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PORÉE,Le Chanoine Adolphe-André(1848-1939) :  L’art normand.-Paris : Fontemoing et Cie,1913.- 62 p.-VIII  f. de pl. ; 26cm.- (Les arts français).
Saisie du texte : S. Pestelpour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (27.XI.2007)
Relecture : Anne Guézou.
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Orthographe etgraphieconservées.
Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm 94).

L’art normand
par
Le Chanoine Porée
Correspondant du Ministère de l'Instruction Publique

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ONpeut dire,sans paradoxe, que l’art français est, en France, le plus mal connu detous les arts. Il a subi le sort de notre territoire national où l’onvient seulement de découvrir des villes admirables et des paysages quine le cèdent à nul autre comme beauté naturelle.

Combien sont nombreux ceux qui, intéressés, par l’histoire et l’art denotre pays, avouent leur surprise d’avoir rencontré, au cours d’unvoyage, non seulement des sites émouvants, mais aussi des chefs-d’oeuvreignorés.

La chronologie des oeuvres capitales des grands artistes français futexposée dans des ouvrages consacrés à l’histoire universelle des arts.Cependant certaines nations : l’Italie, la Flandre ou les Pays-Bas,occupent une place excessive dans l’éducation du goût public. Ellesdoivent cette faveur à leur intensité artistique pendant une périodedéterminée.

La connaissance trop dominante des oeuvres de maîtres, souventétrangers, si elle fournit un élément essentiel dans la culturegénérale, nous semble, en ce qui concerne notre patrie, faire oublierle principe par lequel la tradition de nos arts nationaux peut êtrecomprise et continuée.

Or, pour la France, il n’a pas été publié, jusqu’à ce jour, de précisde son évolution d’art depuis ses origines, alors qu’elle abonde enmerveilles, dues surtout aux maîtres et artisans régionaux. Il nous adonc paru qu’il était utile d’en présenter la synthèse.

Pareille entreprise était complexe. L’expansion même des qualités de larace et la diversité des efforts dans chaque contrée en rendaient laréalisation singulièrement difficile. Nous l’avons obtenue en adoptantla division des oeuvres de nos maîtres français par provinces anciennes.Cette méthode réunissait le double avantage d’en faciliter l’étudehistorique et d’en déterminer les attaches de terroir.

On ne peut, en effet, connaître intimement l’art français qu’enétudiant nos vieilles provinces. Là se sont formés et développés desgroupes ethniques qui, chacun ayant son caractère particulier, ontmarqué d’une profonde empreinte, les oeuvres qui en sont issues, parl’influence des moeurs et des coutumes.

Préoccupés de donner, sur chaque région, un exposé documenté et précisdes oeuvres des maîtres et des artisans, dans leurs manifestations lesplus typiques, nous n’avons voulu présenter, ni un sec inventaire, niune analyse critique qui dépasserait le cadre de notre dessein, maisplutôt un résumé clair et substantiel de l’art national par provinces,de ses origines au milieu du XIXe siècle.

Quant à la rédaction, nous avons choisi nos collaborateurs parmi lesérudits qui, séjournant dans la contrée, ont étudié son art,s’intéressent à son histoire et qui, placés aux sources mêmes,apportent chaque jour aux archives de l’État et aux grandes Sociétésd’études artistiques et archéologiques le fruit de leurs recherchespassionnées.

Chaque collaborateur conserve sa liberté dans le  plan quenouslui avons tracé et, dans tous les ouvrages, on retrouvera l’expressionintime de notre génie national. Nous aspirons à redonner l’essor aurégionalisme de pensée qui, à notre sens, peut rénover nos arts aussibien que notre littérature.

Nous croyons à la nécessité de cette collection « Les Arts Français »,qui contribuera à faire mieux connaître et mieux aimer encore lemerveilleux pays qu’est le nôtre, pays dont la séduction s’exerce nonseulement par le charme de sa physionomie, mais par la richesse d’uneparure dont onze siècles d’art ont fait un impérissable patrimoine.

PAULSTECK. - LOUIS LUMET.

PRÉLIMINAIRES


C’EST avec raison que la Normandie a étéappelée la «terre des églises et des châteaux », et nulle qualification ne pouvaitêtre mieux choisie, car elle caractérise la principale richesseartistique d’une province qui compte au nombre de ses monumentsreligieux : Notre-Dame, Saint-Ouenet Saint-Macloude Rouen, les cathédrales de Bayeux, d’Évreux, de Coutances, de Séez,de Lisieux, les églises de Saint-Étiennede la Trinité,de Saint-Pierrede Caen, d’Eu, de Fécamp, de Gisors, des Andelys, de Louviers, deConches, de Norrey, le Mont-Saint-Michel, « la merveille de l’Occident» ; et parmi ses édifices civils, les châteaux féodaux de Falaise, deGisors, d’Arques, de Tancarville, le Château-Gaillardet, dans une époque plus moderne, le Palais de Justiceet l’Hôtel duBourgtheroulde de Rouen, l’Hôtel d’Écovillede Caen, les châteaux de Gaillon, de Fontaine-Henry, de Lasson, deChanteloup, de Chambray, de Beaumesnil. On voit que la Normandie estprivilégiée entre toutes les provinces françaises.

« Les productions de l’esprit humain, comme celles de la naturevivante, a dit TAINE,ne s’expliquent que par leur milieu. » Cette théorie a du vrai, maiselle est trop absolue. Lorsque le génie ouvre à l’art des horizonsnouveaux et le porte aux sommets, il suit une voie mystérieuse etlibre. Pourrait-on bien définir le milieu auquel on doit les imagiersde Chartres et de Reims, GIOTTO, DONATELLO,les VAN EYCK, LÉONARDDE VINCI, MICHEL-ANGE,RAPHAEL, VELAZQUEZ,REMBRANDT, CLAUDE LORRAIN? Il serait plus exact de dire que le milieu aide à expliquer et àcomprendre les différences spécifiques, les préférences et lesvariations du goût que l’on remarque aussi bien dans la littérature quedans l’art et l’industrie des nations civilisées. Considéré dans samoyenne et circonscrit dans les limites d’un pays, l’art est unerésultante. Le caractère de la race, le régime politique, la richessedu sol, le degré de sécurité publique, les relations commerciales sontautant de facteurs importants dont il faut tenir compte lorsqu’on setrouve en face de la production artistique d’un groupe régional ouprovincial. La Normandie en fournit une preuve.

Une race foncièrement active et entreprenante, fortement organisée pardes ducs souverains, ayant politiquement vécu de sa vie propre duranttrois siècles, initiée à la civilisation par les moines de Jumièges, deSaint-Wandrille, du Bec, de Caen, capable de conquérir l’Angleterre etde lui imposer sa langue, ses idées, ses moeurs, son architecture : unetelle race était d’un tempérament assez robuste et d’une tremped’esprit assez forte pour avoir son génie propre et produire des oeuvresartistiques marquées d’une empreinte originale.

Si, à ces caractères distinctifs de la race, on ajoute la féconditéexceptionnelle de la terre normande arrosée par la Seine et de nombreuxcours d’eau ; un sol renfermant d’innombrables carrières de pierre oude granit, fournissant du fer en abondance, couvert çà et là deséculaires forêts de chênes, de hêtres et de châtaigniers, oncomprendra que ces conditions réunies durent puissamment aider à laproduction industrielle et artistique, et en favoriser la durée.

Pendant le Moyen Age, un art vraiment national, l’architecture ditegothique, prend naissance en France, s’y développe avec un succèsmerveilleux, du XIIe au XVIe siècle, imprimant son style et ses formesà la sculpture, à l’ivoirerie, à l’enluminure des manuscrits, à laferronnerie, au vitrail. La Normandie, on le verra, tient son rang etjoue un rôle très actif durant cette apogée de l’art français.

A des époques de paix et de sécurité, la protection de grands seigneurset de riches prélats vient donner aux arts un nouvel essor. Qu’ilsuffise de nommer les cardinaux d’AMBOISE et DE BOURBON à Rouen et àGaillon, les LE ROUX DU BOURGTHEROULDE à Rouen, les LE VENEUR àLisieux, à Évreux et à Tillières, les LE VALOIS et les DUVAL DE MONDRAINVILLE à Caen, les MATIGNON en Basse-Normandie.

Montrer que l’architecture, la sculpture, la peinture et les artsmineurs eurent, dans notre province, surtout à l’époque du Moyen Age etde la Renaissance, leur accent propre, leurs expressions originales etvariées : tel sera l’objet principal de cette étude. Mais nous aurons àsignaler d’autres oeuvres, bien qu’elles appartiennent à des artistesétrangers à la Normandie. S’il est le plus souvent impossible de lesséparer du monument pour lequel elles ont été faites, on ne saurait nonplus rester indifférent devant l’initiative de l’homme de goût, quelqu’il soit, prélat, gentilhomme ou bourgeois, qui en voulut enrichirles églises, ou simplement décorer sa propre demeure.

Cette étude est un aperçu documenté et précis ; aussi ne nousarrêterons-nous qu’aux oeuvres vraiment caractéristiques.


ÉPOQUE GALLO-ROMAINE

TOUS ceux qui ont lu l’histoire savent avec quelle rapidité et quelletenacité les Romains s’assimilaient les peuples dont ils avaient faitla conquête, en important chez eux leur organisation politique, leursusages, leurs industries et leurs arts. Et comme à Rome l’art étaitavant tout une institution sociale, l’architecture devint pour eux lesigne d’une activité toute puissante, et la construction des édificespublics un moyen de domination.

Les provinces méridionales de la Gaule, notamment le bassin du Rhône,gardent de nombreux et très beaux spécimens de l’architecturegallo-romaine. S’il n’y eut pas dans les contrées du nord-ouest desmonuments comparables aux Arènes d’Arles et de Nîmes, au Pont du Gard,à la Maison Carrée, au Tombeau de Saint-Rémy, au Théâtre et à l’Arcd’Orange, on y voyait néanmoins, au commencement du IIIe siècle et mêmeauparavant, des temples et des constructions d’une grandiosearchitecture.

C’est ainsi qu’à Évreux on a mis à jour des chapiteaux à feuillesd’acanthe de dimensions colossales, des fûts de colonnes avec feuillesimbriquées, des fragments de corniches et de frises sculptées, desuperbes inscriptions sur bronze et sur pierre. On a reconnul’existence de la muraille de l’enceinte militaire en petit appareil,pouvant dater du IIIe ou du IVe siècle, et dont le soubassement étaitformé de tronçons de grosses colonnes, de débris de corniches plusanciennes : particularité qui se rencontre au Mans, à Sens, etc. C’estbien là l’art architectural gallo-romain, imposant, mais lourd etchargé d’ornements, que l’on retrouve à cette époque dans les régionsseptentrionales de notre pays.

A Berthouville (Eure), lors des fouilles conduites en 1897 par le P.CAMILLE DE LA CROIX, on a découvert dans les fondations d’un temple deMercure, rebâti au IVe siècle, des fragments considérables de colonnes,d’entablements, de corniches de grande proportion qui provenaient d’untemple plus ancien détruit vers l’an 270, pendant les invasionsgermaniques et la révolte des Bagaudes. Ces matériaux antiques étaientnaturellement extraits des carrières de pierre environnantes. Près dece temple dédié au Mercure de Canetonum, on a reconnu un théâtre etquelques autres constructions, mais pas de nécropole. Il n’y eut jamaislà de ville ni d’agglomération importante. « On se trouvait en présencedes ruines d’un forum, a écrit M. Babelon, ou si l’on veut d’un champde foire gaulois, puis gallo-romain, installé en pleine campagne, àproximité du croisement de routes nombreuses, sur les confins duterritoire des Lexoves et des Eburovices. »

La riche peuplade des Lexoves avait son Sénat et son chef suprême nommé Vergobret. La ville actuelle de Lisieux est assise sur des ruinesromaines. En 1818, l’existence d’un théâtre fut constatée, et plustard, des travaux de terrassement ont mis à jour une infinité defragments de marbre, de statuettes, de médailles, et de vases du galbele plus élégant. Vieux, l’Aregenuæ de la carte de Peutinger, renfermeun théâtre délabré en 1856 et de nombreuses substructions romaines ;mais cette localité est surtout célèbre par le piédestal de marbrechargé d’inscriptions, découvert à la fin du XVIe siècle et déposé aumusée de Saint-Lô, qui portait la statue que les trois provinces desGaules avaient fait ériger, en l’an 238, en l’honneur de Titus SenniusSolennis, grand-prêtre de Mercure, de Mars et de Diane, dans sa citédes Viducasses. Le sol de Bayeux, Augustodurus, et des environs, afourni des débris antiques qui attestent son importance, notamment cinqcolonnes militaires avec des inscriptions relatives aux empereursClaude, Néron, Marc-Aurèle et autres, c’est-à-dire s’étendant depuisl’an 46 jusqu’à l’an 313.

MOSAÏQUES

DES fouilles exécutées à différentes époques à Lillebonne, Juliobona,ont mis à jour un théâtre, un balnéaire, une villa et d’autresconstructions indéterminées. En 1870, on trouva dans une salle voisinedu théâtre une mosaïque, probablement du IIe siècle, dont le sujetcentral est Apollon poursuivant Daphné ; quatre scènes d’une chasseau cerf forment l’encadrement. Cette mosaïque vraiment somptueuserenferme une inscription qui en double l’intérêt. On lit sur un tillet,dans le médaillon central : T. SEN. FILIX C PVTEOLANVS FEC. et sur unautre : ET AMORCK DISCIPVLVS. C’était donc un mosaïste de Pouzzoles quiétait venu à Lillebonne à la demande d’un riche gallo-romain. Aussin’est-on pas surpris de voir que le style du sujet principal rappellede très près celui des grandes peintures mythologiques de Pompéi.

Une autre mosaïque fort belle, conservée comme la précédente au Muséed’antiquités de Rouen, avait été trouvée en 1838 dans une villa de laforêt de Brotonne. Au centre, on voit Orphée jouant de la lyre ; surchaque face sont figurés des animaux que le divin chanteur est censéapprivoiser ; aux angles, quatre têtes de femmes représentent lesquatre saisons ; le tout encadré par une bordure d’élégants rinceaux.

STATUES

LES riches Gaulois, initiés par les Romains à une civilisationsupérieure, eurent comme eux la passion des statues ; ils enencombraient leurs villas. Malgré les incendies et les pillages desBarbares, notre sol en recélait - et en recèle encore - un grandnombre. Si elles ne nous sont pas toujours parvenues intactes, ellesgardent du moins leur valeur d’art et d’enseignement.

A Lillebonne, on trouva en 1838 une grande statue de femme en marbreblanc (Musée de Rouen), et une splendide statue d’Apollon, en bronzedoré, de 1m94 de hauteur ; elle est au Louvre.

Nous mentionnerons parmi les bronzes du Musée de Rouen : une statuetted’Hercule, de bon style, un petit Mercure debout, et surtout unadmirable Mercure assis sur un rocher, découvert en 1842 à Epinay(Seine-Inférieure). Le dieu est nu et coiffé du pétase ; ses yeux sontincrustés d’argent ; le modelé du corps est parfait. Ce petitchef-d’oeuvre de grâce et de souplesse est une copie libre du Mercure aurepos du Musée de Naples.

Au Vieil-Évreux, situé sur le plateau sud-est à six kilomètres del’antique Mediolanum, les Romains avaient établi la villeadministrative, ou tout au moins installé le palais de quelque grandpersonnage ou fonctionnaire. Un long aqueduc, des thermes, un théâtre,une basilique montrent toute l’importance de cette résidence. Denombreux objets d’art ont été trouvés dans le sol, notamment une statue de Jupiter et une statue d’Apollon en bronze, desstatuettes, en même métal, de Bacchus, de Sylvain, de Minerve,une Victoire, un Amour portant un fardeau au-dessus de sa tête, unmasque de bronze, des inscriptions sur bronze et sur pierre, des caméeset des intailles. La statue du Jupiter du Vieil-Évreux est célèbre ;elle mesure 92 centimètres de hauteur et date de la première moitié duIIe siècle. L’Apollon, de facture moins magistrale que le Jupiter,est néanmoins fort remarquable et d’une excellente conservation.

VERRERIE

LES Romains atteignirent dans l’art de la verrerie à une perfectionvraiment étonnante : le vase de Portland au British Museum, le vasede la Vendange et la coupe de verre noir à émaux de couleurs du Muséede Naples sont de pures merveilles.

Dans les Gaules, il y eut de nombreuses verreries. Une stèle découverteà Lyon, en 1767, nous apprend que Julius Alexander, citoyen deCarthage, habile ouvrier en l’art de la verrerie, s’était établi à Lyonet qu’il y mourut.

Une quantité d’objets de verrerie usuelle, tirés du sol et destombeaux, sont indubitablement sortis de fours établis en Normandie àl’époque romaine : patères, gobelets, ampoules, bouteilles, abalastra, verroteries de colliers, barillets, vases de formesdiverses pour incinérations. La Seine-Inférieure en a fourni un nombreconsidérable, grâce aux fouilles de l’abbé COCHET.

Au moyen du moulage soufflé dans un creux de bois ou de métal, lesverriers romains obtenaient soit des marques de fabrique, soit desinscriptions, des figures en pied ou des feuillages sur la surface duvase ; ces motifs, pris dans la pâte à chaud, sont nécessairement d’undessin mou et insuffisant. Le Musée de Rouen a recueilli une coupemoulée à reliefs, trouvée à Trouville-en-Caux en 1857. Elle représenteun quadrige courant dans un cirque, avec les noms de deux gladiateurscélèbres. Des coupes analogues, mais en moins bon état, ont ététrouvées à Autun et à Londres.

La décoration à froid laissait au verrier plus de temps et de liberté ;elle se faisait à la molette ou au foret montés sur un tour. Cesoeuvres, plus fines et plus soignées, se rencontrent assez rarement.Paris, Londres, Berlin, Nuremberg en possèdent des spécimens. L’un desplus beaux est assurément celui qui a été trouvé à Évreux, en 1884,dans le sarcophage d’une jeune femme, avec quelques bijoux et uncollier de perles. Cette coupe, d’une merveilleuse conservation, estentièrement couverte de stries et de dessins géométriques. (Muséed’Évreux).

OFÈVRERIE, BIJOUX

LES vases précieux, les bijoux d’or et d’argent, les parures gemmées,conservés dans les musées ou les collections particulières, sontrelativement rares.

On connaît l’histoire du trésor de Berthouville, fortuitement trouvé en1830 sous la charrue d’un laboureur ; c’était la cachette du temple deMercure de Canetonum placée là pour être soustraite aux envahisseursbarbares. Le trésor comprend soixante-neuf objets d’argent que l’onpeut admirer au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale ;nous ne saurions les décrire ici. Il est probable que la statuette duMercure nu est de fabrication gallo-romaine ; elle est d’ailleursplutôt médiocre ; mais les plus beaux canthares sortent d’ateliersitalo-grecs. « Il y a, dit M. BABELON, dans le trésor de Berthouville,une demi-douzaine de vases qui, au point de vue artistique, n’ont pointleur pendant dans aucun trésor ; nous le proclamons hardiment ; ce sontles plus beaux vases d’argent que nous ait légués l’antiquité. »

Est-ce au trésor d’un temple, ou plutôt au ministerium ou service detable de quelque riche fonctionnaire gallo-romain qu’aurait appartenula jolie cuiller en argent découverte en 1880 à Preuseville(Seine-Inférieure) ? Le manche est en forme de pilastre, et un mufle delionne le rattache au cuilleron arrondi et orné de niellures ourinceaux en émail noir. Cette rare et superbe pièce, d’un grand goût,ne doit pas être postérieure à la fin du IIe siècle.

