Aller au contenu principal
Corps
Gaston Le Révérend par L. Moignet Sous la Bannière aux trois Lions,l'œuvre de Gaston Le Révérend commentée par Ch.-Th. Férét (1912).
Numérisation du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (25.IV.2013)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographeetgraphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 6eannée n°6 - Juin 1912.
 
SOUS LA BANNIÈRE AUX TROIS LIONS
L'ŒUVRE DE GASTON LE RÉVÉREND COMMENTÉE PAR CH.-TH. FÉRET

~*~

Sous la Bannière aux trois Lions ! C'est sous cetitre que vient de paraitre en librairie, le second volume de vers dupoète lexovien G. Le Révérend. Au mérite littéraire de l'œuvre dont onpourra juger par les lignes que lui consacre ci-après, l'auteur de LaNormandie Exaltée, Ch.-Th. Féret, s'ajoute celui des nerveux dessinsqui l'illustrent. Ils sont dus à la plume experte du dessinateurcalvadosien L. Moignet.

LES vers qu'un jeune poète a lus et élus à l'époque de sa formationintellectuelle sont, d'ordinaire les sources abondantes de soninspiration. (Il en est d'autres, et l’on ne songe pas à nier l'énergiedu climat et du sang). De Le Révérend, les Epiques se firent lespremiers écouter. Ils lui ont donné son âme combative d'abeille LeRévérend ne m'a point dit que Jean Le Houx, de Courval-Sonnet, Angot del'Espéronnière aient ensuite alimenté ses lectures favorites, mais jetrouve dans sa manière quelques uns de leurs tours, de leursraccourcis. Cette ressemblance n'est point pour étonner sur le mêmecoin de terre. Il a un peu de leur frappe, sans bavures. En sa vertenouveauté, sa langue date d'avant le Pédant. Il décrasse les vieux motset leur rend le bel air d'antan.

Aviez-vous remarqué, coffre en vos écuries,
Ce bahut qui sentait le pissat de cheval ?
Je nous l'ai racheté, c'est un meuble royal.

Que de vocables, ailleurs périmés et rémots, chez nous toujours vivantset proches. Que de mots ma courte science de rhétoricien rattachait auseul dialecte roumoisan, pour ne les avoir recueillis qu'aux lèvres despilotes et des mousses, et que j'ai reconnus dans Ronsard, dansThéophile, en des proses contemporaines d'Henry IV ou de Louis XIII, etrien que là. Les lettres françaises ne les connaissent plus ; ilsreluisent encore dans nos vieilles maisons de bois. C'est le grandcharme dans les entretiens avec les vieilles personnes qui patoisent.Mais je n'aime mie ces profanateurs vouant la langue des pères auxhistoires cocasses, déchainant le rire français avec des reliquesnormandes, dans la robe de l'aïeule agrandissant les trous d'un doigtsacrilège.

Ecoutez Le Révérend :

Ah ! ma grande ! elle sait des mots qu'on lit dans Wace...
De ces mots de rebut, cette humble paysanne
Tire des sons très purs de vielle et de campane,
Airs dolents où s'apaise en écho le passé
Cris de mère vaillante à son besot blessé...

Voilà pour la forme du poète ; au delà, les historiens plus encore queles poètes ont enflammé cette imagination. Poésie d'images, mais aussipoésie à idées, à doctrines. Poésie qui parfois crie parce qu'elle estd'un cœur ulcéré.

La dolente Normandie n'est plus que dans les livres. Même à Jersey,elle s'efface. Guernesey, Serk, sont plus fidèles, et à Guernesey,Métivier a chanté. Mais partout ailleurs, tout n'est plus qu'au passé,langue intégrale, droit coutumier, blason, indépendance. Le poète,irrité des déchéances, nous veut debout pour une guerre sacrée. THORAYDE.

Guerre de mots, plaidoirie de doctrines, où l'on passe l'Epte sansverser de sang. Du moins je l'entends ainsi. Il écrit : «Resplendissez, mes armes ! » parce qu'il décoche les flèches du grandarc Cynthien, les flèches de lumière d'Apollon.

