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HUNGER, Victor(1856-1935) : La Cloche del’Hippodrome de Caen (1912).

Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (14.VI.2013)
Texte relu par A. Guézou.
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographeetgraphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 6eannée n°8 - Août 1912.


La Cloche de l’Hippodrome de Caen
Miettes d’histoire locale
par
V. Hunger

~*~

COMME les livres, les cloches ont leur destin ; celle del’Hippodrome de Caen nous en fournit la preuve. Jadis elle convoquaitles religieux à la prière ; aujourd’hui, elle donne le signal desluttes hippiques, incertaines et glorieuses. En quelques lignes voicison histoire :

Notre cloche ne présente rien de particulier dans sa forme : ellemesure 0m33c de hauteur et 0m43c de diamètre à la patte ; sacirconférence est de 0m82c au cerveau et de  1m29c à la patte.Elle pèse exactement 50 kil. 50 grammes et donne le la dièze.

Le battant, très fruste, mesure 0m35c de hauteur et 0m18 c decirconférence à sa partie la plus renflée. Sa liaison avec la cloches’opère au moyen de liens de cuir ou brayers,attachés à l’anneau intérieur, lequel est maintenu à la cloche par deuxécrous passant dans deux trous percés dans le cerveau de la cloche,entre les deux anses.

Autour du cerveau de la cloche se trouve tracée en relief, sur troislignes séparées par des traits également en relief, l’inscriptionsuivante :

CETTE CLOCHE APPARTIENT AVS CARMES DE CAEN A ESTE NOMMEE PAR NICOLAS DEBAR Sr DE BOIS JANNOT & C. & De  ANNE BARBIER EPOVSEDANTOINE MALET ESCer Sr DE SVCCARRE CONer DU ROY DIRr & Rr GNal DES GABELLES & 5 GROSSES FERMES DE FRANCE EN LA GERALITE DECAEN & C. – 1666.

Au-dessous de cette inscription, à la hauteur de la gorge de la cloche,on trouve en relief le sceau du prieur des Carmes. C’est un cachetovale de 50 millimètres : on voit au milieu la Vierge debout,couronnée, portant dans ses bras l’enfant Jésus également couronné. Enexergue on lit :

SIGILL . PRIORIS . CARMELI . CADOMENSIS  

Notre cloche ne porte pas le nom de son fondeur, pour la raison qu’ellefaisait partie d’une série plus importante, dont, très probablement, latonique seule était signée, ainsi qu’il arrivait fréquemment.

Comme l’indique l’inscription, notre cloche appartenait aux Carmes deCaen, et elle fut fondue en 1666.

Un mot d’abord sur ses anciens maîtres. Voici ce qu’en dit Huet, lesavant évêque d’Avranches, l’un des anciens historiens de Caen : «Entre les religieux mandians qui s’établirent à Caen, les pères Carmes, que la couleur deleur habit rayé alors d’orangé, de blanc et de noir, faisoit nommer lespères Barrez, tiennent le premier rang, et précèdent tous les autresdans les cérémonies publiques parce qu’ils sont les seuls qui puissentjustifier, par titres, de leur première fondation. Jean Pillette,bourgeois de Caen, fut leur fondateur. Il leur donna le lieu où estsitué leur couvent, dans la paroisse de Saint-Pierre, sur la rivièred’Orne. cette donation se fit au mois de juin, en l’année 1278, par lapermission de Pierre de Benais, évêque de Bayeux, et du consentement deGuillaume Pouchin, curé de Saint-Pierre, qui fut indemnisé par unerente de 10 livres, que ces pères payent encore aux curez deSaint-Pierre. L’accord fait entre eux se trouve dans les registres del’évêché de Bayeux. Leur église fut établie dans la chapelle deSaint-Anne. Ils se sont depuis accrus par diverses acquisitions etdonations qui leur ont été faites. Le cloistre des Carmes, tel qu’ilest aujourd’huy, fut fait en 1612. Aussi ne paroît-il point dans leplan de Belleforest. Leur maison s’appeloit dans le langage de nosayeux, Notre-Dame-du-Carme,c’est-à-dire du Carmel ».