En 1848, on trouva à la Haye-Malherbe (Eure), dans une boîte de ferréduit à l’état friable, une série d’objets en or composant la parured’une Gallo-Romaine. Cet écrin comprenait : un anneau sigillaire garnid’une intaille niccolo représentant Rome assise portant uneVictoire ; un camée de sardonyx figurant une tête d’éphèbe ; desgrains d’un collier d’or ; deux pendants d’oreilles garnis d’émeraudes; une bague formée d’une lame d’or portant sur sa circonférence sixpetits grenats sertis en relief et séparant des lettres découpées àjour qui formaient l’inscription : FRVERE ME : enfin, deux monnaiesd’or, l’une de Domitien et l’autre de Lucius Verus.

Le Cabinet des médailles a recueilli un superbe bracelet d’or massifdécoupé à jour, découvert en 1821 au Landin (Eure).

Les bijoux de l’époque franque trouvés en Normandie sont très nombreux,mais leur intérêt est plutôt historique ; ils consistent en fibules,styles, épingles à cheveux, boucles d’oreilles, bagues, colliers,plaques d’argent et boucles de ceinturons en bronze parfois incrustéesou plaquées d’argent. Les motifs d’ornementation sont bien connus, caron les rencontre dans toute l’Europe centrale, depuis les bords duDanube jusqu’aux rives de la Baltique ; ce sont des dessinsgéométriques, des stries, des entrelacs, des figures d’animaux oud’oiseaux fantastiques gravés sur le métal. Une autre décoration qui sevoit assez fréquemment à cette époque consiste en incrustations depetites plaques de verre rouge montées en cloisonné. l’épée deChilpéric (mort en 481) en est un exemple bien connu. Il se peut quede véritables grenats en lamelles se rencontrent dans les bijouxattribués à l’époque franque, et alors il faudrait se demander si cesobjets ne sont pas de provenance orientale, car c’est bien en Orientque cet art a eu son point de départ. Quoi qu’il en soit, selon M.Gerspach, le « goût des Mérovingiens pour le grenat véritable ouartificiel était à ce point prononcé et persévérant qu’il est devenul’une des caractéristiques de la race. »


MOYEN-AGE

SANS conteste, la période mérovingienne et carolingienne vit s’éleveren Neustrie, comme dans la plupart des autres contrées de la Gaule, desmonastères et des églises. Selon AUGUSTE LE PRÉVOST, l’organisation desparoisses rurales était à peu près complètement établie dès cetteépoque. De tous ces édifices, il n’est pas, pour ainsi dire, restépierre sur pierre. Les uns furent détruits pendant les invasions desNorthmans ; les autres, car beaucoup étaient construits en charpente,périrent dans des incendies ; ceux qui avaient survécu furent trouvésindignes d’être conservés lorsque l’art architectural eut accompli degrands progrès. De l’antique abbaye de Saint-Samson-sur-Risle, quirenfermait des parties du IXe siècle, il ne reste que quelqueschapiteaux conservés au Musée d’Évreux, et des briques ou claveaux enterre cuite ornés de croix et de fleurons destinés à décorer la surfacedes murs et des arcs.

L’abside demi-circulaire de l’ancienne église de Notre-Dame de Ruglesoffre une alternance de pierres de petit appareil et de chaînages debriques. Les églises de Vieux-Pont-en-Auge, d’Ouillie-le-Vicomte, deSaint-Jean-de-Livet, de Saint-Martin-de-la-Lieue (Calvados), de Reuilly(Eure), offrent également de petits appareils carrés ou inclinés,mélangés de briques plates qui sont, selont toute apparence, de laseconde moitié du Xe siècle.

Le XIe siècle fut marqué par une rénovation architecturale à laquelleon a donné le nom de style roman. Cette architecture, fait observer M.C. Enlart, « coordonne, simplifie et développe les éléments que luifournit l’art carolingien… Tout le trésor des formes ornementalesbyzantines dont l’origine remonte aux Perses, aux Assyriens, auxÉgyptiens (art copte), est venu s’ajouter aux éléments romains etfrancs ; et de ces apports si divers, l’art roman a su composer unstyle très homogène et très original. »

Des diverses écoles romanes, celle de Normandie fut la plus précoce etl’une des plus fécondes.

Fidèles au génie de leur race qui en avait fait, sur les bords de laBaltique, un peuple de navigateurs et de charpentiers, les Normandsfurent dans leur nouvelle patrie, de savants constructeurs et desingénieurs habiles. Dès le commencement du XIe siècle, il y eut chezles moines normands comme une fièvre de construction qui ne s’apaisaqu’en élevant partout de vastes basiliques dont l’ampleur robuste nousétonne encore aujourd’hui : Bernay, Jumièges, Saint-Étienne, laTrinité, Saint-Nicolas de Caen, Cerisy, Lessay, le Mont-Saint-Michel,Saint-Georges de Boscherville qui est peut-être l’expression la plusachevée du roman normand. L’austère simplicité de ces architectures estsaisissante. De longues nefs, des piles largement assises et flanquéesde puissantes colonnes, des arcs au profil rudement accusé, desouvertures plutôt rares et étroites, produisent un ensemble d’unemajesté un peu sombre, parfois incomparable. L’ornementation est desplus sommaires ; à peine paraît-on s’en préoccuper à l’extérieur. On laréserve pour les chapiteaux ou quelque étroit bas-relief, plaqué là onne sait pourquoi. Les entrelacs, les inextricables réseaux, lesmonstres hybrides cherchant à s’entredévorer semblent empruntés àquelque boucle de bronze trouvée dans un tombeau franc, ou bien encoreà quelque débris sculpté rapporté des pays scandinaves.

Si nous passons en Angleterre, nous y retrouvons l’architecture romanenormande avec ses dispositions essentielles, son style, sonornementation. Elle y fut introduite, aussitôt après la Conquête, parles moines du Bec et de Caen. Des témoignages contemporains nousapprennent que l’archevêque de Cantorbéry, LANFRANC, voulantreconstruire sa cathédrale, fit venir de Caen, par des bateaux àvoiles, des pierres toutes taillées prêtes à la construction.VAUQUELIN, évêque de Winchester, PAUL, abbé de Saint-Alban, GONDULF,évêque de Rochester, rebâtissent leurs églises à la mode normande. Onattribue même à ce dernier prélat le donjon de Malling, existantencore sous le nom de tour Saint-Léonard, et que l’on regarde commele plus ancien type du donjon anglo-normand. Au nombre des églisesromanes d’Angleterre où l’influence normande se fait plus sentir, nousciterons : Saint-Alban, Winchester et Worcester (cryptes),Waltham-Abbey, Peterborough, Rochester, Durham, Chichester, Gloucester,Landisfarne, Southwell.

On connaît l’étrange aventure des deux fils de Tancrède de Hauteville,ROBERT GUISCARD et ROGER, qui, après trente ans d’une lutte épiquecontre les musulmans de Sicile, finirent par les déloger, et fondèrentun véritable royaume, d’abord comme ducs de Pouille et de Calabre, puiscomme grands-comtes de Sicile. Grâce au merveilleux génie politique decette dynastie étrangère, le royaume des Deux-Siciles fut, durant leXIIe siècle, l’un des plus puissants et des plus prospères de l’Europeoccidentale. Ces rois normands furent de grands bâtisseurs ; mais commele pays qu’ils habitaient était déjà en possession d’une civilisationtrès avancée qui avait ses architectes, ses artistes, ses mosaïstes, iln’est pas surprenant que les monuments les plus remarquables qu’ilsfirent élever, la chapelle palatine de Palerme, une partie de lacathédrale de Messine, l’église et le cloître de Monreale, offrent unecombinaison curieuse d’art occidental, byzantin et arabe. Un seulmonument est bien normand et dû à des ouvriers normands, c’est le choeuret le transept de la cathédrale de Cefalù ; encore est-il à remarquerque cette construction ne remonte pas au-delà du dernier tiers du XIIesiècle.

L’avènement du style gothique, principalement caractérisé par l’emploide la croisée d’ogives, ne s’est pas produit d’un seul coup, mais à lasuite d’essais et de tâtonnements. « Il ne sort pas entièrement dustyle roman, dit M. Enlart, puisqu’il repose sur un élément destructure tout nouveau et sur un principe décoratif tout à faitdifférent ; il peut néanmoins être considéré comme l’aboutissement dustyle roman, puisqu’il apporte la solution des recherches quipréoccupaient les maîtres d’oeuvre romans. » Il n’est donc pas étonnantqu’un grand nombre d’édifices bâtis dans la première moitié du XIIesiècle, c’est-à-dire au moment où l’art se transformait, renferment enquantité presque égale les éléments caractéristiques (arcs, portes,fenêtres) du style que nous appelons roman et de celui que nousappelons gothique.

Telle est la nef de la cathédrale d’Evreux, commencée en 1125, etdisposée, à en juger par la distribution de ses piliers, pour supporterdes croisées d’ogives sur plan barlong ; son ornementation est purementromane. Telles encore plusieurs églises du Calvados : Creully,Ouistreham, Saint-Gabriel, Bernières. Les voûtes ajoutées vers lemilieu du XIIe siècle aux églises romanes de Saint-Étienne et de la Sainte-Trinité de Caen, ainsi qu’à celle de Creully, sontsexpartites, disposition savante, affectionnée par les Normands. Lacathédrale de Durham, élevée de 1093 à 1133, semble aussi avoir étédestinée à porter des voûtes sur nervures. L’école anglo-normandeaurait donc des droits sérieux à l’invention de la croisée d’ogives. Ilconvient toutefois de faire observer que d’éminents archéologues n’ensont pas encore bien convaincus.

La période gothique proprement dite a doté la Normandie de monumentsd’une beauté supérieure. Le premier en date est la cathédrale deLisieux. Construite dans sa majeure partie de 1160 à 1190, elle offre,par la sévère ordonnance de ses colonnes et la belle sculpture dequelques chapiteaux, une certaine analogie avec sa contemporaine lacathédrale de Laon. Nous ferons remarquer que le rond-point del’abside, de style normand, a été rebâti à la suite d’un incendie entreles années 1226 et 1235. Le grand portail et la tour-lanterne sontégalement de ces dernières dates.

Qui n’a été frappé, en entrant dans la cathédrale de Rouen, de lamajesté de l’ensemble, de l’ampleur des proportions, de la variété etde l’imprévu des aspects qui se multiplient à mesure que l’on avancevers l’abside ? Reconstruite dans le premier tiers du XIIIe siècle,elle a compté parmi ses maîtres de l’oeuvre JEAN D’ANDELY, qui en traçaprobablement le plan ; ENGUERRAN, qui y travailla jusqu’en 1214, avantd’élever l’église abbatiale du Bec ; DURAND, dont le nom se lit surl’une des clefs de voûtes de la nef ; GAUTIER DE SAINT-HILAIRE en 1251; JEAN DAVI en 1278, auquel on doit le portail des Libraires, et sansdoute aussi celui de la Calende ; au XIVe siècle, GUILLAUME DE BAYEUX, JEAN DE PÉRIERS, JEAN DE BAYEUX ; au XVe siècle, JEAN SALVART,JEAN ROUSSEL, GEOFFROY RICHIER, GUILLAUME PONTIFZ, l’auteur duravissant escalier de la bibliothèque du chapitre et de la Tour deBeurre. On travailla durant des siècles à cette immense cathédrale deRouen, et c’est précisément cette variété dans les conceptionsarchitecturales, cette habileté toujours soutenue dans l’exécution quiretiennent volontiers la curiosité et l’attention du touriste et del’archéologue.

Saint-Ouen est plus vite vu. Mais quelle impression profonde produitcette simple et claire ordonnance ! Quelle émotion douce et pénétrantese dégage de toutes ces pierres qui semblent chanter quelque hymnereligieux ! « L’édifice, a dit Eug. Noël, de la base au faîte, est dansune perpétuelle vibration ; les bourdonnements s’y promènent, montent,descendent, répétés d’écho en écho. Tout bruit y devient mélodie. »Toutefois, ces lignes architecturales du XIVe siècle finissant ne vontpas sans quelque sécheresse, et les vastes nefs, les chapelleslargement ouvertes n’ont plus le mystérieux recueillement de lacathédrale du XIIIe siècle. Saint-Ouen est en grande partie l’oeuvrede JEAN DE BAYEUX, d’ALEXANDRE DE BERNEVAL, mort le 8 janvier 1441, etde son fils COLIN DE BERNEVAL.

A l’autre extrémité de la Normandie, la cathédrale de Coutances, élevéependant la seconde moitié du XIIIe siècle, présente un caractèred’unité très remarquable. A la logique simplicité de son plan, à lasobriété de sa décoration, elle unit la grandeur et la beauté desproportions. La vue extérieure de l’abside dominée par la tour centraleet les flèches est vraiment superbe. Coutances est certainement lespécimen le plus complet du gothique normand.

Le choeur de Bayeux est plus vaste encore que celui de Coutances et plusdécoré. La nef de Séez, avec ses grosses colonnes aux bases et auxchapiteaux arrondis, est lourde et manque de charme ; par contre, lechoeur, du commencement du XIVe siècle, est d’une élégance et d’unesveltesse surprenantes. A Évreux, le choeur « 1295-1320) est unchef-d’oeuvre par ses proportions harmonieuses, la pureté de ses voûtes,la splendeur de ses vitraux. « C’est, a écrit Gonse, l’un des plusbeaux morceaux de l’architecture gothique en France. »

Resteraient encore à mentionner Les Andelys, ancienne collégiale dupremier tiers du XIIIe siècle, dont on a attribué le plan à JEAND’ANDELY ; Louviers, antérieur à 1230, avec une large nef portée surdes piliers cylindriques et éclairée par de curieuses fenêtres amortiesen trilobe ; le choeur de Saint-Étienne de Caen, construit vers 1200par MAITRE GUILLAUME, et restauré entre 1316 et 1344 ; la charmanteéglise de Norrey ; Saint-Pierre-sur-Dives, qui a conservé un beaucarrelage vernissé de la fin du XIIIe siècle ; dans la Haute-Normandie,Fécamp (1175 à 1225), Eu (1180 à 1230), et l’ancien prieuré deBeaumont-le-Roger (1269).

Les architectes de la région de Caen et de Bayeux ont montré un goûtdécidé pour les hauts clochers de pierre ; n’avaient-ils pas d’ailleurssous la main des matériaux de premier choix ? Dès le XIIe siècle, onvoit apparaître les flèches quadrangulaires d’Allemagne, deSaint-Contest, de Saint-Michel de Vaucelles, de Vienne, de Rosel, deColleville-sur-Mer. Au XIIIe siècle, les flèches deviennent polygonaleset sont flanquées de clochetons et de lucarnes qui complètentheureusement leur silhouette élancée : Bayeux, Langrune, Douvres, Ifs,Ducy, Secqueville, Louvières, Bernières-sur-Mer, Vierville-sur-Mer etsurtout Saint-Pierre de Caen, du commencement du XIVe siècle, le roides clochers normands.

C’est encore au XIIIe siècle, et dans les diocèses de Bayeux et deCoutances, que le gothique normand a déployé le mieux son originalité.« De 1220 à 1230, dit Viollet-le-Duc, nous voyons l’architecturenormande se réveiller et s’emparer du style ogival pour sel’approprier, comme un peuple conquis modifie bientôt une langueimposée pour en faire un patois. » Pour nous autres Normands, ce mot « patois » n’a rien qui puisse nous offusquer ; car de même que notrevieux langage - patois si l’on y tient - a eu sa littérature que l’onétudie aujourd’hui, ainsi l’architecture et la sculpture décorativenormandes, malgré quelques défauts, ont connu des destinées assezglorieuses pour que nous en gardions quelque fierté.

M. Enlart les caractérise ainsi : « L’école normande se distingue del’école de l’Ile-de-France par des formes plus sèches, plus monotoneset systématiques, plus aiguës et plus anguleuses. Le plan rectangulairey est plus fréquent encore dans les chevets des moyennes églises, et ilpersiste dans un certain nombre de flèches de clochers ; les arcsbrisés prennent parfois un tracé excessivement pointu, car les arcslarges et étroits d’une même composition, tels que baies de clochersencadrées d’arcatures, ou fenêtres garnies de meneaux ou remplages,sont souvent tracées avec une seule et même ouverture de compas ; lesfenêtres s’ébrasent intérieurement par ressauts, et les galeries decirculation traversent encore leurs embrasures ; les clochers élevés,couronnés de flèches très aiguës, sont plus fréquents qu’ailleurs ;l’emploi du chapiteau rond sans crochets est perpétuel ;l’ornementation reste en partie géométrique ; on y remarque notammentdes suites de médaillons tréflés ou quadrilobés ; l’ornementationvégétale elle-même a quelque chose de symétrique et d’un peuconventionnel ; elle est généralement empreinte de quelque monotonie ;les feuilles offrent des types particuliers à lobes tout arrondis ; lastatuaire est rare. »

A ces traits on peut ajouter : l’usage à peu près constant destours-lanternes à l’intersection des transepts ; les chapellescirculaires et les tourelles carrées à l’abside ; les immenses fenêtresen place de roses aux transepts et au portail principal ; lamultiplication des moulures aux arcs intérieurs  et extérieurs;l’emploi du cul-de-lampe coudé à la retombée des voûtes ; les tympansdes arcs parfois profondément refouillés en treillis de feuillages etde fleurs (cloître du Mont-Saint-Michel), le double remplagedissemblable des fenêtres du clerestory (cathédrale de Séez).

Ces motifs architectoniques, nous les voyons pour la plupart adoptés etappliqués à outrance en Angleterre, où le style normand avait encoretrouvé, dans le cours du XIIIe siècle, - chose assez étrange - un champd’influence incomparable. On peut citer : York, Ely, Lincoln,Worcester, Salisbury, Beverley, Chester, Wells, Exeter et la grandeéglise de Westminster.

L’ordre de Cîteaux a possédé en Normandie, notamment dans les diocèsesde Rouen et d’Évreux, d’importants monastères. Ce qui en subsisteaujourd’hui à Mortemere, à Bonport, à Fontaine-Guérard, à la Noë, auBreuil-Benoît, construits à la fin du XIIe siècle ou au commencement duXIIIe, nous révèle l’austère simplicité et la noble ordonnance de ceséglises, salles capitulaires, réfectoires, bâtis, il est vrai,conformément aux règles rigoureuses de l’architecture cistercienne,mais par des ouvriers qui avaient su imprimer à leur oeuvre un accentlocal et bien normand. Le Breuil-Benoît se rapproche plutôt du typechartrain, ce qui s’explique par le voisinage..

