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DEROTONDIS-DE-BISCARASAgonie, mort et enterrement deson excellence M. Guizot, Ministre des Affaires étrangères.- Paris :Chez Ballay aîné, 1846.- 31 p. ; 18,5 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (30.IX.2009)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Texteétabli sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : Norm br C08).

 
AGONIE
MORT ET ENTERREMENT
DE
SON EXCELLENCE
M. GUIZOT
Ministre des Affaires étrangères
par
de Ratondis-de-Biscaras

~*~

Avis au lecteur

Vous allez, j'en suis sûr, lecteur peu confiant, douter de l'existenceet de la signature réelles de l'auteur de cet écrit aussi incomparablequee véritable. Sachez donc que mon véritable nom est bien de Rotondis-de-Biscaras; que je descends en ligne directe de l'évêque de ce beau nom, de cenom si véritablement significatif DE ROTONDIS-DE-BISCARAS,comme vous l'allez voir.

Le premier auteur de ma famille, qui est plus certainement antérieur audéluge que celui des comtes de Noë, s'appelait DE ROTONDIS-DE-BISCARAS,et mon trisaïeul, mon bisaïeul et mon père ayant portés le même nom, cenom était de plus inscrit au blason de l'antique noblesse, jen’ai pas eu de raisons de le changer. Celui des Montmorency, desDuguesclin n'est pas aussi sonore, et, certes qu'on ne peut lui mettreen parallèle ceux des Martin (du Nord), des Duchâtel, fût-il unTanneguy, voire même un Guizot.

Mon trisaïeul eut un frère très-célèbre dans l'histoire littéraire etles sermonaires fameux, car, en sa qualité d'évêque, voici un discoursqui lui fut adressé dans les temps par un capucin, discours qui nousest heureusement resté comme un monument précieux de l'éloquence, del'esprit et du bon goût du temps.

Voici comment le capucin apostropha, non son excellence, maissa grandeurMonseigneur l'évêque De Rotondis-de-Biscaras.

« Monseigneur ! quand j'envisage votre illustre personne, jemanque de parole pour en exprimer les rares et sublimes qualités ! Oui,Monseigneur, si les mathématiciens qui ont jusqu'ici constitué tant deveilles inutilement, et épuisé sans fruit toute la force de leur génie,pour chercher la quadrature du cercle avaient jeté la vue sur votreillustre nom de ROTONDIS-DE-BISCARAS,ils auraient trouvé ce qu'ils cherchent depuis si longtemps ; car nulmortel ne peut disputer à votre grandeur qu'elle nesoit cette quadraturetant désirée, quadratureque je ne cesserai de publier, quadrature quimettra dans la honte les plus fameux professeurs de mathématiques. Car,je le répète, qui osera disputer à votre grandeur que le nom de ROTONDISne soit la figurerondefigurela plus utile et la plus agréable à l'oeil qui existe ? Ausside quelle utilité n'êtes-vous pas dans ce diocèse, et quelle perfectionne remarque-t-on pas dans votre grandeur ! BISCARASc'est la figurequarrée jointe à la la figure ronde. Oui,mathématiciens, c'est ce que vous chercher depuis tant de siècles : BISCARASdeux fois quarréquarrédevant, quarréderrière. ROTONDIS-DE-BISCARASronde et quarréetout ensemble. C'est là, MONSEIGNEUR, lavéritable quadraturedu cercle, et c'est ce qui se rencontre dans votreillustre personne. »

J'espère que personne ne mettra maintenant mon nom en question ; quel'on comprendra que c'est pour l'arracher à l'oubli que j'ai choisipour sujet de mon immortel ouvrage un nom aussi célèbre, aussi illustreque celui de son excellence Guizot, et vous particulièrement, lecteur,désormais convaincu, vous voudrez bien me lire avec confiance, et mecroire avec les sentimens les plus distingués votre très dévoué, trèsvéridique et très naïf narrateur.

DEROTONDIS-DE-BISCARAS.

*
* *

AGONIE
MORT ET ENTERREMENT
DE
SON EXCELLENCE
M. GUIZOT
Ministre des Affaires étrangères


Avez-vous connu Debureau ? Ah ! qui n'a pas connu Debureau n'est jamaisallé aux Funambules, et qui n'est jamais allé aux Funambules n'a puconnaître Debureau. Rien n'est plus clair ni plus logique : le pèreMartineau et Jules Janin ne raisonnent pas mieux que cela. Mais commetout le monde a connu Debureau, c'est-à-dire comme tout le monde estallé aux Funambules, tout le monde a vu le célèbre et excellent mime,et l'a admiré et a ri aux éclats, et a tremblé sur sa vie, surtout dansla fameuse scène du Boeufenragé, où cet animal le poursuit à outrance, sansrelâche, en un mot comme un enragé, comme un sergent de ville poursuitun cocher de fiacre en maraude, on un colporteur ambulant encontravention.