L’ancien couvent des Carmes, situé au numéro 64 actuel de la rue desCarmes, sert aujourd’hui de magasin à l’administration des docks deCaen. Il a été souvent décrit dans les ouvrages spéciaux auquels nousrenvoyons nos lecteurs, ainsi qu’à une aquarelle peinte, en 1832, parA. Lasne, et maintenant conservée à la Bibliothèque Municipale de Caen.Elle représente l’ancienne tour octogonale de l’église des Carmes,telle qu’elle exista encore jusqu’en 1864, date à laquelle elle futabattue.

Mais revenons à notre cloche. Un manuscrit intitulé Origines de la maison des Carmes de Caen,par le R. P. Léonard de Saint-Françoys, religieux de ladite maison,nous fournit quelques renseignements à son sujet. « Nous avions, dit lePère Léonard, un clocher au bas de notre église qui coûta 70 livres àraccomoder en 1621. Le tonnerre tomba dessus en 1625. L’an 1665, on enfit construire un nouveau à l’autre bout de l’église où il est àprésent. Il ne paroist pas que ce soit à d’autres frais qu’aux nostres.Il a coûté 2000 livres ; les armes qui y sont dénotent quelquebienfait, mais aucun livre, ni de la procure, ni du secrétaire, n’ensont chargés ».

Le 25 août 1665, le prieur était autorisé à emprunter l’argentnécessaire pour cette construction ; mais, les dépenses avaient sansdoute excédé les prévisions, car, le 19 août 1667, les Carmesdécidaient « qu’on vendroit l’argenterie qui estoit dans l’arche, poursatisfaire à nos debtes contractées pour les choses que nous avons faitfaire à l’église ».

Il est bien évident que notre cloche, fondue en 1666, était destinée àce nouveau clocher bâti en 1665.

Elle devait être la plus petite, et son peu de volume nous avait toutd’abord fait croire qu’elle appartenait à la sonnerie de l’horloge ; lepassage suivant du manuscrit du Père Léonard, nous tira de notre erreur: « En 1668, nous fismes notre horloge qui nous coûta plus de 400livres. »

En bonne chrétienne qu’elle devait être, ses auteurs lui cherchèrent unparrain et une marraine. Ainsi que nous l’avons vu, leur choix s’arrêtasur Nicolas de Bar, adjudicataire des Octrois de Caen, et sur dame AnneBarbier, épouse d’Antoine Malet, écuyer, sieur de Succare, directeur etreceveur général des Gabelles et des cinq grosses Fermes de France enla Généralité de Caen.

Nous ignorons les raisons qui motivèrent ce choix ; pourtant, il noussemble utile de mentionner qu’à la suite d’une procédure entre leséchevins de Caen et les différents corps ecclésiastiques de la ville,un arrêt du Conseil d’Etat, en date du 8 janvier 1665, maintintseulement les cinq ordres mendiants : Croisiers, Capucins, Cordeliers,Jacobins et Carmes, dans l’exemption des droits d’octroi, en yassujétissant au contraire tous les autres ecclésiastiques et notammentles abbayes de Saint-Etienne et de La Trinité.

Faut-il voir autre chose qu’une coïncidence dans ce procès soutenu ausujet des droits d’octroi par les Carmes, et le choix qu’ils firent,l’année suivante, pour parrain de leur cloche, d’un intéressé dans larégie des octrois ?

D’autre part, les religieux avaient également intérêt à établir de bonsrapports avec les officiers des gabelles, pour l’exercice du privilègedu franc salé ; serait-ce aussi le motif qui leur fit choisir la femmed’Antoine Malet pour marraine ?

Pendant les quarante-quatre premières années de son existence, lafilleule de Nicolas de Bar et d’Anne Barbier fit résonner, sansincident, son timbre argentin. L’année 1710 faillit lui être funeste ;le Père Léonard nous apprend, en effet, que cette même année les Carmesfirent refondre leurs cloches.

La nôtre ne fut pas comprise dans celles destinées à être refondues :la modestie de sa taille lui fit probablement trouver grâce et la sauvadu creuset. Pour faire place aux nouvelles venues, on la rélégua sansdoute dans quelque coin de la tour où elle demeura silencieuse etoubliée. Elle n’en sortit qu’au moment de la Révolution.