Ce Sans-Or ne veut reconquérir qu'un idéal héritage. Ce Sans-Terren'envie pas aux herbagers les labours. Et je pense à Frémine, fier dene posséder du sol normand que la tombe de sa mère. Le Révérend se veutle soldat d'une cause vaincue, bafouée, mais frémissante.

Et moi l'humble Trouvère et le pieux Lévite,
Qui pour l'âpre aventure éveille le beffroi,
Je serai, d'une gloire insultée et proscrite
- Sous la bure du moine ou sur le palefroy, -
Si je vis, le Pierre l'Ermite,
Si Dieu m'aide, le Godefroy.

Et dans le livre, pour commenter ces vers, le corbeau d'Odin, tel qu'onle voit à Versailles sur une toile célèbre, s'inscrit au pavillon deguerre, le bec tiré et l'aile ouverte.

Augustin Thierry, Canel, Depping, Le Prévost, ont fomenté ce feu sacré.Ils ne lui ont pas parlé en chroniqueurs étrangers à la matière deleurs chroniques, mais en skaldes chantant les aventures du bateau etde la famille pendant les Fêtes d'Iol, sur la neige durcie, aux pâlesténèbres boréales. Le poète aux yeux ardents se suspend à ces bouchespathétiques, les mentons graves lèvent et abaissent la rigidité desbarbes d'ivoire.

Je défends bien à un Normand un peu né de lire nos Fastes et de resterfroid. Il est naturel d'aimer ceux qui, sur cette même terre, furentaux mêmes combats et débats. Les petits Français à qui l'on raconte lebrûlement impie de la Pucelle, vont au patriotisme par la grand'pitié,comme l'orgueil rallie autour de Guillaume les petits normandspassionnés. Leur pur enthousiasme épouse sa querelle matoise. Des yeuxet des vœux ils poussent la flèche aux visages Saxons et dans l'œild'Harold. Du jour où ils ont lu la prise de Durazzo, la geôle deRichard Cœur-de-Lion, Arlette à la fontaine, les petits de chez nous,qui ont le sens de la gloire, choisissent leur camp et n'en changentplus. Si l'on veut tuer cette tenace âme normande, qu'on efface del'histoire Rollon, Guiscard, Drogon, Homfroi et les vers de Wace.Autrement qu'on se résigne à nous voir répudier jusqu'au nom de cesdépartements découpés dans la chair vive du Duché par un voisininsolent. Et qui brille Château-Gaillard, et qui assiège Rouen, il estl'ennemi. Contre ses gabelles, les Nuds-Pieds. Contre ses impôts, lesHarelles. Et contre ses outrages, les ripostes.

On peut considérer le livre de Le Révérend comme une réponse auCatéchisme des Normands, une des pierres du monument de défiance ethaine élevé par la jalousie contre nos supériorités. Dans le BlasonPopulaire de Normandie, Canel en a fait le compte :

Qui fit Normand, il fit truand.
De Normandie, mauvais vent, mauvaises gens.
Un Normand a son dit et son dédit.
Il ne dit jamais ni vère ni nenni.
Roux français, noir anglais, et Normand de tout âge, ne ty fie si tu essage.
Le Pays d'Empoigne.- Les doigts crochus.- Le blason normand contienttrois faux : faux saulnier, faux témoin, faux monayer. Etc.

A ces odieux brocards, le livre de Le Révérend n'est pas qu'uneréplique tardive. Le dire serait méconnaitre la hauteur de soninspiration, la hauteur du ton, si importante en poésie... C'est plutôtun appel de la Race vers plus de justice. « Haro ! mon Prince, on mefait tort ». C'est une affirmation de la force rédivive, en cettedolente, en cette bafouée qu'on croyait à genoux.

On jette dans la douve un gênant bouclier,
Et l'on poursuit, ardent, sublime, dérisoire,
Dans ses retranchements les plus sûrs, la Victoire.