Tout le monde sait donc comme Debureau était pâle, tremblant,effarouché, ébouriffé... La farine dont il se faisait un masque étaitnoire alors auprès de son visage naturel....

Tel était M. Guizot lorsqu'il est entré dans la Chambre, lorsqu'il ajeté un regard sur les nouveaux élus. Il avait été immédiatement etsérieusement pris du choléra-sporadique (1). Il en était bonnement aupoint de la recrue qui entend le roulement des tambours, le ronflementdu canon et le sifflement des halles pour la première fois.

Aussi cet orateurqu'ont voyait autrefois
Ebouriffant Lisieux des accents de sa voix,
L'oeil morne, maintenant, et la tête baissée,
Semblait être sans corps, sans âme et sans pensée.

Il n'a fait que paraître et disparaître.

Cependant un murmure s'élève et agite l'atmosphère silencieuse dupalais Bourbon ; le démon de la politique Guizotine a frôlé les toitsde son aile, et plusieurs tuyaux de poêle en ont frémi ; vingt têtes deloup ont failli être jetées hors de leur pivot ; le drapeau, quiflottait sur le pavillon de l'horloge, en a tourbillonné trois fois, etl'âme de Charles X en a poussé un long gémissement du fond de sa tombede Goritz !... Il n'est pas jusqu'à la ville de Gand qui n'en aitfrissonné !...

On a dit : les députés arrivent, le roi va arriver... Lesportes des tribunes se sont ouvertes ; le public se presse et sepousse, franchit les cent marches du péristyle, les tribuness'emplissent... C'est un pêle-mêle, un tohu-bohu, un empressement, unbrouhaha, des cris, des culbutes, comme à une représentationde Don César deBazan ou de Robert-Macaire.Quelques tribunes sont encore vides ; ce sont celles des aristocrates,des dames du bel air, des lions de cour, des pairs, des frères et amisdu pouvoir, des privilégiés bourgeois, des députés dégommés, deséclectiques politiques, des doctrinaires, des conservateursclaqueurs... Entre tout ces noms, ejusdem farinae, cequi veut dire de la même boutique, on ne se reconnaît plus...

Mais n'anticipons pas ; il s'agit de l'ouverture de la session de 1847,de députés nouveaux que personne ne connaît ou ne connaît guère, cen'est pas de la petite bière.

Voici les portes de la Chambre qui s'ouvrent et à deux battans, morbleu! Les gardes nationaux, les baïonnettes intelligentes,les citoyensactifs sont à leur poste, et l'ombre de Lafayette veillesur eux, comme sur la meilleure des républiques ; les sergens de villeont leurs instructions secrètes, les gardes municipaux, la troupe leurconsigne, et les députés se croisent, se groupent, se séparent,s'agitent, s'entrechoquent, se saluent, se donnent des poignées demain, vont, viennent, tournent, flairent comme des limiers qui entrenten quête. Il y a dans l'air, dans tous les yeux, sur tous les fronts,cette expression de curiosité, d'inquiétude qui précède tous les grandsévénemens. Une heure a frappé à l'horloge des Tuileries ; la patiencese ranime. Je me suis glissé dans les tribunes publiques, ou si vous lepréférez, dans le paradisde la Chambre, et j'ai pris place dans le monde de liberté et d'égalité au milieudu peuple, de la canaille, des héros de juillet, des bras nus, desrépublicains, des communistes, des bourgeois, des journalistes, desfouriéristes, des banquistes, des gargotiers et des épiciers.Tout-à-coup il se fait un mouvement ; je vois que mon public s'incline,regarde, cherche des yeux... Mais comme ici il est interdit de crier,de se donner le plaisir des pommes cuites ou des trognons de chou, ilse contente de s'interroger et du geste et des yeux, ou de sedire in petto,c'est-à-dire en soi-même : on commencera..., on ne commencera pas...,on commencera... Une porte roule enfin et crie sur ses gonds ; c'estcelle de la tribune des députés dégommés... Quiest-ce qui entre ? c'est un homme grand, sec, maigre, un vrai DonQuichotte sortant du tombeau, ou si vous le voulez un géant de paind'épice. Comment se trouve-t-il là ? Quelques bravos malicieux se sontfait entendre ; des ricanemens fanstatiques ont éclaté..., il est seul,il était donc bien pressé ! C'était pour contempler encore une fois lebanc dont M. Berger l'a chassé, et probablement qu'il ne s'y replaceraplus ! On doit bien au moins une larme et un soupir à ses vieux amis!... Il a été montré au doigt, on l'a reconnu : c'était M. JacquesLefebvre.... On ne s'en est plus occupé.

