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LE FORT, Victor(18..-19..) : Vignobles du Calvados(1913). Numérisation du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (16.II.2013) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 7eannée n°8 - Août 1913. Vignobles duCalvados par Victor Le Fort ~*~En Avril dernier, l'articleétincelant de notre érudit collaborateur Jean Lesquier, nous a faitperdre l'illusion orgueilleuse que nous pouvions avoir sur l'originenormande de notre boisson régionale et sur l'antiquité de la pomme en Calvados. Quelque peumarris, il nous a bien fallu convenir que bière et cervoise devancèrentdans les pots de nos aïeux le cidre de pur-jus. Continuons l'examen des liqueurs qu'ils surent préparer et... boire. Peut-être y trouverons-nous un semblant de revanche et un nouveautitre capable de justifier la réputation de fécondité sans exemple denotre cher pays. Ensemble nous nous imaginerons déguster le fumetéteint de ses vieux vins. A dire vrai, si le pommier est basque, le raisin est romain, sicilienet oriental. Mais s'il n'est pas un enfant de la terre normande,onpeut convenir qu'il y a reçu un bon accueil et une longue hospitalité. Les premiers ceps furent vraisemblablement plantés oureplantés sur les pentes de nos collines par les soldats de l'empereurProbus, qui avait ainsi trouvée moyen d'occuper les loisirs de sestroupes, tout en réparant l'injustice de ses prédécesseurs, lesquelsavaient ordonné d'arracher impitoyablement toutes les vignes desGaulois (1). Les derniers fûts de vin ont été récoltés il y a cinquante ans à peinesur les côteaux d'Argences où rien ne marque plus la brillanteexistence des vignobles qui les couvrirent si ce n'est quelques pampresagrippantleurs vrilles folles aux doubles haies. Commencée au IIe siècle de l'ère chrétienne par des soldats, la culturede la vigne fut continuée en Normandie avec succès par les solitaireset les moines. Au IVe siècle, elle était prospère aux alentours de Paris et dans leLieuvin. Grégoire de Tours rapporte qu'Ethérius, IIIe Evêque deLisieux, voulant récompenser l'un de ses clercs, lui donna en largessedes terres et des vignes qu'il possédait autour de sa ville épiscopale. M. de la Roque qui voyageait en 1727 en Basse-Normandie écrivait au Mercure de France: « On voyait autrefois une autre espèce de curiosité auprès deLisieux, je veux dire des vignes, chose rare et presque inutile,Grégoire de Tours dit qu'Ethère, Evêque de Lisieux, avait des vignesdans le voisinage de cette ville : Dieu sçait, Monsieur, quel vinc'était. Il y a encore de petits vignobles dans la paroisse d'Argences,auprès de Caen, dont le vin détestable confirme mes conjectures surcelui de Lisieux. » Ce bec-fin de M. de la Roque, était comme vous le voyez, très gentil pour nous et nos crus. Tout à l'heure, nous ferons la part de vérité que son assertion pouvait contenir. Elle parait en tout cas trop péremptoire, car tout le monde ne fut pas de l'avis du correspondant du Mercure,à commencer par le duc Richard Ier qui prisait le vin d'Argences aupoint de donner en 1027, le vignoble le plus riche de son duché et labaronnie où il était assis à l'abbaye de Fécamp pour l'usage de sessacristies. Cette prérogative fut respectée jusqu'à la veille de laRévolution. Le vin d'Argences était le plus renommé du Moyen-Age. Guillaume deMalmesbury le dit sans ambage « Le bourg d'Argences produit le meilleurvin » (2). Et il entendait de toute la Normandie. Les moines de Fécamp tirèrent du cadeau princier qui leur était fait un excellent parti. Ils détachèrent à Argences - j'allais dire une équipe - un groupe demoines qui bâtirent d'abord une chapelle sous l'invocation deSaint-Jean et un petit monastère à