Elle viendra, et le poète n'a pas le droit d'en douter, au moinspubliquement. Mais les fêtes du Millénaire de 1911 n'en ont pointannoncé l'approche. Ces fêtes ont douloureusement illustré la hainedont on poursuit les Normannisants en Normandie, même quand on prétendexalter les grands souvenirs de la race.

Le Nord venait nous demander compte de son sang, et les poètes, la pluspure substance de la race, furent bannis de la table de famille. Onpréféra les clowneries d'un Breton au merveilleux drame de Thorborgereine de mer, de l'admirable Lucie Delarue-Mardrus ; le drame de nosdestins fut biffé, le petit recollage archéologique de Mystère sansnaïveté ni foi, eut la cour d'Albane.

Avez-vous lu la protestation de Beuve ? Le patois, dans sa personne futhonni, inopportun. Le poète Levaillant, choisi pour parler devant lebronze de Corneille, avait dans un livre récent, déclaré qu'issu denotre pays, il l'abjurait, normand libéré, comme Heine se déclaraitPrussien libéré. A la Sorbonne il y eut une cérémonie officielle etl'élu fut encore un poète breton qui compara les Vikings a des daims.Le chantre de la NORMANDIE EXALTÉE fut écarté des fêtes suscitées parles souvenirs et l'enthousiasme qu'il a réveillés le premier. LeRévérend a fait dans son livre à cet ostracisme une allusion touchante.Merci, frère ! Etonnez-vous après ces soufflets, d'une poésievengeresse !

La Normandie, ami, notre commune amour,
Est hostile aux héros qui lui doivent le jour.
Son plus fier partisan la trouve indifférente.

Qu'importe ! N'écoutons pas les lâches qui vont disant :

Le fils contemple en vain le portrait des ancêtres.
En lui, l'or est argile, et les géants sont nains.
L'hérédité, levain sans vertu sur les êtres,
Laisse les nouveaux-nés à leurs propres destins.

Vis ton rêve, sans plus. Laisse le leur aux ombres.
L'Histoire, mausolée orgueilleux du passé,
N'abrite qu'ossements, ne cache que décombres.
Sur le charnier d'Urda pèse un marbre glacé.

L'individu n'est qu'un anneau. Peu de chose, puis qu'il meurt, alorsque la race demeure...

Le poète fuira l'exil de Paris où ses ainés combattent pour de richesbutins, où tant de poètes normands crèvent de famine. A Paris, lesbibliothèques seules le pourraient rattacher à nos solidarités parl'histoire. Mais chez lui s'ouvre à sa méditation un livre plussuggestif, quoiqu'il subisse la maladresse des édiles. Immense in-folioaux pages raides et jaunies, plus vaste qu'un Domesday Book, illustrécertes, non de gravures sans relief au doigt, mais livre sculpté,ciselé, soutenu de poutres, éclairé de lucarnes, sinueux desalamandres. Je veux dire Lisieux, capitale du Bois Sculpté, plantédevant le poète en décor de théâtre.

Lisieux tout seul n'eût produit qu'un poète pittoresque etarchéologique. Mais Le Révérend a haussé le ton, mû par une ferveurreligieuse.

Il n'a pas admiré que de vieux logis, il a honoré des Lares. 11 croit ànos dieux du Nord, comme un esprit libre du dogme croit aux symboles.

Je veux aussi souligner la sûreté de sa doctrine, qu'il doit moins auxphilosophies qu'aux logiques élans de son instinct. Son culte pour laforce sacrée, identique au droit, son mépris du rire, cette armelatine, - ah ! certes, nous planons au-dessus de l'esprit - son dédaindes confessions et des lâches plaintes d'amour, tout cela est bien d'unNordique et l'apparente aux Forts. Retenez le nom de ce poète. ilgrandira. Gardez ce petit livre : il prendra du prix, dans leslibrairies et dans nos piétés.

CH.-TH. FÉRET.