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BAZIN,Raymond (1866-19..) : RoseHarel, la Servante-Poète Normande 1826-1885.-Pont-L'Evêque : R. Percepied, 1903.- 68 p. ; 22 cm. Saisiedu texte : S.Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (13.VI.2007) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm 254) RoseHarel, laServante-Poète Normande 1826-1885 par Raymond Bazin ~*~Cette Etudecouronnée par la Société Littéraire et Artistique La Pomme en 1902,(médaille d’argent)a paru inédite dans le Journal l’Eclaireurde Dieppe, les 27 septembre, Ier, 4, 8 et 11 Octobre 1902. ROSE HAREL __ SAVIE - SES OEUVRES Rose HAREL,naquit à Bellou (Orne), le 9 avril 1826 ; son père était inconnu et samère une pauvre servante illettrée. La petite Rose,frèle et délicate comme la belle fleur dont elle portait le nom, futélevée un peu à « la diable », et, toute jeune encore, on lui fitapprendre le métier de tisserande ou toilière, sa santé fragile ne luipermettant pas de se livrer comme ses camarades, aux rudes travaux deschamps. Rose se lassa bientôt de cette existencemonotone, elle éprouvait le besoin de s’instruire et quelques amisobligeants lui apprirent enfin à déchiffrer des lettres et à griffonnerdes mots. On raconte sur elle une anecdotecharmante, que Mme de Besneray, dont il sera parlé plus loin dans cetteétude, a relatée dans son éloge de la servante-poète. Un jour, elletrouve dans un grenier un vieux bouquin aux feuillets abimés et dont lareliure est dans un pitoyable état ; elle parcourt ce livre informe etcroit deviner dans les quelques pages entrevues, des choses qui peuventcharmer son esprit ; elle s’empare de ce trésor ; elle en recoud lesfeuillets épars et lui fait une reliure au moyen d’un vieux morceau detablier hors d’usage ; puis, dans sa mansarde, elle cache le livre,arraché comme par miracle à la voracité des rats et des souris, et ilse trouve que ce nouvel ami est tout simplement un Télémaque, oubliédepuis des années dans ce grenier perdu ! Oh ! commeelle va s’instruire, la vaillante fille ; elle veut savoir maintenant,elle veut apprendre….. Le poète normand AdolpheBordes, dans sa jolie préface du premier volume de Rose Harel, fait unepeinture saisissante de son enfance : « Cettepauvre fille du peuple, qui pour toute instruction apprit à lire, àécrire et prier Dieu, est digne du vif intérêt qui s’attache à elle ;d’une conduite irréprochable, bonne pour sa mère, qu’elle soutient dufruit de son travail, elle ne paraît pas comprendre tout ce qu’ellevaut…. ; son âme est ouverte à toutes les beautés de la nature, soncoeur aux sentiments les plus généreux. » Rose Harelse plaça d’abord comme servante à Vimoutiers, puis à Lisieux ; ellealla ensuite à Pont-l’Evêque, où elle entra en qualité de demoiselle demagasin chez un libraire ; elle s’employa aussi pendant quelques annéesdans cette ville comme couturière en journées ; enfin, elle se plaça àLisieux, où elle habita jusqu’à sa mort. C’est àPont-l’Evêque qu’elle fit la connaissance du poète Adolphe Bordes,membre de la Société des Gens de lettres et de l’Académie de Caen, quil’encouragea dans ses essais poètiques, l’aida de ses conseils ets’occupa avec un grand dévouement de rassembler ses premières poèsies ;il les réunit dans un volume, L’Alouette aux Blés, dont il écrivit lapréface et qu’il fit éditer au moyen d’une souscription publique. AdolpheBordes, qui était conservateur des hypothèques à Pont-l’Evêque, avaitdeviné chez Rose Harel une nature d’élite et, s’intéressant à sesdébuts littéraires, il l’avait encouragée dans cette voie qui devaitrendre immortel plus tard le talent naissant de la servante-poète. Ila dédié à sa soeur en poésie, comme il l’appelait, une pièce de versintitulée Souvenir qui figure dans un de ses volumes, paru en 1862 ;dans cette ballade, il rappelle à Rose Harel leur première rencontre etil lui dit : « Oh ! laissez-moi vous appeler ma soeur, Rose, ma douce fleur Depoésie ! » La première édition de L’Alouette auxBlés, parue en 1863, fut rapidement épuisée et suivie d’une secondeédition, considérablement augmentée, qui parut chez l’éditeur Le Doyen,au Palais Royal, en 1865. Dans la biographied’Adolphe Bordes par Victor Advielle (1868) on lit à la page 22 : « Nous ajouterons à ces indications bibliographiques qu’Adolphe Bordesrecueillit, mit en ordre, corrigea et fit imprimer les poésies de RoseHarel, servante à Lisieux ; grâce à son généreux concours, les oeuvresde Rose Harel eurent un certain retentissement. » Aprèsavoir présenté Rose au public et retracé discrètement la part prise parlui à l’édition du livre, Adolphe Bordes adressait un chaleureux merciaux souscripteurs et terminait sa préface en ces termes : « Le Dieu qui l’inspirait lui a dit : Marche ! et la pauvre fille a étédroit devant elle ; elle a marché, volé de ses propres ailes, chantécomme les oiseaux des campagnes qui l’ont vu naître. ………………………………………………………………………………………………………………………. Sataille est moyenne, mais bien prise ; sa tête rayonne d’une belleintelligence ; par moments, ses yeux lancent des éclairs. Telleest, en quelques mots, cette Rose Harel qui, depuis quelque temps,jouit du privilège d’éveiller l’intérêt public à un si haut degré. Maisla plus belle part d’elle-même ne se révèlera qu’à la lecture de sespoésies. » * * * L’auteurde cette étude, s’il n’écoutait que les sentiments d’admiration qu’iléprouve pour les oeuvres de Rose Harel, se laisserait entraîner àreproduire une grande partie de ses beaux vers, afin de les rappeler ausouvenir de ceux qui n’ont pas la bonne fortune de les posséder. Maisces reproductions ne seraient alors qu’une vulgaire copie ; l’auteur sebornera donc à citer quelques vers de la servante-poète, en donnant sonappréciation personnelle sur ces poésies ; ce sera le complément decette étude qui restera ce qu’elle doit être en somme : le récit de lavie de Rose Harel et l’éloge de ses oeuvres. * * * « J’ai vécu bien longtemps pauvre, mais sansorgueil, Dans un humble réduit dont je chéris le seuil ; Hélas! je dus un jour quitter ma solitude. Il me fallait du pain!.... la dure servitude M’en offrait, j’acceptai : mais Dieu,qu’il est amer ! Il faut, pour l’obtenir, traîner un joug defer…. Et, quand mon coeur blessé pousse un cri de détresse Quej’élève la voix dans un chant de tristesse, On se parle toutbas ; on commente et l’on dit : Elle est folle, orgueilleuseet veut jouer l’esprit ! » ………………………………................................ Cesont les premiers vers de L’Alouette aux Blés ; c’est un chantmélancolique qui résume toute la vie de Rose Harel : la pièce dont ilssont extraits ne porte pas de titre. Ces vers qui datent de 1858 sontcomme un appel douloureux adressé par la servante-poète à ceux quipeuvent comprendre la désespérance de son âme! « Quand on vous le dira, répondez : je l’ai vue ! Son désir estde vivre ignorée, inconnue ; C’est une fantaisie étrange dudestin, D’avoir près d’un fuseau, mis un luth dans sa main, Quand,d’en tirer des sons la douleur l’eût forcée L’on a crié touthaut qu’elle était insensée ; Non ; elle est malheureuse etson chant, comme un pleur Monte, avec un sanglot, des pliscachés du coeur ; Nul ne connaît son mal et nul ne la console ; Elleest bien triste, hélas ! mais elle n’est pas folle ! ……………………………………………………… Commecette poésie dépeint bien les souffrances intimes endurées par RoseHarel ! C’est le reflet exact de son coeur ; ces quelques vers, dontdeux lignes sont gravées sur son tombeau, resteront à travers les âgescomme le résumé poétique de l’histoire de sa vie. L’Alouetteaux Blés est le recueil des premiers chants de la pauvre servante ;dans cet écrin, où tant de jolies choses sont groupées, il estdifficile de faire un choix, car Rose a célébré bien des sujets divers; pourtant, il en est qui se distinguent de l’ensemble par leurvéritable originalité et leur valeur prosodique ; c’est là le côtécurieux de l’oeuvre de Rose Harel, de cette fille des champs qui,connaissant à peine les règles de la versification, rimait avec la mêmefacilité que Mozart enfant mettait à composer une sonate. Ainsi,dans le Retour au Village, elle chante les lieux bénis où s’écoulason enfance : « Je viens de les revoir, embellispar l’absence, Parés de tous les dons d’un riche et beauprintemps, Ces lieux où s’écoula le temps de mon enfance, Ceslieux que j’ai pleurés et regrettés longtemps. Cettepièce, écrite en alexandrins, est remplie de gracieuses images ; c’estune peinture saisissante du village natal. Dans les Saisons, quatre poèmes excellents qui montrent encore le talentnaturel de Rose, on retrouve le même esprit d’observation : l’Hiver !qui fourmille de quatrains descriptifs, est la pièce la plusintéressante de cette série : « La neige a blanchi la campagne, Couvert le chaume de nos toits ; Le froid ardent poursuit et gagne L’enfant qui souffle dans ses doigts. Puis,on remarque dans ce livre de gentilles bluettes comme L’enfant à samère, Amour et Poésie, Croix d’or, Quand je ne savais pas ton nom, Ceque j’aime, Bonheur, Encore un vieux Bahut, Dors, bel enfant, ou biendes poésies adressées à des amis et qui prouvent les multiplessympathies que la servante poète avait su s’attirer par son caractèreaffable et sa bonté native ou bien encore des oeuvres d’une grandeenvolée : L’Amour, Pauvre mère, Philosophie,Mélancolie, Ecoute et Souviens-toi, A mon frère. L’Amour,qui compte près de cinq cents vers, est la pièce capitale de L’Alouette aux Blés. Pour donner une idée de l’importance de cettepoésie qui vaut, à elle seule, tout le prix du livre, il suffirad’indiquer qu’elle commence à la page 102 et qu’elle ne prend fin qu’àla page 130 ; dans ces 28 pages, le talent poètique de Rose Harels’étale tout entier. Dans ce poème, elle chantel’amour avec une expression dont l’ampleur pourrait être difficilementsurpassée ; « Lorsque, dans sa sagesse immuable etprofonde, L’Eternel eut tracé la sphère de ce monde, Letirant du chaos, d’un souffle créateur, Il voulut pour cemonde un régénérateur Lui donnant ce qu’un dieu peut donner depuissance, De force intelligente et de divine essence. Vois,lui dit-il, Amour, sur ce vaste univers, Vois les couplesépars de ces êtres divers, Je veux, en conservant la forme dumodèle Que leur vient d’assigner ma sagesse éternelle, Partes soins assidus dans mille ans centuplés, Voir par euxl’onde et l’air et la terre peuplés : Je te donne mes droitssur tout ce qui respire, Le monde en son entier tombe sous tonempire… Ces vers ne sont-ils pas d’essencesupérieure et leur envolée n’est-elle pas superbe ? Mais continuons etglanons encore quelques perles dans cette poésie : « C’est ton souffle divin qui fait naître les fleurs, Ajoute àleur parfum les plus douces couleurs ; Qui fait pencherl’ormeau vers l’ormeau qui se penche S’entrelacer la brancheautour d’une branche Faisant au coeur aimant chercher un autrecoeur Pour lui prendre et donner une part de bonheur Quifait chercher à l’âme étonnée et ravie Un être pour unir savie avec sa vie. Dans ce poème, Rose Harel chanteaussi l’amour de la Patrie qu’elle célèbre dans des strophespatriotiques, puis, cette première partie écrite en alexandrins trèscorrects, finit par ce quatrain : « Qu’il est douxd’éprouver ton sublime délire, De vivre doucement bercé souston empire, Dieu veut que nous aimions et lui-même l’a dit : Quine sait pas aimer est un être maudit. Dans la suitedu poème, Rose pleure sur l’indifférence d’un être qu’elle aime : « Je me disais : un coeur de femme Se devine et ne se dit pas ; S’ilm’aime, il lira dans mon âme ; Mais il n’y sut pas lire,hélas ! Enfin le poème se termine par lesdifférentes variétés que présente l’amour sous toutes ses formes, amourde la nature, amour de l’enfance, amour de la vieillesse, amour de tousceux qui souffrent, et finit par ce sixtain : « L’amour pur se métamorphose Dans le coeur fier qu’il a dompté ; On le croit éteint, il repose ; D’un souffle il est ressuscité… Mais il se nomme : Charité Après cette métamorphose. Rose Harel a dédié le 21décembre 1861 à M. Adolphe Bordes une poésie, Souvenir, qui peut êtreclassée parmi les meilleures de ce livre, c’est le remerciementtouchant de la modeste servante poète à son protecteur. LaSociété d’Emulation de Lisieux décerna à Rose Harel une médaille, le 21août 1864 ; c’est cette récompense qu’elle a chantée dans un petitpoème : A ma Médaille ; il fait partie de L’Alouette aux Blés, page270 ; c’est le dernier du volume : « Je vis sans appui sur la terre Sans bien, sans crédit et sans or, Mais ne vaux-tu pas un trésor, O médaille brillante et chère !!! Tu me vins un jour de bonheur Gage béni de sympathie, Tu resteras toute ma vie Le bien le plus cher à mon coeur. ………………………………………………………………………………………………………………………. Ainsifinit L’Alouette aux Blés, dont la deuxième édition qui contenait 97pièces diverses, obtint un succès d’autant plus retentissant qu’ilétait absolument inespéré par Rose Harel. La Sociétéd’Encouragement au Bien lui décerna également, en 1867, une récompensequ’elle alla elle-même recevoir à Paris. Un autrepoète normand, Constant Guerrier, chanta Rose Harel dans une poésieintitulée : Le Blé jaunit, qu’il lui dédia le 14 juin 1871 et àlaquelle elle répondit la même année par On ne chante plus au hameau,pièce qui fait partie de Fleurs d’automne, son deuxième volume. ConstantGuerrier lui disait dans Le Blé jaunit : « Le blé jaunit, sémillante alouette, Dis-moi pourquoi ne viens-tu plus aux champs ? Dans quel bosquet, caches-tu ta retraite ? Depuis longtemps, Oiseau folâtre, on n’entend plus tes chants. Poète aimé, muse au tendre sourire, Reprends ton luth, fais entendre ta voix, Le feu sacré te réchauffe et t’inspire. Viens quelquefois, Viens réveiller les échos de nos bois !!! RoseHarel, attristée par les malheurs de l’année terrible, lui répondit : « On ne chante plus au hameau ! La pauvre alouette s’est tue, Quand sa patrie est devenue Du passé, le triste tombeau ! Puis,dans cette poésie, Rose pleurait sur son beau pays : « L’ennemi fier et triomphant Hier a foulé notre patrie ! Les oeuvres de Rose Harel furent publiées à diverses époques de sa vie dansles journaux normands ; Le Lexovien, Le Pays d’Auge en reproduisirentquelques-unes ; La Vallée d’Auge en publia aussi après sa mort. RoseHarel qui employait ses rares loisirs à cultiver la poésie, travaillatoujours au service des autres, car c’était une femme courageuse ; elletraversa la vie sans défaillance, comptant seulement, soutenue par safière volonté, sur le fruit de son labeur ; elle était pleined’intelligence et de coeur, sa conversation était des plus agréables etses réparties pétillantes d’esprit ; « J’admirais, disait, il n’y a paslongtemps, un de ses vieux amis, M. Emile Baroche, de l’Union despoètes, son malicieux talent