côté, sur le bord de la Muance. Aumoment de la vendange, ce groupe était renforcé de quelques unités quivenaient complèter le personnel nécessaire à la récolte de l'énormeproduction annuelle. Les uns étaient les procureurs ou représentants à la vendange, lesautres étaient préposés à la surveillance de la cueillette ou despressoirs. La renommée du vin d'Argences devint si réelle, que les côteauxavoisinants se couvrirent de vignobles et que les abbayes et prieurésdu Calvados recherchèrent avec empressement les achats ou les donationsqui les mettaient en possession d'une part de ces crus enviés. Du mêmecoup la culture de la vigne redoublait de faveur dans tout le Calvadoset dans le Cotentin. Cela n'alla pas sans rivalité et sans petites taquineries, témoin ce cequatrain cité par Dumoulin au commencement du XVIIe siècle. Le vin trenche-boyau d'Avranches - Et rompt-ceinture de Laval - A mandé à Renaud d'Argences - Que Collinhou aura le gal. Le Gal, c'est-à-dire la priorité. Or les vignobles de Conihout, aupaysde Caux étaient aux moines de Jumiéges qui en faisaient grand traficavec l'Angleterre et les Flandres. * * * Les désignations de communes, de hameaux ou de lieux qui rappellentl'existence de vignobles sont nombreuses dans le Calvados et nous neles connaissons pas toutes ; citons les plus svmptomatiques :Cesny-aux-Vignes, Vignats, Canon-aux-Vignes, le Mont de la Vigne(commune de Monteilles), les côteaux appelés les Vignes, à Argences,Airan, Saint-André de Fontenay, etc.; la Ferme de la Vignerie àSaint-Laurent-du-Mont ; le Val au Vigneur à Beaumont-en-Auge, le lieudit la Vignette à Tour-enBessin, etc., etc... Les crus les plus réputés après ceux d'Argences, était ceux d'Airan.Leur valeur variait suivant les clos qui portaient des noms différents.L'abbaye de Troarn avait à Airan des dimes de vignes données par lesd'Angerville et les de Tilly. Les abbayes et prieurés de Barbery,Fontenay. Saint-André-en-Gouffern, Le Plessis-Grimoult, etc... seprocurèrent dans cette commune des propriétés ou des rentes en vins. Disons en passant que dans les actes de vente de l'époque, on trouve très fréquemment mentionné après le prix « ... et un gallon de vin. » Pourboire ou supplément de prix, on peut compter que le « vin » du garçon ou du toucheur de boeufs, vient de là. Nous avons résumé à la suite d'une liste de communes du Calvados quipossédèrent des vignobles, les preuves fournies par les chartes etpapiers déposés aux archives départementales, et cela n'est pas sansquelque intérêt. AIRAN. - En 1181, Robert Marmion donneà l'abbaye Sainte-Marie de Barbery toutes les vignes qu'il possédait àAiran, ainsi que diverses pièces de terre à BRETTEVILLE(sur-Laize),entre sa vigne et la haie de Bur. En 1207, Raoul deGiberville donne à Barbery, la dime,de toutes ses vignes d'Airan. En1255, Richard Ameline d'Airan donne à l'abbaye de Fontenay, une tinée de vinà prendre tous les ans dans sa vigne d'Airan. Agnès de Campigny donne àl'abbaye de Saint-André-de-Gouffern, 3 sillons de vigne à Airan, sur le Montfaucon,entre les vignes de l'abbaye de Fontenay. Jean Boter, Guillaume, Raoulet Osbern de Giros donnent à la même abbaye des vignes situées à Airan.En 1230, Raoul de Guesberville donne à Saint André, 2 acres de vignes,paroisse d'Airan. En 1239, on enregistre encore de divers donateurs desvignes et redevances en vin à prendre à Airan. Une charte sans date deRoger d'Amondeville donne aux chanoines réguliers du Plessis-Grimoultles clos de Ruel et de Lessart à Airan. ARGENCES. - La presque totalité duvignoble appartenait à l'abbaye de Fécamp ; cependant en 1272, MichelErneiz, d'Argences, donne à l'abbaye de la Trinité de Caen, une prairieprès celle de l'abbesse et reçoit en échange une pièce de vignes àArgences. AUDRIEU.