L’établissement du système féodal et la multiplication deschâteaux-forts sont deux événements corrélatifs. Dès la seconde moitiédu XIe siècle, on voit des châteaux solidement construits en blocage eten pierre succéder aux blockaus de bois plantés sur une motte de terreet défendus par des palissades et des fossés. La forme carrée ourectangulaire de ces nouveaux châteaux est très caractéristique etpersiste jusque dans le XIIe siècle ; c’est celle des donjons duPlessis-Grimoult, du Pin, de la Pommeraye, de Falaise (Calvados), deDomfront, de Chambois (Orne), de Brionne (Eure). A la même époque,l’architecture militaire anglaise s’inspire évidemment de celle de laNormandie ; nous citerons seulement les châteaux de Rochester, deNewcastle, de Richemond, de Douvres, de Norwich, de Hedingham, deConisburgh, de Guildford. Parfois cependant, à la forme carrée onpréfère la forme polygonale, par exemple au donjon de Gisors, bâti parordre de Guillaume Le Roux sur les plans donnés par ROBERT DE BELLESME.Ce château fut agrandi par Henri Ier  et Henri II, et plustardpar Philippe-Auguste. Le Château-Gaillard, dont tout le monde connaîtla position à la fois pittoresque et formidable, fut construit sur unplan très original par RICHARD CoeUR-DE-LION, dans les dernières annéesdu XIIe siècle. Orderic Vital nous a conservé le nom de LANFROI,architecte célèbre, qui éleva le donjon d’Ivri, maintenant détruit.

SCULPTURE ET STATUAIRE

ON a volontiers reconnu aux Normands la qualité de grands bâtisseurs,mais généralement on leur refuse celle de sculpteurs et de statuaires.Cette dernière assertion ne nous paraît pas justifiée.

Il est certain que la Normandie ne peut offrir un ensemble tel queParis, Chartres, Amiens, Bourges et Reims. Néanmoins, dès la fin duXIIe siècle, la cathédrale de Rouen voit ses portes de Saint-Jean-Baptiste et de Saint-Étienne couvertes d’une décorationsculpturale fort riche et d’un dessin très ferme. A Lisieux, certainschapiteaux de la nef, les portes de la façade, les deux enfeus dutransept nord révèlent un goût délicat. Il y avait au portailoccidental de la cathédrale de Séez dix grandes statues datant de 1230à 1240 ; c’était une oeuvre bien normande, à en juger par les caractèresdu monument ; tout cela a malheureusement disparu, sauf les bas-reliefsdu tympan, mutilés eux-mêmes. L’ornementation très fouillée de la portetrilobée de la même cathédrale procède évidemment de Rouen et deLisieux, et se rapproche beaucoup de celle du portail de Bayeux.

Vers 1260 , alors qu’à Rouen on se bornait à mettre en place lesstatues colossales abritées sous les dais des contreforts desbas-côtés, Paris, Chartres, Amiens, Reims avaient peuplé de tout unmonde de statues leurs cathédrales achevées. A Rouen, la façadeoccidentale était seule terminée. Ce n’est qu’en 1280 que l’on conçoitle projet d’élever le portail et la façade des Libraires ; en 1302,on commence le portail de la Calende. « Ces travaux du commencementdu XIVe siècle, a dit Viollet-le-Duc, surpassent comme richesse etcomme beauté d’exécution tout ce que nous connaissons en ce genre àcette époque. Alors la Normandie possède une école de constructeurs,d’appareilleurs et de sculpteurs qui égale l’école de l’Ile-de-France.Le portail de la Calende et des Libraires, la chapelle de la Sainte Vierge de la cathédrale de Rouen sont des chefs-d’oeuvre. » Etle même écrivain ajoute : « Malgré la profusion des détails, la tenuitédes moulures et de l’ornementation, ces portes conservent encore desmasses bien accentuées, et leurs proportions sont étudiées par unartiste consommé ».

La statuaire n’est pas inférieure à cette belle architecture ; lescontreforts des façades, les ébrasements et les voussures des portes,l’encadrement des roses, le gâble lui-même sont constellés de statues.La finesse de l’exécution, l’observation très délicate de la nature,une certaine coquetterie dans la pose, ont remplacé la simplicité unpeu lourde d’Amiens et la sévérité presque farouche de Chartres. ARouen, les plus grandes statues n’ont rien de disproportionné ; lasilhouette un peu maigre est toujours élégante, les draperies sontsavamment disposées, et les traits du visage ont quelque chose de calmeet de pondéré, comme le caractère normand. Il y a au portail desLibraires quelques statues de saintes d’une gravité douce et familièrevraiment charmante. C’est du portail de la Calende et de la sculpturequi le décore que Viollet-le-Duc disait : « Tout cela est exécuté avecune rare perfection, et les statues, qui ne dépassent pas lesdimensions humaines, sont de véritables chefs-d’oeuvre pleins de grâceet d’élégance ».

Si maintenant l’on se demande à quel foyer artistique les imagiersrouennais du XIVe siècle étaient allés réchauffer leur imagination etdemander des idées, on s’apercevra aisément que c’est à Reims, et l’onen trouvera une preuve dans la scène du Couronnement de la Vierge,au-dessus de la rose de la Calende, qui n’est qu’une reproductionréduite et simplifiée de celle du grand portail de Reims.

Il conviendrait de dire ici quelque chose de la statuaire funérairedont la Normandie offre de bons exemples du XIVe et du XVe siècles ;qu’il suffise d’indiquer les effigies tombales deSainte-Marie-aux-Anglais, de Campigny, d’Aunay-sur-Calonne, de la Cambe(Calvados), de Saint-Éloi de Fourques, - GEOFFROY F, abbé du Bec,puis évêque d’Éveux, mort en 1340, curieux type de finesse et debonhomie, bien observé et bien rendu, - d’Étrépagny, de Pont-Audemer,de Fécamp, d’Envermeu, d’Eu, de Valmont. Parmi les nombreuses statuesde la Vierge de cette époque, mentionnons celles de Saint-Nicolas deCoutances, de Saint-Planchers, de Muneville (Manche) ; du Besneray(Calvados) ; d’Écouis, de Bosrobert, de Beaumontel.

C’est entre les années 1390 et 1410 que l’on peut placer la séried’apôtres et d’évangélistes ornant autrefois le choeur de l’abbatiale duBec (aujourd’hui à Sainte-Croix de Bernay). Quelques-unes de cesstatues, par leur carrure puissante, l’ampleur des draperies, l’imprévude la pose, font penser à certaines oeuvres de CLAUX SLUTER et de sonécole ; leur auteur avait dû passer par la Bourgogne. Quant aux autres,traitées dans le goût du XIVe siècle, mais avec un type physionomiquetrès personnel et d’une grandeur un peu sauvage, elles doivent êtreattribuées aux imagiers normands attachés au chantier de la cathédralede Rouen, en pleine activité au commencement du XVe siècle.

En 1407, le maître de l’oeuvre JEAN SALVART reconstruit la partie hautedu portail de Saint-Jean-Baptiste à laquelle travaillent les imagiers JEAN LESCOT et PIERRE LEMAIRE. En 1420, un autre imagier,JEAN LE HUN, exécute pour ce même portail dix-neuf grandes statues ;quelques-unes sont encore en place ; ce sont des apôtres et des évêquesà la pose un peu raide, qui rappellent beaucoup les apôtres du Bec. Legoût des imagiers qui travaillaient à Rouen aux environs de 1420retardait sensiblement sur celui qui dominait en Flandre ou enBourgogne. Cette persistance d’un style traditionnel et vieillis’explique par l’état précaire d’une province où le désarroi causé parla guerre anglaise paralysait et ajournait tout progrès artistique.

La sculpture sur bois a produit durant la période gothique un bonnombre de monuments qui méritent d’être étudiés. Au premier rang, nousplacerons les stalles d’église. Celles de la cathédrale de Lisieuxappartiennent aux premières années du XIVe siècle ; elles sont assezsimples, mais de belle forme. Du dernier quart du même siècle datentles quarante-six stalles de la cathédrale d’Évreux, puisque, d’après le Gallia christiana, le roi assigna aux chanoines, le 17 juin 1377, 200livres d’or « pour refaire les stalles du choeur. » Quant auxquatre-vingt-huit stalles de la métropole de Rouen, elles furentexécutées de 1457 à 1469, sous la direction de PHILIPOT VIART, par unatelier de huchiers normands et flamands. La dépense totale, y comprisle trône de l’archevêque, malheureusement détruit, s’éleva à la sommede 7.673 livres 18 sols 3 deniers. L’ancienne collégiale d’Andelypossède une série de stalles du XVe siècle qui, selon toutevraisemblance, peuvent être attribuées à un huchier andelysien, NICOLASLECHEVALIER, appelé au mois de mai 1466 pour donner son avis sur laconfection des stalles de la cathédrale de Rouen.

Il existe, dans l’église de Bourg-Achard (Eure), autrefois prieuré deChanoines réguliers de saint Augustin, des stalles du XVe sièclesurmontées d’un dais courant que supporte, à chaque extrémité, un largerinceau de feuillages s’enroulant autour de têtes enchaperonnées etquelque peu grotesques. Mais, pour intéressantes que soient cesstalles, elles sont loin de valoir le splendide trône ou siège destinéau célébrant et à ses deux assistants. Les accoudoirs sont terminés parles statuettes des quatre évangélistes, et le haut dossier est ornéd’un quadrillé encadrant des fleurs de lys. Au-dessus du dais, formé detrois gâbles subtrilobés, s’élève un triple fenestrage soutenu par desarcs-boutants et des pinacles d’une extrême légèreté. Cette merveillede l’art du huchier mesure près de six mètres de hauteur, et date despremières années du XVe siècle. Selon M. H. Langlois, elle rappelle lesbeaux trônes ou chaises des monnaies d’or de Philippe de Valois.

CÉRAMIQUE


ON connaît le rôle important de la terre cuite émaillée dans lecarrelage des églises et des châteaux pendant tout le Moyen Age, et iln’est guère de province où l’on n’en retrouve quelques traces. LaNormandie posséda plusieurs centres de fabrication de ces produitscéramiques, notamment la vallée de Bray, dans la Seine-Inférieure, leMolay et le Pré-d’Auge, dans le Calvados.

Le plus beau et le plus complet carrelage du XIIIe siècle qui subsisteaujourd’hui est celui de l’église de Saint-Pierre-sur-Dives. Lesfigures jaunes sur fond noir, ou noires sur fond jaune, représententdes cerfs, des lions, des chimères, des aigles à deux têtes, des fleursde lys, des entrelacs feuillagés du plus beau style ; le dessin généralest concentrique, et les briques sont taillées en claveaux. Pourobtenir le jaune, on avait placé sous la couverte de plomb une couchemince de terre blanche sur la brique rougeâtre ; quant au noir, ilavait été également appliqué après coup. On peut s’en assurer dans lescassures.

Les motifs héraldiques, fleurs de lys, roses, bars, merlettes, ont étéfréquemment employés dans les carrelages ; de même, les dessins enrosaces formés de quatre ou même seize carreaux.

Les briques émaillées furent également appliquées à la décorationtumulaire. Mais si ce mode fut en usage dans d’autres contrées,notamment dans le Beauvaisis, la Basse-Normandie est certainement larégion où la céramique funéraire a laissé les meilleurs spécimens ; ilssortaient de la fabrique du Molay. Le manuscrit 4902 du fonds françaisde la Bibliothèque nationale renferme trois dessins de tombes enbriques émaillées, provenant de l’abbaye de Fontenay et représentant unchevalier, une dame DE BRUCOURT et un prêtre, GUILLAUME DE CROISILLES,mort en 1340. De l’abbaye de Longues proviennent six carreaux de latombe de GUILLAUME BACON DU MOLAY ; le style de l’ornementation et del’inscription décèle le XIVe siècle. D’autres tombeaux de la mêmeépoque existaient à l’abbaye de Hambye ; le Musée d’Avranches en arecueilli quelques briques figurées ; les couleurs employées sont lebrun rouge et le jaune verdâtre sous vernis de plomb.

Le Molay ne paraît pas avoir prolongé sa fabrication de carreauxémaillés au-delà de la fin du XIVe siècle ; le Pré-d’Auge la reprend ausiècle suivant pour la continuer jusqu’au XVIIIe siècle. Les carreaux àdessins bruns sur fond jaune, ou verts sur fond brun-noirâtre, que l’onrencontrait en si grand nombre dans les églises, châteaux et manoirs dela contrée de Lisieux, du pays d’Auge et du Lieuvin sortaient des mainsdes potiers du Pré-d’Auge. Ces artisans firent mieux encore ; ilsimitèrent assez habilement les plats à reliefs de BERNARD PALISSY, etmodelèrent ces superbes épis de faîtage, à la silhouette monumentale,aux jaspures brillantes, que les musées recueillent avec grand soin.

Au XVIe siècle, on fabriqua dans le pays de Bray des carrelages d’untype tout différent, de forme hexagonale ou carrée, et de terre trèscuite et fort dure. A l’aide d’une matrice de bois ou de métal, onimprimait au trait sur la surface, puis on remplissait d’émail bleu ounoir des arabesques Renaissance, des personnages mythologiques en pied,des profils dans un médaillon, qui rappellent le style François Ier ;ces carrelages se rencontrent dans la Haute-Normandie.

Les carrelages de faïence, ou à émail stannifère, sortis des ateliersde MASSEOT ABAQUESNE, de Rouen, sont le produit d’un art déjà avancé etvraiment supérieur. En 1542, ils exécutent le pavage du châteaud’Ecouen, dont les deux compositions principales, Marcus Curtius et Mucius Scevola, sont à Chantilly. Des documents certains nousapprennent qu’ABAQUESNE fit, en 1557, le carrelage du château de laBastie d’Urfé ; on lui attribue encore ceux de Polisy et d’unechapelle de la cathédrale de Langres, et des vases de pharmacie. Leprocédé très perfectionné de la fabrication de ces carreaux, ainsi queleur style, indiquent que des potiers émailleurs italiens travaillèrentdans les ateliers d’ABAQUESNE, comme dans les fabriques de Nevers de lafin du XVIe siècle.

Vers le milieu du XVIIe siècle, un potier du Pré-d’Auge qui avaittravaillé à Rouen, JOACHIM VATTIER, imagina de fabriquer des pavés defaïence à dessins symétriques et revêtus du plus bel émail, blanc,bleu, jaune, vert ou brun ; on les connaissait sous le nom de pavésJoachim ou pavés de Lisieux. Leur vogue fut telle que non seulementles châteaux et les manoirs normands, mais encore le Trianon deporcelaine, détruit en 1685, furent pavés, ou eurent l’intérieur deleurs cheminées revêtu de ces brillants carrelages. Un sieur DUMONTétablit à Rouen, en 1770, une manufacture de pavés dits de Lisieux ;elle fonctionna jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

ORFÈVRERIE

LE trésor des rois anglo-normands était fort riche, au dire ducontinuateur de Guillaume de Jumièges. On connaît le nom de l’un desorfèvres de Guillaume Le Roux, EUDES, auquel il avait donné un poidsconsidérable d’or et d’argent, ainsi qu’une quantité de gemmes et depierres fines destinées au monument funéraire de Guillaume leConquérant. Aux richesses qu’elle tenait de son père Henri Ier,l’impératrice Mathilde avait ajouté celles qui provenaient du trésorimpérial et qu’elle avait apportées d’Italie et d’Allemagne après lamort de son époux Henri V. En 1134, dans une grave maladie dont ellecrut mourir, elle distribua ses trésors à divers monastères normands.Le Bec reçut pour sa part deux couronnes d’or, dont l’une, qui avaitservi au couronnement de l’empereur, et d’un poids si lourd qu’elleétait soutenue par deux verges d’argent fixées au dais du trône, étaitformée de plusieurs plaques articulées, et surmontée d’une croix d’ormassif ; la chapelle, qui comprenait deux calices d’or avec denombreuses pierres fines ; enfin une quantité de reliques renferméesdans des châsses et des phylactères d’or et de cristal.

De toutes ces splendeurs de l’art byzantin, rhénan, anglais et normand,il ne reste, à notre connaissance, qu’une seule épave : une grandecroix-reliquaire, d’argent doré, de la fin du XIe siècle ou ducommencement du XIIe, donnée par Mathilde à l’abbaye du Valasse ;elle est aujourd’hui conservée au Musée d’antiquités de Rouen. La croixest pattée ; à l’intersection des branches est une petite croix d’orornée de perles dans l’oeil des rinceaux ; des filigranes en oraccompagnés de cabochons garnissent les deux faces. La tranche estrecouverte d’un galon, et le revers porte la trace d’une restaurationfaite au XVe siècle.

De l’époque mérovingienne jusqu’au commencement du XIIIe siècle, laforme des châsses à reliques est presque toujours celle des sarcophagesen usage au IVe siècle, c’est-à-dire d’un coffre rectangulairerecouvert d’un toit à deux rampants. Telle est la belle châsse dite de Saint-Avit, en argent estampé, conservée autrefois à l’abbaye de Saint-Nicolas de Verneuil. Les côtés sont décorés de figuresd’apôtres et d’autres saints sous des arcades romanes, et les versantsdu toit, de médaillons encadrant des anges. C’est une oeuvre de la findu XIIe siècle.

La châsse de Saint-Sever, au Musée de Rouen, marque la transitioninsensible des reliquaires romans aux reliquaires gothiques ; ellereproduit déjà le plan d’une église à transept. Le champ est garni delames de cuivre argenté et estampé de rosettes à six feuilles, avec desfiligranes et des cabochons sur les bordures. Cette châsse, qui fitpartie du trésor de la cathédrale de Rouen, fut donnée à la fin du XIIesiècle par un chanoine, DROGON DE TRUBLEVILLE, qui mourut vers 1210.

Au XIIIe siècle, on abandonne le type du sarcophage pour donner auxgrandes châsses la forme d’une église, avec flèche, contreforts, etquelquefois même des bas-côtés. Cette évolution de l’orfèvrerie sousl’influence de l’architecture est beaucoup plus marquée au nord de laLoire que dans le midi de la France. La superbe châsse deSaint-Taurin appartient à ce type nouveau. Une inscription gravée surla bande du plateau inférieur : ABBAS GILBERTVS FECIT ME FIERI, nousapprend qu’elle fut exécutée par ordre de Gilbert de Saint-Martin, abbéde Saint-Taurin d’Évreux, mort en 1255. La châsse de Saint-Taurin a étésouvent reproduite par la gravure.

A cette même époque appartient l’anneau épiscopal de Jean de la Courd’Aubergenville, chancelier du roi saint Louis, et évêque d’Évreux de1244 à 1256 ; il fut trouvé dans son tombeau à la cathédrale d’Évreux,en 1884. L’anneau d’or massif est orné d’une large plaque quadrilobéecouverte de filigranes fleuronnés ; huit petits châtons répartis surles quatre lobes contiennent des grenats et des saphirs. Le centre estoccupé par une grosse topaze. Ce précieux objet est conservé dansl’ancien évêché d’Évreux.

Deux fois dépouillé, par les Huguenots en 1562, puis à la Révolution,le trésor de la cathédrale de Rouen n’a guère conservé de ses anciennesrichesses qu’une jolie monstrance de la fin du XVe siècle. Il possèdeen outre un superbe reliquaire d’argent doré, dit du chef de saintRomain, qui a dû jadis appartenir à l’abbaye de Saint-Ouen. Sur laplate-forme ajourée d’un fenestrage trilobé s’élève la monstrance deforme circulaire dont le pied est surmonté d’un gros noeud de cristal deroche. De chaque côté sont deux anges céroféraires en ivoire. Uneinscription gravée sur la partie supérieure du socle porte les noms desdonateurs et la date de 1340.

On peut voir au Musée d’antiquités de Rouen deux bras reliquaires dontl’un provient de l’église de Saint-Saëns. Un autre bras du XIIIesiècle, en argent repoussé, orné de filigranes et de petits médaillonsniellés, se trouvait à l’abbaye de Saint-Nicolas de Verneuil.