L'heure marche et nous apercevons sur le seuil de la porte, M. deMontalivet.

Riant de la gaîté d'une épaisse excellence.

De quoi riait-il ? était-ce de voir tant de gens qui déjà l'avaienttrès humblement salué, flatté, caressé, cajolé et avaient protesté deleur dévoûment, de leur aveuglement et de leur aplatissement ? Nousl'ignorons ; c'est possible, c'est probable, mais si c'était de folie,elle est gaie du moins.

Mais si vousl'eussiez vu de l'air dont il se pose,
Vous eussiez dit un fat, fier de l'ennui qu'il cause.

L'assemblée des tribunes a souri, mais d'un sourire qui comportait plusde pitié que de sympathie.

Ce petit accès d'hilarité s'est bientôt comprimé lorsqu'est apparue lafigure sévère de M. Dupin. Il m'a semblé qu'on traitait enfin ce savantlégislateur, ce magistrat consciencieux et courageux avec plus derespect et de circonspection ; on semblait déjà voir en lui le nouveauprésident.

Non loin de lui se dandinait sur ses courtes jambes, se redressait ets'effaçait à l'instar de Tom-Pouce, Thiers, surnommé le foutriquet. Onvoyait courir sur ses lèvres le sourire malin et cynique qui lecaractérise, car il promenait ses regards sur les nouvelles excellences; et comme pour ajouter au ridicule de ces nouveauxbourgeois-gentilhommes, il affectait un air vif, dissipé, étourdi,maniéré, éventé, coquet et mignard comme les marquis de la cour deLouisXV ou les muscadinsdu Directoire.

A côté de lui nous avons vu se glisser, se faufiler, comme s'il eûtcraint d'être aperçu, le Gracchus moderne, le célèbre Odilon-Barrot. Cetribun qui fait le modeste, ne pouvait cependant se débarrasser del'empois auquel est passé tout son individu ; il ne songeait nullementà dissimuler sa physionomie hautaine et impérieuse, c'est-à-dire lapuissance de talent et de pensée qui y respire ; mais la raideur de soncaractère s'y trahissait à travers un mélange d'hésitations, deréticences et d’ambition comprimée ; l'on voyait passer le bout del'oreille de son style enflé, cadencé, heurté, saccadé, coupé, haché,gonflé de dilemmes, d'ergo,d'antithèses, d'énumérations, de questions, d'enfilades, de penséessymétriques, systématiques et académiques, c'est-à-dire toute unelogique et une rhétorique.

Il était suivi, à distance, du sultan du Palais, digne officier duparquet, adorant la justice à la turque, puritain dans la forme, maisidolâtre, aufond, des Bijouxindiscrets (2). Celui-ci ne liait nullement le plaisir ;chaque soir il adresse sa fervente prière au génie Cucufa. Il n'estpas moins jaloux de la représentation et de célébrité. Tout récemment,il a tranché du Rollin et du De Fontanes... et s'est montré éloquentcomme un professeur de sixième... Décidément, c'est un grand homme...Que la toge lui soit légère et la députation profitable.

Après lui, marchait gravement, comme un télescope qui s'élève vers lavoûte lunaire, un homme au front newtonien, aux protubérancesbaconiennes ; celui-là, le Monde le connaît : c'est l'Atlas, l'Hercule,le Samson de l'Académie des Sciences, le grand promoteur de latélégraphie électrique ; en deux secondes, il fera parvenir le discoursdu roi aux Albinos et à la reine Pomaré. Il a converti des fils de feren orateurs aussi éloquens que Démosthène et Périclès, et métamorphoséles mots de notre langue en acrobates. Grâce à sa science sublime etprofonde, le dictionnaire de Napoléon Landais pourra aller d'un bout dumonde à l'autre, sans balancier, plus heureux que Gribouille, traverserles mers à travers un tube de verre à baromètre, et aussi aisément queje ne sais plus quel grand prophète qui faisait passer un chameau àtravers le trou d'une aiguille.