- En 1277, Hélie Jugan, vend au chapitre de Bayeux, une redevance à prendre dans le vignoble d'Audrieu, jouxte le fief de Burnonville. BELLENGREVILLE. - Les actes des Tabellions de Caen font foi qu'il y avait des vignobles à Bellengreville en 1381. BURES. - En 1251, Guillaume, abbé de Troarn, donne enfief à Albin Gorle, une acre de terre en vigne, située dans le vignoblede Bures. ECAJEUL. - Henri d'Ecajeul donne au prieuré de Saint-Barbe en Auge, 1 vigne située entre le chemin de Falaise et celui d'Ecajeul. CAEN. - Les côteaux qui dominent Caen vers la mer étaient couverts enpartie de vignes. Il y en avait des plants entre l'ancienne église duSépulcre et le château. Guillaume- le-Conquérant avait donné à l'Abbayede St-Étienne de Caen le droit d'avoir un cellier et d'y conserverautant de vin qu'il serait nécessaire pour la consommation dumonastère, se réservant toutefois les droits au-dessus de 100 mesures.En juillet 1275, Philippe, roi de France accorde et confirme àl'abbaye. le droit de commettre des experts pour visiter et goûter lesvins dans les caves du Bourg-l'Abbé avec pouvoir de les détruire et deles répandre s'ils les trouvaient corrompus. Bernard Angot, bourgeoisde Calix donne en 1259 à l'abbaye de la Trinité de Caen une maison àSaint-Gilles, jouxte le mur de la Vigne de la dite abbaye. Pierre Guérard, bourgeois de Caen, donne à l'abbaye d'Ardennes, une pièce de terre, située aux Essablons, entre le chemin des vignes et celui de Couvre-Chef. FALAISE. - 1224, Béatrix de la Poterie donne à Raoul Levavasseur, une pièce de terre en vigne à Falaise FRIARDEL. - Dans la charte de fondation du prieuré deSaint-Cyr de Friardel, Guillaume de Friardel, donne « à Dieu, à laVierge et aux religieux » tous les droits qu'il pouvait avoir sur lesterres, les moulins et le vignoble Saint-Jean, FONTENAY. - Dans un acte contresigné parGuillaume-leConquérant, Guillaume Tesson 1er donne à l'abbaye deSt-André des églises, des moulins et des vignes. En 1258, Guillaume leDiacre clerc de Fontenay-le-Marmion, échange le tènement de Fontenay «depuis le vignoble jusqu'au chemin du Roy ». En 1272, le prieurd'Aubigny et le curé de Marsy réclament investiture d'un arpent devignes à Fontenay. GARCELLES. - Hugues de Garguesale, ou Garcelles, donne àl'abbaye de St-André-en-Gouffern, son vignoble de Garcelles, « depuisla terre de Geslin-le-Forestier jusqu'au bois de Garcelles (1210). MÉZIDON -1257, Martin Potevin donne une acre de vigne,située en cette paroisse à l'abbaye de Sainte-Barbe pour le service del'aumônerie. MOULT. - Les clos de Moult, clos Wimart, clos Wibordsont mentionnés dans les anciens actes. En 1442, Roger Le Cloutier,seigneur du Mesnil d'Argences y avait une vigne. Raoul du Moulin,d'Argences, Thomas de Mézidon et Osmont Karuel pour terminer leurdifférend avec les chanoines de Sainte-Barbe donnent au prieuré « leclos de la vigne près le bois de Moult ». Guillaume Gontier donne àSte-Barbe, une pièce de vigne située « près des routes ». MONTEILLES. - Nicolas des Taillis vend en 1244, une partie de bois, située à Monteilles, près le vignoble du prieuré. MONTGOMMERY - Jean de Ponthieu donne à Saint-André-enGouffern, la dime des arbres à fruits et des vignes qu'il possède à Montgommery. SAINT-PIERRE-SUR-DIVES. - En 1303, Jolle Bence vend une rente de 3 sols 8 deniers tournois à prendre sur une pièce de vigne à Saint-Pierre-sur-Dives. TROARN. - Il y avait à Troarn, à Saint-Pair et auxalentours des vignobles estimés qui existaient encore au XVIe siècle.Robert Bouet donne à l'abbaye de Troarn en 1211, une pièce de vigne.Vigor de Saint-Samson et André Guérouart de Venoix abandonnent àl'abbaye tous les droits