Une ordonnance de Charles-le-Bel, en 1325, avait fixé la demeure desorfèvres de Rouen sur le parvis de Notre-Dame et dans les rues voisines; chose digne de remarque, c’est encore aujourd’hui le quartier préférédes joailliers et des bijoutiers. Les statuts de la corporation desorfèvres furent successivement revisés en 1563, 1654 et 1739. Le Muséede Cluny possède (n° 5101) une table de cuivre reproduisant les marqueset poinçons « des ouvriers de mestier d’orfavrerie de Rouen » ;commencée en 1408, elle renferme cent quarante-six noms. Au Muséed’antiquités de Rouen on conserve une autre lame de cuivre exécutée en1563, avec les noms des maîtres orfèvres et une troisième table,remontant au XVIIe et au XVIIIe siècles, est à l’Hôtel de Ville.

ENLUMINURE DES MANUSCRITS


C’EST dans les antiques monastères de Saint-Ouen de Rouen, de Jumièges,de Saint-Wandrille, de Saint-Évroult, du Mont-Saint-Michel qu’il fautchercher les plus anciens spécimens de la peinture ou enluminure desmanuscrits. L’école monastique normande est plus sobre d’ornements queses voisines de l’Ile-de-France et de la Picardie ; elle affectionneparticulièrement les entrelacs, les lettres dragontines, lesenroulements de feuillages et d’animaux fantastiques : amalgame deformes hybrides probablement importées par les moines anglo-saxons quivinrent en France à la suite d’Alcuin. Elle a encore un goût spécialpour les grandes initiales dessinées à la plume, avec quelques rehautsde couleurs claires.

Certains manuscrits renferment des scènes à personnages ; le dessin ade la dureté, mais l’effet est surprenant et d’une grandeur un peusauvage. Citons une figure de saint Grégoire, accompagnant une copiedes Homélies exécutées au Mont-Saint-Michel ; le saint est dessiné enrouge sur un fond vert. Même parti pris dans un cartulaire du milieu duXIIe siècle provenant de la même abbaye (Saint Michel apparaissant àsaint Aubert ; la princesse Gonnor, femme de Richard Ier, faisant unedonation à Hildebert, abbé du Mont-Saint-Michel), et dans la Chroniquede Fontenelle, du Xe ou XIe siècle (Saint Ansbert avec un moine à sespieds). Ces enluminures sont au trait de plume.

Un groupe fort intéressant de manuscrits anglo-saxons, dont troisproviennent de l’abbaye de Jumièges, est conservé à la Bibliothèque deRouen. Il comprend un missel ou sacramentaire, un bénédictionnairevenant du chapitre de Rouen, un pontifical et un psautier : cesmanuscrits sont du IXe au XIe siècle. Le missel et le bénédictionnairesont ornés d’un grand nombre de miniatures et d’initiales d’un goûtparticulier, anglo-saxon évidemment, mais influencé par les enlumineursitaliens plus accessibles aux réminiscences de l’art antique.

Notons encore, à la Bibliothèque d’Évreux, un psautier du XIe siècle,avec une miniature à pleine page représentant saint Michel terrassantle dragon et, en regard, le premier verset d’un psaume en capitalesrustiques d’or sur fond pourpré. Ce manuscrit provient de l’abbaye deLyre.

La Bibliothèque de Rouen est très riche en manuscrits à enluminures dumoyen âge.

On sait que le fameux missel de JUVÉNAL DES URSINS, exécuté de 1449 à1457 et détruit dans l’incendie de l’Hôtel de Ville de Paris en 1871,avait appartenu à RAOUL DU FOU, évêque d’Évreux, de 1479 à 1511. LaBibliothèque d’Évreux conserve un beau pontifical exécuté pour le mêmeprélat, renfermant trois grandes miniatures et sept petites d’unegrande fraîcheur de coloris et, de plus, un pontifical avec plusieursminiatures, ayant appartenu à l’un des LE VENEUR, évêques d’Évreux(1511-1574). En 1518, un cordelier d’Évreux, frère JÉRÉMIE LOUEL,calligraphiait et enluminait pour son couvent un graduel en troisvolumes in-folio, ornés de quelques grandes miniatures fort belles,malheureusement détériorées par l’humidité.

A cette catégorie des livres liturgiques se rattache le Graduel(Bibliothèque publique de Rouen) exécuté en 1682 pour l’église deSaint-Ouen de Rouen par D. DANIEL D’EAUBONNE, religieux de cemonastère. Cet énorme manuscrit est rempli de miniatures, initiales etbordures, dignes, malgré une certaine lourdeur de dessin, des plushabiles miniaturistes de la cour de Louis XIV.

PEINTURE MURALE

NOUS parlerons ici de la Broderie de Bayeux. C’était une véritabledécoration murale que cette toile de 70 mètres de longueur, que l’ontendait dans la nef de la cathédrale de Bayeux, le 1er juillet, au jourde la fête des Reliques. Exécutée quelques années après la conquête,très vraisemblablement sous l’inspiration de l’évêque de Bayeux, EUDES,frère utérin du roi Guillaume, cette broderie est un inestimablemonument de l’art normand de la fin du XIe siècle.

Il existe sur divers points de la Normandie des spécimens de peinturesmurales dont la rareté relative augmente encore l’intérêt. Le plusremarquable est dans la chapelle Saint-Julien du Petit-Quevilly, prèsde Rouen. Construit vers 1150 pour servir de chapelle au manoir desrois anglo-normands, à Quevilly, ce petit monument aux formes toutesromanes, est voûté sur croisées d’ogives ; les voûtes du choeur, seulessubsistantes, sont couvertes de peintures représentant les scènes de la Vie de Notre-Seigneur encadrées dans de grands médaillons ; lesespaces libres sont occupés par de larges rinceaux de feuillages. « Ledessin est ferme et précis, dit le docteur Coutan, le modelé desfigures souvent remarquable ; il atteint la perfection dans le visagede la Vierge de la Nativité. La palette, où dominent le bleu, le vert,le jaune et le rouge-brun, est d’une harmonieuse sobriété. » Cesintéressantes peintures, auxquelles plusieurs écrivains ont assignécomme date les premières années du dernier quart du XIIe siècle,semblent plutôt des quinze premières années du XIIIe siècle.

A Savigny (Manche), trois scènes (la quatrième a disparu) se voientdans les grandes arcatures de l’abside ; elles figurent des épisodes dela Vie de saint Barbe (commencement du XIIIe siècle). Les couleursemployées sont le rouge-brun, le jaune, le noir et le gris bleuté.

Le choeur et l’abside de Saint-Céneri-le-Gerey (Orne) sont couverts decurieuses peintures du XIVe  siècle, représentant sainteUrsuleabritant ses compagnes sous son manteau, le Pèsement des âmes, despersonnages isolés et des scènes difficiles à déterminer ; la gamme descouleurs comprend le bleu, le jaune, le rouge-brun et le noir.

Au Petit-Andely, la décoration s’étendait au choeur entier, et desfragments importants ont permis de reconnaître un fond rouge avecfleurs de lys noires. A chacun des arcs du triforium correspond unpersonnage, apôtre ou évêque, et au centre de l’abside, Jésus en croixavec Marie et saint Jean ; cette décoration doit dater du XVe siècle.

En 1895, on a découvert dans l’église de Saint-Philbert-sur-Risle(Eure), sous le badigeon qui les empâtait, des peintures murales dumilieu du XVe siècle figurant des scènes vraisemblablement empruntées àla Vie de saint Philbert, abbé de Jumièges. Les fonds teintés d’ocrejaune sont semés de coeurs et de larges fleurons rouges ; lespersonnages, exécutés au trait, ne comportent que deux couleurs, lerouge-brun et le jaune avec rehauts blancs.

Bien plus importante est la curieuse décoration de l’église deFerrières-Haut-Clocher, près de Conches (Eure). Elle comprendtrente-deux scènes disposées sur deux registres, avec inscriptionsgothiques, consacrées à la Vie et au martyre de sainte Christine. Cesintéressantes peintures du commencement du XVIe siècle ont beaucoupperdu de leur valeur artistique par une inepte restauration faite en1781. La vie de sainte Christine occupe les murailles de la nef ; surles murs du pignon occidental, le même imagier a peint, en plus grandesproportions, la populaire légende des Trois morts et des trois vifs.

Mentionnons encore une grande peinture murale, dans l’une des chapellesméridionales de Notre-Dame d’Andely, représentant la Mort de lasainte Vierge ; c’est une oeuvre de la première moitié du XVIe siècle,mais défigurée par une restauration du XVIIIe.

Enfin, citons deux décorations qui pourraient bien être de la main dumême artiste : l’une aux voûtes de l’église de Saint-Jacques deLisieux (1552), l’autre à celles de Saint-Michel de Vaucelles, àCaen, où des médaillons à personnages sont accompagnés d’enroulementset de candélabres d’un beau style rappelant l’ornementation de l’absidede Saint-Pierre de Caen.

FERRONNERIE

QUE l’abondance du minerai dans la région limitrophe des départementsde l’Eure et de l’Orne ait, dès l’antiquité, favorisé chez nousl’industrie du fer : le nom topographique très répandu dans cettecontrée de Ferrières, Ferrariæ déjà cité par César à propos desforges gauloises, magnæ ferrariæ, en est la preuve.

« En Normandie, la fabrication du fer avait donné naissance à unecorporation puissante, celle des férons, à la tête desquels étaientsix barons des plus notables de la province que l’on appelait baronsfossiers, à cause des fosses à minerai qu’ils avaient le droitd’ouvrir sur leurs terres. Trois de ces barons étaient ecclésiastiques,savoir : les abbés de LYRE, de SAINT-ÉVROULT et de SAINT-WANDRILLE, ettrois laïcs : les barons de FERRIÈRES, de la FERTÉ-FRESNEL et deCHAUMONT dans le comté de Gacé. Le siège de la corporation, quicomprenait un nombre considérable d’ouvriers, était à Glos-la-Ferrière,bourg du pays d’Ouche, entre Lyre et la Ferté-Fresnel, et voisin desvilles de Laigle et de Rugles, où le travail des métaux florit encorede nos jours. Les ferrons choisissaient chaque année, en se réunissantdans la chapelle de la Maladrerie de Glos, un juge électif quiconnaissait du fait de la ferronnerie et des poids et mesures employésà peser le travail du fer et à mesurer le minerai et le charbon. Cettejuridiction spéciale a subsisté jusqu’en 1789 » (RAYMOND BORDEAUXSerrurerie du Moyen-Age). Il n’est donc pas étonnant que la Normandieait produit et conserve encore de nombreuses oeuvres artistiques deferronnerie.

Citons d’abord les belles pentures du XIIIe siècle des portes de lacathédrale de Rouen, remarquées par Viollet-le-Duc, César Daly etRaymond Bordeaux. Au Musée d’antiquités de Rouen, on voit quatreadmirables vantaux de fer forgé, du XIVe siècle, qui, dit-on,proviennent de la cathédrale. Du moins, la curieuse porte de fer, de lafin du XVe siècle, qui ferme la chapelle absidale conduisant à lasacristie du chapitre, est toujours à sa place.

La cathédrale d’Évreux possède, dans sa chapelle dite du Trésor, uneoeuvre de ferronnerie des plus importantes. La partie antérieure de lachapelle est close par une sorte de grillage de fer surmonté depiquants et de crochets ; à droite et à gauche s’ouvrent des portesavec tirants ou poignées en fer ciselé. Au milieu, un large avant-corpsen forme de coffre recevait les offrandes des fidèles et une petiteporte grillée s’ouvrant au-dessus servait à l’ostension des châsses etdes reliques. Du haut de la grille part une armature en fer qui va sefixer au pied de la fenêtre et forme une toiture impénétrable.L’armoire du Trésor, placée sur un emmarchement de pierre, occupe toutle fond de la chapelle. Cette originale construction purement gothiquene doit pas être postérieure à 1475.

Plusieurs clôtures en bois des chapelles de la même cathédrale ontconservé des entrées de serrures, des verrous, des tirants ou poignéesde fer ciselé avec découpages flamboyants du travail le plus délicat.Bien que les motifs de décoration soient gothiques, ils ne datent,comme les clôtures, que du premier quart du XVIe siècle.

Il n’y a pas quarante ans, on voyait aux fenêtres des églises de Saint-Germain de Pont-Audemer, de la Neuve-Lyre, des Bottereaux, duParc (Eure), des étançons, ou grilles annelées, couronnés par desfleurons en tôle repoussée et emboutie du plus charmant effet. Sont-ilstoujours à leur place, et l’oeuvre des ferronniers du XVe et du XVIesiècles n’a-t-elle pas été détruite sous prétexte de sottesrestaurations ?

Au XVIIe et au XVIIIe siècles, l’art de la serrurerie était parvenu àune rare perfection. Qui n’a admiré la merveilleuse grille fermantl’entrée de la galerie d’Apollon, au Louvre, et qui provient du châteaude Maisons ? Les grilles monumentales de fer forgé dont JEAN LAMOUR aentouré la place Stanislas, à Nancy, sont probablement le dernier motde l’art de la serrurerie. Celles du choeur de Saint-Ouen de Rouen,placées de 1742 à 1749, ne leur sont guère inférieures, tant pour labeauté du dessin que pour la maîtrise de l’exécution. Toutefois, cen’est pas à un Normand que l’on doit en rapporter l’honneur ; ellessont l’oeuvre d’un maître serrurier de Paris, NICOLAS FLAMBART. Maisc’est bien à des serruriers normands qu’il faut attribuer cesinnombrables grilles seigneuriales, rampes d’escalier, grilles declôture, chaires à prêcher, balcons, poignées et marteaux de portesagrémentés de découpages métalliques, que l’on trouve dans les églisesou les vieux hôtels et les maisons bourgeoises du XVIIe et du XVIIIesiècles, et qui, après avoir échappé aux réquisitions des fabricants depiques de la Révolution, sont - pour combien de temps encore ? - àl’abri de la rapacité des brocanteurs modernes.


RENAISSANCE

BIEN que plus d’une fois troublé par de graves conflits politiques, leXIIIe siècle avait été une période de production presque surhumaine ;puis l’ère des travaux gigantesques était passée. Les malheurs quidésolèrent la France au déclin du XIVe siècle achevèrent de ralentirl’essor des constructions civiles et religieuses. D’autre part, selonla pensée de Viollet-le-Duc, l’architecture perdait de vue peu à peuson point de départ, et la profusion des détails étouffait ladisposition d’ensemble. A la fin du XVe siècle, l’architecture gothiquesemblait avoir dit son dernier mot, et l’extrême habileté desexécutants ne pouvait être matériellement dépassée. Voyons ce que fut,en Normandie, cette architecture à son déclin, et dans quellesconditions s’ouvrit pour elle l’ère de la Renaissance.

Si les constructeurs normands n’ont pas, au XVe siècle, imprimé à leursoeuvres un caractère d’école régionale bien prononcé, du moins ont-ilsfait le plus souvent preuve d’habileté technique et de bon goût. Onpeut citer les églises de : Caudebec-en-Caux, construite en grandepartie par GUILLAUME LE TELLIER, mort en 1484, d’Harfleur, du Tréport,de Saint-Jacques de Dieppe, de Saint-Maclou de Rouen, la nef de Vernon,les transepts et la tour centrale de la cathédrale d’Évreux, leséglises de Conches, du Pont-de-l’Arche, du Neubourg, dont le choeur,comme celui de Caudebec-en-Caux, affecte la forme triangulaire au moyend’un pilier terminal, une partie de Saint-Ouen de Pont-Audemer, leséglises de Saint-Germain et de Saint-Martin d’Argentan, de Notre-Damed’Alençon, de Mortagne, de Saint-Jacques de Lisieux, de Pont-l’Évêque,de Saint-Etienne-le-Vieux et de Saint-Gilles de Caen, la curieuseéglise toute en charpente de Sainte-Catherine de Honfleur, Saint-Pierrede Coutances, le choeur et l’abside du Mont-Saint-Michel.

Avec les premières années du XVIe siècle, on arrive à une période detransition où l’architecture, encore franchement gothique, va subir unetransformation profonde due aux pénétrations de plus en plus actives dela renaissance classique italienne. Mais il ne manquait pas enNormandie de vieux maîtres qui, fiers de leur science acquise et deleurs oeuvres, se défendaient contre les influences d’outre-monts etrésistaient aux séductions de l’esprit nouveau, soutenus en cela par lehaut clergé, évêques et chapitres, qui gardaient leur préférence pourle style traditionnel. Ainsi, à Évreux, de 1500 à 1505, PIERRE MOTEAUconstruit le palais épiscopal sur des données nettement gothiques ;vers 1510, JEAN COSSART bâtit le portail nord de la cathédrale. ALouviers, on commence en 1506 le beau portail méridional. A Gisors, leschapelles du choeur et le transept, plantés en 1497, sont continués etachevés, ainsi que le portail nord, vers 1520, par PIERRE GOSSE etROBERT JUMEL ; tout y est gothique. A Rouen, un architecte inconnu,peut-être ROULAND LE ROUX, élève de 1493 à 1507 le Palais del’Échiquier, aujourd’hui le Palais de Justice, véritable merveilled’architecture, digne de se mesurer avec les plus beaux Hôtels de villede la Belgique. De 1507 à 1514, on refait toute la partie centrale dugrand portail de la cathédrale de Rouen d’après les plans de ROULAND LE ROUX ; l’imagier PIERRE DES AUBEAUX taille au tympan un immense Arbrede Jessé, et d’autres sculpteurs normands, PIERRE DULIS, JEAN THÉROUDE, RICHARD LE ROUX, NICOLAS QUESNEL, DENIS LE REBOURS, exécutentl’énorme et infinie sculpture du portail.

Or, pendant ces mêmes années, de 1502 à 1510, le cardinal d’Amboise, letout puissant ministre de Louis XII, l’ancien concurrent de Jules II ausuprême pontificat, s’était fait construire à Gaillon un vrai palais,l’une des merveilles de la Renaissance, dont certaines ordonnances etla décoration présentaient un caractère très italien. C’était comme uneinauguration officielle du style nouveau. Mais, quoi qu’on en ait dit,ce furent des Français, GUILLAUME SENAULT, PIERRE FAIN et PIERRE DELORME, qui construisirent Gaillon. Si des Italiens furent appeléspour l’ornementation, la sculpture des marbres, les travaux de terrecuite et la peinture, les sculpteurs les plus occupés sont unTourangeau, comme MICHEL COLOMB, ou des Normands comme RICHARD GUERPE,COLIN CASTILLE, PIERRE CORNEDIEU, JEAN DUBOIS. Ne verra-t-on pas unRouennais RICHARD TAURIN, s’en aller plus tard en Italie où iltravaillera aux stalles de Sainte-Justine de Padoue et à celles dudôme de Milan ?

Avec des Mécènes aussi riches et aussi puissants que les deux cardinauxd’Amboise, la Renaissance classique devint vite à la mode ; cela seconçoit. D’ailleurs, l’impulsion se généralisait et venait de partout àla fois. Mais tout en s’ingéniant à créer des formes nouvelles, lesarchitectes prenaient soin de les approprier aux convenances du goûtfrançais ; et ces goûts étaient variés. « On ne bâtissait pas à Caencomme dans la vallée de l’Eure, à Rouen comme à Gisors. Les écoles sontnombreuses et tranchées, ce qui n’a pas lieu d’étonner lorsqu’onconsidère l’étendue de la province. » (L. PALUSTRE).