satirique et son désintéressement ». Ona remarqué chez elle de véritables traits d’éloquence, lorsqu’ellevoulait exprimer sa pensée ; elle était originale comme tous les êtressupérieurs, et, tout en travaillant, lorsqu’il lui venait uneinspiration, elle tombait en une sorte d’extase ; revenue enfin à laréalité, elle allait trouver un ami et le priait d’écrire sous sadictée les vers qu’elle venait de concevoir. Elleétait douée d’une mémoire prodigieuse, mais cela se manifestait surtoutlorsqu’il s’agissait de poésie, tant il est démontré que l’art des verspossédait Rose Harel tout entière et fut le seul rayon de soleil de savie de lutte et de travail. Pour tout ce qui serattachait aux détails de l’existence, elle était très distraite ; unede ses maîtresses a raconté en riant, que, dans sa cuisine, lorsqu’ilvenait à Rose Harel de ces moments d’inspiration, elle abandonnait labesogne qu’elle avait à faire et, tout à sa chère poésie, ellelaissait le fricot brûler !!! D’un tempéramentmaladif, elle toussait beaucoup et se considérait depuis longtempscomme poitrinaire. Voici un trait touchant qui dépeindra fidèlement lebon coeur de la pauvre Rose : Elle était reçue trèssouvent dans l’intimité d’une famille lexovienne qui avait de gentilsbébés, près desquels Rose aimait à passer quelques instants, car elleadorait les enfants ; elle ne voulait pas les embrasser dans la craintede leur communiquer le germe de sa maladie, et c’est en pleurantqu’elle disait à ses amis : « Moi, vieille, je dois me sacrifier pources charmants enfants ! » Ce trait de bonté infiniede la part de Rose Harel n’est-il pas tout à la fois délicieux etnavrant ?.... Vers 1880, Rose Harel entra commeservante à Lisieux, chez une marchande de fromages ; c’est à cetteépoque qu’elle fut présentée à Mme Marie de Besneray, membre de laSociété des Gens de Lettres, la romancière lexovienne bien connue, quieut pitié de sa situation précaire et se prit pour elle d’une vive etsincère amitié. Après avoir lu avec intérêt L’Alouette aux Blés qui lui révéla le talent naïf de Rose Harel, sagrande intelligence, son coeur généreux et noble, Mme de Besneray futdouloureusement impressionnée à la pensée des souffrances endurées parla pauvre servante et cette femme excellente lui tendit la main ets’occupa d’elle comme une véritable soeur. Rose Harelétait atteinte déjà par l’affection de poitrine qui devait l’enlevercinq années plus tard ! Dans la dernière place, oùelle occupait une situation si modeste et si peu en rapport avec sontalent et ses aspirations, Rose en était réduite aux travaux les plusserviles ; elle séjournait dans la cave, faisait la cuisine, lavait lesplanches ; un jour, c’était en décembre, son amie la trouva à genoux,occupée à brosser des pavés ; des quintes de toux déchiraient lapoitrine de la pauvre fille.., Mme de Besneray n’ytint plus ; émue, attristée, son coeur se souleva ; elle décida Rose àquitter ce travail au-dessus de ses forces, et l’emmena chez elle ; laservante-poète fut installée dans un petit appartement mis à sadisposition par sa fidèle amie et elle connut là, pour la première foisde sa vie, la sécurité et l’indépendance ! .. Lesdernières années de Rose Harel purent être employées par elle à réunir,sur les affectueuses instances de Mme de Besneray, ses poésies écritesdepuis 1865, date de son premier recueil de vers ; c’est à cette époqueque le portrait de Rose fut exécuté par Mlle Camille David,artiste-peintre, née à Pont-l’Evêque, élève d’Edouard Krug ; ceportrait, d’une ressemblance frappante, est la propriété de Mme deBesneray, et figure à la place d’honneur dans le salon de cette femmede lettres. La pauvre Rose, entourée de soinstouchants, vécut heureuse jusqu’à sa mort dans cette hospitalièremaison du Boulevard Saint-Anne, à Lisieux, où elle avait enfin trouvéle calme et le repos après une vie de travail incessant… Lespoèmes de Rose Harel, groupés sous le titre de Fleurs d’Automnefurent l’objet d’une souscription, ouverte dans le journal le Lexovien ; cette souscription donna, en dix listes, la somme de 2.736fr. 25 ; l’impression du volume fut confiée à l’imprimerieLefebvre-Tissot, rue du Bouteiller, à Lisieux. L’appel de Mme deBesneray, qui avait écrit un article servant de préface à cettesouscription, fut non seulement entendu dans la région normande, maisil reçut à Paris même l’accueil le plus sympathique ; dans les listes,on put remarquer les noms de Fernand Xau, rédacteur en chef du Journal ; d’Alphonse Lemerre, l’éditeur bien connu ; d’Edouard Krug,l’artiste peintre, auteur du beau tableau de la Pomme ; Hercouët,inspecteur des forêts ; Pierson, directeur du Journal Officiel ;Laurent Pichat, sénateur, et de toutes les notabilités du Calvados. Maishélas ! Rose Harel se mourait !.... La compositiondu volume fut hâtée par l’imprimeur, et la servante-poète, avant defermer les yeux, eut la douce consolation de pouvoir contempler lespremiers exemplaires brochés de ses dernières poésies ! Ladédicace de ce second volume était ainsi conçue : « A Madame Marie de Besneray, Permettez-moi, Madame, de vous offrir ce livre ; j’y ai mis toute mon âme, votre nom lui portera bonheur. « ROSE HAREL ». Cefut Mme de Besneray qui écrivit la préface de Fleurs d’Automne. Cesquelques pages que son amitié pour Rose Harel lui avait dictées sont unbijou littéraire : « Il y a longtemps déjà,disait-elle, qu’elle a écrit ses premiers vers ; perdue dans la foulede ceux qui luttent, obligée de gagner le pain quotidien, elle seserait bien passée peut-être de ce don étrange, qu’une fée avait glissédans son berceau ». Cette préface serait àreproduire en entier, car elle est un éloge sincère, écrit par l’amiefidèle qui sut apporter au chevet de la pauvre fille un peu de joie,une lueur d’espérance ! « La poésie, disait plusloin Mme de Besneray, est un souffle impossible à acquérir, ni àtrouver : « on l’a ou on ne l’a pas ». « Ellel’avait, elle, l’humble et courageuse fille, qui, en dépit desobstacles, à force de patiente énergie, parvint à offrir au public unlivre charmant, L’Alouette aux Blés. » « L’alouette a vaillamment chanté les matins d’avril, les boispaisibles, les scènes rustiques, les déboires, les misères del’existence, les joies que l’on rêve, les regrets que l’on ne dit pas,les deuils silencieux et fiers que l’on porte toujours. Elle avait toutcompris, tout senti, tout deviné, la petite Alouette de la campagnenormande….. » Et plus loin encore : « Lisez Fleurs d’Automne, vous verrez que Marmontel avait raisonlorsqu’il disait : la poésie est une peinture qui parle, ou si l’onveut un langage qui peint. Lisez Fleurs d’Automne et vous penserezavec moi que le sage Platon était un grand fou de vouloir bannir tousles poètes de la République ». Ainsi finissaitcette préface bien digne de celle qui l’avait inspirée. MadameMarie Parfait, membre de l’Académie des poètes de Paris, avait composéégalement une gentille poésie, intitulée : Rose Harel, qui avait étéplacée immédiatement après la préface du livre. Envoici quelques extraits : « Elle a charmé l’enfant, captivé la jeunesse Réjoui le vieillard, Sachant d’un trait heureux et rempli de finesse Badiner avec art ». Etpuis cette strophe prophétique : « Aujourd’hui, notre muse au soleil de l’automne, Sur sa lyre d’antan, Module encore ces vers dont la foule s’étonne Et que la gloire attend. Lesderniers chants de Rose Harel