Plus loin s'était égaré un nouveau pair, qui a failli se noyer aumilieu des banquettes.

Derrière lui, un autre individu se glissait à l'ombre du trône ; nousne le nommerons point, tant il est connu par ses distractions. Il avaitprobablement oublié et où il était et que l'on pouvait l'entendre, caril murmurait cette tartine de Denys de Syracuse :

Aveugle ambition !cruelle politique !
Invincibles attraits d'un pouvoir despotique,
Dans quel gouffre de maux m'avez-vous entraîné !...
Déchiré de remords, d'horreurs environné,
Chargé du poids affreux de la haine commune,
Le vice m'est suspect, la vertu m'importune,
Loin de moi fuit l'honneur, la foi, la vérité,
Et dans le crime seul je vois ma sûreté.

Et nous l'avons perdu de vue.

Quel est celui-là qui franchit le seuil de la porte, et pose ses jambesen compas, comme un héronau long bec, emmanché d'un long cou, monté sur ses longs pieds ?...- Belle question !... Parbleu, c'est l'auteur de... l'auteur... d'unefoule d'écrits incomparables ! c'est le nouveau débarqué arrivant toutchaud de la terre d'Afrique... Observez attentivement, et vous verrezqu'il remue les lèvres comme un abbé qui dit son bréviaire ou qui enfait le semblant. Eh bien ! il répète un passage du Koran ; il estcapable déjà d'improviser un discours en langue arabe, mieux qu'unuléma. Tudieu ! c'est Son Excellence le ministre de l'instructionpublique, M. de Salvandy, enfin. Il a dîné avec Abd-el-Kader ; leparapluie qu'il tient à la main lui a été donné par l'empereur deMaroc... Oh ! il a fait de grandes choses en Algérie ! Aussi va-t-il yexpédier un certain M. Ritt, un fameux inspecteur des écoles primaires,pour y enseigner la lecture, l'écriture et les quatre règles auxBédouins. Ce M. Ritt est un génie qui sait tout cela ; aussi est-ilmembre de l'Université, comme M. de Salvandy est membre de l'Institut.– Ah ! il est membre de l'Institut ? dit un mien voisin ; puis ilajoute :

En France on fait,par un plaisant moyen,
Taire un auteur, quant d'écrits il assomme :
Dans un fauteuil d'académicien,
Lui quarantième, on fait asseoir cet homme.
Lors il s'endort, et ne fait plus qu'un somme ;
Plus n'en avez phrase ni madrigal :
Au bel esprit le fauteuil est en somme
Ce qu'à l'amour est le lit conjugal.

Puis il ajoute encore : Je plains son Excellence d'être chargée duportefeuille de l'instruction publique, ou plutôt je plainsl'instruction publique, qui a pour ministre un académicien, à moinsqu'il ne veuille faire des écoliers autant de confrères.

Mais qu'y a-t-il ? quelle agitation !... Toutes les têtes s'inclinent,tous les cous s'allongent, quel est donc le personnage qui s'avance ?Est-ce le roi ? est-ce un prince ? C'est tout au moins le futur régent! Un instant, s'il vous plait ; c'est une nouveauté, c'est unecuriosité comme on n'en a vu depuis longtemps dans la Chambre, depuisl'auteur de l'histoire des Arbres de la liberté (3). Celui-làest tout le contraire d'un prêtredéfroqué, c'est un ex-homme marié qui s'est fait prêtre,et qui est un prêtre politique, qui, sans blesser Rome ni ladiscipline, sera prêtreconstitutionnel, puisqu'il va prêter, serment à laconstitution ; c'est l'ex-fondateur de l'ex-journal l'Étoile, surnomméle Journal desImmolations, aujourd'hui rédacteur en chef de lafameuse Gazettede France, la première et la plus grande bavarde de lalégitimité et la plus entêtée, la plus taquine et la plus obstinéeencore qui fût jamais. C'est l'adversaire le plus implacable del'illégalité ; un grand redresseur de torts administratifs etjudiciaires ; et, bien qu'il ait été flétri pour avoir rendu, dans untemps, visite a Henri V, on le dit, au fond, un homme fort honorahle,estimé de tous les partis, quoique le Journal des Débats nel'aime guère. Tous les yeux, tous les lorgnons sont braqués sur lui,sur ce météore, en soutane, de 1846. On se demande s'il parlera commeil écrit ; on voudrait déjà l'entendre. Patience, cela viendra. M. deGenoude a bec et ongles et est peu disposé à faire patte de velours àleurs excellences.