Par un décret des 13 et 19 février 1790, l’Assemblée Nationale, enprohibant les vœux monastiques, supprimait les ordres religieux, etl’art. Ier du titre III de la loi des 28 octobre et 5 novembre de lamême année disait : « aussitôt après l’évacuation des maisons etbâtiments qui ne seront plus occupés et des églises dans lesquelles ilne sera plus fait de service, les directoires feront vendre tous lesmeubles, effets et ustensiles dont aucune destination particulièren’aurait été affectée en vertu des décrets de l’Assemblée Nationale. »Cette mesure nécessita des inventaires. En ce qui concerne les Carmes,le premier fut fait le 11 janvier 1791, mais on n’y trouve pointmention de cloches ; par contre, dans le second, qui eut lieu lemercredi 8 juin suivant, nous lisons : « Nous François Jean Hamelin,homme de loy et Louis Lesieur de La Fosse, administrateur du districtde Caen,...... nous sommes transportés dans la cy-devant communauté desRR. PP. Carmes, située audit Caen, paroisse St-Jean, pour procéder aurecensement des effets mobiliers de ladite communauté répertoriés parMM. les officiers municipaux de la commune dudit Caen le 7 juin del’année dernière... Montés aux cloches, nous y avons répertorié troistimbres. »

Les religieux des Carmes quittèrent leur maison le 11 août 1791, et lavente de leur mobilier eut lieu le 26 octobre de la même année et lesjours suivants. Leurs cloches ne virent pas le feu des enchères :l’art. Ier du décret des 3 et 6 août 1701 ordonnait, en effet, lafabrication d’une menue monnaie avec le métal des cloches, qui devaitavoir lieu sans délai dans tous les Hôtels des monnaies du royaume.L’article V du même décret ajoutait : « les directoires desdépartements tiendront à la disposition du ministre des contributionspubliques, les cloches supprimées dans leurs arrondissements. »

Cependant, il est probable que le décret ne fut pas exécuté avec toutela rapidité désirable, car l’Assemblée Nationale en prit un nouveau les14 et 22 avril 1792, relatif à la même question.

Malgré tous ces décrets, notre cloche fut encore épargnée. Elle servitpeut-être à sonner l’heure des repas des prêtres détenus aux Carmes,puis fut, après la Révolution, portée aux magasins de la Ville, qui ladonna à la Société des Courses de Caen lorsqu’elle se fonda en 1837.

En raison de la situation admirable de son hippodrome, des priximportants et classiques, tels que le GrandSaint-Léger et le Prix dupremier pas, qu’on y courait chaque année, grâce aussi à lahaute compétence sportive de ses administrateurs, la Société desCourses de Caen resta pendant près de trois quarts de siècle, une desplus considérables et des plus florissantes parmi celles de la province.

On peut dire qu’elle fut en quelque sorte, le berceau de la Sociétéd’Encouragement pour l’amélioration du cheval français de demi-sang,puisque c’est sur l’hippodrome de Caen que cette Société, fondée en1864, donna ses premières réunions de courses. Bien modeste à sesdébuts, la Société du Demi-Sang prit rapidement un essor siconsidérable que, depuis longtemps, certains sportmen, faisant à lafois partie du comité des courses de Caen et de celui de la Société duDemi-Sang, estimèrent qu’il y aurait un intérêt primordial, aussi bienpour la ville de Caen que pour l’élevage, à faire régir directementl’hippodrome par cette Société. Peu à peu, cette idée prit corps, et,par acte des 1er, 14, 15 et 19 octobre 1904, passé devant Me RaymondLauffray, notaire à Caen, la Société des Courses de cette ville, céda àla Société du Demi-Sang, ses droits à l’hippodrome de Caen avec toutson actif social. Cette cession, approuvée le 27 octobre suivant, dansl’assemblée des sociétaires des courses réunis à cet effet, à l’Hôtelde Ville de Caen, sous la présidence de Louis-Pierre-Amédée Dumalle,colonel de cavalerie en retraite, officier de la Légion d’honneur,maire de Caen, fut déposée au rang des minutes de Me Lauffray, le 2novembre de la même année. Dans l’actif social, entre autres objetsmobiliers, se trouvait notre cloche qui devint ainsi la propriété de laSociété du Demi-Sang.

Puisse-t-elle sonner encore de longues années, et témoigner ainsi de lavitalité et de la prospérité d’une Société si utile à notre défensenationale et à nos vaillants éleveurs de chevaux de demi-sang.

V. HUNGER,
de la Société des Antiquaires
de Normandie.