furent donc présentés au public par deuxfemmes généreuses qui voulurent, à vingt années de distance, rééditerce que le poète Adolphe Bordes avait fait pour la servante-poète dansson premier volume de L’Alouette aux Blés. Pourappuyer ses appréciations sur le deuxième recueil de vers de RoseHarel, l’auteur de cette étude ne peut mieux les faire précéder que deces quelques lignes extraites encore de la préface de Mme de Besneray : « Aujourd’hui, après des années de silence et de recueillement, RoseHarel va nous donner une oeuvre nouvelle : Fleurs d’Automne. Avecl’expérience, avec les épreuves, son talent s’est encore assoupli ; ils’est agrandi, embrassant dans une sympathie active, ardente, toutesles aspirations et toutes les souffrances. « LesFleurs d’Automne de Rose Harel vont paraître : lisez ce livre, je neveux pas d’avance en déflorer les pages, je puis affirmer seulement queparmi des choses charmantes, il contiendra un poème : Soeur Marie, vrai bijou, petit chef-d’oeuvre qu’un maître ne refuserait pas designer. Soeur Marie a ému, enthousiasmé ceux qui l’ont entendu, ilfera mouiller encore plus de paupière et battre plus d’un coeur ». Eneffet, Soeur Marie est l’oeuvre capitale de Rose Harel et Fleursd’Automne est un ensemble de choses charmantes, comme le disait sibien Mme de Besneray. Soeur Marie, dédiée à M.Léopold Bertre, commence par un joli tableau des moeurs champêtres : « Les moissonneurs étaient en sieste au bout des champs, Sousles saules aux troncs vermoulus et penchants, Du repos à songré chacun faisait usage ; L’un dormait son chapeau posé surle visage, L’autre, comme un grillon dans les chaumes caché, Rêvaitn’importe à quoi, nonchalamment couché, Quand, pour sa bonneamie, aux dépens d’une gerbe, Mathurin composait une glanesuperbe. Un peu plus loin, Martin sur un coude d’aplomb, Ayantencore aux doigts sa timbale de plomb, Regardait consterné,gourmand, d’un oeil avide, A ses pieds, un baril radicalementvide. Pierre, à côté, jurait tout en étudiant, Pourla chanter le soir, une chanson nouvelle, Dont l’air refusaitnet d’entrer dans sa cervelle. Les plus jeunes couraientchercher parmi les blés. Les épis les plus beaux, dorés etbarbelés, Puis en tressaient chacun une chose uniforme, Glaneou panier, sans art ni grâce dans sa forme. …………………………………………………… RoseHarel fait alors défiler sous les yeux du lecteur, dans ce poète, lesdifférentes émotions par lesquelles passe une pauvre fille des champsqui aime Jean, le fils du fermier ; elle nous donne un délicat portaitde Suzanne : « Jean, disons-nous, parmi la troupeblonde et brune, Des rieuses enfants, Jean n’en avait vuqu’une, C’était Suzanne !... Mais il est bon de savoir, Que,de loin, le dimanche, on venait pour la voir. Les garçons duhameau disaient, en parlant d’elle : Nous n’oserions l’aimer,vraiment elle est trop belle, Avec ses grands yeux noirs, sonteint de lys en fleur, Dont un souffle, un baiser terniraientla pâleur. ………………………………………………… « Sa bouche paraissait une grenade ouverte, Et ses cheveuxl’auraient jusques aux pieds couverte, Des cheveux noirs avecun fauve et chaud reflet, Ses bras, ses mains étaient d’uneblancheur de lait, Une fée avait dû, comme aux filles de reine, Luidonner au berceau sa grâce souveraine. …………………………………………………… Hélas! le père de Jean ne veut pas entendre parler du mariage et destine àson fils une jeune fille du pays, nommée Rose, qui, pour faire oubliersa laideur, apportera en dot un gros sac d’écus : « Maître Louis voulait pour Jean un mariage Très brillant,comme on dit, dès qu’il serait en âge, Mais Jean aimaitSuzanne, et des plans d’avenir Se trouvaient dérangés ; or, ilfaut en finir. Et le père veut imposer à Jean uneunion qui brisera son coeur, mais qui « …. Faisanttomber bornes et haies, Grandirait de moitié nos champs et nosfutaies. Le fils résiste, enfin il part au régiment: « Jean, peu de temps après, entrait au régiment EtSuzanne dès lors vivait bien tristement. Jean, loinde celle qu’il aime, est pris par l’ennui et il lui écrit pour demanderdes nouvelles du pays, puis il la fait souffrir sans le vouloir, il luiparle de lui, toujours de lui et jamais d’elle et de l’amour auquelelle a sacrifié sa vie. Un jour, Suzanne, aprèsavoir prié dans l’église du village, arrête, au détour du chemin, lepère de Jean et « D’une voix qui se brise, elle ditsimplement : Votre fils peut demain quitter le régiment, Jepars pour bien longtemps et pour toujours peut-être, Où jem’en vais, ma mère est seule à le connaître, Et plus basajouta : Jean vous sera rendu, Allez, soyez heureux de monbonheur perdu !... » Le bonhomme reste hébété, puisil s’en va la conscience tranquille : « Je necomprends pas bien, mais je suis satisfait. Et tout hommed’esprit dira que j’ai bien fait. » Alors RoseHarel nous fait assister au retour du fils que le père a racheté, à lalutte de ce dernier contre Jean, qu’on veut décider à épouser Rose ;Jean qui aime encore Suzanne jure de rester vieux garçon ! Enfin,nous arrivons au mariage de Jean qui, deux ans plus tard, se déclarevaincu et épouse Rose par dépit « La grande Rose,enfin, pour le coup triomphait ; Jean, sans être joyeux, avaitl’air satisfait ! » C’est alors un tableau prit surle vif d’une noce à la campagne, de la noce normande…. « Dont ne s’est jamais plaint une bouche gourmande, On immolamoutons, agneaux, petits cochons, Après les dindons noirs, lespoulets folichons, La poule grasse avec le pigeon qui roucoule. Onégorgeait des veaux…. partout du sang qui coule, Les lapins,par douzaines, expiraient à leur tour, Puis les canards, enfintoute la basse-cour ». Mais la mariée estdédaigneuse et laide…. « Et dans le coeur de Jean,chantaient les jours passés. Au temps de la moisson, ilrevoyait Suzanne, Si charmante sous son chapeau de paysanne Sonesprit repassait leurs projets d’avenir ; Ses promesses à luiqu’il n’a pas su tenir. Le lendemain la nocerecommence. Tout à coup, un journal arrive pendant le repas à l’adressed’un convive… « Quelqu’un l’ouvre en disant : onlit à l’Officiel Que Suzanne Sauvet, autrement soeur Marie, Poursa noble conduite en France, en Algérie, Est faite chevalierde La Légion d’honneur ! Ils sont nombreux ceux qui luidoivent le bonheur De conserver un fils tombé dans la bataille Et,par elle, sauvé malgré fer et mitraille. Mais un seul fait larend grande entre les plus grands, Un jour qu’elle aperçoit duvide dans nos rangs, Prend le fusil d’un mort, se bat aveccourage Puis, de notre côté met enfin l’avantage Tuantun chef bédouin, qu’elle atteint droit au coeur Et retourne auxblessés du régiment vainqueur ». Pendant cettelecture, les convives chuchottent, chacun devine, et…. « Les convives restaient muets, la bouche ouverte La mariéeétait non point pâle, mais verte ! » Ce petitchef-d’oeuvre se termine par les vers suivants : « Jean tombe à la renverse avec un cri plaintif ! On faitcercle alentour, on s’agite, on s’empresse, L’éther manque, onlui met du vinaigre en compresse, Seigneur Dieu, criait-on,a-t-il cessé de vivre ? Ce n’est rien, fit la bru, qu’on lecouche, il est ivre !... Ainsi finit la piècemaîtresse de Fleurs d’Automne ; les passages reproduits mériteraientbien d’être cités et, malgré les coupures forcément apportées, ces versdonnent mieux que les plus flatteuses appréciations, une idée de lavaleur incontestable de Soeur Marie. Dans Fleursd’Automne, Rose Harel se révèle à