrefuserons jamais à ce qu’on nous donne des leçons, mais nous ne lesaccepterons pas de la part d'un incompétent, surtout lorsqu'elles sontaccompagnées d'injures.

Veuillez agréer, cher Monsieur, etc.

G.-A. SIMON,
Président de
la Société Historique
de Lisieux.

Octobre 1925


NOTES :
(1) Résumons brièvement la polémique qui a donné lieuà cette lettre. M. Lahaye, président honoraire de la Société Historiquede Lisieux, ayant exposé, ainsi que nous le dirons plus loin, uncroquis de théâtre romain, comme répondant à celui de Lisieux, futgrossièrement attaqué par M. E. Deville, dans un article du Journal deRouen (26 août). L'attaque était dirigée de façon à rendre solidairesM. Lahaye et la Société Historique, puisqu'on y lisait : « L'auteur decette mystification, M. V. Lahaye, est pourtant un homme qui passe dansun certain milieu pour faire autorité surtout en face d'une Sociétédite Savante, dont il est le président honoraire ». M. Lahaye fitinsérer au même journal une courte réponse très digne que, quelquesjours après (5 septembre) Le Lexovien reproduisait, ainsi quel'attaque, en les faisant précéder d'une lettre de M. Lahaye à M. EmileMorière. M. E. Deville reprit alors plus violemment l'offensive dansl'Avenir de Lisieux (5 septembre), assurant M. Lahaye de son «profond mépris » et lui adressant des aménités dans ce genre : «Puissent ses cheveux blancs en rougir de honte, etc... ». C'est danscette longue lettre, d'ailleurs incohérente, que M. Deville met endoute l'existence du théâtre romain de Noviomagus, et prétend que lecroquis exposé par M. Lahaye n'est qu'une carte postale. Le 8septembre, nouvelle lettre, dans le même sens de M. Deville au Journalde Rouen. C'est dans cette pièce que nous lisons la phrase que nousciterons : « Je n'écris pas à la légère, etc… »
(2) Histoire de Lisieux, 1847, t. II, p. 462-463.
(3) Cours d'Antiquités monumentales, Paris1838, t. V, p. 442-445, Statistique monumentale, t. V, p. 192.
(4) Ville de Lisieux, p. 21.
(5) Note de sa traduction des Antiquitésanglo-normandes de Ducarel, p. 74.
(6) Ce passage de Cottman, p. 34, est conservé dansles notes de M. Pannier.
(7) Le Théâtre gallo-romain du Vieux Lisieux, dansle Bull. Archéol. de Comité des Travaux hist. 1911, p. 332 ss, et Lisieux gallo-romain, dans Et. Lexv., p. 332 ss.
(8) Bull. Archéol., cit. 1911, p. XXIII.
(9) Larousse : Histoire de France. — Livre I, § II, La Gaule Romaine, planche II, entre les pages 24 et 25. — C'est làque se trouve le croquis exposé par M. Lahaye. — On nous permettra deciter, pour être complet, en attendant la notice annoncée, notrearticle intitulé : Le Théâtre gallo-romain de Noviomagus, dans le Pays d'Auge du 30 sept. 1925, dans lequel on voudra bien rétablir, àla ligne 28, plusieurs mots absents : « Lorsque, partant duChamp-Loquet, dans la direction de Saint-Désir, on a dépassé, etc.... »