Puis est entré M. Sauzet, toujours coiffé de la même manière. Cet hommea véritablement le chapeau de Fortunatus.

Mais quel silence profond succède au bruit, aux chuchottemens qu’acausés M. de Genoude ? Ah ! c'est un autre genre d'émotion que produitla présence de M. de Lamartine. Je me sens pénétré de respect etd'admiration, et je suis encore sous la suave et patriotique impressiondu discours qu'il a adressé aux électeurs de Mâcon. Que de poésie clanscette noble et belle figure ! et quelle poésie ! Que de beaux vers mereviennent à la mémoire ! je me sens heureux de ne pouvoir parler!...

J'entends encor cesvoix, ce langage enchanteur
Et ces sons souverains de l'oreille et du coeur.

Quelle est cette nuée de provinciaux qui se presse, se pousse et s'abatcomme une nuée de corbeaux sur un champ fertile ? Mais ce sont lesnouveaux élus des provinces ; ce sont des indépendans quiviennent apprendre ce que c'est que la dépendance ; ce sont dessangsues budgétaires, c'est le nouveau mobilier du Ministère, cesont.... Passons sur ces curiosités dont la biographie ne serait pasmoins ennuyeuse que la vue en est peu intéressante. Pourtant, à proposde ces indépendanset de ces incorrompus,je me rappelle qu'un certain auteur (4), aux environs de 1748,c'est-à-dire il y aura tout-à-l'heure un siècle, fit un livre parlequel il a voulu prouver, et prouva jusqu'à un certain point, ma foi,si je m'en rapporte à ce que je vois de nos jours, « quel'homme n'est qu'un animal, un singe à figure humaine, une orgueilleusemachine perpendiculairement rampante, et il intitula ce curieux livre : L'HOMME MACHINE. M. Michelet, qui estun grand homme comme M. De la Mettrie, qui est devenu très libéraldepuis qu'il n'est plus professeur à la suite de Henri V, parce qu'unechaire au collège de France, vaut bien mieux qu'une place de Pion à lacour de Charles X, M. Michelet, disons-nous, a publié tout récemment unlivre intitulé LE PEUPLE, dans l'intérêt,soi-disant, du peuple, dans lequel il ressucite cet homme machine, etfait du peuple un filou,un voleur,un escroc,un banqueroutier,un empoisonneur,un envieux,un libertin,et présente le peuple , c'est-à-dire notre société, comme un cloaqueimmonde, comme un vaste lupanar, comme un bagne universel... merci, M.Michelet ; c'est très flatteur pour le peuple, pour l'honneur de nosdames, et très honorable pour la nation. Je les engage à vous voterunanimement un fouet, une pipe culottée et un bonnet phrygien.

Quel est ce vieillard au dos arrondi, au nez chargé de lunettes bleues,le front ceint d'une visière verte, aux traits durs et repoussans et àl'oeil fauve, essayant de marcher, se trainant sous le faix des années,et de bien autre chose sous quoi plie sa conscience, dont chaquemouvement semble une convulsion du remords! Il se dirige vers latribune de la pairie ; il promène un doigt dans sa bouche, comme pour yconstater la présence d'une vieille dent... Qui donc ; éprouve-t-il lebesoin de mordre ? - C'est M. Pasquier, l'éternel accusateur public dela Chambre des pairs... Il a entrevu le prince de la Moskowa... Ilparait bien empêché et de son costume et de sa contenance... Nousl'engageons à jouir des quelques heures de repos et d'isolement qui luirestent à prendre.

Quel est donc, je vous le demande, cette espèce de chevalier Falstaff qui al'air de déconfire,de pourfendre,de renverseret de brûlertout ce qui ne lui offre pas de résistance ? - Comment ! vous ne lereconnaisses pas à son teint halé, mauricoté par lesoleil d'Isly ? C'est Scipion l'africain ! c'est Caton d'Utique ! c'estl'Annibal de la Tafna ! c'est le Barberousse du Maroc ! – Ah !j'en...... en..... j'entends... c'est parbleu, j'en..... en.....j'entends bien... – Oh ! il vote comme un bédouin et se bat comme unange.