nouveau le chantre inspiré des Muses; rien de banal dans ce recueil qui est le digne complèment de L’Alouette aux Blés. On y rencontre encore de gentilles ballades, desbluettes délicates et finement ciselées : Foi, Conseil, Richesse, Sij’étais Garçon, La belle Fermière, Petit Problème, Doudou, Chantez,Jadis, Qu’ils sont heureux, A la Brise, Fleurs d’Amour, Les Chats,Autrefois, Le Message, La Fleur du Gandazulli. Dans Richesse, elle déclare franchement : « Avec trois cents écus de rente, Je sais bien ce que je ferais, Sur la rive d’une eau courante, Ma chaumière je bâtirais ». Enterminant, elle conclut philosophiquement : « Avec trois cents écus de rente, Oui, voilà comment je vivrais Mais n’ayant rien, je me contente, De rêver ce que je ferais ! » PetitProblème est également bien venu, bien charpenté : « O ! dites-moi, docteur cher à mon âme, Si vous l’avez, le secret inouï De deviner quand le oui de la femme, Veut dire non et quand le non dit oui ! Doudouest une des bonnes poésies du deuxième recueil, c’est l’histoiretouchante d’un petit agneau : « Je me souviens, qu’au temps de mon jeune âge, Je nourrissais dans un gras pâturage Avec amour, un frais et doux agneau ; …………………………………………… « Pour qu’il n’aimât que moi seule sur terre, On l’avait pris tout petit à sa mère ; Puis, je l’avais nourri du meilleur lait Et d’herbe tendre avec du serpolet Bébé est aussiun délicieux petit poème d’une saisissante vérité ; cette pièce seraitadorable à entendre, récitée par un bambin à la mine futée, elle estdédiée au fils de Mme de Besneray, M. Maurice Bertre, qui n’avait alorsque cinq ans : « Jesais lire, compter, j’écris passablement ; Pour la géographie, oh ! je suis sûrement De chaque nation quelle est la capitale, Et papa dit que c’est la chose principale. Pour la grammaire aussi, je pioche de mon mieux ; Je sais des fables que je dis bien quand je veux. …………………………………………………… Lafin est à reproduire en entier : « Je ne taquine plus comme autrefois ma bonne, A table, je me tiens aussi bien que personne ! Alors, on ne peut plus me traiter de bambin…. Qu’on m’appelle en riant, si l’on veut, chérubin, Mais qu’on ne dise plus : bébé ; je suis un homme ; Et je t’ai déjà dit, le mot bébé m’assomme ! D’autrespoésies : Le Séminariste, Le Hibou, Orage, Folie, Le Rêve, Le grosMonsieur, Eglise sans prêtre, Le vieux Manoir, dédié à M. EdmondGroult, fondateur des musées cantonaux. Premières joies, à Mme deBesneray ; L’Indigent, Ressouvenirs, Baptême d’une Cloche, dans ungenre différent, donnent un intérêt soutenu à ce recueil de vers, quisurpasse certainement comme valeur poétique les premiers chants de L’Alouette aux Blés. Les revers de l’annéeterrible n’ont pas trouvé Rose Harel insensible aux malheurs de laPatrie ; outre sa pièce dédiée au poète Constant Guerrier, dont il estparlé précédemment, la servante-poète, dans la Dernière Faction,poésie qui lui fut inspirée par un dessin de Régamey, paru dansle Drapeau, en février 1884, ainsi que dans ses quelques vers àMlleJuliette Dodu, donne un libre cours à ses sentiments patriotiques. Dansla première de ces poésies, elle raconte la douloureuse vision d’unjeune soldat : « Il songeait aux horreurs sans finde la bataille, A ces membres épars, broyés par la mitraille, Aces corps mutilés appelant au secours, Aux râles des mourants,bruits désolants et sourds, Aux prisonniers livrés à la haineallemande, Tenant son fouet levé sitôt qu’elle commande, Etqui, pour un regard, pour un mot ou pour rien, Frappe comme unpiqueur saoulé qui bat son chien !.... Voilà qu’il pleuraitsur toute cette souffrance Inutile, à présent, au salut de laFrance ; Sans rien voir, il restait immobile, éperdu, Nesentant plus la neige et le givre fondu…. Il pleurait, cefrançais, car il venait d’entendre Dire ces mots : demain,Paris devra se rendre !... On rencontre dans Fleurs d’Automne, comme dans le premier volume de Rose Harel, despoésies dédiés à des amis ; ce sont des attentions délicates de laservante-poète, qui remerciait de la sorte les coeurs généreux quiavaient voulu, malgré sa modeste condition, l’accueillir dans leurintimité. Comme Rose Harel le laissait espérer danssa dédicace, le nom de sa bonne marraine porta bonheur à son livre etla petite alouette normande mourut heureuse…. A sonchevet, elle voulut qu’on lui amenât un bon curé de campagne, un bonDieu bien simple, comme elle disait et ce fut le curé de Beuvillersqui l’assista à ses derniers moments. Rose désirait mourir au milieudes fleurs ; Mme de Besneray emplit de roses la chambre de laservante-poète, qui s’éteignit doucement dans ses bras, le samedi 5juillet 1885. Ses obsèques furent célébrées enl’église cathédrale de Saint-Pierre, au milieu d’une grande affluenced’amis ; son corps fut inhumé dans le cimetière de Lisieux et desdiscours furent prononcés sur le bord de la tombe. Surle chiffre de la souscription ouverte pour l’édition du deuxièmevolume, il restait quelques centaines de francs ; avec ce modestereliquat, Mme de Besneray acheta un terrain au cimetière et fit éleversur la tombe de son amie une jolie pyramide en granit de Belgique ; surle socle du monument, on remarque en haut, une alouette portant un épi; en bas, un bouquet de roses de Noël ; au centre, un luth avec cesdeux vers extraits de L’Alouette aux Blés. « C’est une fantaisie étrange du destin D’avoir près d’unfuseau mis un luth dans sa main. » ……………………………………………………… Enoutre des deux volumes qui forment l’oeuvre de Rose Harel, quelques amispossèdent encore des lettres en vers écrites par elle à diversesépoques de sa vie ; il y aurait certainement à glaner des choses fortintéressantes dans ces pièces éparses, dispersées à tous les vents etque cette pauvre Rose adressait à ses amis. Elleécrivit à M. Julien Travers, secrétaire de l’Académie de Caen, vers1864-1867, des épitres dont l’auteur de cette étude a pu se procurerquelques copies. Une lettre écrite de Lisieux, le 10juillet 1865, se terminait par ces quatrains : « Alors qu’à la souffrance en proie, On n’existe plus qu’à demi, C’est une grande et douce joie Qu’un mot, un souvenir d’ami. Il en est plus d’un qui m’oublie Plus d’un bon parmi les meilleurs, Dont l’âme, de bonheur remplie S’occupe peu qu’on souffre ailleurs ! …………………………………………… « Allons, se plaindre est sotte chose. Votre lettre est un vrai bouquet ; Laissons le monde tel qu’il est, N’exigeons pas que tout soit « ROSE ». Envoici une autre, datée de Pont-l’Evêque, le 29 janvier 1867 : « Sous l’ongle aigu de la douleur, Un jour, je me suis indignée. J’ai dit au sort avec hauteur : A tes coups, je suis résignée ! Et jamais, depuis ce temps-là, Je n’ai dit, même au vent qui passe : Tiens, prends ma plainte, la voilà, Cours, va la perdre dans l’espace ! …………………………………………… Cinqans plus tard, le conseil municipal de la ville de Lisieux sur laproposition de l’un de ses membres, M. Georges Lebrethon, rendit à RoseHarel un hommage solennel ; l’Assemblée communale décida de donner lenom de la servante-poète à la Rue des Deux-Soeurs. Le13 juillet 1900, à dix heures du matin, veille de la fête nationale,l’inauguration de la nouvelle plaque de cette rue eut lieu à l’issue dela revue des troupes de la garnison. Le cortège,composé du sous préfet de l’arrondissement, du maire, de ses adjoints,du conseil municipal, des fonctionnaires, de toutes les sociétéslocales et de la compagnie des