Nous citerons à Rouen l’admirable Hôtel du Bourgtheroulde, remanié etagrandi de 1520 à 1535, avec ses curieux bas-reliefs représentantl’Entrevue du Camp du drap d’or ; le Bureau des Finances, bâti vers1510 ; l’ancienne Cour des Comptes, datée 1524 ; l’Aître deSaint-Maclou, dont trois galeries furent construites de 1526 à 1533 ;la Voûte de la Grosse-Horloge, en 1527 ; l’Édicule de Saint-Romain,en 1544, et nombre de jolies maisons en pans de bois sculpté. L’une desplus remarquables a sa façade transférée dans le Square Saint-André.

A Caen, le XVIe siècle voit surgir une véritable école d’architectes etde sculpteurs, les BLAISE et ABEL LE PRESTRE, les HECTOR SOHIER et lesinconnus auxquels on doit l’Hôtel d’Écoville, le Manoir desGendarmes, le Château de Fontaine-Henry, etc. Il faut surtoutadmirer l’Abside de Saint-Pierre, oeuvre d’HECTOR SOHIER, commencée en1518 et terminée en 1545, avec ses voûtes si originales, danslesquelles les nervures supportent, au moyen de tympans ajourés, desdalles horizontales qui forment un véritable plafond de pierre.L’extérieur n’a pas moins d’élégance, et les pinacles en candélabres, àbase écrasée et à renflements multipliés, peuvent à bon droit passerpour l’une des meilleures créations de la Renaissance. L’Abside del’église Saint-Sauveur de Caen est également l’oeuvre d’HECTOR SOHIER.

Plus riche encore et plus étonnante est l’ornementation des voûtes del’église de Tillières (Eure), construites de 1543 à 1546 aux frais deGabriel Le Veneur, évêque d’Évreux. Au plafond droit, entièrementcouvert de sculptures ou de blasons accostés de personnages,s’accrochent, au croisement des nervures, des clefs pendantesdélicieusement fouillées où se nichent des figurines en pied. Despendentifs du même genre, soit isolés, soit accompagnés de cartouches àsujets religieux et mythologiques, se retrouvent aux voûtes d’églisesde la région, à Notre-Dame de Verneuil, à Laigle, à Beaumont-le-Roger,à Serquigny.

Pendant le XVIe siècle, Gisors fut le centre d’un mouvement artistiquetrès important. ROBERT GRAPPIN et ses quatre fils, MICHEL, JACQUES,JEAN Ier  et JEAN II, non seulement transformèrent l’église deGisors, mais encore élevèrent ou inspirèrent dans l’Ile-de-France et leVexin français, à Vétheuil, à Magny, à Saint-Gervais, à Montjavoult,une série de constructions originales.

Au nombre des oeuvres caractéristiques de l’architecture religieuse auXVIe siècle, mentionnons encore : la tour centrale, inachevée, deSaint-Jean de Caen ; la tour-lanterne de Saint-Pierre de Coutances,élevée de 1545 à 1580 sur les plans de RICHARD VATIN, GUILLAUME LE ROUSSEL et NICOLAS LAUREL ; les bas-côtés de Saint-Germain d’Argentandûs à GUILLAUME CRÉTÉ et à THOMAS OLIVIER, qui figurent avec le titrede maîtres de l’oeuvre de 1580 à 1598 ; la chapelle de Longni (Orne), de1545 à 1549 ; l’énorme tour de la Madeleine de Verneuil, élevée aucommencement du XVIe siècle par des ouvriers venus de Rouen et amenéspar ARTHUR FILLON, chanoine de Rouen, ancien curé de la Madeleine ; lestours de Laigle et de Rugles, qui paraissent avoir été construites parles mêmes ouvriers ; le portail nord de Notre-Dame des Andelys, leportail occidental de la cathédrale d’Évreux, celui de Conches, et levaste choeur de Beaumont-le-Roger.

Moins nombreux peut-être, mais tout aussi intéressants sont lesmonuments civils de la Renaissance. Nous avons parlé de ceux de Rouen ;signalons pour terminer ceux dont s’enorgueillit à juste titre la citécaennaise. L’Hôtel d’Écoville, « l’une des merveilles de Caen, onpourrait dire de la France entière », - c’est un mot de Palustre, - aété bâti de 1532 à 1538, par un architecte demeuré inconnu et dont lamain se retrouve tout près de là à l’Hôtel de Duval de Mondrainville,à l’Hôtel des Monnaies et dans le gros pavillon du château deFontaine-Henry. Quant aux châteaux de Lasson, près de Caen, et deChanteloup, dans la Manche, on y reconnaît le style très particulierd’HECTOR SOHIER. Nous nous reprocherions de ne pas au moins mentionnerle château d’Auffay, si original avec ses appareils variés de silex etde briques, ceux d’Angerville-Bailleul, de Mesnières(Seine-Inférieure), vaste et imposante construction élevée de 1540 à1546, de Lion-sur-Mer (Calvados), de Tourlaville (Manche), auquel sesmatériaux rebelles au ciseau, le schiste et le granit, ont imprimé uncaractère d’étrange sévérité.

SCULPTURE

SI la sculpture française de la Renaissance a produit quantité d’oeuvresremarquables, la Normandie est en droit d’en revendiquer sa bonne part; à elle seule, la cathédrale de Rouen renferme deux monuments quisuffiraient à donner la plus haute idée des artistes normands du XVIesiècle. L’un est le Tombeau des cardinaux d’Amboise, admirableouvrage de ROULAND LE ROUX, qui conserve la richesse originale decomposition de l’école française, mais où l’on sent déjà l’influenceitalienne dans quelques ornements ; l’autre est le Tombeau de Louis deBrézé, d’allure plus classique auquel Jean Goujon a peut-êtretravaillé, et dont il a donné, croyons-nous, le plan et l’ordonnance,du moins pour la moitié inférieure.

JEAN GOUJON avait créé un type féminin, à la pose noble et gracieuse,aux draperies légères et comme mouillées qui laissent aux corpsqu’elles voilent toute l’élégance de leurs formes. Ce type fut adoptéavec enthousiasme et souvent reproduit. Les six statues cariatidesplacées au Portail nord de Notre-Dame des Andelys peuvent compterparmi ce qu’il y a de plus parfait à cette époque. « Ces statues sontadmirables, a écrit L. Palustre, et le sculpteur qui les a dégagées dela pierre, avec leur ferme attitude et leur physionomie résignée, semontre évidemment tourmenté du désir de marcher sur les traces de JEAN GOUJON. Les draperies dont il enveloppe ses types féminins font surtoutsonger au maître, car par une heureuse inspiration, un peu de diversitéa été introduite dans ce genre de supports, et tandis que d’élégantesjeunes filles se dressent au flanc des deux portes, des statuesd’hommes sont placées sous le grand arc extérieur. »

Le Moyen-Age, dont la statuaire fut si noble et si expressive, s’étaitcontenté du bas-relief quand il avait eu à représenter quelque scèneévangélique ou légendaire ; il n’avait guère osé grouper des figures degrandeur naturelle. Plus hardi et plus dégagé de la tradition, l’art dela Renaissance fit une heureuse innovation en établissant dans leséglises ces Mises au tombeau d’un caractère si grandiose et sitouchant. On en voit à Eu, au Tréport, à Dieppe, à Caudebec. Gisors enpossédait une avant la Révolution ; elle fut détruite, comme le groupedu Trépassement de la Vierge, exécuté de 1511 à 1513 par PIERRE DES AUBEAUX, aidé de trois autres imagiers, PIERRE LE MONNIER, MATHURIN DELORME et JEAN DE ROUEN. En 1536, NICOLAS COULLE sculptait les statuescolossales des Douze apôtres et de Notre Seigneur que l’on voit surles flancs de la tour septentrionale, et un peu plus tard, les statuesdes sept Vertus, de saint Gervais, de saint Protais, de saintLuc et de sainte Anne. Enfin, JEAN GRAPPIN taillait, en 1542, lesfigures qui garnissent les voussures du grand portail.

La construction de la tour de la Madeleine à Verneuil-au-Perche avaitamené la création d’un important atelier de sculpteurs venusprincipalement de Rouen. Dès le commencement du XVIe siècle, ilsexécutent la Mise au Tombeau de Notre-Seigneur dans l’église de laMadeleine, et pour l’église de Notre-Dame de Verneuil, un saintChristophe, oeuvre nerveuse et vibrante, qui rappelle Albert Dürer etl’école allemande. L’accent est plus original et plus français dans lessuperbes statues de sainte Suzanne, de saint Denis, de saintMartin, de saint Jacques, de saint Joseph ; le drapé y est traitéd’une façon excellente. La petite église de Blandey, à quelques lieuesde Verneuil, possède une Vierge de pitié, une statue d’Évêque et un saint Louis en costume François Ier  qui sortent du mêmeatelier. Il est fait mention, dans un registre de confrérie de laparoisse de Notre-Dame, à l’année 1558, d’un GABRIEL LHOSTE « tailleurd’images », qui pourrait bien être l’auteur de plusieurs statues enbois, conservées dans les églises de Verneuil, et qui portentl’empreinte d’un même ciseau.

La Mise au tombeau de Notre-Seigneur à Notre-Dame de Louviers neremonte pas au-delà des premières années du XVIe siècle ; quant auxapôtres (1520 à 1530) adossés aux murs de la nef, ils offrent plutôt unintérêt de curiosité. Certains se ressentent de l’influence de l’Italiedu Nord ; le drapé abondant et tourmenté, les attitudes tragiques, lestêtes violemment contournées font penser, sous des exagérationsmaladroites, aux terres cuites de Mazzoni et de Begarelli.

Nous signalerons en terminant une oeuvre de la fin du XVIe siècle d’unetout autre valeur : le groupe de la Mise au tombeau, que l’église duGrand-Andely a recueillie après la destruction de la Chartreuse deGaillon, fondée en 1571 par le vieux cardinal de Bourbon. Il y a dansle Christ mort une souplesse si vraie et dans ses traits une majesté sisereine, dans la sainte femme debout portant des parfums une tellegrandeur, dans le groupement et la pose des personnages tant d’aisanceet de noblesse qu’il faut bien sentir là la pensée et la main d’unmaître. Mais ce maître, quel est-il ? Jusqu’à ce jour on l’ignore.

SCULPTURE SUR BOIS

L’ART du bois n’a pas encore trouvé son historien. L’amateur délicat,auteur de ce « propos », a donc été bien inspiré en prenant la plumepour en faire l’étude en France durant le XVIe siècle ; le chapitrequ’il a consacré à la Normandie est des plus suggestifs. C’est que «dans cet épanouissement de la Renaissance, la Normandie a une partexceptionnelle » (E. BONNAFFÉ). L’art du bois fut patronné, à l’égal dela sculpture monumentale, par ce grand seigneur de goût raffiné que futle cardinal Georges d’Amboise. Des vingt et un menuisiers - tousFrançais - que l’on voit travailler à Gaillon, le plus en évidence estCOLIN CASTILLE, maître menuisier de la cathédrale de Rouen et deSaint-Ouen ; il taille, avec ses confrères RICHART GUERPE, RICHART DELAPLACE et PIERRE CORNEDIEU, les admirables stalles de la chapellehaute de Gaillon, conservées à Saint-Denis.

La région d’Évreux et de Saint-André a fourni de nombreuses boiseriessupérieurement traitées, paraissant appartenir à une même école.

En réalité, il y eut dans l’Évrecin deux générations de ceshuchiers-menuisiers. A la première, on doit les clôtures encoregothiques des chapelles de la cathédrale d’Évreux, exécutées dans lesvingt-cinq premières années du XVIe siècle, et à la seconde, les autresclôtures, purement Renaissance et de la plus riche facture, ainsi quele plafond de la tribune des orgues. La présence sur le siège épiscopald’Évreux, de 1511 à 1575, de deux membres de la puissante famille LeVeneur de Tillières suffirait à expliquer cette abondante productiond’oeuvres d’un art à la fois somptueux et délicat. C’est encore del’atelier d’Évreux que sont sortis : la clôture des fonds baptismaux deBretagnolles, formée de colonnettes ciselées supportant un baldaquindécoré de figurines et d’arabesques ; les boiseries de l’église deChavigny ; les stalles de l’ancienne abbaye de la Noë, aujourd’hui àOrmes et au Plessis-Sainte-Opportune ; la chaire à prêcher de Vézillon; les vantaux du portail méridional de Notre-Dame de Louviers, donnésen 1528 par Jean Le Grand, abbé de Saint-Taurin d’Évreux ; la chairepriorale et les stalles de l’église de Goupillières, que le prieurRichard Amiot fit faire en 1532 pour son riche monastère de Notre-Damedu Parc.

Les importantes boiseries formant lambris et clôture au-dessus desstalles d’Écouis doivent avoir été faites par quelques-uns des nombreuxhuchiers que l’on voit travailler à Rouen, vers 1510, et exécuter entreautres travaux les boiseries de l’église Saint-Vincent de cette ville.A Gisors, les portes de la façade nord peuvent bien remonter à l’année1520 ; dans les panneaux inférieurs, on sent déjà l’influence italienneaux arabesques, et aux têtes antiques se profilant dans une couronne delaurier ou chapeau de triomphe. Quant aux portes de l’églised’Aubevoye, située à peu de distance du château des cardinauxd’Amboise, elles sont datées 1547 ; on y reconnaît aisément les motifsempruntés aux écoles de Gaillon et d’Évreux.

Par contre, c’est à l’école d’Alençon ou de Caen qu’il faut rattacherles stalles à hauts dossiers qui ornent le choeur de l’église deSaint-Pierre-sur-Dives, et qui furent exécutées par les soins de l’abbéJacques de Silly (1502-1539).

Toutes ces oeuvres de la hucherie normande, où règnent le médaillon etl’arabesque, sont caractérisées par la fermeté de l’exécution etl’expression dramatique des figures. Cette vigueur est due en grandepartie à la résistance du bois de chêne sur lequel travaillaient nosmenuisiers. Cette essence, d’un aspect sévère, aux fibres longues, seprête moins que celle du noyer aux caresses de l’outil dans lesquellesse complaisaient les artistes du Midi. Vers la seconde moitié du XVIesiècle, le style en usage sous le règne de François Ier subit unetransformation, et les huchiers empruntent, pour leurs meubles,certaines formes architecturales des édifices de JEAN BULLANT, dePIERRE LESCOT et de PHILIBERT DELORME. La vogue est alors auxcartouches contournés, aux ornements antiques, cannelures, acanthes,oves, rais de coeur ; la figure humaine en cariatide ou en pied, lebas-relief, les mascarons décorent, avec une richesse parfoisexubérante, les oeuvres du bois de 1545 à 1580.

On a dit et répété que les fameuses Portes de l’église Saint-Macloude Rouen étaient l’oeuvre de JEAN GOUJON ; un écrivain prétendait mêmeavoir retrouvé, en 1842, une quittance signée du grand artiste etmentionnant son travail aux portes de l’église. Malheureusement,personne n’a jamais pu voir le rare parchemin. D’autre part, on saitque GOUJON quitta Rouen à la fin de 1542 ; et comme les portes ont ététerminées au plus tôt en 1552, il y a tout lieu de croire qu’il n’y apas travaillé ; mais il a bien pu donner des plans et des croquis. Entout cas, c’est le style de JEAN GOUJON que l’on retrouve, à la portede gauche, dans ces figures en très bas-relief de l’arrière-plan quirappellent, d’une façon si troublante, les nymphes de la fontaine desInnocents. Quel qu’en soit l’auteur, les Portes de Saint-Macloudemeureront à jamais un chef-d’oeuvre hors de pair d’un artisteprobablement normand.

Nous signalerons encore le riche buffet des orgues de Notre-Dame desAndelys, daté 1573 ; la tribune des orgues de Sainte-Croix de Bernay; les belles stalles de Lonlay, contemporaines de François Ier ; cellesde Saint-Jacques de Lisieux ; les stalles et les clôtures duchoeur  de Carentan ; à Valognes, les portes historiées, lesstalles et chancels du choeur avec leurs colonnes fuselées et leurspanneaux à trophées, datant des environs de 1545.

En 1531, ROBERT PISSOT, menuisier-imagier, fait les stalles deNotre-Dame d’Alençon ; il meurt en 1546 ; ses fils et ses parentsforment une véritable dynastie qui travaille dans les églises d’Alençonet de la région durant tout le XVIe siècle. Un maître huchier de Caen,JACQUES LEFEBVRE, achève en 1588 les stalles du choeur de Bayeux, oeuvrequi ne mérite pas sa réputation ; puis il se rend en Angleterre, où ilest fort employé par la reine Élisabeth.

VITRAUX

POUR le peintre-verrier du XIIe et du XIIIe siècles, comme aux yeux dumaître de l’oeuvre, le vitrail fait partie intégrante du planarchitectural, et la décoration transparente ne remplit son but qu’à lacondition de se relier étroitement à la décoration peinte des murailleset des voûtes, qu’elle vient accentuer et réchauffer de ses ondeslumineuses. Alors, le vitrail ne joue pas le rôle d’un tableau, maisd’une mosaïque translucide, à laquelle les sertissures du plomb donnentune vigueur et un relief que la lumière du jour eût absorbés. Ainsis’expliquent les harmonies de ces colorations à la fois rayonnantes etprofondes qui caractérisent les merveilleuses verrières de Chartres, deBourges, du Mans, de Sens, de Troyes, de Reims. Si l’on veut se faireune idée adéquate du rôle du vitrail dans les églises du XIIIe siècle,qu’on aille à la Sainte-Chapelle de Paris : architecture, peinturesmurales, pavage, vitraux, tout ici est conçu et exécuté dans une unitéparfaite.

Les vitraux du XIIIe siècle sont assez rares en Normandie. Lacathédrale de Rouen en possède, au pourtour de l’abside, cinq de laplus grande beauté ; on dirait des pierres précieuses en fusion. L’unest signé Clemens vitrearius Carnutensis fecit. On attribue à ceCLÉMENT la verrière légendaire de Saint-Martin, de la cathédralechartraine. Évreux conserve un certain nombre de verrières de la fin duXIIIe siècle ; Lisieux n’en a gardé que deux ou trois ; Coutances plusriche en possède une vingtaine, dont quelques grisailles.

Du XIVe siècle on peut citer la splendide vitrerie du choeur d’Évreux,datée par les effigies et les blasons des donateurs ; on y remarquerales dais d’architecture, et déjà l’emploi des fonds d’étoffesdamassées, si richement diaprées au siècle suivant ; Les Andelys, avecune belle grisaille ; Coutances et Carentan.

Du XVe siècle, les vitraux d’Évreux, de Bernay, de Verneuil-sur-Avre,de Caudebec-en Caux, d’Aumale, de Bayeux, de Saint-Lô. La vitrerie deSaint-Ouen de Rouen est l’une des plus considérables qui soient, maiselle est assez médiocre. Pour l’ordinaire, la décoration consiste enpersonnages isolés, entourés d’un motif d’architecture couronné d’unpinacle. En outre, l’abus du verre blanc dans les fonds enlève auxvitraux de Saint-Ouen beaucoup de leur valeur artistique.

La Renaissance apporta une révolution dans l’art du vitrail. Loin de sepréoccuper du monument auquel leur oeuvre était destinée, les verrierscomposèrent dans leurs ateliers de véritables tableaux, avec des effetsde clair-obscur, des fonds de paysage ou d’appartement, si bien que leverre n’était plus que la matière subjective de la peinture, comme latoile ou le bois dans la peinture à l’huile. Toutefois, grâce à leurentente de la perspective et à leur prodigieuse habileté, les verriersde la Renaissance nous ont laissé des oeuvres admirables.