Si, jusqu'à présent, il ne s'est pas emparé d'Abd-el-Kader, c'est qu'ilen fait, au fond du coeur, le plus grand cas, et qu'il se dit souvent :hélas ! si la France était jamais envahie par l'étranger, s'yrencontrerait-il un homme, sans me compter, et même en me comptant, quirésistât ainsi pendant seize longues années, qui défendît avec autantd'énergie et de persévérance, ses dieux, ses lois et sa patrie, sansautre ressource que son épée et son génie ? Un mouvement de tête me fitvoir qu'il y avait là beaucoup de gens qui étaient de l'avis duproconsul Catilina-Bugeaud.

Je ne me trompe pas ! c'est bien l'auteur de l'épître aux chiffonniersque je vois là-bas, rassemblant avec effort les quelques cheveux quilui restent !...

Usurpateur de lascène,
D'Apollon petit bâtard,
Attends donc que Melpomène
Soit veuve du grand Ponsard !

Il me semble que M. Ganneron que j'entrevois, la Presse dans lesmains, est triste et soucieux. - Je le crois bien, il lit un article oùl'on dit que les bourgeois qui ont bien voulu le réélire encore unefois, pour l'honneur de la canelle et de la muscade, lui tiennentquelque peu rancune de ses dédains envers eux ; mais qu'il ne s'yfrotte plus ! Qu'il n'oublie pas que des électeurs valent bien qu'uncandidat se présente quand ils l'appellent : des électeurs ne sont pasle piquantcomestible dont un épicier dispose selon son bon plaisir.

Et ce gros homme à la redingote boutonnée comme s'il n'avait pas dechemise, à la face peu spirituelle, ronde, large, grosse, bouffe, à latête de buffle, à la taille de cuve, à la voix arcadienne, à l'airmi-humble, mi-hautain, il me semble le reconnaître ! – Oh ! ce n'estpas Bethmont, je vous l’affirme ! il en est séparé de toute l'étenduede la politesse, de l'esprit, de l'intégrité politique, de laconvenance parlementaire et du désintéressement ; Bethmont estlaborieux, patriote éclairé et zélé, amant de son pays et de la libertéjusqu'au fanatisme ; celui-ci n'est qu'un ambitieux, qu'un fou mal appris, quicroit atteindre le but parce qu'il le dépasse. C'est dans la chambre leJohn Bull de l'extrême gauche, c'est l'orateur radical et surtout fortbrutal Ledru-Rollin. M. Lesseps lui a fait trop d'honneur en se plaçantà côté de lui.... Enfin, c'est, selon les dames de la Halle :

…. Il gigantegentile,
Ch’aveva un c...o,come un campanile.

Je n'avais encore jamais remarqué ce jeune homme maigre, sec, au teintbilieux, quelque peu bruni, hâlé par le soleil. Sa tenue est élégante,simple et sévère. Le voyez-vous qui écrit sur son genou, à l'extrêmegauche. Oh ! celui-là, c'est un ardent admirateur de Montesquieu,quelque peu disciple de Fourier. Il copie dans ce moment, pour lejournal la Réforme,ce passage de l'Espritdes Lois : LE GOUVERNEMENT RÉPUBLICAINest celui où le peuple, en corps ou en partie, a la souverainepuissance ; LE MONARCHIQUE, Celui oùgouverne un seul, mais selon des lois fixes ; LEDESPOTIQUE est celui où un seul entraîne tout par savolonté, sans autre loi que cette volonté même. »

Et cet autre qui a l'air de dormir tout éveillé, d'être abîmé dans unbeau rêve ? - C'est le défenseur de la liberté des Nègres, un véritablehumoriste anglais, un philantrope régénéré de 89... Bon citoyen, je tesalue ; la liberté fut le premier bien que Dieu donna aux hommes, et undépôt qu'il exigera de lui rendre pur et entier.

En ce moment, comme si un homme de bien en appelait nécessairement unautre, est apparu M. Oscar de Lafayette. Sa présence a évoqué l'ombredu défenseur de l'indépendance américaine... Elle semblait triste etdire, à l'instar du héros martyr de Sainte-Hélène :« 1830 etmon erreur !!! »

Et celui-là qui donne humblement les deux mains à deux Excellences àla fois ? - Celui-là, c'est un député qui veut manger à deux rateliers; il est fils d'un sénateur devenu pair de France par droit detrahison, en 1815, et il veut recueillir le double, peut-être le triplehéritage de son père. – Bon ! c'est un moyen comme un autre d'éluder laloi sur la pairie et de rétablir l'héréditéde fait.Je comprends ; la pairie n'est pas un héritage de droit, mais onl'échange contre des votes. - Précisément. Donnant, donnant ; une mainpour vendre, l'autre pour recevoir le prix ; c'est le signe convenu.Marivaux n'avait pas imaginé ce moyen de parvenir.