sapeurs-pompiers, se rendit rue desDeux-Soeurs, où devait avoir lieu l’inauguration de la plaque. «La cérémonie fut aussi courte que simple », dit un journal local ;après l’exécution d’un morceau de musique, M. Henry Chéron, maire deLisieux, prononça un beau discours, dans lequel il retraça les vertusde Rose Harel et fit un éloge discret de la femme modeste et bonne qui,dans son obscur labeur, avait été touchée « par les douces et sublimesinspirations de la poésie ». « Il appartenait, diten terminant M. le maire de Lisieux, au Conseil municipal, de consacrerla mémoire de Rose Harel. L’usage s’établit ici dedonner les noms de nos rues à ceux qui ont passé en faisant quelquebien. L’oeuvre de Rose Harel est de celles qui méritent ce souvenir. Undes membres de l’Assemblée communale, M. Georges Lebrethon, a eul’heureuse idée dont je le félicite, d’intercéder pour la mémoire deRose Harel ou plutôt de faire réparer un injuste oubli. Désormais,grâce à sa touchante pensée, aussitôt partagée par l’unanimité de sescollègues et de la population, le nom de cette femme douce et bonne seperpétuera au milieu des Lexoviens. Elle fut pauvre,comme tous les poètes, mais riche d’idées et de coeur, et je me demandesi ce n’est pas un heureux hasard qui nous a fait choisir, pourl’appellation nouvelle, l’ancienne rue des Deux-Soeurs, car, encélébrant Rose Harel, nous célébrons encore les deux soeurs immortelles: la poésie et la pauvreté ». Après ce discours quifut accueilli par les bravos sympathiques de l’assistance, M. leSous-Prféet de l’arrondissement de Lisieux enfonça le premier cloudestiné à fixer la plaque nouvelle, et la musique joua la Marseillaise, pendant que les nombreux spectateurs quittaient la rueRose Harel en rendant hommage à l’héroïne du jour, à l’humbleservante-poète, dont le nom venait d’entrer dans l’immortalité. ~ * ~ ROSE HAREL Glorifiéeà Lisieux en Juillet 1902 PAR LaSociété Littéraire et Artistique “ LA POMME ” __ LaVille de Lisieux, qui avait fait coïncider les assises de La Pommeavec des fêtes en l’honneur des Sociétés d’Agriculture etd’Horticulture, avait organisé également le Dimanche 27 juillet, ungrand Concours de Gymnastique et un Festival de Musiques civiles etmilitaires et d’Orphéons de la région. La Société Le Vieux Lisieux, de fondation récente, inaugurait aussi unintéressant petit musée et la ville avait invité, pour présider toutesces fêtes, un Membre du Gouvernement de la République, M. Mougeot,Ministre de l’Agriculture. L’éclat de ces fêtesmultiples, qui coïncidaient encore avec la pose de la première pierredu nouvel hôpital, fut incomparable et, dans ce cadre grandiose, laSociété La Pomme, qui venait pour glorifier Rose Harel et lesLexoviens célèbres reçut un magnifique accueil. Maisla véritable fête littéraire, celle au cours de laquelle il futbeaucoup parlé de la servante-poète et où elle reçut un hommagesolennel, eut lieu le lundi 28 juillet. Le dimanche,la ville de Lisieux avait reçu dignement le Ministre, fêté lesphalanges musicales, acclamé les gymnastes, salué les orateurs ; lelundi fut réservé aux « Félibres de l’Ouest », aux poètes et auxprosateurs de deux vieilles provinces de Normandie et de Bretagne. Commeon le sait, « La Pomme » chante alternativement chaque année dansl’une des deux provinces, les gloires locales ; en 1902, la vieillecité lexovienne ayant été choisie, la commission de « La Pomme »donna comme premier sujet de son concours de prose : Etude sur RoseHarel, la servante-poète. Douze littérateurs,bretons et normands, prirent part à ce tournoi littéraire en l’honneurde Rose Harel. Il sera parlé plus loin des diverslauréats de ce concours, dont les noms furent proclamés au cours desAssises tenues dans la salle du Théâtre de Lisieux ; arrêtons-nousd’abord au pèlerinage annuel, à cette promenade toujours si goûtée etsi suivie, dans les divers quartiers de la ville où « La Pomme »tient ses Assises littéraires. En 1902, cettepromenade poétique avait revêtu un caractère particulièrement originaldans cette vieille cité lexovienne si riche en souvenirs historiques etsi curieuse par ses constructions variées à l’infini. Lecortège, précédé de l’harmonie municipale et escorté par la compagniedes Sapeurs-Pompiers, était composé des Membres de la société « LaPomme », présents aux Assises de 1902, des Membres de la société « LeVieux Lisieux » et de divers représentants de la Municipalité et deSociétés lexoviennes. A travers les rues et lesruelles, des poètes tels que Robert Campion, Th. Féret, des prosateurscomme Edmond Groult, Encoignard, Hamel, Achille de la Nièce ont chanténos gloires normandes et prononcé l’éloge de quelques Lexovienscélèbres par leurs travaux et leurs vertus. Sur unemaison de modeste apparence, située Boulevard Sainte-Anne, une plaqueen marbre avait été apposée ; cette plaque portait l’inscriptionsuivante en lettres d’or : ROSE HAREL SERVANTE-POÈTE AUTEURDE L’Alouette aux Blés ET DE Fleurs d’Automne DÉCÉDÉEDOUCEMENT EN CETTE MAISON LE 5 JUILLET 1885, A L’AGEDE 59 ANS CONGRÈS DE La Pomme 27ET 28 JUILLET 1902 C’estdevant cette demeure, dans laquelle Rose Harel passa les dernièresannées de sa vie et rendit le dernier soupir, que le cortège s’arrêtaquelques instants pour permettre au poète normand, Robert Campion,l’auteur de Rimes paysannes, de prononcer l’éloge en vers de laservante-poète. Robert Campion, en des vers finementciselés, tombant en cascades harmonieuses, a chanté Rose Harel dedélicieuse façon ; son éloge commençait ainsi : Quand jel’évoque du passé, RoseHarel front pur qui se penche, M’apparaît en bonnette blanche, Les brasnus, le geste lassé. Dans lechamp où fleurit l’ivraie Le champdu riche est défendu Elleglane un épi perdu Et lafleur de sa moisson vraie. Pieuse,elle écoute les voix Qui sontéparses dans les brises, L’angelusdolent des églises, L’oraisongrave des grands bois ; Et par delà les monts tranquilles Groupéssous le clair firmament Elleperçoit confusément La rumeurétrange des villes. La douceglaneuse d’épis S’achemine à travers la plaine, Jusqu’àce que la nuit sereine Enténèbreles sillons bis. Toute la poésie de Robert Campionrévèle chez le barde Lexovien un vif sentiment d’admiration pour laservante-poète, il chante sa vie et lui rend un hommage sincère dans lelangage des Muses ! Il parle des méchants quiriaient de son « oeuvre de candeur » et qui, malgré tout, durentécouter, au soir de sa vie, sa « chanson douce et consolante ». Voicicomment finissait l’éloge en vers de Rose Harel : Un jourRose lasse de vivre, De samain blanche qui glanait, A lagloire qui s’en venait Donna sonlivre. Ceux-là qui la niaient alors ont écouté Le murmure plaintif de cette âme isolée Qui passe monotone et doux sur la vallée Où l’oiseau des grands bois chante saliberté. Parce qu’elle avait plaint l’amèreservitude. Et le rêve, l’orgueil, l’amour et ledevoir, Ceux dont la vie est faite et que touchele soir Furent à son tombeau parer sa solitude. Roses et liserons, violettes et lis, La fleur du champ mêlée aux fleurs de lachaumière Protégèrent son nom ainsi qu’une barrière Contre le sacrilège et le pas des oublis, Et l’envieux méchant, et le critiqueacerbe Que n’avaient pu trouver sa naïvechanson, Ont regardé passer cette unique moisson. Et, pensifs, salué la glaneuse superbe ! C’est ainsi que le bon poète Robert Campion, auxapplaudissements de l’assistance d’élite qui