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COUPIN, Henri (1868-1937) : Les Animaux savent-ils compter ?(1910). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (18.VI.2013) Texte relu par A. Guézou. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographeetgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 4eannée n°5 - mai 1910. Les Animaux savent-ils compter ? par Henri Coupin ~*~La question de savoir si les animaux sont capables d’avoir des notionssur les nombres est fort difficile à résoudre, car il faut savoiréliminer toutes les conditions accessoires aux expériences que l’ontente, expériences qui, d’ailleurs, n’ont pas encore été suffisammentvariées. Un coup d’œil sur la question va nous le montrer... On assure, par exemple, que, dans certaines mines de charbon du Hainautles chevaux sont si habitués à ne faire que trente fois le même cheminqu’au trentième voyage ils s’arrêtent et vont d’eux-mêmes à l’écurie.Le fait demande confirmation, car il est fort possible que cet arrêtsoit plutôt causé par l’attitude de leur conducteur. On pourrait fairela même remarque au sujet des éléphants qui, dans l’Inde, refusent detravailler quand l’heure habituelle du repos est arrivée. On lit dans les œuvres de Montaigne que les bœufs employés dans lesjardins royaux de Suze pour faire tourner les roues auxquelles étaientaccrochées des seaux, se refusaient absolument à faire plus de centtours, ce qui était leur tâche quotidienne. La chose paraît trèsdouteuse. M. Timofieff assure avoir connu un chien qui savait compter jusqu’à 26.Voici comment il fut amené à faire cette constatation... un peuhasardée. Ce chien, suivant la coutume de la race canine, avaitl’habitude de cacher une partie de la nourriture qu’on lui donnait : ilfut ainsi amené à enfouir dans la terre 26 os. Le lendemain comme on nelui donnait rien à manger, il se mit à visiter ses cachettes et àdéterrer les os pour les ronger. Il avait déjà mangé 25 os lorsqu’ils’endormit ; mais au bout d’un instant, se réveillant en sursaut, commesi une idée lui était venue soudain à l’esprit, il courut directement àla dernière cachette et prit le dernier os qu’il avait oublié. L’instruction des chiens en arithmétique ne va généralement pas touteseule, même en y mettant la plus grande patience. « J’ai voulu, raconteDelbœuf, apprendre à compter à une jeune chienne griffon, trèsintelligente, très remuante, qui avait fait preuve de grandes aptitudespour les tours d’agilité et même d’intelligence, pour distinguer, parexemple, la main droite de la main gauche. Voici en quoi consistait monprocédé : je mettais devant elle deux assiettes, l’une avec troismorceaux friands (sucre ou foie), l’autre avec quatre. Il lui étaitpermis de manger les trois morceaux, mais non les quatre. Je ne suisjamais parvenu à lui faire faire la distinction abstraite, et, au boutde peu de temps, la pauvre petite bête, quand elle me voyait préparerles assiettes, serrait la queue entre ses jambes et se mettait àtrembler. Elle n’avait pas de dispositions pour les mathématiques. –J’ai aussi possédé un caniche extrêmement intelligent, auquel je n’aijamais pu arriver à faire compter jusqu’à quatre. Je mettais devant luiun morceau de foie auquel il ne devait pouvoir toucher qu’après quatrecoups tapés sur la table. J’avais commencé par compter, tout haut, (un,deux, trois, quatre ». Il reconnut bientôt le son de « quatre » etsurtout l’intonation que j’y mettais, au point que si je comptais : «un, trois, quatre » ou bien « un, deux, un, trois, quatre » le résultatétait toujours le même. Puis, je comptais, « un, un, un, un », mais enconservant l’intonation finale ; même succès. – je pourrais rappelerégalement, à cette même occasion, un petit chien (croisé de loulou etd’épagneul). Ma mère se levait de bonne heure et allumait elle-même sonfeu. Elle avait enseigné à « Marquis », – c’était son nom, – d’allerchercher le bois au grenier. Il devait en quérir cinq morceaux, pasplus : c’était la règle. Le petit animal prenait le plus vit intérêt àl’opération, et montait, descendait l’escalier avec une rapidité à s’enbriser les reins. Or, il ne cessait d’apporter le bois que lorsque mamère lui disait « assez ». Un jour même, nous étions partis laissant lechien seul à la maison : que voyons-nous en rentrant ? La chambre touteremplie de bois... « Marquis », pour se désennuyer, avait trouvécharmant d’exécuter le manège du matin et il avait vidé le grenierlittéralement ! » Il semble que les animaux sachent très exactement le nombre de leursnourrissons et, au moment où les femelles nourrissent, il semble quel’on pourrait faire sur elles des observations intéressantes. En voiciun exemple dû au capitaine Maryat. Il s’agit d’une chatte à laquelle onavait confié l’allaitement de deux jeunes chiens, enlevés à leur vraiemère qui avait trop de nourrissons. Bientôt les jeunes chiens purentmanger de la viande et, à une époque où leurs trois frères (élevés parla chienne) étaient tout à fait incapables de se suffire à eux-mêmes,eux, pouvaient sans inconvénient, se passer de nourrice, de sorte qu’onne tarda pas à les donner. La pauvre chatte en fut inconsolable ;pendant deux jours, elle n’eut pas un moment de repos et courut lamaison de la cave au grenier. Enfin, ayant trouvé moyen de pénétrerdans la chambre où la chienne nourrissait les petits qu’on lui avaitlaissés, elle crut que c’était la chienne qui lui avait volé sesenfants et leva la patte sur elle ; mais la vraie mère répondit par uncoup de dent. La bataille, une fois engagée, fut soutenuevigoureusement de part et d’autre ; l’avantage resta pourtant à lachatte, qui prit un des petits et l’emporta en triomphe. A peinel’eut-elle déposé en lieu sûr qu’elle revint pour en chercher un autre,qu’elle parvint également à emporter, après avoir soutenu un nouveaucombat. Le curieux de l’affaire, c’est que ce double succès ne luitourna pas la tête et qu’elle ne chercha pas à le pousser trop loin. Onlui avait pris deux nourrissons, elle en avait pris deux ; elle savaitfort bien son compte. M. Jacquot assure que les singes ont appris d’eux-mêmes à compterjusqu’à quatre, mais non au-delà. La manière dont il est arrivé à cetteconclusion est assez curieuse. Au Transvaal, comme dans toutel’Afrique, les singes détruisent les plantations et on a toutes lespeines du monde à les chasser. Dans ce but, les indigènes se cachentdans les cases et sortent au moment où ils supposent que les singessont en maraude. Mais, en général, cela ne suffit pas, parce que, lessinges, très malins, attendent que les chasseurs soient partis pourfaire leurs larcins. Or, on a remarqué qu’ils n’arrivent ainsi auxchamps à piller que lorsqu’ils ont vu sortir de la cachette « quatre »chasseurs. S’ils n’en sort qu’un, deux ou trois, ils ne bougent pas.Mais les Boers ont trouvé un moyen détourné d’arriver à leur fin. Ilsse cachent en nombre supérieur à quatre. Puis quatre chasseurs sortentde manière à se faire voir des singes. Aussitôt le quatrième chasseurparti, les singes, qui ne savent compter que jusqu’à quatre,s’imaginent que tous leurs ennemis sont partis. Ils arrivent et se fontprendre par les chasseurs dans la cabane. « Se non e vero... » Henri COUPIN. La Nature |