Qu'entend-je ? On dit dans un groupe voisin qu'il est question d'éleverune statue à M. Guizot ? Je ne me trompe pas, on affirme que M. GÉNIEqui n'est ni un bon ni un grand Génie, mais sonsecrétaire, son croupier intime, en a soufflé, de son souffle punais,l'idée, à quelques-uns des frères et amis de Lisieux. On n'est mêmearrêté que sur la pose et l'attitude,... un mauvais plaisant a proposéde le représenter tenant d'une main la Charte et del'autre le Moniteurde Gand ; - on craint que l'épigramme ne fasse avorter leprojet.
 
L'un de mes voisins me voyant bailler comme vous baillez peut-êtrevous-même cher lecteur ; dégoûté que vous êtes de tant de turpitudesqui passent sous vos yeux, me glissa mystérieusement une feuille fraisimprimée, sur laquelle je lus les vers suivans :

Las des fatigues dela guerre,
Las du commerce des héros,
Prenons une part du repos
Que Louis accorde à la terre,
Dans la foule de nos guerriers,
Soldat obscurément utile,
Je ne partageais les lauriers,
Ni de Saxe,ni de Bélisle !
J'essuyais les récits mortels
Et les airs tristement capables
De Bugeaud, de nos colonels !
De mille plaisans détestables
J'endurais les fades bons mots...
De leurs festins, la lourde ivresse,
Et leurs plaisirs sans politesse !...
Victime du sort et des sots,
Je m'ennuyais pour la Patrie...
Mais je dis bonsoir aux houris
Et reviens en poste à Paris.

Cependant un nouveau brouhaha s'élève, la foule plus compacte desdéputés se presse sur le seuil de la Chambre, je me crois au temps desmiracles : je vois des boiteux qui marchent, des aveugles quivoient, des muets qui parlent ; vous croiriez que M. Arago ou M.Pouillet ont électrisé tout le monde.

Chacun se place, qui à droite, qui à gauche, le plus grand nombre aucentre comme les moutons, à portée de la houlette du berger. Arriveenfin M. Guizot, que nous n'avions fait qu'entrevoir tout-à-l'heure, latête haute et orgueilleuse, le front encore plus soucieux et plusténébreux, la poitrine effacée, l'habit boutonné comme celui d'uneLandwher. Son excellenceva se poser à son banc, qu'il appelle de véritables galères. MM. Martin(du Nord) et Duchâtel passent et saluent son excellence, quifeint de ne les pas voir et qui peut-être ne les voit probablement pas; il en monte à son excellenceDuchâtel deux pieds de rouge aux pomettes, et le nez de son excellence Martin(du Nord) dépasse tout d'un coup, en longueur, celui de M. d'Argout ;il ne pourra plus, lui aussi, se moucher désormais qu'à bras tendu, etil lui faudra une paire de pincettes pour prendre une prise de tabac.En un mot, toutes les excellencessont à leur poste. - Incident, événement extraordinaire! M.Quatre-Barbes, en frôlant les tapisseries qui recouvrent les quatreplanches de sapin qui forment le trône, il s'en échappe une chauve-souris.L'animal ailé, l'oiseau des ombres s'élance, parcourt la Chambre,tournoie avec insistance autour de la tête de son excellencedes affaires étrangères, enfin, las, épuisé, il s'élance et va seréfugier dans le chapeau de M. J. Lefebvre. Vous jugez du bruit, descris, de l'hilarité... Un journaliste de la Gazette de France,en conclut que c'est d'un mauvais augure pour le ministère en généralet pour son excellenceGuizot en particulier, que la Chambre de 1847, s'ouvre sous de fâcheuxauspices, tandis qu'un rédacteur de l'ÉPOQUE,puis un autre des DÉBATS, en déduisentun quasi-attentat.