l’entourait, a célébré laservante-poète, ajoutant encore un nouveau fleuron à sa couronne degloire ! A l’issue du déjeuner annuel de La Pomme,servi à l’hôtel de Normandie, eurent lieu au Théâtre municipal, lesAssises de cette Société ; dans la coquette salle, une foule élégantese pressait, impatiente d’assister à cette dernière partie des fêtes. Aucours de cette belle solennité littéraire, il fut encore beaucoup parléde Rose Harel ; ce fut d’abord M. Jean Bertot, le distinguésecrétaire général de La Pomme, qui, après les deux beaux discoursprononcés par MM. Poubelle, président de la Société, et Chéron, mairede Lisieux, vint proclamer les noms des lauréats du 25e concourspoétique et littéraire. Le concours concernantl’Etude sur Rose Harel (prose), donnait les résultats suivants : Médailled’argent : M. Raymond Bazin, de Dieppe ; Médailled’argent, ex-æquo : M. Sarrazin, de Pleurtuit (Ille-et-Vilaine) ; Médaillede bronze : M. Lucien Braconnier, avocat à Pont-l’Evêque ; Mentionshonorables : M. Ferdinant Dumaine, de Honfleur ; M. Fernand Petit, dePont-l’Evêque. Ensuite ce fut le tour du poète LeMouël, le rapporteur général, du concours de 1902 ; dans le bulletin de La Pomme paru depuis lors, il est dit que le rapport de M. Le Mouël «travail très sérieux et en même temps très élégant et très fini, ditpar un lecteur incomparable » obtint un très grand succès ! Eneffet M. Le Mouël, écrivain du plus rare mérite, poète exquis, a tenul’assistance sous le charme de sa parole chaude et sympathique pendantla lecture de son beau rapport sur les oeuvres couronnées. Aprèsavoir évoqué de magistrale façon les souvenirs d’antan et détaillé,dans un style impeccable, les joyaux d’architecture que nos pères nousont légués et que des hommes, amoureux du passé, cherchent chaque jourà sauver de l’oubli, Le Mouël a parlé de cette « rue aux Fèves, siévocatrice et si pittoresque », puis, arrivant à Rose Harel, il s’estexprimé ainsi : « Bien souvent, sans doute,côtoyant l’ombre dentelée des maisons, votre compatriote, laservante-poète Rose Harel a passé par là. Je la vois, cheminant unpanier au bras… Ses pas la conduisaient vers les provisionsjournalières, mais sa pensée l’entraînait au-delà des murs et des toits! Singulière destinée que la sienne ! Obligée par lanécessité à des besognes vulgaires, elle les supportait avec patienceet résignation. Son rêve la dédommageait ! Tandis que, par exemple,d’un geste habituel ses mains écossaient des pois, son espritpoursuivait des rythmes et des rimes. Le grésillement des fritures nel’empêchait pas d’ouïr d’autres chansons et si, quelquefois, ellelaissa brûler le rôti, c’est que l’inspiration brûlait son âme…. Etnous déclarons qu’elle fit bien de sacrifier le rôti à son inspiration! » Le rapporteur citait ensuite quelques vers de Rose Harel, parlait de l’amitié qu’elle sut inspirer à Mme deBesneray, rappelait l’inauguration de la plaque de la rue qui porte sonnom à Lisieux, et rendait enfin hommage à Robert Campion qui avaitprononcé, le matin même, l’éloge en vers de la servante-poète. Puis,M. Le Mouël donnait les appréciations des Membres du Jury du Concourssur les oeuvres des cinq lauréats et, après avoir passé en revue lesautres lauréats de 1902, l’orateur saluait les membres du bureau de LaPomme, et le rideau tombait pendant que le public applaudissait LeMouël avec enthousiasme. Ensuite, le rideau serelevait pour permettre à une gracieuse jeune fille, Mlle Lampérière,de lire au public l’éloge en prose de Rose Harel, par Mme de Besneray. MlleLampérière qui est la fille de Mme Anna Yon Lampérière, déléguée de la Société pour l’Education sociale, avait été choisie par Mme deBesneray, pour rendre cet hommage solennel à Rose Harel devant lepublic des Assises. L’éloge de Rose qu’elle prononçaavec un talent très personnel est une merveille de style et elle sut,par son admirable diction, en faire ressortir toute la beauté ! Cetéloge, qui a été édité depuis lors chez Valin, à Caen, a été tiréseulement à 250 exemplaires numérotés ; il commence ainsi : « Elle est née dans cette glèbe aride et brûlante où se meut, sousl’injustice des hommes, sous l’inclémence des choses, l’immensetroupeau des sacrifiés. » La pauvreté, cette tare,la loi, cette marâtre, dès le berceau, la marquèrent au front ! RoseHarel n’a pas de père, elle n’a pas de rentes. » Plusloin, Mme de Besneray nous apprend à connaître un peu Rose Harel,qui, si souvent, lui raconta ses peines et les déboires de sa vie ! « Or, il advint que cette fille du hasard, sur qui s’acharne, dès l’aubepremière, le dédain des mieux partagés, a une âme. Eh oui ! Une âmefaite de lumière, de compréhension et de tendresse ! Dans ce libreesprit qui ne connaîtra ni les ligatures de l’éducation séculaire, niles entraves des préjugés, les idées mûrissent simplement comme lesépis de sa campagne natale, son intelligence que nul ne songe àcultiver, est merveilleusement fécondée par les souffles qui passent etqui charrient, pêle-mêle, le pollen des fleurs et le pollen des idées.Son coeur, que n’enfièvre aucune colère, aucune amertume pourl’injustice des conditions sociales, est pétri de cette beauté profondequi prend sa source au plus intime de l’être et constitue la suprêmevertu humaine. » Tout serait à reproduire dans cesuperbe plaidoyer, dans cette oeuvre de haute envolée qui souleva desbravos enthousiastes dans toute la salle ! Queldélicieux passage encore que celui-là : « Ellechanta simplement, naturellement, comme chante l’oiseau, pour la joiede chanter, de donner des ailes à ses idées, à ses aspirations ardentes. RoseHarel alla à la poésie comme l’abeille va aux calices d’or. Qui doncenseigne à la fauvette la manière de glaner les herbes légères pourconstruire le nid d’amour ! Plusloin encore, Mme de Besneray raconte une anecdote amusante : « Ces jours-ci, dans un salon mondain, quelqu’un demandait : « - RoseHarel ? Qu’est-ce que c’est donc ? Une grande dame,mieux informée, daigna répondre avec un sourire indulgent : « - Oh !c’est une fille illettrée qui faisait des vers et brûlait ses sauces !» Alors l’auteur continue avec une pointe d’ironie : « Pardon Madame ! Cette illettrée que l’on priva du droit de s’asseoirsur les bancs de l’école, parvint, par un incroyable effort d’énergiemorale, à se faire une mentalité supérieure. Permettez-moi de vousapprendre qu’en plus de sa spécialité à brûler les sauces, cetteillettrée étudia à trente ans l’histoire, l’antiquité grecque etromaine, la littérature européenne, la philosophie… Notez cette audace! Elle apprit seule ou avec d’obscurs amis, elle apprit aux momentsperdus, après la vaisselle faite et le fourneau éteint. » Combiende larmes sincères ont coulé des yeux des assistants au moment où MlleLampérière a prononcé cette touchante évocation de Mme de Besneray à Rose Harel : Rose, ma meilleure amie, ma soeurd’élection, toi que j’ai connue trop tard, toi qui m’as quittée troptôt, te souviens-tu comme tu chantais délicieusement notre premièrerencontre. …« Nos mains s’unirent sous les fleurs… et tout à coup, sur les corollesfrêles, il y eut des gouttes de roses !... Tes larmes, ma pauvre Rose !» « Après, nous avons eu les jours rayonnants etcourts de notre fraternité intellectuelle. Depuis, je t’ai vue mourir,la tête sur mon épaule, la main dans ma main et je t’ai couverte deroses, ô mon amie !... des roses sur tes cheveux