Dans ce partage, la Haute-Normandie est de beaucoup la plus favorisée,sans doute à cause de son voisinage du Beauvaisis et de sa puissanteécole de verriers. Nous pouvons citer : à Saint-Vincent de Rouen :le Triomphe de la Vierge, 1515, la Vie de saintJean-Baptiste, 1525,les oeuvres de miséricorde, 1530, par ENGRAND et JEAN LE PRINCE, la Vie de saint-Pierre et un superbe fragment du Jugement dernier ; àSaint-Patrice : l’Annonciation, 1538, laLégende de saint Eustache,1543, le Triomphe de la loi de grâce ; à Saint-Godard : la Vie desaint Romain, 1555. A Saint-Étienne d’Elbeuf : la Chasse de saintHubert, 1500, l’Arbre de Jessé, 1523, la Vie de saint Pierre,1540. A Blosseville-ès-Plains, la Vie de saint Lézin, 1546. ACaudebec-en-Caux, la Femme adultère, 1532 ; et d’autres beaux vitrauxà Valmont, 1552, à Monville, 1527-1529, à Villequier où est représentéun combat naval.

Dans l’Eure, à Gisors : la Légende de saint Claude et celle de saintCrépin et saint Crépinien, 1530, la Vie de la Vierge, superbegrisaille, 1545, le vitrail des Quatre saints, de ROMAIN BURON. AuGrand-Andely, trente-cinq vitraux jouissant d’une célébrité méritée,notamment : la Légende de Théophile, la Vie de sainte Clotilde, la Vie de Saint-Léger, la Vie de saint Pierre, QuatreApôtres, signés ROMAIN BURON. A Conches : la Cène, 1546, le Divin pressoir,1552, la Manne, le Triomphe de la Vierge, 1553, et les septsplendides verrières du choeur, principalement consacrées à la Vie desainte Foy, où les verriers français ont fait de curieux emprunts àdes estampes d’Albert Dürer, d’Aldegrever et de Dirk van Staren. APont-Audemer : la Vie de saint Nicolas, la Vie de saint-Honoré,1536, la Loi de grâce, 1556. A Beaumont-le-Roger, à Serquigny, àBernay, à Pont-de-l’Arche, il y a de très intéressants vitraux du XVIesiècle. Dans le Calvados, à Saint-Jacques de Lisieux, la Légende desaint Jacques, 1527, la Grande prostituée de Babylone ; àPont-l’Évêque, à Falaise. Dans l’Orne, à Saint-Martin d’Argentan, desverrières d’un style très serré et d’un chaud coloris ; à Alençon, le Passage de la mer Rouge, 1535 ; PIERRE et MICHEL FORMENTIN y ontexécuté les meilleurs vitraux de 1530 à 1555 ; à Laigle, la Légende desaint Portien, et le beau vitrail de saint Hubert.

On a parfois tenté une classification des vitraux normands de laRenaissance ; mais les rapprochements de style, de facture, de colorisqu’on a pu faire, si fondés et si ingénieux qu’ils soient, nepermettent pas encore de tirer des conclusions d’ensemble suffisammentétablies.


LE XVIIe SIÈCLE

MOINS souple, moins raffinée qu’au XVIe siècle, l’architecture du XVIIesiècle emprunte cependant à la Renaissance ses formes essentielles ;mais en voulant les simplifier et les unifier, elle leur donne de lalourdeur et de la monotonie. Le style Louis XIV rachète ces défauts parle caractère de noblesse et d’imposante grandeur qu’il imprime à sesmonuments : le Val-de-Grâce, les Invalides, la Porte Saint-Denis, lacolonnade du Louvre, le château de Versailles.

Décimée et appauvrie par les guerres du dernier tiers du XVIe siècle,la noblesse normande répare ses pertes sous le règne de Henri IV et deLouis XIII, et elle reconstruit ses châteaux sur des plans souventgrandioses. On peut citer ceux de Chambray, près de Damville(1600-1615), de Fumichon, d’Ouillie-du-Houlley, du Mesnil-Guillaume ;sous le règne de Louis XIII, les châteaux de Cany, de Balleroy (1626),de Brécourt, de Beaumesnil (1633-1640), de Lantheuil, du Robillard àLieuray ; de Familly, de Mailloc, de la Motte-d’Acqueville, de Torigny,le palais épiscopal de Lisieux, construit en grande partie sousl’évêque Philippe de Cospéan (1635-1646). Enfin, sous Louis XIV, leschâteaux du Champ-de-Bataille (1686-1700), d’Esquay, d’Harcourt-Thury,de Versainville, de Flamanville (1654-1660), de Laigle (1690), l’ancienlogis abbatial de La Croix-Saint-Leufroy (1650), l’Hôtel del’Intendance, à Alençon (préfecture), l’Hôtel de Brilly, àPont-l’Évêque (sous-préfecture). A l’époque de Henri IV et de LouisXIII, la brique se mêle agréablement à la pierre en bossages, réservéepour les angles, l’encadrement des fenêtres et des lucarnes, et lescheminées monumentales.

Le XVIIe siècle est l’époque où les Bénédictins de la Congrégation deSaint-Maur relèvent leurs monastères et leur donnent d’amplesproportions : Saint-Étienne et la Trinité de Caen, Bernay, Fécamp,Saint-Wandrille, Lessay, Saint-Martin de Séez et, plus tard, Le Bec, oùtravailla le célèbre architecte-sculpteur frère GUILLAUME DE LA TREMBLAYE, et Saint-Ouen de Rouen, reconstruit par DE FRANCE.

Quelques églises remarquables datent du XVIIe siècle : la chapelle desJésuites de Rouen (1615), aujourd’hui du Lycée, et celle de Caen(1684), Notre-Dame ou la Gloriette ; la chapelle du séminaire des Eudistes, à Évreux (1685), aujourd’hui la Cour d’assises ; l’égliseSaint-Romain de Rouen (1679), ancienne chapelle des Carmes déchaussés; l’église des Prémontrés de Mondaye ; le portail de Notre-Dame duHavre, la tour de Saint-Germain d’Argentan (1640) ; la tour nord dugrand portail de la cathédrale d’Évreux, commencée en 1606.

SCULPTURE

SOUS l’influence du goût italien et par l’effet de la centralisationartistique opérée par LE BRUN, la sculpture tend à devenir purementacadémique et savante ; la plupart des artistes s’en vont travailler etétudier à Paris et à Rome. C’est la fin des écoles provinciales sortiesdu Moyen-Age et de la Renaissance.

Des deux fils du menuisier eudois, HONORÉ ANGUIER, l’aîné, FRANÇOIS(1613-1669), après avoir fait son apprentissage à Abbeville dansl’atelier de MARTIN CARON, entre à Paris chez le sculpteur SIMON GUILLAIN, passe en Angleterre et, de là, va à Rome ; à son retour àParis, il exécute, en 1651 et 1652, le mausolée d’Henri deMontmorency et de sa femme, pour la Visitation de Moulins et, plustard, ceux du président de Thou et de sa femme, et du duc de Rohan, auxCélestins de Paris. La statue de Gasparde de la Châtre, seconde femmedu président de Thou (aujourd’hui à Versailles), est une oeuvre d’unevaleur exceptionnelle. MICHEL ANGUIER, son frère (1614-1686), quitte Euà l’âge de quinze ans et va à Rome étudier sous la direction del’Algarde. Au bout de dix ans, il rentre à Paris où la reine-mère et leroi font appel à son talent, déjà célèbre.

JEAN DROUILLY, né en 1641, à Vernon, où son père était menuisier,quitte tout jeune sa ville natale et va à Paris. Lorsqu’en 1664, ilexécute un crucifix pour l’église de Vernon, il est constaté qu’ildemeure à Paris, paroisse Saint-Paul. Florent le Comte dit « qu’il futun des bons sculpteurs de la communauté des maîtres dont il passa lescharges de bonne heure ». Devenu sculpteur du roi, il fit plusieurstravaux pour Versailles, notamment une statue allégorique en marbre deLouis XIV, le Poème héroïque, et deux grands vases destinés auxjardins. DROUILLY mourut, jeune encore, en 1698.

Par contre, le goût fastueux et avisé d’un ami du surintendant Fouquet,Claude Girardin, appelle PUGET en Normandie. En 1659 et 1660, ilexécute pour le château de Vaudreuil deux groupes en pierre de Vernonde dimensions colossales, Hercule terrassant l’hydre de Lerne et Cybèle couronnant Janus. Nous eûmes, en 1882, la bonne fortune dereconnaître et de signaler à l’attention du public le premier de cesgroupes, abandonné depuis la Révolution dans un champ à La Londe ; ilfait l’un des plus beaux ornements du Musée de Rouen.

Les oeuvres de cette qualité sont rares. A des degrés divers, onpourrait encore citer le tombeau en marbre avec la statue priante dupremier président Claude Groulart, mort en 1607, et celle couchée deBarbe Guiffard, sa femme, placés depuis 1864 dans la chapelleSaint-Étienne de la cathédrale de Rouen. Au Musée de Bayeux, lesstatues couchées de Jacques-André de Sainte-Croix, mort en 1637, et deMarie Davot, sa femme, morte en 1628. On possède le marché par lequelPIERRE LEFAYE, « sculpteur demeurant à Caen », s’engage à faire,moyennant la somme de 75 livres, la statue de Marie Davot ; cet acteest du 8 mai 1628. Une belle statue de marbre à genoux se voit dansl’église de Vernon : c’est celle de Marie Maignart de Bernières, femmed’Alphonse Jubert, sieur d’Arquency, morte en 1610, à l’âge devingt-trois ans. A Saon (Calvados), dans la chapelle seigneuriale, unremarquable tombeau surmonté des statues couchées de Robert d’Avayne,mort en 1616, et de Jeanne d’Aché, sa femme. L’église d’Aubigny, prèsde Falaise, a recueilli six statues de gentilshommes priants, autrefoisplacées dans une chapelle particulière ; elles sont en pierre du payset d’une très belle conservation. Elles représentent divers membres dela famille Raven de Morell d’Aubigny, morts de 1592 à 1673. Nousignorons le nom des sculpteurs auxquels on doit ces effigies, commecelui de l’auteur de la statue en marbre d’Henri de Matignon, mort en1682, conservée au Musée de Vire.

SCULPTURE DÉCORATIVE

SOUS ce titre, nous rangerons parmi les oeuvres dignes d’être étudiées :l’autel majeur de Sainte-Croix de Bernay, provenant de l’abbaye duBec, oeuvre colossale en marbre de Guillaume de la Tremblaye, avec unestatue de l’Enfant Jésus dans la Crèche, qui est une réplique ou unecopie de celle que MICHEL ANGUIER fit en 1662 pour le Val-de-Grâce ;le couronnement du tabernacle de l’église de Gaillon, groupe en marbreformé de trois têtes d’anges, de la fin du XVIIe siècle ; les hautsrétables de bois doré ou peint, à colonnes vitéennes et à frontonsbrisés, que l’on rencontre dans beaucoup d’églises normandes, notammentà la chapelle de la sainte Vierge de la cathédrale de Rouen, àSaint-Nicaise et à Saint-Vivien, à Pont-de-l’Arche, à Saint-Nicolas dePont-Saint-Pierre, au Petit-Andely, à Thiberville, à Drucourt, etc. ;la chaire de la cathédrale d’Évreux (XVIIe siècle), les stalles et lesboiseries de l’église de Mortagne (Chartreuse du Val-Dieu), celles dePont-de-l’Arche (abbaye de Bonport), les boiseries et les meubles del’église d’Authouillet (Eure), de la fin du XVIIe siècle ; le chancelet les lambris de l’église d’Écouis (seconde moitié du XVIIe siècle).Cette liste est nécessairement très incomplète.

PEINTURE

C’EST aux Andelys que naquit, en 1594, NICOLAS POUSSIN, le plus grandnom de la peinture française. On dirait que cet événement a portébonheur à la province, car depuis ce temps les Normands ont cultivé lapeinture avec succès, souvent avec maîtrise. On sait que les premièresleçons de dessin furent données à Poussin par un peintre picard,QUENTIN VARIN, né vers 1575, et qui, se trouvant aux Andelys pendantl’année 1611, peignit pour l’église collégiale trois tableaux que l’ony admire encore aujourd’hui : le Regina coeli, le Martyre de saintVincent et le Martyr de saint Clair. Ces toiles dénotent untempérament de coloriste ; elles révèlent aussi une science réelle dansla composition ; l’élève pouvait donc mettre à profit les leçons d’untel maître. Nous ne suivrons pas POUSSIN dans ses pérégrinations, àtravers ses oeuvres ; les unes et les autres sont connues. Ses meilleurstableaux sont au Louvre, - ou en Angleterre et en Espagne. Sa provincenatale est infiniment moins riche, étant, par malheur, venue trop tardau partage. Depuis 1832, Les Andelys sont en possession d’une admirabletoile, Coriolan vaincu par les prières de sa mère, où l’on retrouveles plus parfaites qualités du maître. Au Musée de Rouen se voit lefort beau tableau Enée venant chercher les armes que lui donne Vénus,acheté en 1864 sur les indications d’Alfred Darcel. On y expose, enoutre, sous le nom de POUSSINsaint Denis couronné par un ange, dontl’authenticité est quelque peu contestée. Il en est de même au sujet dela Mater dolorosa du Musée de Cherbourg, et l’accord ne s’est pasfait sur la valeur de cette attribution. Plus heureux, le Musée de Caenpossède une oeuvre bien authentique de Poussin et de sa meilleuremanière, la Mort d’Adonis. « Le corps d’Adonis, dit L. Gonse, est unemerveille de dessin, de sentiment et de coloris. » Toutefois, letableau a un peu poussé au noir. POUSSIN mourut à Rome en 1665. Lecaractère de son talent a été fort justement apprécié par Ph. deChennevières : « Toutes les vertus de l’art particulières au génie dela France, a-t-il dit, la simplicité, la sobriété dans la force, lanoblesse dans la grâce, la clarté dans la conception, et « le jugementpartout », ces vertus, le Poussin les possédait dans leur plénitude etil les a poussées à leur plus haut point ; il les a comme incarnées enlui. »

POUSSIN avait un cousin, PIERRE LE TELLIER, - né à Vernon en 1614, mortvers 1700, - qui était allé à Rome et s’était mis en tête de marchersur les traces de son parent ; il le suivit d’assez loin, ce dont ilest fort excusable. Le Musée de Rouen garde de lui une vingtaine detoiles représentant des sujets religieux, notamment les Adieux desaint Paul et de Silas (1680), Saint Joseph portant l’Enfant Jésus(1665), le Nunc dimittis, qui assurent à Le Tellier une placedistinguée dans l’école française, par son style simple et noble et labonne ordonnance de ses personnages ; mais le coloris est généralementfaible.

Moins savantes peut-être, mais plus attrayantes sont les compositionsde JEAN DE SAINT-IGNY, né en 1590, l’Adoration des bergers etl’Adoration des mages, grandes grisailles datées 1636, au Musée deRouen ; celles d’ADRIEN SACQUESPÉE (1620-1692), le Martyre de saintAdrien (1659), Saint Bruno en prière, Chartreux ensevelis sous laneige, du même Musée, Saint Mathurin exorcisant une possédée, àl’église Saint-Ouen, la Glorification de saint François de Sales, aucouvent de la Visitation ; ou encore celles de JEAN NICOLLE(1614-1650), la Reine de Saba, Sainte Mélidone, dans l’église de laCroix-Saint-Leufroy, et la Vie de sainte Clotilde, au Musée desAndelys. SAINT-IGNY et NICOLLE se plaisent à revêtir leurs personnagesde costumes Renaissance ou Louis XIII. Tous ces articles n’étaient pasde grands maîtres, du moins ils savaient peindre.

JEAN JOUVENET est un vrai maître, un robuste exécutant, un ardentcoloriste, une sorte de Rubens normand. Jamais mieux il ne déploya sespuissantes facultés qu’en peignant le plafond du Palais de Justice deRennes, le Triomphe de la religion, ou dans la Descente de croix,la Résurrection de Lazare, la Pêche miraculeuse, du Louvre ;néanmoins, les vingt-trois toiles du musée de Rouen, notamment le Charde Phaëton, les esquisses des Douze apôtres, l’Annonciation, le Portrait de l’abbé de Séraucourt et, plus encore, la Mort de saintFrançois d’Assise, font le plus grand honneur au peintre rouennais.

Son neveu, JEAN RESTOUT le fils (1692-1768) a peint une Présentationau temple habilement composée, mais d’un coloris un peu pâle ; du mêmepeintre, le Musée de Rouen garde encore l’admirable portrait d’un Jeune Chartreux de Gaillon, daté 1735, morceau plein de vie et defraîcheur. Les Restout, comme les Jouvenet, étaient légion ;contentons-nous de mentionner EUSTACHE RESTOUT, religieux prémontré deMondaye, mort en 1743 à l’âge de quatre-vingt-huit ans, qui couvrit lesmurs de son église de vastes toiles, - originaux et copies, - non sansmérite.

Le Musée de Caen conserve trois toiles du Caennais BLAIN DE FONTENAY,né en 1654, mort en 1715, que l’on a surnommé le peintre des fleurs ;la plus remarquable est un Portrait de jeune femme attribué à ANTOINE COYPEL, mais entouré d’une abondante guirlande de fleurs que BLAIN DE FONTENAY a signée. Avant de quitter le Musée de Caen, signalons unextraordinaire Portrait d’un magistrat, plus chassieux qu’Horace,mais admirable d’effet et criant de vérité ; ce chef-d’oeuvre est deROBERT TOURNIÈRES, né près de Caen en 1669.

TAPISSERIES

L’ART de la tapisserie est un art somptuaire, c’est-à-dire riche etcoûteux, réservé pour la décoration des palais, des cathédrales et deschâteaux ; On ne le voit prospérer que là où quelque mécénat s’exerce :à Arras, à Bruges, à Bruxelles, à Florence, à Ferrare, à Fontainebleau,à Paris ; les plus grands artistes sont appelés à fournir les cartons.Il n’est pas étonnant que la plupart des oeuvres des hauts-lissiersoffrent une grande valeur artistique. Les trop rares séries conservéesdans quelques églises de Normandie, pour lesquelles elles avaient étéfaites, méritent donc quelque attention.

Jusqu’à la Révolution, l’église de Saint-Vincent de Rouen fut enpossession d’une suite de quarante-six pièces de tapisseries données àla fabrique entre les années 1598 et 1644. Elles figuraient la Légendedu martyr saint Vincent, ou des scènes de la Vie de Notre-Seigneur,et devaient provenir d’ateliers flamands. Cette église ne possède plusque huit pièces dont quelques-unes n’appartiennent même pas à cesséries.

Pendant l’octave de la Fête-Dieu et à certaines autres solennités, lespiliers de la cathédrale de Rouen sont tendus de fort bellestapisseries d’Aubusson, du XVIIe siècle, représentant des scènes de la Vie d’Esther, de la parabole de l’Enfant prodigue, de la Vie desaint Pierre et de saint Paul et de saint Grégoire le Grand. Cespièces, d’une bonne conservation, sont d’une grande vivacité de coloris.

L’église de Notre-Dame de Vernon, autrefois collégiale, est décorée desix vastes tapisseries d’un grand intérêt ; elles représentent lessujets suivants : 1° Castitas Honorata in Josepho ; 2° MisericordiaCoronata in Marciano ; 3° Innocentia indicata in Daniele ; 4° Humilitas exaltata in Rudolpho ; 5° Pacis Infula Proemium inAmbrosio ; 6° Est sua virtuti Merces, est Triumphus. Les tapisseriesde Vernon sont de la première moitié du XVIIe siècle, et doivent sortirdes ateliers d’Aubusson ou de Felletin.

