RAIMES,Gaston de (1859-1917): La petite patrie,(1902). Saisie du texte et relecture : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la Médiathèque AndréMalraux de Lisieux (14.V.2010) Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux:nc) du numéro 1 de la Revue Le Penseur, 2èmeannée, janvier 1902. La petite patrie par Gaston de Raimes ~~~~ A Ferdinand Dumaine. Ferdi, puisque le Temps épargne ses insultes Au culte du clocher, le plus puissant des cultes, Hardi ! gas, chantons-le notre pays d'Honfleur Où, quand vient mai, le flot baise la rive en fleur ; Où les pommiers au fin diadème de neige Semblent de blancs communiants en frais cortège Et répandent sur l'herbe et l'aire des courtils La lente effeuillaison de leurs parfums subtils ; Où pointent pour tes yeux extasiés d'artiste Les aubes de turquoise en les ciels d'améthyste Et flambent par les soirs brûlés de Messidor Les flèches du Ponant emmi les vagues d'or ! Chantons notre pays natal, chantons sa glèbe. Là, loin des cabotins du monde et de la plèbe Panurgienne, loin des arrivistes, des Pipeurs de gloire, frères des pipeurs de dés, Et loin du plumitif chanteur ou stercoraire, Loin de ce lupanar « la Lutte littéraire », Tendons des rimes l'artificieux réseau A l'inspiration, bel et farouche oiseau. Fuyons Paris, fuyons les grandes villes bagnes ! Enivrons-nous de l'air salubre des campagnes, Enivrons-nous d'espace immense etd'horizons, Nous les dévotieux amants qui nous grisons Aux jeunes seins de la Déesse Poésie, Nous les serfs de son charme et de sa fantaisie, Nous que dompte le joug cruel mais adoré Du Rythme, ce tyran despotique et sacré ! Donc, ton aîné le veut, mon Ferdinand Dumaine, Chantons notre pays natal, notre domaine, Où tout est Force, où tout est Sève, où l'être sent Le flux mystérieux du renouveau puissant ; Où pleure, par les soirs du déclinant automne, Le grand souffle marin plaintif et monotone Le long des bois cuivrés, le long des bois jaunis Que ne traverse plus l'espérance des nids ; Où dans les chemins creux s'échevèlent les ormes Quand le rude Noroit brandit ses fouets énormes, Balayant sous le ciel tumultueux d'hiver Le vol déchiqueté des nuages de fer, Et quand les flots, aux chefs empanachés d'écume, Mêlent leurs poudrins clairs aux lambeaux de la brume ; Où, magiques archets d'un sublime instrument, Les peupliers aigus vibrent éperdument Dans la plaine, tandis qu'aux crêtes des falaises, Devant la mer, les pins rompus et les mélèzes Se cabrent sous le choc furieux des autans... Oh ! le bônheur d'errer, là-bas, par le gros temps. Oui, l'océan, la plaine et la forêt profonde, Oui, la nature auguste est la source féconde, La source d'hosannas multiples et divers, Frère, et ce sont ses voix qui nous dictent nos vers. Hé ! vive le Pays robuste dont nous sommes ; Hé ! vivent les marins de chez nous, hardis hommes, Tous bons Français, tous bons Normands, qui sur la mer Tinrent le pavillon de France haut et fier : Morel-Beaulieu, Mottard, Hamelin que colore Le sublime reflet d'un haillon tricolore ; Et les ancêtres, ceux qui se sont anoblis, Pennon fleurdelisé, sous tes glorieux plis : Paulmier l'explorateur et Berthelot l'apôtre, Barbel, Dupont-Gravé, Lacoudrais et maint autre ; Et Jean Doublet, l'honneur en personne, Doublet Dont la voile pointant à l'horizon troublait Et dispersait, saisis d'une panique grande, Les navires battant bannière de Hollande, Doublet qui de l'Anglais exigea le salut Et, combattant tout seul contre une escadre, l'eut. Honfleur vit naitre aussi des artistes. Toi-même, Dumaine, tu chantas Boudin dans ton poème, Boudin dont le pinceau ferme et substantiel Sur la toile fixa tout l'infini du ciel. Il a Dubourg, auprès d'Hamelin grave et triste, L'un, pur dessinateur, l'autre, ardent coloriste. Disciple de Berchère et rival de Vayson, Voici notre Marais qui, par toute saison, Bon ouvrier dès l'aube en face de l'ouvrage, « Croque » les boeufs errant le long du pâturage. Quelquefois, délaissant d'autres travaux, Le Clerc Prend sa palette et peint un paysage clair, Ou bien, dans la lumière - ouate purpurine - Campe quelque précise et solide marine. Voisard met le frisson des brumes sur les prés, Et le rêveur Binet se plait aux tons nacrés. Des poètes ? Voici Régnier près de Lucie, Mardrus au jeune front que baigne l'ambroisie, Legouis, contempteur des parnassiennes lois, Et Lallemand, naïf tour à tour et gaulois ; Noël Bazan, Vivien, et toi Ferdi, belle âme Sincère, jeune coeur pensif et plein de flamme, Toi qui cueilles tes vers au hasard du sentier, Tes vers jolis ainsi que les fleurs d'églantier ; Et moi... Mais chut ! Vois-tu, dos voûté, marchant vite, Monocle à l'œil, passer Soudan de Pierrefitte, Avec Charles Bréard dont les savants écrits Nous font aimer le vieux Honfleur, nous l'ont appris, Soudan narquois, Soudan qui mord, fustige et griffe Les imbéciles dont l'aspect seul l'ébouriffe, Soudan le voyageur, Soudan dont le carrick Frôla l'impérial burnous de Ménélick, Tandis que tout là-bas, sur la grève déserte, Dans les abois joyeux de Fly, sa chienne alerte, Vient Ternier, bon veneur en face l'Éternel, Louis Ternier, disciple exquis de Toussenel, Louis Ternier à qui personne, j'imagine, Ne déniera d'avoir classé la sauvagine. Rire moderne, ris au Ris de Rabelais, Honflevius autemprocreavit Allais ! Bravo le gas, qui peut quatre fois par semaine Désopiler un peu la morne espèce humaine, Et qui lui sert depuis quinze ans, clown inouï, De l'abracadabrance à jet épanoui. Et si du Drôle enfin nous passons au Sévère, Et, changeant de liqueur, si nous changeons de verre, Ami Ferdi, buvons le bon vin naturel Versé par l'échanson robuste Albert Sorel. Sorel historien, professeur, philosophe, OEuvrant, ma foi, de main de maître en toute étoffe, Si bien que la Coupole élargit son accueil Pour Sorel et l'asseoit dans un double fauteuil, Sorel dont les yeux bleus et la moustache blonde Évoquent les hardis Northmens, aigles de l'onde, Sorel maître subtil du mot, adroit charmeur Du verbe, le causeur exquis, le fin semeur Du docte et gai savoir en la terre natale ; L'homme bien loin de qui fâcheux ou sot détale Mais dont le simple abord charme ses familiers, Sorel qui sait des vers par coeur et par milliers, Et qu'exalte l'amour, amour sans hérésie, De la sereine, de la pure poésie ! Honfleur mérite bien ce poème. Crois-tu ? Moi, je n'en démords point, mon cher : Je suis têtu Et, tout en écrivant ce soir, près de la lampe, Dont la calme lueur éclaire quelque estampe. En célébrant Honfleur, son terroir et ses fils, J'ai pris heur non pareil à l'oeuvre que je fis. | GASTONDE RAIMES. |