blancs, des rosesentre tes doigts joints... Et desroses encore, des roses de Bengale, toujours fleurissent depuis trèslongtemps, là-haut, sur la terre où tu dors!... Enterminant, Mme de Besneray relate une idée, un rêve de Rose Harel,tels qu’elle les lui légua avant de mourir ; c’est une page fort belleet la fin de cet éloge, dit avec beaucoup de coeur par Mlle Lampérière,produisit une émotion dans tout l’auditoire ; ce rêve finissait ainsi : « En agissant avec désintéressement pour les autres, c’est-à-dire enaccomplissant leur devoir social, les femmes travaillerontmagnifiquement pour elles-mêmes. Elles restaureront le foyer quichancelle. Et, dans ce temple qui leur appartient, en introduisant plusde responsabilités pour elles, plus de dignité et de raison, ellestrouveront, en revanche, plus de justice, plus d’amour, plus de bonheur! » « Ainsi, tout haut, avant de mourir, rêvait RoseHarel ! » Une double salve d’applaudissements saluala charmante diseuse et l’auteur de ce bel éloge en l’honneur de RoseHarel, et certainement plus d’une personne dans la salle adressa aussiun souvenir affectueux à la pauvre poètesse normande à laquelle uneville tout entière et une grande société littéraire venaient de rendreun hommage si éclatant. Les assises de La Pommefurent alors clôturées par un magnifique concert au cours duquel sefirent entendre plusieurs artistes des grandes scènes parisiennes,MMmes Suzanne Dumesnil, de l’Opéra-Comique, et Alice Deville, duFestival Lyrique, MM. Delaquerrière, Gautier et Blanc, del’Opéra-Comique. Le soir dans une maison amie, chezMme de Besneray, il fut encore beaucoup parlé de Rose Harel, au coursd’un dîner intime auquel elle avait convié quelques membres de LaPomme, parmi lesquels il nous est permis de citer MM. Poubelle,président, Tillaye, ancien ministre, Jean Bertot, Edmond Groult, RobertCampion, Jack Oël, et l’auteur de cette étude, qui est heureux deremercier ici la gracieuse femme de lettres pour son hospitalitécharmante. Ajoutons que le portait de Rose Harelfut exposé à l’Hôtel de Ville de Lisieux pendant la durée des fêtes. « Sous ce front large, des yeux clairs, des yeux de lumière, un profilaffiné, une attitude de mélancolie, font songer à tout autre chosequ’une servante normande. Mystères de la nature, de l’hérédité,peut-être ! » Ainsi s’exprimait, dans le Journalde Falaise, sous le titre : Une poètesse normande, un littérateurqui signait de ses simples initiales (A. L.). Dans une étude biendocumentée, écrite dans un style très clair, on devinait, en lisant cesquelques pages, un écrivain consciencieux et un admirateur de RoseHarel. * * * Ala suite des fêtes de Lisieux, qui jetèrent une lumière si vive sur Rose Harel et attirèrent sur sa douce mémoire l’attention du mondedes Lettres, la Presse Parisienne et la Presse Normande luiconsacrèrent de nombreux articles. En outre desétudes de quelques-uns des lauréats, reproduites par-ci par-là dans lesfeuilles régionales, des hommes de lettres, des journalistes,s’intéressèrent à la belle figure de la servante-poète. Nousvenons de citer l’étude qui parut dans le Journal de Falaise, sousles initiales A. L. ; cette étude se terminait ainsi : « La Normandie a raison de fêter cette « illettrée » qui chanta si bienet incarna sa poésie alerte jusque dans son esprit malicieux ». L’Eclaireurde Dieppe reproduisit l’étude qui figure en tête de ce volume, et LaVallée d’Auge publia celle de M. Fernand Petit. * * * M. Octave Encoignard (Jack Oël) a dédié à Mme deBesneray un sonnet intitulé Rose Harel qui parut dans le Journal deFalaise. L’auteur de cette étude à l’issue desfêtes de Lisieux a chanté également dans un autre sonnet laservante-poète ; voici ce sonnet : ROSE HAREL Pauvre fille des champs, une fée invisible Posait étourdiment sur son frêle berceau L’art de faire des vers et son rêve impossible, Elle le poursuivait jusqu’au seuil du tombeau ! Dans la foule perdue et des rires de la cible, Elle trouvait alors un bonheur tout nouveau, Méprisant des moqueurs la critique irascible A chanter doucement le bien, l’amour, le beau Elle vida gaiement la coupe d’ambroisie ; Au lieu de délaisser sa chère poésie Elle eût plutôt gardé les boeufs et les pourceaux. Elle souffrit souvent, elle fut malheureuse, Mais c’était une femme ardente et courageuse Qui dédaigna toujours le jugement des sots ! RaymondBAZIN. Ce sonnet a été reproduit en août 1902, par La Vallée d’Auge, Le Lexovien, Le Journal de Falaise, l’EchoHonfleurais, etc., et par Le Sonnet. * * * Le 28 août 1902, *Le Petit Parisien* dans unarticle de tête ayant pour titre Les Femmes Poètes, publié sous lasignature bien connue de Jean Frollo, passait en revue les femmespoètesses ; cet article finissait par une jolie biographie de RoseHarel dont le nom venait d’être fêté à Lisieux ; voici comments’exprimait le rédacteur du Petit Parisien : « Onne saurait mieux terminer cette nomenclature forcément rapide etincomplète qu’en y inscrivant le nom de Rose Harel, une paysanne, unefemme du peuple, qui fut un « vrai poète » et dont la Normandie, sur leconseil de lettrés judicieux, a fêté récemment le souvenir. » Aprèsavoir raconté l’obscure naissance et la vie de Rose Harel, lechroniqueur jugeait ainsi son oeuvre : « Elle faitdes vers ! Ces vers, ce sont des tableaux d’une grâce charmante, desdescriptions alertes, des plaintes d’une harmonie pénétrante ! *JeanFrollo terminait ainsi son bel article : « Lesdeux volumes qu’ont édités les admirateurs de Rose Harel ajoutentcertainement une fleur charmante à la longue guirlande poétique dont separe notre pays. Il nous est agréable de faire revivre, ici, le nomd’une ignorée, d’une vraie fille du peuple, qui en telle de ses pagesne ferait pas mauvaise figure auprès de renommées plus retentissantes.» * * * LaLyre Universelle, a publié dans son numéro d’octobre 1902, unechronique sur Rose Harel de Georges Héry, datée d’Arras, qui ad’autant plus de valeur que cette revue est l’organe de l’AcadémieLamartine, société littéraire qui compte au nombre de ses membres, deshommes de lettres et des poètes illustres. Cettechronique après avoir retracé la vie Rose Harel et cité ses oeuvresfinissait ainsi : « La femme en elle était d’unegrande profondeur d’humanité. Elle aspirait à l’union, au relèvementdes âmes vers l’idéal dans un vaste élan de solitaire et d’amour. Ellefut de ces pionniers qui taillent dans l’effort douloureux les sentiersardus vers les cimes. De loin, nul ne perçoit le résultat de leurlabeur sur les flancs massifs de la montagne ; mais la route n’en estpas moins tracée et demeure. » * * * La Société artistique et littéraire La Pomme abien fait de glorifier par une étude mise au concours en 1902, l’humbleservante-poète, la bonne Rose Harel. Ce concourslittéraire a réveillé l’attention des lettrés et de la presse sur ladouce figure de « l’Alouette normande. » Ce livrequi porte en vedette le nom de Rose Harel contribuera à la faireconnaître aussi et à faire aimer ses oeuvres ; voilà le résultat duconcours de La Pomme. En terminant cette étude,qu’il soit permis à l’auteur qui fut un admirateur de Rose Hareld’exprimer un voeu dont la réalisation n’est pas impossible. Perpétuerpar le bronze ou le marbre sur une des places de Lisieux où Rose Harelmourut et qu’elle illustra de son nom, la poétique figure que nousavons essayé de décrire dans ce modeste ouvrage. FIN |