Il n’était pas rare, aux XVIe et XVIIe siècles, de voir des tapissierstransporter leurs métiers dans les villes éloignées et y travaillerpour des couvents ou de riches particuliers. C’est ainsi que troisgrandes tapisseries, appartenant aux Ursulines de Caen et figurantl’Embarquement et le Martyr de saint Ursule, et un Paysage,portent les curieuses signatures : Faict par moi Pierre Dumon. - L.-C.Feye. P. - La Champagne Feye ; et sur le paysage : Faict à Caen, l’ande grâce 1659. - Faict par moi Jean Colpart, tapissier du Roy. Ce JEAN COLPART était sans doute parent d’ANTOINE COLPAERT, originaire deFlandre et habile tapissier, que Fouquet employa à la décoration deVaux-le-Vicomte. Quant à LA CHAMPAGNE LAFAYE, il était originaire deCaen, comme le prouve la signature que l’on voit à deux tableaux peintspar lui, dans l’église Saint-Vivien de Rouen, la Pentecôte et le Nunc dimittis. Le Musée de Caen possède de LA CHAMPAGNE LAFAYE unecopie signée du Martyre de saint André, de Simon Vouet.

Gisors vit également se dresser, mais pour peu d’années seulement, unmétier de haute-lisse. En 1703, un ancien ouvrier de la manufacture deBeauvais, ADRIEN NEUSSE, d’Audenarde, obtint du magistratl’autorisation d’y établir une manufacture de tapisserie dehaute-lisse, « pour le bien du public ». En 1708, l’artiste offrit à laville le Portrait de Louis XIV, qui orne aujourd’hui le Musée deGisors. A partir de ce moment, nous perdons ses traces.

CUIRS DORÉS

IL est certain que l’Espagne fabriqua de très bonne heure des cuirsdorés appelés d’abord guadamaciles d’Espagne, cuirs de Cordoue, -parce qu’ils étaient fabriqués par les Arabes à Cordoue, - puis orbasané ; la fabrication n’en cessa guère qu’à la fin du XVIIIe siècle.Quand les cuirs dorés furent mis à la mode au XVIe et au XVIIe siècles,on en fit en Italie, en Angleterre, en Flandre et en France. Vers 1603,Henri IV établissait des manufactures de cuirs dorés aux faubourgs deSaint-Honoré et de Saint-Jacques. Leur usage était des plus variés ; onen faisait des devants d’autel, des garnitures de coffres, de chaiseset de fauteuils, des tentures d’appartement ; leurs couleursbrillantes, les ornements et les figures peintes faisaient une forteconcurrence aux verdures de tapisserie. l’hôtel Detancourt, àRouen, construit au commencement du XVIIe siècle, contenait une vastesalle dont les murs lambrissés étaient ornés d’une suite de panneaux,de deux mètres de hauteur sur un mètre de largeur, de cuir doré etpeint représentant les héros de l’ancienne Rome, Scevola, Curtius,Coclès, etc., d’après des gravures de Goltzius ; six de ces panneauxsont aujourd’hui au Musée de Cluny. Le baron Davillier les supposait defabrication espagnole ; M. Ch. de Beaurepaire les croit plutôtd’origine rouennaise, et ce qui donne du poids à son assertion, c’estl’existence à Rouen de manufactures de cuir doré. Un contrat de mariageest passé, le 4 juillet 1684, entre Jeanne Carré et JEAN DELPERGAT,peintre tapissier en cuir doré, demeurant à Rouen, paroisseSainte-Croix-Saint-Ouen, fils unique de feu JEAN DELPERGAT, bourgeoisde Rouen, aussi peintre tapissier en cuir doré, et de Jeanne Parent. Onnote que Jeanne Parent s’était remariée avec un autre tapissier en cuirdoré, JEAN JOURDAN, domicilié sur la paroisse Saint-Hilaire de Rouen.De plus, le compte des marguilliers  de Saint-Maclou de 1675mentionne le paiement fait aux sieurs VINANT VAN HOMONEM et FRANÇOIS LE COULTRE d’une somme de 31 livres, pour le cuir doré mis à lacontre-table du grand autel de cette église. Vinant van Homonem etDelpergat sont des noms étrangers, ce qui porte à supposer que lafabrication du cuir doré fut introduite à Rouen par des ouvriersespagnols ou flamands. Du reste, le passage d’un plan de mémoire surles manufactures du royaume, manuscrit autographe de Colbert, publiépar P. Clément, est décisif sur la question : » Protéger et gratifierles faïenciers de Rouen et des environs et les faire travailler àl’envy. Leur donner des dessins et les faire travailler pour le Roy. Idem des tapisseries de cuir doré qui se font à Rouen.


LE XVIIIe SIÈCLE


CHACUN, lorsqu’il est question de l’art du XVIIIe siècle, songe à unart élégant, précieux, tout d’intimité, un peu mièvre, plus féminin queviril, et fait pour un monde dont la vie se passe à la cour ou dans lessalons ; et les noms de Boucher, de Watteau, de Fragonard, de Pigalle,de Clodion, de Roettiers, de Gouthières, de Cressent, de Riesener seprésentent d’eux-mêmes à l’esprit pour personnifier l’art parisien sousLouis XV et Louis XVI.

En province, cet art est avant tout cossu et bourgeois, conservant sousson luxe joli quelque préoccupation utilitaire ; mais il n’en faudraitpas conclure que la distinction lui fait défaut. Si l’ameublement, lesétoffes, l’orfèvrerie, l’horlogerie, la faïence subissent alors uncomplet renouvellement, il n’est que juste de reconnaître que lesartistes, célèbres à divers degrés, qui travaillent à cette adaptation,font preuve d’un goût affiné et d’une grande habileté technique.

Il existe encore en Normandie bon nombre de châteaux ou d’ancienshôtels que la noblesse, la finance, la riche bourgeoisie s’étaient faitconstruire dans le cours du XVIIIe siècle. Ces architectures sont, pourl’ordinaire, assez simples d’aspect ; le luxe était réservé pourl’intérieur. C’est là que se voyaient les larges escaliers de pierreaux rampes monumentales en fer forgé, et, dans les salons, lesfauteuils aux fûts contournés, garnis de tapisseries de Beauvais auxcouleurs gaies et claires, les consoles gracieusement tarabiscotées,les commodes ventrues aux bronzes ciselés, les superbes lambrissagesaux frontons fleuris ou en rocaille, comme on en voit un admirablespécimen à la Bibliothèque publique d’Alençon (ancienne bibliothèque dela Chartreuse du Val-Dieu), et les tableaux de notre ancienne écolefrançaise. Quelques familles nobles ont pieusement conservé leursportraits d’ancêtres, souvent signés de noms illustres : PHILIPPE DE CHAMPAGNE, NATTIER, RAOUX, à Chambray, près Damville ; SAMUEL BERNARD,QUENTIN DE LA TOUR, HEIM, HERSENT, à Glisolles ; RIGAUD, GÉRARD,INGRES, à Broglie.

PEINTURE

SI, à l’époque où nous sommes arrivés, la liste des peintres normandsest longue, par contre il n’y a plus de grands noms à enregistrer :POUSSIN et JOUVENET sont morts ; GÉRICAULT n’est pas encore né.Toutefois, la patrie de POUSSIN demeure fidèle à son culte de lapeinture, à l’École académique de dessin, peinture, sculpture etarchitecture de Rouen, dirigée de 1741 à 1791 par JEAN-BAPTISTE DESCAMPS et qui compta jusqu’à trois cents inscrits, maintient lestraditions artistiques et forme d’excellents élèves. D’autres vont àParis se former près des maîtres en renom.

Il convient de signaler : FRANÇOIS JOUVENET (1686-1749), dont le Muséede Caen possède le Portrait de François Romain, architecte dominicain; PIERRE LÉGER (1658-1749), le Rachat des captifs, à Saint-Léger duBourg-Denis, le Rosaire, au Grand-Andely ; JEAN MAUVIEL l’Ouverturede la porte sainte à Rome, en 1700, à Saint-Ouen de Rouen ; HUBERT DROUAIS (1699-1767), Portrait du peintre Christophe, et du sculpteur Robert le Lorrain ; JEAN-BAPTISTE DESHAYS (1729-1765), trois scènesdu Martyre de saint André, la Charité romaine, au Musée de Rouen ;ÉTIENNE LAVALLÉE-POUSSIN (1740-1765), Élisée multipliant l’huile de laveuve ; CHARLES LE CARPENTIER (1750-1822), une Marine ; CHARLES LEMONNIER (1743-1824), la Mission des apôtres, Louis XIV inaugurant leMilon de Crotone de Puget, et, à la cathédrale de Lisieux, six grandesscènes de la Vie de saint Pierre et de saint Paul ; MICHEL HUBERT-DESCOURS (1707-1775), la Résurrection de Notre-Seigneur, dansl’église de Breteuil, la Descente de croix et le Portrait de Mme deTicheville, - un chef-d’oeuvre, - à l’Hospice de Bernay ; le chevalierSIXC (1704-1780), peintre attitré des ducs de Bouillon, Portrait duprince et de la princesse de Turenne, la Prédiction de saintJean-Baptiste, à Évreux, étrange tableau où l’on voit, dansl’auditoire du Précurseur, les membres de la famille Bouillon encostumes du temps.

SCULPTURE

PARMI les sculpteurs, on ne peut citer que GUILLAUME COUSIN, né àPont-Audemer en 1706, mort en 1783 ; élève de NICOLAS COUSTOU et dePIGALLE, il travaille à la décoration du palais royal de Stockholm.FRANÇOIS LE MASSON, né à la Vieille-Lyre (Eure), en 1745, élève en 1768la Fontaine monumentale de Noyon, fait la sculpture du palais dugouvernement à Metz ; auteur du Tombeau de Vauban aux Invalides ; ilmeurt en 1807. NICOLAS JADDOULLE, né à Rouen en 1736 mort en 1805,exécute un grand bas-relief, la Charité, pour la Madeleine de Rouen,en 1777, et une Statue de Henri IV, en 1782 (détruite), JADDOULLEs’était acquis une certaine réputation dans sa ville natale ;néanmoins, ce ne fut point à son talent que le Chapitre fit appel pourla décoration du jubé construit en 1775 ; il s’adressa à CLODION quisculpta, en 1777, la belle statue en marbre de sainte Cécile, avec lebas-relief figurant son Martyre et, en 1785, le grand Crucifix deplomb doré. La statue de la Vierge et le bas-relief de la Mise autombeau sont de FÉLIX LECOMTE.

IVOIRERIE

IL est possible que l’art de l’ivoirerie ait été pratiqué à Dieppe dèsle XIVe ou XVe siècle, et qu’on y ait sculpté des triptyques, descrosses, des coffrets, des manches de dagues, etc. Ces oeuvres ne sontconnues que par la renommée, et la preuve absolue n’a pas été faite. AuXVIIIe siècle, on fabrique à Dieppe des montures d’éventails, des râpesà tabac, bonbonnières, boîtes à mouches, navettes, etc.

Si l’on en croit Guillet de Saint-Georges, MICHEL ANGUIER, né à Eu, pasbien loin de Dieppe, aurait travaillé de 1652 à 1668, pendant sesloisirs, à un beau crucifix d’ivoire de 22 pouces de hauteur. Parmi lesDieppois qui ont taillé l’ivoire, on cite : MICHEL MOLARD, quitravaillait à la fin du XVIIe siècle ; DAVID LE MARCHAND, mort en 1726; les CRUCVOLLE père et fils, sculpteurs de crucifix, qui vivaient sousLouis XV ; LE FLAMANT, dont parle Bernardin de Saint-Pierre en 1775 ;COINTRE, qui sculptait des gueux et des mendiants ; JEAN-ANTOINE BELLETESTE, célèbre par ses rondes-bosses, et son élève CLÉMENCE, morten 1831 ; CROQUELOIX, DAILLY, MEUGNOT, auteur de nombreuses statuettes,mort en 1842, BLARD, PIERRE GRAILLON. A l’Exposition de 1855, Dieppeétait encore représentée par quatorze ivoiriers.

CÉRAMIQUE

LES faïences de Rouen furent une des manifestations les plus parfaitesde l’art céramique. Inaugurée en 1644 par le privilège royal accordé àNICOLAS POIREL, sieur de Grandval, cette fabrication à laquelle prirentpart, à l’origine, des ouvriers italiens, prospéra entre les mainsd’EDME POTERAT ; au XVIIIe siècle, son importance s’accrut et durajusqu’à la Révolution. On classe ordinairement les produits de lafaïence de Rouen en six groupes principaux ; 1° Décor bleu, influenceitalo-nivernaise ; 2° Décor bleu à lambrequins et à broderies ; 3°Décor bleu rayonnant, ou en bleu et rouille ; 4° Apogée de lafabrication, décor bleu avec fonds ocrés à niellures noires ouviolacées ; 5° Décor chinois polychrome, pagodes ; 6° Décor rocaillepolychrome, cornes d’abondance, carquois, scènes galantes.

VERRERIE NORMANDE


ON a vu que, dès l’époque romaine, le territoire qui devint laNormandie possédait des verreries. Celles de la forêt de Lyons étaienten pleine activité au XIVe siècle : La Haye, 1302 ; le Londel, 1360.D’autres furent établies au XVIe et au XVIIe siècles :Martagny-en-Lyons, 1520 ; Gast, 1532 ; Varimpré, 1573 ; Rouen, 1598 ;Courval, 1623 ; Grande-Vallée, 1640 ; Tourlaville, 1652 ;Beaumont-le-Roger, 1678. Quatre familles nobles, dites famillesverrières, BROSSARD, CAQUERAY, BONGARS et LE VAILLANT, auxquelles leprivilège des verreries normandes avait été accordé pendant leMoyen-Age, les exploitèrent jusqu’à la Révolution. Sous le nom degrosse verrerie, on comprenait le verre à vitre, dit verre en plat ou àférule, et les bouteilles ; sous celui de petite verrerie, les verresde table, carafes et ouvrages de verre blanc. Au XVIe siècle, lesverreries de Rouen et des environs fabriquaient des grains dechapelets, perles, boutons et autres menus objets de couleur et, ausiècle suivant, des bouteilles ou flacons pour l’eau, le vin de tableet le cidre, des aiguières à casque, des huiliers, des salières, desflambeaux, des coupes à fruits confits, et des verres à pied de formesdiverses ; ces pièces ne sont généralement décorées ni par les émaux,ni par la gravure. Les verres très minces, du profil le plus élégant,étaient appelés verres de fougère, parce qu’on y employait descendres de fougère.

DENTELLES

DÈS le commencement du XVIIe siècle, on faisait à Alençon de ladentelle à l’aiguille, et des contrats de mariage, des partages desuccession nous apprennent que les femmes y gagnaient parfois dessommes importantes. Aussi, lorsque Colbert y établit, en 1665, unemanufacture royale de dentelles avec trente maîtresses ouvrières qu’ilavait fait venir de Venise, le pays était en mesure de fournird’habiles dentellières pour exécuter les dessins donnés par Bérain etLe Brun. Alençon avait la spécialité des réseaux très réguliers, maisun peu grands, que l’on remplaça par la maille fine du réseauAlençon, connu partout comme le plus joli type de la maillehexagonale. En 1738, Argentan avait son point, où le grand et lepetit réseau étaient habilement mariés ; c’est un des meilleurs genresde dentelles. Les manufactures de Bolbec, d’Eu, de Dieppe, de Fécamp,étaient très prospères au XVIIIe siècle, et Thomas Corneille dit queles dentelles du Havre étaient recherchées. La fabrication de ladentelle noire aux fuseaux, affectionnée par Mme de Maintenon, aprèsavoir fait la fortune de Chantilly et de la contrée environnante, s’esttransportée en Normandie, autour de Caen et de Bayeux, et a pris auXIXe siècle un développement considérable, tout en parvenant à un degréde perfection qu’elle n’avait jamais atteint aux époques précédentes.

BIJOUX NORMANDS

UNE catégorie de bijoux, d’un caractère très particulier, eut unegrande vogue en Normandie au XVIIIe siècle et même durant la premièremoitié du XIXe siècle. Ces bijoux normands d’or ou d’argent sefabriquaient à Saint-Lô, à Caen, à Alençon, à Bernay, à Lisieux, àRouen et comprenaient des croix bosse, avec bossettes au repoussé enpointes de diamant ou avec pierres taillées, surmontées d’un coeur oud’un noeud en coulant ; des croix plus petites dites jeannettes ; des esclavages ou colliers avec chaînes ou avec plaques rectangulaires etfermoirs ciselés ou émaillés ; des boutons de chemises et de longuesépingles à tête à facettes, ou à plaques découpées en filigranes, oubien encore ornées de fleurs en émail ; des châtelaines, de largesagrafes de pelisses, des boucles de jarretières et de souliers. Lesaint-esprit, le plus riche des bijoux normands, était un pendant decol figurant une colombe tenant au bec un rameau entouré de rinceaux enfiligranes et surmontée d’un noeud accompagné de nervures filigranées.Ces bijoux, suspendus à un ruban de velours noir qui tranchait sur unegorgerette blanche ou un fichu de Jouy, étaient constellés de petitespierres transparentes, à facettes, parfois serties sur paillon decouleur, et connues sous le nom de diamants d’Alençon. Odolant-Desnosleur a consacré le curieux passage suivant : « Les orfèvres d’Alençonmettent proprement en oeuvre des cristallisations connues dans le publicsous le nom de diamans d’Alençon ; ces cristallisations sont d’unecouleur plus ou moins enfumée ; quand on veut, on leur donne le blancen les mettant, avec du suif, dans un creuset à feu modéré. Comme ellesse trouvent plus abondamment dans les carrières du Hertré et duPont-Percé que dans les autres carrières de granit, on les connaîtaussi sous le nom de diamants de Hertré ».

ARMOIRES NORMANDES

A L’ÉPOQUE de la Renaissance, on fabriquait en Normandie - et ailleurs- des meubles à deux corps avec la partie supérieure en retrait.C’étaient des oeuvres de luxe, somptueusement sculptées, souvent ornéesd’incrustations de marbre. Simplifiés et adaptés à des usages plusvulgaires, ces cabinets devinrent, sous Louis XIII et Louis XIV, desbuffets de salle à manger. Quant aux armoires à linge, en bois dechêne, fort recherchées de nos jours où l’on aime à les transformer envitrines et en bibliothèques, elles procèdent, au point de vue de laconstruction mais non du style, des hautes armoires droites à doublevantail que les Boulle incrustaient de cuivre et d’écaille. Les plusanciennes armoires normandes, celles de l’époque de Louis XV et LouisXVI, sont aussi les plus remarquables et les plus soignées ; lasculpture est profondément refouillée, les moulures filées avec unerégularité parfaite. Le fronton, de forme cintrée ou droite, abritesoit deux colombes se becquetant sur l’autel de l’amour, soit unecorbeille de fleurs ; le milieu des vantaux est orné de cartouches oumédaillons avec trophées se rapportant tantôt à l’agriculture (fruits,gerbes, râteaux, bèches), tantôt au mariage (carquois, torches, fleursnouées), à l’occasion duquel ces armoires étaient le plus souventconfectionnées.