Je ne sais où cet incident aurait conduit si le bruit des tamboursbattant aux champs, les cris de portez armes, le cliquetis desbaguettes de fusil ne fussent venus couvrir et faire cesser le tumulte; c'était le roi qui arrivait... Le roi est en effet arrivé, suivi desa famille et d'un brillant état-major. Il y avait dans sa figurebeaucoup de celle de Louis XIV, c'est-à-dire de la noblesse, de ladignité, de la grandeur ; il y avait surtout, ce qui flattaitdavantage, un air de santé et de force. Le roi, fidèle à sa politesse,qui a toujours été l'une des qualités de nos rois, a salué à plusieursreprises et avec bonté, puis sa bouche a dit le discours des ministres; le roi parle mieux quand il parle d'après les inspirations de soncoeur. Le langage de sa politique n'est pas celui de son intérieur. Ceque le roi a dit, tout le monde le savait d'avance ; puis il a reçule serment detrois cents députés. - On a remarqué que c'était lechiffre de la triste phalange de M. de Villèle. On s'est rappelé lesThermopyles, mais l'on n'a pas vu de Léonidas. Puis le roi s'est retiré.

Mais c'est alors que son ExcellenceGuizot a commencé à voir l'abîme, et qu'il avait compté sans son hôte,et son âme en a senti mille horripilations ! C'est alors qu'il a vu decombien de défections il était menacé, à combien de désappointemens ildevait s'attendre. Comme il félicitait tels et tels de s'être assis aucentre, il en a reçu cette réponse : qu'il n'en fallait rienconclure, que c'était seulement histoire de se placer pour unepremière fois, mais qu'ils verraient plus tard... Telautre lui disait, que de même qu'il avait voulu un portefeuille, demême il avait voulu être député, et que la bannière qu'il avait adoptéeprovisoirement, n'en avait été que le moyen. Bravo ! ANormand, Normand et demi. Décidément nous sommes dans le siècle deGaspards.

Un groupe s'était formé : la conversation était vive, on y parlaitde progrès,de corruption,de promessesfallacieuses, de manoeuvres frauduleuses,de plaintes auxparquets et d'enquêtes...La peur a saisi aussitôt, et à son tour, Son Excellence ; elle s'estenfuie, et elle est rentrée chez elle avec une fièvre cérébrale. Génie,le fidèle Génie, son dévoué serviteur, son véritable Sancho, estaccouru, et lui a annoncé qu'il était question de reporter M. Dupin àla présidence ; que le plus grand nombre paraissait se déclarer pourlui. Ici, la tête de Son Excellence s'est détraquée, sa poitrine arâlé, et il a expiré, non pas comme saint Roch, mais entre les bras deson cher Génie, grinçant des dents, roulant les yeux et la rage dansl'âme, en prononçant le fameux Quos ego !qu'un grand vicaire de ma connaissance a traduit par ces motsénergiques : F...ucanaille!!!

Le bruit de cette mort subite s'est bientôt répandu dans tout Paris.Quelques-uns y ont cru, d'autres en ont douté ; les uns disent oui, les autresdisent non; moi, comme le bon bourgeois de Paris, lors de la mort du cardinal deRichelieu, je ne dis ni ouini non.

Cependant la nouvelle prend de plus en plus consistance, et l'on parledéjà de ses funérailles. C'est le sujet de débats fort vils. Oùl'enterrera-t -on! quelle pompe funèbre lui fera-t-on ? qui portera lescoins du drap ? A la cour, partout, on n'entend que ces mots : ce nesera pas moi! ni moi! ni moi! Il faudra cependant qu'on l'enterre, car M. Gannal a refusé del’embaumer. Les médecins qui ont fait l'autopsie du cadavre ont jugéque la mort avait deux causes : une ambition rentrée etla terreur deperdre son portefeuille ; de là, le ballonnement outremesure et la putréfaction immédiate qui se sont développés comme chezles asphixiés par le charbon.

Ledru-Rollin a déjà fait l'épitaphe de son excellence, elleest courte et digne de l'auteur comme du mort :

C'est un Crachatà mettre sur sa tombe.


NOTES :
(1)Sporadique,c'est-à-dire maladie qui n'est particulière à aucun pays, qui se montreen tout temps, et qui attaque chaque personne séparément, par descauses particulières. C'est comme qui dirait un gouvernement à laGuizot, un discours de M. Thiers, en un mot, un coup de bourse.
(2) ouvrage quelque peu leste de Diderot, qui était aussi un puritain.
(3) M. l'abbé Grégoire. Il fut un jour jugé indigne de fairepartie de la Chambre des députés, lui qui avait été sénateur, et il n'yrentra pas ; le même, jugement a été prononcé contre L. de Girardin, etil y rentre pour la troisième fois. - Progrès.
(4) L'abbé de la Mettrie.