sur la vigne du grand « clos Agolhard, jouxtele bois de la Ramée ». L'abbé Roger de St-Ouen donne en 1220, àl'abbaye d'Ardennes le fief du Hamavec ses terres et vignes. Henri de l'Épine vend en 1253, aux religieuxde Troarn, diverses redevances à prendre sur ses terres et vignoblessitués près des leurs OUEZY, CANON et CESNY avaient encore des vignes importantes au XVIe siècle. * * * Le 2 mars 1511, Louis XII se félicite « de ce qu'en Normandie, il voitde présent, plus grande foisson et abondance de vins qu'auparavant, àcause que plusieurs gens dudit s'y estoient appliquez» Mais cette prospérité attira sur nos vignerons destaxes immodérées, entre autres celle de l'écu par tonneau de mer,ce qui réduisait souvent leur gain pour cette quantité à 1 ou 2 fr. Lacrise viticole ne date pas d'aujourd'hui. Sous Louis XIII, lesvignerons ne faisant plus leurs frais arrachèrent leurs vignes etplantèrent en leur place des pommiers et du blé. Les vignobles duCalvados allèrent s'appauvrissant de plus en plus. En 1833, la Sociétélinnéenne qui visita le vignoble d'Argences, dit que c'est le seul quisubsiste dans le Calvados et la BasseNormandie. M. Le Brun, rapporteur s'exprimait ainsi à son sujet. « Au détour quela route de Troarn fait en entrant dans le bourg d'Argences un peuavant la première maison, on aperçoit à gauche le côteau et la pièce devignes la plus étendue. Elle contient moins de 100 ares. La distanceentre les ceps est de un demi-mètre environ. Chaque année le bois estcoupé à ras de terre ; souvent les anciens Romains vignicolesemployaient ce procédé. Contrairement à la culture ordinaire, on ne sesert pas d'échalas ; dès que les jets nouveaux peuvent se joindre, onles enlace deux par deux et rang par rang. Ces dispositions ont pourbut, l'hiver, de préserver la racine de la gelée ; l'été, de procurerau cep et surtout à la grappe toute la chaleur possible. Plus le raisinest près de terre, meilleur il est, on ne cultive que le raisin blanc». D'autres pièces de vignes couronraient les côteaux, St-Eustache, desVignes et de Ste-Catherine, elles étaient assez mal entretenues Lesvignerons d'Argences ne faisaient subir aucune pression aux grappesdéposées dans la cuve. C'est par leur propre affaissement, qu'elless'écrasaient pour donner la mère-goutte. Le marc en était ensuitemélangé à du marc de poires et cela donnait une piquette agréable etforte. Les derniers vins d'Argences, quand ils étaient jeunes étaient ternes,sans fumet et de goût un peu terreux, mais lorsqu'ils avaient un peu decave, suivant l'avis des linnéens, leur couleur était celle du bonchablis, chaud, apéritif, d'un goût agréable, enfin digne d'êtreadjoint aux huitres de Courseulles, pour un déjeuner confortable ».Tout le vignoble d'Argences comprenait au plus en 1850 3 hectares. Laproduction en bonne année était de 4.000 à 4.500 litres, qui sevendaient au prix approximatif de 0.40 l'un. Contrairement à ce qui s'était passé pour les vignobles du XVIe siècle,celui d'Argences ne mourut pas écrasé sous le faix des impôts, carl'Administration des Droits réunis, assimilait ce vin au poiré et luiappliquait la moindre taxe de l'octroi. Il se pourrait donc bien, enfin de compte, que le vin d'Argences vécût un peu dans les dernierstemps sur sa faveur passée, et qu'il ne put pas résister à l'invasionde crus plus délicats. Néanmoins sa carrière longue de plus de 1.500ans, est, il nous semble, suffisante à lui continuer une réputationrétrospective. V. LE FORT. NOTES : (1) « Gallis omnibus et Britannis permisit ut vites haberent vinumque conficirent » Chronique T. 1 Eusèbe. (2) « Argentiae vicus qui optimi vini ferax est » de Gestis Reg. Angl. L. II. - C. F. Recherches historiques, Abbé cochet. * * * |