Sous le Directoire et au commencement du XIXe siècle, - car lafabrication de ces armoires s’est poursuivie pour la clientèle descampagnes jusqu’au-delà de 1830, - l’exécution est beaucoup moinssoignée ; la sculpture manque de relief, et l’art est ordinairementabsent de ces productions vulgaires, uniquement intéressantes par lapersistance d’un type fidèlement copié, mais souvent mal compris.


LE XIXe SIÈCLE

S’IL est vrai que la tranquillité publique est l’une des conditionsessentielles à la pratique et à l’expansion des arts, il fautreconnaître que la Révolution ne dut guère faciliter leur essor : lespensées et les aspirations étaient ailleurs. Il y eut l’art Louis XVI,l’art du Directoire et du Consulat : on n’a pas encore classé l’art dela Révolution, - de 1791 à 1796.

A Paris et dans les grandes villes, l’art officiel est occupé et assezlargement pourvu : en province et dans les petits centres, il n’en vapas de même. Ne voit-on pas, à Bernay, Descours le fils, qui peignaitavec un certain succès des tableaux et des portraits, réduit, pourmettre d’accord son talent et son patriotisme, à peindre sur lestambours de la garde nationale les emblèmes de la liberté ?

Lorsque DESCAMPS mourut en 1791, son fils tenta de reprendre ladirection de l’École de peinture de Rouen et recueillit quelques élèves; DE CHAUMONT lui succéda. En 1828, la nomination dudessinateur-archéologue HYACINTHE LANGLOIS donna aux études une viveimpulsion, continuée par GUSTAVE MORIN qui, de 1838 à 1844, admit à sescours près de treize cents élèves.

Si nous jetons un regard sur les peintres normands qui se sont acquisune légitime célébrité durant la première moitié du XIXe siècle, nouspouvons nommer :

ROBERT LEFÈVRE (Bayeux, 1756-1830) ; JACQUES NOURY (Carpiquet,1747-1832) ; JOSEPH DUCHESNE (Gisors, 1770-1856) ; HYACINTHE LANGLOIS(Pont-de-l’Arche, 1777-1837) ; THÉODORE GÉRICAULT (Rouen, 1791-1824) ;DÉSIRÉ COURT (Rouen, 1797-1865) ; LOUIS MALBRANCHE (Caen, 1790-1838) ;

GEORGES LEFRANÇOIS (Caen, 1805-1839) ; FRANÇOIS MILLET (Gréville,1814-1875) ; CHARLES CHAPLIN (Les Andelys, 1825-1890) ; GUSTAVE MORIN(Rouen, 1809-1886) ; ANTOINE MOREL-FATIO (Rouen, 1810-1871) ; THÉODULE RIBOT (Saint-Nicolas d’Attez, 1823-1891). Et parmi les sculpteurs :ÉTIENNE MÉLINGUE (Caen, 1807-1875) ; AUGUSTE LECHESNE (Caen, 1815-18..); LE HARIVEL-DUROCHER (Chanu, 1816-1878) ; ARMAND LE VÉEL (Bricquebec1821-18..).

Nous ne parlerons pas des vivants : ils sont légion. Il suffira pours’en convaincre de parcourir la liste des artistes normands quiexposent chaque année aux divers Salons et ont reçu des récompenses.


CONCLUSION

LES caractères distinctifs et la valeur propre de l’art normand serattachent à des oeuvres trop variées, comme à des siècles trop divers,pour qu’on puisse les envelopper dans un jugement commun ou les fairetenir dans une formule unique. L’art n’est-il pas une choseessentiellement variable ? On a dit que l’art est le reflet de l’étatgénéral des esprits et des moeurs, l’expression matérielle des goûtsdominants d’une société. Or, ces goûts changent avec le temps. Aussibien, qui pourrait reconnaître la race normande ardente et batailleusedu XIe siècle dans la bourgeoisie riche et la noblesse raffinée de laRenaissance ? Quels rapprochements établir entre les seigneurs féodauxdu Moyen-Age et les fermiers-généraux ou les parlementaires du XVIIIesiècle ? Il convient donc de procéder par époques, si l’on veut, àtravers les âges, saisir les aspects vrais de l’art en Normandie.

Lors de la conquête romaine, le Gaulois n’avait pas d’art proprementdit, mais il s’empressa d’adopter et de s’assimiler la civilisationtrès avancée de ses vainqueurs. Le Franc en conserva quelquestraditions et en sauva les débris à travers la période mérovingienne etcarlovingienne, et c’est peut-être à cet appoint gallo-romain, sifaible qu’on le suppose, joint à l’apport plus actif des racesscandinaves, que le Normand doit le rang qu’il a occupé dans l’artroman.

Les architectes du temps de Guillaume le Conquérant et de HenriIer,  c’est-à-dire les maçons, moines ou laïques, qui ontélevéles églises de Bernay, de Jumièges, de Saint-Étienne et de la Trinitéde Caen, de Saint-Georges de Boscherville, étaient des constructeurs depremier ordre, créant des formes architecturales d’une grandesimplicité, mais d’un goût accompli. Si l’école d’Auvergne a plus devariété, celles du Poitou et de la Saintonge plus de richesse, nullen’a atteint la grandeur austère et imposante de l’école normande.

Il n’est pas étonnant que la Normandie s’attarde, jusqu’après le milieudu XIIe siècle, au roman qu’elle affectionne et qu’elle pratique avecmaîtrise. Le style gothique est alors importé, tout formé, par desmaçons de l’Ile-de-France à Rouen (tour Saint-Romain), et du pays deLaon à Lisieux (nef de la cathédrale). Ce n’est qu’en 1220 et 1230 queles architectes normands se sont approprié le style nouveau au point delui imprimer un caractère régional bien tranché (arcs très aigus,colonnettes et moulures multipliées, tailloirs circulaires, sculpturedécorative toujours un peu symétrique). La cathédrale de Coutances estle type accompli du gothique normand.

La statuaire monumentale n’apparaît que lorsque Paris, Amiens,Chartres, Reims ont clos le cycle iconographique de leurs cathédralesachevées ; le type rouennais a quelque chose de tempéré, d’assagi, avecune recherche évidente d’élégance dans la pose et le drapé.

Interrompue ou ralentie par les guerres anglaises, l’activitéartistique renaît çà et là dès qu’elle retrouve un peu de calme et desécurité, et la seconde moitié du XVe siècle est marquée par unépanouissement superbe : Saint-Ouen, Saint-Maclou, la grande salle duPalais de Justice de Rouen, suffiraient à illustrer une époque.

L’expédition de Charles VIII dans le Milanais avait mis la France encontact avec la Renaissance italienne ; elle en garda l’attrait pourles formes antiques remises à la mode par Brunellesco, Alberti etRosellino. L’établissement d’ouvriers italiens à Paris, et l’étude desplanches du Songe de Polyphile achèveront cette inoculation du goûtitalien.

C’est sous le patronage du cardinal d’Amboise, à Gaillon, qu’ils’implantera en Normandie. Mais sur les bords de la Seine, comme surceux de la Loire, comme dans l’Ile-de-France, les influences italiennesn’enlèveront pas à nos architectes et à nos sculpteurs leur originalitépropre ; il y aura une Renaissance bien française, dont les oeuvrespeuvent supporter la comparaison avec les plus beaux monumentsd’outre-monts. En Normandie, des écoles se fondent, assez fortes etassez fécondes pour couvrir le sol de la province de leurs élégantescréations. La sculpture s’associe à ce mouvement et le secondebrillamment ; Rouen, Caen, Gisors, Évreux, Verneuil, Alençon ont desateliers de sculpture monumentale et décorative. Enfin, l’art duvitrail s’élève à une perfection qu’il ne connaissait pas ; Rouen,Gisors, Les Andelys, Pont-Audemer, Conches, Argentan, Alençon voientleurs églises resplendir de ces vastes compositions dans lesquelles onne sait trop ce qu’il faut le plus admirer, la richesse du dessin ou lamagie de la couleur.

Sous Louis XIII, l’architecture est en renouveau ; elle donne une hauteallure à ses châteaux et à ses manoirs, et imagine, par la combinaisonde la brique et de la pierre, une véritable décoration murale.

Contrairement à ce qui s’était passé au XVIe siècle, la sculpture acédé le pas à la peinture. POUSSIN avait ouvert la voie, mais Rome l’apris et le garde. JOUVENET, RESTOUT, TOURNIÈRES prennent la tête et, àleur suite, de nombreux artistes moins célèbres, mais non sans talent,peignent des tableaux religieux ou mythologiques dans le genredécoratif, un peu vide, que Vouet avait brillamment inauguré. Leportrait est fort en honneur, non pas héroïque et fastueux comme Rigaudet Largillière l’ont imaginé, mais plutôt sobre et vrai, comme Philippede Champagne et Claude Lefèvre l’ont compris.

Au XVIIIe siècle, l’art déclamatoire et pompeux ne disparaît pas, maisil a dû faire une large place, à ses côtés, à un art plus intime etplus raffiné. Avec plus d’entrain que jamais, les artistes déploient unréel talent dans les arts mineurs : menuiserie, ébénisterie, céramique,ferronnerie, dentelles, bijouterie, etc. ; les Normands y excellerontpour leur part, et laisseront des oeuvres pleines de sérieux etd’élégance, d’un goût ferme et d’une irréprochable exécution.

Le comte de Laborde, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1855,a écrit deux gros volumes pour démontrer la nécessité de ne pas séparerl’art et l’industrie : union féconde, fidèlement pratiquée chez nousjusqu’à la Révolution, et à laquelle, depuis trente ans, on tend deplus en plus à revenir. Il convient, à ce propos, de mentionner uneindustrie, artistique au premier chef, qui fait depuis un siècle lagloire de la région rouennaise ; nous voulons parler des tissusimprimés. On a pu voir, à l’Exposition des tissus, à Rouen, en 1901, àquel degré de perfection dans le procédé, comme avec quel goût dans ledessin et la couleur, on imprime les étoffes, - velours, soie, coton, -soit pour vêtements, soit pour tentures d’ameublement.

Il ne faudrait pas croire, toutefois, que l’activité de noscompatriotes n’ait de préférence que pour les applications de l’art àl’industrie. L’art pur a gardé pour eux toutes ses séductions, et les oeuvres de THÉODORE GÉRICAULT, de ROBERT LEFÈVRE, de DÉSIRÉ COURT, deDANIEL SAINT, de Mme DE MIRBEL, de CHARLES CHAPLIN, de THÉODULE RIBOT,de FRANÇOIS MILLET en sont la preuve.

Si, enfin, il fallait tenter de caractériser l’esprit et les tendancesde notre art provincial, nous dirions que le Normand, si positifqu’on le suppose et qu’il soit réellement, est en même temps épris dubeau. C’est de ces deux qualités innées de son tempérament, - qualitéspeu compatibles en apparence, - qu’est né son génie artistique, faitd’un goût solide, mesuré et ennemi de l’emphase, d’une imaginationpleine de souplesse et de ressources, et d’une volonté forte etpersévérante.


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P. DE FARCYla Céramique dans le Calvados. Atelier du Molay, 1884,in-8.
E. DE BEAUREPAIREVariétés archéologiques. Les carrelages funérairesen Normandie, 1884, in-8.
A. POTTIERHistoire de la faïence de Rouen, 1870, in-fol.
A. PORÉEle Monogramme de Masseot Abaquesne, 1898, in-8.
A. MONTIERNotice sur les pavés du Pré-d’Auge et les pavés deLisieux, 1902, in-8.
A. PORÉEle Trésor de l’abbaye de Saint-Nicolas de Verneuil, 1890,in-8.
       -         Histoire del’abbaye du Bec, 1901, 2vol. in-8.
G. BOURBONNote sur la découverte de la sépulture de Jean IId’Aubergenville, évêque d’Évreux, 1884, in-8.
          -        laChâsse de Saint-Taurin,1888, in-8.
E. FRÈREManuel du bibliographe normand, 1858-60, 2 vol. in-8.
Chanoine SAUVAGENote sur les manuscrits anglo-saxons et lesmanuscrits de Jumièges, 1883, in-12.
H. OMONTCatalogue général des manuscrits. Rouen, t. I.
A. MOLINIERles Manuscrits, 1892, in-12.
A. BOINETl’Illustration du cartulaire du Mont-Saint-Michel, 1909,in-8.
Chanoine LAFFETAYNotice historique et descriptive sur la tapisseriede Bayeux, 1880, in-8.
A. MARIGNANla Tapisserie de Bayeux, 1902, in-18.
Dr COUTANla Chapelle de Saint-Julien du Petit-Quevilly et sespeintures murales, 1902, in-8.
L. GONSEl’Art gothique, in-fol.
L. RÉGNIERExcursion archéologique à Ferrières-Ht-Clocher, Claville,etc., 1889, in-8.
E. DE BEAUREPAIREPeintures du XVIe siècle dans l’église deSaint-Michel de Vaucelles, à Caen, 1884, in-8.
Raymond BORDEAUXSerrurerie du moyen âge, Oxford, 1858, petit in-4.
LOQUETAperçu historique de la serrurerie, 1886, in-18.

RENAISSANCE

La Normandie monumentale, Le Havre, édit. Lemâle.
E. DE BEAUREPAIRECaen illustré, son histoire et ses monuments,1896, grand in-4.
L. PALUSTREla Renaissance en France (Normandie), in-fol.
          -             l’Architecture de la Renaissance, 1892, in-8.
A. DEVILLEComptes et dépenses de la construction du château deGaillon, 1850, in-4. et atlas de planches.
L. RÉGNIERla Renaissance dans le Vexin et dans une partie duParisis, 1886, in-4.
         -           Monographie de l’église de Nonancourt et de ses vitraux, 1894, in-8.
         -           Pont-Audemer et Quilleboeuf. Notes archéologiques, 1899, in-8.
E. DELAQUERIÈREDescription historique des maisons de Rouen,1821-41, 2 vol. in-8.
C. ENLARTRouen (Villes d’art célèbres), 1904, in-4.
H. PRENTOUTCaen et Bayeux (id.), 1909, in-4.
Abbé BLANQUARTl’Imagier Pierre des Aubeaux et les deux groupes duTrépassement de Notre-Dame, à Gisors et à Fécamp, 1891, in-8.
                -               Gisors. Les métamorphoses d’un bas-relief, 1893, in-8.
A. PORÉENote sur une statue de sainte Anne de l’atelier de Verneuilau Perche, 1901, in-8.
      -           laRenaissance et l’Architecture religieuse en Normandie, 1907, in-8.
A. DEVILLETombeaux de la cathédrale de Rouen, 1837, in-8.
DOM DE LA TREMBLAYESolesmes. Les sculptures de l’église abbatiale,1892, in-fol.
E. DELIGNIÈRESles Sépulcres ou Mises au tombeau en Picardie, 1906,in-8.
Paul VITRYMichel Colombe et la sculpture française, 1901, in-4.
        -          le Groupe dela Dormition de la Vierge à la Trinité de Fécamp, 1901, in-4.
E. BONNAFFÉle Meuble en France au XVIe siècle, 1887, in-4.
A. PORÉEles Clôtures des chapelles de la cathédrale d’Évreux, 1890,in-8.
Mme Gérasime DESPIERRESMenuisiers, imagiers et sculpteurs des XVIeet XVIIe siècles àAlençon, 1892, in-8.
Abbé BLANQUARTLambris et stalles de l’église d’Écouis, 1902.
              -                 Notice sur les vitraux de Gisors. 1re partie. Les peintres verriers, 1884, in-8.
E. MALEla Peinture sur verre aux XIIIe et XIVe siècles. Le vitrailfrançais au XVe et au XVIesiècles. (A. MICHELHistoire de l’art, t. II, 1re partie, et t. IV,2e partie).
Pierre LE VIEILl’Art de la peinture sur verre et de la vitrerie,Paris, 1774, in-fol.
E.-H. LANGLOISEssai historique et descriptif sur la peinture surverre, 1832, in-8.
Jean LAFONDun Vitrail d’Engrand Le Prince à Saint-Vincent de Rouen,1909, in-4.
          -             Arnoult de La Pointe et les artistes étrangers à Rouen aux XVe et XVIe siècles, 1912, in-4.

XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES

G. DUBOSC,Rouen monumental au XVIIe et au XVIIIe siècles, 1897, in-4.
A. PORÉEGuillaume de La Tremblaye sculpteur et architecte, 1884,in-8.
       -          l’Herculeterrassant l’hydre de Lerne, de Puget, 1884, in-8.
H. STEINles frères Anguier, 1889, in-8.
Ph. DE CHENNEVIÈRESRecherches sur la vie et les ouvrages despeintres provinciaux de l’ancienne France, 4 vol. in-8.
                     -                    Observations sur le Musée de Caen, 1851, in-4.
                     -                    Essais sur l’histoire de la peinture française, 1894, in-8.
E. DELIGNIÈRESQuentin Varin, peintre picard, 1903, in-8.
G. VARENNEEssai sur la vie et l’oeuvre de Quentin Varin, Beauvais,1905, in-8.
A PORÉEUn peintre bernayen : Michel Hubert-Descours, 1889, in-8.
      -          Jean Nicolle,peintre, 1894, in-8.
J. HÉDOUJean de Saint-Igny, 1887, in-8.
L. GONSEles Chefs-d’oeuvre des Musées de France. Peinture, 1900,in-4.
Clément DE RISles Musées de province, 1872, in-12.
Ch. DE BEAUREPAIRENotice sur le Musée de peinture de la ville deRouen, 1854, in-8.
Paul BAUDRYl’Église de Saint-Vincent de Rouen, 1875, in-8.
Paul LAFONDTapisseries de l’église Saint-Vincent de Rouen, 1894,in-8.
Chanoine MARSAUXTapisseries de l’église de Vernon, in-4.
Baron DAVILLIERune Manufacture de tapisserie de haute-lisse à Gisorssous le règnede Louis XIV, 1876, in-8.
A. GASTÉles Tapisseries des Ursulines de Caen, 1895, in-8.
Baron DAVILLIERNotes sur les cuirs de Cordoue, guadamacilesd’Espagne, 1878, in-8.
E. DELAQUERIÈRE,Recherches sur le cuir doré, anciennement appelé orbasané, etc., 1830, in-8.
A. BÉNETNotes sur les artistes de Caen du XVIe au XVIIe siècles,1897, in-8.
        -        Peintres des XVIIe etXVIIIe siècles (Archives du Calvados), 1898, in-8.
        -        Artistes d’Avranches,Bayeux, Cherbourg, etc. au XVIIIe siècle, 1898, in-8.
        -        l’Autobiographie dusculpteur normand Jaddoulle, 1900, in-8.
A. CHASSANTle chevalier Sixc, 1894-97, in-8.
S. CAUËTSixc et son oeuvre, 1894-97, in-8.
Ph. DE CHENNEVIÈRESNotes d’un compilateur sur les sculpteurs et lessculptures en ivoire,1857, in-8.
E. MOLINIERles Ivoires, in-fol.
A. MILETIvoires et Ivoiriers de Dieppe, 1906, in-8.
A. MAZE-SENCIERle Livre des collectionneurs, 1885, in-8.
O. LE VAILLANT DE LA FIEFFEles Verreries normandes, 1873, in-8.
E. LEFÉBUREBroderies et Dentelles, in-8.
Mme BURY PALLISERHistoire de la dentelle, 1890, in-8.
Mme Gérasime DESPIERRESHistoire du point d’Alençon, 1886, in-8.
ODOLENT-DESNOSMémoires historiques sur la ville d’Alençon, 2eédit., 1853. 3 vol. in-8.


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